La Parabole de l’enfant prodigue


Alençon, Plaine d’Alençon


1893


Henri Viez



Eun ||1 homme avait deus gâs,

Et l’pus jeune dit à son pére : « Mon pére, baillez-mei c’qui d͡wét2 m’ervni3 d’vout’ bien » ; et l’pére, i leus || en || a fait l’partage.

Quéques jous après, l’pus jeun’ de ces deus-effants, il || amassit tout c’ qu’ il || avait et s’en fut dans un pîlh4 él͡wégné, iou qu’i mangit tout son bien à faire la féte.

Quand c’est qu’il || eut tout dépensé, v’là qu’eune grande famine elle arrivit dans l’ pîlh et i qu'mença à ét’ dans l’bsoin.

I s’n || alla don et s’mit en sarviçe chez un des gens du pîlh qui l’envéia dans sa maison des champs pour qu’il || y gardât des gorins.

Et il || aurait été bénhureus d’rempli son vente avec les ’cales qu’ les gorins mangeaient, mais personne n’ guî en baillait.

Enfin i réfléchit et i dit : « Combin qui gn’ en || a dans la maison d’ mon pére des gens d’sarvice qu’ ont pus d’ pain qu’ i leus || en faut ! Et mei, j’ sé ici à mouri d’faim ! »

Faut que j’ mei léve et qu j’ vage trouver mon pére, et quj’ guî dise : « Mon pére, j’ai péché conte l’ ciel et cont’ vous.

« Et j n’ sé pus digne d’éte appelé vout’ fî ; traitez-mei comme un d’ vos gens d’ sarvice. »

I sei l’ vit don et vint trouver son pére, et comme il ’tait cor bin loin son pére l’aperçut et, pris d’ pitié, courut vers li, sei j’tit à son cou et l’ baisa.

Et son fî-yî dit : « Mon pére, j'ai péché conte l’ ciel et cont’ vous ; et j n’ sé pus digne d’ête appélé vout’ fî. »

Alors l’pére dit à ses gens : « Apportez vite sa premiére robe et la-yî mettez ; et mettez-yî eune bague au d͡wét et des souïers à ses pieds. »

Am’nez étou l’ vîau gras et l’ tuez ; mangeons et régalons-nous paç’ qu mon gâs qu’ wéci, il ’tait mort et il || est ressuscité ; il l’tait perdu et il || est r’trouvé.

[…]


Source : Henri Viez, « Essai sur le patois d’Alençon (phonétique et vocabulaire) », Revue de philologie française et provençale, VII, 1893, p. 197-198.


Henri Viez, né en 1877 en Normandie, a été l’élève du dialectologue Jules Gilliéron. Il était un spécialiste des parlers du Nord. Il a notamment publié en 1910 une thèse sur le parler populaire de Roubaix. Son essai sur le patois d’Alençon, publié alors qu’il n’avait que 16 ou 17 ans, semble être son seul travail sur la Normandie. Il n’a alors traduit que le début de la parabole.

1||, signe indiquant les liaisons.

2͡wé : oi prononcé archaïquement oé, oué.

3ẹ pointé se prononce.

4Pays. Prononcez lh comme ll dans le français pille.