Troisième journée
Jeudi 22 novembre 1945.

Audience de l’après-midi.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. Le commandant Frank Wallis va présenter les dossiers et les documents relatifs à la partie de l’accusation se référant au plan concerté ou complot, jusqu’en 1939.

Commandant Wallis.

COMMANDANT FRANK B. WALLIS (substitut du Procureur Général américain)

Monsieur le Président, Messieurs les juges. Je me propose de prouver la plupart des allégations de l’Acte d’accusation, depuis le paragraphe IV de la page 3 du texte anglais, jusqu’au sous-paragraphe E de la page 6. Il s’agit des points suivants : les buts du parti nazi, ses méthodes, son accession au pouvoir et la consolidation de son contrôle sur l’Allemagne entre 1933 et 1939, dans le but de préparer la guerre d’agression.

Cette évolution a déjà été esquissée par le Procureur Général américain ; de plus, ce sont là des faits historiques, sans contradiction possible de la part des accusés. Je demande au Tribunal de leur accorder valeur probatoire. Les preuves que nous présentons n’ont qu’un simple intérêt d’illustration ; elles comprennent les déclarations des accusés et d’autres chefs nazis, des lois, des décrets, et d’autres actes semblables. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les documents saisis ou sur d’autres sources spéciales, bien que certains d’entre eux aient été utilisés.

Pour faciliter la tâche du Tribunal et de la Défense, ce matériel d’information a été rassemblé en livres de documents, et les arguments que nous en tirons sont dans les dossiers d’audience. Seulement j’ai l’intention de commenter brièvement certains documents et de résumer les traits essentiels des dossiers.

Que contient le chef d’accusation n° 1 ?

Il reproche aux accusés, et à diverses autres personnes, d’avoir participé à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou complot, visant à commettre ou impliquant la perpétration de crimes contre l’Humanité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Allemagne, de crimes de guerre et de crimes contre la Paix. L’accusation précise, en outre, que l’instrument de cohésion entre les accusés, en même temps que l’instrument d’exécution des buts du complot auquel il donna son adhésion, fut le parti nazi dont chaque accusé était membre ou devint un adhérent.

L’étendue des preuves que je vous soumets est la suivante :

1. Le parti nazi s’est fixé certains buts et objectifs, principalement l’acquisition de « Lebensraum » ou espace vital pour tous les Allemands de race (Volksdeutschen).

2. Il a préconisé n’importe quelle méthode, qu’elle soit légale ou non, pour atteindre ces buts, et en fait, il a utilisé des méthodes illégales.

3. Il a défini ou propagé divers thèmes de propagande et utilisé diverses méthodes de propagande pour faciliter son accession au pouvoir sans tenir compte d’aucun principe.

4. En définitive, il s’est emparé de tout pouvoir gouvernemental en Allemagne.

5. Le parti nazi a utilisé ce pouvoir pour parachever la conquête politique de l’État, pour écraser toute opposition et pour préparer la nation, psychologiquement et à d’autres points de vue, à l’agression contre l’étranger qu’il préméditait dès le début.

En général, dans la mesure où cela concerne l’Accusation, notre tâche sera de décrire les événements qui se sont produits en Allemagne avant la guerre, laissant à d’autres le soin de continuer l’histoire et l’apport de preuves intéressant la période des années de guerre.

Les buts de ce complot étaient publics et notoires. Il était très différent de tout autre complot qui ait jamais été exposé devant un tribunal, non seulement à cause du nombre énorme de gens qui y ont participé, de sa durée, de son ampleur et de son audace, mais aussi parce qu’à l'encontre des autres conspirateurs criminels, ces conspirateurs ont orgueilleusement fait part au monde de leurs desseins avant de les mettre à exécution. Ainsi, dans son discours du 30 janvier 1941, Hitler proclamait :

« J’ai fixé le programme suivant : abolition du Traité de Versailles. Le reste du monde commet une absurdité lorsqu’il prétend que je n’ai dévoilé mon programme qu’en 1933, 1935 ou 1937. Au lieu d’écouter le stupide bavardage des émigrés, ces messieurs auraient été bien plus avisés de lire ce que j’ai écrit des milliers de fois. Aucun être humain n’a, plus que moi, proclamé ou écrit ses intentions. Et sans cesse j’ai écrit ces mots : "Abolition du Traité de Versailles". »

Tout d’abord une brève référence à l’histoire du parti nazi.

Le Tribunal se souvient, sans nul doute, que le parti national-socialiste a son origine dans le parti allemand du travail qui fut fondé le 5 janvier 1919 à Munich. C’est à cette organisation que Hitler adhéra, en qualité de septième membre, le 12 septembre 1919. Lors d’une réunion du parti allemand du travail, tenue le 24 février 1920, Hitler annonça au monde les vingt-cinq points qui, par la suite, furent érigés en programme inaltérable du parti ouvrier national-socialiste allemand.

Quelques jours plus tard, le 4 mars 1920, le nom du parti allemand du travail fut changé en celui du parti ouvrier national-socialiste allemand, que l’on appelle fréquemment NSDAP ou parti nazi. C’est sous ce nom qu’il continua à exister jusqu’à sa dissolution, après l’écroulement et la reddition sans conditions de l’Allemagne, en 1945.

Les querelles ou les intrigues à l’intérieur du Parti entre les partisans de Hitler et ceux qui se dressaient contre lui, furent finalement réglées le 29 juillet 1921, quand Hitler devint Premier Président et reçut des pouvoirs extraordinaires. Hitler réorganisa immédiatement le Parti et lui imposa le « Führerprinzip », le principe du chef, dont on vous parlera encore. Par la suite, Hitler, le Führer régla toutes les questions et prit toutes les décisions pour le Parti.

Les buts essentiels du Parti, que l’on attribue aux accusés et à leurs co-conspirateurs en raison de leur appartenance ou de leur adhésion en connaissance de cause au dit Parti, étaient proclamés ouvertement et de façon publique. Ils furent exposés dans le programme du Parti de 1920, publiés dans Mein Kampf, et, de façon générale, dans la littérature nazie, et formés de façon continue dans le moule de l’action publique du Parti depuis la date de sa fondation.

Deux conséquences importantes dans le jugement de cette cause découlent du fait que les objectifs essentiels du Parti ont été proclamés publiquement et de façon réitérée :

1. Le Tribunal peut leur accorder valeur probatoire ;

2. Les accusés et leurs co-conspirateurs ne sauraient être autorisés à les nier ou à affirmer qu’ils les ignorent.

Le Ministère Public n’offre des preuves des objectifs essentiels du Parti, et, par conséquent, des objectifs du complot, que pour rafraîchir ou pour aider les souvenirs des juges. Les principaux objectifs étaient :

1. Abolir le Traité de Versailles et ses limitations de l’armement et de l’activité militaire de l’Allemagne ;

2. Acquérir les territoires perdus par l’Allemagne lors de la première guerre mondiale ;

3. Acquérir d’autres territoires habités par de soi-disant « Allemands de race » ;

4. Acquérir encore d’autres territoires, que l’on disait nécessaires comme espace vital, aux Allemands de race ainsi incorporés. Tout cela aux dépens des pays voisins et des autres pays.

En ce qui concerne le premier but (ceci est également valable pour les autres), Hitler avoua dans ses discours et ses écrits avoir plus de mille fois demandé l’abolition du Traité de Versailles.

Ces buts sont pleinement prouvés par les documents nombreux que présentera le Ministère Public pour cette phase du complot, et il n’est pas dans mon intention, en ce moment, d’énumérer devant le Tribunal les nombreuses déclarations faites à ce sujet par les accusés, ou par d’autres.

De plus, certains conspirateurs ont annoncé publiquement à diverses reprises, au monde encore incrédule, qu’ils se proposaient d’atteindre ces buts par tous moyens qu’ils jugeraient opportuns, y compris les moyens illégaux et le recours à la menace, à la violence et à la guerre d’agression. L’usage de la violence fut expressément recommandé, et en fait garanti par des déclarations officielles et par les directives données par les conspirateurs qui faisaient de l’activisme et de l’esprit agressif des qualités politiques obligatoires pour les membres du Parti. Comme Hitler l’a dit dans Mein Kampf :

« Ce dont nous avions besoin, et dont nous avons encore besoin, ce ne sont pas cent ou deux cents conspirateurs audacieux, mais cent mille et encore cent mille combattants pour notre philosophie de l’existence. »

En 1929, Hitler déclarait :

« Nous avouerons, en outre, que nous briserons quiconque osera s’opposer à nous dans cette entreprise. Nos droits ne seront protégés que lorsque le Reich allemand sera à nouveau sous la protection des baïonnettes allemandes. »

En 1934, au congrès du Parti à Nuremberg, Hitler définit dans les termes suivants les devoirs des membres du parti nazi :

« Une partie seulement de la population constituera les véritables combattants actifs. Ce sont ceux qui ont été les combattants de la révolution nationale-socialiste. Il leur est demandé plus qu’aux millions d’autres qui forment la population. Pour eux, il ne suffit pas de confesser "Je crois", mais de jurer "Je combats". »

Pour prouver que le Parti était prêt à employer n’importe quel moyen, qu’il soit légal ou non, il suffit de rappeler au Tribunal que le Parti, en fait, commença son ascension par une révolution : le putsch de Munich en 1923.

Examinons maintenant la technique du plan concerté ou complot, telles qu’elle est décrite dans l’Acte d’accusation.

Pour inciter les autres à se joindre au plan concerté ou complot, et comme moyen de s’assurer au plus haut degré le contrôle sur le peuple allemand, les conspirateurs nazis propagèrent et exploitèrent certaines doctrines.

La première de ces doctrines était celle de la « race des seigneurs » selon laquelle les personnes de prétendu sang allemand formaient une race de seigneurs. Cette doctrine de la suprématie raciale fut insérée comme quatrième point dans le programme du Parti, qui déclare :

« Seul un membre de la race peut être citoyen. Ne peut être membre de la race que celui qui est de sang allemand sans considération de confession. Par conséquent, aucun Juif ne peut être membre de la race. »

Cette doctrine de la race des seigneurs prenait ainsi l’apparence d’une nouvelle religion ; la religion du sang, remplaçant dans l’allégeance individuelle toute autre religion et institution. L’accusé Rosenberg et l’accusé Streicher jouèrent un rôle particulièrement éminent dans la propagation de cette doctrine. Une bonne partie des preuves que nous présenterons au cours de ce Procès, illustrera l’utilisation continuelle que l’exploitation des conspirateurs nazis a faite de cette doctrine de la race des seigneurs.

Cette doctrine se proposait d’éliminer tout ce qui était « non-allemand » c’est-à-dire juif ; ce seul qualificatif vous donnait le droit, et vous faisait un devoir de le supprimer. En fait, l’épuration ne se borna pas aux frontières raciales, mais alla bien au delà.

La deuxième doctrine importante qui imprègne le complot tout entier, et qui constitue un facteur de poids dans l’établissement de la culpabilité de chacun de ces accusés, est la doctrine ou concept du « Führerprinzip » ou principe du chef. Cette doctrine imprégnait le parti nazi et toutes ses formations et organismes affiliés et, en définitive, elle imprégna l’État nazi, et toutes les institutions qui y étaient rattachées. Elle est d’une telle importance, que j’aimerais m’y attarder pendant quelques instants et essayer d’expliquer les idées qu’elle renferme.

Le principe du chef entraîne deux conceptions politiques importantes.

1. Le principe d’autorité ;

2. Le principe totalitaire.

Le principe d’autorité implique ce qui suit : Toute l’autorité est concentrée au sommet et remise entre les mains d’une seule personne, le Führer. Cela signifie, en outre, que le Führer est infaillible comme il est tout puissant. Le manuel du Parti déclare : « Commandements du national-socialiste : le Führer a toujours raison… »

De même, il n’y a aucune limite légale ou politique à l’autorité du Führer. Toute autorité exercée par d’autres, découle de celle du Führer. De plus, dans la sphère de compétence qui lui est impartie, chaque personne désignée par le Führer, exerce son pouvoir d’une façon également illimitée, subordonnée seulement aux ordres de ses supérieurs hiérarchiques. Chaque personne nommée doit une obéissance absolue et sans conditions au Führer et aux chefs du Parti qui lui sont supérieurs dans la hiérarchie.

Chaque chef politique était tenu chaque année à une prestation de serment. D’après le manuel du Parti, qui sera déposé comme preuve, les termes du serment étaient les suivants :

« Je jure fidélité éternelle à Adolf Hitler. Je m’engage à lui obéir sans réserve, ainsi qu’au chef qu’il désigne. »

Le manuel du Parti déclare également que « le chef politique est inséparablement lié à l’idéologie et à l’organisation de la NSDAP. Il n’est délié de son serment que par la mort ou par son expulsion de la communauté nationale-socialiste. »

Comme l’accusé Hans Frank l’a déclaré dans l’une de ses allocutions, « le principe du chef, dans l’administration, signifie : remplacer toujours la décision de la majorité par une décision prise par une seule personne désignée, ayant des pouvoirs clairement délimités, et seule responsable devant ceux qui sont au-dessus d’elle, en lui laissant la responsabilité de faire exécuter les décisions par ses subordonnés. »

Et finalement, le concept d’autorité contenu dans le « Führerprinzip » implique que l’autorité du Führer s’étend à toutes les sphères de la vie publique et privée.

Le second grand concept du principe du chef est le principe totalitaire qui entraîne les conséquences suivantes : l’autorité du Führer, des personnes qu’il désigne, et par leur intermédiaire, de l’ensemble du Parti, s’étend à toutes les sphères de la vie publique et privée : Le Parti domine l’État ; Le Parti domine l’Armée ; Le Parti domine tous les individus dans l’État ; Le Parti élimine toutes les institutions, les groupes et les individus qui se refusent à accepter la direction de leur Führer.

Le manuel du Parti déclare :

« Seules ont le droit de se réclamer de l’institution du principe du chef et de la conception nationale-socialiste de l’État et du peuple, dans le sens national-socialiste du terme, les organisations… qui ont été intégrées, surveillées et formées par le Parti et qui, à l’avenir, continueront à l’être. »

Le manuel poursuit :

« Toutes les autres organisations qui mènent une vie qui leur est propre doivent être rejetées comme étrangères, et devront, ou bien s’adapter, ou disparaître de la vie publique. »

Des illustrations du « Führerprinzip » et de son application au Parti, à l’État, et aux organisations affiliées, abondent dans le dossier et dans les documents qui l’accompagnent et qui seront déposés comme preuves.

La troisième doctrine ou technique utilisée par les conspirateurs nazis pour faire plier le peuple allemand devant leur volonté et lui faire servir leurs desseins était que la guerre est une activité noble et nécessaire pour les Allemands. Le but de cette doctrine a été bien exposé par Hitler dans Mein Kampf lorsqu’il écrivait :

« La question de la restauration de la puissance allemande ne pose pas le problème de savoir comment fabriquer des armes, mais celui de savoir comment créer l’esprit qui rendra un peuple capable de porter les armes. Si cet esprit règne sur un peuple, la volonté trouve mille moyens de s’assurer des armes. »

Les écrits de Hitler et ses proclamations publiques sont remplis de ses déclarations légitimant l’usage de la violence et glorifiant la guerre. Le passage suivant est typique :

« Toujours devant Dieu et le Monde, le plus fort a le droit d’imposer sa volonté. L’Histoire le démontre : celui qui n’a pas le pouvoir n’a que faire du droit. »

Comme nous pourrons le démontrer par les preuves qui vont suivre, cette doctrine de l’apologie de la guerre a joué un rôle essentiel dans l’éducation de la jeunesse allemande au cours de la période d’avant-guerre.

Je dépose maintenant les documents qui établissent les buts du parti nazi et ses techniques doctrinales. Je puis également déposer, pour aider le Tribunal et les avocats, les dossiers qui tirent leur argumentation de ces documents.

J’attire maintenant votre attention sur l’accession au pouvoir du parti nazi.

La première tentative pour acquérir le contrôle politique fut faite par la violence. En réalité, à aucun moment pendant cette période, le parti nazi n’a participé à des campagnes électorales, ni jugé bon de collaborer avec d’autres…

LE PRÉSIDENT

Commandant Wallis, avez-vous des copies de ces documents pour les avocats ?

COMMANDANT WALLIS

Oui, Monsieur le Président, dans la pièce 54.

LE PRÉSIDENT

Je crois qu’ils désirent pouvoir suivre dès maintenant.

COMMANDANT WALLIS

Monsieur le Président, les remarques que je vais faire concernent un sujet différent de celui qui est traité dans les dossiers qui vous ont été remis ; ces dossiers ne correspondent qu’aux explications que j’ai déjà données.

LE PRÉSIDENT

Mettrez-vous une copie de ces dossiers à la disposition de chacun des avocats ?

COMMANDANT WALLIS

Plaise à Votre Honneur. Je crois savoir qu’on procédera avec ces dossiers de la même manière qu’avec les documents : six exemplaires ont été mis à la disposition des avocats dans la pièce 54. Si le Tribunal ne juge pas ce nombre suffisant, je puis affirmer au nom du Procureur Général américain, qu’avant la fin de la journée une plus grande quantité de copies sera mise à leur disposition.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que chaque avocat devrait avoir un exemplaire des dossiers.

COMMANDANT WALLIS

Ce sera fait, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Messieurs les avocats, je viens de donner des directives, au nom du Tribunal, pour que chacun de vous ait un exemplaire de ce dossier.

Dr DIX

Nous sommes très reconnaissants de cette mesure, mais aucun d’entre nous n’a vu les documents dont on vient de parler. Je présume et espère que ces documents seront soumis dans une traduction allemande à la Défense.

LE PRÉSIDENT

Oui. Commandant Wallis ?

COMMANDANT WALLIS

J’attire maintenant votre attention sur l’accession au pouvoir du parti nazi.

Le 9 novembre 1923 marqua la fin d’une époque et le début d’une autre. Le 9 novembre se produisit un fait historique, connu communément sous le nom de putsch hitlérien. Pendant la nuit du 8 au 9 novembre, lors d’une réunion tenue à Munich, Hitler soutenu par les SA, sous la direction de l’accusé Göring proclama la révolution nationale et sa dictature sur l’Allemagne et se nomma lui-même Chancelier du Reich. Le lendemain matin, les autorités normalement constituées de l’État, après quelques effusions de sang à Munich, mirent fin à cette tentative illégale de prise du pouvoir. Hitler et quelques-uns de ses partisans furent arrêtés, jugés et condamnés à l’emprisonnement.

L’ère nouvelle du mouvement national-socialiste commença avec les mots d’ordre lancés par Hitler, de sa prison, en décembre 1924. Avec le retour de son chef, le Parti reprit une fois de plus sa lutte pour le pouvoir. Les interdictions prononcées par le Gouvernement contre le parti nazi, à l’époque du putsch de Munich, furent graduellement supprimées, et Hitler, chef du Parti, annonça officiellement qu’en cherchant à réaliser ses buts pour renverser le Gouvernement de Weimar, le Parti n’aurait recours qu’à des moyens légaux. On peut, à juste titre, tirer de ces faits la conclusion que le recours par le parti nazi à la légalité était le seul moyen qui lui restait de continuer ses activités dans un État démocratique. Mais en accord avec son recours officiel à la légalité, le Parti participa aux élections du peuple allemand et, de façon générale, prit part à la vie politique. En même temps, il se plongea dans une activité fiévreuse pour multiplier le nombre de ses adhérents et étendre le cadre de son organisation et de ses activités. Les SA et les SS recrutèrent de nombreux adhérents nouveaux. Mein Kampf, écrit par Hitler, parut en 1925. La Jeunesse hitlérienne fut créée. Des journaux furent publiés, parmi lesquels le Völkischer Beobachter dont l’accusé Rosenberg était le rédacteur en chef, et Der Angriff, publié par Goebbels, qui, devint plus tard le célèbre ministre de la Propagande et de l’Information.

Les réunions des autres partis politiques furent troublées et interrompues par des actes de violence et il y eut énormément de désordres dans les rues.

Les tentatives « légales » du Parti pour s’emparer du pouvoir politique n’eurent pendant un certain nombre d’années que peu de succès, malgré ses efforts assidus. Au cours de trente élections auxquelles participèrent les nationaux-socialistes, de 1925 à 1930, pour obtenir des sièges au Reichstag et aux Landtage ou aux conseils municipaux dans les divers États allemands, les nazis ne reçurent de mandat que dans seize cas et n’obtinrent aucun siège à chacune des quatorze autres élections. Les voix nationales-socialistes, au cours des élections de 1927, ne dépassèrent pas 4% du nombre total des suffrages. L’année 1929 marque le premier modeste succès aux urnes dans l’État de Thuringe. Les nazis reçurent plus de 11% des suffrages populaires et firent élire six représentants, sur un total de cinquante trois députés au Landtag, et l’accusé Frick devint ministre de l’Intérieur de Thuringe ; il fut le premier national-socialiste investi de fonctions ministérielles.

Avec un tel encouragement et de telles preuves du succès de ses méthodes électorales, le parti nazi redoubla ses efforts traditionnels (moyens de terreur et de coercition). Il se heurta à quelque résistance de la part du Reich et de divers États allemands. La Prusse exigea que ses fonctionnaires ne fussent plus membres adhérents du parti nazi et leur interdit le port des chemises brunes que revêtaient les SA du Parti. L’État de Baden publia également un décret contre le port des chemises brunes, et la Bavière interdit le port d’uniforme par les organisations politiques. De nouveaux écrits nationaux-socialistes parurent en Allemagne. Les nouveaux Cahiers mensuels nationaux-socialistes firent leur apparition, avec l’accusé Rosenberg comme rédacteur en chef, et peu de temps après, en juin 1930, fut publié le Mythe du XX e siècle de Rosenberg.

C’est dans cette atmosphère – le Président von Hindenburg ayant, entre temps, prononcé la dissolution du Reichstag, le Chancelier Brüning n’ayant pu réussir à obtenir un vote de confiance – que l’Allemagne se rend une fois de plus aux urnes, le 14 septembre 1930. Après cette élection, la représentation nazie au Reichstag passa de 12 sièges à 107, sur un total de 577.

Le nouveau Reichstag se réunit, et 107 nazis pénétrèrent dans la salle des séances vêtus de chemises brunes. Une opposition bruyante se manifesta aussitôt, cherchant à obtenir la chute du Cabinet Brüning. Profitant des problèmes soulevés par la crise économique qui était alors générale, les nazis cherchaient à obtenir un vote de défiance et la dissolution du Reichstag. Devant l’échec de cette tactique d’obstruction, les nazis quittèrent le Reichstag.

Avec 107 membres au Reichstag, la propagande nazie redoubla de violence. L’obstruction menée par les députés nazis au Reichstag continua dans le même sens. Des motions de défiance répétées à l’égard de Brüning, ou des demandes de dissolution du Reichstag furent déposées et rejetées. Après chaque échec, les membres du parti nazi sortaient à nouveau de la salle en rangs serrés.

Au printemps 1932, la position de Brüning devint intenable et l’accusé von Papen fut nommé Chancelier. Le Reichstag fut dissous et on procéda à de nouvelles élections au cours desquelles les nazis virent le nombre de leurs sièges passer à 230, sur un total de 603. La NSDAP était devenu un parti puissant en Allemagne, mais elle n’avait pas réussi à devenir le parti majoritaire. Les manœuvres d’obstruction des députés nazis au Reichstag continuèrent ; en automne 1932, le Gouvernement von Papen devint inviable. Le Président von Hindenburg prononça de nouveau la dissolution du Reichstag et, aux nouvelles élections de novembre, les nazis n’obtinrent que 196 sièges. L’éphémère Gouvernement von Schleicher fut constitué le 3 décembre 1932 et, à la fin de janvier 1933, cessa d’exister. Soutenu par le parti nationaliste de Hugenberg et par d’autres alliés politiques, Hitler, appelé par Hindenburg, devint Chancelier d’Allemagne. C’est là la fin du prologue, pourrait-on dire, de la dramatique et sinistre histoire que le Ministère Public va développer devant vous au cours de ce Procès. On remarquera, cependant, tandis que sont mis à jour les méfaits et les crimes de ces accusés et de leurs complices, qu’à aucun moment, au cours de leurs soi-disant efforts « légaux » pour acquérir le contrôle de l’État, les conspirateurs ne représentèrent la majorité. On a coutume de dire, qu’ils se sont emparés du contrôle de l’État lorsque Hitler devint Chancelier de la République allemande, le 30 janvier 1933, mais il serait plus juste de dire qu’ils se sont emparés du pouvoir, le 24 mars 1933, lorsqu’ils ont fait adopter la loi sur la protection du peuple et de l’État. Les étapes de cette marche au pouvoir valent la peine d’être décrites.

Les conspirateurs nazis savaient très bien qu’ils n’avaient pas le contrôle du pouvoir législatif de la République ; ils avaient besoin, s’ils voulaient exécuter, sous le couvert de la loi, la première phase de leur grand complot, d’un acte donnant le pouvoir législatif suprême au Cabinet de Hitler, le libérant de toutes les entraves de la Constitution de Weimar. Une telle décision nécessitait un amendement à la Constitution, supposait que les deux tiers des membres réguliers du Reichstag fussent présents et qu’il y eut un vote à une majorité des deux tiers des présents. Les événements conduisant au vote de cette loi, connue sous le nom de Loi sur la protection du peuple et de l’État, se déroulèrent de la manière suivante :

1. Le 30 janvier 1933, Hitler tint sa première réunion de Cabinet. Les accusés von Papen, von Neurath, Frick, Göring et Funk étaient présents. Nous avons le procès-verbal original de cette réunion qui sera déposé comme preuve. Au cours de cette séance, Hitler fit remarquer que l’ajournement du Reichstag serait impossible sans la collaboration du parti du centre et il continua ; « Nous pourrions envisager cependant de supprimer le parti communiste pour éliminer ses voix au Reichstag et par cette mesure, obtenir une majorité au Reichstag ». Hitler exprima cependant la crainte que le résultat ne se traduisît par une grève générale. Le ministre de l’Économie du Reich, aux termes du procès-verbal officiel, déclara que, d’après lui, il était impossible d’éviter l’élimination en Allemagne du parti communiste, car, si cette mesure n’était pas prise, on ne pourrait obtenir la majorité au Reichstag, et certainement pas une majorité des deux tiers ; il ajouta qu’après la suppression du parti communiste, le vote par le Reichstag de la loi accordant les pleins pouvoirs serait alors possible. L’accusé Frick proposa de demander les pleins pouvoirs au Reichstag. Au cours de cette réunion, Hitler se déclara prêt à entrer en contact, le lendemain matin, avec les représentants du parti du centre pour voir ce qu’on pourrait en obtenir par des négociations.

2. L’événement suivant fut l’incendie du Reichstag, le 28 février 1933.

3. À la faveur de l’incertitude et de l’agitation causées par l’incendie du Reichstag et des incidents provoqués par les SA, le jeu des articles de la Constitution de Weimar garantissant la liberté individuelle et d’autres libertés fut suspendu par un décret du président du Reich du 28 février. Le 5 mars 1933, eurent lieu des élections pour le Reichstag. Les nazis acquirent 288 sièges sur un total de 647.

Le 15 mars 1933 se tint une autre réunion du Cabinet du Reich et nous en possédons aussi le procès-verbal original qui porte les initiales des accusés qui y assistaient, ce qui indique qu’ils l’avaient lu et me permet d’affirmer que les accusés von Papen, von Neurath, Frick, Göring et Funk en ont eu connaissance et l’ont approuvé. À cette réunion, d’après le procès-verbal officiel, Hitler déclara que le vote d’une loi lui conférant des pouvoirs étendus à une majorité des deux tiers ne rencontrerait aucune opposition. L’accusé Frick fit remarquer que le Reichstag devait ratifier cette décision dans les trois jours, à la majorité constitutionnelle, et que le parti du centre ne s’était pas exprimé d’une façon négative. Il poursuivit en disant que ce texte devait être rédigé de telle sorte qu’il permît toute entorse aux articles de la Constitution du Reich. Il déclara, en outre, que puisque la Constitution exigeait une majorité des deux tiers, il fallait 432 voix pour ratifier cette loi. À cette réunion, l’accusé Göring exprima sa conviction que ce texte serait ratifié aux deux tiers nécessaires, car, de toute façon, il était possible d’obtenir la majorité en refusant à quelques sociaux-démocrates l’accès au Reichstag.

Le 20 mars eut lieu une autre réunion du Cabinet et nous avons aussi le compte rendu officiel original de cette réunion qui sera déposé comme preuve : les accusés Frick, von Papen, von Neurath, Göring et Funk y assistaient. Le texte de loi proposé fut à nouveau le sujet de la discussion. Hitler présenta un rapport sur la conférence qu’il avait eue avec les représentants du parti du centre. L’accusé von Neurath proposa de rédiger une note sur l’accord avec les représentants du parti du centre. L’accusé Frick exposa le projet de loi proposé et déclara que des modifications dans les lois et les règlements du Reichstag étaient également nécessaires, qu’une règle explicite devait être adoptée, aux termes de laquelle les députés absents sans excuse seraient considérés comme présents, et qu’ainsi il serait probablement possible de ratifier le texte des pleins pouvoirs au cours des trois séances du jeudi suivant.

Il est intéressant de remarquer que, parmi les faits que mentionne ce procès-verbal officiel de la réunion du Cabinet, figure une déclaration de l’accusé Göring ordonnant aux troupes SA d’être prudentes sur la frontière polonaise et de ne pas se montrer en uniforme ; l’accusé von Neurath recommanda aussi la prudence aux SA, surtout à Dantzig. De plus, l’accusé von Neurath fit remarquer que des communistes en uniforme de SA étaient constamment arrêtés et que ces provocateurs devaient être pendus. La Justice, à son avis, devait trouver les moyens de rendre possible un tel châtiment pour les provocateurs communistes.

Le 14 mars 1933, l’accusé Frick annonça :

« Quand le Reichstag se réunira le 21 mars, les communistes, appelés ailleurs par des tâches urgentes, seront empêchés de participer à la session. Ils seront rééduqués dans des camps de concentration en vue d’un travail productif ; nous saurons comment les rendre à tout jamais inoffensifs ces êtres humains inférieurs qui ne veulent pas être rééduqués. »

Pendant cette période profitant du décret qui suspendait les garanties constitutionnelles de liberté, un grand nombre de communistes, y compris des fonctionnaires du parti et des députés au Reichstag et un nombre plus restreint de fonctionnaires et députés sociaux-démocrates, furent placés en internement de protection. Le 23 mars 1933, en soutenant ce projet de loi, Hitler déclara au Reichstag : « C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient maintenant de décider de la paix ou de la guerre. »

Le 24 mars 1933, 535 seulement sur les 647 députés prévus étaient présents au Reichstag. Certains n’avaient pu s’excuser de leur absence ; ils étaient en internement de protection dans des camps de concentration. Écrasé sous la pression et la terreur nazie, le Reichstag vota un texte attributif de pouvoirs spéciaux connu sous le nom de « Loi sur la protection du peuple et de l’État » par 441 voix en sa faveur. Cette loi marque la véritable prise du pouvoir politique par les conspirateurs. L’article premier stipule que les lois du Reich pourront être promulguées par le Cabinet du Reich. L’article 2, que les lois nationales votées par le Cabinet du Reich peuvent s’écarter de la Constitution. L’article 3, que les lois nationales promulguées par le Cabinet du Reich seront préparées par le Chancelier et publiées au Reichsgesetzblatt. L’article 4, que les traités conclus entre le Reich et les États étrangers concernant des questions de législation nationale n’ont pas besoin de l’approbation des organes législatifs ; le Cabinet du Reich avait pleins pouvoirs pour promulguer les clauses nécessaires à l’exécution de ces traités.

C’est ainsi que les nazis acquirent un contrôle politique total, complètement dégagé des entraves de la Constitution de Weimar.

Je dépose maintenant les documents à l’appui des faits que je viens d’énoncer et je soumets au Tribunal et aux avocats les dossiers relatifs à cette partie de l’accusation.

LE PRÉSIDENT

Je voudrais parler au commandant Wallis. Serait-il possible au Ministère Public d’en remettre aux avocats au moins un exemplaire pour deux, ici même à l’audience, sinon aujourd’hui, tout au moins demain ?

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal, il y a eu quelques malentendus. Les dossiers ont été mis à la disposition des accusés au centre d’information de la Défense, nous en envoyons chercher quelques-uns qui seront bientôt ici. En tout cas ces documents ne sont pas en allemand, car nous avions l’intention de les confier aux avocats pour qu’ils puissent les suivre au moyen du système de traduction. Ils auraient ainsi été traduits dans toutes les langues. Toutefois, pour abréger les débats, le commandant Wallis a rédigé un résumé qu’il remet en même temps qu’il déposera les documents comme preuve. Par la suite, les dossiers seront remis, suivant les cas, au Tribunal et aux avocats. Ils se trouvent malheureusement en ce moment au Centre d’information de la Défense où nous les avons envoyé chercher. Nous croyons savoir que le Dr Kempner s’est adressé à certains avocats et a appris qu’un grand nombre d’entre eux parlent l’anglais et le lisent. Pour diminuer l’énorme effort imposé à nos services, ces dossiers n’ont pas encore été traduits en allemand. Si c’est une objection, le mieux que nous puissions faire est de ne pas les utiliser pour l’instant. Mais nous comprenons néanmoins qu’il serait préférable de les remettre dès maintenant en anglais à la Défense. Aussi proposons-nous d’affecter au Centre d’information des officiers parlant l’allemand qui traduiront les documents pour les avocats qui ne connaissent pas l’allemand, excusez-moi, qui ne connaissent pas l’anglais.

Dr DIX

J’ai une requête à présenter. En tant qu’avocats allemands nous rencontrons une grande difficulté. Ce procès se déroule suivant les règles anglo-américaines et nous nous efforçons d’assimiler ces principes, mais je serais reconnaissant à Monsieur le Président de bien vouloir tenir compte de cette situation difficile.

J’ai entendu dire – je ne sais si c’est exact – que d’après les principes du Droit anglo-américain, il est nécessaire de faire immédiatement une objection si l’on conteste le contenu d’un document ; l’objection n’est plus recevable si elle n’est pas faite dès ce moment. C’est là le point à propos duquel je voudrais présenter ma requête. Je suis convaincu que nous aurons communication des documents et des dossiers, et nous verrons si nous pouvons éviter une traduction allemande des uns ou des autres. Si nous pouvons épargner cet ennui, nous le ferons ; si la Défense a besoin de la traduction, nous la demanderons ; mais j’aimerais, et c’est là ma seule requête, qu’on nous donnât la possibilité, si nous avons une objection à faire, de la présenter ultérieurement, après discussion préalable.

Je crois que, de cette façon, nous surmonterons facilement les difficultés soulevées par la situation actuelle ; nous nous efforcerons de collaborer dans ce sens.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal est heureux de constater que les avocats font tous leurs efforts pour aider à la bonne marche des débats. À la fin de l’audience, le Tribunal examinera les méthodes susceptibles de mettre des traductions en aussi grand nombre que possible à la disposition des avocats. Vous avez raison lorsque vous pensez ne pouvoir faire des objections à un document qu’après avoir eu le temps de l’examiner au préalable.

Dr DIX

Merci, Monsieur le Président.

COMMANDANT WALLIS

Ayant acquis le contrôle politique complet, les conspirateurs nazis entreprirent de le consolider. Il y a un point sur lequel je désirerais insister : mon exposé fait état de faits auxquels le Tribunal a accordé valeur probatoire puisqu’il s’agit là d’événements historiques bien connus des accusés et de leurs avocats.

La première mesure de consolidation du pouvoir consista à éliminer impitoyablement les adversaires politiques en les enfermant dans des camps de concentration ou en les assassinant.

C’est en 1933 qu’apparurent les premiers camps de concentration. Ils servirent à éliminer les adversaires politiques que l’on y emprisonnait. C’était « l’internement de protection ». Ce système de camps de concentration se développa à l’intérieur de l’Allemagne. Au cours des débats à venir, toutes les preuves que nous possédons sur le système des camps de concentration et sur les atrocités qui y furent commises seront présentées au Tribunal sous la forme de documents et de films. Les preuves documentaires sur les arrestations, les mauvais traitements et les assassinats commis par les conspirateurs nazis au détriment de leurs adversaires politiques, se trouvent dans les pièces déposées par les États-Unis.

À titre d’exemple, l’affidavit de Raymond H. Geist, qui fut Consul américain et premier Secrétaire d’ambassade à Berlin, de 1929 à 1938, déclare (et ce document sera déposé) :

« Dès 1933, des camps de concentration furent établis et confiés à la Gestapo ; on n’y envoyait que les adversaires politiques.

« La première vague de terreur commença en mars 1933 et se déchaîna plus spécialement du 6 au 13 mars, accompagnée d’une violence populaire extraordinaire. Quand le parti nazi fut victorieux aux élections de mars 1933, la passion accumulée explosa et des attaques de grande envergure furent déclenchées contre les communistes et les Juifs, ou contre ceux qui étaient soupçonnés appartenir à l’un ou l’autre groupe. Des hordes de SA parcouraient les rues, battant, pillant et tuant. Les Allemands internés par la Gestapo furent particulièrement brutalisés et terrorisés. Les victimes se chiffrèrent par centaines de milliers dans toute l’Allemagne. »

Les 30 juin, 1er et 2 juillet 1934, les conspirateurs nazis commencèrent à éliminer l’opposition qui se manifestait à l’intérieur de leurs rangs et eurent recours à des assassinats massifs. Je voudrais citer ici une phrase prononcée, à propos de cette épuration, par l’accusé Frick, au cours d’une déposition sous serment signée le 19 novembre 1945, en présence de son avocat… C’est le document PS-2950 qui n’a pas encore été déposé.

« En juin 1934, Himmler parvint à convaincre Hitler que Röhm préparait un putsch. Le Führer donna l’ordre à Himmler d’écraser le putsch qui devait se produire à Tegernsee où étaient réunis tous les chefs des SA. Göring reçut du Führer l’ordre d’étouffer le putsch dans le nord de l’Allemagne. » Frick continue : « En exécution de cet ordre, de nombreuses personnes furent arrêtées et environ une centaine, peut-être plus, accusées de haute trahison et exécutées. Tout cela en dehors de toute procédure judiciaire. Beaucoup furent exécutés – je n’en connais pas le nombre – qui n’avaient rien à faire avec le putsch. Des gens qui n’étaient pas bien vus par les autres, comme Schleicher, ancien Chancelier du Reich, furent assassinés. La femme de Schleicher fut également tuée. Gregor Strasser, qui avait été le chef de l’organisation du Reich et le deuxième membre du Parti, après Hitler, fut aussi abattu ; il ne s’occupait plus, à ce moment, d’affaires politiques ; il s’était séparé du Führer en novembre ou décembre 1932. » Et Frick poursuit : « Ce furent les SS que Himmler utilisa pour l’exécution des ordres de répression du putsch. »

Pendant cette période, les conspirateurs créèrent, par une série de décrets du Cabinet du Reich, quantité de crimes politiques nouveaux. Tout acte ou déclaration hostile au parti nazi fut considéré comme trahison et puni en conséquence. Les formations du Parti, les SA, les SS, ainsi que le SD et la Gestapo étaient les instruments maudits de la suppression de toute opposition, réelle ou en puissance. Ainsi que l’accusé Göring l’a dit, le 24 juillet 1933, dans le document PS-2494 :

« Quiconque, à l’avenir, lèvera la main sur un représentant du mouvement national-socialiste ou de l’État, doit savoir qu’il perdra la vie dans un court délai. Il sera même amplement suffisant de prouver qu’il a eu l’intention de commettre cet acte, ou que, l’ayant accompli, cet acte n’a pas entraîné la mort, mais seulement une blessure. »

L’accusé Frank déclara en 1936, dans un article de la revue de l’Académie allemande de Droit, que je présente comme document PS-2533 :

« On nous reproche dans le monde entier les camps de concentration. On nous demande : « Pourquoi arrêtez-vous les gens sans « mandat d’arrêt légal ? » Je réponds : « Mettez-vous à la place de notre nation. Souvenez-vous que le monde immense et encore intact du bolchevisme ne peut oublier que nous avons rendu sa victoire finale impossible en Europe, précisément ici-même, sur le sol allemand. »

Et Raymond Geist, dont j’ai déjà mentionné la déposition dans le document PS-1759, déclare :

« Le peuple allemand savait bien ce qui se passait dans les camps de concentration et que l’on risquait gros en s’opposant trop activement à n’importe quelle partie du programme nazi. En vérité, à peine s’était-il écoulé quelques mois après l’établissement du régime de Hitler que presque chaque famille en Allemagne était informée directement soit par ses parents, soit par des amis qui en sortaient, leur peine purgée, des brutalités infligées dans les camps de concentration. La crainte de ces camps était donc un frein très efficace à toute opposition. »

L’accusé Göring déclara en 1934 (et je fais allusion à ce document PS-2344) :

« Contre les ennemis de l’État, nous devons agir sans pitié… C’est pour cela que nous avons créé les camps de concentration, où nous avons tout d’abord envoyé des milliers de fonctionnaires communistes et sociaux-démocrates. »

En plus de cette élimination impitoyable de tous les adversaires politiques, les conspirateurs nazis raffermirent encore leur position en entreprenant promptement d’éliminer tous les autres partis politiques. Le 21 mars 1933, l’accusé Frick annonça que les communistes n’auraient plus le droit de prendre part aux débats du Reichstag ; comme nous l’avons fait remarquer, ce fut accompli en les plaçant en « internement de protection dans des camps de concentration ». Le 26 mars 1933, un décret du Cabinet du Reich, signé par Hitler et l’accusé Frick, décida la confiscation des biens communistes. Le 22 juin 1933, le parti social-démocrate fut en fait supprimé en Prusse, après avoir été sérieusement affaibli par l’internement d’un grand nombre de ses membres dans les camps de concentration. Le 7 juillet 1933, un décret du Reich élimina les sociaux-démocrates du Reichstag et des organismes gouvernementaux des provinces et des municipalités. Le 14 juillet 1933, à la suite d’un décret du Cabinet du Reich, les biens des sociaux-démocrates furent confisqués et le parti nazi décrété le seul parti politique d’Allemagne. Par la suite, il devint illégal de maintenir ou de former un autre parti politique. C’est ainsi que Hitler fut à même de dire, moins de cinq mois après être devenu Chancelier : « Le Parti est devenu l’État. »

Les conspirateurs nazis entreprirent immédiatement de mettre cette formule en pratique : le 1er décembre 1933, le Cabinet du Reich publia une loi assurant l’unité du Parti et de l’État ; cette loi fut signée par Hitler et l’accusé Frick :

L’article premier stipule : « … Le parti nazi est le support de l’idée allemande de l’État et est inséparable de l’État ; il est l’essence du droit public ; son organisation sera fixée par le Führer. »

L’article 2 stipule : « L’adjoint du Führer et le chef d’État-Major des SA deviendront membres du Cabinet du Reich afin d’assurer une étroite collaboration des services du Parti et des SA avec les autorités publiques. »

L’article 3 stipule : « Les membres du parti ouvrier national-socialiste allemand et des SA, y compris leurs organisations subordonnées, en qualité de forces dirigeantes et motrices de l’État national-socialiste, assumeront de grandes responsabilités envers le Führer, le peuple et l’État. »

(L’audience est suspendue.)
COLONEL STOREY

Pendant la suspension, les avocats et le Ministère Public se sont entendus sur la manière de faire parvenir les documents aux accusés : les copies des documents déposés comme preuves seront remis en allemand au Centre d’information des avocats. Il est bien entendu que, si un avocat a besoin de montrer des photocopies en allemand à son client, il peut le faire dans la salle adjacente assignée à cet effet ; les dossiers que nous déposons en vue d’apporter une aide au Tribunal seront également remis, en anglais, aux avocats ; si l’un d’entre eux éprouve une difficulté pour traduire un passage de ces exposés, nous avons des interprètes de langue allemande qui se tiendront au Centre d’information à leur disposition.

Si j’ai bien compris, tous les avocats se sont mis d’accord sur ce point.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie. Commandant Wallis, vous pouvez continuer.

COMMANDANT WALLIS

Plaise au Tribunal. Au moment de la suspension, je faisais allusion à la loi promulguée le 1er décembre 1933 pour assurer l’unité de l’État et du Parti.

L’article 6 de cette loi stipule : « Les autorités publiques devront accorder une aide légale et administrative aux bureaux du Parti et des SA chargés de l’exécution des décisions du Parti et des SA. »

L’article 8 stipule : « Le chancelier du Reich, en tant que Führer du parti ouvrier national-socialiste allemand, et chef suprême des SA, détermine la réglementation nécessaire à l’exécution et au développement de cette loi, en particulier en ce qui concerne l’organisation et la procédure régissant les pouvoirs judiciaires du Parti et des SA. »

C’est par cette loi que le parti nazi devint ainsi une organisation para-gouvernementale en Allemagne. La fusion ultérieure du Parti et de l’État se produisit à la mort de Hindenburg. Au lieu de procéder à des élections pour pourvoir au remplacement du Président, la loi du 1er août 1934, signée par le Cabinet du Reich tout entier, assura la fusion des fonctions de Président et de Chancelier en la personne de Hitler. L’une des conséquences importantes de cette loi fut de donner à Hitler le commandement suprême des Forces armées allemandes, qui constituait l’une des prérogatives du Président. Et chaque soldat fut immédiatement mis en demeure de prêter un serment de loyalisme et d’obéissance sans conditions à Hitler.

Le 4 février 1938, Hitler signa un décret qui déclarait, entre autres, et je cite le document PS-1915 :

« A partir de maintenant, j’assume directement le commandement de toutes les Forces armées ».

Comme mesures ultérieures pour consolider leur contrôle politique, les conspirateurs nazis réduisirent les élections nationales à de simples formalités privées de l’élément de liberté dans le choix. Les élections, à proprement parler, ne pouvaient trouver place dans le système nazi. En premier lieu, la doctrine fondamentale du « Führerprinzip » exigeait que tous les subordonnés fussent désignés par leurs supérieurs dans la hiérarchie gouvernementale. Bien que ce fût déjà devenu la pratique, une loi spécifia, en 1938, qu’une seule liste de candidats serait soumise au peuple. À la fin de cette période d’avant-guerre, il ne restait plus grand-chose de la loi électorale ; la majorité des clauses principales était tombée en désuétude.

Par une série de lois et de décrets, les conspirateurs nazis réduisirent les pouvoirs des administrations régionales et locales et les transformèrent essentiellement en subdivisions territoriales du Gouvernement du Reich. Avec l’abolition des assemblées représentatives et des fonctionnaires élus dans les provinces et dans les municipalités, les élections régionales et locales cessèrent d’exister. Le 31 janvier 1934, les derniers vestiges d’indépendance régionale furent détruits par la loi sur la reconstruction du Reich. L’accusé Frick, ministre de l’Intérieur pendant toute cette période, a écrit au sujet de cette loi sur la reconstruction du Reich :

« La loi de reconstruction abolit les droits souverains et le pouvoir exécutif des Länder et fait du Reich le seul détenteur du droit de souveraineté. Les pouvoirs suprêmes des Länder n’existent plus désormais. La conséquence naturelle de ce fait est la subordination des gouvernements provinciaux au Gouvernement du Reich, et des ministres régionaux aux ministères du Reich correspondants. Le 30 janvier 1934, le Reich allemand est devenu un État unifié ».

Une autre mesure, prise par les conspirateurs nazis pour consolider leur pouvoir politique, fut l’élimination des fonctionnaires pour des motifs raciaux ou politiques, et leur remplacement par des membres du Parti ou par des partisans. Cette épuration fut accomplie par une série de lois et de décrets nazis. La première loi fut promulguée le 7 avril 1933. Elle s’intitule : « Loi pour la restauration de la fonction publique ». L’article 3 de la loi, qui s’inspire des théories nazies du sang et de la race des seigneurs, stipule que les fonctionnaires qui ne sont pas d’origine aryenne doivent disparaître. L’épuration politique est prévue dans l’article 4 de la loi. Je cite :

« Les fonctionnaires dont, en raison de leur activité antérieure, on ne peut garantir qu’ils soutiendront sans restriction l’État national-socialiste peuvent être révoqués ».

Le but de cette loi et des décrets et règlements promulgués à sa suite était de placer un nazi à chaque poste responsable du Gouvernement et d’empêcher la désignation de tout ennemi, ou de quiconque supposé tel, du programme et de la politique nazis.

Le corps judiciaire lui-même n’échappa pas à l’épuration entreprise par les conspirateurs nazis. Tous les juges qui ne remplirent pas les conditions raciales et politiques posées par les conspirateurs furent rapidement éliminés. En outre, les nazis établirent un nouveau système de tribunaux criminels spéciaux, indépendants des juridictions régulières, et obéissant directement au programme du Parti. De plus, les nazis exercèrent un contrôle sur tous les juges, au moyen de directives et d’ordres spéciaux émanant du Gouvernement central, leur but étant, comme l’a dit Gerland, l’un des principaux juristes nazis de cette époque, « … de faire respecter à nouveau le terme "terreur" dans le droit pénal ».

Au fur et à mesure que leur contrôle s’affermissait, les conspirateurs élargirent notablement les organisations existantes de l’État et du Parti et établirent un réseau compliqué de nouvelles formations et de nouveaux organismes. Le Parti étendit ses tentacules d’un bout à l’autre de l’Allemagne. Cette évolution fut résumée plus tard, en 1937, dans une déclaration officielle de la Chancellerie du Parti dans les termes suivants :

« Afin de contrôler toute la nation allemande dans toutes les sphères de la vie », – et je le répète – « afin de contrôler la nation allemande tout entière dans toutes les sphères de la vie, la NSDAP, après s’être emparée du pouvoir, créa sous la direction de ses chefs, des organisations affiliées au Parti ».

Et maintenant, j’aimerais remettre au Tribunal le livre de documents qui contient les lois et dispositions que j’ai mentionnées au cours de cette partie de mon exposé, ainsi que les documents qui s’y rapportent.

Syndicats. – J’aimerais aussi attirer l’attention du Tribunal sur quelques faits historiques marquant la consolidation de leur pouvoir par les conspirateurs.

Le premier de ces faits historiques est la destruction des syndicats libres et l’acquisition du contrôle des capacités de production de la nation allemande. Les organisations ouvrières allemandes, telles qu’elles existaient à l’époque de l’accession des nazis au pouvoir, la résistance qu’elles opposèrent aux plans nazis, la rapidité avec laquelle cette résistance fut brisée, la terreur et les mauvais traitements dont furent l’objet les dirigeants syndicalistes et qui vont de l’attentat au meurtre, tout cela a été largement développé dans le discours d’ouverture du Procureur Général américain et est exposé à fond dans le livre de documents que je présenterai au Tribunal sur cette partie de l’accusation.

Les résultats obtenus par les conspirateurs nazis ont été rapportés par le Dr Robert Ley. Dès 1936, au Congrès de Nuremberg, il exprima sa confiance dans le contrôle efficace des nazis sur les capacités de production de l’Allemagne, en temps de paix ou en temps de guerre. Je me réfère au document PS-2283. Il déclara :

« L’idée d’équipes d’ateliers fait des progrès dans les usines, et je suis à même de vous signaler, mon Führer que la sécurité et le bon ordre seront désormais assurés dans les usines, non seulement en temps normal, mais aussi pendant les crises les plus sérieuses. Des troubles tels que les grèves menées dans les usines de munitions par le traître Ebert et ses complices sont désormais hors de question.

Le national-socialisme a conquis les usines. Les équipes d’usines sont des troupes de choc nationales-socialistes à l’intérieur de celles-ci et leur devise est : « Le Führer a toujours raison. »

Je désire maintenant déposer le livre de documents qui contient les preuves relatives à cette phase du complot, c’est-à-dire « la destruction des syndicats et le contrôle de toute la main-d’œuvre en Allemagne », ainsi que le dossier constitué sur ce sujet. Et, en même temps, s’il plaît au Tribunal, je désire déposer le livre de documents concernant l’affermissement du contrôle et, en particulier, l’utilisation de la machine politique, dont j’avais parlé juste avant d’aborder la question de la destruction des syndicats.

J’attirerai maintenant votre attention sur le deuxième fait historique dans l’affermissement du contrôle.

Les conspirateurs nazis ont compris rapidement que l’influence des églises chrétiennes, en Allemagne, était un obstacle à leur domination complète sur le peuple allemand et s’opposait à leur dogme de la race des seigneurs. Comme l’accusé Martin Bormann l’a déclaré dans un décret secret de la Chancellerie du Parti, signé par lui, le 7 juin 1941, et transmis à tous les Gauleiter (document D-75) :

« De plus en plus, le peuple doit être séparé des églises, de leurs organisations et de leurs ministres… Ce n’est que lorsque ce résultat sera obtenu que l’État aura de l’influence sur les individus. »

En conséquence, les conspirateurs nazis, en cherchant à saper l’influence des églises sur le peuple allemand, entreprirent de les éliminer :

1. En encourageant des croyances et des pratiques incompatibles avec les enseignements chrétiens ;

2. En persécutant les prêtres, les membres du clergé et les membres des ordres monastiques. Cette persécution, comme les preuves documentaires présentées vous le montreront, allait des outrages et des sacrilèges, aux voies de fait, à l’emprisonnement, à l’internement dans les camps de concentration et même au meurtre.

3. Par la confiscation des biens d’Église.

4. En interdisant les manifestations religieuses.

5. En supprimant aussi les organisations religieuses et l’éducation religieuse. Ce fait est illustré par le décret secret de la Chancellerie du Parti que je viens de mentionner, le document D-75, dans lequel l’accusé Bormann déclarait :

« Aucun être humain ne saurait quoi que ce soit du christianisme, si cela ne lui avait été inculqué au cours de son enfance par les pasteurs. Le soi-disant "bon Dieu" ne laisse pas soupçonner son existence aux jeunes êtres, mais, chose curieuse, en dépit de toute sa puissance, il laisse ce soin à ses prêtres. Par conséquent, si à l’avenir notre jeunesse n’apprend rien de plus sur ce christianisme, dont les doctrines sont loin d’avoir la valeur des nôtres, il disparaîtra de lui-même ».

Au cours de ce Procès seront déposées d’autres preuves documentaires des actes des conspirateurs s’efforçant de miner l’influence des églises chrétiennes. Je présente maintenant le livre de documents relatif à cette phase du complot et l’exposé y afférant.

Nous en venons maintenant à ce qu’on peut appeler le troisième fait historique : la persécution des Juifs.

Les conspirateurs nazis ont adopté et annoncé publiquement un programme de persécutions impitoyables des Juifs. Notre intention, en ce moment, n’est pas de présenter au Tribunal une histoire complète, intégrale, dans tous ses détails écœurants, des plans des conspirateurs nazis et de leurs actes pour l’élimination et la liquidation des Juifs d’Europe. Ceci sera fait en son temps, lors de débats ultérieurs, mais, pour l’instant, notre but est de vous présenter comme l’un des éléments du plan nazi en vue de l’asservissement de l’Allemagne l’action anti-juive qu’ils projetèrent et réalisèrent à l’intérieur de l’Allemagne, pendant la période d’avant-guerre. Pour mettre à exécution leur politique de la race supérieure et pour rassembler les éléments dissidents sous la bannière nazie, les conspirateurs adoptèrent et réalisèrent sans relâche un programme de persécution impitoyable des Juifs. Ce programme était contenu dans les vingt-cinq points officiels et inaltérables du parti nazi, dont six étaient consacrés à la doctrine de la race des seigneurs. Les accusés Göring, Hess, Rosenberg, Frank, Frick, Streicher, Funk, von Schirach, Bormann et d’autres ont tous joué un rôle important dans la publicité faite autour de ce programme. Au moment où les nazis ont pris le pouvoir, ce programme du Parti est devenu un programme officiel d’État.

Le premier acte organisé fut le boycottage des entreprises juives, le 1er avril 1933. L’accusé Streicher, dans une déclaration signée, reconnaît qu’il fut chargé de l’exécution de ce programme, pour un seul jour il est vrai. Naturellement, nous nous réservons, sur ce point, le droit de présenter d’autres preuves. Les conspirateurs nazis commencèrent alors l’exécution d’un programme législatif graduel s’étendant du 7 avril 1933 jusqu’en septembre 1935. Pendant cette période, une série de lois fut promulguée écartant les Juifs du fonctionnariat, des professions libérales, des écoles et du service militaire. Il était clair cependant que les conspirateurs nazis avaient pour le problème juif un programme infiniment plus vaste dont ils ne remettaient la réalisation que pour des raisons d’opportunité. Après le tir de barrage de la propagande habituelle, dans lequel les écrits et les discours de l’accusé Streicher jouèrent un rôle essentiel, les conspirateurs nazis déclenchèrent la deuxième offensive de législation anti-juive du 15 septembre 1938. Au cours de cette période furent promulguées les infâmes lois de Nuremberg qui privaient les Juifs de leurs droits civiques, leur interdisaient d’épouser les aryennes et les éliminaient encore d’autres professions. À l’automne 1938, les conspirateurs nazis commencèrent à réaliser un programme d’élimination totale des Juifs de la vie allemande. Les mesures prises furent présentées en partie comme des représailles contre la juiverie mondiale, en raison de l’assassinat d’un fonctionnaire de l’ambassade d’Allemagne à Paris. Contrairement à l’action de boycottage d’avril 1933 au cours de laquelle on avait pris soin d’éviter les violences exagérées, un pogrom, soi-disant spontané, fut organisé et exécuté d’un bout à l’autre de l’Allemagne. Les mesures législatives qui suivirent furent discutées et approuvées, dans leur forme définitive, lors d’une réunion tenue, le 12 novembre 1938, sous la présidence de l’accusé Göring, avec la participation des accusés Frick, Funk et d’autres encore. Je mentionne à ce propos le document PS-1816. La réunion fut provoquée par des ordres de Hitler « prescrivant que la question juive soit réglée une fois pour toutes d’une façon ou d’une autre ». Les participants tombèrent d’accord sur les mesures à prendre pour éliminer les Juifs de l’économie allemande. Les lois promulguées au cours de cette période furent signées, pour la plupart, par l’accusé Göring en sa qualité de délégué au Plan de quatre ans, en parfaite coordination avec l’affermissement du contrôle sur l’économie allemande et la préparation d’une guerre d’agression. Ces lois obligeaient tous les Juifs allemands à payer une amende collective d’un milliard de Reichsmark ; elles éliminaient les Juifs du commerce et de l’artisanat, elles limitaient les possibilités de déplacement des Juifs à certaines heures et dans certaines zones, limitaient le délai de vente ou de liquidation des entreprises juives, forçaient les Juifs à renoncer aux actions et aux garanties qu’ils détenaient, interdisaient aux Juifs la vente ou l’acquisition d’or ou de pierres précieuses, permettaient aux propriétaires terriens d’expulser les locataires juifs avant l’expiration du bail et forçaient tous les Juifs de plus de six ans à porter l’étoile de David.

Dans la période finale de la croisade antisémite des conspirateurs nazis en Allemagne, très peu de mesures législatives furent prises. Les Juifs furent livrés aux SS, à la Gestapo et aux différents organismes d’extermination. La dernière loi relative aux Juifs en Allemagne les plaça complètement en dehors du droit et ordonna la confiscation par l’État de la propriété des Juifs décédés. Cette loi n’était que le faible reflet d’une situation de fait préexistante. Comme le Dr Stuckart, adjoint de l’accusé Frick, l’a déclaré à l’époque :

« Le but de la législation raciale peut être maintenant considéré comme atteint, et, en conséquence, l’ère de la législation raciale est absolument close. Elle nous a conduits à une solution temporaire du problème juif et constitue, en même temps, le préliminaire indispensable à la solution définitive. De nombreuses ordonnances perdront de leur importance pratique au fur et à mesure que l’Allemagne s’approchera du but final à atteindre dans le problème juif ».

Le 30 janvier 1939, dans un discours prononcé au Reichstag, Hitler a fait la prophétie suivante : « Le résultat (d’une guerre) sera l’extermination de la race juive en Europe ». Je laisse à d’autres le soin de présenter au Tribunal les preuves établissant la manière dont cette prophétie s’est réalisée. Je désire maintenant présenter au Tribunal le livre de documents contenant les lois mentionnées à propos de la persécution des Juifs, ainsi qu’une brève esquisse relative à ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal va se retirer jusqu’à demain matin 10 heures.

(L’audience sera reprise le 23 novembre 1945 à 10 heures.)