La Parabole de l’enfant prodigue


Mortagne-au-Perche, Perche


1864


Verger fils



Eune fois y avint un homme qui avint deux gars dont le pu jeune y dit à son peire : mon peire qui dit, donnez-moi ce qui peut me r’venir de voute bien ; et le peire leux fit le partage de son bien.

Y avait peu de jours de ça, le pu jeune de ces deux gars, qu’avait réuni tout ce qui devait l’y revenir, s’en va dans un pays tré-ben éloigné où il mangit tout son pauvre bien.

Après qu’il a tout mangeais, v’la eune famine qu’arrive dans ce pays là et pis le v’la qui se treine dans la miseire.

N’y pouvant pu divrais, y s’en va prendre du service chez un bourgeois du pays qui l’y dit comme ça d’aillais à sa ferme de la campagne, histoire de garder les cochons (Soure sauf voute respect)

Le pauvre gars se serais trouvé ben heureux de pouvoi rempli son ventre de toutes les cochonneries que les cochons mangeaion, mais personne ne l’y donnais rin du tout.

Enfin le v’la revenu à l’y en pis qui se dit en l’y même Combein qu’iati dans la maison de mon peire de serviteux à ses gages, qui ont pu de pain qui ne l’eux en faut ; hélas, y en a tré-ben ! Et mai je sais ici à mouri de faim !

Y faut que sans pu tardais, je m’en vage trouvais mon peire et que je l’y dise : mon peire, j’ai péchais contre le ciel et contre vous, et je mérite pas d’être votre fils. Menez-moi comme un de vos serviteux.

Le v’la parti pour trouvais son peire. Il était loin tré-ben encore, quand son peire se dit que c’était l’y. Pâmais par le bonheur de le revoi et touchais de compassion, il va à l’y et l’embrasse en se jetant à son cou.

Et son fils l’y dit : mon peire, j’ai péchais contre le ciel et contre vous et je ne mérite pu d’être votre fils.

Alors le peire dit à ses serviteux, apportez-y ses premiers effets pour qui s’habille et mettez-l’y une bague au degt et des souriers aux pieds.

Allez quérir le viau gras pour le tuer ; mangeons et faisons bonne chè pasque mon fils que v’la, était m^et que le v’là ressuscitais ; il étais perdu et le v’la retrouvais. Y commencirent donc à se mettre à table.

Pendant tout ça, v’la l’aîné des deux gars qu’étais dans les champs, qui l’eux vient et qui n’a pas putôt les pieds sur le suai de la porte qu’il entend les violonneux et le bruit des danseux.

Tout de suite, y demande à un des serviteux ce que cela v’lait dire.

Le serviteux l’y dit : c’est que voute freire est de retou et voute peire a tué le viau gras pisqui l’revoi en bonne santé. La colère l’y monte à la taite et y ne veut point entrais dans la maison ; mais son peire qu’était sorti pour le faire entrais, y l’y fit cette réponse : V’la déjà tant d’années que je sis à voute service, et je sis encore à vous désobéi sur ce que vous m’avez commandais, et pourtant vous ne m’avez jamais donnais une bique pour me réjoui à quante mes amis.

Mais par putôt que voute autre fils, qui a mangé son bien avec des garcettes de rin du tout est revenu, vous avez tué pour l’y le viau gras.

Le peire l’y dit : Mon fils, vous âtes toujou avec mai et tout ce que j’ai est à vous ; Mais y fallait ben faire la noce et nous diverti, pisque votre freire il était mô et que le v’la ressuscitais, il était perdu et le v’la retrouvais.


Source : Alfred Canel, Le Langage populaire en Normandie, copie, Arch. dép. Eure, 12 J 25 ; Alfred Canel, Le Langage populaire en Normandie, 1889, Pont-Audemer, Imprimerie Administrative, p. 29-31.


La version manuscrite de cette traduction est attribuée à M. Verger. Dans la version éditée, Alfred Canel indique : « Cette autre traduction en patois du Perche normand, que je dois à MM. Verger fils et Émile Lainey, de Mortagne ». On y trouve quelques variantes orthographiques mineures : sont-elles dues à Émile Lainey, ou à Alfred Canel, qui avait tendance à modifier les textes qu’il éditait ? Le docteur Verger était médecin à Saint-Martin-du-Vieux-Bellême. Nous n’avons pu retrouver de renseignement sur Émile Lainey.