Cinquième journée
Lundi 26 novembre 1945.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Comme je l’ai déjà indiqué, la phase suivante de l’agression fut l’élaboration et l’exécution du plan d’attaque de la Pologne, ainsi que son corollaire, le déclenchement de la guerre d’agression contre la Pologne en septembre 1939, faits prévus au paragraphe 4, a et b de la section IV, F de l’Acte d’accusation.

Ici encore, les archives tenues avec soin et précision par l’aide de camp Schmundt nous ont fourni un document manuscrit qui découvre le « pot aux roses ». Cette expression familière est peut-être difficile à traduire. Je n’en sais rien. Le document est constitué par le procès-verbal de la conférence du 23 mai 1939. Cette conférence eut lieu dans le bureau du Führer, à la nouvelle chancellerie du Reich ; l’accusé Göring y assistait.

(Ici se place l’interruption suivante de l’accusé Frick : « L’année est certainement inexacte ». Cette déclaration faite en allemand n’a pas été traduite.)
M. ALDERMAN

Je crois qu’un des accusés vient de dire que je me suis trompé d’année ; mes notes portent « 23 mai 1939 », date qui figure sur le document original.

LE PRÉSIDENT

De quel document parlez-vous ?

M. ALDERMAN

Du document L-79. Je disais que l’accusé Göring était présent ainsi que les accusés Raeder et Keitel. La discussion portait sur le sujet suivant : « Instructions relatives à la situation politique et à nos objectifs ». Ce document est d’importance historique, au même titre que le testament politique du Führer, rapporté par l’aide de camp Hossbach.

L’original de ce document, une fois saisi, est parvenu par des voies détournées, à travers l’Atlantique, jusqu’aux États-Unis. Il y fut découvert par des membres du Ministère Public américain, qui l’emportèrent à Londres, et de là à Nuremberg. La lettre L de la référence indique que ce document a été enregistré à Londres, d’où il est venu jusqu’ici. Je ne pense pas qu’on puisse en contester la validité. Son authenticité et sa précision, en tant que procès-verbal de la conférence du 23 mai 1939, ont été reconnues par l’accusé Keitel, au cours de l’un de ses interrogatoires. Comme je le disais, ce document porte le numéro L-79. Je le dépose sous le numéro USA-27.

Ce document a une si grande importance historique et intéresse tellement le Procès que je me vois obligé d’en citer la plus grande partie. Il porte un en-tête : « Geheime Reichssache » (Affaire secrète d’État). « À transmettre seulement par officier. »

« Compte rendu de la conférence tenue le 23 mai 1939. Lieu : Bureau du Führer, nouvelle Chancellerie du Reich. Officier d’ordonnance de service : lieutenant-colonel (É.-M.) Schmundt.

« Étaient présents : le Führer, le Feldmarschall Göring, le Grossadmiral Raeder, le Generaloberst von Brauchitsch, le Generaloberst Keitel, le Generaloberst Milch, le général d’artillerie Halder, le général Bodenschatz, le contre-amiral Schniewindt, le colonel (É.-M.) Jeschonnek, le colonel (É.-M.) Warlimont, le lieutenant-colonel (É.-M.) Schmundt, le capitaine Engel (Armée), le capitaine de corvette Albrecht, le capitaine von Below (Armée).

« Objet : Entretien sur la situation et les buts de la politique.

« Le Führer définit les buts de la conférence comme suit :

« 1. Analyse de la situation.

« 2. Définition des tâches de la Wehrmacht, telles qu’elles résultent de la situation.

« 3. Exposé des conséquences de ces tâches.

« 4. Moyen d’assurer le secret des décisions prises au cours de la conférence et de leur mise en œuvre.

« Le secret est la première condition du succès.

« Les observations du Führer sont reproduites dans l’ordre des sujets traités.

« La situation actuelle doit être considérée de deux points de vue :

« 1. Le développement effectif des événements entre 1933 et 1939.

« 2. La position permanente et immuable de l’Allemagne.

« Au cours de la période 1933-1939, nous avons accompli des progrès dans tous les domaines. Notre situation militaire s’est énormément améliorée.

« Notre position à l’égard des autres pays n’a pas changé. L’Allemagne a été rejetée du cercle des grandes puissances. L’équilibre des forces s’est effectué sans sa participation.

« La ratification des exigences essentielles à la vie de l’Allemagne et sa rentrée dans le cercle des grandes puissances rompent cet équilibre. Toutes les revendications de l’Allemagne sont qualifiées d’empiétement. Les Anglais craignent davantage les menaces qui se présentent dans le domaine économique que celles qui ne s’appuient que sur la force.

« Les problèmes idéologiques ont été résolus par une masse de 80.000.000 de personnes. Les problèmes économiques doivent être résolus de même. Les conditions économiques nécessaires doivent être créées à cette fin, et aucun Allemand ne peut se soustraire à cette œuvre. La solution de ces problèmes exige du courage. Le principe d’après lequel on évite de résoudre un problème en s’adaptant aux circonstances est inadmissible. Les circonstances doivent au contraire s’adapter aux buts. Ce n’est possible que par l’invasion d’autres pays ou par la mainmise sur les biens étrangers.

« Un espace vital proportionné à la grandeur d’un pays est à la base de toute puissance. On peut, pendant quelque temps, refuser de faire face au problème, mais il finira par être résolu d’une façon ou d’une autre. Il faut choisir entre le progrès et la décadence ; dans quinze ou vingt ans, nous serons obligés de trouver une solution. Aucun homme d’État allemand ne peut se dérober à ce problème, une fois le délai écoulé.

« Nous vivons actuellement dans un état de ferveur patriotique que connaissent également deux autres nations, l’Italie et le Japon.

« Nous avons bien su profiter des années qui viennent de s’écouler. Toutes les mesures ont été prises dans l’ordre prévu et en conformité avec nos desseins. Au bout de six ans, voici quelle est la situation :

« L’unité nationale et politique des Allemands est chose faite, à part quelques exceptions sans importance. » – Je suppose qu’il s’agit de celles des camps de concentration. – « De nouveaux succès ne pourront être remportés sans effusion de sang.

« La démarcation des frontières est un problème d’importance militaire.

« Le Polonais n’est pas un ennemi de plus. La Pologne se rangera toujours du côté de nos adversaires. Malgré ses traités d’amitié, la Pologne a toujours eu la secrète intention de saisir toutes les occasions de nous nuire.

« Ce n’est nullement Dantzig qui est la cause du conflit. Il s’agit d’étendre notre espace vital à l’Est, d’assurer notre ravitaillement et de régler le problème de la Baltique. L’approvisionnement ne peut provenir que de régions à faible population. En plus de la productivité naturelle, une exploitation intensive par des Allemands augmentera considérablement l’excédent de la production.

« Il n’y a pas d’autres possibilités pour l’Europe.

« Colonies : méfiez-vous de la cession de territoires coloniaux ; cela ne résout pas les problèmes de l’approvisionnement ; pensez au blocus.

« Si le destin nous met aux prises avec l’Ouest, la possession de territoires étendus à l’Est nous sera avantageuse. En temps de guerre, nous pourrons encore moins compter sur des moissons exceptionnelles qu’en temps de paix.

« La population des territoires non allemands ne sera pas soumise au service militaire, mais sera disponible comme source de main-d’œuvre.

« Le problème polonais est inséparable d’un conflit avec l’Ouest.

« Il est douteux que la Pologne ait une constitution assez ferme pour résister au bolchevisme. On ne peut donc compter sur elle comme barrière contre la Russie.

« Il n’est pas sûr qu’une victoire militaire à l’Ouest puisse être remportée par une décision rapide. L’attitude de la Pologne est également incertaine.

« Le Gouvernement polonais ne résistera pas à la pression russe. La Pologne considère comme dangereuse une victoire allemande à l’Ouest et cherchera à nous enlever la victoire.

« Il n’est donc pas question d’épargner la Pologne, et nous en arrivons à cette décision : attaquer la Pologne dès que l’occasion s’en présentera. »

Plaise au Tribunal. Cette phrase est soulignée dans le texte allemand.

« Nous ne pouvons pas compter sur la répétition de l’affaire tchécoslovaque. Nous aurons la guerre. Notre tâche est d’isoler la Pologne. Le succès de cet isolement sera décisif.

« En conséquence, le Führer doit se réserver le droit de donner l’ordre définitif de l’attaque. Il ne doit pas y avoir de conflit simultané avec les puissances occidentales (France et Angleterre). Si l’on peut craindre qu’un conflit polonais-allemand ait pour conséquence un conflit à l’Ouest, il faudra se tourner d’abord contre l’Angleterre et la France.

« Principe fondamental : conflit avec la Pologne, débutant par une offensive contre la Pologne ; le succès n’en est assuré que si les puissances occidentales n’interviennent pas. Si c’est impossible, il sera préférable d’attaquer à l’Ouest et de régler la question polonaise en même temps.

« Une politique habile peut permettre d’isoler la Pologne.

« Le Japon représente un problème considérable. Même si sa collaboration nous paraît, au début, pour diverses raisons, quelque peu tiède et restreinte, le Japon a personnellement intérêt à prendre l’initiative d’une offensive contre la Russie en temps utile.

« Les relations économiques avec la Russie ne sont possibles que si les rapports politiques s’améliorent. Les commentaires de la presse montrent une tendance à la prudence. Il n’est pas impossible que la Russie montre qu’elle se désintéresse de la destruction de la Pologne. Au cas où elle prendrait des mesures contre nous, nos rapports avec le Japon pourraient se resserrer.

« S’il y avait une alliance entre la France, l’Angleterre et la Russie contre l’Allemagne, l’Italie et le Japon, je serais obligé d’attaquer l’Angleterre et la France par quelques coups destructeurs.

« Le Führer ne compte pas sur la possibilité d’un règlement à l’amiable avec l’Angleterre. Nous devons nous attendre à un conflit. L’Angleterre voit dans notre développement les bases d’une hégémonie qui l’affaiblirait. L’Angleterre est par conséquent notre ennemie et le conflit avec l’Angleterre sera une lutte à mort.

« Comment se déroulera cette lutte ? » (Souligné dans le texte allemand.)

« L’Angleterre ne peut pas venir à bout de l’Allemagne et la vaincre par quelques coups puissants. Il est indispensable à l’Angleterre que la guerre se rapproche le plus possible du bassin de la Ruhr. Le sang français ne sera pas épargné (mur de l’Ouest). De la possession du bassin de la Ruhr dépendra la durée de notre résistance.

« Les bases aériennes de la Belgique et de la Hollande devront être occupées militairement. Il ne faudra faire aucun cas des déclarations de neutralité. S’il est dans l’intention de l’Angleterre et de la France que la guerre entre l’Allemagne et la Pologne aboutisse à un conflit, ces pays soutiendront la neutralité de la Hollande et de la Belgique et les obligeront à bâtir des fortifications pour les forcer finalement à coopérer. Malgré leurs protestations, la Belgique et la Hollande céderont à la pression.

« Par conséquent, si l’Angleterre décide d’intervenir dans le conflit polonais, nous devrons occuper la Hollande à une vitesse foudroyante. Notre but doit être de nous ménager une nouvelle ligne de défense en territoire hollandais jusqu’au Zuyderzée.

« La guerre contre l’Angleterre et la France sera une lutte à mort.

« La théorie selon laquelle nous pourrions nous en tirer à bon compte est dangereuse ; cette possibilité n’existe pas. Nous devons brûler nos vaisseaux. Ce n’est plus une affaire de justice ou d’injustice, mais une question de vie ou de mort pour 80.000.000 d’hommes.

« Question : la guerre sera-t-elle de longue durée ? » (Souligné dans l’original.)

« Les Armées et les Gouvernements de tous les pays doivent viser à une guerre rapide. Cependant, le Gouvernement doit être prêt en vue d’une guerre de dix à quinze ans.

« L’Histoire a démontré que les peuples croient toujours que la guerre sera courte ; en 1914, on croyait en général qu’il était impossible de financer une longue guerre. Aujourd’hui encore, cette opinion subsiste dans l’esprit de bien des gens. Mais au contraire, chaque État tiendra aussi longtemps que possible, à moins qu’il ne soit aussitôt gravement affaibli (par exemple le bassin de la Ruhr). L’Angleterre a, elle aussi, des côtés faibles. L’Angleterre sait qu’en perdant la guerre, elle perdra sa puissance mondiale. L’Angleterre est “la force motrice” dirigée contre l’Allemagne. – Ce qui, traduit littéralement, veut dire : “L’Angleterre est le moteur actionné contre l’Allemagne”. Je suppose que c’est le terme français : “Force motrice”. Sa puissance repose sur les facteurs suivants :

« 1. Les Anglais eux-mêmes sont fiers, courageux, tenaces, fermes dans leur résistance et doués pour l’organisation. Ils savent exploiter chaque situation nouvelle. Ils ont le goût de l’aventure et le courage de la race nordique. Cette qualité est amoindrie par la dispersion. La moyenne allemande est plus élevée.

« 2. La puissance mondiale en elle-même. Elle est restée constante pendant trois cents ans. Étendue par des alliances, cette puissance n’est pas seulement quelque chose de concret, mais elle représente également une force psychologique englobant le monde entier. Il faut y ajouter une richesse incalculable avec le crédit financier qu’elle comporte.

« 3. La sécurité et la protection géopolitique assurées par une solide puissance sur mer et une Aviation courageuse.

« Faiblesse de l’Angleterre.

« Si, dans la dernière guerre, nous avions eu deux cuirassés et deux croiseurs de plus, et si la bataille du Jutland avait commencé dans la matinée, la flotte britannique aurait été vaincue et l’Angleterre obligée de capituler. Cela aurait signifié la fin de cette guerre. » Je pense qu’il veut dire l’autre guerre.

« Autrefois, il n’était pas suffisant de vaincre la flotte. Pour vaincre l’Angleterre, il fallait également opérer des débarquements sur le sol anglais. L’Angleterre pouvait se suffire en matière de ravitaillement. Aujourd’hui, elle ne le peut plus.

« Dès que les routes d’approvisionnement de l’Angleterre se trouvent coupées, elle est obligée de capituler. Les importations de produits alimentaires et de pétrole dépendent de la protection fournie par la flotte.

« Si l’Aviation allemande attaque le territoire anglais, cela n’obligera pas l’Angleterre à capituler en un seul jour. Mais la destruction de la flotte entraînera une capitulation immédiate.

« Il n’est pas douteux qu’une attaque par surprise puisse amener une décision rapide. Cependant, il serait criminel de la part du Gouvernement de compter entièrement sur le facteur-surprise.

« L’expérience a démontré que l’effet de la surprise peut être annulé par :

« 1. Des divulgations faites par des personnes appartenant au cercle étendu des experts militaires intéressés ;

« 2. Le simple hasard qui peut amener l’effondrement de toute l’entreprise ;

« 3. Les faiblesses humaines ;

« 4. Les conditions atmosphériques.

« La date définitive de l’attaque doit être fixée longtemps à l’avance. Une fois ce délai écoulé, on ne peut supporter longtemps la tension. Il faut tenir compte de ce que les conditions atmosphériques peuvent rendre inopinément impossible l’intervention de la Marine et de l’Aviation.

« Il faut poser pour base que ce qui précède constitue le fondement le plus défavorable aux travaux préparatoires d’élaboration.

« 1. Il faut chercher à porter à l’ennemi un coup qui porte, ou même le coup final décisif. La question du juste ou de l’injuste et le respect des traités n’interviennent pas ici. Cette tactique ne pourra être suivie que si nous ne sommes pas engagés dans une guerre avec l’Angleterre à cause de la Pologne.

« 2. En plus de l’attaque par surprise, il faut poursuivre des préparatifs en vue d’une guerre longue, tout en éliminant sur le continent les chances de l’Angleterre.

« L’Armée devra tenir les positions indispensables à la Marine et à l’Aviation. Si la Hollande et la Belgique sont occupées avec succès, si la France est également vaincue, nous aurons les conditions requises pour remporter la victoire dans la guerre contre l’Angleterre.

« Le blocus de l’Angleterre peut être assuré de tout près, grâce à l’Aviation partant de l’Ouest de la France, tandis que les sous-marins de notre flotte permettront d’étendre le champ du blocus. »

« Conséquences :

« L’Angleterre ne pourra pas combattre sur le continent ;

« Des attaques journalières menées par l’Aviation et la Marine couperont toutes les lignes de communication :

« Le temps ne jouera pas en faveur de l’Angleterre ;

« L’Allemagne ne subira pas de saignée dans les combats terrestres.

« La nécessité d’une telle stratégie a été démontrée au cours de la première guerre mondiale, et des opérations militaires ultérieures. C’est de la première guerre mondiale que sont nées les considérations stratégiques suivantes qui s’imposent maintenant :

« 1. L’issue de la guerre aurait été différente si l’Allemagne avait possédé une flotte plus puissante à la déclaration de guerre, ou si son Armée avait effectué une manœuvre tournante en direction des ports de la Manche.

« 2. Un pays ne peut pas être vaincu par l’Aviation. Il est impossible d’attaquer tous les objectifs en même temps et un délai de quelques minutes suffit pour faire déclencher des contre-mesures défensives.

« 3. L’utilisation totale de toutes les ressources est indispensable.

« 4. Une fois que l’Armée, en collaboration avec l’Aviation et la Marine, se sera emparée des positions essentielles, la production industrielle ne s’écoulera plus dans le tonneau des Danaïdes que représentent les combats terrestres, mais pourra être canalisée au bénéfice de l’Aviation et de la Marine.

« L’Armée doit, par conséquent, être en mesure de s’emparer de ces positions. L’assaut doit être préparé systématiquement.

« Il est tout à fait indispensable qu’il soit soigneusement étudié.

« Notre but sera toujours d’écraser l’Angleterre.

« Une arme n’aura d’efficacité décisive que tant que l’ennemi ne la possédera pas. Cette considération s’applique à l’emploi des gaz, des sous-marins et de l’Aviation. Dans ce dernier cas, par exemple, ce sera vrai tant que la flotte britannique ne pourra pas opposer de résistance, et il n’en sera plus ainsi en 1940 et 1941. Contre la Pologne, par exemple, l’action des chars sera efficace puisque l’Armée polonaise ne dispose pas d’armes défensives correspondantes.

« Dans tous les cas où une pression directe ne saurait plus être décisive, elle devra être remplacée par le facteur-surprise et par une exécution brillante. »

Plaise au Tribunal. Le reste du document traite plus en détail des plans et des préparatifs militaires. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’en poursuivre la lecture.

Le document que je viens de lire, rapportant la réunion du 23 mai 1939 contient, à notre avis, la preuve de toutes les affirmations contenues au paragraphe 4, a, section IV (F) de l’Acte d’accusation. Nous pensons qu’il prouve toutes ces allégations.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, vous devriez peut-être lire la dernière page et les cinq dernières lignes qui parlent de l’un des accusés.

M. ALDERMAN

Monsieur le Président, je n’ai pas voulu les lire parce que je suis convaincu qu’elles ont été mal traduites en anglais, j’aimerais mieux qu’elles soient lues en allemand.

LE PRÉSIDENT

Très bien, si c’est votre opinion.

M. ALDERMAN

Nous pouvons faire lire l’original en allemand.

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous dire que la traduction en anglais n’est pas exacte ?

M. ALDERMAN

Oui.

LE PRÉSIDENT

Vous devriez nous aviser alors qu’elle était inexacte.

M. ALDERMAN

Vous voulez parler du dernier paragraphe : « Principes de travail » ?

LE PRÉSIDENT

Oui. Le suivant.

M. ALDERMAN

Oui. Puis-je demander que l’interprète allemand le lise, pour qu’il puisse être traduit dans les autres langues ?

Ce passage figure à la page 16 de l’original.

L’INTERPRÈTE

Page 16. « But :

« 1. Étude du problème dans son ensemble ;

« 2. Étude des événements ;

« 3. Étude des moyens nécessaires ;

« 4. Étude de la formation nécessaire.

« Ce personnel doit comprendre des hommes doués d’un esprit imaginatif et de connaissances techniques approfondies ainsi que des officiers au jugement objectif et critique.

« Principes du travail :

« 1. Seules les personnes directement intéressées seront admises ;

« 2. Aucune personne ne devra en connaître plus que ce qui est nécessaire ;

« 3. Quand la personne intéressée doit-elle être mise au courant ? Personne ne devra être mis au courant d’une question avant que cela ne devienne nécessaire.

« Répondant aux questions de Göring, le Führer décide que :

« a) L’Armée décidera les types de construction à entreprendre ;

« b) II n’y aura pas de modification dans le programme de constructions navales ;

« c) Les programmes d’armement devront être prévus pour 1943 et même 1944. »

« Compte rendu certifié conforme et signé : lieutenant-colonel Schmundt. »

M. ALDERMAN

La traduction est plus exacte que je ne l’avais cru.

LE PRÉSIDENT

Oui.

M. ALDERMAN

À notre avis, comme je viens de le dire, ce document contient la preuve de toutes les affirmations de l’Acte d’accusation. Il démontre que l’attaque contre la Pologne avait été froidement préméditée. Il démontre que le problème de Dantzig, dont les nazis s’étaient servis comme prétexte politique vis-à-vis de la Pologne, n’était pas un vrai problème, mais un différend artificiellement soulevé pour dissimuler le motif réel de leur expansion agressive, à la recherche d’approvisionnement et d’espace vital.

En présentant ces documents accablants, relatifs au déclenchement de la guerre en septembre 1939, je dois attirer l’attention du Tribunal sur un groupe de documents concernant un discours, ou plutôt une allocution adressée par Hitler, le 22 août 1939, à ses grands chefs militaires à Obersalzberg, juste une semaine avant l’attaque de la Pologne. Nous avons trois de ces documents ; ils se tiennent et constituent un groupe unique. Je ne vais pas déposer le premier. Je vous présenterai les deux autres.

La raison en est la suivante : le premier de ces trois documents, qui nous est parvenu par l’intermédiaire d’un journaliste américain, prétendait être le compte rendu original de cette réunion d’Obersalzberg, remis à ce journaliste américain par une tierce personne, mais nous n’avons aucune preuve que le document ait été réellement remis à cet intermédiaire par celui qui avait pris les notes. Ce document n’a donc servi qu’à donner l’éveil à notre Ministère Public et à lui faire chercher des documents plus satisfaisants. Heureusement, nous avons pu obtenir les deux autres documents, qui montrent que Hitler prononça, ce jour-là, deux discours, un le matin peut-être et l’autre l’après-midi comme le montrait le compte rendu original que nous avons saisi. En rapprochant ces deux documents du premier, nous arrivons à la conclusion que le premier document était une combinaison légèrement tronquée des deux discours.

Le 22 août 1939, Hitler avait convoqué à Obersalzberg, les trois chefs suprêmes des trois armes de la Wehrmacht, ainsi que les généraux portant le titre d’« Oberbefehlshaber », ou Commandants en chef.

Je vous ai dit comment, ce premier document découvert, le Ministère Public s’est mis à la recherche de preuves plus solides des événements de cette journée. Il y est parvenu. Dans les dossiers de l’OKW, ou Oberkommando der Wehrmacht, à Flensburg, nous avons découvert deux discours prononcés par Hitler à Obersalzberg, le 22 août 1939. Ces pièces portent les numéros PS-798 et PS-1014 dans nos séries de documents.

Plaise au Tribunal. Pour conserver la continuité de notre numérotage, nous avons identifié le premier document, qui ne sera pas présenté, comme pièce USA-28, le second comme pièce USA-29 (PS-798) et le troisième comme pièce USA-30 (PS-1014).

Ce sont des discours assez longs, surtout le premier, et il ne sera pas indispensable de les lire in extenso.

Dans le document PS-798 (USA-29), le Führer s’adresse aux Commandants en chef, le 22 août 1939 :

« Je vous ai convoqués »…

LE PRÉSIDENT

Y a-t-il une indication quelconque de lieu ?

M. ALDERMAN

Obersalzberg.

LE PRÉSIDENT

Comment le prouvez-vous ?

M. ALDERMAN

Vous voulez dire sur le document ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

M. ALDERMAN

Je crains que l’indication « Obersalzberg » ne vienne du premier document, que je n’ai pas déposé. Mais je suis sûr que les accusés reconnaîtront qu’Obersalzberg était bien l’endroit où ce discours fut prononcé. L’endroit est d’ailleurs beaucoup moins important que la date.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

M. ALDERMAN

« Je vous ai convoqués pour vous donner un aperçu de la situation politique, afin que vous puissiez voir les éléments d’après lesquels j’ai pris la décision d’agir, et de renforcer votre confiance ; ensuite, nous traiterons des détails militaires.

« Je voyais clairement qu’un conflit avec la Pologne devait éclater tôt ou tard. J’avais déjà pris cette décision au printemps » – Je pense qu’il parle ici du document datant du mois de mai, L-79, que j’ai déjà lu. – « Mais je comptais me tourner d’abord contre l’Ouest dans quelques années et, ensuite seulement, vers l’Est. Mais on ne peut fixer la succession des événements. On ne peut fermer les yeux même devant une situation menaçante. Je voulais établir des relations acceptables avec la Pologne, de façon à pouvoir attaquer d’abord à l’Ouest, mais ce plan, qui me convenait, ne put être exécuté, les éléments essentiels ayant changé. Il me semblait que la Pologne nous attaquerait en cas de conflit à l’Ouest. La Pologne veut avoir un accès à la mer. Après l’occupation de Memel, on vit clairement quelle tournure prenaient les événements, et je me rendis compte que, dans ces circonstances, un conflit avec la Pologne pourrait éclater à un moment inopportun.

« Je vous donne les raisons qui m’ont amené à cette opinion : d’abord, deux constitutions personnelles : – je suppose qu’il veut dire : personnalités ; c’est probablement une traduction défectueuse – ma propre personnalité et celle de Mussolini. Tout dépend essentiellement de moi et de mon existence, en raison de mes facultés politiques. » – Je souligne ici l’importance énorme du fait qu’une guerre qui a englobé presque le monde entier, ait pu dépendre d’un seul homme. – « Puis le fait que personne sans doute, n’aura plus la confiance du peuple allemand tout entier comme je l’ai. Il n’y aura sans doute jamais plus d’homme ayant plus d’autorité que moi. Mon existence est donc d’une très grande valeur. Mais je peux être supprimé à chaque instant par un criminel ou un idiot.

« Le second facteur personnel, c’est le Duce. Son existence est également décisive. S’il lui arrivait malheur, on ne pourrait plus compter sur la fidélité de l’Italie à ses engagements. La Cour italienne est fondamentalement opposée au Duce. Avant tout, la Cour considère l’extension de l’Empire italien comme une lourde charge. Le Duce a les nerfs les plus solides d’Italie.

« Le troisième facteur personnel qui nous est favorable est Franco. Nous ne pouvons exiger de l’Espagne qu’une neutralité bienveillante. Mais ceci dépend de la personne de Franco. Il garantit une certaine unité et stabilité du système politique espagnol. Nous devons tenir compte du fait que l’Espagne n’a pas encore de parti fasciste aussi homogène que le nôtre.

« Dans l’autre camp, une image négative, en ce qui concerne les personnalités dirigeantes. Il n’y a pas d’hommes vraiment remarquables, ni en Angleterre, ni en France. » – Je pense que Hitler en a oublié un, sinon beaucoup, en Angleterre. – « Il nous est facile de prendre des décisions ; nous n’avons rien à perdre, et tout à gagner. Notre situation économique est telle, en raison de nos restrictions, que nous ne pourrons plus tenir que quelques années. Göring peut le confirmer. Nous n’avons plus d’autre solution, nous devons agir. Nos opposants risquent gros et ne peuvent gagner que peu de chose. L’enjeu anglais dans une guerre, est d’une importance inimaginable. Nos ennemis ont des hommes au-dessous de la moyenne. Pas de personnalités, pas de maîtres, pas d’hommes d’action ». – J’ouvre ici une parenthèse. Cette dernière phrase explique peut-être ce qu’il entendait par « Pas de personnalités » : pas de maîtres ayant sur leur pays une autorité semblable à la sienne. – « En dehors des facteurs personnels, la situation politique nous est favorable : en Méditerranée, rivalités entre la France, l’Angleterre et l’Italie ; en Extrême-Orient, tension entre le Japon et l’Angleterre, en Orient, tension, qui inquiète le monde musulman.

« L’Empire anglais n’est déjà pas sorti plus fort de la dernière guerre. Du point de vue maritime, les Anglais n’ont rien obtenu. Conflit entre l’Angleterre et l’Irlande ; l’Union Sud-Africaine est devenue beaucoup plus indépendante ; des concessions ont dû être accordées à l’Inde. La situation de l’Angleterre est extrêmement menacée ; industrialisation malsaine. Un homme d’État britannique ne peut regarder l’avenir qu’avec inquiétude.

« La position de la France a été atteinte également, surtout en Méditerranée.

« D’autres facteurs nous sont favorables :

« Depuis l’affaire d’Albanie, il y a un équilibre des puissances dans les Balkans. La Yougoslavie porte en elle un germe de destruction en raison de sa situation intérieure. La Roumanie n’est pas devenue plus forte. Elle est facilement vulnérable. Elle est menacée par la Hongrie et la Bulgarie. Depuis la mort de Kemal, la Turquie a été gouvernée par des esprits étroits, des hommes faibles et hésitants.

« Toutes ces circonstances favorables n’existeront plus dans deux ou trois ans. Personne ne sait combien de temps je vivrai encore. Donc, il vaut mieux déclencher la guerre maintenant.

« La création d’une Grande Allemagne a été une grande réalisation au point de vue politique, mais douteuse au point de vue militaire puisqu’elle s’est faite grâce au bluff des hommes politiques. Il faut, si possible, mettre à l’épreuve sa valeur militaire, non pour un règlement d’ensemble, mais en résolvant des problèmes isolés.

« Les relations avec la Pologne ne sont plus tenables. Ma politique à l’égard de la Pologne était, jusqu’ici, en opposition avec les idées du peuple. Mes propositions à la Pologne (Dantzig et le Corridor) ont été dérangées par l’intervention de l’Angleterre. La Pologne a changé d’attitude à notre égard ; cet état de tension devient insupportable. L’initiative ne doit pas passer à d’autres. Le moment est plus favorable maintenant, qu’il ne le sera dans deux ou trois ans. Un attentat contre moi ou contre Mussolini changerait la situation à notre désavantage. On ne peut éternellement se tenir les uns en face des autres, le fusil chargé. La solution de compromis qui nous a été proposée, aurait exigé que nous changions nos convictions et que nous fassions preuve de bonne volonté. On nous a parlé à nouveau le langage de Versailles. C’était une question de prestige. Maintenant encore il est très vraisemblable que l’Ouest n’interviendra pas. Nous devons prendre ce risque avec une audace résolue. Un homme politique doit savoir accepter un risque aussi bien qu’un chef militaire. Nous nous trouvons devant cette dure alternative, frapper ou être certainement détruits tôt ou tard. »

Je passe deux paragraphes :

« …Maintenant encore, le risque est grand. Des nerfs d’acier et une décision de fer. »

Puis vient une longue discussion qu’il me paraît inutile de lire ; je reprends vers la fin, à quatre paragraphes du bas de la page :

« Nous n’avons pas à redouter le blocus. L’Est nous ravitaillera en céréales, en bétail, en charbon, en plomb et en zinc. C’est un objectif considérable, qui exige une mise de fonds importante. Je crains seulement qu’au dernier moment un “Schweinehund” quelconque fasse des offres de médiation. »

Puis vient le dernier paragraphe, une seule phrase :

« Göring répond en remerciant le Führer, et en l’assurant que la Wehrmacht accomplira son devoir. »

Je crois que j’ai déjà déposé le document nº 30 ; c’est une note plus courte, intitulée : « Second discours du Führer, le 22 août 1939 ». Je lis donc le document USA-30, intitulé : « Second discours du Führer le 22 août 1939 » :

« La situation peut aussi prendre une tournure différente en ce qui concerne l’Angleterre et la France. On ne peut rien prédire avec certitude. Je prévois une barrière commerciale, et non un blocus, puis la rupture des relations. Montrons une détermination de fer. Ne reculons devant rien. Tout le monde devra comprendre que nous étions décidés, depuis le début, à combattre les puissances de l’Ouest. C’est une lutte à mort. L’Allemagne a gagné toutes les guerres tant qu’elle est restée unie. Avant tout, l’attitude ferme et inébranlable des supérieurs, confiance absolue, conviction de la victoire ; dominer le passé, en s’habituant aux plus lourdes charges. Une longue période de paix ne nous ferait aucun bien. Il est donc nécessaire de s’attendre à tout. Attitude virile. Ce ne sont pas des machines qui sont aux prises, mais des hommes. Nous avons la meilleure qualité d’hommes. Les facteurs de l’intelligence sont décisifs. Le camp adverse ne compte que des hommes faibles. En 1918, l’Allemagne est tombée parce que les facteurs spirituels n’étaient pas suffisants. Frédéric le Grand n’a obtenu le succès final que grâce à sa force d’âme.

« Notre premier but : destruction de la Pologne. Il s’agit d’en éliminer les forces vivantes et non d’arriver à un point déterminé. Même si la guerre éclate à l’Ouest, la destruction de la Pologne sera notre objectif primordial. Il faut prendre une décision très rapide, à cause de la saison.

« Je donnerai une raison de propagande au déclenchement de cette guerre ; peu importe qu’elle soit plausible ou non. On ne demandera pas plus tard au vainqueur s’il a dit la vérité ou non. Quand on déclenche une guerre et quand on la fait, ce n’est pas le bon droit qui compte, mais la victoire.

« Fermer son cœur à la pitié, attitude brutale. 80.000.000 de personnes doivent avoir ce qui leur revient. Nous devons assurer leur existence, c’est le plus fort qui a raison. La plus grande sévérité.

« Une décision rapide est nécessaire. Confiance absolue dans le soldat allemand. Il ne se produira de crise que si les nerfs des chefs lâchent.

« Premier but : arriver jusqu’à la Vistule et au Narew. Notre supériorité technique démoralisera les Polonais. Chaque nouvelle unité polonaise sera écrasée. Constante guerre d’usure.

« Nouvelle politique de frontière établie d’après des principes sains. Peut-être un protectorat-tampon. Les opérations militaires ne seront pas influencées par ces réflexions. La destruction complète de la Pologne est le but militaire à atteindre. La rapidité est la chose essentielle. Il faut continuer jusqu’à l’élimination complète. Conviction que la Wehrmacht est à la hauteur des exigences de la situation. Le signal sera probablement donné samedi matin. »

La citation s’achève ici. Le Tribunal se rappellera que le signal fut, en fait, reporté au premier septembre.

Dr OTTO STAHMER (avocat de l’accusé Göring)

Puis-je faire une courte déclaration, Monsieur le Président, au sujet des deux documents qui viennent d’être lus ? La Défense ne reconnaît pas les deux documents qui viennent d’être lus ainsi que le troisième qui ne l’a pas été, mais auquel on s’est référé. Afin de ne pas donner l’impression que cette objection n’est pas fondée, je voudrais la justifier comme suit :

Les deux documents qui ont été lus, contiennent une série d’erreurs matérielles. Ils ne portent pas de signature. En outre, il n’y a eu qu’une conférence, d’où résulte l’impression que ces documents sont faux. Aucune des personnes présentes n’avait été chargée de sténographier le cours de l’entretien et comme ces notes ne portent aucune signature, on ne peut savoir qui en est l’auteur, ni qui en garantit la véracité. Quant au troisième document qui n’a pas été lu, d’après la photocopie, il s’agit d’un texte simplement dactylographié, déposé à la section de documentation de la Défense. Il n’est fait mention ni de la date, ni du lieu où il a été établi.

LE PRÉSIDENT

Le troisième document ne nous intéresse pas puisqu’il n’a pas été lu.

Dr STAHMER

Monsieur le Président, ce document a pourtant été publié dans la presse qui semble l’avoir reçu des mains du Ministère Public. C’est pourquoi il est d’une extrême importance pour la Défense et les accusés, que quelques brèves explications soient données sur ces documents.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal juge d’après les preuves déposées et non d’après les articles parus dans les journaux. Le troisième document n’a pas été déposé devant le Tribunal.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Je comprends que la Défense veuille savoir comment ces documents que je viens de lire sont tombés entre nos mains. Ils nous sont parvenus de source certaine. Ce sont des documents allemands trouvés dans les archives de l’OKW. S’ils ne donnaient pas un compte rendu fidèle de la conférence, il serait étonnant que les Allemands, archivistes scrupuleux, aient conservé dans les archives de l’OKW des rapports inexacts.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, le Tribunal va naturellement entendre ce que les accusés ont à dire sur ces documents.

M. ALDERMAN

À ce sujet, je pense que si l’un des accusés possède une relation plus fidèle des paroles du Führer, le Tribunal pourrait en tenir compte.

En ce qui concerne l’autre question soulevée par la Défense, je me sens quelque peu coupable. Il est vrai qu’à la suite d’une erreur matérielle, la presse a eu ce premier document que nous n’avions pas du tout l’intention de lui transmettre. Je m’en sens responsable dans une certaine mesure. Ce document était compris dans le livre de documents que nous avons remis au Tribunal vendredi, mais nous avions seulement l’intention d’y faire allusion, de lui donner un numéro sans le déposer. Je croyais qu’aucun document ne serait remis à la presse avant d’être accepté comme preuve. Étant donné l’ampleur de l’organisation que nous avons ici, il est très difficile d’exercer une surveillance sur tous ces détails.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, le Tribunal désire savoir combien de ces documents ont été communiqués à la presse.

M. ALDERMAN

Je ne peux pas vous répondre sur ce point.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. Je sais que les documents ne sont communiqués à la presse que lorsqu’ils ont été présentés comme preuve.

LE PRÉSIDENT

En combien d’exemplaires ?

COLONEL STOREY

Environ 250 exemplaires de chaque document, je pense, 200 à 250 exemplaires ronéotypés.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que les avocats devraient avoir des exemplaires de ces documents avant qu’on ne les communiquât à la presse. Je veux dire que la Défense devrait avoir priorité sur les journalistes et recevoir les documents en premier.

COLONEL STOREY

Votre Honneur, plaise au Tribunal. Je crois savoir que les avocats ont reçu ces dix documents samedi matin. Ils ont depuis vingt-quatre heures, au Centre d’information, des copies des documents originaux qui ont été lus ici aujourd’hui.

LE PRÉSIDENT

J’ai déclaré, conformément à l’accord provisoire qui a été conclu et qui l’a été d’après vos indications, que dix exemplaires des dossiers d’audience et cinq exemplaires des livres de documents devaient être remis à la Défense.

COLONEL STOREY

J’ai les reçus prouvant qu’ils ont été déposés au Centre d’information.

LE PRÉSIDENT

Oui. Mais ce que je désire vous faire remarquer, colonel Storey, c’est que, si 250 exemplaires des documents peuvent être communiqués à la presse, on ne devrait pas limiter la Défense à cinq exemplaires seulement.

COLONEL STOREY

Plaise à Votre Honneur. Ces 250 exemplaires représentent les copies ronéotypées du texte anglais, établies lorsque les documents sont déposés comme preuves. J’ai entre les mains ou dans ma serviette un reçu prouvant que les livres de documents ont été remis vingt-quatre heures à l’avance.

LE PRÉSIDENT

Vous ne semblez pas comprendre ce que je vous dis : si vous pouvez communiquer à la presse 250 exemplaires en anglais des documents, vous pouvez en remettre plus de cinq aux avocats ; un à chacun. Il n’est pas utile de discuter plus longuement. Dorénavant, il en sera ainsi.

Dr DIX (avocat de l’accusé Schacht)

Je puis donc compter qu’à partir d’aujourd’hui chaque avocat recevra un exemplaire des documents et qu’il n’y aura plus un seul exemplaire pour plusieurs avocats.

LE PRÉSIDENT

Continuez, M. Alderman.

M. ALDERMAN

La guerre d’agression ayant commencé en septembre 1939, et la Pologne ayant été écrasée peu de temps après les premiers combats, les agresseurs nazis firent de la guerre une guerre d’agression généralisée, englobant la Scandinavie, les Pays-Bas et les Balkans. Cet aspect de la question doit être présenté par le Ministère Public britannique, conformément à la division du travail opérée entre les quatre Procureurs Généraux.

Je dois aussi mentionner un autre changement dans nos plans : après le discours d’ouverture du Procureur Général britannique sur le second chef d’accusation, nous devrons prendre l’exposé détaillé des phases suivantes de la guerre d’agression. Ce sont les Anglais et non les Américains qui s’occuperont des détails de l’agression contre la Pologne ; je reprendrai en détail l’agression contre la Russie et l’agression japonaise, qui participent à la fois de l’exposé américain, quant au premier chef d’accusation ; et de l’exposé britannique, quant au second. Si bien que les deux questions dont je parlerai par la suite en détail, en présentant des documents significatifs, concernent l’agression contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, le 22 juin 1941, la collaboration de l’Italie, du Japon et de l’Allemagne, et l’attaque contre les États-Unis qui en a résulté, le 7 décembre 1941.

À propos de l’agression contre l’Union Soviétique, je vais seulement présenter deux documents. Le premier montre la préméditation et la méthode avec lesquelles l’attaque fut préparée. S’agissant de la Tchécoslovaquie, les nazis avaient employé le mot-code de « Cas Vert » pour les opérations secrètes, de même dans le cas de l’agression contre l’Union Soviétique, ils employèrent l’expression de « Cas Barbarossa ».

LE PRÉSIDENT

Comment ce mot s’écrit-il ?

M. ALDERMAN

B-a-r-b-a-r-o-s-s-a, d’après l’Empereur Frédéric Barberousse. Dans les dossiers de l’OKW de Flensburg, nous avons trouvé une instruction secrète numéro 21, publiée le 18 décembre 1940, par le Quartier Général du Führer et relative au « Cas Barbarossa ». Cette instruction avait été établie plus de six mois avant l’attaque. D’autres preuves montreront que les plans avaient même été mis à l’étude plus tôt. Ce document est signé par Hitler et visé par les accusés Jodl et Keitel. Cet ordre secret fut tiré à neuf exemplaires. Le document que nous avons saisi est le quatrième. Il porte le numéro PS-446 dans notre série de documents. Je le dépose comme preuve sous la référence USA-31.

Si le Tribunal le permet, je crois qu’il me suffira de lire la première page de cette instruction, ou plutôt la première page de la traduction anglaise. La pagination est peut-être différente dans l’original allemand.

En tête : « Le Führer et Commandant en chef des Forces armées allemandes », puis suivent certaines initiales dont je ne connais pas le sens, sauf OKW. Cela semble être adressé aux chefs de G. K. ce qui signifie, sans doute, aux chefs des Generaikommandos.

« Quartier Général du Führer 18 décembre 1940, secret. – Ne doit être transmis que par officier. Tiré à 9 exemplaires, nº 4. – Instruction nº 21. – Cas “Barbarossa”.

« Les Forces armées allemandes doivent être prêtes à écraser la Russie soviétique dans une campagne rapide avant que la guerre contre l’Angleterre ne soit achevée (cas “Barbarossa”).

« Pour cela, l’Armée devra utiliser toutes les unités disponibles à condition que les territoires occupés restent à l’abri d’attaques par surprise.

« Dans la campagne de l’Est, l’Aviation devra soutenir l’Armée de terre avec des effectifs suffisants pour permettre d’achever rapidement les opérations terrestres et pour éviter dans la mesure du possible que des dégâts soient causés aux territoires allemands de l’Est. Cette concentration de l’effort principal à l’Est est toutefois subordonnée aux conditions suivantes ; d’une part toute la zone de bataille et d’armement que nous avons en main doit rester suffisamment à l’abri des attaques aériennes ennemies et, d’autre part, les attaques sur l’Angleterre et les approvisionnements qu’elles nécessitent ne doivent pas diminuer.

« L’effort principal de la marine doit indiscutablement rester dirigé contre l’Angleterre, même pendant une campagne à l’Est.

« Si l’occasion se présente, j’ordonnerai une concentration de troupes contre l’Union Soviétique huit semaines avant le moment prévu pour le début des opérations.

« Les préparatifs exigeant plus de temps, doivent – si cela n’a pas encore été fait – être commencés dès maintenant et terminés le 15 mai 1941. On doit attacher une importance extrême à ce que l’intention d’attaquer n’y puisse être décelée.

« Les préparatifs du Haut Commandement doivent être faits sur la base suivante :

« 1. Objectif général.

« Le gros de l’Armée russe, se trouvant dans l’Ouest du pays, doit être détruit lors d’opérations audacieuses, en poussant profondément en avant des pointes de blindés. Il faut, d’autre part, empêcher la retraite vers les vastes espaces russes de troupes intactes et prêtes au combat.

« Par une poursuite rapide, on peut atteindre une ligne à partir de laquelle l’Aviation russe ne pourra plus attaquer le territoire du Reich allemand. Le premier objectif des opérations est de se protéger d’attaques venant de la Russie d’Asie, sur la ligne Volga-Arkhangelsk. En cas de nécessité, la zone industrielle de l’Oural, restée la dernière entre les mains des Russes, pourrait être annihilée par la Luftwaffe.

« Au cours de ces opérations, la flotte russe de la Baltique perdra rapidement ses bases et ne pourra plus combattre.

« L’intervention effective de l’Aviation russe doit être évitée, en lui portant des coups violents au début des opérations. »

Un autre document secret saisi dans les dossiers de l’OKW…

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, il serait peut-être temps de suspendre l’audience dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Un autre document saisi dans les dossiers de l’OKW, donne les motifs de l’attaque contre l’Union Soviétique. Il montre également que les conspirateurs nazis étaient pleinement conscients des crimes contre l’Humanité qui résulteraient de cette attaque. Ce document, un mémorandum du 2 mai 1941, est relatif au résultat d’une discussion qui avait eu lieu le même jour avec les secrétaires d’État au sujet du cas « Barbarossa ». Ce document est paraphé par un certain commandant von Gusovius qui appartenait à l’État-Major du général Thomas, qui était chargé de l’exploitation économique du territoire occupé par les Allemands au cours de leur agression contre la Russie. Le document porte le nº PS-2718. Je le dépose comme preuve sous la cote USA-32.

Je lirai seulement les deux premiers paragraphes de ce document, y compris l’introduction.

« Affaire de commandement. 2 exemplaires : une copie dans dossier I a, une copie au général Schubert. 2 mai 1941. Mémorandum sur les résultats de la discussion d’aujourd’hui avec les secrétaires d’État au sujet du cas “Barbarossa”.

« 1. La guerre ne peut être poursuivie que si toutes les Forces armées sont nourries par la Russie au cours de la troisième année de la guerre.

« 2. Il n’y a aucun doute, si nous prenons dans ce pays les choses qui nous sont nécessaires, qu’il en résultera la famine et la mort de millions de gens. »

Ce document a déjà été commenté et cité dans l’exposé introductif de M. Justice Jackson. On a peine à concevoir les faits accablants qu’il implique. D’après ce document, les motifs de l’agression étaient que les conspirateurs nazis ne pouvaient continuer la guerre déclenchée en septembre 1939 que si la Russie nourrissait toutes leurs Forces armées au cours de la troisième année de la guerre. Peut-être n’a-t-on jamais écrit de phrase plus sinistre que celle-ci : « II n’y a aucun doute, si nous prenons dans ce pays les choses qui nous sont nécessaires, qu’il en résultera la famine et la mort de millions de gens ». Tous ici, nous connaissons le résultat.

Je parlerai maintenant de la collaboration nazie avec l’Italie et le Japon, et de l’attaque déclenchée contre les États-Unis le 7 décembre 1941.

En déchaînant leur guerre d’agression contre l’Union Soviétique en juin 1941, les conspirateurs nazis, et plus particulièrement l’accusé Ribbentrop, avaient invité le co-architecte asiatique de l’ordre nouveau, le Japon, à attaquer les arrières. Nos preuves vont démontrer que les conspirateurs nazis ont éveillé et entretenu une force qui devait logiquement aboutir à une attaque contre les États-Unis. Pendant quelque temps, les conspirateurs nazis jugèrent préférable que les États-Unis ne fussent pas entraînés dans le conflit, car ils comprenaient les conséquences militaires de leur entrée en guerre. Néanmoins, l’attaque de Pearl-Harbor eut lieu à leur instigation et, bien auparavant, ils avaient déjà assuré les Japonais qu’ils déclareraient la guerre aux États-Unis si un conflit surgissait entre les États-Unis et le Japon. Ce fut sur la foi de ces assurances que les Japonais attaquèrent à Pearl-Harbor.

À ce point de mon exposé, je ne présenterai qu’un seul document à l’appui de mes dires. Ce document a été saisi dans les dossiers du ministère des Affaires étrangères allemand. Ce sont des notes datées du 4 avril 1941, signées par Schmidt, et relatives aux discussions entre le Führer et Matsuoka, ministre japonais des Affaires étrangères, en présence de l’accusé Ribbentrop. Ce document porte le nº PS-1881 et je le dépose comme pièce USA-33.

L’original se présente sous la forme d’un long texte dactylographié en allemand ; je vais lire ce que je considère comme les parties essentielles du document, en commençant au quatrième paragraphe. Je lis d’abord l’en-tête :

« Notes sur l’entretien du Führer avec Matsuoka, ministre des Affaires étrangères du Japon, en présence du ministre des Affaires étrangères du Reich et du ministre d’État, Meissner, à Berlin, le 4 avril 1941.

« Ensuite Matsuoka demanda également que le Führer donnât des instructions aux autorités allemandes compétentes, afin d’aller au-devant des désirs de la Commission militaire japonaise dans la mesure du possible. Le Japon avait besoin de l’Allemagne, surtout dans le domaine de la guerre sous-marine, car elle pouvait lui communiquer ses récentes expériences du temps de guerre ainsi que les derniers perfectionnements et inventions. » Ce que je lis figure à la page 6 du document allemand.

« Le Japon ferait son possible pour éviter une guerre avec les États-Unis. Si ce pays voulait attaquer Singapour, la Marine japonaise, naturellement, se préparerait à combattre les États-Unis, car l’Amérique se rangerait probablement du côté de la Grande-Bretagne. Lui-même (Matsuoka), pensait que l’on pouvait arriver, par la voie diplomatique, à empêcher l’entrée en guerre des États-Unis aux côtés de l’Angleterre. L’Armée et la Marine devaient néanmoins se préparer au pire, c’est-à-dire à une guerre contre l’Amérique. Ils estimaient qu’une telle guerre pouvait durer cinq ans ou plus, qu’elle prendrait la forme d’une guerre de guérillas dans le Pacifique, et qu’elle se réglerait dans les mers du Sud. Pour cette raison, l’expérience acquise par les Allemands dans la guerre de guérillas serait très utile aux Japonais. Il s’agissait de savoir quelle serait la meilleure marche à suivre pour mener une guerre de ce genre et comment tous les perfectionnements techniques des sous-marins, notamment tous les détails tels que les périscopes, etc., pourraient être utilisés par le Japon.

« Pour résumer, Matsuoka demanda que le Führer veillât à ce que les autorités allemandes compétentes missent à la disposition des Japonais les perfectionnements et inventions qui leur étaient nécessaires dans le domaine de la Marine et de l’Armée de terre.

« Le Führer promit de le faire et souligna que l’Allemagne estimait aussi qu’une guerre avec les États-Unis n’était pas souhaitable, mais qu’elle avait déjà prévu le cas. En Allemagne, on était d’avis que l’aide américaine dépendrait beaucoup des possibilités de transport, qui dépendaient à leur tour du tonnage disponible. Toutefois, la guerre de l’Allemagne contre le tonnage affaiblirait non seulement l’Angleterre, mais aussi, de façon décisive, l’Amérique. L’Allemagne a fait des préparatifs tels qu’aucun Américain ne pourrait débarquer sur le sol européen. Elle mènerait une guerre très énergique contre l’Amérique grâce à ses sous-marins et à sa “Luftwaffe”, et, grâce à la supériorité de son expérience que les États-Unis ont encore à acquérir, elle aurait nettement l’avantage, en dehors même du fait que le soldat allemand est naturellement supérieur au soldat américain.

« Au cours de cette discussion, le Führer souligna que l’Allemagne, de son côté, accepterait immédiatement les conséquences d’une guerre entre le Japon et les États-Unis. Peu importait de savoir si c’est avec le Japon ou avec l’Allemagne que les États-Unis se trouveraient d’abord en conflit. De toute façon, il s’agirait d’éliminer un pays à la fois et de liquider ensuite le deuxième, sans conclure d’accord avec lui. Donc, comme on l’a déjà dit, l’Allemagne frapperait sans retard dans le cas d’une guerre entre le Japon et l’Amérique, parce que la force des Puissances de l’alliance tripartite réside dans l’unité de leur action. Leur faiblesse serait de se laisser vaincre individuellement.

« Matsuoka demanda une fois de plus que le Führer donnât les instructions voulues, afin que les autorités allemandes compétentes missent à la disposition des Japonais les derniers perfectionnements et inventions qui pouvaient les intéresser, étant donné que la Marine japonaise devait se préparer sans délai à une guerre avec les États-Unis.

« Continuant à parler des relations nippo-américaines, Matsuoka expliqua qu’il avait toujours déclaré dans son pays qu’une guerre avec les États-Unis était inévitable un jour ou l’autre, si le Japon persistait dans sa politique actuelle. Il estimait personnellement que cette guerre arriverait plus tôt qu’on ne le pensait. Donc, poursuivit-il, pourquoi, le Japon ne frapperait-il pas au bon moment et n’assumerait-il pas lui-même le risque d’une lutte contre l’Amérique ? Ainsi, il préserverait peut-être de la guerre, plusieurs générations à venir, surtout s’il parvenait à affirmer sa supériorité dans les mers du Sud. Certes, il estime qu’il y a au Japon beaucoup de gens qui hésitent à suivre cette tendance. Matsuoka était considéré dans ces milieux comme un homme dangereux, aux idées dangereuses. Néanmoins, dit-il, si le Japon poursuit sa route actuelle il faudra un jour qu’il se batte quand même, et les circonstances seront alors beaucoup moins favorables qu’à l’heure présente.

« Le Führer répondit qu’il comprenait très bien la situation de Matsuoka, car il s’était trouvé dans des situations semblables (évacuation de la Rhénanie, déclaration de la souveraineté de l’armée, etc.). Lui aussi était d’avis qu’il fallait profiter des conditions favorables et qu’il valait mieux assumer le risque d’une guerre, inévitable de toute façon, au moment où il était lui-même encore jeune et vigoureux. Les événements avaient prouvé combien il avait raison. L’Europe était libre maintenant. Il n’hésiterait pas une seconde à riposter immédiatement à toute extension de la guerre, que ce fut du fait de la Russie ou de l’Amérique. La Providence favorise ceux qui n’attendent pas que le danger vienne à eux, mais qui lui font bravement face.

« Matsuoka répondit que les États-Unis, ou plutôt les hommes d’État qui les dirigeaient, avaient récemment tenté à l’égard du Japon une dernière manœuvre, en affirmant que l’Amérique ne déclarerait pas la guerre au Japon, à cause de la Chine ou des mers du Sud, si le Japon laissait passer librement le caoutchouc et l’étain à destination de l’Amérique. Néanmoins, l’Amérique déclarerait la guerre au Japon dès qu’elle sentirait que le Japon lui-même était entré en guerre avec l’intention de participer à l’écrasement de la Grande-Bretagne. Naturellement, de telles paroles n’ont pas manqué de trouver un écho au Japon, en raison de l’éducation à base anglaise que beaucoup de Japonais avaient reçue.

« Le Führer fit remarquer à ce propos que cette attitude des États-Unis signifiait uniquement qu’ils avaient l’espoir, tant que l’Empire britannique existerait, de pouvoir un jour marcher contre le Japon avec la Grande-Bretagne, tandis que si l’Empire du monde s’effondrait, ils seraient complètement isolés et ne pourraient rien entreprendre contre le Japon. Le ministre des Affaires étrangères du Reich intervint pour dire que les Américains voulaient justement maintenir à tout prix la position anglaise en Asie orientale et que d’un autre côté, ils prouvaient par leur attitude, combien ils redoutaient une action concertée du Japon et de l’Allemagne.

« Matsuoka poursuivit, disant qu’il lui semblait important de donner au Führer l’image absolument nette de l’opinion réelle du Japon. Pour cela, il avait aussi le regret de l’aviser que lui-même, Matsuoka, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères japonais, ne pouvait pas prononcer au Japon un seul mot de ce qu’il avait exposé au Führer et au ministre des Affaires étrangères du Reich sur ces plans. Cela lui causerait un tort considérable dans les milieux politiques et financiers. Une fois déjà, avant de devenir ministre des Affaires étrangères, il avait fait l’erreur de parler de ses intentions à un ami. Ce dernier l’avait répété et cela avait donné naissance à toutes sortes de bruits que lui, en tant que ministre des Affaires étrangères, avait dû nier énergiquement, bien que d’habitude il dît toujours la vérité. Dans ces circonstances, il ne pouvait pas non plus indiquer la date à laquelle il parlerait de ces questions au Premier Ministre japonais ou à l’Empereur. Il faudrait d’abord étudier avec beaucoup de soins, l’évolution du problème du Japon afin de prendre la décision nécessaire au moment favorable, en avouant ses propres plans au Prince Konoye et à l’Empereur. Ensuite, il faudrait se décider en quelques jours, sinon les plans pourraient avorter par suite d’indiscrétions. Si lui-même, Matsuoka, ne pouvait pas mettre à exécution ses intentions, cela prouverait qu’il n’avait pas assez d’influence, ni de conviction, ni de capacité manœuvrière. Néanmoins, s’il réussissait, cela démontrerait qu’il avait beaucoup d’influence au Japon. Il avait lui-même confiance en sa réussite. Une fois rentré, quand on le questionnerait, il avouerait devant l’Empereur, le Premier Ministre et les ministres de la Marine et de la Guerre, que Singapour avait été un sujet de discussion. Il déclarerait cependant que seules des hypothèses avaient été envisagées.

« En outre, Matsuoka demanda expressément qu’on ne télégraphiât pas les discussions sur Singapour parce qu’il avait peur d’indiscrétions à la suite de télégrammes. Si c’était nécessaire, il enverrait un courrier. Le Führer donna son accord et l’assura qu’il pouvait être absolument certain de la discrétion de l’Allemagne. Matsuoka répondit qu’il avait toute confiance en la discrétion des Allemands, mais que, malheureusement, il ne pouvait pas en dire autant des Japonais.

« L’entretien se termine sur des paroles de courtoisie.

« Berlin le 4 avril 1941. Signé : Schmidt. »

Ceci termine la présentation de ce que j’ai appelé une « série de documents choisis » et que je dépose, non pour servir à un exposé détaillé de l’une ou l’autre des guerres d’agression, mais simplement pour prouver la méthode et la préméditation délibérées avec lesquelles elles ont été réalisées.

Je passe maintenant à un exposé détaillé et plus ou moins chronologique des différentes étapes de l’agression.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue jusqu’à demain dix heures.

(L’audience sera reprise le 27 novembre 1945 à 10 heures.)