Quatrième journée
Vendredi 23 novembre 1945.
Audience du matin.
Monsieur le Président, au cours de l’audience d’hier, vous avez informé les avocats de la Défense qu’ils devraient, dès cette phase du Procès, élever des objections contre les documents déposés comme preuves par l’Accusation s’ils le croient nécessaire. Le Procureur Général a présenté hier un schéma représentant les ministères et autres bureaux et services particulièrement importants du Gouvernement allemand. Mon client pense que ce schéma est inexact quant aux points suivants qui le concernent personnellement :
1. Il n’a jamais existé de Conseil de Défense du Reich. La loi sur la Défense du Reich qui prévoyait un Conseil de Défense du Reich en cas de guerre n’a jamais été promulguée. Il n’y eut jamais de séance du Conseil de Défense du Reich. L’accusé Keitel n’a donc jamais été membre de ce Conseil.
2. Le Conseil de Cabinet secret qui devait être créé en application de la loi du 4 février 1938 n’a jamais existé. Il n’a jamais été constitué et ne s’est jamais réuni.
3. L’accusé Keitel n’a jamais été ministre du Reich. Il avait seulement, comme tous les Commandants en chef de l’Armée et de la Marine, le rang de ministre du Reich. Jamais non plus, il n’a été ministre sans portefeuille. Il n’a jamais assisté à aucune délibération du Conseil de Cabinet.
J’aimerais savoir si le Tribunal estime que ces objections doivent faire l’objet d’un examen immédiat, à cette phase du Procès, ou bien si nous devons les réserver pour plus tard.
Le Tribunal décide d’admettre ces documents, mais les accusés pourront par la suite produire des preuves relatives à ces documents. Il n’est pas nécessaire que les accusés élèvent des objections dès maintenant. Plus tard, ils pourront produire toutes preuves relatives à la valeur de ces documents.
Puis-je poser une question au Tribunal ? Nous avons maintenant pu voir une partie des dossiers et des documents qui ont été déposés hier devant le Tribunal. Nous avons pu constater à cette occasion que certains des documents déposés hier par le Ministère Public n’ont pas été cités dans leur intégralité et n’ont pas été non plus présentés comme tels. Voici la question que je pose : est-ce que le contenu, tout le contenu, de tous les documents qui ont été présentés au Tribunal doit constituer la base des décisions du Tribunal, même dans les cas où le Procureur qui les a présentés ne s’y est pas référé ?
En d’autres termes, devons-nous considérer tous les documents qui ont été déposés devant le Tribunal, y compris ceux dont on n’a pas donné lecture, comme devant servir de base au jugement, et par conséquent, doivent-ils être examinés dans le but de déterminer si les accusés désirent faire des objections ?
Je demanderai enfin au Tribunal si nous devons comprendre que le contenu entier de tous les documents présentés hier au Tribunal, ou qui lui seront présentés à l’avenir, servira de base au jugement, même dans les cas où le Ministère Public n’a pas donné lecture de leur contenu ou ne s’y est pas référé de quelque autre manière.
Tous les documents, une fois qu’ils ont été présentés, sont inscrits au procès-verbal, et servent de preuve au Tribunal ; cependant tous les accusés pourront critiquer et commenter n’importe quelle partie de document quand leur cas personnel sera examiné.
Je vous remercie, la question est éclaircie.
Je voudrais faire trois déclarations au nom du Tribunal. Voici la première :
Nous proposons que le Tribunal ne siège pas samedi matin, cette semaine, afin que les avocats aient plus de temps pour examiner les documents et les arguments déjà présentés. C’est là le premier point.
Le Tribunal désire que toutes les demandes ou requêtes soient autant que possible rédigées par écrit, et cela aussi bien par le Ministère Public que par la Défense. Il y a naturellement des cas, comme ce matin, où il est plus commode de présenter verbalement des requêtes en vue d’explication ; mais le Tribunal désire autant que possible que le Ministère Public aussi bien que la Défense procèdent par écrit.
Le dernier point est une observation, que le Tribunal me demande de faire au Ministère Public, en lui suggérant qu’il serait plus pratique pour le Tribunal, et peut-être aussi pour la Défense, que ses dossiers et ses livres de documents soient présentés au Tribunal avant le début de cette partie des débats, de telle sorte que le dossier d’audience et les livres de documents soient devant le Tribunal au moment où le Ministère Public lui expose cette partie de l’accusation ; il serait également pratique pour le Tribunal, si cela convient aux représentants du Ministère Public, que ceux-ci donnent une brève explication des documents, sans entrer dans les détails, en soulignant les passages des documents sur lesquels ils veulent attirer l’attention.
Je vais maintenant demander au Ministère Public américain de continuer son exposé.
Plaise au Tribunal. Il semble que certaines questions se soient posées quant à l’identification des documents présentés hier après-midi. Aussi, avec la permission du Tribunal, j’aimerais présenter ces documents par leur numéro, afin que le greffier puisse les consigner au procès-verbal et que l’on puisse les identifier.
Les États-Unis présentent comme preuve chacun de ces documents, et demandent en conséquence que ces documents soient reçus et classés comme preuves pour leur compte, étant entendu que la Défense pourra, par la suite, présenter des objections.
Si le Tribunal est d’accord sur ce point, le premier document sera la pièce USA-1, affidavit du commandant William H. Coogan concernant la saisie, l’identification et l’authenticité des documents, avec la déclaration du colonel Robert G. Storey qui l’accompagne.
La pièce USA-2 est le document PS-2903, schéma du parti nazi, avec certificats d’authentification.
La pièce USA-3 (PS-2905), schéma de l’État nazi, avec certificats d’authentification.
La pièce USA-4, document PS-2836, déclaration originale de l’accusé Göring relative aux postes qu’il a occupés.
La pièce USA-5 (PS-2829), document de même nature concernant Ribbentrop…
La numérotation de ces documents ne pourrait-elle pas être faite par le secrétaire général ?
Si, Monsieur le Président, c’est exact. Nous acceptons volontiers, mais le secrétaire général a objecté que cette nomenclature ne figurait pas au procès-verbal des audiences. Nous avons la nomenclature complète et, si vous le voulez, nous allons vous donner lecture des numéros de chacune des pièces déposées hier.
Nous autorisons le secrétaire général à recevoir les documents tels qu’ils sont numérotés.
Je vous remercie, Monsieur le Président, la nomenclature dont il s’agit est la suivante :
USA-1. – Attestation du commandant Coogan accompagnée de la déclaration du colonel Storey ;
USA-2 (PS-2903). – Schéma du parti nazi et certificats joints ;
USA-3 (PS-2905). – Schéma de l’État nazi et certificats joints ;
USA-4 (PS-2836). – Déclaration de Göring énumérant ses fonctions ;
USA-5 (PS-2829). – Déclaration de Ribbentrop énumérant ses fonctions ;
USA-6 (PS-2851). – Déclaration de Rosenberg énumérant ses fonctions ;
USA-7 (PS-2979). – Déclaration de Frank énumérant ses fonctions ;
USA-8 (PS-2978). – Déclaration de Frick énumérant ses fonctions ;
USA-9 (PS-2975). – Déclaration de Streicher énumérant ses fonctions ;
USA-10 (PS-2977). – Déclaration de Funk énumérant ses fonctions ;
USA-11 (PS-3021). – Déclaration de Schacht énumérant ses fonctions ;
USA-12 (PS-2887). – Déclaration de Dönitz énumérant ses fonctions ;
USA-13 (PS-2888). – Déclaration de Raeder énumérant ses fonctions ;
USA-14 (PS-2973). – Déclaration de von Schirach énumérant ses fonctions ;
USA-15 (PS-2974). – Déclaration de Sauckel énumérant ses fonctions ;
USA-16 (PS-2965). – Déclaration de Jodl énumérant ses fonctions :
USA-17 (PS-2910). – Déclaration de Seyss-Inquart énumérant ses fonctions ;
USA-18 (PS-2980). – Déclaration de Speer énumérant ses fonctions ;
USA-19 (PS-2972). – Déclaration de von Neurath énumérant ses fonctions ;
USA-20 (PS-2976). – Déclaration de Fritzsche énumérant ses fonctions ;
Livres de documents :
USA-A. – Buts généraux, méthodes et doctrines du complot ;
USA-B. – Acquisition du contrôle totalitaire de l’Allemagne ; politique ; premières mesures ; acquisition du contrôle ;
USA-C. – Consolidation du contrôle (utilisation et refonte de l’appareil politique) ;
USA-F. – Épuration des adversaires politiques ; terreur ;
USA-G. – Destruction des syndicats et acquisition du contrôle sur les forces de production de l’Allemagne ;
USA-H. – Suppression des Églises chrétiennes en Allemagne ;
USA-I. – Adoption et publication du programme de persécution des Juifs.
Plaise au Tribunal. M. Justice Jackson m’a fait observer, tandis que je présentais ces documents au nom des États-Unis, qu’ils étaient, bien entendu, présentés aussi au nom des autres nations qui participent à ce Procès, et qu’elles pourront en faire état.
C’est entendu.
Plaise au Tribunal. Au moment de la suspension d’audience d’hier après-midi, j’exposais les différents moyens par lesquels ces conspirateurs avaient acquis le contrôle totalitaire de l’Allemagne. Je voudrais continuer ce matin sur le même sujet et je vous parlerai d’abord de la refonte de l’éducation et de la formation de la jeunesse. En accord avec la suggestion du Tribunal, je dépose le livre de documents USA-D ; j’attire votre attention sur le fait que ce livre contient des traductions des documents sur lesquels nous nous basons pour cette partie de l’exposé. Ce sont des écrits ou des discours des accusés et autres chefs nazis, auxquels le Tribunal peut, à notre sens, accorder une valeur probatoire. Dans le dossier d’audience, relatif à cette partie de l’exposé, que nous remettons au Tribunal pour lui faciliter la tâche, les passages précis des documents sur lesquels nous voulons attirer l’attention sont soit directement cités, soit mentionnés par des références à la page exacte du document.
Pendant toute la période d’avant-guerre, la nation avait été psychologiquement préparée à la guerre.
L’une des entreprises les plus importantes fut la réforme du système d’éducation, destiné à élever la jeunesse allemande et à la rendre parfaitement soumise à la volonté nazie. Hitler a proclamé cette intention en novembre 1933. Je cite le document PS-2455. Il dit :
« Quand un adversaire déclare : "Je ne veux pas me ranger à vos côtés, et vous ne m’y ferez point venir", je réponds tranquillement :
« Ton enfant m’appartient déjà. Un peuple vit éternellement. Qui es-tu ? Tu passes. Mais tes descendants sont déjà dans le nouveau camp. D’ici peu, ils ne connaîtront rien d’autre que cette nouvelle communauté. »
Il dit encore, en mai 1937, et je cite le document PS-2454 :
« Ce nouveau Reich ne donnera sa jeunesse à personne, mais la prendra lui-même et lui donnera son éducation et sa formation. »
Les premières mesures prises pour faire des écoles allemandes l’instrument du système d’éducation nazie furent deux décrets de mai 1934, créant le ministère de l’Éducation du Reich et remplaçant le contrôle de l’éducation par les autorités locales, par l’autorité absolue de l’État sur toutes les questions concernant l’éducation (documents PS-2078, PS-2088, PS-2392). Le programme et l’organisation des écoles et des universités allemandes furent ensuite modifiés par une suite de décrets, afin de faire de ces écoles des instruments actifs d’enseignement de la doctrine nazie.
La loi de 1933 sur la fonction publique, qui a été apportée en preuve hier, permit aux conspirateurs nazis de passer au crible tous les instituteurs et de se débarrasser de tous les « éléments nuisibles et inutiles », le tout d’après les critères nazis, naturellement. Beaucoup d’instituteurs et de professeurs, la plupart juifs, furent remplacés par des instituteurs imbus de l’esprit de l’État. Tous les instituteurs devaient appartenir à la « Ligue des instituteurs nationaux-socialistes », qui devait former tous les instituteurs et leur apprendre les doctrines et les théories de la NSDAP (document PS-2452). Le « Führerprinzip » fut introduit dans les écoles et dans les universités ; je me réfère au document PS-2393.
De plus, les conspirateurs nazis complétèrent le système scolaire en formant la jeunesse au moyen du mouvement de la Jeunesse hitlérienne ; nous trouvons dans le document PS-1392, la loi sur la Jeunesse hitlérienne :
« La jeunesse allemande tout entière, en plus de son éducation à l’école et dans sa famille, sera, au sein de la Jeunesse hitlérienne, entraînée physiquement, intellectuellement et moralement à servir le peuple et la communauté dans l’esprit du national-socialisme. »
En 1925, la Jeunesse hitlérienne fut officiellement reconnue par le parti nazi et devint une branche cadette des SA. En 1931, l’accusé Schirach fut nommé chef de la jeunesse du Reich dans le cadre de la NSDAP, avec le grade de SA Gruppenführer (document PS-1458). En juin 1933, l’accusé Schirach fut nommé chef de la jeunesse du Reich allemand : je me réfère au même document PS-1458. Ce même mois, par ordre de l’accusé Schirach, les conspirateurs nazis détruisirent ou prirent en mains toutes les autres organisations de jeunesse, et cela d’abord par la force. L’accusé Schirach, par décret du 22 juin 1933 (document PS-2229), fit dissoudre le Comité national des associations de jeunesse allemandes et confisqua leurs biens. Des décrets similaires, figurant également dans le livre de documents, détruisirent toutes les organisations de jeunesse en Allemagne. Puis, les conspirateurs nazis rendirent obligatoire l’appartenance à la Jeunesse hitlérienne (document PS-1392).
La Jeunesse hitlérienne, dès ses débuts, avait été une formation du parti nazi. En vertu de la loi de 1936 sur la jeunesse, rendant obligatoire l’appartenance à la Jeunesse hitlérienne, cette organisation devint un organe du Gouvernement du Reich, tout en conservant sa position de formation du parti nazi (document PS-1392). En 1940, la Jeunesse hitlérienne comptait plus de sept millions d’adhérents (document PS-2435). Au moyen de la Jeunesse hitlérienne, les conspirateurs nazis pénétrèrent la jeunesse de l’idéologie nazie ; la doctrine de la « race des seigneurs » et l’antisémitisme, y compris l’attaque à main armée contre les Juifs, étaient enseignés systématiquement dans le programme d’éducation (document PS-2436). La Jeunesse hitlérienne inculquait à la jeunesse l’idée que la guerre était une noble activité (document PS-1458). L’une des plus importantes fonctions de la Jeunesse hitlérienne était de préparer les jeunes à devenir membres du Parti et de ses formations. La Jeunesse hitlérienne servait à l’entraînement prémilitaire et militaire intensif de la jeunesse (document PS-1850). En plus d’une préparation militaire générale, un entraînement spécial était donné dans des formations spécialisées qui comprenaient des unités d’Aviation, de Marine, des unités motorisées, de transmission, etc.
Nous avons tous les détails, avec documents à l’appui, des méthodes utilisées par les conspirateurs nazis pour réformer le système d’éducation et pour le renforcer par la Jeunesse hitlérienne, afin de soumettre la jeunesse à la volonté nazie et de la préparer à la guerre ; ils sont exposés dans le livre de documents que vous avez sous les yeux et dans les dossiers qui y sont joints.
J’aimerais, maintenant, attirer votre attention sur le moyen de propagande utilisé pendant cette période ; dans ce but je dépose la pièce USA-E avec le dossier qui l’accompagne. Ce livre de documents et les dossiers qui l’accompagnent…
Des exemplaires de ces documents ont-ils été communiqués aux avocats ?
Je crois, Monsieur le Président, qu’ils ont été envoyés au Centre d’information de la Défense. Dorénavant, nous les remettrons à l’avance à tout le monde, aussi bien au Tribunal qu’à la Défense.
Très bien.
Ce livre de documents et le dossier qui s’y rapporte sont intitulés : « Censure de la propagande et contrôle des activités culturelles ».
Pendant cette période, l’une des armes les plus puissantes des conspirateurs nazis fut la propagande. Dès le début, ils avaient compris l’importance qu’il y avait à inculquer aux masses allemandes, l’idéologie et les principes nationaux-socialistes. Les premières déclarations de Hitler et des conspirateurs témoignent du fait qu’ils reconnaissaient pleinement que leur pouvoir ne pouvait se maintenir que si le peuple acceptait leurs vues politiques et sociales.
Immédiatement après leur accession au pouvoir, les conspirateurs nazis mirent sur pied un programme déterminé pour l’organisation des masses sur une grande échelle, en prenant le contrôle de tous les moyens d’expression de l’opinion publique. La diffusion de la propagande au moyen du puissant appareil ainsi créé devint l’instrument essentiel de l’établissement du contrôle sur tous les secteurs de l’économie allemande, tant publics que privés. Ils déclarèrent que le but essentiel de la propagande était de préparer le terrain sur le plan psychologique, en vue de l’action politique et de l’agression militaire, et de garantir l’adhésion du peuple à un système basé sur un usage constant et sans cesse intensifié des méthodes d’agression et de terreur, tant dans le domaine de la politique intérieure que dans les relations avec l’étranger.
Pour atteindre cet objectif, on institua une propagande destinée à créer dans le peuple une mentalité déterminée qui devait favoriser son acceptation des buts et du programme du parti nazi et assurer au maximum sa participation active. La nature de cette propagande relève de la compétence du Tribunal. Selon les paroles de Goebbels, la propagande visait à « la conquête des foules ». Elle visait à éliminer toute résistance sérieuse dans la masse. Pour atteindre ce résultat, nous vous le montrerons plus tard, les conspirateurs nazis n’avaient pas de scrupules dans le choix des moyens. Un mépris total de la vérité les amenait à présenter une cause du seul point de vue de l’opportunité politique et de l’intérêt national tel qu’ils le concevaient. Pour autant que cette propagande fût un moyen tendant à une fin, « la conquête des masses », elle nécessitait une stratégie différente suivant les moments et selon les buts définis que poursuivaient les conspirateurs nazis à un moment donné. D’après Hitler, « le premier objectif de la propagande est de gagner des gens à l’organisation future ».
Le recrutement d’adhérents au Parti et aux organisations affiliées fut le but primordial pendant les années qui précédèrent et suivirent immédiatement la prise du pouvoir. Après la prise du pouvoir, cet objectif s’étendit jusqu’à englober le peuple entier dans le soutien actif du régime et de sa politique. Comme le déclarait Goebbels, chef de la propagande du Parti et ministre de la Propagande du Reich : « La propagande, l’arme la plus forte pour conquérir l’État, demeure l’arme la plus forte pour bâtir et consolider l’État ».
Les méthodes qu’ils ont utilisées pour contrôler cette arme, la plus puissante au service de l’État, sont indiquées sur le plan que je voudrais présenter maintenant au Tribunal et déposer sous le nº USA-21. Vous remarquerez sur ce plan qu’il existait trois échelons de contrôle différents dans le Reich allemand. Le premier était le contrôle par le Parti, qui est figuré sur le tableau par la case supérieure. Vous verrez que le Parti contrôlait, par ses commissions de censure, les livres et les périodiques et il en publiait pour répandre l’idéologie du Parti. Dans la deuxième case figure le Reichsieiter pour la Presse, qui contrôlait tous les éditeurs et dirigeait les journaux et éditions du Parti. Dans la troisième case, le chef de la Presse du Reich, qui contrôlait le bureau politique de la Presse, le bureau du personnel de la Presse, et surveillait la façon dont la Presse traitait les affaires du Parti. Au centre, le service du chef de la Propagande contrôlait non seulement la Presse, mais les foires et les expositions, les discours, le cinéma, la radio, la culture et autres moyens d’expression et de diffusion de l’idéologie et des buts du Parti. La case suivante est exclusivement consacrée à l’idéologie du Parti, section dont était chargé l’accusé Rosenberg ; elle fournissait tout le matériel d’éducation, préparait les programmes des écoles et l’endoctrinement du peuple par l’idéologie du Parti.
Au même échelon, l’Éducation de la jeunesse, à laquelle présidait l’accusé Sdùrach, contrôlait la Jeunesse hitlérienne ; ce sont ensuite les sections d’étudiants et de professeurs d’universités sous le contrôle du Parti.
À l’échelon suivant, les contrôles exercés par l’État : en allant de gauche à droite, vous avez. la coordination de la propagande, la coordination des questions étrangères, la radio, qui était sous le contrôle de l’accusé Fritzsche, le cinéma, la littérature, la Presse allemande, les périodiques, les théâtres, les arts, et autres activités culturelles, ainsi que le ministère de l’Éducation.
Enfin, au dernier échelon, ce que l’on appelait les contrôles corporatifs, soumis à un contrôle semi-officiel, tant de l’État que du Parti. On les appelle aussi chambres culturelles. Ils avaient pour objet le contrôle du personnel qui s’occupait des arts, des questions culturelles, de la préparation et de la diffusion des nouvelles. Il y avait d’abord la Presse : tous les reporters et journalistes appartenaient à cette section ; puis les beaux-arts, la musique, le théâtre, le cinéma, la littérature, la radio ; enfin les organisations auxquelles devaient appartenir les professeurs d’université, les étudiants et les anciens universitaires.
Grâce au vaste réseau de cet appareil de propagande, les conspirateurs nazis contrôlaient l’expression et la propagation de toute la pensée, de toutes les activités culturelles et la diffusion des nouvelles dans le Reich. Rien n’était ou ne pouvait être publié en Allemagne qui n’eût l’approbation expresse ou tacite du Parti et de l’État. L’accusé Schacht, dans ses notes personnelles, parle de l’effet obtenu dans une dictature totalitaire lorsqu’on étouffe une nouvelle. Comme il le dit, le public n’a jamais su qu’il y eut des milliers de martyrs sous le régime hitlérien. Ils ont tous disparu dans les cachots et dans les fosses des camps de concentration, sans qu’on en entendît plus parler. Et il poursuit : « A quoi sert le martyre dans une lutte contre la terreur, s’il n’a aucune chance d’être connu et de servir ainsi d’exemple aux autres ? »
Avant de quitter ce sujet, il y a une note dans le livre de documents indiquant que certains de ceux-ci manquent. Que faut-il entendre par là ? 1708, 2030 ?
Ces documents sont en cours de reproduction et le Tribunal les aura sans doute avant la fin de la journée, Monsieur le Président. Jusqu’ici ils n’ont pas été reproduits en nombre suffisant, ayant été ajoutés au livre au dernier moment.
Merci. Ont-ils été traduits ?
Oui, Monsieur le Président. Ils ont été traduits et les traductions sont en train d’être reproduites.
Les documents originaux étaient-ils en langue allemande ?
Oui, je crois, Monsieur le Président.
Très bien.
Maintenant, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur la militarisation des organisations contrôlées par les nazis pendant cette période d’avant-guerre. Dans ce but, je dépose sous la cote USA-J un livre de documents avec traduction en anglais. Je remets en même temps au Tribunal un dossier sur ce sujet.
Pendant la période d’avant-guerre, et pendant que les conspirateurs nazis établissaient et consolidaient leur contrôle totalitaire sur l’Allemagne, ils ne perdaient jamais de vue leur objectif principal, la guerre d’agression. En conséquence, ils mirent progressivement un grand nombre de leurs organisations sur le pied de guerre, dans le but de transformer rapidement, le moment venu, ces organismes en instruments de guerre. Ces organisations étaient les SS, les SA, la Jeunesse hitlérienne, le NSKK ou corps motorisé national-socialiste, le NSFK (Corps d’aviation national-socialiste), le RAD (Service du travail du Reich) et la OT (Organisation Todt).
La façon dont cette militarisation a été accomplie se dégage en partie des documents que je vous ai remis et sera étudiée encore plus en détail quand chacune des organisations sera analysée et leur criminalité établie au cours des débats ultérieurs. Pour l’instant, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur un plan. Pendant qu’on le fixe au mur, je dépose sous le nº USA-22 le document PS-2833 : c’est une reproduction de la page 15 de l’ouvrage intitulé Histoire du parti nazi. Vous remarquerez qu’au coin inférieur gauche du plan que l’on vient de fixer sur le tableau, sont attachés quelques papiers ; celui du dessus est un affidavit ainsi conçu : « Je certifie que l’agrandissement ci-dessus est une copie conforme, préparée sous mon contrôle direct, du document PS-2833, page 15 du livre intitulé Histoire du Parti. » Vous remarquerez qu’il y a en dessous un autre papier, sur la partie inférieure gauche du tableau, attestant l’exactitude de cette copie photographique. Cette attestation a été faite par David Zablodowski, sous la foi du serment, le 23 novembre 1945, à Nuremberg, Allemagne, devant James H. Johnson, lieutenant, Office of US chief of Counsel.
Ce plan vous montre d’une manière aussi frappante que possible comment la militarisation s’est opérée en Allemagne. Le plan est intitulé « L’incorporation organique de la population allemande dans le système national-socialiste et le chemin vers le pouvoir politique ».
En partant du bas, vous voyez le Jungvolk, entre dix et quatorze ans. Des flèches partent vers la droite et vers la gauche. La flèche de droite indique les écoles Adolf Hitler pour les jeunes gens de douze à dix-huit ans. De l’école ou du Jungvolk, les jeunes vont à la Jeunesse hitlérienne. À dix-huit ans, ils passent de la Jeunesse hitlérienne dans les différentes formations du Parti, les SA, les SS, le NSKK, le NSFK. À vingt ans, ils continuent et passent de ces formations du Parti au Front du Travail ; une fois qu’ils y ont accompli le temps voulu, ils retournent dans les formations du Parti, SA, SS, NSKK, NSFK, jusqu’à ce qu’ils atteignent vingt et un ans. À ce moment-là, ils partent pour l’Armée ; ils font leur service militaire de vingt et un à vingt-trois ans. Ensuite, ils retournent dans les formations du Parti, SA, SS, etc. De là, ceux qui sont choisis peuvent devenir chefs politiques du Parti. Dans ce groupe, le « dessus du panier » est sélectionné et dirigé sur les écoles spéciales du parti nazi. C’est là que sont choisis les Führer politiques du peuple, comme il est indiqué en haut du plan.
Je désire souligner à nouveau que ce plan n’a pas été préparé par le Ministère Public pour le Tribunal. Il a été préparé par le parti nazi et est tiré de sa propre histoire.
À la fin de la période d’avant-guerre, les conspirateurs nazis avaient donc accompli le premier pas, essentiel à la réalisation de leurs plans. Toute la vie allemande était dominée par la doctrine et les méthodes nazies et mobilisée dans le but militaire. L’ampleur de cette réalisation ne saurait être mieux exprimée que par les mots prononcés par Hitler le 20 février 1938, au Reichstag (document PS-2715) :
« Dans tous les domaines, nous avons réussi, maintenant seulement, à fixer les véritables grandes tâches et surtout à obtenir les moyens matériels qui sont les conditions de la réalisation de nos plans créateurs. Ainsi, le national-socialisme a fait, en quelques années, ce que les siècles qui l’ont précédé n’avaient pu accomplir… Le national-socialisme a donné à la nation une direction – le Parti – qui non seulement a mobilisé la nation, mais l’a organisée de telle façon que d’après les lois naturelles de la sélection, une direction politique stable semble maintenant acquise pour toujours… Le national-socialisme domine entièrement et complètement l’Allemagne depuis le jour où, il y a cinq ans, j’ai quitté la Wilhelmplatz comme Chancelier du Reich. Il n’y a dans cet État aucune institution qui ne soit nationale-socialiste. Mais avant tout, au cours de ces cinq années, le parti national-socialiste a non seulement rendu la nation nationale-socialiste, mais il s’est encore donné une organisation de structure parfaite qui garantit sa permanence pour tous les temps. La meilleure garantie de la révolution nationale est la domination complète du Reich, de toutes ses institutions et de toutes ses organisations, à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur, par le parti national-socialiste. Néanmoins, la protection contre le monde extérieur dépend de la nouvelle Armée nationale-socialiste… Dans ce Reich, toute personne qui occupe un poste responsable est un national-socialiste… Chaque institution de ce Reich est sous les ordres de la direction politique suprême… Le Parti mène le Reich politiquement, les Forces armées le défendent militairement… Aucune personne occupant un poste responsable dans cet État ne doute que je ne sois le chef autorisé de ce Reich. »
Voilà les paroles d’Adolf Hitler à la fin de cette période, le 20 février 1938.
S’il plaît au Tribunal…
Monsieur le Président, puis-je me permettre quelques brèves remarques à ce sujet ?
Il a été remis aux accusés, en même temps que l’Acte d’accusation, une liste de documents précédée de la note suivante : « Chacun des accusés est informé par la présente que le Ministère Public utilisera tout ou partie des documents ci-après afin d’étayer les charges énoncées dans les différents points de l’Acte d’accusation ». Or, le représentant du Ministère Public a présenté ce matin au Tribunal douze documents environ, et, après vérification sur la liste, il a été constaté qu’aucun de ces documents n’y était mentionné.
Nous nous trouvons donc dès maintenant, au début de ce Procès, devant le fait suivant : des documents ont été remis au Tribunal, et non seulement leur contenu n’a pas été porté à la connaissance des accusés, mais encore ces documents qui sont destinés à être retenus comme preuve n’ont même pas été mentionnés dans cette liste. Pas un seul de ces documents n’a été porté sur la liste, et je dois vous dire qu’il m’est absolument impossible, dans ces conditions, d’assurer une défense efficace. C’est pourquoi je demande : premièrement, que le Tribunal veuille bien enjoindre le Ministère Public à remettre une liste des documents qui doivent servir de preuves et qui seront présentés au Tribunal ; deuxièmement, que l’Accusation veuille bien, au plus tard le jour même où les documents doivent être transmis au Tribunal, en remettre un exemplaire aux accusés et à leurs défenseurs, en allemand ; troisièmement, je demande encore de suspendre les débats aussi longtemps que le Ministère Public ne sera pas en état de remplir ces conditions, car autrement, je me vois dans l’impossibilité absolue de continuer à assumer une défense.
Colonel Storey, ou un autre représentant du Ministère Public, voulez-vous nous dire la réponse que vous avez à faire à cette objection ?
Plaise au Tribunal. En premier lieu, le document mentionné par le commandant Wallis est un document auquel le Tribunal devrait accorder valeur probatoire. En second lieu, une liste des documents a été donnée au Centre d’information, le 1er novembre. Je ne sais pas exactement si tous ces documents ou une partie seulement ont été déposés. Troisièmement, chaque Procureur présentant une partie de l’exposé, a envoyé au Centre d’information de la Défense une liste des documents qu’il a l’intention de fournir comme preuves à l’appui de son exposé. Quatrièmement, je me demande si le Tribunal et les avocats se rendent compte du problème technique qui est posé. J’ai été informé que des exemplaires, en anglais, de ces documents, aussi bien que les exposés, ont été transmis soit hier, soit ce matin, au Centre d’information. Enfin, pour les exposés à venir, le Tribunal recevra sur sa demande les documents et les dossiers à l’avance ; les avocats les recevront également à l’avance. À la fin de la semaine, nous serons en mesure de le faire.
Le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu d’interrompre les débats pour l’instant, mais qu’à l’avenir, les avocats devront recevoir, dès que possible, des copies des documents qui seront fournis comme preuves.
Je voudrais faire la déclaration suivante : les documents sont également présentés au Tribunal dans une traduction anglaise. La Défense devrait être autorisée à contrôler les traductions de ces documents, car nous avons remarqué que la traduction de certaines expressions techniques pourrait prêter à des confusions. De plus, ces documents sont toujours accompagnés d’une introduction et d’une analyse de leur contenu ; il devrait être possible à la Défense de les contrôler afin de s’assurer de leur exactitude. Je propose qu’il soit permis à la Défense de contrôler ces traductions anglaises ainsi que les remarques qui les accompagnent.
Colonel Storey, j’ai cru comprendre que vous aviez l’intention de mettre à la disposition des accusés, les exposés qui contiennent certaines observations sur les documents déposés.
C’est exact, Monsieur le Président, ces exposés ont été constitués ; ils seront d’ailleurs complétés à la fin de la semaine, comme j’ai cru le comprendre ; la Défense est disposée à les accepter en anglais. Si les avocats désirent une traduction, des officiers parlant allemand seront à leur disposition au Centre d’information de la Défense. Je crois que c’était le sens de l’accord d’hier.
Oui.
Et maintenant, Monsieur le Président, afin de prévenir quelques malentendus, dans l’intérêt des avocats, puis-je faire la remarque suivante : lorsque nous nous référons à des numéros de documents, PS-1850, par exemple, il s’agit la plupart du temps d’un document qui est une copie d’une citation ou d’un décret du Reichsgesetzblatt et non pas un document séparé que nous produisons. Il y a au Centre d’information de la Défense un nombre suffisant de copies et de volumes du Reichsgesetzblatt, et je puis affirmer que la moitié des documents mentionnés dans l’exposé du commandant Wallis peuvent être retrouvés au Reichsgfesetzblatt. J’assure Votre Honneur qu’à la fin de la semaine, nous ferons l’impossible pour mettre toute information utile à la disposition de la Défense et rendre désormais possible la remise préalable de ces documents.
Merci, Colonel Storey. L’audience est suspendue dix minutes.
Plaise au Tribunal. M. Dodd va exposer maintenant la préparation économique de la guerre d’agression.
Monsieur le Président, Messieurs les juges. Étant donné la discussion qui s’est élevée avant la suspension, je crois devoir informer le Tribunal que la liste des documents que je mentionnerai a été déposée ce matin au Centre d’information de la Défense, accompagnée des photocopies des originaux.
C’est à moi qu’incombe la responsabilité de présenter au nom du Ministère Public américain les preuves relatives aux charges contenues dans la section IV-E de l’Acte d’accusation, commençant en particulier au second paragraphe de la rubrique E qui est intitulée :
« Acquisition du contrôle totalitaire en Allemagne dans le domaine économique ; plans économiques de mobilisation en vue d’une guerre d’agression ». Au deuxième paragraphe, nous trouvons :
« 2. Ils employèrent des organisations commerciales allemandes comme instruments d’une mobilisation économique en vue de la guerre ; »
« 3. Ils orientèrent l’économie allemande vers la préparation et l’équipement de la machine de guerre. C’est vers ce but qu’ils orientèrent la finance, le placement des capitaux et le commerce extérieur. »
« 4. Les conspirateurs nazis et plus particulièrement, parmi eux, les industriels, entreprirent la réalisation d’un très vaste programme de réarmement et se mirent à organiser et à développer la production d’énormes quantités de matériel de guerre de façon à créer un puissant potentiel militaire. »
Le paragraphe 5 de cette même rubrique E, qui sera le dernier dont je m’occuperai ce matin, déclare :
« Afin de mener à bien la préparation à la guerre, les conspirateurs nazis créèrent une série d’organismes et d’autorités d’ordre administratif. En 1936, par exemple, ils créèrent, dans ce but, sous la direction générale de l’accusé Gôring, l’organisme du Plan de quatre ans, qui était investi d’une autorité absolue sur toute l’économie allemande. De plus, le 28 août 1939, immédiatement avant leur agression contre la Pologne, ils nommèrent l’accusé Funk délégué à l’Économie. Le 30 août 1939, ils créèrent le Conseil des ministres pour la Défense du Reich, appelé à agir en tant que cabinet de guerre. »
Je n’importunerai pas le Tribunal en prouvant ce que le monde connaît déjà, à savoir que les conspirateurs nazis réarmèrent l’Allemagne sur une vaste échelle. Je me propose de présenter comme preuves les comptes rendus secrets des plans et délibérations des conseils nazis qui prouvent que la réorganisation du Gouvernement allemand, la sorcellerie financière de l’accusé Schacht, la mobilisation totale de l’économie allemande, pour la plus grande part sous la direction des accusés Schacht, Gôring et Funk, tout cela tendait vers un but unique : la guerre d’agression.
Je désire maintenant communiquer au Tribunal ce que nous appelons le livre de documents qui contient la traduction anglaise des documents originaux allemands. Je ne veux pas pour le moment déposer ces documents comme preuves, mais seulement les communiquer au Tribunal pour faciliter sa tâche à propos de la discussion de ces documents. Je me propose également de remettre un peu plus tard un dossier complémentaire, quand j’en aurai terminé avec mon exposé de ce matin.
La signification des mesures économiques adoptées et appliquées par les conspirateurs ne peut en vérité être pleinement saisie que si elles sont replacées dans l’atmosphère sociale et politique de l’Allemagne nazie. Les mesures économiques furent adoptées alors que les conspirateurs, comme nous l’avons déjà montré, utilisaient le vaste appareil de leur propagande pour la glorification de la guerre. Elles furent adoptées pendant que les conspirateurs transformaient l’éducation physique en préparation militaire effective. Elles furent adoptées alors même que, comme le montreront mes collègues, ces conspirateurs menaçaient et projetaient de faire usage de la force pour atteindre leurs objectifs territoriaux et politiques. Bref, plaise au Tribunal, ces mesures constituent, sur le terrain de l’administration économique et gouvernementale, cette même préparation de la guerre d’agression qui a dominé chaque aspect de l’État nazi.
En 1939 et 1940, après l’agression nazie sur la Pologne, la Hollande, la Belgique et la France, il devint tout à fait clair pour le monde que les conspirateurs nazis avaient créé le plus fort instrument d’agression qu’ait sans doute connu l’Histoire. Cette machine fut montée presque entièrement en moins de dix ans. En mai 1939, le Général Georg Thomas, ancien chef du Service de l’Économie militaire au ministère de la guerre du Reich, déclare que l’Armée allemande était passée de sept divisions d’infanterie en 1933 à trente-neuf en 1939, parmi lesquelles quatre divisions entièrement motorisées et trois divisions de montagne, dix-huit états-majors de corps, cinq divisions blindées, vingt-deux bataillons de mitrailleurs. En outre, déclara le général Thomas, la Marine allemande s’était accrue considérablement par le lancement, entre autres, de deux cuirassés de 35.000 tonnes, de quatre croiseurs lourds de 10.000 tonnes et d’autres bâtiments de guerre. En outre, la Luftwaffe s’était développée au point de compter deux cent soixante mille hommes, vingt et une escadrilles constituées de deux cent quarante échelons et trente-trois batteries anti-aériennes.
De même – je cite ici le document EC-28, reproduction d’une conférence faite par le général Thomas, le 24 mai 1939, au ministère des Affaires étrangères – celui-ci déclara, ou plutôt rapporta, que des quelques usines autorisées par le Traité de Versailles était sortie « … l’industrie d’armement la plus puissante existant actuellement dans le monde. Cette industrie a atteint un niveau de production qui égale, et parfois dépasse, celui de la production allemande en temps de guerre. La production allemande d’acier brut est maintenant la plus élevée du monde après l’Amérique. La production d’aluminium dépasse beaucoup celle de l’Amérique et des autres pays du monde. Il sort de nos usines plus de fusils, de mitrailleuses et de canons que dans aucun autre pays. »
Cette citation, je le répète, est extraite du document EC-28 (USA-760).
Ces résultats, dont le général Thomas parle dans sa conférence de mai 1939, ne furent atteints qu’en faisant de la préparation de la guerre, l’objectif dominant de l’économie allemande. Et pour citer à nouveau le général Thomas :
« L’Histoire ne connaîtra que peu d’exemples semblables, d’un pays concentrant, dès le temps de paix, aussi délibérément et systématiquement toutes ses forces économiques vers les exigences de la guerre, comme l’Allemagne a été forcée de le faire durant la période comprise entre les deux guerres mondiales. » Cette citation du général Thomas se trouve dans le document PS-2353, extraite d’un autre de ses écrits.
La tâche de mobiliser l’économie allemande en vue d’une guerre d’agression a commencé immédiatement après la prise du pouvoir par les nazis. Elle fut confiée principalement aux accusés Schacht, Göring et Funk.
L’accusé Schacht, comme chacun sait, fut nommé président de la Reichsbank en mars 1933 et ministre de l’Économie en août 1934.
Le monde ne savait pas cependant que la responsabilité de l’exécution de ce programme avait été confiée à l’organisme du Plan de quatre ans, sous la direction de l’accusé Göring.
J’aimerais maintenant attirer l’attention du Tribunal sur le document portant le numéro EC-408 et aussi profiter de l’occasion pour citer un autre document portant le numéro PS-2261.
J’ajoute que le monde ignorait la nomination de l’accusé Schacht au poste de plénipotentiaire à l’Économie de guerre, le 21 mai 1935, qui lui donnait le contrôle complet de l’économie civile allemande pour la production de guerre dans le Conseil de Défense du Reich, créé par un décret secret de Hitler.
J’invite le Tribunal à se reporter au document PS-2261 dont je parlais il y a quelques instants.
L’accusé Schacht a reconnu dans un mémorandum sur le financement du réarmement, rédigé le 3 mai 1935, que la préparation de la guerre primait tout. Il y déclarait que ses commentaires reposaient sur le postulat que l’accomplissement du programme d’armement…
Pardon, vous référez-vous au document 226l ?
Oui, Votre Honneur.
Mais vous n’en avez rien lu.
Non, j’y ai simplement renvoyé le Tribunal puisque…
Cela nous aiderait, je pense, lorsque vous citez un document, si vous indiquiez la référence du passage précis que vous citez.
Très bien.
Je pense que ce doit être dans le paragraphe du milieu de ce document : « Le Führer a nommé le Dr Schacht président du Comité directeur de la Reichsbank… »
En effet, c’est là le paragraphe que je veux citer. S’il plaît au Tribunal, le deuxième paragraphe déclare – c’est une lettre datée du 24 juin 1935 de Berlin – : « Le Führer et Chancelier du Reich a nommé le Dr Schacht président du Comité directeur de la Reichsbank, plénipotentiaire général à l’Économie de guerre. »
Pourrais-je, outre ce second paragraphe, attirer l’attention sur le dernier paragraphe, la dernière phrase de cette lettre ? « J’insiste une fois de plus sur la nécessité du secret absolu. » La lettre est signée de von Blomberg.
Grâce au génie financier de Schacht, des mesures furent prises sur le plan monétaire pour restaurer l’industrie allemande et porter sa production au maximum. Grâce au contrôle des importations et des exportations qu’il intégra à son nouveau plan de 1934, la production allemande fut canalisée selon les besoins de la machine de guerre allemande.
Avec la permission du Tribunal, je discuterai plus tard les preuves documentaires de cette assertion.
En 1936, forts de l’expérience de la première guerre mondiale, les conspirateurs nazis adoptèrent un plan audacieux pour rendre l’Allemagne capable de se suffire entièrement à elle-même dans le domaine des matières premières nécessaires à la conduite d’une guerre, telles que le caoutchouc, l’essence et l’acier, et cela dans un délai de quatre ans, afin d’être parfaitement prêts pour une guerre d’agression.
La responsabilité de l’exécution de ce programme fut confiée à l’organisme du Plan de quatre ans, sous l’autorité de l’accusé Göring, et ici j’aimerais faire allusion au document portant le numéro EC-408. Il porte la date du 30 décembre 1936, « Document secret du Commandement » et le titre : « Mémorandum du rapport sur le Plan de quatre ans et la préparation de l’Économie de guerre ».
Il établit que le Führer et Chancelier du Reich a conféré des pouvoirs pour les préparatifs de mobilisation dans le domaine économique, dont l’étendue devra être ultérieurement fixée et, au paragraphe 3, il désigne nommément le Ministerpresident Generaloberst Göring comme commissaire au Plan de quatre ans, titre conféré par le Führer et Chancelier du Reich, le 18 octobre 1936. L’existence de ce programme impliquait la réorganisation et le contrôle de toute l’économie allemande pour la guerre. Nous citons, ici encore, le général Thomas ; – et en particulier notre document EC-27 – le général Thomas, dans une conférence du 28 février 1939 faisant partie de son cours d’instruction de l’État-Major, déclara :
« L’État national-socialiste, peu après avoir pris le pouvoir, réorganisa toutes les branches de l’économie allemande et orienta celle-ci vers des fins militaires, ce que réclamait l’Armée depuis des années. Grâce à cette réorganisation, l’agriculture, le commerce et toutes les professions sont devenus les instruments puissants dont le Führer a besoin pour ses projets grandioses et nous pouvons dire aujourd’hui que la politique dynamique de Hitler, aussi bien que les efforts puissants de l’Armée et de l’Économie, n’auraient pas été possibles sans cette réorganisation nécessaire effectuée par le Gouvernement national-socialiste. Nous pouvons dire maintenant que, dans son ensemble, l’organisation économique correspond aux besoins, bien que quelques légères modifications soient encore à faire. Ces réorganisations ont rendu possible un nouveau système économique qui était nécessité par notre situation intérieure et notre politique étrangère, aussi bien que par nos problèmes financiers. L’économie dirigée, telle qu’elle existe aujourd’hui chez nous, en ce qui concerne l’agriculture, le commerce et l’industrie, n’est pas seulement la résultante des principes actuels de l’État, mais également de l’économie de la défense du pays. »
Plaise au Tribunal. Ce programme ne fut pas entrepris dans l’abstrait ; il fut délibérément projeté et exécuté pour fournir l’instrument indispensable aux conspirateurs nazis dans leur plan en vue d’une guerre d’agression.
En septembre 1934, l’accusé Schacht reconnut ouvertement devant l’ambassadeur américain à Berlin, que « le parti hitlérien était complètement engagé dans la voie de la guerre et que le peuple, de son côté, était prêt et consentant ». Cette citation est tirée du journal de l’ambassadeur Dodd, qui porte le numéro PS-2832 (USA-29), et plus précisément à la page 176 de ce journal.
En même temps, l’accusé Schacht annonça son nouveau plan de contrôle des importations et des exportations dans l’intérêt du réarmement. Un an plus tard, il fut nommé plénipotentiaire à l’Économie de guerre, par le décret secret mentionné ci-dessus.
En septembre 1936, l’accusé Göring annonça, au cours d’une réunion à laquelle assistaient l’accusé Schacht et d’autres, que Hitler, comptant sur une rupture inévitable avec la Russie, avait donné des instructions au ministre de la Guerre du Reich, « qu’il fallait agir comme si nous étions réellement en danger imminent de guerre ».
Je demande au Tribunal de bien vouloir se reporter au document EC-416. Avant de discuter cette citation, je signale que ce document est également marqué comme document secret d’État dans le procès-verbal de la réunion du Cabinet du 4 septembre 1936 à midi. Il donne le nom des personnes présentes : l’accusé Göring, von Blomberg, l’accusé Schacht et d’autres.
À la page 2 de ce document, paragraphe 2, se trouve un passage de l’accusé Göring. Il s’inspire de l’idée qu’« il est inévitable d’abattre un jour nos cartes avec la Russie. Ce que la Russie a fait dans le domaine de la reconstruction, nous pouvons le faire aussi ».
À la page 3 de ce document, paragraphe 2, l’accusé Göring déclare : « Toutes mesures doivent être prises comme si nous étions réellement en danger imminent de guerre. »
Dans le courant du même mois, l’Office du Plan de quatre ans fut créé. Il avait pour but de rendre l’Allemagne capable de faire la guerre d’ici quatre ans. À ce sujet, je me reporte de nouveau au document EC-408, et tout particulièrement au paragraphe 3 où nous trouvons la phrase suivante relative à l’économie de guerre : « Le Ministerpresident, Generaloberst Göring, considère qu’il est de son devoir de mettre dans un délai de quatre ans toute l’économie sur le pied de guerre ».
Les membres du Gouvernement nazi prirent la direction de ces préparatifs de guerre. Ils trouvèrent toutefois dans les industriels allemands des collaborateurs enthousiastes. Le rôle joué par les industriels allemands dans le passage à l’économie de guerre est de première importance, et je vais maintenant examiner brièvement l’ensemble du problème économique.
Sur l’invitation de l’accusé Göring, vingt-cinq environ des plus grands industriels allemands et l’accusé Schacht assistèrent à une réunion tenue à Berlin, le 20 février 1933. C’était peu de temps avant les élections du 5 mars 1933. Au cours de cette réunion, Hitler annonça l’intention des conspirateurs de s’assurer un contrôle totalitaire sur l’Allemagne, de détruire le système parlementaire, d’écraser toute opposition par la force et de restaurer la puissance de la Wehrmacht.
Parmi ceux qui étaient présents à Berlin, ce jour de février 1933, se trouvaient Gustav Krupp, chef de la gigantesque usine de munitions Friedrich Krupp AG, quatre personnalités de l’I. G. Farben, l’une des plus grandes fabriques de produits chimiques du monde, et, je le répète, l’accusé Schacht. Étaient également là, Albert Vögler, chef de l’énorme trust de l’acier « Vereinigte Deutsche Stahlwerke » (Aciéries Réunies d’Allemagne) ainsi que plusieurs grands industriels.
À l’appui de ce que je viens de dire sur cette réunion, sa date et l’endroit où elle s’est tenue, je prie le Tribunal de se reporter au document portant le nº EC-439 ; c’est un affidavit de Georg von Schnitzler qui déclare ceci :
« Je, soussigné, Georg von Schnitzler, membre de la Direction de l’I. G. Farben, fais la déposition suivante sous la foi du serment :
« A la fin de février 1933, quatre membres de la Direction de l’I. G. Farben, dont le Dr Bosch, chef de cette Direction et moi-même, fûmes invités par le Bureau du président du Reichstag à assister, chez lui, à une réunion dont le but n’était pas mentionné. Je ne me souviens pas des deux autres collègues qui étaient aussi invités. Je crois que l’invitation me parvint au cours d’un de mes voyages d’affaires à Berlin. J’allai à cette réunion à laquelle assistaient environ vingt personnes, dont la plupart, je crois, étaient de grands industriels de la Ruhr.
« Parmi ceux qui étaient présents, je me souviens du Dr Schacht qui, à ce moment, n’était pas encore président de la Reichsbank ni ministre de l’Économie, de Krupp von Bohien qui, en ce début de 1933, présidait le « Reichsverband der Deutschen Industrie » – qui devint plus tard l’organisation semi-officielle « Reichsgruppe Industrie » –, du Dr Albert Vögler, chef des « Vereinigte Stahlwerke », de von Loewenfeld, important industriel d’Essen, du Dr Stein, chef de la « Gewerkschaft Auguste Viktoria », exploitation minière qui appartient à l’I. G. Farben. Le Dr Stein était un membre actif du parti populaire allemand (Deutsche Volkspartei).
« Je me souviens que c’est le Dr Schacht qui semblait être le maître de maison.
« Alors que je m’attendais à l’apparition de Göring, Hitler entra dans la pièce, serra toutes les mains, et s’assit à la table. Dans un long discours, il parla principalement du danger du communisme, sur lequel il prétendait avoir remporté une victoire décisive.
« Il parla ensuite du « Bündnis » (alliance) conclu entre son Parti et la « Deutschnationale Volkspartei ». Ce dernier parti avait été entre temps réorganisé par M. von Papen. Il en vint enfin à la question qui me sembla le but de la réunion : Hitler insista sur l’importance qu’il y avait à ce que les deux partis obtinssent la majorité au cours des prochaines élections au Reichstag. Krupp von Bohlen remercia Hitler de son discours. Et lorsque Hitler eut quitté la pièce, le Dr Schacht proposa aux assistants de constituer un fonds électoral de trois millions de Reichsmark, si mes souvenirs sont exacts. Ces fonds devaient être distribués entre les deux « alliés » selon leur force respective à l’époque. Le Dr Stein suggéra que la Deutsche Volkspartei fût aussi comprise dans cette distribution… »
M. Dodd, il me semble, en vérité, que ce document ne prouve rien si ce n’est qu’il y a eu une réunion à laquelle assistait le Dr Schacht et au cours de laquelle il fut décidé de souscrire à un fonds électoral, en 1933.
Exactement, Votre Honneur. Je ne veux pas importuner le Tribunal par la lecture intégrale de ce document. Il comporte d’autres allusions, mais de peu d’importance, dans son dernier paragraphe, à un partage de fonds électoraux. Je me contente d’attirer l’attention du Tribunal en passant.
Je voudrais attirer votre attention sur le document D-203 qui ne comporte que trois pages dont je pourrai lire quelques extraits. C’est un discours adressé aux industriels allemands par Hitler. Le paragraphe 2 nous dit : « L’entreprise privée ne peut pas être maintenue à l’âge de la démocratie… »
Quelle en est la date ?
C’est le discours prononcé à Berlin lors de la réunion du 20 février 1933.
« L’entreprise privée ne peut pas être maintenue à l’âge de la démocratie.
« L’entreprise privée n’est concevable que si le peuple a une conception saine de l’autorité et de la personnalité. »
À la page 2 de ce document, au premier paragraphe, environ treize phrases plus loin, nous lisons : « Je reconnus, durant mon séjour à l’hôpital, qu’on devait trouver de nouvelles idées dans le domaine de la reconstruction. Je les ai trouvées dans le nationalisme, dans la valeur de… la force et du pouvoir de la personnalité individuelle. »
Et, un peu plus loin, dans l’avant-dernière et la dernière phrase du même paragraphe, Hitler dit : « Si l’on rejette le pacifisme, il faut le remplacer aussitôt par une nouvelle idée ; tout ce qui est rejeté doit être remplacé par quelque chose de mieux. »
Voici maintenant la dernière phrase du paragraphe 3 : « Nous ne devons pas oublier que tous les bienfaits de la culture doivent être plus ou moins imposés par une main de fer, comme à un moment donné les fermiers ont été contraints de planter des pommes de terre. »
Enfin, le quatrième paragraphe de cette page, presque à la fin :
« Le même courage avec lequel nous nous mettons au travail pour réparer les erreurs commises au cours des quatorze dernières années nous a fait résister à toutes les tentatives de nous faire sortir du droit chemin. »
En haut de la page suivante, au paragraphe 2, nous trouvons ces mots : « Les dernières élections sont imminentes. Quels qu’en soient les résultats, nous ne reculerons pas, même si les élections qui viennent n’apportent pas de décision. »
Pourquoi n’avez-vous pas lu la dernière ligne de la page 2 ?
Commençant par les mots : « Tant qu’on lutte pour le pouvoir… » ?
Non, la phrase précédente : « Nous devons d’abord conquérir le pouvoir totalement si nous voulons écraser l’opposition. Tant qu’on lutte pour le pouvoir, il ne faut pas entreprendre de combat contre un adversaire. Ce n’est que lorsqu’on l’a atteint et qu’il n’y a plus de progrès possible que l’on doit frapper. »
J’allais justement en parler dans une minute, mais je trouve cependant que l’on peut fort bien placer ici cette citation. Cependant, avant de lire le dernier paragraphe qui est assez long, étant donné qu’il est l’heure de la suspension d’audience, je propose…
Bien, nous allons suspendre l’audience jusqu’à 14 heures.