Parabole de l’enfant prodigue


Dieppe, Pays de Caux


1812


Anonyme



Texte

Dialecte polletais

11. Il leur dit encore : un homme avoit deux fils,

12. Dont le plus jeune dit à son pere : donnez moi la part du bien qui doit me revenir ; et le pere leur partagea son bien.

13. Peu de jours après le plus jeune de ces deux fils ayant amassé tout ce qu’il avoit, s’en alla dans un pays fort eloigné, ou il dissipa tout son bien en débauches.

14. Et après qu’il eut tout dépensé il survint une grande famine dans ce pays la, et il commença à ce trouver dans l’indigence.

15. Il s’en alla donc et s’attacha au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya à sa campagne pour y garder des pourceaux.

16. Et la il eut été bien aise de se remplir le ventre des carrouges que les pourceaux mangoient, mais personne ne lui en donnoit.

17. Enfin étant rentré en lui même, il dit : combien y-a-t-il de mercenaires à la maison de mon pere qui ont du pain en abondance et moi je suis ici à mourir la faim.

18. Il faut que de ce pas que j’aille trouver mon pere et que je lui dit mon pere j’ai péché contre le ciel et contre vous.

19. Je ne suis plus digne d’être appellé votre fils ; traitez moi comme un des serviteurs qui sont à vos gages.

20. Il parti donc et s’en alla trouver son pere et l’ors qu’il étoit encore bien loin, son pere l’apperçut : ses entrailles en furent emues de compassion ; et courant à lui il se jetta à son cou et le baisa.

21. Et son fils lui dit : mon pere j’ai péché contre le ciel et contre vous, je ne suis plus digne d’etre appellé votre fils.

22. Alors le pere dit à ses serviteurs : apportez promptement sa plus belle robe et l’en revetez, mettez lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds.

23. Amenez ici un veau gras et tuez le, faisons bonne chère.

24. Parce que mon fils étoit mort et il est ressuscité, il étoit perdu et il est retrouvé. Ils se mirent donc à faire festin.

25. Le fils ainé cependant revint alors des champs ou il étoit et lors qu’il fut proche de la maison il entendit les instruments et la danse.

26. Il appela donc un des serviteurs et lui demanda ce que c’étoit.

27. Le serviteur lui repondit c’est que vôtre frère est revenu et vôtre pere à fait tuer un veau gras, parce qu’il l’a retrouvé en bonne santé.

28. Ce qui l’ayant faché, il ne vouloit point entrer, mais son pere étant sortit pour l’en prier.

29. Il répondit, il y à tant d’années que je vous sert et que je ne vous ai jamais désobéi en rien de ce que vous m’avez commandé : cependant vous ne m’avez jamais donné un chevreau pour me divertir avec mes amis.

30. Mais aussitôt que vôtre fils qui à mangé tout son bien avec des femmes perdues est revenu, vous avez fait tuer le veau gras pour lui.

31. Le pere lui répondit, mon fils vous êtes toujours avec moi et tous ce que j’ai est à vous.


32. Mais il falloit faire festin et nous rejouir parce que vôtre frère étoit mort et il est ressuscité, il étoit perdu et il est retrouvé.

11. I leu dit encore un homme avait deux fisse,

12. Dont l’cadet dit à san pere : baillai mai la part du bien qui dait me revenir ; et le père leu partagea san bien.

13. Peu de zours à près l’pu jeune de ces deux fisse ayant ramassai tout ce qu’il avait, s’ennalla dans un péi bien loin, ou qui manza tout sans bien en débausses.

14. Et après qu’il eut tout dépensai i survint une grande famaine dans su péi la, et i quemença à se trouvé dans l’aindizensse.

15. I s’ennalla don et s’attassa au servisse d’un des habitants d’su péi la, qui l’enveya à sa campagne pour y garder lé poursseaux.

16. Et la il érait étai content d’s’emplir l’ventre aveu lé carouzes q’lé pourrseaux manzaient, mais personne ne l’y en baillait.

17. Enfain etant rentrai en li même il dit : combien qu’y à d’marsenaires à la maison de man pere qu’ont du pain en abondance et pi mai j’sis là à crevai la faim.

18. I faut qu’zaille tout d’eune suite trouvai man pere et que ze ly dit man pere j’ai pessé contre le ciel et contre vous.

19. Zenne si pu daigne d’êtes applé vôte fisse, traitai mai quemant un dé valais qui sont a vos gages.

20. I parti don et s’ennalla trouvai san pere et quand il étoit encore fermant loin, san pere l’appercut : ses entrailles furent emues d’compation et courant à l’ÿ, i se zeta à son co et pi i le baisa.

21. Et san fisse l’y dit, man pere zai pessé contre le ciel et contre vous, ze n’sis pu daigne d’ete applé vôte fisse.

22. À çu moment la l’pere dit à sé valais allez serser toute suite sa pu belle casaque et passai ly, boutez lÿ une bague au dait et dé souliers à ses pieds.

23. Amenai icite un viau gras et tuai lé, fetons bonne sère et rezouissons nous.

24. Parce q’man fisse était mort et qu’il est ressuscitai, qu’il était perdu et qu’il est retrouvai. Y s’bouterent don à faire festin.

25. À çu moment la l’fisse ainé r’vint dé sants d’ou qu’il etoit et quant y fut prosse d’la maison il entendit lé zinstruments et la danse.

26. Il appla don un dais valais et l’ÿ demanda qu’es que c’étoit.

27. L’valais l’y répondit, c’est que vôte frere est revenu et vôte pere à fait tué un viau gras, passe qu’il l’à retrouvai en bonne sentai.

28. S’te nouvelle l’a l’ayant fassé y n’voulai pas entrai, mais san pere étant sorti pour l’en priai.

29. Y répondit y à tant d’années que ze vo sers et q’ze n’vos ai jamais d’zobei en rien de ce que vous m’avai quemandai ; pourtant vo n’mavai zamais baillai un sevrot pour ribotter aveu m’zamis.

30. Mais sitot qu’vote fisse qu’à manzai tout san bien aveu dé criatures est revenu ; vous avai fait tuai l’viau gras pour l’ÿ.

31. San pere l’y répondit, man fisse vos êtes touzours aveu mai et tous s’que zai est pour vous.

32. Mais falloit faire festin et no rezoui, passe que vôte frere était mort et il est ressuscitai il était perdu pi il est retrouvai.



Source : Arch. dép. Seine-Maritime, 6M/1184.


Ce texte fait partie des documents envoyés par le sous-préfet de Dieppe à l’enquête Coquebert de Montbret. Il en constitue donc un des rares vestiges concernant la Normandie. La traduction est faite en dialecte du Pollet, un quartier de Dieppe.