Première journée
Mardi 20 novembre 1945.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

Avant que les accusés soient appelés à dire s’ils plaident coupable ou non coupable, aux termes de l’Acte d’accusation qui leur a été remis et d’après lequel ils sont accusés de crimes contre la Paix, de crimes de guerre, de crimes contre l’Humanité et d’un plan concerté ou complot en vue de commettre ces crimes, le Tribunal désire que je fasse en son nom une courte déclaration.

Le Tribunal Militaire International a été créé à la suite de l’Accord de Londres, en date du 8 août 1945, et conformément au Statut qui y est annexé ; ce Tribunal a été créé d’après l’article 1 du Statut, en vue du jugement équitable et rapide et du châtiment des grands criminels de guerre de l’Axe européen.

Les Signataires de l’Accord et du Statut sont le Gouvernement du Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, le Gouvernement Provisoire de la République Française et le Gouvernement de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.

La Commission des Procureurs Généraux, formée par les quatre Signataires, a désigné les criminels de guerre devant être jugés par ce Tribunal, et approuvé l’Acte d’accusation inculpant les accusés ici présents.

Le mardi 18 octobre 1945, l’Acte d’accusation a été lu à Berlin et remis au Tribunal. Une copie en langue allemande de cet Acte a été donnée à chacun des accusés, lesquels l’ont eue entre les mains pendant plus de trente jours.

Tous les accusés sont représentés par un avocat. Dans presque tous les cas l’avocat a été choisi par l’accusé lui-même, mais dans les cas où l’avocat n’a pu être trouvé, le Tribunal en a désigné un d’office, avec le consentement de l’accusé.

Le Tribunal a appris avec satisfaction les mesures prises par les Procureurs Généraux pour permettre aux avocats de prendre connaissance des documents sur lesquels est basée l’accusation, afin que les accusés aient toute facilité pour se défendre équitablement.

Le Procès qui va commencer est unique dans les annales du Droit mondial et d’une importance extrême pour des millions de personnes du monde entier. Pour ces raisons, à tous ceux prenant une part à ce Procès, incombe la grande responsabilité d’accomplir leur devoir sans crainte et sans partialité, selon les principes sacrés du Droit et de la Justice.

Les quatre Signataires ayant invoqué ce moyen de procédure, le devoir de tous est d’agir en sorte que le Procès ne s’écarte en aucune façon de ces principes et traditions, qui seuls, donnent à la Justice son autorité et la place qu’elle doit occuper dans les affaires de tous les Etats civilisés.

Ce Procès est un procès public dans toute l’acception du mot. Je dois donc rappeler au public que le Tribunal insiste pour que l’ordre et la dignité soient toujours maintenus et que les mesures nécessaires les plus sévères soient prises dans ce but.

Il me reste seulement à demander, selon les dispositions du Statut, qu’il soit procédé à la lecture de l’Acte d’accusation.

M. SIDNEY S. ALDERMAN (Procureur adjoint pour les États-Unis d’Amérique)

Plaise au Tribunal.

I. Les États-Unis d’Amérique, la République Française, le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, agissant par les soussignés Robert H. Jackson, François de Menthon, Hartley Shawcross et R. A. Rudenko, dûment désignés pour représenter leurs gouvernements respectifs dans l’examen des chefs d’accusation contre les grands criminels de guerre et dans la poursuite de ces derniers, conformément à l’Accord de Londres en date du 8 août 1945 et du Statut de ce Tribunal annexé audit Accord, accusent par les présentes, pour les motifs exposés ci-après, comme coupables de crimes contre la Paix, de crimes de guerre, de crimes contre l’Humanité, et d’un plan concerté ou complot en vue de commettre ces crimes définis dans le Statut du Tribunal, et, en conséquence, désignent comme accusés dans ce cas et comme inculpés par les chefs d’accusation ci-après spécifiés :

Hermann Wilhelm Göring, Rudolf Hess, Joachim von Ribbentrop, Robert Ley, Wilhelm Keitel, Ernst Kaltenbrunner, Alfred Rosenberg, Hans Frank, Wilhelm Frick, Julius Streicher, Walter Funk, Hjalmar Schacht, Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, Karl Dönitz, Erich Raeder, Baldur von Schirach, Fritz Sauckel, Alfred Jodl, Martin Bormann, Franz von Papen, Arthur Seyss-Inquart, Albert Speer, Constantin von Neurath et Hans Fritzsche, individuellement et en tant que membres de tous les groupements ou organisations désignés ci-après.

II. Sont déclarés criminels en raison des buts poursuivis et des moyens utilisés pour les atteindre, les groupements ou organisations (depuis lors dissous) désignés ci-après et en rapport avec la condamnation des accusés sus-nommés qui en étaient membres :

Die Reichsregierung (Gouvernement du Reich), das Korps der Politischen Leiter der Nationalsozialistischen Deutschen Arbeiterpartei (Corps des chefs politiques du parti nazi), die Schutzstaffeln der Nationalsozialistischen Deutschen Arbeiterpartei (généralement dénommée SS), et comprenant le Sicherheitsdienst (généralement dénommé SD), die Geheime Staatspolizei (Police secrète d’Etat généralement dénommée Gestapo), die Sturmabteilungen der NSDAP (généralement dénommée SA) et l’Etat-Major général ainsi que le Haut Commandement des Forces armées allemandes, tels qu’ils sont définis à l’appendice B, ci-après.

CHEF D’ACCUSATION N° 1.
PLAN CONCERTÉ OU COMPLOT
.

Référence : le Statut, article 6, spécialement article 6, a.

III. Qualification de l’infraction.

Tous les accusés, de concert avec diverses autres personnes, ont, pendant un certain nombre d’années antérieurement au 8 mai 1945, participé en qualité de chefs, d’organisateurs, d’instigateurs ou de complices, à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté ou complot ayant pour objet de commettre des crimes contre la Paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité, tels qu’ils sont définis dans le Statut de ce Tribunal ; ils sont, aux termes de ce Statut, individuellement responsables de leurs propres actes et de tous les actes commis par des personnes quelconques dans l’exécution d’un tel plan et complot.

Le plan concerté ou complot a entraîné la perpétration de crimes contre la Paix, du fait que les accusés conçurent, préparèrent, déclenchèrent et menèrent des guerres d’agression qui furent aussi des guerres faites en violation de traités, d’accords ou d’engagements internationaux. Le développement et la mise à exécution du plan concerté ou complot entraînèrent la perpétration de crimes de guerre, du fait qu’ils impliquaient des guerres sans merci contre les pays et les populations, et du fait que les accusés les décidèrent et les menèrent en violation des règles et coutumes de la guerre ; ces guerres furent caractérisées par l’emploi systématique de moyens tels que l’assassinat, les mauvais traitements, la déportation en vue d’un travail obligatoire et autres buts des populations civiles des territoires occupés, l’assassinat et les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre et à des personnes en haute mer, la prise d’otages et leur exécution, le pillage de biens publics et privés, la destruction sans raison de villes, bourgades et villages et les dévastations non justifiées par les nécessités militaires.

Le plan concerté ou complot pour la préparation et la poursuite des guerres injustes d’agression, envisageait et comporta, en fait, l’emploi systématique de crimes contre l’Humanité, que les accusés décidèrent et commirent à la fois à l’intérieur de l’Allemagne et dans les territoires occupés, notamment l’assassinat, l’extermination, l’asservissement, la déportation et autres actes inhumains commis contre les populations civiles, avant et pendant la guerre, et les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux en exécution du plan pour la préparation et le déclenchement des guerres d’agression ou illégales. Beaucoup de ces actes et de ces persécutions constituent des violations de lois internes des pays où ils ont été perpétrés.

IV. Détails de la nature et du développement du plan concerté ou complot.

A.Le parti nazi, noyau central du plan concerté ou complot.

En 1921, Adolf Hitler devint le chef suprême ou Führer de la Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (parti ouvrier national-socialiste allemand), connue sous le nom de parti nazi, lequel avait été fondé en Allemagne en 1920. Il l’est demeuré pendant toute la période visée par le présent Acte d’accusation. Le parti nazi avec certaines de ses organisations annexes, devint l’instrument de liaison entre les accusés et les co-conspirateurs ainsi qu’un instrument pour la réalisation des buts et desseins de leur complot. Chacun des accusés devint un membre du parti nazi et du complot, en pleine connaissance de ses buts et desseins, ou bien, avec la même connaissance, il en devint le complice au cours de l’une des phases du développement du complot.

B. Objectifs et méthodes générales du complot.

Le parti nazi, les accusés et d’autres personnes associées à diverses reprises au parti nazi en tant que chefs, membres, partisans, ou adhérents (dénommés ci-après collectivement « conspirateurs nazis »), avaient ou en sont arrivés à avoir pour buts et desseins d’obtenir par tous moyens jugés opportuns, y compris des moyens illégaux et, en dernier ressort, la menace, l’emploi de la force, ou la guerre d’agression, les résultats suivants :

1. Abrogation et destruction du Traité de Versailles et des restrictions qu’il comportait quant à l’armement et à l’activité militaire de l’Allemagne.

2. Acquisition des territoires perdus par l’Allemagne à la suite de la guerre mondiale de 1914-18, ainsi que d’autres territoires en Europe, dont les conspirateurs nazis affirmaient qu’ils étaient occupés principalement par des prétendus « Allemands de race ».

3. Acquisition encore en Europe continentale et ailleurs, aux dépens des pays voisins ou autres, de nouveaux territoires que les conspirateurs nazis réclamaient comme nécessaires aux « Allemands de race » en tant que « Lebensraum » ou espace vital. Les buts et desseins des conspirateurs nazis n’étaient pas fixés ou immuables, mais ils ont évolué et se sont élargis à mesure que s’accroissaient leur puissance et leur capacité de réaliser leurs menaces de contrainte ou de guerre d’agression. Leurs buts et desseins prirent finalement une telle ampleur qu’ils suscitèrent une résistance qui ne pouvait plus être brisée que par la force armée et la guerre d’agression, et non plus simplement par l’application des méthodes variant selon les circonstances, qui avaient été jusque là employées, telles que le dol, la duplicité, les menaces, l’intimidation, les activités de la cinquième colonne et la propagande ; les conspirateurs nazis conçurent délibérément, décidèrent et déclenchèrent leurs guerres d’agression et leurs guerres faites en violation des traités, accords et engagements internationaux, en passant par les étapes et degrés précisés ci-après.

C. Utilisation de la doctrine au service du plan concerté ou complot.

Pour inciter d’autres personnes à se joindre au plan concerté ou complot et afin d’assurer aux conspirateurs nazis le maximum de contrôle sur la communauté allemande, les nazis créèrent, diffusèrent et exploitèrent certaines doctrines parmi lesquelles se trouvent les suivantes :

1. Les personnes de prétendu « sang allemand » (tel qu’il est défini par les conspirateurs nazis) constituent une « race de seigneurs », et sont par conséquent en droit de subjuguer, de dominer ou d’exterminer d’autres « races » et peuples.

2. Le peuple allemand doit être gouverné en vertu du « Führer-prinzip » (principe du chef) selon lequel le pouvoir est aux mains d’un Führer dont des subordonnés doivent tirer leur autorité par ordre hiérarchique, chacun d’eux devant obéissance, sans condition, à son supérieur immédiat, mais étant investi d’un pouvoir absolu dans son propre ressort. Le pouvoir des chefs doit être illimité et s’étendre à tous les aspects de la vie publique et privée.

3. La guerre constitue pour l’Allemand une activité noble et nécessaire.

4. La haute direction du parti nazi, seule dépositaire des doctrines du Parti précitées ou autres, a le droit de modeler la structure, la politique et les actes de l’Etat allemand et de toutes les institutions y afférentes, de diriger et de surveiller les agissements de tous les individus dans le cadre de l’Etat, et de détruire tous les opposants.

D. Acquisition du contrôle totalitaire de l’Allemagne au point de vue politique.

1. Premiers pas dans l’acquisition du contrôle des rouages de l’Etat.

Afin de réaliser leurs buts et desseins, les conspirateurs nazis se préparèrent à saisir le contrôle totalitaire de l’Allemagne, de façon à rendre impossible la naissance d’une résistance efficace contre eux à l’intérieur de l’Allemagne même. Après l’échec du putsch de Munich en 1923, qui visait à renverser la République de Weimar par l’action directe, les conspirateurs nazis s’appliquèrent, par le truchement du parti nazi, à miner le Gouvernement allemand et à s’en emparer par des formes « légales » en s’appuyant sur le terrorisme. Ils créèrent et utilisèrent comme une formation du Parti les Sturmabteilungen (SA), une organisation semi-militaire et volontaire de jeunes gens qui étaient entraînés à se servir de la violence et s’étaient engagés à y recourir, et dont la mission était de rendre le Parti maître des rues.

2. Le contrôle est acquis.

Le 30 janvier 1933, Hitler devint chancelier de la République allemande. Après l’incendie du Reichstag, le 28 février 1933, les articles de la Constitution de Weimar qui garantissaient la liberté individuelle, la liberté de la parole, de la presse, d’association et de réunion, furent suspendus. Les conspirateurs nazis s’assurèrent du vote par le Reichstag d’une « Loi pour la protection du peuple et du Reich », qui donnait à Hitler et à son cabinet d’alors les pleins pouvoirs législatifs. Les conspirateurs gardèrent ces pouvoirs après avoir changé la composition du cabinet. Ils firent interdire tous les partis politiques, excepté le parti nazi. Ils firent de ce dernier une organisation para-gouvernementale jouissant de privilèges étendus et extraordinaires.

3. Consolidation du contrôle.

S’étant ainsi emparé des rouages de l’Etat allemand, les conspirateurs nazis se mirent en devoir de consolider leur puissance à l’intérieur de l’Allemagne, en étouffant toute velléité de résistance intérieure et en militarisant la Nation allemande.

a) Les conspirateurs nazis réduisirent le Reichstag à une assemblée de leurs créatures et ils portèrent atteinte à la liberté des élections populaires dans l’ensemble du pays. Ils transformèrent les divers états, provinces et municipalités, investis auparavant de pouvoirs semi-autonomes, en organes qui n’étaient guère plus que des rouages administratifs du gouvernement central. Ils réunirent les fonctions de Président et de Chancelier dans la personne de Hitler ; ils procédèrent à une large épuration du corps des fonctionnaires ; ils restreignirent sévèrement l’indépendance du pouvoir judiciaire et le mirent au service des buts nazis. Les conspirateurs étendirent largement les organisations déjà existantes de l’État et du Parti et en établirent de nouvelles ; ils « coordonnèrent » les organismes de l’État avec le parti nazi, ses ramifications et ses filiales. En conséquence, la vie allemande fut dominée par la doctrine et les pratiques nazies et ainsi progressivement mobilisée en vue de l’accomplissement des buts nazis.

b) Afin de protéger leur pouvoir contre toute attaque et de semer la crainte dans le cœur du peuple allemand, les conspirateurs nazis établirent et étendirent un système de terreur à l’égard de ceux qui s’opposaient au régime et de ceux que l’on soupçonnait de s’y opposer. Ils emprisonnèrent lesdites personnes, sans procédure judiciaire, les plaçant en « détention de protection » et dans des camps de concentration ; ils les soumirent à des persécutions en les avilissant, en les dépouillant, en les asservissant, en les torturant et en les assassinant. Ces camps de concentration, créés au début de 1933 sous la direction de l’accusé Göring, prirent de plus en plus d’importance et devinrent comme un aspect permanent de la politique et des méthodes terroristes des conspirateurs. Ils s’en servirent pour commettre les crimes contre l’Humanité qui leur sont ci-dessous imputés. Parmi les principaux organismes utilisés pour la perpétration de ces crimes se trouvent les SS et la Gestapo qui, avec d’autres services ou organismes privilégiés de l’État et du Parti, étaient habilités à opérer, sans aucun contrôle légal.

c) Les conspirateurs nazis pensèrent qu’outre la suppression d’une opposition politique proprement dite, il était nécessaire de supprimer ou d’exterminer certains autres mouvements ou groupements qu’ils regardaient comme les obstacles à l’exercice continu de leur contrôle total en Allemagne et aux desseins agressifs du complot hors d’Allemagne.

En conséquence :

1° Les conspirateurs nazis détruisirent en Allemagne les syndicats libres en confisquant leurs biens, meubles et immeubles, en poursuivant leurs chefs, en interdisant leur activité et en les supplantant par des organisations affiliées au Parti Le principe du Führer fut introduit dans les relations industrielles, le chef d’entreprise devenant le chef que suivent les travailleurs. Ainsi, toute velléité de résistance de la part des travailleurs se trouva étouffée, et toute la capacité de travail productif de la Nation allemande fut placée sous le contrôle effectif des conspirateurs.

2° Les conspirateurs nazis, en encourageant des croyances et des pratiques incompatibles avec l’enseignement chrétien, tentèrent de saper l’influence des églises sur le peuple et en particulier sur la jeunesse d’Allemagne. Ils avouèrent leur dessein d’éliminer les églises chrétiennes d’Allemagne et de tenter d’y substituer les institutions et les croyances nazies, et ils poursuivirent un programme de persécution des prêtres, du clergé et des membres des ordres monastiques, qu’ils considéraient comme opposés à leurs desseins. Ils confisquèrent les biens ecclésiastiques.

3° La persécution par les conspirateurs nazis des groupes pacifistes, y compris les mouvements religieux pacifistes, fut particulièrement implacable et cruelle.

d) Mettant en pratique leur politique de la « race des seigneurs », les conspirateurs exécutèrent en commun un programme de persécution implacable des Juifs, afin de les exterminer. L’anéantissement des Juifs devint une politique d’État officielle, réalisée à la fois par des mesures légales et par l’appel à l’émeute et à la violence individuelle. Les conspirateurs avouèrent ouvertement leur but. L’accusé Rosenberg déclarait, par exemple :

« L’antisémitisme est l’élément d’unification de la reconstruction allemande. »

À une autre occasion, il déclarait également :

« L’Allemagne considérera la question juive comme résolue le jour où le dernier des Juifs aura quitté l’espace vital de la "Plus Grande Allemagne" L’Europe ne résoudra la question juive que le jour où le dernier Juif aura quitté le Continent. »

L’accusé Ley déclarait :

« Nous jurons que nous n’abandonnerons pas la lutte jusqu’à ce que le dernier Juif en Europe ait été exterminé et soit bien mort. Il ne suffit pas d’isoler l’ennemi juif du reste de l’Humanité, il faut exterminer le Juif. »

À une autre occasion, il déclarait encore :

« La seconde arme secrète allemande, c’est l’antisémitisme ; en effet, si l’Allemagne poursuit cette politique de façon constante, l’antisémitisme deviendra un problème universel dont toutes les nations seront forcées de tenir compte. »

L’accusé Streicher déclarait :

« Le soleil ne brillera pas sur les nations du monde tant que le dernier Juif ne sera pas mort. »

Ces aveux et ces excitations sont caractéristiques des déclarations faites par les conspirateurs nazis, pendant toute la durée de leur complot. Le programme d’action contre les Juifs comprenait la perte du droit de vote, la mise à l’index, le refus des droits civils, l’exercice de la violence contre leur personne et leurs biens, la déportation, l’asservissement, le travail forcé, la famine, l’assassinat et l’extermination en masse. On ne peut préciser exactement dans quelle mesure le plan général des conspirateurs a réussi, mais l’anéantissement fut à peu près total dans beaucoup de localités de l’Europe. Sur les 9.600.000 Juifs qui vivaient dans les régions d’Europe placées sous la domination nazie, des évaluations modérées indiquent que 5.700.000 ont disparu, dont la plupart ont été délibérément mis à mort par les conspirateurs nazis. Il ne subsiste que des vestiges de la population juive de l’Europe.

e) Afin de faire accepter leur volonté par le peuple allemand et pour le préparer psychologiquement à la guerre, les conspirateurs nazis donnèrent une forme nouvelle au système d’éducation et particulièrement à la formation et à l’entraînement de la jeunesse allemande. Le principe du Führer fut introduit dans les écoles, le Parti ainsi que les organisations affiliées reçurent de larges pouvoirs de contrôle sur l’éducation. Les conspirateurs nazis imposèrent une surveillance de toutes les activités culturelles, contrôlèrent à la fois la diffusion des informations et l’expression de l’opinion à l’intérieur de l’Allemagne, ainsi que l’échange des nouvelles de toute espèce en provenance et à destination de l’Allemagne ; ils créèrent une énorme machine de propagande.

f) Les conspirateurs nazis militarisèrent progressivement un nombre considérable des organisations qu’ils contrôlaient, en vue de leur rapide transformation et de leur emploi comme instrument de guerre en cas de nécessité.

E. Acquisition du contrôle totalitaire en Allemagne dans le domaine économique, et plan économique de mobilisation en vue d’une guerre d’agression.

Ayant obtenu le pouvoir politique, les conspirateurs organisèrent l’économie allemande de façon à réaliser leurs desseins politiques :

1. Afin d’éliminer la possibilité d’une résistance sur le plan économique, ils enlevèrent aux travailleurs le droit de libre association professionnelle et politique, ainsi qu’il est dit au paragraphe D 3, c, 1, des présentes :

2. Ils employèrent des organisations commerciales allemandes comme instruments d’une mobilisation économique en vue de la guerre.

3. Ils orientèrent l’économie allemande vers la préparation et l’équipement de la machine de guerre. C’est vers ce but qu’ils orientèrent la finance, le placement des capitaux et le commerce extérieur.

4. Les conspirateurs nazis et plus particulièrement parmi eux, les industriels, entreprirent la réalisation d’un très vaste programme de réarmement et se mirent à organiser et à développer la production d’énormes quantités de matériel de guerre de façon à créer un puissant potentiel militaire.

5. Afin de mener à bien la préparation à la guerre, les conspirateurs nazis créèrent une série d’organismes et d’autorités d’ordre administratif. En 1936, par exemple, ils créèrent dans ce but, avec l’accusé Göring comme plénipotentiaire, l’office du Plan de quatre ans qui était investi d’un contrôle absolu sur toute l’économie allemande. De plus, le 28 août 1939, immédiatement avant leur agression contre la Pologne, ils nommèrent l’accusé Funk plénipotentiaire pour l’Économie. Le 30 août 1939, ils créèrent le Conseil des ministres pour la Défense du Reich, appelé à jouer le rôle de Cabinet de guerre.

F. Utilisation du contrôle nazi en vue de l’agression contre l’Étranger.

1. État du complot vers le milieu de l’année 1933 et projets existants.

Vers le milieu de l’année 1933, les conspirateurs nazis ayant conquis le contrôle gouvernemental sur l’Allemagne, étaient à même d’établir des plans plus détaillés en ce qui concernait la politique étrangère. Leur dessein était de réarmer, puis de réoccuper et de fortifier la Rhénanie en violation du Traité de Versailles et d’autres traités, de façon à acquérir la puissance militaire et la possibilité de marchandages politiques à l’égard d’autres nations.

2. Les conspirateurs nazis décidèrent que, pour réaliser leurs desseins, le Traité de Versailles devait être définitivement abrogé et ils établirent des plans appropriés qu’ils mirent en application à partir du 7 mars 1936 Ces plans préparaient les futures agressions de grand style énumérées ci-dessous. Au cours de l’exécution de cette phase du complot, les conspirateurs nazis accomplirent les actes suivants :

a) Ils entraînèrent l’Allemagne dans une politique de réarmement secret de 1933 à mars 1935 comprenant notamment l’entraînement du personnel militaire, la production de munitions de guerre et la création d’une force aérienne.

b) Le 14 octobre 1933, ils provoquèrent le retrait de l’Allemagne de la Conférence internationale du Désarmement et de la Société des Nations.

c) Le 10 mars 1935, l’accusé Göring annonça que l’Allemagne créait une force aérienne militaire.

d) Le 16 mars 1935, les conspirateurs nazis promulguèrent une loi instituant le service militaire obligatoire ; il fut précisé par eux que l’effectif de l’armée allemande en temps de Paix serait fixé à 500.000 hommes.

e) Le 21 mai 1935, ils déclarèrent fallacieusement au monde dans le but de le tromper et d’endormir ses craintes au sujet de leurs intentions d’agression, qu’ils respecteraient les limites territoriales arrêtées par le Traité de Versailles et se conformeraient aux stipulations du Pacte de Locarno.

f) Le 7 mars 1936, ils réoccupèrent et fortifièrent la Rhénanie, en violation du Traité de Versailles et du Pacte rhénan de Locarno du 16 octobre 1925, et annoncèrent fallacieusement au monde :

« Nous n’avons pas de demandes territoriales à présenter en Europe. »

3. Action agressive contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie.

a) Phase du plan 1936-38 : établissement des plans pour la conquête de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie.

Les conspirateurs nazis dressèrent ensuite un plan spécial pour conquérir l’Autriche et la Tchécoslovaquie, se rendant compte qu’il serait nécessaire pour des raisons militaires de se saisir de l’Autriche avant d’assaillir la Tchécoslovaquie. Le 21 mai 1935, dans un discours adressé au Reichstag, Hitler déclarait :

« L’Allemagne n’a ni l’intention ni le désir de se mêler aux affaires intérieures de l’Autriche, d’annexer l’Autriche ou de réaliser l’Anschluss. »

Le 1er mai 1936, dans les deux mois qui suivirent la réoccupation de la Rhénanie, Hitler déclarait :

« Le mensonge se propage à nouveau que l’Allemagne, demain ou après-demain, tombera sur l’Autriche ou sur la Tchécoslovaquie. »

Ensuite, les conspirateurs nazis conclurent entre l’Autriche et l’Allemagne, le 11 juillet 1936, un traité dont l’article premier stipulait que : « Le Gouvernement allemand reconnaît la pleine souveraineté de l’État fédéral autrichien dans l’esprit des déclarations faites le 21 mai 1935 par le Führer et Chancelier allemand. »

En même temps, des plans étaient élaborés en vue d’une agression, violant ledit traité. Vers l’automne 1937, toute opposition notable à l’intérieur du Reich avait été écrasée. La préparation militaire pour une intervention en Autriche était virtuellement achevée.

Un groupe influent de conspirateurs nazis rencontra Hitler le 5 novembre 1937 pour examiner la situation. Ils affirmèrent à nouveau que l’Allemagne nazie devait avoir son « Lebensraum » en Europe centrale. Ils reconnurent que pareille conquête rencontrerait probablement une résistance qu’il faudrait écraser par la force et que leur décision pourrait conduire à une guerre générale, mais ils acceptèrent cette éventualité comme un risque qui valait la peine d’être couru. De cette réunion sortirent trois plans possibles pour la conquête de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie. L’évolution de la situation politique et militaire en Europe déterminerait lequel des trois devait être appliqué. Ils considéraient que la conquête de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie procurerait au Reich, grâce à l’émigration obligatoire de 2.000.000 de personnes de Tchécoslovaquie et de 1.000.000 de personnes d’Autriche, des ressources alimentaires pour 5 à 6.000.000 de personnes supplémentaires ; qu’elle accroîtrait la puissance militaire du Reich en lui donnant des frontières plus courtes et plus faciles à défendre, et qu’elle permettrait la constitution de douze nouvelles divisions. Ainsi, le plan dirigé contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie ne constituait pas une fin en soi, dans l’esprit de ses auteurs, mais bien une mesure préparatoire en vue de nouvelles agressions prévues par la conspiration nazie.

b) Exécution du plan d’invasion de l’Autriche : novembre 1937-mars 1938.

Le 8 février 1938, Hitler convoqua le chancelier Schuschnigg à une conférence à Berchtesgaden. Au cours de leur réunion du 12 février 1938 sous la menace de l’invasion, Schuschnigg dut se résoudre à promettre une amnistie au profit de tous les nazis emprisonnés et à nommer des nazis à des postes ministériels en Autriche. Il s’engagea à observer le silence jusqu’au prochain discours de Hitler au cours duquel l’indépendance de l’Autriche devait être réaffirmée. Mais Hitler, dans son discours, au lieu d’affirmer l’indépendance de l’Autriche, se proclama protecteur de tous les Allemands. Entre temps, en Autriche, les activités subversives des nazis s’amplifiaient. Le 9 mars 1938, Schuschnigg annonça pour le dimanche suivant un plébiscite sur la question de l’indépendance autrichienne. Le 11 mars, Hitler exigea par un ultimatum que le plébiscite fût supprimé, sinon l’Allemagne envahirait l’Autriche. Plus tard dans la même journée, un deuxième ultimatum comportait une menace d’invasion si Schuschnigg ne démissionnait pas dans les trois heures ; Schuschnigg démissionna. L’accusé Seyss-Inquart nommé Chancelier, invita aussitôt Hitler à envoyer des troupes en Autriche pour « maintenir l’ordre ». L’invasion commença le 12 mars 1938. Le 13 mars, Hitler dans une proclamation, assuma le poste de chef de l’État autrichien et prit le commandement de ses Forces armées. Par une loi de la même date, l’Autriche fut annexée à l’Allemagne.

c) Exécution du plan d’invasion de la Tchécoslovaquie : avril 1938-mars 1939.

1° Simultanément avec l’annexion de l’Autriche, les conspirateurs nazis donnèrent au Gouvernement tchécoslovaque l’assurance fallacieuse qu’ils n’avaient pas l’intention d’attaquer le pays. Mais dans le même mois, ils se réunirent pour préparer l’attaque contre la Tchécoslovaquie et pour réviser, à la lumière de l’expérience autrichienne, leur plan précédent en vue d’une agression contre la Tchécoslovaquie.

2° Le 21 avril 1938, les conspirateurs nazis se réunirent en vue de préparer une attaque contre la Tchécoslovaquie pour le 1er octobre 1938 au plus tard. Ils envisagèrent particulièrement de créer un « incident » pour « justifier » l’attaque. Ils décidèrent de ne lancer une opération militaire qu’après une période de querelles diplomatiques qui, en s’aggravant, fourniraient un prétexte pour la guerre, ou encore de déclencher une attaque éclair qui serait la conséquence d’un « incident » créé par eux-mêmes. On envisagea l’assassinat de l’ambassadeur d’Allemagne à Prague comme susceptible de créer l’incident nécessaire. À partir du 21 avril 1938, les conspirateurs nazis firent préparer des plans militaires précis et détaillés, en vue de procéder à cette attaque à tout moment opportun et ils calculèrent d’écraser dans les quatre jours toute résistance tchécoslovaque, mettant ainsi le monde devant le fait accompli et prévenant de ce fait une résistance extérieure. Au cours des mois de mai, juin, juillet, août et septembre, ces plans furent encore précisés et approfondis et le 3 septembre 1938, il fut décidé que toutes les troupes devaient se tenir prêtes à l’action pour le 28 septembre 1938.

3° Pendant toute cette période, les conspirateurs nazis menèrent campagne autour de la question des minorités en Tchécoslovaquie, particulièrement dans le pays des Sudètes ; cette campagne aboutit à une crise diplomatique en août et en septembre 1938. Après que les conspirateurs nazis eurent menacé de recourir à la guerre, le Royaume-Uni et la France conclurent à Munich, le 29 septembre 1938, un pacte avec l’Allemagne et l’Italie, lequel impliquait la cession du pays des Sudètes par la Tchécoslovaquie à l’Allemagne. La Tchécoslovaquie fut mise en demeure d’y acquiescer. Le 1er octobre 1938 les Forces allemandes occupaient le pays des Sudètes.

4° Le 15 mars 1939, contrairement aux stipulations du Pacte de Munich lui-même, les conspirateurs nazis parachevèrent la réalisation de leur plan, en saisissant et en occupant la plus grande partie du territoire de la Tchécoslovaquie, c’est-à-dire la Bohême et la Moravie, qui n’avait pas été cédé à l’Allemagne par le Pacte de Munich.

4. Conception du plan d’attaque contre la Pologne. Préparation et déclenchement de la guerre d’agression : mars 1938 - septembre 1939.

a) Grâce à ces agressions couronnées de succès, les conspirateurs avaient obtenu les ressources et les bases qu’ils avaient ardemment convoitées et se trouvaient en mesure d’entreprendre de nouvelles guerres d’agression. Après avoir donné au monde des assurances de leurs intentions pacifiques, un groupe influent de conspirateurs se réunit le 23 mai 1939 pour examiner la réalisation ultérieure de leur plan. Ils passèrent en revue la situation et notèrent que les « six années qui venaient de s’écouler avaient été bien employées et que toutes les mesures avaient été prises dans l’ordre convenable et en conformité avec leur but », que l’unité nationale politique des Allemands avait été en substance réalisée, mais qu’il était impossible d’obtenir de nouvelles réussites sans guerre et sans effusion de sang. Ils décidèrent néanmoins d’attaquer d’abord la Pologne à la première occasion favorable. Ils admirent que les questions concernant Dantzig qui formaient l’objet des discussions avec la Pologne, n’étaient point le vrai problème, mais qu’il s’agissait plutôt d’une expansion et d’une agression pour acquérir des vivres et du « Lebensraum ». Ils reconnurent que la Pologne se battrait si elle était attaquée et qu’il ne fallait pas s’attendre à une répétition des succès nazis remportés sans guerre contre la Tchécoslovaquie.

En conséquence, le problème consistait à isoler la Pologne et à prévenir si possible, un conflit simultané avec les Puissances occidentales. Néanmoins les conspirateurs tombèrent d’accord sur le fait que l’Angleterre était hostile à leurs aspirations, qu’une guerre avec l’Angleterre et son alliée la France en résulterait fatalement et que, par conséquent, tout effort dans cette guerre devrait viser à écraser l’Angleterre par un « Blitzkrieg » ou guerre éclair. Il fut décidé de préparer immédiatement des plans détaillés pour une attaque contre la Pologne à exécuter à la première occasion favorable et ensuite pour une attaque contre l’Angleterre et la France, concurremment avec des plans pour une occupation simultanée de bases aériennes par les Forces allemandes dans les Pays-Bas et en Belgique.

b) En conséquence, après avoir dénoncé sous de faux prétextes le Pacte germano-polonais de 1934, les conspirateurs nazis agitèrent la question de Dantzig, préparèrent les « incidents » de frontière afin de « justifier » leur attaque et de formuler des revendications tendant à la cession de territoires polonais. La Pologne ayant refusé de céder, les conspirateurs firent envahir son territoire par les Forces armées allemandes le 1er septembre 1939, déclenchant ainsi également la guerre avec le Royaume-Uni et la France.

5. Extension de la guerre en une guerre générale d’agression. Conception et exécution des attaques contre le Danemark, la Norvège, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Yougoslavie et la Grèce : 1939 - avril 1941.

Ainsi, la guerre d’agression préparée par les conspirateurs nazis au moyen de leurs attaques contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie, fut déclenchée en fait, au moment de leur attaque contre la Pologne, en violation des termes du Pacte Briand-Kellogg de 1928. Après la défaite totale de la Pologne, afin de faciliter la conduite de leurs opérations militaires contre la France et le Royaume-Uni, les conspirateurs nazis firent des préparatifs actifs pour une extension de la guerre en Europe. Conformément à leurs plans ils firent envahir par les Forces armées allemandes le Danemark et la Norvège le 9 avril 1940, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg le 10 mai 1940, la Yougoslavie et la Grèce le 6 avril 1941. Toutes ces invasions avaient été arrêtées à l’avance dans tous leurs détails.

6. Invasion du territoire soviétique par les Allemands le 22 juin 1941, en violation du Pacte de non-agression du 23 août 1939.

Le 22 juin 1941, les conspirateurs nazis dénoncèrent traitreusement le Pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS et, sans déclaration de guerre, envahirent le territoire soviétique, commençant ainsi une guerre d’agression contre l’URSS.

Dès le tout premier jour de leur attaque contre le territoire soviétique, les conspirateurs nazis, en conformité de leurs plans précis, commencèrent à effectuer la destruction de cités, de villes et de villages, la démolition de manufactures, de fermes collectives, de stations électriques et de chemins de fer, le pillage et la dévastation barbare des institutions culturelles nationales des peuples de l’URSS, la dévastation de musées, d’églises, de monuments historiques, la déportation massive en Allemagne de citoyens soviétiques en vue d’un travail forcé ainsi que l’anéantissement de populations : vieillards, femmes et enfants, en particulier Biélorusses et Ukrainiens ; enfin l’extermination des Juifs commise sur toute l’étendue du territoire soviétique occupé.

Les infractions criminelles susmentionnées furent perpétrées par les troupes allemandes en conformité avec des ordres du Gouvernement nazi, de l’État-Major général et du Haut Commandement des Forces armées allemandes.

7. Collaboration avec l’Italie et le Japon et guerre d’agression contre les États-Unis : novembre 1936 - décembre 1941.

Après le commencement de leurs guerres d’agression, les conspirateurs nazis préparèrent une alliance militaire et économique de dix ans entre l’Allemagne, l’Italie et le Japon, alliance conclue à Berlin le 27 septembre 1940. Cet accord, représentant un renforcement des liens établis entre ces trois nations par le pacte antérieur mais plus limité du 25 novembre 1936, stipulait :

« Les Gouvernements de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon, considérant comme une condition nécessaire de toute paix durable que toutes les nations du monde se voient attribuer à chacune sa propre place, ont décidé de se soutenir et de coopérer ensemble, en ce qui concerne leurs efforts respectifs dans la "Plus Grande Asie" orientale et dans les régions d’Europe, où leur premier objectif est d’établir et de maintenir un nouvel ordre de choses destiné à favoriser la prospérité et le bien-être des peuples intéressés. »

Les conspirateurs nazis pensaient que l’agression japonaise affaiblirait et gênerait les nations avec lesquelles ils étaient en guerre et celles contre lesquelles ils projetaient d’entrer en guerre. En conséquence, ils exhortèrent le Japon à chercher un « nouvel ordre de choses ». Profitant des guerres d’agression alors menées par les conspirateurs nazis, le Japon attaqua, le 7 décembre 1941, les États-Unis d’Amérique à Pearl Harbor et dans les Philippines, ainsi que le Commonwealth des Nations britanniques, l’Indochine française et les Pays-Bas dans le Pacifique sud-ouest. L’Allemagne déclara la guerre aux États-Unis le 11 décembre 1941.

G. Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité commis en cours d’exécution du complot, dont les conspirateurs sont responsables.

1. Dès le début de la guerre d’agression, le 1er septembre 1939, et au cours de son extension dans des guerres qui englobèrent à peu près le monde entier, les conspirateurs nazis exécutèrent leur plan concerté ou complot de conduire la guerre avec un mépris impitoyable et total des lois et coutumes de guerre, et en violation de ces lois et coutumes. Au cours de l’exécution de ce plan concerté ou complot, furent commis les crimes de guerre énumérés ci-après dans le chef d’accusation n° 3 de cet Acte d’accusation.

2. Dès le début de la réalisation de leur plan pour saisir et conserver le contrôle total de l’État allemand, et ensuite dans l’usage qu’ils faisaient de ce contrôle pour leurs desseins d’agression à l’extérieur, les conspirateurs nazis exécutèrent leur plan concerté ou complot avec un mépris impitoyable et total des lois de l’Humanité et en violation de ces lois. Au cours de l’exécution de ce plan concerté ou complot furent commis les crimes contre l’Humanité énumérés ci-après dans le chef d’accusation n° 4 de cet Acte d’accusation.

3. En raison de tout ce qui précède, les accusés, avec diverses autres personnes, sont coupables d’un plan concerté ou complot pour l’accomplissement de crimes contre la Paix, d’un complot pour commettre des crimes contre l’Humanité au cours de la préparation à la guerre et de la poursuite de la guerre et d’un complot en vue de commettre des crimes de guerre, non seulement contre les Forces armées de leurs ennemis, mais aussi contre les populations civiles non belligérantes.

H. Responsabilité des individus, des groupements et des organisations, en ce qui concerne le crime indiqué dans le chef d’accusation n° 1.

Il y a lieu de se référer à l’appendice A de cet Acte d’accusation pour l’établissement de la responsabilité des individus accusés du crime traité dans le chef d’accusation n° 1. Il y a lieu de se référer à l’appendice B de cet Acte d’accusation pour l’établissement de la responsabilité des groupements et organisations mentionnés dans ce document comme groupements et organisations criminels, coupables du crime dont il a été traité dans le chef d’accusation n° 1.

Plaise au Tribunal. Ceci termine le chef d’accusation n° 1 dont l’Amérique était chargée.

La Grande-Bretagne présentera le chef d’accusation n° 2.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Plaise à Votre Honneur.

CHEF D’ACCUSATION N° 2.
CRIMES CONTRE LA PAIX.

Référence : le Statut, article 6, a.

V. Qualification de l’infraction.

Tous les accusés, avec diverses autres personnes, ont pendant plusieurs années antérieures au 8 mai 1945, participé à la conception, à la préparation, au déclenchement et à la conduite de guerres d’agression qui furent aussi des guerres en violation de traités, accords et engagements internationaux.

VI. Détail des guerres conçues, préparées, déclenchées et poursuivies.

A. Les guerres dont il est question dans l’exposé du crime compris dans le présent chef d’accusation et les dates de leur déclenchement sont les suivantes : contre la Pologne, 1er septembre 1939 ; contre le Royaume-Uni et la France, 3 septembre 1939 ; contre le Danemark et la Norvège, 9 avril 1940 ; contre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, 10 mai 1940 ; contre la Yougoslavie et la Grèce, 6 avril 1941 ; contre l’URSS, 22 juin 1941 et contre les États-Unis d’Amérique, 11 décembre 1941.

B. Il y a lieu de se référer au chef d’accusation n° 1 pour les accusations établissant que ces guerres furent des guerres d’agression de la part des accusés.

C. Il y a lieu de se référer à l’appendice C annexé au présent Acte d’accusation pour l’établissement des détails des accusations de violations des traités, accords et engagements internationaux, commises par les accusés lors de la conception, de la préparation et du déclenchement de ces guerres.

VII. Responsabilité des individus, des groupements et des organisations pour le crime invoqué dans le chef d’accusation n° 2.

Il y a lieu de se référer à l’appendice A du présent Acte d’accusation pour l’établissement de la responsabilité des individus accusés du crime traité dans le chef d’accusation n° 2 du présent Acte et à l’appendice B de l’Acte d’accusation pour l’établissement de la responsabilité des groupements et organisations, mentionnés comme groupements et organisations criminels, coupables du crime dont il a été traité dans le chef d’accusation n° 2.

Ceci termine, Monsieur le Président, le chef d’accusation n° 2 de l’Acte d’accusation.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal se retire pendant quinze minutes.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Plaise à Votre Honneur. La lecture sera reprise par un représentant de la République Française.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal apprend que l’accusé Kaltenbrunner est malade. Le Procès continue en son absence. Je demande au Procureur Général du Gouvernement Provisoire de la République Française de prendre la parole.

M. PIERRE MOUNIER (Avocat Général pour la République Française)

CHEF D’ACCUSATION N° 3.
CRIMES DE GUERRE.

Référence : le Statut, article 6, spécialement 6, b.

VIII. Qualification de l’infraction.

Tous les accusés ont commis des crimes de guerre entre le 1er septembre 1939 et le 8 mai 1945 en Allemagne et dans tous les pays et territoires occupés par les Forces armées allemandes, depuis le 1er septembre 1939 ainsi qu’en Autriche, Tchécoslovaquie, Italie et en haute mer.

Tous les accusés, agissant de concert avec d’autres, conçurent et exécutèrent un plan concerté ou complot pour commettre des crimes de guerre tels qu’ils sont définis dans l’article 6, b du Statut. Ce plan impliquait entre autres choses, la pratique de la « guerre totale », y compris des méthodes de combat et d’occupation militaire en opposition directe avec les lois et coutumes de la guerre, la perpétration de crimes commis : sur le champ de bataille au cours de rencontres avec des armées ennemies, contre des prisonniers de guerre et contre la population civile des territoires occupés.

Lesdits crimes de guerre furent commis par les accusés et par d’autres personnes ; les accusés ayant participé en tant que dirigeants, organisateurs, instigateurs et complices, à l’élaboration et à l’exécution du plan concerté des crimes, doivent être tenus comme responsables (art. 6 du Statut).

Ces méthodes et ces crimes constituaient des violations des conventions internationales, du Droit pénal interne et des principes généraux du Droit pénal tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, et faisaient partie implicite ou intégrante d’une ligne de conduite systématique.

A. Meurtres et mauvais traitements des civils originaires ou habitant les territoires occupés et en haute mer.

Pendant toute la période d’occupation des territoires envahis par leurs forces armées, les accusés, dans le but de terroriser systématiquement les habitants, maltraitèrent, emprisonnèrent sans procédure légale, torturèrent et assassinèrent des civils.

Les meurtres et mauvais traitements étaient accomplis par des moyens variés, tels que fusillades, pendaisons, chambres à gaz, mort par inanition, cantonnements surpeuplés à l’excès, sous-alimentation systématique, imposition systématique de travaux dépassant les forces de ceux qui y étaient astreints, insuffisance des services chirurgicaux et médicaux, mauvais traitements et brutalités, tortures de toutes sortes, notamment usage de fers rougis, arrachage des ongles et expériences chirurgicales ou autres faites sur des êtres humains vivants. Dans certains territoires occupés, les accusés firent obstacle aux services religieux, persécutèrent des membres du clergé et des ordres monastiques, et confisquèrent les biens ecclésiastiques. Ils se livrèrent à l’extermination préméditée et systématique de groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés, afin de détruire des races ou classes déterminées de population et de groupes nationaux, raciaux ou religieux, particulièrement les Juifs, les Polonais, les Tziganes.

Ils soumirent systématiquement des civils à des tortures de toutes sortes, dans le but de leur arracher des renseignements.

Des civils des pays occupés furent systématiquement soumis à des « arrestations de protection », c’est-à-dire qu’ils furent arrêtés et emprisonnés sans le moindre jugement et sans les moindres garanties habituelles de la loi, dans les conditions les plus malsaines et les plus inhumaines.

Dans les camps de concentration, beaucoup de prisonniers furent classés « Nacht und Nebel ». Ils furent entièrement retranchés du monde et ne purent ni recevoir ni envoyer de lettres. Ils disparurent sans laisser de trace et les autorités allemandes ne firent jamais mention de leur sort.

De tels crimes et mauvais traitements sont contraires aux conventions internationales, en particulier à l’article 46 du Règlement de La Haye de 1907, aux lois et coutumes de la guerre, aux principes généraux du Droit pénal tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, au Droit pénal interne des pays où furent commis ces crimes, et à l’article 6, b du Statut.

Les détails qui suivent et tous ceux qu’on trouvera plus loin sous ce chef d’accusation ne sont donnés qu’à titre d’exemple et sont exposés sans préjudice du droit, pour le Ministère Public, d’apporter la preuve d’autres cas de meurtres et mauvais traitements sur des civils.

1. – En France, en Belgique, en Hollande, au Danemark, en Norvège, au Luxembourg, en Italie et dans les Iles Normandes (pays désignés ci-après comme « pays de l’Ouest »), et dans la partie de l’Allemagne qui se trouve à l’ouest d’une ligne tracée du nord au sud, passant par le centre de Berlin (désignée ci-après sous le nom de « Allemagne occidentale »).

De tels meurtres et mauvais traitements eurent lieu dans des camps de concentration ou autres établissements semblables créés par les accusés, en particulier dans les camps de concentration de Belsen, Buchenwald, Dachau, Breendonck, Grini, Natzweiler, Ravensbrück, Vught et Amersfoort, et dans nombre de villes, bourgs et villages, par exemple : Oradour-sur-Glane, Trondheim et Oslo.

Les crimes commis en France ou contre les citoyens français ont revêtu les formes suivantes : des arrestations arbitraires ont été opérées sous des prétextes politiques et raciaux ; elles furent, soit individuelles, soit collectives ; notamment à Paris (rafle du 18e arrondissement par la Feldgendarmerie, rafle de la population juive du 11e arrondissement au mois d’août 1941, rafle de juillet 1942) ; à Clermont-Ferrand (rafle de professeurs et d’étudiants de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, le 25 novembre 1943), à Lyon, à Marseille (rafle de 40.000 personnes au mois de janvier 1943) : à Grenoble (rafle du 24 décembre 1943) ; à Cluny (rafle du 24 décembre 1943) ; à Figeac (rafle de mai 1944) ; à Saint-Pol-de-Léon (rafle de juillet 1944) ; à Locminé (rafle du 3 juillet 1944) ; à Eysieux (rafle de mai 1940), et à Meaux-Moussey (rafle de septembre 1944).

Ces arrestations furent suivies de brutalités et de tortures réalisées par les moyens les plus divers, à savoir : l’immersion dans l’eau glacée, l’asphyxie, la torture des membres et l’emploi d’instruments tels que le casque de fer, le courant électrique, et pratiquées dans toutes les prisons de France, notamment à Paris, Lyon, Marseille, Rennes, Metz, Clermont-Ferrand, Toulouse, Nice, Grenoble, Annecy, Arras, Béthune, Lille, Loos, Valenciennes, Nancy, Troyes et Caen, et dans les chambres de torture aménagées dans les immeubles de la Gestapo.

Dans les camps de concentration, le régime sanitaire et le régime du travail étaient tels que la mortalité (prétendue naturelle) atteignait d’énormes proportions, par exemple :

1° Sur un convoi de 250 Françaises déportées de Compiègne pour Auschwitz en janvier 1943, 180 étaient mortes de faiblesse au bout de quatre mois ;

2° 143 Français sont morts de faiblesse, du 23 mars au 6 mai 1943, au block 8 de Dachau ;

3° 1.797 Français sont morts de faiblesse, du 21 novembre 1943 au 15 mars 1945, à Dora ;

4° 465 Français sont morts de cachexie, en novembre 1944, à Dora ;

5° 22.761 déportés sont morts de faiblesse à Buchenwald, du 1er janvier au 15 avril 1945 ;

6° 11.560 détenus sont morts de faiblesse au camp de Dachau (et plus particulièrement au block 30 réservé aux malades et aux invalides), du 1er janvier au 15 avril 1945 ;

7° 780 prêtres sont morts de faiblesse à Mauthausen ;

8° Sur 2.200 Français immatriculés au camp de Flossenburg, 1.600 sont décédés de mort prétendue naturelle.

Les méthodes employées pour l’extermination, dans les camps de concentration, étaient : les mauvais traitements, des expériences pseudo-scientifiques (stérilisation des femmes à Auschwitz et à Ravensbrück, étude de l’évolution du cancer de l’utérus à Auschwitz, du typhus à Buchenwald, recherches anatomiques à Natzweiler, piqûres au cœur à Buchenwald, greffes osseuses et ablations musculaires à Ravensbrück, etc.), et par l’envoi dans les chambres à gaz, dans les wagons à gaz et dans les fours crématoires. Sur au moins 228.000 Français déportés pour des raisons politiques et raciales dans les camps de concentration, seuls 28.000 d’entre eux ont survécu.

En France même, des exterminations systématiques ont été opérées, notamment à Asq le 1er avril 1944, à Colpo le 22 juillet 1944, à Buzet-sur-Tarn le 6 juillet 1944 et le 17 août 1944, à Pluvignier le 8 juillet 1944, à Rennes le 8 juin 1944, à Grenoble le 8 juillet 1944, à Saint-Flour le 10 juin 1944, à Ruisnes le 10 juin 1944, à Nîmes, à Tulle, à Nice, où en juillet 1944 les corps des suppliciés ont été exposés à la population, et à Oradour-sur-Glane, où la population entière du village a été fusillée ou brûlée vive dans l’église.

De nombreux charniers témoignent de massacres anonymes. Tels sont notamment les charniers de Paris (cascade du Bois de Boulogne), Lyon, Saint-Genis-Laval, Besançon, Petit-Saint-Bernard, Aulnat, Caen, Port-Louis, Charleval, Fontainebleau, Bouconne, Gabaudet, Lhermitage-Lorges, Morlaas, Bordelongue, Signe.

Au cours d’une campagne préméditée de terrorisme inaugurée au Danemark par les Allemands vers la fin de 1943, 600 sujets danois furent assassinés et, en outre, au cours de l’occupation allemande de ce pays, un grand nombre de sujets danois furent soumis à la torture et à des mauvais traitements de toutes sortes ; de plus, environ 500 sujets danois moururent par suite de torture et autres mauvais traitements de toutes sortes, dans les prisons et les camps de concentration allemands.

En Belgique, entre 1940 et 1944, des tortures diverses, mais partout semblables, furent exécutées à Bruxelles, Liège, Mons, Gand, Namur, Anvers, Tournai, Arlon, Charleroi et Dinant.

À Vught, en Hollande, quand le camp fut évacué, environ 400 personnes furent fusillées. Au Luxembourg, pendant l’occupation allemande, 500 personnes furent assassinées et, de plus, 521 autres furent exécutées illégalement, par ordre de tribunaux spéciaux tels que le « Sondergericht ». Beaucoup d’autres personnes, au Luxembourg, furent soumises par la Gestapo à la torture et aux mauvais traitements. 4.000 Luxembourgeois au moins furent emprisonnés pendant la période d’occupation allemande et, sur ce nombre, 400 au moins furent assassinés.

Entre mars 1944 et avril 1945, en Italie, au moins 7.500 hommes, femmes et enfants, s’échelonnant de l’enfance à l’extrême vieillesse, furent assassinés par la soldatesque allemande, à Civitella, dans les grottes ardeatines de Rome et en d’autres endroits.

B. Déportation pour travail forcé, et pour d’autres buts, des civils originaires des pays occupés et y habitant.

Pendant toute la période d’occupation par les Allemands des pays de l’Ouest et de l’Est, la politique du Gouvernement et du Haut Commandement allemands fut de déporter les citoyens valides d’un territoire occupé, soit en Allemagne, soit dans d’autres pays occupés, pour les obliger à travailler à des ouvrages de fortifications, dans des usines, et à d’autres tâches ayant trait à l’effort de guerre allemand.

Conformément à cette politique, il y eut des déportations en masse de tous les pays de l’Ouest et de l’Est pendant toute la période de l’occupation.

Ces déportations étaient contraires aux conventions internationales en particulier à l’article 46 du Règlement de La Haye de 1907, aux lois et coutumes de la guerre, aux principes du Droit pénal, tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, du Droit pénal interne des pays dans lesquels ces crimes ont été commis, et à l’article 6, b du Statut.

Détail des déportations à titre d’exemple seulement et sans préjudice de la production des preuves d’autres cas :

1. En provenance des pays de l’Ouest :

En France eurent lieu les « déportations » suivantes de personnes, pour raisons politiques ou raciales, chaque transport étant de 1.500 à 2.500 déportés :

1940. 3 transports

1941. 14 –

1942. 104 –

1943. 257 –

1944. 326 –

Ces déportés étaient entassés de la manière la plus barbare. Les vêtements qui leur étaient fournis étaient tout à fait insuffisants, et on ne leur donnait que peu ou pas du tout de nourriture pendant plusieurs jours.

Les conditions de transport furent telles que de nombreux déportés périrent au cours du voyage. Par exemple : dans l’un des wagons du train qui quitta Compiègne pour Buchenwald, le 17 septembre 1943, 80 personnes sur 130 périrent.

Le 4 juin 1944, 484 cadavres furent retirés d’un train à Sarrebourg.

Dans un train qui quitta Compiègne le 2 juillet 1944 pour Dachau, plus de 600 morts furent constatées à l’arrivée, soit un tiers du nombre total.

Dans un train qui quitta Compiègne le 16 janvier 1944 pour Buchenwald, plus de 100 personnes étaient enfermées dans chaque wagon ; les morts et les blessés furent entassés dans le dernier wagon au cours du voyage.

En avril 1945, sur 12.000 internés évacués de Buchenwald, 4.000 seulement étaient vivants quand la colonne en marche arriva près de Ratisbonne.

Pendant l’occupation allemande du Danemark, 5.200 sujets danois furent déportés en Allemagne, et là, emprisonnés dans des camps de concentration et autres lieux. En 1942 et postérieurement, 6.000 ressortissants du Luxembourg furent déportés de leur pays dans des conditions lamentables et nombre d’entre eux périrent.

De Belgique, entre 1940 et 1944, au moins 190.000 civils furent déportés en Allemagne et utilisés au travail forcé. Ces déportés étaient soumis à des mauvais traitements et nombre d’entre eux étaient contraints de travailler dans des usines d’armement.

De Hollande, entre 1940 et 1944, près de 500.000 civils furent déportés en Allemagne ou dans d’autres territoires occupés.

C. Meurtres et mauvais traitements de prisonniers de guerre et autres membres des Forces armées des pays avec lesquels l’Allemagne était en guerre, et des personnes en haute mer.

Les accusés maltraitèrent et laissèrent mourir des prisonniers de guerre en leur refusant une nourriture appropriée, un abri, des vêtements, des soins médicaux et autres, en les obligeant à travailler dans des conditions inhumaines, en les humiliant, en les torturant, en les massacrant. Le Gouvernement et le Haut Commandement allemands enfermèrent des prisonniers de guerre dans différents camps de concentration, où ils furent tués ou soumis à des traitements inhumains, au moyen de différentes méthodes exposées au paragraphe VIII A.

Il arrivait fréquemment que des membres des Forces armées des pays avec lesquels l’Allemagne était en guerre, fussent exécutés au moment où ils se rendaient.

Ces meurtres et ces mauvais traitements étaient contraires aux conventions internationales, particulièrement aux articles 4, 5, 6 et 7 du Règlement de La Haye de 1907, et aux articles 2, 3, 4 et 6 de la Convention sur les prisonniers de guerre (Genève 1929), aux lois et coutumes de la guerre, aux principes généraux du Droit pénal tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, au Droit pénal interne des pays dans lesquels de tels crimes furent commis, et à l’article 6, b du Statut.

Des précisions à titre d’exemple et sans préjudice de la production de preuves d’autres faits, sont données ci-après :

1. – Dans les pays de l’Ouest :

Des officiers français qui s’étaient échappés de l’oflag X C furent remis à la Gestapo et disparurent ; d’autres furent assassinés par leurs gardes, d’autres furent envoyés dans des camps de concentration et exterminés. Notamment les hommes du stalag VI C furent envoyés à Buchenwald.

Dans de nombreux cas, des prisonniers capturés sur le front de l’Ouest furent obligés, pour se rendre dans leur camp, de marcher jusqu’à complet épuisement. Quelques-uns d’entre eux parcoururent plus de 600 kilomètres sans presque recevoir d’aliments. Ils marchèrent d’une traite pendant 48 heures sans nourriture ; nombre d’entre eux moururent d’épuisement ou de faim. Les traînards étaient systématiquement exécutés.

Les mêmes crimes ont été commis en 1943, 1944 et 1945, quand les internés furent obligés de se replier devant l’avance alliée, en particulier lors du repli des prisonniers de Sagan, le 8 février 1945. Des châtiments corporels étaient infligés aux sous-officiers ainsi qu’aux aspirants qui refusaient de travailler. Le 24 décembre 1943, trois sous-officiers français furent exécutés pour ce motif au stalag IV A. De nombreux mauvais traitements étaient infligés à des militaires d’autres grades : blessures à la baïonnette, coups de crosse et de fouet. Au stalag XX B les malades eux-mêmes étaient fréquemment battus par les sentinelles. Au stalag III B et au stalag III C les prisonniers épuisés étaient exécutés ou gravement blessés.

Dans les prisons militaires, à Graudenz par exemple, dans les camps de représailles comme le camp de Rava-Ruska, la nourriture était si insuffisante que les hommes perdaient plus de 15 kilos en quelques semaines. En mai 1942, à Rava-Ruska, une seule miche de pain était distribuée pour chaque groupe de 35 hommes.

Des ordres furent donnés de transférer enchaînés des officiers français au camp de Mauthausen, après leur tentative d’évasion. Quand ils arrivèrent au camp ils furent, soit fusillés, soit conduits à la chambre à gaz, et leurs corps furent incinérés au four crématoire.

Des prisonniers américains, officiers et hommes de troupe, furent exécutés en Normandie pendant l’été 1944, et dans les Ardennes en décembre 1944. Des prisonniers américains furent affamés, frappés, et diversement mutilés dans de nombreux stalags en Allemagne ou dans les pays occupés, particulièrement en 1943, 1944 et 1945.

D. Meurtres d’otages.

Dans les territoires occupés par les Forces années allemandes, au cours de leur guerre d’agression, les accusés adoptèrent comme méthode la prise et l’exécution, sur une large échelle, d’otages civils. Ces actes étaient contraires aux conventions internationales, particulièrement à l’article 50 du Règlement de La Haye de 1907, aux lois et coutumes de la guerre, aux principes généraux du Droit pénal, tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, au Droit pénal interne des pays dans lesquels de tels crimes furent commis et à l’article 6, b du Statut.

Des précisions, à titre d’exemple, et sans préjudice de la production de la preuve d’autres cas, sont énumérées ci-après :

1. – Dans les pays de l’Ouest :

En France, les otages ont été exécutés soit individuellement, soit collectivement. Ces exécutions ont eu lieu dans toutes les grandes villes de France, entre autres à Paris, Bordeaux et Nantes, aussi bien qu’à Chateaubriant.

En Hollande, des otages furent fusillés par centaines, notamment dans les villes de Rotterdam, Apeldoorn, Amsterdam, Benshop et Haarlem.

En Belgique, des otages furent fusillés par centaines dans la période de 1940 à 1944.

M. CHARLES GERTHOFFER (Avocat Général pour la République Française) (Continuant la lecture de l’Acte d’accusation)

E. Pillage des biens publics et privés.

Les accusés exploitèrent impitoyablement les populations et les ressources matérielles des pays qu’ils occupaient, dans le but de renforcer la machine de guerre nazie, de dépeupler et appauvrir le reste de l’Europe, de s’enrichir et d’enrichir leurs adeptes et d’établir la suprématie économique de l’Allemagne sur l’Europe. Les accusés, entre autres actes et pratiques, exécutèrent ce qui suit :

1. Ils abaissèrent le niveau d’existence des pays occupés et provoquèrent la famine en les dépouillant de produits alimentaires qu’ils transportaient en Allemagne.

2. Ils saisirent dans tous les pays occupés les matières premières et l’outillage industriel, les transportèrent en Allemagne et les utilisèrent au profit de l’effort de guerre et de l’économie allemande.

3. Dans tous les pays occupés, à des degrés différents, ils confisquèrent les entreprises commerciales et industrielles et autres biens.

4. Pour tenter de donner une apparence légale aux acquisitions irrégulières de propriété, ils obligèrent les propriétaires de ces biens à se prêter à des formes de transfert « volontaire » et « légal ».

5. Ils établirent un contrôle étendu sur l’économie de tous les territoires occupés et dirigèrent leurs ressources, leur production et leur main-d’œuvre dans l’intérêt de l’économie de guerre allemande, privant les populations locales des produits d’industrie essentiels.

6. Par toute une série de mécanismes financiers, ils dépouillèrent tous les pays occupés de tous les produits essentiels et de toutes les réserves accumulées. Ils dévaluèrent les systèmes monétaires et désorganisèrent les économies locales. Ils financèrent des achats considérables dans les territoires occupés au moyen d’accords de clearing, grâce auxquels ils leur extorquèrent des emprunts.

Ils exigèrent des tributs d’occupation, imposèrent des contributions financières et émirent une monnaie d’occupation dont le volume dépassait de beaucoup le coût réel de l’occupation. Ils se servirent de cet excédent de fonds pour financer l’achat de propriétés industrielles et de fournitures dans les territoires occupés.

7. Dans les régions occupées en URSS et en Pologne, et dans d’autres pays, ils privèrent la population locale du droit de développer ou diriger des propriétés industrielles ou agricoles et réservèrent ces zones aux Allemands et à leurs prétendus frères de race, qui eurent seuls le droit de s’y établir, de cultiver et de posséder la terre.

8. Allant plus loin encore dans leur plan d’exploitation criminelle, dans certains pays occupés ils détruisirent des villes industrielles, des monuments culturels, des instituts scientifiques et des biens de tous ordres pour éliminer toute possibilité de concurrence avec l’Allemagne.

9. De leur programme de terreur, d’esclavage, de spoliation et de crimes organisés, les conspirateurs nazis firent un instrument de profit personnel, d’enrichissement pour eux et pour leurs adeptes. Ils s’assurèrent pour eux-mêmes et ces derniers :

a) Des situations dans l’administration des affaires qui leur conférèrent le pouvoir, l’influence et des avantages lucratifs.

b) L’emploi d’une main-d’œuvre forcée à bon marché.

c) L’acquisition à des conditions avantageuses de biens étrangers, de matières premières et d’intérêts dans des affaires de tous ordres.

d) Les bases de la suprématie industrielle de l’Allemagne.

Ces actes étaient contraires aux conventions internationales, particulièrement aux articles 46 à 56 inclus du Règlement de La Haye de 1907, aux lois et coutumes de la guerre et aux principes généraux du Droit pénal, tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, au Droit pénal interne des pays dans lesquels de tels crimes furent commis et à l’article 6, b du Statut.

Des précisions à titre d’exemple et sans préjudice de la production de la preuve d’autres faits, sont énumérées ci-après :

1. – Dans les pays de l’Ouest :

De 1940 à 1944, des œuvres d’art, objets artistiques, peintures, statues, mobiliers, textiles, antiquités et autres objets de très grande valeur, au nombre de 21.903, ont été enlevés dans les pays de l’Ouest.

Pour la France, les statistiques font ressortir ce qui suit :

Prélèvements de matières premières,

Charbon.. 63.000.000 tonnes

Energie électrique..20.976 Mkwh.

Pétrole et carburants.1.943.750 tonnes

Minerai de fer. 74.848.000 –

Produits sidérurgiques.. 3.822.000 –

Bauxite. 1.211.800, –

Ciment. 5.984.000 –

Chaux.. 1.888.000 –

Produits de carrière.25.872.000 –

Différents autres produits d’une valeur totale de 79.961.423.000 francs

Prélèvements d’équipement industriel.

Total : 9.759.861.000 francs, dont 2.626.479.000 francs de machines-outils.

Prélèvements de produits agricoles.

Total : 126.655.852.000 francs, c’est-à-dire, pour les produits principaux :

Froment. . 2.947.337 tonnes

Avoine. 2.354.080 –

Lait 790.000 hectolitres

Lait concentré et en poudre 460.000 –

Beurre.76.000 tonnes

Fromage 49.000 –

Pommes de terre.. 725.975 –

Légumes variés. 575.000 –

Vin. 7.647.000 hectolitres

Champagne.87.000.000 bouteilles

Bière 3.821.520 hectolitres

Différentes sortes d’alcool.1.830.000 –

Prélèvements de produits manufacturés.

Total : 184.640.000.000 de francs.

Pillage.

Francs : 257.020.024.000 au détriment des entreprises privées.

Francs : 55.000.100.000 au détriment de l’État.

Exploitation financière.

De juin 1940 à septembre 1944, le Trésor Français a été contraint de payer à l’Allemagne : 631.866.000.000 de francs.

Destruction et pillage d’œuvres d’art.

Les musées de Nantes, de Nancy, du Vieux-Marseille furent pillés. Des collections privées de grande valeur furent dérobées. C’est ainsi que des œuvres de Raphaël, Vermeer, Van Dyck, Rubens, Holbein, Rembrandt, Watteau et Boucher disparurent. L’Allemagne força la France à livrer l’Agneau Mystique de Van Eyck que la Belgique lui avait confié.

En Norvège et dans d’autres pays occupés, la confiscation de la propriété de nombreux civils, de sociétés, etc. fut ordonnée par décrets. Un nombre considérable de biens de toutes sortes fut volé en France, Belgique, Norvège, Hollande et au Luxembourg. Les dommages résultant du pillage subi par la Belgique entre 1940 et 1944 s’élevèrent à 175.000.000.000 de francs belges.

F. Sanctions collectives.

Dans tous les pays occupés, les Allemands infligèrent systématiquement des sanctions collectives, pécuniaires ou autres, aux populations, pour réprimer des actes individuels dont on pouvait les considérer comme collectivement responsables. C’est ce qui eut lieu dans de nombreuses localités, notamment à Oslo, Stavanger, Trondheim et Rogaland.

Les mêmes faits se produisirent en France, notamment à Dijon, Nantes, et dans tout le territoire occupé, à l’égard de la population juive.

Le montant total des amendes imposées aux communautés françaises s’élève à 1.157.179.484 francs et se décompose comme suit :

– Amendes à la population juive : 1.000.000.000 de francs.

– Amendes diverses : 157.179.484 francs.

Ces actes violaient l’article 50 du Règlement de La Haye de 1907, les lois et coutumes de la guerre, les principes généraux du Droit pénal tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, le Droit pénal interne des pays dans lesquels ces crimes furent commis et l’article 6, b du Statut.

G. Destruction sans raison des villes, bourgs et villages et dévastations non justifiées par les nécessités militaires.

Les accusés détruisirent sans raison des villes, bourgs et villages et commirent d’autres actes de dévastation sans justification ni nécessité militaire.

Ces actes violaient les articles 46 et 50 du Règlement de La Haye de 1907, les lois et coutumes de la guerre, les principes généraux du Droit pénal tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, le Droit pénal interne des pays dans lesquels de tels crimes ont été commis et l’article 6, b du Statut.

Des détails, à titre d’exemple et sans préjudice de la production de preuves en ce qui concerne d’autres cas, sont donnés ci-après :

1. – Dans les pays de l’Ouest :

En mars 1941, une partie de Lofoten (Norvège) fut détruite.

En avril 1942, la ville de Telerag (Norvège) fut détruite.

Des villages entiers furent détruits en France, entre autres : Oradour-sur-Glane, Saint-Nizier, et dans le Vercors : La Mure, Vassieux, la Chapelle-en-Vercors. La ville de Saint-Dié fut brûlée et détruite, le quartier du Vieux-Port à Marseille fut dynamité au début de l’année 1943, des stations balnéaires le long de la côte atlantique et méditerranéenne, notamment la ville de Sanary, furent démolies.

En Hollande, il fut procédé à des destructions extrêmement étendues qui n’étaient pas justifiées par les nécessités militaires, notamment la destruction de ports, d’écluses, de digues et de ponts ; d’immenses dévastations furent aussi causées par des inondations qui étaient tout aussi peu justifiées par des nécessités militaires.

H. Mobilisation de travailleurs civils.

Dans tous les territoires occupés, les accusés procédèrent au recensement des habitants et les obligèrent à travailler ; ils furent requis en vue de travaux qui n’étaient pas indispensables à l’armée d’occupation, cette réquisition dépassait largement les ressources des pays en cause. Tous les civils ainsi enrôlés furent obligés de travailler pour l’effort de guerre allemand. Ils furent astreints au recensement et beaucoup d’entre eux furent mis dans l’obligation de rejoindre l’organisation Todt et la légion Speer ; toutes les deux étaient des organisations semi-militaires comportant une certaine instruction militaire. Ces actes violaient les articles 46 et 52 du Règlement de La Haye de 1907, les lois et coutumes de la guerre, les principes généraux du Droit pénal tels qu’ils dérivent du Droit pénal de toutes les nations civilisées, le Droit pénal interne des pays dans lesquels de tels crimes furent commis et l’article 6, b du Statut.

Des détails, à titre d’exemple et sans préjudice de preuves en ce qui concerne d’autres cas, sont donnés ci-après :

1. – Dans les pays de l’Ouest :

En France, de 1942 à 1944, 963.813 personnes furent contraintes de travailler en Allemagne et 737.000 en France pour l’armée allemande.

Au Luxembourg, rien qu’en 1944, 2.500 hommes et 500 femmes furent astreints au travail forcé.

I. Obligation pour des civils des territoires occupés, de prêter serment d’allégeance a une Puissance ennemie.

Les civils qui rejoignirent la légion Speer, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe H ci-dessus, étaient contraints, sous la menace d’être privés de nourriture, d’argent et de papiers d’identité, de prêter un serment solennel reconnaissant leur obéissance inconditionnelle à Adolf Hitler, Führer de l’Allemagne qui était pour eux une Puissance ennemie.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal se retire jusqu’à deux heures.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)