La Parabole de l’enfant prodigue


Bayeux, Bessin


1825


Frédéric Pluquet



Un home aveit deux éfans, dont le pu ptiot li dit à sen père1 : « Men père, bayez mei la part du bien qui m’rvient ; » et le père leux en fit le partage.

Daus treis jouors apreus2, le pu jeune des deux éfans ayant ramassé3 sen4 cas s’nallit fère un viage dans les poués étrangiers, où y mougit tout sen cas en lequeries et en bombances5.

Quand tout fut coulé6 il arrivit une grande fameine dans le pouée et y c’menchit à ète dans la misère jusqu’au co.

Alors y s’nallit et se mit7 au service d’un gros du pouée qui l’enveyit à sa8 mouèson des camps por y garder les messieurs de seye.

9 y n’avait10 pas sa vie et la foim11 le poussait si fort qu’il eut12 bien voulu mougier de la mougeaille ès avers, mais no n’li permettait pas d’en prendre13.

Enfin y r’conut sa bétise et dit : Mais les valets de queux nous ont du poin tant q’y14 veulent, et mei ichin15 je crève de foim16.

Y faut tout de sieute17 que j’men aille trouver18 men bon home de père, et que j’li dise : « Men père, j’ai péchi cont le ciel et cont vo ;

Et je ne19 sieus pu dègne d’ète apelé vot fils : traitez mei com un de vos ptits valets.

Y partit tout de sieute20, et s’en vint trouver sen père qui l’apercheut21 de loin ; in neut22 pitié, couorut à li et l’embrachit.

Et snéfant23 li dit : « Men père j’ai péché24 cont le ciel et cont vo, je ne sieus pu dègne d’ète apelé25 vot fils.

Alors26 le père dit à ses domestiques27 : « Aveignez mei vite la plus28 belle robe qui seit dans m’narmoire29 et mettez-ly30 su l’dos ; mettez-ly31 un aney au dei et des soulis ès pies.

« Amenez un viau gras et le tuez ; faisons bombance32 ; allons garçons, réjouissons-nous.

« Pasce que men fils que vla lendrait33 était mort et il est resucité ; il était égairé et il est retrouvé. »

Y c’menchit donc34 à se régaler et à s’esjouir35.

Pendant cha le fils aîné qui était avaux les camps revint, et quant y fut opreux36 de la mouèson, il entendit le brit des menestriers et d’ceux qui danchez37.

Il apela38 un ptit valet, et li demandit qu’est que cétait39 q’cha ?

Ah not moitre ! chest que vot frère est rvenu40 et que vot père a tué un viau gras pasce q’y41 la rtrouvé42 bien portant.

Cha le fachit et y n’voulut pé entrer dans la mouèson malgré que sen bon home de père sortit por l’en prier.

Y li dit : « Vl’a d’jà une fiée d’années que j’vo sers et je n’vo ai jamouès désobéi ; portant vo ne m’avez jamouès bailli tant seulement un agné por me divertir aveu43 m’samis.

« Mais dès44 que l’aut qui a mougi tout sen cas aveuc des fumelles45 est r’venu46, vo zavez tué tout de sieute47 por li un viau48 gras. »

Le père li dit : « Men fils, vo zète toujouors aveuc mei et tout men49 cas est à vo.

« Mais y falait ben no régaler et no zesjouir50, pasce que vot frère que vechi51 était mort et il est resucité52 ; il était égairé et le vechin53 retrouvé54. »


Source : F. P. [Frédéric Pluquet], Contes populaires, traditions, proverbes et dictons de l’arrondissement de Bayeux, 1825, Caen, Chalopin, p. 11-12 ; Frédéric Pluquet, Essai historique sur la ville de Bayeux et son arrondissement, 1829, Caen, Chalopin, p. 313-316 ; Frédéric Pluquet, Contes populaires, préjugés, patois, proverbes, noms de lieux, de l’arrondissement de Bayeux, 2e éd., 1834, Rouen, Frère, p. 104-107.


Frédéric Pluquet (1871-1831) était un pharmacien de Bayeux, érudit, collectionneur (et parfois vendeur) de livres rares et anciens. Il a publié de nombreux ouvrages, dont des éditions de textes médiévaux. Il est sans doute le premier à avoir constitué un glossaire du parler du Bessin. Afin de l’illustrer, il a traduit la Parabole de l’enfant prodigue, traduction qu’il a corrigée par trois fois. Notre édition est faite sur celle de 1825. Les variantes des éditions de 1829 et 1834 sont mentionnées en note. La ponctuation est celle de l’édition de 1834.





11829 : « dit un jouor ».

21829 : « apreux ».

31829 : « prins ».

41829 : « s’en ».

51829 : « bonbances ».

61829 : « mougi ».

71829 : « Alors y s’mit ».

81831 : « la ».

91829 : « Illau ».

101829 : « n’aveit ».

111829 : « foin ».

121829 : « erait ».

131829 : « d’y touchier ».

141831 : « qu’y ».

151829 : « mei dans su pouée ichin ».

161829 : « foin ».

171829 : « d’sieute ».

181829 : « retrouver ».

191829 : « j’ne ».

201829 : « d’sieute ».

211831 : « l’aperchut ».

221829 et 1831 : « n’eut ».

231829 et 1831 : « s’néfant ».

241829 et 1831 : « péchi ».

251829 : « appelé ».

261829 : « Veyant cha ».

271829 : « valets ».

281829 et 1831 : « pu ».

291829 : « men coffre ».

301829 : « metez-li ».

311829 : « metez-li ».

321829 : « bonbance ».

331829 : « illeu ».

341829 : « Et y s’mirent tous ».

351829 : « se réjouir ».

361829 : « aupreux ».

371829 : « de la danche et des menestriers ».

381829 : « apelit ».

391829 : « chétait ».

401829 : « revenu ».

411829 : « qu’y ».

421829 : « r’trouvé ».

431829 : « o ».

441829 : « drès ».

451829 : « en lequeries et en bonbance aveuc des fumelles ».

461831 : « et rvenu ».

471829 : « d’sieute ».

481829 : « un de nos viax ».

491829 : « m’en ».

501829 : « no réjouir ».

511829 : « vla illeu ».

521829 : « resuscité ».

531829 : « vechi ».

541829 : « r’trouvé ».