Deuxième journée
Mercredi 21 novembre 1945.
Audience du matin.
Une requête a été déposée. Le Tribunal l’a prise en considération. Dans la mesure où elle constitue une exception d’incompétence opposée au Tribunal, elle entre en conflit avec l’article 3 du Statut et ne peut, de ce fait, être retenue. Mais elle est recevable lorsqu’elle fait état des moyens de défense que pourraient utiliser les accusés.
Maintenant, l’Acte d’accusation étant lu, conformément à l’article 24 du Statut, je vais demander aux accusés s’ils entendent plaider coupable ou non coupable.
Puis-je prendre la parole un instant, Votre Honneur ?
Vous ne devez pas parler de la requête que je viens de mentionner au nom du Tribunal. Je vous ai dit que, dans la mesure où elle constitue une exception d’incompétence opposée au Tribunal, elle entre en conflit avec l’article 3 du Statut et ne peut être retenue. Dans la mesure où elle fait état de moyens de défense utilisables dont peuvent exciper les accusés, elle est recevable.
Je ne veux pas parler de la requête. En tant que représentant de la Défense, j’aimerais aborder une question technique et exprimer à cet effet une demande au nom de mes collègues. Puis-je le faire ?
Ce matin on a empêché les avocats de parler aux accusés. Il est absolument nécessaire que les avocats puissent s’entretenir avec leurs clients avant l’audience. Il arrive souvent qu’après l’audience, nous ne puissions, le soir, atteindre nos clients. Il est possible que les avocats aient préparé pendant la nuit, des arguments pour le lendemain, et il est indispensable qu’ils en réfèrent aux accusés avant l’audience. Nous savons par expérience qu’il nous a toujours été permis de parler aux accusés avant l’audience. La question de savoir si l’on peut conférer avec les accusés pendant les audiences, pourrait être discutée plus tard. Mais, pour l’instant, je demande, au nom de toute la Défense, qu’il nous soit permis de communiquer avec les accusés dans la salle d’audience même, où ils sont généralement amenés de bonne heure. Autrement, il nous sera impossible d’assurer convenablement et efficacement notre tâche.
Je crains qu’il ne vous soit possible de communiquer avec vos clients dans la salle d’audience autrement que par écrit. Hors de la salle d’audience, des dispositions de sécurité peuvent être prises et vous avez, dans la mesure où elles sont respectées, toutes les facilités pour vous entretenir avec vos clients. Dans la salle d’audience, nous ne pouvons vous autoriser à communiquer que par écrit. À la fin de chaque audience, vous avez tout loisir de converser avec eux.
Je vais en parler avec mes confrères, mais j’aimerais, si possible, revenir sur cette question.
Puis-je prendre la parole ?
Voulez-vous vous présenter, s’il vous plaît ?
Dr Ralph Thoma. Je suis l’avocat de l’accusé Rosenberg. Hier, mon client m’a fait parvenir une note sur la manière dont il entendait se défendre. J’en ai pris connaissance et lui ai promis de lui en parler. Or, ni hier soir, ni ce matin, je n’ai eu la possibilité de m’entretenir avec lui ; en conséquence, il m’est impossible, ainsi qu’à mon client, de vous dire aujourd’hui s’il plaide coupable ou non coupable. C’est pourquoi je demande une suspension d’audience afin de pouvoir m’entretenir avec lui.
Dr Thoma, le Tribunal consent à suspendre l’audience pendant un quart d’heure afin que vous puissiez consulter votre client.
Je vous remercie. J’aimerais faire encore une déclaration. Certains de mes collègues viennent de me dire qu’ils sont dans la même situation, en particulier, le Dr Sauter…
Il est bien entendu que tous les avocats doivent avoir la possibilité de s’entretenir avec leurs clients ; mais je tiens à leur faire remarquer qu’ils ont eu plusieurs semaines pour préparer ce Procès et qu’ils auraient dû prévoir que les clauses de l’article 24 seraient appliquées. Nous suspendons maintenant l’audience pendant un quart d’heure afin que vous puissiez tous vous entretenir avec vos clients.
Puis-je faire à ce propos une autre déclaration, Votre Honneur ?
Oui.
La Défense demande si l’on doit répondre simplement par oui ou par non à la question de culpabilité, ou si une déclaration plus longue et explicite peut être faite. Nous n’avons été informés sur ce point qu’avant-hier seulement et nous n’avons pas eu l’occasion d’en conférer longuement avec nos clients.
Un instant. L’article 24 du Statut répond à votre question : "Le Tribunal demandera à chaque accusé s’il plaide coupable ou non coupable". Les accusés s’y conformeront pour l’instant. Bien entendu, plus tard, au cours des débats, ils auront toute facilité pour se défendre plus longuement, soit lorsqu’ils seront appelés comme témoins, soit par le ministère de leurs avocats.
Je vais maintenant demander aux accusés de déclarer s’ils entendent plaider coupable ou non coupable. Ils viendront à tour de rôle devant le microphone.
Hermann Wilhelm Göring.
Avant de répondre à la question du Tribunal si oui ou non je suis coupable…
J’ai annoncé que les accusés n’étaient pas autorisés à faire une déclaration. Vous devez plaider coupable ou non coupable.
Au sens de l’Acte d’accusation je me déclare non coupable.
Rudolf Hess.
Non.
Cette réponse sera considérée comme une déclaration de non-culpabilité.
Je préviens les perturbateurs que, s’ils persistent à troubler l’audience, ils seront expulsés.
Au sens de l’Acte d’accusation je me déclare non coupable.
Wilhelm Keitel.
Je me déclare non coupable.
En l’absence d’Ernst Kaltenbrunner, les débats seront poursuivis contre lui, mais il aura la possibilité de se défendre quand il sera suffisamment rétabli pour être ramené devant le Tribunal.
Alfred Rosenberg.
Au sens de l’Acte d’accusation je me déclare non coupable.
Hans Frank.
Je me déclare non coupable.
Wilhelm Frick.
Non coupable.
Julius Streicher.
Non coupable.
Walter Funk.
Je me déclare non coupable.
Hjalmar Schacht.
Je ne suis coupable en aucun cas.
Karl Dönitz.
Non coupable.
Erich Raeder.
Je me déclare non coupable.
Baldur von Schirach.
Au sens de l’Acte d’accusation je me déclare non coupable.
Fritz Sauckel.
Au sens de l’Acte d’accusation devant Dieu et devant le monde et particulièrement devant mon peuple, je me déclare non coupable.
Alfred Jodl.
Non coupable. Pour ce que j’ai fait ou eu à faire, j’ai une conscience pure devant Dieu, devant l’Histoire et devant mon peuple.
Franz von Papen.
Je me déclare non coupable en quelque sens que ce soit.
Arthur Seyss-Inquart.
Je me déclare non coupable.
Albert Speer.
Non coupable.
Constantin von Neurath.
Je réponds par la négative à cette question.
Hans Fritzsche.
Au sens de l’Acte d’accusation, non coupable.
Vous n’avez pas le droit actuellement de vous adresser au Tribunal, sauf par l’intermédiaire de votre avocat.
J’appelle maintenant le Procureur Général des États-Unis d’Amérique.
Plaise à Vos Honneurs. Le privilège d’inaugurer dans l’Histoire le premier procès pour ces crimes contre la paix du monde impose de graves responsabilités. Les crimes que nous cherchons à condamner et à punir ont été si prémédités, si néfastes et si dévastateurs, que la Civilisation ne peut tolérer qu’on les ignore, car elle ne pourrait survivre à leur répétition. Que quatre grandes nations, exaltées par leur victoire, profondément blessées, arrêtent les mains vengeresses et livrent volontairement leurs ennemis captifs au jugement de la loi, est l’un des plus grands tributs que la Force paya jamais à la Raison.
Ce Tribunal, bien que nouveau et expérimental, n’est pas le résultat de spéculations abstraites. Il n’est pas créé pour justifier d’obscures théories de droit. Ce Procès représente l’effort d’ordre pratique de quatre des plus puissantes nations avec l’appui de dix-sept autres, pour recourir au Droit international afin de faire face à la plus grande menace de notre temps, la guerre d’agression. Le sens commun de l’Humanité exige que la loi ne soit pas limitée à la simple punition de crimes ordinaires commis par de petites gens. Il faut que la loi atteigne également les hommes qui possèdent de grands pouvoirs et qui en font un usage délibéré et concerté, afin de mettre en mouvement une série de maux qui n’épargnent aucun foyer dans le monde. C’est un procès de cette importance que les Nations Unies présenteront à Votre Honneur.
Au banc des accusés sont assis une vingtaine d’hommes déchus. Accusés aussi amèrement par l’humiliation de ceux qu’ils ont dirigés, que par la misère de ceux qu’ils ont attaqués, leur pouvoir personnel pour le mal est à jamais détruit. Il est difficile aujourd’hui de déceler dans ces êtres captifs la puissance avec laquelle, en tant que chefs nazis, ils dominèrent un jour une grande partie du monde et le terrorisèrent presque en entier. En tant que simples individus, leur destin est de peu d’importance pour le monde.
Ce qui constitue l’importance de ce Procès, c’est que ces prisonniers représentent des influences sinistres qui se dissimuleront de par le monde, bien longtemps après qu’eux-mêmes seront retournés en poussière. Nous montrerons qu’ils sont des symboles vivants des haines raciales, du terrorisme et de la violence, de l’arrogance et de la cruauté du pouvoir. Ce sont des symboles d’un nationalisme et d’un militarisme farouches, d’intrigues et de guerres qui ont jeté la confusion en Europe, génération après génération, écrasant ses hommes, détruisant ses foyers et appauvrissant sa vie. Ils se sont identifiés à un tel point avec leurs idéologies et les forces dirigées par eux, que tout acte de compassion à leur égard constitue un triomphe et un encouragement donné à tous les maux qui s’associent à leurs noms. La Civilisation ne peut pas admettre de compromis avec les tendances sociales qui verraient leurs forces se renouveler si nous traitions d’une manière équivoque ou indécise ces hommes en qui ces forces survivent encore temporairement.
Ce que ces hommes représentent, nous le révélerons patiemment et posément. Nous vous donnerons des preuves indéniables d’actes inimaginables. Il ne manquera à la liste de leurs crimes aucun acte pouvant être conçu par un orgueil et une cruauté pathologiques et par la passion de la puissance. Ces hommes créèrent en Allemagne, sous l’égide du « Führerprinzip », un despotisme national-socialiste qui n’a pour égal que les dynasties de l’ancien Orient. Ils enlevèrent au peuple allemand toutes les dignités et libertés que nous considérons comme droits naturels et inaliénables de tout être humain. En compensation, le peuple allemand fut animé d’une haine enflammée et exaltante envers ceux qui étaient marqués comme « boucs émissaires ». Contre leurs adversaires, y compris les Juifs, les catholiques et les syndicats libres, les nazis dirigèrent une campagne d’arrogance, de brutalité et de dévastation, telle que le monde n’en avait connue depuis les âges antérieurs au Christianisme. Ils poussèrent l’ambition des Allemands à être une « race de seigneurs », ce qui naturellement comporte l’asservissement des autres. Ils entraînèrent leur peuple dans un risque insensé pour atteindre la domination. Ils détournèrent les forces et les ressources sociales afin de créer ce qu’ils pensaient être une machine de guerre invincible. Ils envahirent leurs voisins ; pour soutenir « la race des seigneurs » dans ses activités guerrières, ils réduisirent en esclavage des millions d’êtres humains et les amenèrent en Allemagne où ces infortunés errent encore comme « personnes déplacées ». Enfin la bestialité et la mauvaise foi atteignirent de tels excès qu’elles éveillèrent les forces dormantes de la civilisation en péril, dont les efforts concertés ont broyé la machine de guerre allemande ; mais cette lutte a fait de l’Europe une terre libérée bien qu’abattue où des peuples démoralisés s’efforcent de survivre. Telles sont les conséquences des forces sinistres représentées par ces hommes assis au banc des accusés.
En toute justice, à l’égard des nations et des hommes qui se trouvent associés à cette accusation, je dois rappeler certaines difficultés qui pourraient laisser leur empreinte sur ce Procès. Jusqu’ici, il n’existe dans l’histoire du Droit aucun exemple d’une tentative visant à amener dans le cadre d’un seul procès les événements d’une dizaine d’années, s’étendant à un continent tout entier et touchant un ensemble de pays et un nombre incalculable d’hommes et de faits. Malgré l’immensité de cette tâche, le monde entier a exigé des mesures immédiates. Il a fallu faire droit à cette demande, même peut-être au prix d’une œuvre moins parfaite. Dans mon propre pays, les tribunaux réguliers qui suivent une procédure traditionnelle, qui appliquent des précédents longuement confirmés et traitent de conséquences légales d’événements locaux et restreints, entament rarement un procès moins d’un an après les faits en litige. Et cependant, il y a moins de huit mois, la salle d’audience dans laquelle vous siégez était une place forte ennemie entre les mains des troupes SS allemandes. Il y a moins de huit mois, nos témoins et nos documents étaient pour la plupart entre les mains de l’ennemi ; le Droit actuel n’avait pas été codifié, aucune procédure n’avait été instituée, aucun tribunal n’avait été formé, aucune salle d’audience utilisable n’existait ici, pas un document parmi les centaines de tonnes d’archives allemandes n’avait été examiné, aucun Ministère Public n’avait été constitué ; pour la plupart, tous les accusés présents étaient en liberté et les quatre puissances participant à l’accusation ne s’étaient pas encore unies pour les poursuivre. Je devrais être le dernier à nier que ce Procès ne souffrira pas des conséquences de recherches insuffisantes et qu’il ne sera très probablement pas un exemple de travail professionnel dont l’une des puissances accusatrices désirerait normalement répondre. Il constitue néanmoins une cause parfaitement suffisante pour le jugement que nous vous demanderons de prononcer ; quant à son plein développement, nous serons obligés de le laisser aux historiens.
Avant d’entrer dans la discussion détaillée des preuves, des considérations d’ordre général, pouvant influer sur le crédit accordé à ce Procès aux yeux du monde, doivent être envisagées en toute franchise.
Une différence saisissante existe entre la situation des accusateurs et celle des accusés, différence qui pourrait discréditer notre tâche si nous manquions, même pour les questions de moindre importance, de nous montrer justes et modérés.
Malheureusement, le caractère de ces crimes est tel que l’accusation doit être présentée, et le jugement rendu, par les nations victorieuses contre leur ennemi vaincu. Le caractère mondial des actes d’agression commis par ces hommes n’a laissé que quelques pays réellement neutres. Ou bien les vainqueurs doivent juger les vaincus, ou bien nous devrons laisser aux vaincus le soin de se juger eux-mêmes. Après la première guerre mondiale, nous avons appris combien il était futile de se fier à cette dernière solution. La situation importante qu’avaient occupée ces accusés, la notoriété de leurs actions et le fait que leur conduite pouvait provoquer des représailles, rendent difficile toute distinction entre la demande d’une punition juste et mesurée et les cris déraisonnés de vengeance provoqués par les angoisses de la guerre. Notre tâche, dans la mesure où cela est humainement possible, sera de marquer la distinction entre les deux procédés. Il faut que jamais nous n’oubliions que les faits sur lesquels nous jugeons ces accusés aujourd’hui, sont les faits sur lesquels l’Histoire nous jugera nous-mêmes demain. Tendre un calice empoisonné à ces accusés, c’est le porter nous-mêmes à nos lèvres. Il faut, dans notre tâche, que nous fassions preuve d’une objectivité et d’une intégrité intellectuelle telles que ce Procès s’impose à la postérité, comme ayant répondu aux aspirations de justice de l’Humanité.
Au début même de ce Procès, nous devons examiner l’argument selon lequel traduire ces hommes en justice est commettre à leur égard une injustice qui leur donnerait droit à une considération particulière. On exerce peut-être une pression sur ces accusés mais ils ne sont pas maltraités. Examinons l’alternative qui s’offre à eux en étant jugés.
Ces prisonniers, pour la majorité, se sont rendus ou furent découverts par l’Armée des États-Unis. Pouvaient-ils s’attendre à ce que nous transformions la surveillance américaine en une protection pour nos ennemis, contre la juste colère de nos alliés ? Avons-nous sacrifié des vies américaines pour les capturer, simplement afin de leur éviter le châtiment ?
D’après les principes de la Déclaration de Moscou, ceux qui sont suspects de crimes de guerre ne doivent pas être traduits devant un tribunal international, mais être remis aux différents Gouvernements afin d’être jugés à l’endroit même où ils commirent leurs crimes. Un grand nombre de prisonniers moins responsables et moins coupables, détenus par les Américains, ont déjà été et continueront à être livrés aux Nations alliées pour des procès locaux. Si ces accusés devaient, pour une raison quelconque, échapper à la condamnation de ce Tribunal, ou s’ils font obstruction ou entraînent l’échec de ce Procès, ceux qui parmi eux sont détenus par les autorités américaines seront livrés à nos alliés européens. Pour ces accusés cependant, nous avons institué un Tribunal International et nous avons accepté la charge de participer à un effort complexe afin de leur accorder des débats impartiaux et sans passion. C’est la meilleure protection qui puisse être offerte à quiconque possède une défense digne d’être entendue.
Si ces hommes sont les premiers chefs de guerre d’une nation battue qui soient poursuivis au nom de la loi, ce sont aussi les premiers auxquels a été donnée l’occasion de défendre leur vie devant la loi. Le Statut de ce Tribunal qui leur permet de se défendre est aussi leur seul espoir. Il se peut que ces hommes à la conscience trouble, dont le seul désir est que le monde les oublie, ne considèrent pas ce jugement comme une faveur. Mais ils ont une possibilité loyale de se défendre, faveur que ces hommes, quand ils étaient au pouvoir, ont rarement offerte à leurs compatriotes. En dépit du fait que l’opinion publique condamne déjà leurs actes, nous admettons qu’ils doivent bénéficier ici d’une présomption de non-culpabilité et nous acceptons la charge de prouver les actes criminels et la responsabilité de ces accusés.
Quand je dis que nous ne demandons pas de condamnation à moins d’avoir prouvé le crime, je ne vise pas de simples violations techniques ou fortuites des conventions internationales. Nous accusons ces hommes pour leur conduite intentionnelle et calculée qui comprenait des injustices morales aussi bien que légales. Et nous ne visons pas non plus une conduite naturelle et humaine, même si elle est illégale et empirique, telle que beaucoup d’entre nous pourraient l’avoir adoptée s’ils s’étaient trouvés dans la situation des accusés. Ce n’est pas pour avoir cédé à des faiblesses humaines normales que nous les accusons. C’est leur conduite anormale et inhumaine qui les a menés au banc des accusés.
Nous ne vous demandons pas de les condamner d’après les témoignages de leurs ennemis. Il n’y a pas de chef d’accusation qui ne puisse être prouvé par des livres et des archives. Les Allemands ont toujours été des archivistes méticuleux et les accusés partageaient la passion de tout enregistrer soigneusement. Ils ne manquaient pas non plus de vanité. Ils se faisaient souvent photographier au cours de leurs actes. Nous vous montrerons leurs propres films. Vous verrez la façon dont ils se conduisaient et vous entendrez leur voix, quand les accusés vous feront revivre sur l’écran certains événements de la conspiration.
Nous avons l’intention d’exprimer clairement que nous ne voulons pas incriminer le peuple allemand tout entier. Nous savons que le parti nazi n’a pas pris le pouvoir par une majorité de voix allemandes. Nous savons qu’il est monté au pouvoir grâce à une alliance néfaste des extrémistes révolutionnaires nazis, des plus effrénés réactionnaires allemands et des militaristes allemands les plus agressifs. Si le peuple allemand avait accepté le programme nazi de son plein accord, le Parti à ses débuts n’aurait pas eu besoin des Sturm Truppen, pas plus que de camps de concentration ni de Gestapo ; ces deux institutions ont été créées dès que les nazis ont pris le contrôle de l’État allemand. Ces créations illégales ne furent appliquées à l’étranger qu’après avoir fait leurs preuves en Allemagne même.
Le peuple allemand doit maintenant savoir que le peuple des États-Unis ne connaît ni peur, ni haine. Il est vrai que les Allemands nous ont appris les horreurs de la guerre moderne, mais les ruines qui s’étendent du Rhin au Danube démontrent que nous-mêmes, ainsi que nos Alliés, n’avons pas été de mauvais élèves. Si nous ne sommes pas fortement impressionnés par la bravoure des Allemands et leurs capacités dans l’art de la guerre et si nous ne sommes point persuadés de leur maturité politique, nous reconnaissons leurs talents dans les arts pacifiques, leur habileté technique et le caractère sobre, laborieux et discipliné de la masse du peuple allemand. En 1933, nous avons vu ce peuple allemand retrouver son prestige dans le monde commercial, industriel et artistique après l’échec de la dernière guerre. Nous étions témoins de ses progrès sans jalousie ni rancune. Le régime nazi a interrompu ce progrès. Le contre-coup de l’agression nazie a laissé l’Allemagne en ruines. La facilité avec laquelle les nazis engageaient sans hésitation la parole de l’Allemagne, et celle avec laquelle ils rompaient leurs engagements sans vergogne, ont donné à la diplomatie allemande une réputation de mauvaise foi qui lui nuira pendant des années. La vantardise nazie concernant la « race des seigneurs » est devenue un sarcasme qui poursuivra les Allemands dans le monde entier pendant plusieurs générations. Le cauchemar nazi a marqué le nom allemand d’un sens nouveau et sinistre dans le monde, ce qui fera piétiner l’Allemagne pendant un siècle. L’Allemagne, tout autant que le monde non allemand, a des comptes à régler avec ces accusés.
Le fait de la guerre et le déroulement de celle-ci, thème principal de notre Procès, appartiennent à l’Histoire. Du 1er septembre 1939, quand les armées allemandes franchirent les frontières de Pologne, jusqu’en septembre 1942, quand elles se heurtèrent à la résistance acharnée de Stalingrad, les armes allemandes semblèrent invincibles. Le Danemark et la Norvège, les Pays-Bas et la France, la Belgique et le Luxembourg, les Balkans et l’Afrique, la Pologne et les Pays Baltes et une partie de la Russie avaient été envahis et conquis par des actions rapides, puissantes et bien dirigées. Cette attaque dirigée contre la Paix mondiale constitue le crime contre la société internationale, qui porte à la connaissance du monde entier, les crimes commis pour l’appuyer et la préparer, crimes qui autrement pourraient n’avoir qu’un intérêt national. C’était la guerre d’agression, à laquelle les nations avaient renoncé. C’était la guerre en violation des traités qui tentaient de sauvegarder la Paix mondiale.
Cette guerre ne fut pas un fait du hasard, elle fut préparée et conçue pendant longtemps avec habileté et ruse. Le monde n’a peut-être jamais été témoin d’une concentration et d’une stimulation des énergies d’un peuple, semblables à celles qui ont permis à l’Allemagne, vingt ans après sa défaite, son désarmement et son démembrement, d’arriver si près de la réalisation de son plan de domination de l’Europe. Quoi que nous puissions dire des fauteurs de cette guerre, ils avaient réalisé une organisation étonnante et notre premier travail est d’étudier les moyens par lesquels les accusés et leurs complices ont participé et incité l’Allemagne à la guerre.
Nous montrerons de façon générale qu’à un moment donné ces accusés ont tous été d’accord avec le parti nazi, pour un dessein qu’ils savaient ne pouvoir s’accomplir que grâce au déclenchement de la guerre en Europe. La prise du pouvoir en Allemagne, l’assujettissement du peuple allemand, le terrorisme et l’extermination d’éléments dissidents, la conception et la conduite de la guerre, la façon calculée, préméditée et impitoyable de la mener, les crimes délibérés et prémédités envers les peuples conquis : c’est à la réalisation de ces fins qu’ils ont travaillé de concert et ce sont des phases du complot, qui n’atteignait un but, que pour s’élancer vers un autre plus ambitieux encore. Nous allons aussi retracer l’enchaînement compliqué des organisations que ces hommes avaient créées et utilisées pour arriver à ces fins. Nous montrerons comment l’organisation des bureaux et du personnel était consacrée à des visées criminelles et vouée à l’utilisation des méthodes criminelles établies par les accusés et leurs complices, dont beaucoup ont été mis hors d’atteinte par la guerre ou le suicide.
Mon intention est d’ouvrir le Procès spécialement avec le premier chef de l’Acte d’accusation et de traiter du plan concerté ou complot pour obtenir des résultats qui n’étaient possibles qu’en recourant à des crimes contre la Paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité. Je n’insisterai pas sur les actes individuels de barbarie ou de perversion qui ont pu se produire, indépendamment de tout plan central. L’un des dangers toujours présent dans ce Procès est qu’il puisse être prolongé par les détails d’infractions déterminées et qu’il se perde dans un amas de cas particuliers. Je n’insisterai pas non plus, actuellement, sur l’activité personnelle de chaque accusé, à moins qu’elle ne puisse contribuer à exposer le plan concerté.
L’accusation, telle qu’elle sera présentée par les États-Unis, traitera des personnes et de l’autorité qui ont suscité tous ces crimes. La situation et le rang des accusés ne leur permettaient pas de se souiller les mains de sang. C’étaient des hommes qui savaient se servir des gens d’une situation inférieure. Nous voulons atteindre ceux qui ont prémédité et tracé les plans, ceux qui ont été les instigateurs et les chefs, sans les plans pernicieux desquels, en effet, le monde n’aurait pas subi si longtemps le fléau de la violence et de l’illégalité et n’aurait pas sombré dans les souffrances et les convulsions de cette terrible guerre.
L’accession illégale au pouvoir.
L’instrument principal de cohésion entre le plan et l’action est le parti ouvrier national-socialiste allemand, connu sous le nom de parti nazi. Certains des accusés en étaient membres depuis le début. D’autres n’y adhérèrent que lorsque le succès sembla avoir validé son illégalité, ou que son pouvoir lui eut accordé l’immunité contre les atteintes de la loi. Adolf Hitler devint son chef suprême ou « Führer » en 1921. Le 24 février 1920, à Munich, il avait publiquement annoncé son programme (document PS-1708). Certains de ses buts se recommandaient d’eux mêmes à beaucoup de bons citoyens, tels, par exemple, la demande de « participation au bénéfice des grandes industries », un « large développement des mesures de prévoyance pour la vieillesse », la « création et le maintien d’une classe moyenne saine », une « réforme agraire correspondant à nos besoins nationaux », et « l’élévation du standard sanitaire ». Il faisait également un appel énergique à cette sorte de nationalisme que nous appelons patriotisme et, nos rivaux, chauvinisme. Il demandait « l’égalité des droits pour le peuple allemand dans ses rapports avec les autres nations et l’abolition des Traités de Paix de Versailles et de Saint-Germain ». Il demandait « l’union de tous les Allemands sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, pour former une Grande Allemagne ». Il réclamait « des terres et des territoires (colonies) pour l’enrichissement de notre peuple et l’installation de notre excédent de population ». Tous ces buts étaient évidemment légitimes si l’on pouvait les atteindre sans recourir à une guerre d’agression.
Dès son origine, cependant, le parti nazi envisageait la guerre. Il demandait « l’abolition de l’armée de métier et réclamait la formation d’une armée nationale ». Il proclamait que « étant donnés les sacrifices énormes en vies et en biens réclamés à une nation par toute guerre, l’enrichissement personnel par la guerre doit être considéré comme un crime contre la nation. Nous demandons, en conséquence, la confiscation impitoyable de tous les profits de guerre ». Je ne blâme pas cette politique. En réalité, je voudrais qu’elle fût universelle. Je veux simplement faire remarquer qu’en temps de paix, la guerre était une préoccupation du parti nazi et qu’il entreprit de rendre l’idée de guerre moins désagréable à la masse du peuple. Avec cela, il mit sur pied un programme d’entraînement physique, et de sports pour la jeunesse qui, ainsi que nous le verrons, devint un programme secret d’entraînement militaire.
La proclamation du parti nazi assignait à ses membres l’exécution d’un programme antisémite. Elle déclarait qu’aucun Juif ou aucune personne qui n’était pas de race allemande ne pouvait faire partie de la nation. Ces personnes devaient être privées de leurs droits, perdre leur situation, être soumises aux lois relatives aux étrangers et ne devaient être nourries que lorsque la population allemande était pourvue. Tous ceux qui étaient arrivés en Allemagne après le 2 août 1914 devaient être invités à la quitter sans délai et toute immigration non allemande devait être interdite.
Le Parti avouait aussi, même dès ces premiers jours, un programme autoritaire et totalitaire pour l’Allemagne. Il demandait la création d’un pouvoir central fort avec une autorité illimitée, la nationalisation de toutes les affaires groupées en consortium et le renouvellement du système national d’éducation « dont le but doit être d’enseigner à l’élève la compréhension de l’idée d’Etat (sociologie d’Etat) ». Son hostilité aux idées de liberté civile et de liberté de la presse était annoncée clairement par ces mots : « Il doit être interdit de publier des journaux qui ne contribuent pas au bien de la nation. Nous demandons des poursuites judiciaires contre toutes les tendances artistiques ou littéraires de nature à nuire à notre vie en tant que nation, et la suppression des institutions qui pourraient combattre les exigences ci-dessus indiquées. »
Le projet de persécution religieuse était enveloppé du langage de la liberté religieuse, car le programme nazi disait : « Nous demandons la liberté pour toutes les sectes religieuses dans l’État… » Mais il continuait avec cette restriction : « … En tant qu’elles ne sont pas un danger pour lui et ne combattent ni la moralité, ni le sens moral de la race allemande ».
Le programme du Parti laissait entrevoir la campagne de terrorisme. Il annonçait : « Nous demandons une guerre impitoyable contre ceux dont l’activité est nuisible aux intérêts communs » et il demandait que ces crimes fussent punis de mort. Il est significatif que les chefs du Parti aient interprété ce programme comme un programme belliqueux qui précipiterait de façon certaine le conflit. Le programme politique du Parti concluait : « Les chefs du Parti jurent de s’efforcer, sans tenir compte des conséquences, et si besoin est en sacrifiant leur vie, de se conformer aux points ci-dessus ». C’est le Corps des chefs politiques du Parti, et non pas tous ses membres, qui est accusé comme organisation criminelle.
Voyons maintenant comment les chefs du Parti remplirent leurs engagements de poursuivre leurs buts sans considération des conséquences. Manifestement, leurs objectifs extérieurs, qui n’étaient rien moins que de violer les traités internationaux et d’arracher des territoires du contrôle étranger, aussi bien que la plus grande partie de leur programme intérieur, ne pouvaient être atteints que par la possession du mécanisme de l’État allemand. Par conséquent, leur premier effort fut de renverser la République de Weimar par une violente révolution. Le putsch avorté de Munich, en 1923, mena un grand nombre d’entre eux en prison. La période de méditation qui suivit, produisit Mein Kampf qui devint la source de la loi des travailleurs du Parti et une source de revenus considérable pour son Chef suprême. Les plans nazis pour le renversement par la violence de la faible République se transformèrent alors en plans pour la prise du pouvoir.
On ne pourrait faire de plus grave erreur que de s’imaginer le parti nazi sous la forme d’une de ces organisations sans homogénéité que nous, occidentaux, appelons « partis politiques ». Par sa discipline, sa structure et sa méthode, le parti nazi n’était pas adapté aux procédés démocratiques de persuasion ; c’était un instrument de complot et de coercition. Le Parti ne fut pas organisé pour prendre le pouvoir dans l’État allemand avec l’assistance victorieuse de la majorité du peuple allemand ; il fut organisé pour s’emparer du pouvoir malgré la volonté du peuple.
Le parti nazi, soumis au « Führerprinzip », constituait grâce à une discipline de fer, une pyramide dont le Führer, Adolf Hitler, constituait le sommet et qui allait s’élargissant en un important corps de dirigeants, composé de suzerains menant de très nombreux adhérents au Parti. Tous ceux qui ont pu aider le mouvement d’une façon ou d’une autre, n’étaient pas nécessairement membres du Parti. Les membres prêtaient serment au Parti, serment qui, en fait, correspondait à une abdication de l’intelligence personnelle et de la responsabilité morale. Voici ce serment : « Je jure fidélité inviolable et obéissance absolue à Adolf Hitler, ainsi qu’aux chefs qu’il me désignera ». Dans la pratique quotidienne, les membres suivaient leur chef avec une idolâtrie et une abdication de la personnalité plus orientale qu’occidentale. Nous ne serons pas obligés de faire des suppositions quant aux intentions et au but du parti nazi. Le but immédiat était de détruire progressivement la République de Weimar. L’ordre d’agir dans ce sens fut donné à tous les membres du Parti, dans une lettre de Hitler du 24 août 1931, adressée à l’accusé Rosenberg, lettre dont nous produirons l’original.
Hitler écrivait : « Je viens de lire un article du Völkischer Beobachter, numéros 235/236, page 1, intitulé : "Wirth a-t-il l’intention de venir ?" L’article tend à nous empêcher de nous éloigner de la forme actuelle de Gouvernement. Je parcours moi-même toute l’Allemagne dans un but exactement opposé. J’aimerais donc que mon propre journal ne me poignardât pas dans le dos avec des articles inspirés par une tactique imprudente… » (Document PS-047.)
Un film saisi nous permet de présenter l’accusé Alfred Rosenberg qui, de l’écran, vous exposera lui-même toute l’histoire de cette période. Les SA intervinrent violemment dans les élections. Nous avons ici les rapports du SD décrivant en détail, comment ses membres violèrent, plus tard, le secret des élections pour identifier leurs adversaires. L’un de ces rapports donne les explications suivantes :
« … Le contrôle fut exercé de la manière suivante : certains membres des comités électoraux avaient numéroté tous les bulletins. Au cours du scrutin lui-même, une liste d’électeurs fut dressée. Les bulletins furent remis dans l’ordre numérique. Il fut donc possible ensuite avec l’aide de cette liste de retrouver les personnes qui avaient voté "non" ou dont les bulletins étaient nuls. Ci-joint un exemplaire de ces bulletins numérotés. Le numéro était indiqué au verso du bulletin avec du lait écrémé… » (Document R-142.)
L’activité du Parti, outre toutes les formes ordinaires de lutte politique, prit l’aspect d’une répétition en vue d’une guerre. On y employa une formation du Parti, les Sturmabteilungen, connues généralement sous le nom de SA. C’était une organisation de volontaires nazis, jeunes et fanatiques, entraînés à l’usage de la violence et soumis à une discipline semi-militaire. Ses membres commencèrent par agir comme gardes du corps des chefs nazis et passèrent rapidement de la défensive à l’offensive. Ils devinrent des bandits disciplinés, entraînés à briser les réunions de l’opposition et à terroriser leurs adversaires. Ils se vantaient de ce que leur tâche fût de faire du parti nazi « le maître de la rue ». Les SA furent la souche d’un certain nombre d’autres organismes, parmi lesquels : les Schutzstaffeln, organisation connue généralement sous le nom de SS, formée en 1925 et se distinguant par le fanatisme et la cruauté de ses membres ; le Sicherheitsdienst, connu sous le nom de SD, et la Geheime Staatspolizei (Police secrète d’État), l’infâme Gestapo formée en 1934, après la prise du pouvoir par le parti nazi.
Un simple regard jeté sur un tableau de l’organisation du Parti suffit à montrer combien il diffère profondément des partis politiques que nous connaissons. Il avait sa propre source de droit dans le Führer et les Unterführer. Il avait ses propres tribunaux et sa propre police. Les conspirateurs organisèrent un Gouvernement au sein du Parti pour appliquer, en dehors de la loi, toutes les sanctions d’un État légitime et bien d’autres en dehors de son ressort. Sa hiérarchie était militaire et ses formations étaient guerrières, tant par leur nom que par leur fonction. Elles étaient composées de bataillons organisés pour porter les armes avec une discipline militaire, de corps motorisés, de groupes d’Aviation et des infâmes Totenkopfverbände (Unités de SS Tête-de-Mort), qui portaient si bien leur nom.
Le Parti avait sa propre police secrète, ses unités de sécurité, son service de renseignements et d’espionnage, ses sections d’assaut et ses organisations de jeunesse. Il organisa des mécanismes administratifs compliqués en vue d’identifier et de supprimer les espions et les informateurs, de diriger les camps de concentration, de faire fonctionner les fourgons de la mort et de financer tout le mouvement. Au moyen de ces cercles concentriques d’autorité, le parti nazi, comme ses chefs s’en vantèrent plus tard, organisa et domina finalement chaque phase de la vie allemande, mais pas avant d’avoir engagé une violente lutte intérieure, caractérisée par une criminalité brutale que nous dénonçons ici. Pour préparer cette phase de leur lutte, les nazis créèrent le système policier du Parti. Celui-ci devint le modèle et l’instrument de l’État policier : c’était le premier but de leur plan.
Les formations du Parti, y compris le Corps des chefs politiques du Parti, le SD, les SS, les SA et l’infâme Police secrète d’État ou Gestapo, toutes ces formations sont accusées en tant qu’organisations criminelles, organisations qui, comme nous le prouverons d’après leurs propres documents, n’étaient recrutées que parmi les nazis témérairement dévoués, prêts par leurs convictions et leur tempérament à exécuter les actes les plus violents pour faire réussir le programme concerté. Ils terrorisèrent et réduisirent au silence l’opposition démocratique et purent à la fin s’associer avec des opportunistes politiques, des militaires, des industriels, des monarchistes et des réactionnaires politiques.
Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devint Chancelier de la République allemande. Une combinaison néfaste, représentée au banc des accusés par ses plus éminents survivants, avait réussi, en s’emparant du mécanisme du Gouvernement allemand, à édifier une façade derrière laquelle, par la suite, ils pouvaient réaliser la guerre de conquête qu’ils avaient complotée depuis si longtemps. La conspiration était entrée dans sa seconde phase.
La consolidation du pouvoir.
Nous allons maintenant considérer les mesures qui, progressivement, amenèrent les crimes les plus abominables contre l’Humanité, mesures que les conspirateurs avaient prises pour dominer complètement l’État allemand et préparer l’Allemagne à une guerre d’agression, indispensable à la réalisation de leurs desseins.
Les Allemands étaient en 1920 un peuple frustré et déconcerté par la défaite et la désagrégation de son Gouvernement traditionnel. Les éléments démocrates, qui essayaient de gouverner l’Allemagne en faisant fonctionner les rouages de la nouvelle et faible République de Weimar, ne furent pas suffisamment soutenus par les forces démocratiques dans le reste du monde, mon pays compris. On ne peut nier que l’Allemagne, lorsque la crise mondiale s’ajouta à ses autres problèmes, eut à trouver des solutions à des problèmes économiques et politiques complexes nécessitant des mesures hardies.
Les mesures intérieures par lesquelles un pays cherche la solution de ses problèmes ne regardent en général pas les autres nations. Mais, dès le début, on reconnut dans le programme nazi un programme désespéré, destiné à un peuple souffrant encore des effets d’une guerre perdue. La politique nazie comportait des buts qui, on l’a toujours reconnu, ne pouvaient être atteints en Europe, que par une nouvelle guerre plus heureuse. La solution du problème allemand, telle que les conspirateurs la concevaient, n’était, ni plus ni moins, qu’un complot pour reprendre les territoires perdus lors de la première guerre mondiale et pour acquérir d’autres territoires fertiles de l’Europe centrale par la dépossession et l’extermination de leurs habitants. Ils se proposaient également de détruire ou d’affaiblir d’une façon permanente tous les autres pays voisins afin de s’assurer, en pratique, la domination de l’Europe et probablement du monde. Il n’est pas nécessaire de préciser les limites exactes de leurs ambitions car il était et il est illégal de faire la guerre, quelle que soit l’importance de l’enjeu.
À cette époque, il y avait deux Gouvernements en Allemagne, le réel et l’ostensible. L’appareil extérieur de la République allemande fut momentanément maintenu ; c’était le Gouvernement extérieur et apparent. Mais la réelle autorité de l’État était autre et au-dessus de la loi : elle reposait sur le Corps des chefs politiques du parti nazi.
Le 27 février 1933, moins d’un mois après la nomination de Hitler au poste de Chancelier, le Reichstag fut incendié. L’incendie de ce symbole du Gouvernement parlementaire libre était si providentiel pour les nazis, que l’on crut qu’ils l’avaient incendié eux-mêmes. Certes, quand nous considérons leurs crimes qui nous sont connus, nous ne pouvons croire qu’ils auraient reculé devant un simple incendie volontaire. Cependant, il n’est pas nécessaire de résoudre la question de savoir qui a déclenché l’incendie. Le point significatif est l’emploi que l’on fit de l’incendie et de l’état d’esprit qu’il créa. Les nazis accusèrent immédiatement le parti communiste d’avoir préparé et commis le crime et ils dirigèrent tous leurs efforts de façon à démontrer que ce simple acte d’incendiaires était le début d’une révolution communiste. Alors, profitant de la tension nerveuse, les nazis transformèrent cette révolution fantôme en une révolution véritable. En décembre 1933, la Cour suprême allemande, avec un courage et une indépendance louables, acquitta les accusés communistes ; mais il était trop tard pour influer sur le cours tragique des événements que les conspirateurs nazis avaient précipité.
Dès le lendemain matin de l’incendie, Hitler obtint du président von Hindenburg, âgé et souffrant, un décret présidentiel suspendant les garanties étendues de la liberté individuelle contenues dans la Constitution de la République de Weimar. Le décret stipulait que : « Les articles 114, 115, 117, 118, 123, 124 et 153 de la Constitution du Reich allemand sont suspendus jusqu’à nouvel avis. Ainsi, les restrictions de la liberté personnelle, du droit de libre expression de l’opinion, y compris la liberté de la presse, du droit de réunion et d’association, les violations du secret des communications postales, télégraphiques et téléphoniques et les mandats de perquisition, les ordres de confiscation et de restriction de la propriété, peuvent aussi être permis au delà des limites légales prescrites par ailleurs. » (Document PS-1390.)
Toute l’importance des restrictions de la liberté individuelle contenues dans le décret du 28 février 1933, peut être comprise en se référant aux droits accordés par la Constitution de Weimar qui venaient d’être suspendus :
« Article 114. – La liberté de l’individu est inviolable. La suppression ou une atteinte à la liberté personnelle par les autorités publiques n’est permise que sur des bases légales. Dans les vingt-quatre heures, au plus tard, les personnes arrêtées doivent être renseignées sur l’autorité ayant ordonné leur détention, sur les causes de cette détention, et doivent être mises sans délai en état de se défendre contre l’atteinte portée à leur liberté.
« Article 115. – Chaque foyer allemand est un sanctuaire inviolable. Des exceptions peuvent être faites dans les cas prévus par la loi.
« Article 117. – Le secret des communications postales, télégraphiques et téléphoniques est inviolable ; des exceptions ne sont admissibles que dans les cas prévus par la loi du Reich.
« Article 118. – La liberté d’expression sous toutes ses formes, est un droit pour tout Allemand, liberté telle que les lois en général l’entendent, que ce soit par la parole, l’écrit, l’imprimé, le dessin ou par tout autre moyen. Aucune condition de travail ou d’emploi ne peut supprimer ce droit et aucun désavantage ne peut résulter pour personne de l’exercice de ce droit… .
« Article 123. – Tous les Allemands ont le droit de se réunir pacifiquement, non armés, sans avis préalable et sans permission spéciale. De par une loi du Reich, les réunions en plein air doivent être obligatoirement notifiées au préalable et peuvent être défendues en cas de danger immédiat pour la sûreté publique.
« Article 124. – Tous les Allemands ont le droit de former toutes associations ou sociétés dont les buts sont conformes à la loi. Ce droit ne peut pas être diminué par des mesures préventives et s’applique également aux associations et sociétés religieuses. Chaque association peut acquérir la personnalité juridique (Erwerb der Rechtsfähigkeit), selon les stipulations du Droit civil. Ce droit ne peut être refusé à aucune association sous le prétexte que ses buts sont politiques, sociaux-politiques ou religieux.
« Article 153. – La propriété est garantie par la Constitution. Son contenu et ses limites sont définies par les lois. L’expropriation peut seulement avoir lieu sur des bases légales au profit du bien public. Des compensations adéquates seront accordées, à moins qu’une loi du Reich en décide autrement. Toute contestation sur le montant de l’indemnité sera soumise aux Tribunaux civils ordinaires, à moins que les lois du Reich y soient contraires. Une compensation doit être payée si le Reich exproprie des biens appartenant à des territoires, communes ou associations d’utilité publique. La propriété comporte des obligations ; son usage servira aussi le bien général. » (Document PS-2050.)
Pour rendre justice à von Hindenburg, on doit mentionner que la Constitution elle-même l’autorisait temporairement à suspendre ces droits fondamentaux « si la sécurité et l’ordre public du Reich allemand étaient considérablement troublés ou menacés ». On doit également reconnaître que le président Ebert avait précédemment invoqué ce pouvoir. Mais le coup de force des nationaux-socialistes fut rendu possible parce que les termes du décret Hitler-Hindenburg étaient différents de tous ceux dont on avait précédemment fait état, lorsque le pouvoir de suspension avait été invoqué.
Chaque fois que le président Ebert avait suspendu les garanties constitutionnelles des droits individuels, son décret avait expressément fait revivre la loi d’incarcération protectrice, adoptée par le Reichstag en 1916, au cours de la guerre précédente. Cette loi garantissait une audience judiciaire dans les vingt-quatre heures de l’arrestation, accordait le droit d’avoir un avocat et de lire tous les procès-verbaux relatifs à l’affaire, stipulait le droit de faire appel et prévoyait une compensation prise sur les fonds publics pour les arrestations effectuées par erreur.
Le décret Hitler-Hindenburg du 28 février 1933 ne contenait aucune de ces garanties. Leur omission a pu échapper à l’attention de Hindenburg ; certes, il n’apprécia pas ses effets ; elle donnait à la Police nazie et aux formations du Parti existant et fonctionnant déjà sous les ordres de Hitler, une liberté d’agir sans restrictions et sans responsabilité ; l’arrestation secrète et la détention indéfinie sans accusation, sans preuves, sans audience, sans avocat, devinrent une méthode courante d’infliger des punitions inhumaines à tous ceux qui déplaisaient ou étaient suspects à la Police nazie. Aucune juridiction ne pouvait s’y opposer, ni ordonner la mise en liberté, ni réclamer un nouvel examen du dossier. Le peuple allemand était entre les mains de la Police et la Police entre celles du parti nazi, et le Parti entre les mains d’une bande d’hommes perfides, dont les accusés, ici présents, sont les chefs et les représentants survivants.
La conspiration nazie, ainsi que nous le démontrerons, avait pour but, non seulement d’écraser l’opposition existante, mais encore d’exterminer les éléments irrémédiablement opposés à son idéologie de l’État. Elle ne visait pas seulement à établir le « nouvel ordre » nazi, mais aussi à assurer sa domination « pendant mille ans », comme Hitler le prédisait. Les nazis n’hésitèrent jamais, ne furent jamais d’un avis différent sur les éléments dissidents. Ces derniers furent définis brièvement par l’un d’eux, le général von Fritsch, le 11 décembre 1938, en ces termes :
« Peu de temps après la première guerre, j’en vins à cette conclusion que nous aurions à gagner trois batailles pour que l’Allemagne redevînt puissante, à savoir :
« 1. Bataille contre les classes ouvrières. Hitler l’a gagnée ;
« 2. Bataille contre l’Eglise catholique ou plus exactement contre les ultramontains ;
« 3. Bataille contre les Juifs. » (PS-1947).
La lutte contre ces éléments fut continue. La lutte en Allemagne ne fut qu’un exercice en vue d’un assaut mondial contre ces mêmes éléments. On distingue dans l’espace et dans le temps deux groupes de crimes contre l’Humanité – l’un comprend les crimes commis en Allemagne avant et pendant la guerre, l’autre comprend ceux commis dans les territoires occupés pendant la guerre – mais les deux ne sont pas distincts dans le plan nazi. Ils constituent le déroulement du plan nazi d’extermination des peuples et des institutions capables de servir, à tout instant, de foyer ou d’instrument contre le « nouvel ordre mondial ».
Nous considérons ici ces crimes contre l’Humanité énoncés dans ces lignes comme des manifestations du plan nazi unique et nous en discuterons en suivant la classification du général von Fritsch lui-même.
1. La lutte contre la classe ouvrière.
Quand Hitler arriva au pouvoir, il y avait en Allemagne trois groupes de syndicats. La Confédération générale des Syndicats allemands (ADGB) comprenant vingt-huit syndicats affiliés ; la Confédération générale des travailleurs indépendants (AFA) comprenant treize syndicats confédérés qui groupaient plus de 4.500.000 membres ; le Syndicat chrétien avec plus de 1.250.000 membres.
Les travailleurs allemands, comme d’ailleurs les travailleurs des autres pays, avaient personnellement peu à gagner dans la guerre. S’il est vrai que le travail aide habituellement une nation à faire la guerre, il est par lui-même une force pacifique, bien qu’en aucune façon il ne soit une force pacifiste dans le monde. Les travailleurs allemands n’avaient pas oublié en 1933 à quel point le joug des seigneurs de la guerre peut être lourd. C’étaient les travailleurs qui s’étaient ralliés aux marins et soldats lors de la révolte de 1918, pour mettre fin à la première guerre mondiale. Les nazis n’avaient pas plus pardonné qu’oublié. Le programme nazi exigeait que cette partie de la population allemande fût privée non seulement du moyen d’empêcher l’échange de son maigre confort contre des armements, mais aussi entraînée et forcée à des sacrifices nouveaux et inouïs, en participant à la préparation de la guerre nazie. Les travailleurs devaient être soumis et cela signifiait que leurs organisations et moyens de cohésion et de défense devaient être détruits.
L’intention du parti nazi d’embrigader la main-d’œuvre fut avouée par Ley, le 2 mai 1933, dans un discours aux travailleurs où il disait :
« Vous pouvez dire ce que vous voulez, vous avez le pouvoir absolu. Il est vrai que nous sommes au pouvoir, mais nous n’avons pas tout le peuple, nous ne vous avons pas, vous travailleurs, dans la proportion de 100% et c’est vous que nous voulons ; nous ne vous laisserons pas vous manifester tant que vous ne serez pas complètement d’accord avec nous, et cela sans arrière-pensée. » (Document PS-614.)
La première attaque des nazis fut dirigée contre les deux plus importantes associations syndicales. Le 21 avril 1933, une ordonnance, non pas au nom du Gouvernement mais au nom du parti nazi, applicable à la Confédération des travailleurs et à la Confédération indépendante des employés, fut promulguée par le conspirateur Robert Ley en sa qualité de « chef d’Etat-Major de l’organisation politique de la NSDAP ». Elle ordonnait la saisie de leurs biens et l’arrestation de leurs principaux chefs. Cette ordonnance indiquait que les organismes que nous dénonçons ici comme associations criminelles, les SA et SS, « seraient utilisées pour occuper les propriétés des syndicats ouvriers et pour emprisonner les personnalités incriminées ». Cette ordonnance stipulait également « l’internement de protection » de tous les présidents et secrétaires régionaux desdits syndicats et des directeurs d’agence de la Banque des travailleurs (document PS-392).
Ces ordres furent exécutés le 2 mai 1933. Tous les capitaux appartenant aux syndicats ouvriers, y compris les fonds de secours et de pensions, furent saisis. Les chefs de syndicats furent envoyés dans des camps de concentration. Quelques jours plus tard, le 10 mai 1933, Hitler nomma Ley chef du Front allemand du Travail (Deutsche Arbeitsfront) qui devint détenteur des fonds confisqués aux syndicats. Le Front allemand du Travail, contrôlé par les nazis, fut établi sous les ordres de Ley, pour apprendre aux ouvriers allemands la philosophie nazie et pour éliminer de la main-d’œuvre industrielle tous ceux dont l’instruction était en retard (document PS-1940). Des « troupes d’usines » furent constituées en tant que « peloton de choc idéologique à l’intérieur de l’usine » (document PS-1817). L’ordonnance du Parti stipulait que, « en dehors du Front allemand du travail, aucune autre organisation (que ce fût d’ouvriers ou d’employés), ne devait exister ». Le 24 juin 1933 on s’empara des syndicats chrétiens restants, conformément à un ordre du parti nazi signé par Ley.
Le 19 mai 1933, cette fois par décret du Gouvernement, il fut ordonné que des « administrateurs » du travail, nommés par Hitler, fixeraient les conditions de tous les contrats de travail, remplaçant l’ancienne méthode de contrats collectifs (document PS-405).
Le 30 novembre 1934, un décret « réglementant le travail national » introduisit le « Führerprinzip » dans l’industrie. Il stipulait que les propriétaires d’entreprises seraient les « Führer » et que les ouvriers seraient les disciples. Les « Führer » d’entreprises devraient « prendre les décisions pour les employés et ouvriers, pour toutes les questions concernant l’entreprise » (document PS-1861). C’est par un tel appât que les grands industriels allemands furent amenés à soutenir la cause nazie, jusqu’à leur propre ruine complète.
Non seulement les nazis dominèrent et embrigadèrent les travailleurs allemands, mais ils obligèrent la jeunesse à entrer dans les rangs des travailleurs qu’ils avaient ainsi enchaînés. En vertu d’un décret sur le travail obligatoire du 26 juin 1935, les jeunes gens et les femmes de dix-huit à vingt-cinq ans furent appelés pour le travail (document PS-1654). Ainsi le dessein d’asservir la main-d’œuvre allemande était accompli. Cette réalisation consistait, d’après les paroles de Ley, « à éliminer le caractère d’association des syndicats et des associations d’ouvriers et à les remplacer par la conception de soldats du travail ». La puissance de production de la main-d’œuvre de la nation allemande était sous le contrôle nazi. Par ces mesures, les accusés gagnèrent la bataille de la liquidation des syndicats en tant qu’adversaires éventuels et furent en mesure d’imposer à la classe ouvrière le fardeau de la préparation d’une guerre d’agression.
Robert Ley, général en chef de cette bataille contre la main-d’œuvre, a répondu à notre accusation par le suicide. Sans doute ne connaissait-il pas de meilleure réponse.
2. La lutte contre les Églises.
Le parti nazi a toujours été violemment anti-chrétien dans son idéologie. Mais nous, qui croyons à la liberté de conscience et de religion, nous ne faisons un crime à quiconque de ses idées. Ce n’est pas parce que les nazis étaient eux-mêmes irréligieux ou païens, mais parce qu’ils ont persécuté les membres de la foi chrétienne, qu’ils sont devenus coupables de crimes et c’est parce que la persécution était un pas vers la préparation de la guerre d’agression que cette faute est devenue d’une importance internationale.
Afin d’écarter dans le peuple allemand toute influence modératrice et de placer complètement la population sur un pied total de guerre, les conspirateurs organisèrent et mirent en œuvre une répression systématique et continue contre toutes les sectes et Eglises chrétiennes.
Nous vous demanderons de condamner les nazis sur leurs propres témoignages. Martin Bormann promulgua en juin 1941 un décret secret sur les relations entre le christianisme et le national-socialisme. Le décret disposait :
« Pour la première fois dans l’histoire de l’Allemagne, le Führer a conscience d’avoir la direction complète du peuple entre les mains. Avec le Parti, les unités qui le composent et celles qui y sont rattachées, le Führer a créé pour lui et, par là même, pour les dirigeants du Reich allemand, un instrument qui le rend indépendant de l’Église. Toutes les influences qui pourraient gêner la direction exercée sur le peuple par le Führer avec l’aide de la NSDAP ou lui nuire, doivent être éliminées. De plus en plus, le peuple doit être éloigné des Églises et de leurs représentants, les pasteurs. Naturellement, si on les considère de leur propre point de vue, les Églises doivent se défendre et se défendront contre cette perte de pouvoir. Mais on ne doit plus jamais permettre aux Églises de prendre une influence quelconque sur la direction du peuple. Cette influence doit prendre fin complètement et à jamais.
« Seuls le Gouvernement du Reich et, conformément à ses instructions, le Parti, les unités qui le composent et celles qui lui sont rattachées, ont le droit de diriger le peuple. Tout comme les influences néfastes des astrologues, des voyants et autres fraudeurs sont éliminées et supprimées par l’État, la possibilité d’une influence ecclésiastique doit être totalement écartée. La direction de l’État n’aura d’influence sur les particuliers que lorsque ce but sera atteint. Jusque là, l’existence du peuple et du Reich ne sera pas assurée pour tous les temps à venir. » (Document D-75.)
La façon dont le Parti isolait le Reich de l’influence chrétienne, sera prouvée par des textes tels que ce télétype de la Gestapo de Berlin adressé à la Gestapo de Nuremberg le 24 juillet 1938. Je cite maintenant son propre compte rendu des événements qui ont eu lieu à Rothenburg :
« Le Parti, le 23 juillet 1938 à 21 heures, commença une troisième manifestation dirigée contre l’évêque Sproll. Environ 2.500 à 3.000 manifestants des régions environnantes furent amenés en autobus, etc. La population de Rothenburg ne prit aucune part à cette manifestation. L’attitude des habitants de la ville à l’égard des manifestants était plutôt hostile. Les membres responsables du Parti perdirent complètement le contrôle de l’opération. Les manifestants attaquèrent le Palais, forcèrent les grilles et les portes. Environ 150 à 200 hommes pénétrèrent dans le Palais, fouillèrent les pièces, jetèrent les archives par les fenêtres et fouillèrent les lits des chambres à coucher. Ils mirent le feu à un lit. Avant que le feu ne se communiquât à d’autres objets dans les chambres et le Palais, le lit en flammes put être jeté par la fenêtre et le feu éteint. L’évêque priait dans la chapelle en compagnie de l’archevêque Gröber de Fribourg et de fidèles de son entourage. Environ 25 à 30 personnes firent irruption dans la chapelle et molestèrent ceux qui s’y trouvaient. L’archevêque Gröber fut pris pour l’évêque Sproll. Il fut empoigné par ses vêtements et bousculé. Finalement, les intrus se rendirent compte que l’archevêque Gröber n’était pas celui qu’ils cherchaient. On put alors les persuader de quitter le bâtiment. Après l’évacuation du Palais par les manifestants, j’eus un entretien avec l’archevêque Gröber, qui quitta Rothenburg dans la nuit. Gröber veut quand même en appeler au Führer et au Dr Frick, ministre de l’Intérieur du Reich.
« Dès que j’aurai supprimé les contre-manifestations, je ferai immédiatement un rapport sur le déroulement de l’action, les dommages causés, ainsi que sur l’hommage rendu dès aujourd’hui à l’évêque par la population de Rothenburg…
« Si le Führer a des instructions à nous donner, je demande qu’on nous les fasse parvenir très rapidement… » (Document PS-848.)
Plus tard, l’accusé Rosenberg écrivit à Bormann en modifiant la proposition de nomination de Kerri au poste de ministre des Cultes, afin de mettre l’Eglise protestante sous la tutelle de l’État et de proclamer Hitler son chef suprême. Rosenberg était opposé à cette idée, suggérant que le nazisme devait supprimer complètement l’Eglise chrétienne après la guerre. (Voir également le document PS-098.)
Les persécutions de toutes les sectes pacifistes et dissidentes, telles que les « Témoins de Jéhovah » et « l’Association de la Pentecôte » étaient particulièrement acharnées et cruelles. Néanmoins, la politique adoptée envers les Églises évangéliques était d’utiliser leur influence au service des buts nazis. En septembre 1933, Müller fut nommé représentant du Führer ayant autorité pour s’occuper des affaires de l’Église évangélique dans ses relations avec l’État. Enfin, des dispositions furent prises pour créer un évêque du Reich, investi du pouvoir de contrôler ce culte. Un long conflit suivit. Le pasteur Niemöller fut envoyé dans un camp de concentration et il y eut de vastes empiétements sur le domaine de la discipline intérieure et de l’administration des Églises.
Une campagne très intensive fut dirigée contre l’Église catholique romaine. Après un concordat stratégique conclu avec le Saint-Siège, en juillet 1933 à Rome, qui n’a jamais été respecté par le parti nazi, une persécution longue et persistante de l’Église catholique, de ses prêtres et de ses membres fut entreprise. Les écoles et les autres institutions d’éducation religieuse furent supprimées ou mises à la disposition de l’enseignement nazi contraire à la foi chrétienne. Les propriétés de l’Église furent confisquées et le vandalisme inspiré, dirigé contre la propriété des Églises resta impuni. L’instruction religieuse fut arrêtée, l’exercice du culte rendu difficile, les prêtres et les évêques furent suspendus, des désordres furent encouragés pour les brimer et beaucoup furent envoyés dans des camps de concentration.
Après l’occupation des territoires étrangers, ces persécutions prirent plus d’ampleur que jamais. Nous vous présenterons parmi les dossiers du Vatican, les protestations qu’il adressa à Ribbentrop résumant les persécutions auxquelles avaient été soumis le clergé et l’Eglise sous le régime nazi du XXe siècle. Ribbentrop n’y répondit jamais. Il ne pouvait nier. Il n’osait pas justifier cette action.
J’en arrive maintenant aux « crimes contre les Juifs ».
Nous allons maintenant lever l’audience.