Troisième journée
Jeudi 22 novembre 1945.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

Avant la présentation par le Ministère Public des États-Unis des preuves relatives au chef d’accusation n° 1, le Tribunal me demande d’annoncer sa décision concernant la requête présentée par l’avocat de l’accusé Julius Streicher aux fins d’examen mental de son client ; celui-ci a été examiné par trois médecins experts et leur rapport a été soumis au Tribunal et pris en considération.

Les conclusions du Tribunal sont les suivantes :

« 1. L’accusé Julius Streicher est sain d’esprit ;

« 2. L’accusé Julius Streicher est en état de comparaître devant le Tribunal et de présenter sa défense ;

« 3. Les médecins qui l’ont examiné ont déclaré à l’unanimité qu’il était sain d’esprit et pouvait saisir la nature et la portée des actes qu’il avait commis pendant toute la période envisagée par l’Acte d’accusation. »

Le Tribunal accepte le rapport des médecins experts et maintient l’accusation.

Je tiens à régler une autre question. Le Tribunal, conformément à l’article 12 du Statut, avait décidé de juger Bormann par contumace. Il a été saisi d’une requête de l’avocat de cet accusé, demandant que les poursuites contre son client soient disjointes de cette procédure. Considérant que les stipulations du Statut et les règles de procédure du Tribunal ont été suivies jusqu’à présent d’une façon stricte, et que l’avocat de Bormann aura tout le temps nécessaire pour préparer la défense de cet accusé, cette demande est rejetée.

Je prie le Ministère Public américain de présenter les preuves relatives au chef d’accusation n° 1.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. En ce qui concerne les preuves, mon premier but sera d’exposer de quelle façon les documents qui seront versés au dossier par les États-Unis ont été saisis, rassemblés, classés et authentifiés. Je décrirai également et illustrerai le processus de présentation des documents et exposés relatifs aux principaux chefs d’accusation des États-Unis.

Lors de l’avance de l’Armée américaine en territoire allemand, un personnel militaire spécialisé fut rattaché à chaque armée et aux formations militaires subordonnées ; ses fonctions consistaient à saisir et à mettre en sûreté les documents, archives, rapports et autres pièces apportant des renseignements sur l’ennemi. Les Allemands conservaient des dossiers volumineux et précis qui furent retrouvés dans les Quartiers Généraux d’armées, dans les bâtiments officiels et en d’autres lieux. À la fin de la guerre en particulier, certains documents furent enfouis dans le sol, dans les mines de sel, cachés derrière de fausses cloisons ou dans de nombreux endroits que les Allemands croyaient sûrs. À titre d’exemple : la correspondance personnelle et le journal de l’accusé Rosenberg, y compris sa correspondance avec le parti nazi, furent retrouvés derrière un faux mur dans un vieux château de la Bavière orientale ; les archives de l’OKL ou Luftwaffe, dont l’accusé Göring était le chef, équivalant aux archives des Quartiers Généraux de l’État-Major de l’Armée aérienne des États-Unis, furent retrouvées dans diverses localités des Alpes bavaroises. Ces archives de la Luftwaffe furent, pour la plupart, réunies et inventoriées par l’Armée à Berchtesgaden.

Dès que l’Armée eut saisi ces documents et archives, toutes les pièces furent mises en sûreté et rassemblées plus tard dans des centres provisoires de documentation. Le plus souvent, les archives étaient si volumineuses qu’elles étaient transportées au centre de documentation par convois de camions militaires. Bref, une fois que le territoire conquis fut organisé, on détermina des zones d’armées et chaque armée y établit un centre permanent de documentation où furent transportés les documents et les archives qui avaient fait l’objet d’un classement préalable. Plus tard, toute cette documentation fut classée et cataloguée, ce qui exigea un long travail.

M. Justice Jackson me demanda, au début du mois de juin dernier, de diriger la centralisation des témoignages documentaires recueillis sur le continent et destinés à constituer le dossier des États-Unis. Des équipes de recherches furent organisées dans nos bureaux sous la direction du commandant William H. Coogan, qui détacha des officiers de liaison auprès des principaux centres de documentation de l’Armée. Ces officiers reçurent la mission de trier la masse des documents saisis, de l’analyser et de choisir ceux d’entre eux susceptibles de nous servir de preuves. Les documents et archives ennemis ainsi triés et examinés, forment une masse pesant plusieurs centaines de tonnes ; les pièces sélectionnées ont été transportées à Nuremberg. Je dépose comme preuve un affidavit en date du 19 novembre 1945 et signé du commandant Coogan, où sont décrits les moyens employés pour la saisie, le triage et la remise des documents à Nuremberg. (Document PS-001 (a), USA-1.)

Plaise au Tribunal. Pour être clair je crois qu’il me faut lire au moins d’importants extraits de cet affidavit en date du 19 novembre 1945.

« Je soussigné, commandant William H. Coogan, 0-455814 QMC. officier de l’Armée des États-Unis d’Amérique, certifie ce qui suit :

« 1. En juillet 1945, le Ministère-Public américain avait demandé à la section militaire de la division de documentation de recueillir, de reconnaître et de rassembler toutes les preuves documentaires, émanant des théâtres d’opérations européens, qui pourraient servir à la poursuite des principaux criminels de guerre de l’Axe devant le Tribunal Militaire International. J’ai été nommé chef de la section militaire le 20 juillet 1945, et je suis actuellement chef de la division de documentation au service du Ministère Public américain.

« 2. J’ai servi dans l’Armée des États-Unis pendant plus de quatre ans, et je suis avocat de profession. En tant que juriste et officier de liaison de l’Armée américaine, je suis au courant du fonctionnement des centres de l’Armée américaine chargés de la saisie et de la classification des documents ennemis. Comme chef de la division de documentation au service du Ministère Public américain, j’ai surveillé le dépouillement, le classement, la traduction et la reproduction photographique de toutes les preuves documentaires destinées au Ministère Public américain. »

Je passe maintenant au paragraphe 4.

« 4. Le personnel de la section militaire de la division de documentation connaissait à fond la langue allemande, et son travail consistait à rechercher et à choisir parmi les documents ennemis saisis dans la zone d’occupation européenne, ceux qui étaient susceptibles de donner des renseignements concernant l’accusation dont font l’objet les grands criminels de guerre de l’Axe. Les officiers placés sous mes ordres furent détachés dans divers centres de documentation et envoyés individuellement en mission pour rechercher les documents originaux. Après avoir retrouvé ces documents, mes représentants faisaient un rapport sur les circonstances dans lesquelles ils étaient rentrés en leur possession et me fournissaient tous renseignements relatifs à leur authenticité. Mes représentants donnèrent ensuite à ces documents des numéros provisoires de série ; ces numéros sont ceux de la section militaire. Mes représentants ont ensuite envoyé périodiquement ces documents originaux au service du Ministère Public américain.

« 5. À la réception, ces documents étaient dûment enregistrés et classés, et ils étaient envoyés à la section de triage et d’analyse de la division de documentation du Ministère Public américain qui les examinait à nouveau pour savoir s’ils présentaient un intérêt pour l’Accusation. Cette dernière opération était exécutée par un personnel parlant allemand et appartenant au service du Ministère Public américain. Lorsque le document avait été sélectionné, il était ensuite transmis à la salle de documentation du service du Ministère Public américain avec une fiche jointe, préparée par les sélectionneurs, mentionnant le titre, la nature et l’importance du document ainsi que les personnalités qui y étaient impliquées. Dans la salle de documentation, une cote était donnée à chaque document ou à chaque groupe de documents, dans le cas où, pour des raisons de clarté, il fallut en enregistrer plusieurs ensemble.

« 6. Les documents des États-Unis ont reçu une immatriculation dans l’une des cinq séries désignées par les lettres : PS, L, R, C et EC, suivant le moyen par lequel ils furent obtenus. Dans chaque série, les documents sont classés numériquement ;

« 7. Après son immatriculation, le document était remis à un analyste parlant l’allemand, qui en préparait un résumé avec référence aux personnes impliquées, aux sujets traités, aux renseignements donnés par la section militaire sur son origine et son importance pour telle phase du Procès. Puis le document original était renvoyé à la salle de documentation et photographié. On le plaçait ensuite sous enveloppe et on l’enfermait dans un coffre-fort en métal à l’épreuve du feu, placé au fond de la salle de documentation ; une des photocopies du document était envoyée aux traducteurs, mais la pièce originale restait toujours dans son coffre-fort. Un officier était et est encore responsable des documents se trouvant dans ces coffres-forts ; lorsque cet officier s’absente, les coffres restent fermés et un garde est placé devant la seule porte donnant accès à la salle de documentation. Si les officiers préparant la traduction certifiée ou l’un des officiers travaillant aux exposés jugent nécessaire de consulter le document original, ils le consultent à l’intérieur de la salle, dans un endroit affecté à cet usage. La seule exception à cette règle stricte a consisté parfois à montrer un original aux avocats ; dans ce cas, le document était remis à un officier responsable attaché au Ministère Public.

« 8. Tous les documents originaux sont maintenant dans les coffres-forts de la salle de documentation où ils resteront jusqu’à ce qu’ils soient présentés au Tribunal par le Ministère Public au cours des débats.

« 9. Certains documents qui seront versés au dossier par les États-Unis ont été saisis et classés par l’Armée anglaise ; le personnel du Ministère Public américain et de la Commission britannique de recherches des crimes de guerre a collaboré à ce travail de recherche, de saisie et de classement de ces documents ;

«  10. Le même système d’obtention des preuves documentaires a été utilisé par l’Armée britannique et la Commission britannique de recherches des crimes de guerre.

« 11. Je certifie, en ma qualité officielle mentionnée ci-dessus et en toute science et conscience, que les documents saisis en zone d’occupation ou d’opérations britannique et qui seront versés au dossier par le Ministère Public américain, ont été authentifiés, traduits et classés de la même manière que ceux qui concernent le Ministère Public américain.

« 12. Enfin, je certifie que toutes les preuves documentaires présentées par le Ministère Public américain, y compris les documents provenant de l’Armée anglaise, ont été obtenus exactement dans les mêmes conditions que ceux pris par les Armées anglaises et américaines, qu’ils ont été traduits par des traducteurs qualifiés, compétents, que toutes les copies photographiques sont des copies exactes des originaux, et qu’elles ont été convenablement triées, numérotées et classées comme il vous a été indiqué plus haut.

« Signé : William H. Coogan.

« Commandant Q. M. C. 0-455814. »

Quand les documents, triés par la méthode décrite ci-dessus, arrivèrent dans mon bureau, ils furent à nouveau, comme l’a dit le commandant Coogan, examinés, retriés et traduits par des traducteurs experts de l’Armée américaine.

Finalement plus de deux mille cinq cents documents ont été choisis et classés ici, au Palais de Justice ; plusieurs centaines au moins seront versés au dossier ; ils ont été photographiés, traduits en anglais, classés et inventoriés. Le même procédé a été appliqué par la Commission britannique de recherches des crimes de guerre pour les documents saisis par l’Armée britannique. Anglais et Américains ont pleinement collaboré sur ce point.

Dans le cadre de notre exposé général et pour aider le Tribunal, nous avons préparé un exposé écrit sur chaque aspect du problème qui nous intéresse, où les documents sont cités au moyen d’un numéro approprié. Les questions de Droit soulevées par les États-Unis seront également présentées dans ces exposés. Les exposés et documents afférents viendront à l’appui de chaque point de l’Acte d’accusation qui doit être présenté par le Ministère-Public américain.

J’ai ici en mains l’un des exposés intitulé « Réforme de l’éducation, formation de la jeunesse » qui vous sera présenté aujourd’hui. Joint à chaque exposé, se trouve un livre de documents contenant des copies conformes, en langue anglaise, de tous les documents mentionnés dans l’exposé. Voici le livre de documents qui sera soumis à l’appui de l’exposé que je vais présenter au Tribunal.

De même, des copies en langue allemande ont été ou seront fournies aux avocats au moment où ces documents seront déposés comme preuves. À la fin de la présentation de chaque section de notre exposé par le Ministère Public, le livre de documents sera déposé en entier et, en même temps, le lieutenant Barrett, qui assistera à toute la phase du procès préparée par notre section, remettra entre les mains du greffier les pièces originales déposées comme preuves. Elles porteront le sceau du Tribunal, sous la cote PS-2836, numéro de dépôt USA-4, et le lieutenant Barrett remettra ensuite le document au Tribunal. De la même manière, le livre de documents sera transmis par le lieutenant Barrett au greffier du Tribunal, et des exposés écrits seront mis à la disposition du Tribunal pour faciliter sa tâche, ainsi que celle des avocats. Des copies des documents seront mises à la disposition de la presse, et nous espérons que la procédure habituelle de dépôts des preuves, pénible et monotone, sera ainsi rendue plus rapide.

Puis-je demander respectueusement au Tribunal et à la Défense, s’il existe une objection quelconque à suivre la procédure que je propose ? Sinon, les États-Unis commenceront la présentation des preuves et des dossiers d’audience de la manière que je viens d’indiquer.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal ne voit aucune objection à employer la méthode que vous proposez.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. Puis-je annoncer ce que les États-Unis vont maintenant présenter ?

LE PRÉSIDENT

II me faut au préalable avertir les avocats que leur silence sera considéré comme une acceptation de la procédure proposée par le colonel Storey. En l’absence de toute objection de leur part à la procédure proposée par le colonel Storey au nom du Ministère Public américain, le Tribunal considère que cette procédure est acceptée. Merci, messieurs.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. La présentation à venir comprendra les exposés et documents relatifs au plan concerté ou complot jusqu’en 1939. L’audience commencera par la présentation de l’organisation du parti nazi et du Gouvernement du Reich, soutenue par des documents et des explications soumis par M. Albrecht.

M. RALPH G. ALBRECHT (procureur adjoint américain)

Plaise au Tribunal. Le Ministère Public va maintenant mentionner brièvement certains faits rentrant dans le domaine juridique ; le Ministère Public américain a estimé devoir les mentionner pour comprendre et peser les preuves qui seront présentées au cours de ce Procès à l’appui des allégations de l’Acte d’accusation.

Le Ministère Public estime que quelques explications préliminaires doivent être données sur le parti ouvrier national-socialiste allemand, la NSDAP, bien qu’il ne soit pas lui-même poursuivi en tant qu’organisation, mais qui est représenté dans les organisations accusées par ses plus importantes formations, en particulier le Corps des chefs politiques de la NSDAP, qui sera mentionné sous le nom de « Das Korps der Politischen Leiter der NSDAP », les « SS » (die Schutzstaffeln der NSDAP) et les « SA » (die Sturmabteilungen der NSDAP).

Avec l’autorisation du Tribunal, nous proposons comme premier document, un schéma exposant la structure de l’organisation de la NSDAP telle qu’elle existait à l’apogée de son développement, en mars 1945. Ce schéma a été préparé par le Ministère Public, d’après les informations contenues dans des publications importantes et notoirement connues du parti national-socialiste, et vraisemblablement des accusés ; nous voulons parler en particulier du livre traitant de l’organisation du parti, Das Organisationsbuch der NSDAP, et de l’annuaire du national-socialisme, Das Nationalsozialistische Jahrbuch. Le défunt accusé Robert Ley fut le rédacteur et l’éditeur de ces deux ouvrages qui ont paru en plusieurs éditions et furent diffusés en des centaines de milliers d’exemplaires, au cours de la période où le national-socialisme contrôlait le Reich et le peuple allemand. Le schéma que nous allons vous montrer a été certifié conforme par un membre important du parti nazi, Franz Xaver Schwarz, Reichsschatzmeister der NSDAP, chargé de l’administration de la trésorerie du Parti. Cet affidavit est présenté avec le schéma. Je voudrais vous montrer ce plan (document PS-2903, USA-2). Nous avons pu avoir un double de ce plan et, avec la permission du Tribunal, il est à la disposition de ceux qui le désirent.

Avant de donner des explications que nous croyons utiles, concernant l’organisation du parti ouvrier national-socialiste allemand, j’aimerais faire remarquer au Tribunal que le grand tableau accroché au mur est une simplification du double qu’il a sous les yeux. S’il avait été reproduit d’une façon aussi détaillée, certaines des cases n’auraient pu être visibles.

J’aimerais d’abord attirer votre attention sur une organisation avec laquelle nous devons nous familiariser, le Corps des chefs politiques de la NSDAP, « Das Korps der politischen Leiter », qui a été désigné parmi les organisations accusées, et qui comprenait l’ensemble des fonctionnaires et des chefs du parti nazi. Si le Tribunal veut bien suivre des yeux la ligne centrale du plan, nous arrivons à la ligne horizontale de démarcation où apparaît le Reichsleiter. C’est la première catégorie, je devrais dire la principale, du Corps des chefs politiques.

Le Führer, naturellement, est tout en haut de ce groupe. Si nous suivons la ligne verticale de haut en bas, nous trouvons cinq autres cases que nous pouvons grouper sous la rubrique Hoheitsträger ; ce sont les détenteurs de souveraineté du Parti, les Gauleiter, Kreisleiter, Ortsgruppenleiter, Zellenleiter et Blockleiter. Le Führer, tout en haut du schéma, est le chef unique et suprême dans la hiérarchie nazie. Son successeur désigné fut d’abord l’accusé Hess, puis l’accusé Göring.

Les Reichsleiter, dont seize figurent sur le plan, composaient la Reichsleitung, ou direction du Parti. Par leur intermédiaire, la coordination du Parti et de l’État était assurée. Un certain nombre de ces Reichsleiter eurent chacun, à un moment donné, la responsabilité d’un poste dans la direction du Parti ; ils furent aussi à la tête d’autres formations du Parti, d’organisations affiliées au Parti, contrôlées par lui, et d’organismes de l’État, ou bien ils occupèrent des postes ministériels.

La Reichsleitung représente, si l’on veut, l’organisation horizontale du Parti d’après ses fonctions ; tout ce qui contrôlait la vie du peuple allemand aboutissait là. Chaque bureau de la Reichsleitung de la NSDAP avait un travail bien défini, déterminé par le Führer ou par le chef de la Chancellerie du Parti (Chef der Parteikanzlei) qui, sur le plan placé devant vous, figure immédiatement sous le Führer.

En 1945, le chef de la Chancellerie du Parti était l’accusé Martin Bormann et, avant lui, jusqu’à ce qu’il parte pour l’Angleterre en 1941, l’accusé Rudolf Hess. Il rentrait dans les attributions de la Reichsleitung de s’assurer que le travail soit exécuté rapidement et sans interruption, de façon que la volonté du Führer fût communiquée rapidement et sans déformation aux échelons inférieurs, Zelle ou Block. Les bureaux de la Reichsleitung devaient rester en contact constant et très étroit avec la vie du peuple par l’intermédiaire d’une ramification des organisations du Parti, dans le Gau, le Kreis ou le Ort, le groupe inférieur. On avait enseigné à ces chefs que le droit de gouverner les êtres humains découlait de l’application du principe qu’un peuple doit recevoir une éducation idéologique, « weltanschaulich », c’est-à-dire conforme à la philosophie nationale-socialiste.

Parmi les Reichsleiter qui comparaissent devant vous, on peut retenir les noms suivants : si le Tribunal veut bien regarder avec moi cette large bande horizontale, commençons à l’extrême gauche par la case portant le nom de l’accusé Frank, qui, à un certain moment, avant mars 1945, fut à la tête du Bureau juridique du Parti. Il était « Reichsleiter des Reichsrechtsamtes ». Puis, dans la troisième case, l’accusé Rosenberg, délégué du Führer pour l’instruction et l’éducation idéologique du Parti. Il portait le titre suivant : « Der Beauftragte des Führers für die Überwachung der gesamten geistigen und weltanschaulichen Schulung und Erziehung der NSDAP ». Plus à droite, l’accusé von Schirach, chef de l’éducation de la jeunesse (Leiter für die Jugenderziehung) ; puis le défunt Robert Ley qui fut quelque temps chef de l’organisation du Parti (Reichsorganisationsleiter der NSDAP) et chef du Front allemand du Travail, le DAF (Leiter der Deutschen Arbeitsfront).

Allant au delà de la ligne verticale, vers la droite, mentionnons la case portant le nom de Schwarz. Il était Reichsleiter et haut fonctionnaire du Parti ; c’est lui qui a certifié l’exactitude du plan qui vous est présenté.

Plus à droite, à côté de la dernière case, se trouve le nom de Frick, qui était chef du groupe nazi du Reichstag (Leiter der NS Reichstagsfraktion).

Les catégories que nous allons examiner maintenant au bas de la ligne verticale au centre du schéma, sont celles des Hoheitsträger, des détenteurs de souveraineté, ainsi que les appelaient les nationaux-socialistes. Ils détenaient la souveraineté politique dans des subdivisions bien déterminées de l’État, subdivisions dont ils étaient les chefs désignés. Ces hommes représentaient pour ainsi dire l’organisation verticale du Parti.

Ils comprenaient tous les Gauleiter ; il y en avait quarante-deux à l’intérieur du Reich en 1945. Le Gauleiter était le chef politique de la plus grande subdivision de l’État. Il était chargé par le Führer, outre ses attributions politiques, d’exercer le contrôle culturel et économique de toute la vie du peuple et de toutes ses manifestations, ainsi que d’assurer leur coordination avec la philosophie et l’idéologie nationales-socialistes. Certains des accusés ici présents ont été Gauleiter de la NSDAP. L’accusé Streicher fut Gauleiter de Franconie ; il était connu sous le nom de « Franken-führer » et son siège était ici même, à Nuremberg. Von Schirach fut Gauleiter de Vienne, et Sauckel Gauleiter de Thuringe.

La catégorie suivante est constituée par les Kreisleiter, chefs politiques de la plus grande subdivision à l’intérieur du Gau ; ensuite viennent les Ortsgruppenleiter, chefs politiques de la plus grande subdivision du Kreis. Un Kreis comprenait plusieurs villes ou villages ou, dans le cas d’une grande ville, entre quinze cents et trois mille foyers. Au-dessous, les Zellenleiter, chefs politiques d’un groupe de quatre à huit blocs de maisons en ville, ou, dans les campagnes, d’un groupe correspondant. Enfin les Blockleiter, chefs politiques de quarante à soixante foyers.

Chacun de ces chefs politiques, Hoheitsträger, ou détenteurs de souveraineté, était directement responsable devant son supérieur hiérarchique immédiat. Le Gauleiter était directement responsable devant le Führer lui-même ; le Kreisleiter devant le Gauleiter, l’Ortsgruppenleiter devant le Kreisleiter et ainsi de suite.

Le Führer se réservait lui-même, d’après les normes du Parti, de nommer tous les chefs. Il nommait lui-même les Reichsleiter, tous membres du Directoire du Parti, les Gauleiter, les Kreisleiter et tous les chefs politiques jusqu’au rang de Gauamtsleiter, qui représentait l’échelon inférieur de l’organisation du Parti à l’intérieur du Gau.

Ces Hoheitsträger constituaient, avec la Reichsleitung, le groupe tout-puissant de chefs au moyen duquel le parti nazi s’infiltrait dans la vie même du peuple, consolidait son contrôle sur le peuple et obligeait celui-ci à se conformer aux idées nationales-socialistes.

Pour remplir ces tâches, ils disposaient de très grands pouvoirs, y compris le droit de faire appel à n’importe quelle formation du Parti pour réaliser leurs buts. Ils pouvaient réquisitionner les services des SA et des SS aussi bien que de la Jeunesse hitlérienne et du NSKK.

Si je puis attirer, pour un instant, votre attention sur les organisations du Parti figurant à l’extrême gauche du schéma, je soulignerai que sur le plan régional, les subdivisions de ces organisations correspondaient à celles des services et régions contrôlées par les Hoheitsträger. Pour être plus explicite, prenons les SA. Les formations auxiliaires s’échelonnaient, correspondant dans leurs organisations inférieures au Gau, de telle sorte qu’il y avait une Gauleitung dans les SA et, en descendant au Kreis, une Kreisleitung dans les SA. Un Gauleiter et un Kreisleiter, pour citer deux exemples, chargés d’une mission particulière par le Führer, pouvaient ainsi faire appel à ces organisations pour l’exécution de leur tâche.

Le sinistre sens de cette puissance apparaîtra plus clairement à mesure que se déroulera le Procès et que le Tribunal prendra connaissance des preuves du caractère criminel des organisations accusées.

Ces organisations, appelées « Gliederungen », sur lesquelles j’attirais, il y a quelques instants, l’attention du Tribunal, sont les éléments composants du Parti. Ces organisations, en fait, constituent le Parti proprement dit, et comprenaient tous les membres du Parti adhérant à ces organisations.

Les quatre principales organisations sont quelquefois appelées des organisations « paramilitaires » ; leurs membres portaient un uniforme et étaient armés. Ces organisations étaient les célèbres SA et SS accusées dans ce Procès, la Jeunesse hitlérienne (HJ) et le NSKK, corps motorisé du Parti (Kraftfahrkorps). Il y avait aussi l’Organisation féminine nationale-socialiste (Nationalsozialistische Frauenschaft), l’Organisation des étudiants nationaux-socialistes allemands (Nationalsozialistischer Deutscher Studentenbund) et l’Organisation des professeurs d’Université nationaux-socialistes (Nationalsozialistischer Deutscher Dozentenbund).

Il y avait d’autres organisations qui étaient officiellement non pas des Gliederungen ou organisations contrôlées, mais des organisations affiliées (Angeschlossene Verbände der NSDAP). Parmi celles-ci, nous avons le Front allemand du Travail (Deutsche Arbeitsfront DAF), une organisation qui contrôlait les fonctionnaires (Reichsbund der Deutschen Beamten), des organisations de médecins (Nationalsozialistischer Deutscher Ärztebund), instituteurs (Nationalsozialistischer Lehrerbund), une organisation pour les hommes de loi (Nationalsozialistischer Rechtswahrerbund), dont l’accusé Frank fut le chef à un moment donné.

Il y a un autre groupe d’organisations, connu officiellement sous le nom d’organisations contrôlées (Betreute Organisationen der NSDAP) ; elles comprenaient les organisations féminines du travail (Deutsches Frauenwerk), certaines sociétés d’étudiants (Deutsche Studentenschaft), des sociétés d’anciens étudiants (Altherrenbund der Deutschen Studenten). Un groupe intéressait les communes allemandes (Nationalsozialistischer Deutscher Gemeindetag). Il y avait enfin un Reichsbund fur Leibesübungen contrôlant tous les sports.

D’après les directives du Parti concernant ces différentes organisations et associations qui contrôlaient la vie allemande, il existait une quatrième catégorie. Vous la voyez sur la droite du schéma ; elle est parfois appelée simplement « Weitere Nationalsozialistische Organisationen ». Mais ici, nous sommes à certains égards, dans le « No man’s land », car le Parti n’était pas statique, mais dynamique et, d’après nos dernières informations, les organisations qui rentraient habituellement dans cette catégorie, organisations bien connues comme le RAD (Service du travail du Reich), et le NSFK (Corps aérien national-socialiste) ne doivent plus y être incluses. C’est, du moins, l’opinion du trésorier du Parti qui a certifié l’exactitude de ce schéma.

Je pense vous avoir donné, par ces quelques explications, un aperçu général de la structure du Parti. Avant d’abandonner ce schéma, j’aimerais attirer votre attention sur certains des accusés qui y figurent.

Tout à fait au sommet, à la gauche du Führer, comme il est indiqué dans le schéma exposé, les successeurs désignés du Führer. En premier lieu, l’accusé Hess jusqu’en 1941, ensuite l’accusé Göring. Sous le Führer, apparaît l’accusé Martin Bormann, chef de la Chancellerie du Parti ; au niveau des Reichsleiter et, vers la gauche, opposé au nom de Rosenberg, réapparaît le nom de Bormann à la tête d’un service de degré inférieur, le Bureau de politique étrangère du Parti (Aussenpolitisches Amt der NSDAP) qui exerça une sinistre influence au début, ainsi que nous le montrerons dans les preuves et documents que nous vous présenterons plus tard.

Passons à l’accusé Ley, sur la principale division horizontale, en suivant la ligne pointillée vers le bas : il était le chef du Front allemand du Travail. Si nous suivons la ligne verticale, plus bas, nous trouvons, au-dessous de la Reichsleitung, l’accusé Speer, dans le « Hauptamt für Technik », bureau des Affaires techniques et, au-dessous, comme chef du « Bund Deutscher Technik », Union technique allemande.

Avec l’autorisation du Tribunal, le Ministère Public va maintenant examiner la machine gouvernementale de l’État allemand qui, comme l’organisation du parti nazi, demande quelques brèves remarques avant la présentation des preuves sur le plan concerté ou complot reproché aux accusés.

Si le Tribunal l’autorise, le Ministère Public présentera un autre tableau : la structure du Gouvernement du Troisième Reich, telle qu’elle existait au mois de mars 1945, ainsi que le Corps de chefs politiques du Gouvernement du Reich et l’Administration du Reich au cours de ces années (document PS-2905, USA-3).

Ce plan a été préparé par l’Accusation, en se basant sur les renseignements contenus dans deux publications officielles : Das Taschenbuch für Verwaltungsbeamte, manuel destiné aux fonctionnaires d’administration, et le Nationalsozialistisches Jahrbuch, auxquelles j’ai déjà fait allusion, éditées par l’accusé Ley.

Ce schéma a été examiné, corrigé, certifié par l’accusé Wilhelm Frick, dont l’affidavit est joint au schéma et reproduit sur les copies remises au Tribunal. Il est clair que Frick, ancien ministre de l’Intérieur, de janvier 1933 au mois d’août 1943, en raison de la situation qu’il a occupée et des longs services qu’il a rendus sous le régime national-socialiste, était qualifié pour certifier l’exactitude des éléments contenus dans ce plan.

Avec l’autorisation du Tribunal, j’aimerais faire quelques brèves remarques sur ce schéma.

Nous parlerons d’abord de la Reichsregierung qui occupe la grande case au centre du tableau, directement au-dessous de Hitler. La Reichsregierung est un mot qui ne peut pas être traduit littéralement par Gouvernement du Reich. Ce mot est significatif et s’applique collectivement aux ministres composant le Cabinet allemand. La Reichsregierung a été mise en accusation devant le Tribunal et, telle qu’elle est définie dans l’Acte d’accusation, l’expression est employée pour désigner un groupe qui, comme nous le prouverons, devra être déclaré organisation criminelle.

Cette organisation comprenait tous les hommes dont le nom figure dans la case centrale, qui furent membres du Cabinet après le 30 janvier 1933, c’est-à-dire les ministres du Reich, avec ou sans portefeuille, et tous ceux qui étaient qualifiés pour prendre part aux réunions du Cabinet. Elle englobe aussi les membres du Conseil des ministres pour la Défense du Reich (Ministerrat fur die Reichsverteidigung), qui occupent la grande case à droite de la ligne verticale, puis les membres du Cabinet secret (Geheimer Kabinetts-rat) dont von Neurath était le président.

À rencontre des Conseils et des Cabinets des pays étrangers à l’Axe, la Reichsregierung, après le 30 janvier 1933, lorsque Adolf Hitler devint Chancelier du Reich, ne resta pas simplement l’organe exécutif du Gouvernement ; elle eut et exerça, entre autres, des fonctions législatives dans le système gouvernemental allemand qui se développa sous la domination du national-socialisme.

Nous devons remarquer ici, que contrairement aux organisations du Parti, telles que SA et SS, la Reichsregierung, avant 1933, ne formait pas un corps créé exclusivement, ni même principalement, pour commettre des actes illégaux. La Reichsregierung était un instrument de gouvernement établi par la constitution de Weimar ; mais sous le régime nazi, elle devint un agent principal du Parti, dont les fonctions furent déterminées en accord avec les méthodes et les buts de ce Parti. Le Parti, à tous points de vue, devait être un groupe de chefs politiques, un ordre de Führer et bien qu’il fût, aux termes de la loi allemande, « l’incarnation du concept de l’État allemand », il ne s’identifiait pas avec l’État.

Aussi, pour réaliser ses buts idéologiques et politiques et pour atteindre le peuple allemand, le Parti devait-il passer par les voies officielles de l’État.

La Reichsregierung et les services établis par elle étaient les instruments exprimant en actes administratifs et juridiques la politique du Parti, liant le peuple allemand tout entier.

Pour obtenir ce résultat, la Reichsregierung fut complètement remaniée par le Parti. Rappelons ici quelques-unes des mesures de coordination du Parti et de l’État, prises pour soumettre le peuple allemand à la volonté du Führer.

Au 30 janvier 1933, date à laquelle Hitler devint Chancelier du Reich, peu de nationaux-socialistes étaient membres du Cabinet. Mais à mesure qu’augmenta la puissance du Parti dans le Reich, le nombre des nazis devint de plus en plus important, jusqu’à ce qu’en janvier 1937, il n’y eut plus que des membres du Parti au sein de la Reichsregierung. De nouveaux portefeuilles furent créés et attribués à des nazis. Beaucoup de membres du Cabinet étaient, de surcroît, membres de la Reichsleitung du Parti.

En voici quelques-uns dont le Tribunal trouvera les noms dans la case centrale, sur la ligne verticale : l’accusé Rosenberg, délégué du Führer à la formation idéologique du Parti, faisait partie du Gouvernement en qualité de ministre pour les territoires occupés de l’Est.

Si le Tribunal veut bien suivre des yeux la ligne verticale jusqu’au bout de la principale ligne horizontale, il verra une case portant le titre « Ministère pour les Territoires occupés de l’Est » dont le chef était l’accusé Rosenberg.

L’accusé Frick, chef de la fraction nationale-socialiste du Reichstag était aussi ministre de l’Intérieur. Si le Tribunal veut bien regarder la principale ligne horizontale, il verra, deux cases plus loin, le ministère présidé par l’accusé Frick.
Goebbels, « Reichsleiter für Propaganda », faisait aussi partie du Cabinet comme ministre de l’Éducation publique et de la Propagande (Reichsminister für Volksaufklärung und Propaganda). Il est dans la case voisine, à droite du ministre de l’Intérieur.

Après le 25 juillet 1934, la participation du Parti au travail du Cabinet fut constamment assumée par l’accusé Rudolf Hess, adjoint du Führer. Par un décret de Hitler, l’accusé Hess fut investi du pouvoir de participer à la rédaction des actes législatifs avec tous les services gouvernementaux. Par la suite, ces pouvoirs de l’adjoint du Führer furent étendus jusqu’à inclure toutes les ordonnances et décisions exécutives publiées dans le Reichsgesetzblatt, publication officielle renfermant tous les décrets gouvernementaux. Après le départ de Hess en Angleterre, en 1941, l’accusé Martin Bormann lui succéda et assuma les mêmes fonctions. Il avait en outre les pouvoirs de Reichsminister. Il pouvait ainsi siéger au Cabinet.

Autre point important : le 30 janvier 1937, quatre ans après l’arrivée de Hitler à la Chancellerie, le Führer accepta au sein du Parti les quelques derniers membres du Cabinet qui n’y avaient pas jusque là adhéré. Un seul membre du Cabinet eut le courage de se refuser à cette adhésion : le ministre des Transports et des Postes, Eltz-Rübenach. Son exemple ne fut suivi ni par l’accusé von Neurath, ni par l’accusé Raeder. Et si l’accusé Schacht n’était pas non plus, à ce moment-là, membre du Parti, il resta lui aussi insensible à cet exemple.

Le schéma fait état de nombreux exemples de membres du Parti, tant aux échelons supérieurs qu’aux échelons inférieurs, occupant des postes correspondants dans l’organisation de l’État. Prenons Hitler lui-même. Le Führer de la NSDAP était aussi Chancelier du Reich, poste qui engloba celui de Président du Reich après la mort de Hindenburg en 1934. Prenons Göring, successeur désigné de Hitler et Führer des SA. Il siégeait au Cabinet comme ministre de l’Air (Luftfahrtminister). Il cumulait aussi d’autres fonctions importantes : il était Commandant en chef de la Luftwaffe, c’est-à-dire de l’aviation militaire allemande et il était délégué pour le Plan de quatre ans. Himmler, le célèbre chef des SS, Reichsführer SS, était aussi chef de la Police allemande, directement subordonnée à l’accusé Frick. Il devint lui-même, par la suite, ministre de l’Intérieur, après la tentative d’assassinat de Hitler du 20 juillet 1944. Cet événement le porta également au poste de Commandant en chef de l’Armée de réserve allemande.

Tout en haut du tableau figure une case avec la mention « Reichstag »…

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue pendant dix minutes, dix minutes seulement.

(L’audience est suspendue.)
M. ALBRECHT

Le Reichstag est une anomalie sur ce tableau. Sous la République, il était le corps législatif suprême du Reich, soumis à un contrôle limité du Reichsrat (Conseil du Reich), du président et du peuple lui-même, par voie d’initiative et de référendum. Mettant immédiatement en action leur opposition à toute forme de parlementarisme, les nazis diminuèrent les pouvoirs du Reichstag, éliminèrent le Reichsrat, réalisèrent la fusion des postes de président et de chancelier, occupés par le Führer. Par l’acte du 24 mars 1933, le Cabinet reçut des pouvoirs législatifs illimités, y compris le droit de s’écarter de la Constitution. Puis, ainsi que je l’ai indiqué, le Reichsrat fut aboli et, par cet acte, ce qui restait de pouvoir législatif au Reichstag fut réduit au minimum. Je prétends que son pouvoir fut réduit au minimum, parce que le pouvoir nominal de légiférer ne fut jamais retiré au Reichstag ; mais après l’accession du Parti au pouvoir, il ne lui fut jamais permis de l’exercer. La Reichsregierung conserva toujours ses attributions législatives malgré, de temps en temps, la création d’organismes administratifs nouveaux tels que, à droite du schéma, le plénipotentiaire à l’administration du Reich (Generalbevollmächtigter für die Reichsverwaltung), à droite également, le plénipotentiaire général à l’Économie (Generalbevollmächtigter fur die Wirtschaft) et le Conseil des ministres pour la Défense du Reich, dans la grande case à droite de la ligne verticale. Ces organismes avaient cependant reçu certains pouvoirs législatifs parallèles.

L’évolution du Reichstag jusqu’au stade de corps législatif affaibli n’était cependant qu’un pas intermédiaire sur la voie du gouvernement par décrets du Führer ; c’était le but suprême du Parti, et ce but fut atteint.

Les nazis déléguèrent ensuite une part des pouvoirs du Cabinet du Reich à toutes sortes d’organismes nouvellement créés. J’ai déjà mentionné certains d’entre eux. Les fonctions du Cabinet furent d’abord déléguées au Conseil de Défense du Reich (Reichsverteidigungsrat), peut-être dès le 4 avril 1933, mais certainement pas plus tard que 1935. Cette explication est assez nébuleuse parce que nous avons affaire, dans beaucoup de cas, à des décrets et à des actes secrets. Nombre de ces décrets ne furent jamais publiés à temps. Souvent même, ils ne furent pas publiés du tout, et le peuple allemand lui-même en ignora l’existence. C’est pourquoi je prétends que le Conseil de Défense du Reich peut avoir été créé deux mois et demi après l’accession de Hitler au pouvoir ; en tout état de cause, nous estimons pouvoir établir que cet organisme important du Gouvernement du Reich ne fut pas créé plus tard que le mois de mai 1935.

Je mets l’accent sur l’importance de cet organisme, car c’est lui qui a décidé de la guerre. Hitler lui-même le présidait et l’accusé Göring y siégeait.

C’était un corps important institué en vue de la guerre et qui comprenait de nombreux membres du Cabinet. Il possédait aussi un Comité exécutif, dont nous ne connaissons pas l’effectif, présidé par l’accusé Keitel. Ce Comité se composait principalement de membres du Cabinet et de fonctionnaires importants de la Défense du Reich, dont la majorité était désignée par les membres du Cabinet, et soumis à leur contrôle.

D’autres pouvoirs étaient délégués au plénipotentiaire à l’Administration dont j’ai parlé tout à l’heure : ce fut l’accusé Frick et plus tard le célèbre Himmler. Étaient subordonnés à Frick, en sa qualité de plénipotentiaire à l’Administration, le ministère de l’Intérieur (ancien ministère de Frick), le ministère de la Justice, le ministère de l’Éducation, les ministères des Cultes et de l’Organisation de l’espace (Raumordnung). D’autres pouvoirs étaient accordés au délégué au Plan de quatre ans, l’accusé Göring, dont le nom figure à gauche de la ligne centrale du tableau, à mi-chemin de l’extrêmité.

D’autres fonctions étaient conférées à un autre organisme qui, malheureusement, ne figure pas sur ce schéma : le Triumvirat dont le titre devrait être indiqué au-dessus des trois dernières cases en haut et à droite. Ce Collège comprenait non seulement le plénipotentiaire à l’Administration, mais aussi le plénipotentiaire à l’Économie de guerre. Je crois que le président de ce groupe était l’accusé Keitel, en sa qualité de chef de l’OKW, État-Major de toutes les Forces armées. Ses attributions consistaient, semble-t-il, à élaborer des projets et des lois concernant la préparation et la conduite de la guerre.

Le Conseil de Cabinet secret (Geheimer Kabinettsrat) dont von Neurath était, je crois, président, avait d’autres pouvoirs. Il fut créé par décret du Führer en 1938.

Certaines autres délégations de pouvoir furent attribuées au Ministerrat für die Reichsverteidigung, c’est-à-dire au Conseil ministériel pour la Défense du Reich, qui apparaît dans la case la plus petite au-dessous de la grande case représentant le Conseil de Défense du Reich, à droite de la ligne verticale. Le Conseil des ministres pour la Défense du Reich était responsable devant le Führer seul. Ses membres, comme l’indique le tableau, étaient pris parmi les membres du Conseil de Défense du Reich. Il avait de larges pouvoirs pour promulguer des décrets ayant force de loi, dans la mesure où la Reichsregierung elle-même n’avait pas légiféré en la matière. Il faut souligner que cette délégation des fonctions du Cabinet à des organismes composés pour une bonne part de ses propres membres camouflait des décisions importantes de la Reichsregierung, en particulier celles concernant la préparation de la guerre ; l’autorité nécessaire était ainsi déléguée à des organismes secrets ou demi-secrets. Ainsi, d’une façon générale, comme je l’ai souligné, le parti national-socialiste a réussi à réaliser la politique nazie au moyen de subterfuges, de l’appareil de l’État et de la Reichsregierung, dans leur forme modifiée.

Si le Tribunal veut bien me le permettre, je crois qu’il serait utile de montrer sur ce plan, le grand nombre d’organismes dans lesquels les accusés réapparaissent, chargés de fonctions gouvernementales.

D’abord, la Reichsregierung elle-même. Je regrette de dire qu’il y a ici une omission très importante : celle du vice-chancelier von Papen. Von Papen est resté vice-chancelier sous Hitler, de la prise du pouvoir jusqu’aux environs de l’épuration de juin 1934.

Le Tribunal verra également, parmi les ministres du Reich avec portefeuille, des ministres sans portefeuille, parmi lesquels figurent les noms de la plupart des accusés. Il s’y trouve des ministres d’État, agissant en tant que ministres du Reich, et le Tribunal remarquera à ce propos le nom de l’accusé Frank. Il y a également d’autres participants aux réunions du Cabinet parmi lesquels on notera le nom de l’accusé von Schirach.

Sur le tableau, on voit le Cabinet du Reich et toutes les organisations issues de la Reichsregierung. On y voit aussi le Conseil de Cabinet secret qui comprend des noms d’accusés ; puis, à gauche, le délégué au Plan de quatre ans. À l’autre extrémité, se trouve le Reichstag, présidé par l’accusé Göring, et le chef de la fraction nazie du Reichstag, l’accusé Frick. À droite de la ligne médiane, nous avons le Conseil de Défense du Reich présidé par Hitler ; au-dessous, le Comité de Défense du Reich. Nous y voyons principalement des membres du Cabinet, y compris des chefs militaires, notamment l’accusé Raeder et l’accusé Keitel et, plus à droite, tous les noms des accusés : Schacht, premier plénipotentiaire à l’Économie de guerre, remplacé plus tard par Funk ; le Feldmarschall Keitel, chef de l’OKW ; puis encore l’accusé Frick, en qualité de plénipotentiaire pour l’Administration, dans le groupe qui fut connu sous le nom de Triumvirat. En descendant la ligne verticale jusqu’au milieu de la ligne horizontale dans le milieu, nous voyons les divers ministères contrôlés par la Reichsregierung. À l’extrême gauche et à l’extrême droite, se trouvent des services très importants créés à l’instigation du Parti. Ces bureaux dépendaient directement du Führer.

Commençons maintenant par la gauche ; j’indique que lorsque le Gouvernement civil eut remplacé, dans les Pays-Bas, l’administration militaire, l’accusé Seyss-Inquart devint commissaire pour les Pays-Bas. Un peu plus bas, nous trouvons le nom de von Neurath, protecteur du Reich pour la Bohême-Moravie, qui fut plus tard remplacé par Frick ; au-dessous, celui de l’accusé Frank, Gouverneur Général de la Pologne.

À côté de ce groupe d’administrateurs, dépendant directement du Président et Chancelier, figure le ministère des Affaires étrangères, avec à sa tête von Ribbentrop et avant lui, von Neurath.

Changeons de case ; sous la plus petite, consacrée aux représentations diplomatiques allemandes, nous devrions trouver, dans un schéma plus détaillé, le nom de von Papen qui fut pendant un certain temps représentant du Reich en Autriche, et, plus tard, en Turquie.

La case suivante, sur la ligne horizontale, est celle du ministère de l’Économie (Reichswirtschaftsministerium). Nous y voyons d’abord le nom de Schacht, puis celui de Göring et enfin celui de l’accusé Funk.

La case suivante est celle du ministère de l’Armement et de la Production de guerre (Reichsministerium für Rüstung und Kriegs-produktion), dirigé par l’accusé Speer. En dehors de cette organisation et lui étant subordonnée, l’organisation Todt, avec le nom de l’accusé Speer qui succéda à Todt après la mort de celui-ci.

Deux cases plus loin, le ministère de la Justice. Si le Tribunal veut bien me suivre au bas du tableau, sous la case consacrée au ministère de la Justice, nous voyons la Chambre des avocats (Reichsrechtsanwaltskammer). La case en bas et à gauche est celle de l’académie allemande de Droit (Akademie fur deutsches Recht) qui fut présidée pendant un certain temps par l’accusé Frank.

Puis, non loin de la ligne verticale, le ministère de l’Air, dont l’accusé Göring était le chef, et le ministère de l’Intérieur qui fut confié à Frick.

Nous arrivons maintenant à une catégorie de fonctionnaires appelés Reichsstatthalter. Si ces cases étaient assez détaillées, nous y verrions apparaître un certain nombre de noms, en particulier celui de Sauckel, qui en dehors de ses fonctions de Gauleiter de Thuringe, était également Reichsstatthalter ou Gouverneur de Thuringe, et le nom de von Schirach qui n’était pas seulement Gauleiter de Vienne, mais aussi Reichsstatthalter ou représentant du pouvoir central à Vienne.

Dépendant du ministère de l’Intérieur, vous trouverez quelques cases consacrées à la Police allemande et, dans la première subdivision de droite apparaît le chef de la Police de sûreté et du SD, l’accusé Kaltenbrunner.

Dans le ministère de la Propagande, vers le milieu en descendant, apparaît le nom de l’accusé Fritzsche qui, à l’époque où ce schéma fut préparé, n’occupait pas un poste de direction dans un ministère, mais qui, en fait, y avait un rôle très important. Les preuves en seront fournies plus tard.

À l’extrémité de la ligne horizontale, se trouve le ministère pour les Territoires occupés de l’Est, le « Reichsministerium fur die besetzten Ostgebiete », dont l’accusé Rosenberg était le chef. À droite de cette case, parmi les organisations immédiatement subordonnées à Hitler en tant que Chancelier et Président, se trouvent le poste d’inspecteur général des communications routières auquel est associé le nom de l’accusé Speer, l’inspecteur général des Eaux et de l’Énergie hydraulique de nouveau avec Speer, puis l’Office forestier du Reich (Reichsforstamt), avec l’accusé Göring, le chef de la jeunesse du Reich, l’accusé Schirach (Reichsjugendführer), le commissaire à l’Habitation, poste occupé par le défunt accusé Ley (Reichswohnungskommissar), et, parmi les organismes qui suivent, le très important organisme de la Reichsbank, dont l’accusé Schacht fut le président avant Funk ; enfin l’inspecteur général des Constructions pour la capitale du Reich, l’accusé Speer (Generalbauinspekteur für die Reichshauptstadt).

Je crois avoir cité tous les accusés qui apparaissent sur ce schéma. Ceux qui sont devant vous, sauf l’accusé Jodl, étaient tous investis d’une fonction ou d’une autre, souvent de plusieurs en même temps. L’accusé Jodl était le chef d’Etat-Major de toutes les Forces armées ; il était le chef du « Wehrmachtsführungsstab ». Dans les schémas que nous verrons plus tard, Jodl apparaîtra à un poste très important dans la structure de la Wehrmacht.

Je voudrais apporter une rectification, car j’ai commis une erreur en exposant l’organisation du Parti. Dans le schéma du Parti, figurait une petite case à gauche contenant le nom des successeurs désignés du Führer. J’ai déclaré que Göring succédait à Hess ; en réalité Göring fut toujours le premier successeur désigné par Hitler. Hess ne venait qu’en second lieu.

Dans l’annexe A de l’Acte d’accusation, nous voyons énumérés les divers postes, fonctions dans le Parti et fonctions dans l’État, que les accusés ont détenus pendant la période qui nous occupe. Nous aimerions apporter maintenant les preuves établissant que ces postes ont été effectivement occupés par les accusés. Dix-sept déclarations signées par les accusés eux-mêmes ou par leurs avocats, certifient qu’ils ont bien occupé ces postes dans le Parti ou dans l’État. Quelques-unes de ces déclarations n’étant pas aussi complètes que nous le voudrions, nous leur avons apporté des corrections complémentaires. Je désire vous soumettre ces preuves. Et maintenant, je dépose comme preuves ces deux schémas que j’ai eu l’honneur de commenter devant vous ce matin.

LE PRÉSIDENT

Le Ministère Public américain veut-il continuer son exposé jusqu’à 12 h. 30 ?

COLONEL STOREY

Plaise à Votre Honneur. Il va être 12h30 dans deux minutes. M. Albrecht a terminé et, le commandant Wallis prendra la suite à 2 heures.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)