Sixième journée
Mardi 27 novembre 1945.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

La parole est au Ministère Public américain. Monsieur Alderman, avant que vous ne commenciez, je crois qu’il serait préférable, dans l’intérêt du Tribunal, lorsque vous faites état de documents, de bien vouloir vous y référer, non seulement par le numéro de dépôt américain et le numéro de classification PS, mais également par les références du livre de documents. Chaque livre de documents, si j’ai bien compris, porte une lettre ou un numéro et je pense qu’ils sont classés par ordre alphabétique. Si vous ne le faites pas, lorsque nous avons beaucoup de livres de documents devant nous, il est très difficile de trouver la pièce cherchée.

M. ALDERMAN

Oui, je comprends.

Plaise au Tribunal. Les quelques documents sélectionnés que je vous ai présentés hier, donnent une vue d’ensemble des guerres d’agression. Ils n’examinent pas en détail chaque phase de ces guerres d’agression ; c’est, en fait, un bref compte rendu de l’ensemble des événements.

Avant de passer à une étude plus détaillée, je crois qu’il serait bon de faire ici une pause pour présenter un tableau au Tribunal. Ce tableau montre quelques-unes des étapes importantes du développement de l’agression nazie. Le Tribunal y trouvera un résumé utile des preuves déposées hier, et une base pour les preuves qui seront présentées ultérieurement.

Je suis sûr que, lorsque vous évoquez le passé, vous vous souvenez des cartes publiées de temps à autre dans la presse, au cours de cette formidable évolution dont l’Europe était le théâtre. Je suis sûr qu’à ce moment vous avez pensé, comme moi, à la tête d’un loup qui se dessinait peu à peu.

Sur le tableau nº 1, la tête de loup n’est qu’esquissée ; il lui manque la mâchoire inférieure (ce qui est marqué en rouge sur le tableau). Mais lorsque ce loup fit un bond et happa l’Autriche à l’époque de l’Anschluss, cette partie rouge de la carte devint noire. La gueule du fauve est maintenant complètement dessinée, et la tête et la majeure partie du corps de la Tchécoslovaquie sont déjà prises entre ses mâchoires. Sur le tableau nº 2, vous voyez les régions montagneuses fortifiées de la Tchécoslovaquie. En rouge, vous voyez le territoire des Sudètes cédé à l’Allemagne par le Pacte de Munich ; la tête de la Tchécoslovaquie, engagée dans la gueule du loup, devient alors plus petite. Sur le tableau nº 3, vous voyez en rouge la tête de la Tchécoslovaquie qui disparaît, le cou presque sectionné ; il n’y eut plus qu’à s’emparer de la Bohême et de la Moravie, et la tête du loup devint sur la carte d’Europe une grande tache noire et compacte, avec les flèches indiquant les agressions futures qui, naturellement, se produisirent.

Voilà l’image que je n’ai jamais pu effacer de mon esprit, car elle semble démontrer ce qu’il y avait d’inévitable dans les événements qui suivirent l’annexion de l’Autriche.

La présentation détaillée et plus ou moins chronologique des guerres d’agression sera divisée en sept parties distinctes : la première concerne la préparation de l’agression pendant la période allant de 1933 à 1936 approximativement ; la deuxième traite de l’agression contre l’Autriche ; la troisième de l’agression contre la Tchécoslovaquie ; la quatrième de l’agression contre la Pologne et du déclenchement de cette guerre. Pour des raisons de commodité, les détails sur la guerre de Pologne seront présentés après le discours d’ouverture du Procureur Général britannique. La cinquième partie traite de l’extension de la guerre en une guerre générale d’agression à la suite de l’invasion de la Scandinavie, des Pays-Bas et des Balkans. Les détails en seront exposés par le Procureur Général britannique. La sixième partie concerne l’agression contre l’Union Soviétique ; c’est moi qui la présenterai. Pour des raisons pratiques encore, l’étude détaillée de cette partie ainsi que celle de l’agression contre la Pologne sera présentée après l’exposé introductif du Procureur Général britannique. La septième partie traite de la collaboration avec l’Italie et le Japon et de l’agression contre les États-Unis.

Je vais passer maintenant à la première de ces sections, qui concerne la préparation de l’agression au cours de la période comprise entre 1933 et 1936. La partie de l’Acte d’accusation à laquelle se rapporte cet exposé se trouve au paragraphe IV, F, et aux sous-paragraphes 2, a, b, c, d, e, et f, que je n’ai pas besoin de relire, car le Tribunal se souvient des charges qu’elle renferme. Il me sera nécessaire, au cours de mon exposé, de mentionner certaines clauses du Statut et certaines dispositions du Traité de Versailles et du traité du 25 août 1921 entre les États-Unis et l’Allemagne qui rétablissait des relations amicales entre les deux nations, et qui reprend certaines dispositions du Traité de Versailles, et certaines dispositions du Traité de Locarno du 16 octobre 1925, relatives à la Rhénanie.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, n’était-il pas convenu que ce livre de documents devait porter une lettre ou un numéro d’identification ?

M. ALDERMAN

On me signale que c’est « M ». Je ne dépose pas ces traités comme preuves maintenant, car le Ministère Public britannique le fera pour tous ces traités au cours de ses exposés.

Les plans nazis pour la guerre d’agression commencèrent très tôt après la première guerre mondiale. Ces plans, quoique très modérés à l’origine et assez chimériques, interrompus d’ailleurs à plusieurs reprises, n’en ont pas moins été élaborés de façon continue. Le point important de cette partie de l’Acte d’accusation relative à la période comprise entre 1933 et 1945 ne doit pas être détaché des événements qui se sont déroulés pendant toute la période précédente. Ainsi la montée au pouvoir de Hitler et des nazis en 1933 marquait déjà un stade très avancé de la progression allemande.

En 1933, le parti nazi, la NSDAP, avait atteint des proportions imposantes. À ce moment, il lui fallait, pour réaliser ses plans, s’assurer le contrôle politique de l’Allemagne. C’était indispensable pour rassembler toutes les ressources et les possibilités d’action à l’intérieur du pays. Dès qu’il y eut des signes suffisants de progrès dans la voie de la consolidation intérieure, le premier pas consista à se libérer de quelques-unes des entraves imposées par les limitations et les obligations découlant d’accords internationaux. Les restrictions du Traité de Versailles étaient un obstacle au développement des forces nécessaires dans tous les domaines en cas de guerre. Bien qu’il y eût de plus en plus d’infractions et de violations au Traité de Versailles depuis son entrée en vigueur, ces opérations, réalisées grâce à des subterfuges et au camouflage, ne pouvaient prendre des proportions suffisantes pour permettre aux nazis d’atteindre leurs buts. Il leur fallait se débarrasser du Traité de Versailles pour pouvoir établir une puissance militaire considérable, essentielle à la réalisation de leurs desseins. C’est aussi, conformément au même plan et pour les mêmes raisons, que l’Allemagne se retira de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations. Il lui était impossible de mener à bien ses plans en respectant les obligations internationales ou les engagements qu’elle serait amenée à prendre dans l’avenir.

Les faits mentionnés au paragraphe IV, F, 2 de l’Acte d’accusation sont maintenant des faits historiques dont nous invitons le Tribunal à prendre acte.

Il va sans dire que toute opération militaire et diplomatique fut précédée d’un plan d’action et d’un regroupement de toutes les forces qui y participaient. À un même moment, chaque événement faisait partie d’un plan d’agression préparé depuis longtemps. Chacun représentait un pas nécessaire sur la voie de l’agression qui devait être commise ultérieurement.

Il serait sans doute superflu d’entamer une longue discussion sur un point aussi clair. J’ai seulement l’intention de vous donner connaissance de renseignements contenus dans des documents révélateurs qui, jusqu’à maintenant, étaient restés inaccessibles.

Les trois questions d’une portée internationale directe, mentionnées au paragraphe IV, F, 2 de l’Acte d’accusation sont :

1. Le retrait de l’Allemagne de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations ;

2. L’établissement du service militaire obligatoire ;

3. La réoccupation de la zone démilitarisée de la Rhénanie.

Chacune de ces mesures débordait de plus en plus le cadre normal des relations internationales. Chaque fois, l’Allemagne s’attendait à ce que d’autres pays prissent des sanctions contre elle, et en particulier à une action militaire de la part de la France, avec l’aide probable de l’Angleterre. Néanmoins, les conspirateurs étaient décidés à ne s’arrêter que devant une guerre préventive. Ils jugeaient aussi avec raison qu’aucune puissance isolée ni aucune coalition n’accepterait la responsabilité d’une telle guerre. Le retrait de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations ne violait naturellement aucune obligation internationale. Le statut de la Société des Nations avait prévu une procédure de retrait. Cependant, dans le cas présent, puisqu’il s’agit d’une partie d’un plan de plus grande envergure, on ne peut séparer ces actes de la conspiration générale et des plans d’agression. L’instauration du service militaire obligatoire était un acte plus osé et de conséquences plus lourdes ; c’était une violation du Traité de Versailles ; mais elle réussit. Ensuite vint le véritable défi : l’occupation de la zone démilitarisée de la Rhénanie.

Le paragraphe IV, F, 2 de l’Acte d’accusation accuse les conspirateurs nazis d’avoir décidé, depuis longtemps, de se débarrasser des clauses restrictives du Traité de Versailles ; or, ce fait n’est pas seulement confirmé par leurs propres dépositions : les nazis se sont toujours vantés d’avoir soigneusement et longuement préparé ces mesures.

Je vous ai lu hier des extraits importants de notre document PS-789 (USA-23), discours adressé par Hitler à tous les Commandants en chef, le 23 novembre 1939. Je n’ai pas besoin de le relire. Hitler y déclarait que sa première tâche serait d’effacer le Traité de Versailles. Après quatre ans de guerre, l’accusé Jodl, en qualité de chef de l’État-Major général prononça devant les Reichsleiter et Gauleiter un discours dans lequel il retraça le développement de la puissance allemande. La prise du pouvoir signifiait pour lui la restauration de la souveraineté militaire, y compris le service militaire, l’occupation de la Rhénanie et le réarmement, avec l’accent sur l’aviation et sur l’armement moderne.

Plaise au Tribunal. Voici notre document L-172 : c’est la photocopie d’un microfilm du discours prononcé par Jodl, que je dépose sous le nº USA-34. S’il plaît au Tribunal, je n’en lirai qu’un passage à partir du début.

Ce discours s’intitule : « La situation stratégique de l’Allemagne au seuil de la cinquième année de guerre. » C’est une sorte de résumé rétrospectif fait par l’accusé Jodl. « Conférence du chef d’État-Major général des Forces armées, prononcée à Munich devant les Reichsleiter et Gauleiter, le 7 novembre 1943. » Je lis la traduction anglaise :

« Introduction : le Reichsleiter Bormann m’a demandé de vous donner aujourd’hui un aperçu de la situation stratégique au début de la cinquième année de guerre. Je dois admettre que je n’ai pas entrepris sans hésitation cette tâche assez délicate. Il est impossible de s’en acquitter avec quelques généralités. Il n’est pas nécessaire de dire ce qui va arriver, mais il faut exposer franchement la situation. Personne – c’est l’ordre du Führer – ne doit connaître ou apprendre plus de choses que n’en demande l’accomplissement de sa tâche immédiate, mais je ne doute pas, messieurs, que vous n’ayez besoin de beaucoup de renseignements pour pouvoir vous acquitter de vos fonctions. C’est dans vos Gaue, et parmi leurs habitants, que se concentrent toute la propagande ennemie, le défaitisme et les rumeurs fallacieuses, pour essayer de se répandre dans notre peuple. Le démon de la destruction arpente le pays d’un bout à l’autre. Tous les lâches essaient de trouver une issue ou – comme ils disent – une solution politique. Ils prétendent que nous devons négocier pendant que nous avons encore quelque chose en main, et c’est avec tous ces slogans qu’on attaque la conviction spontanée du peuple qui sait que cette guerre ne peut être qu’une lutte à mort. La capitulation, c’est la fin de la nation, la fin de l’Allemagne.

« Contre cette vague de propagande ennemie, contre cette vague de lâcheté, il vous faut plus que la force. Il vous faut connaître la situation telle qu’elle est et, pour cette raison, je crois pouvoir prendre la responsabilité de vous donner une vue absolument exacte et réaliste de la situation. Je ne livre pas des secrets interdits, je vous donne une arme qui peut vous aider à renforcer le moral du peuple. Car ce ne sont pas seulement les armes qui décideront de l’issue de cette guerre, mais aussi la volonté de résistance du peuple entier. En 1918, l’Allemagne n’a pas été vaincue sur le front, mais à l’arrière. L’Italie n’a pas subi une défaite militaire, mais une défaite morale ; elle s’est effondrée à l’intérieur. Le résultat n’a pas été la paix qu’elle espérait, mais, par la lâcheté de ces traîtres criminels, elle subit un destin mille fois plus dur que celui qu’eût apporté au peuple italien la poursuite de la guerre à nos côtés. Je peux compter sur vous, Messieurs ; partout où je vous donnerai des chiffres et des données concrètes sur nos forces, vous considérerez ces données comme un secret personnel ; tout le reste est à votre disposition, sans aucune restriction, pour que vous l’utilisiez dans votre activité de meneurs d’hommes.

« La nécessité et les buts de cette guerre ont clairement apparu à tous, au moment où nous avons entrepris la guerre de libération de la Grande Allemagne et où, par notre attaque, nous avons paré au danger qui nous menaçait… tant du côté de la Pologne que du côté des puissances de l’Ouest. Même nos opérations en Scandinavie, en direction de la Méditerranée et en Russie ne mirent pas en question la conduite générale de la guerre, tant que nous avons remporté des succès. Ce n’est que lorsque nous avons subi des revers sérieux et que notre situation générale est devenue de plus en plus difficile que le peuple allemand a commencé à se demander si, peut-être, nous n’avions pas entrepris plus que nous ne pouvions faire et visé beaucoup trop haut. Donner une réponse à cette question et vous procurer certains arguments qui vous seront utiles pour les explications que vous aurez à fournir, voilà l’un des points principaux de ce présent discours. Je le diviserai en trois parties :

« 1. Aperçu des questions les plus importantes sur l’évolution de la situation jusqu’à ce jour ;

« 2. Examen de la situation présente ;

« 3. Justification de notre confiance en la victoire.

« En considération de ma position de conseiller militaire du Führer, je me limiterai aux problèmes touchant ma sphère d’activité personnelle ; je comprends très bien, en même temps, qu’étant donné la nature si complexe de cette guerre, je ne pourrai exprimer qu’un aspect des événements.

« 1. Aperçu général. – Je n’ai pas besoin de m’étendre ici sur le fait que la lutte qu’a menée le mouvement national-socialiste pour s’emparer du pouvoir intérieur n’était qu’une étape préparatoire à la libération à l’extérieur des entraves du Traité de Versailles. J’aimerais néanmoins vous dire avec quelle clarté tous les soldats de métier sensés, se rendent compte de l’importance du rôle joué par le mouvement national-socialiste pour réveiller la volonté de combattre (Wehrwille), pour alimenter la force combative existante (Wehrkraft), et pour réarmer le peuple allemand. En dépit de toutes ses qualités propres, la Reichswehr, numériquement très faible, n’aurait jamais pu accomplir cette tâche, ne serait-ce qu’à cause de son rayon d’action limité. En fait, ce à quoi le Führer visait et ce qu’il a pleinement réalisé, c’était la fusion de ces deux forces.

« 2. La prise du pouvoir… » – j’attire l’attention du Tribunal sur la fréquence avec laquelle cette expression se présente dans tous les documents – « La prise du pouvoir par le parti nazi signifiait d’abord pour lui la restauration de la souveraineté militaire. » – C’est le mot allemand « Wehrhoheit », une sorte d’euphémisme. – « La grandeur de la défense », je crois que cela veut dire en réalité « souveraineté militaire ». « Wehrhoheit » signifiait aussi service militaire, occupation de la Rhénanie et réarmement, avec l’accent sur la création d’armes blindées et d’aviation.

« 3. L’Anschluss de l’Autriche. – « Anschluss » veut dire, je crois, « l’action de s’accrocher à ». Ils verrouillèrent l’Autriche et « l’Anschluss de l’Autriche », à son tour, non seulement amena la réalisation d’une aspiration nationale déjà ancienne, mais aussi renforça nos Forces armées et améliora sensiblement notre position stratégique. Tandis que, jusque-là, le territoire de la Tchécoslovaquie s’avançait d’une façon menaçante à l’intérieur de l’Allemagne (une taille de guêpe en direction de la France et constituant une base aérienne pour les Alliés, en particulier pour la Russie), c’est la Tchécoslovaquie qui se trouvait maintenant prise dans les tenailles. »

Si le Tribunal veut bien regarder le tableau, il constatera la forme allongée de la Tchécoslovaquie, ce que le général Jodl appelle la « taille de guêpe, en direction de la France ». Jodl décrit ensuite, avec beaucoup d’exactitude, ce qui arriva lorsque l’Autriche fut annexée : « La taille de guêpe » fut « prise dans les tenailles ».

Je continue ma lecture :

« Sa situation stratégique était devenue si défavorable qu’elle devait succomber à une attaque vigoureuse avant l’arrivée de secours de l’Ouest. La possibilité de cette assistance était rendue encore plus difficile par la construction du Westwall, qui, contrairement à la ligne Maginot, n’était pas un ouvrage défensif, inspiré par la faiblesse et la résignation, mais était destiné à protéger nos arrières pendant que nous mènerions à l’Est une politique active.

« 4. La solution pacifique du conflit tchèque en automne 1938 et au printemps 1939 » – c’est-à-dire les deux phases de l’affaire tchèque – « et l’annexion de la Slovaquie, ont arrondi le territoire de la Grande Allemagne, de telle sorte qu’il devint possible de considérer le problème polonais sur des bases stratégiques plus favorables. » – Je suppose qu’il suffit d’un coup d’œil sur les cartes successives pour réaliser ce qu’étaient les circonstances stratégiques favorables.

« 5. Ceci m’amène à la guerre actuelle, et la question qui se pose est de savoir si le moment de se battre contre la Pologne (ce qui était en soi inévitable) était bien choisi ou non. La réponse à cette question ne laisse pas de doute, vu que la Pologne, qui était considérée comme un adversaire non négligeable, s’est, après tout, effondrée bien plus rapidement qu’on ne le croyait, et que les puissances de l’Ouest, ses alliées, qui nous avaient déclaré la guerre et avait formé un second front, n’avaient pas profité des possibilités qui leur étaient offertes de nous enlever l’initiative. En ce qui concerne la campagne de Pologne, il suffit de dire qu’elle a prouvé au monde entier, qui en a été frappé d’étonnement, un fait qui n’était pas certain : la grande valeur de la jeune Armée de la Grande Allemagne. »

Plaise au Tribunal. Ce document renferme un long discours du général Jodl. Je pourrais continuer à le lire avec intérêt et quelque enthousiasme, mais je crois en avoir dit assez pour démontrer que l’accusé Jodl dans ce document, s’associe complètement au mouvement nazi. Ce document prouve qu’il n’était pas seulement soldat ; dans son esprit, le point de vue militaire et le point de vue politique ne faisaient qu’un. Et je n’ai présenté ce document que pour montrer la manière délibérée dont le Traité de Versailles fut violé par l’Allemagne, et la zone démilitarisée de la Rhénanie remilitarisée et fortifiée.

Dans l’une de ses réunions, au cours de la période de six ans qui va de son accession au pouvoir au début des hostilités, Adolf Hitler a non seulement admis, mais s’est encore vanté de la façon dont ses plans de longue haleine avaient été établis et coordonnés. Plaise au Tribunal. Je citerai à nouveau le document dont j’ai parlé hier, L-79 (USA-27). C’est le procès-verbal d’une conférence du Führer dressé par son aide de camp, Schmundt. Dans une équipe aussi vaste que la nôtre, nous tombons inévitablement dans une sorte de jargon, de « lingo » comme disent les Américains. Je désignerai donc ce document comme « Petit Schmundt » et nous appellerons « Grand Schmundt » le volumineux dossier que j’ai présenté hier.

À ce point de mon exposé, je désire lire simplement deux phrases de la page 1 de ce document « Petit Schmundt » : « Pendant la période allant de 1933 à 1939, nous avons progressé dans toutes les directions. Notre position militaire s’est considérablement améliorée. » Puis, dans le haut de la seconde page de la traduction anglaise : « La période qui vient de s’écouler a été vraiment utilisée à bon escient. Toutes les mesures ont été prises dans un ordre convenable et en harmonie avec les buts que nous nous étions proposés ».

L’un des faits les plus significatifs de la préparation de la guerre d’agression est constitué par la loi secrète sur la Défense du Reich, du 21 mars 1935, que j’ai déposée hier comme preuve sous la cote USA-24 et que j’ai commentée suffisamment. Je n’y reviendrai pas. Cette loi entra en vigueur dès qu’elle fut établie. Au début, elle devait être publiée immédiatement, mais, finalement, Hitler la déclara secrète. Je me suis assez étendu, hier, sur ce sujet.

Le général Thomas, Thomas comme nous l’appelons, qui avait la direction du Haut Commandement, des Services de l’économie de guerre et de l’armement et fut, pendant quelque temps haut personnage des milieux dirigeants, parle de cette loi comme de la « pierre angulaire de la préparation de la guerre. » Il souligne que : bien que cette loi n’ait pas été publiée avant la déclaration de la guerre, elle fut cependant appliquée immédiatement, du fait qu’elle prévoyait le programme des préparatifs.

Je demande au Tribunal de prendre acte de l’ouvrage du général Thomas : Contribution à l’histoire de l’économie allemande de guerre et d’armement. 1923-1944, page 25. (Document PS-2353.) Nous avons ce volume ici, en allemand, de sorte que chacun peut l’examiner à loisir. Je n’ai pas l’intention de déposer tout ce volume comme preuve, à moins que le Tribunal ne l’estime nécessaire. Nous lui donnerons le numéro USA-35, mais j’aimerais simplement le verser au dossier comme ouvrage documentaire, si cela est possible.

LE PRÉSIDENT

Vous voulez seulement démontrer par là que le général Thomas a dit que cette loi était la pierre angulaire de la guerre ? Nous en avons déjà pris note.

M. ALDERMAN

Si les avocats des accusés veulent voir l’ouvrage, il est ici à leur disposition.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

M. ALDERMAN

Cette loi secrète est restée en vigueur jusqu’au 4 septembre 1938. À ce moment, elle a été remplacée par une autre loi secrète de défense, révisant le système d’organisation de la défense et donnant des directives pour des préparatifs beaucoup plus détaillés en vue de la mobilisation, ce qui, à mon avis, n’est qu’un euphémisme pour désigner la guerre.

Nous nous étendrons davantage sur ces lois dans d’autres parties de notre sujet. M. Dodd en a parlé au cours de l’exposé de la préparation économique de la guerre.

Je dépose comme preuve, sous le nº PS-2194 (USA-36) la deuxième loi secrète de défense ; c’est un document dont je vais seulement lire les deux premières lettres d’introduction : « Loi de défense du Reich, ministère de l’Économie et du Travail, Dresde (Saxe), 4 septembre 1939. Téléphone 52151, à longue distance. Très secret. »

« Section Transport. À l’attention du conseiller général à la Construction, Hirche, ou de son représentant. Tampon : le protecteur du Reich pour la Bohême et la Moravie. Reçu à Prague, le 5 septembre 1939, nº 274.

« Trouvez ci-joint copie de la loi de défense du Reich en date du 4 septembre 1938, et copie des décrets du ministre du Reich pour les Transports, en date du 7 octobre 1938 RL/W. 102212/38, très secret, et du 17 juillet 1939 RL/LV, 1.2173/39, très secret, pour information. Par ordre, signé : Kretschmar.

« Ci-joint trois pièces portant le tampon : À réaliser à Dresde, reçues le 4 septembre 1939, signé : Schneider.

« Reçu de la lettre du 4 septembre 1939 avec trois pièces jointes, signé le 5 septembre 1939 et retourné au conseiller pour la construction, Kretschmar. »

Le point important réside dans cette transmission très confidentielle d’une seconde loi secrète pour la défense du Reich.

Et maintenant je me réfère d’abord à l’Acte d’accusation, paragraphe IV, F, 2, a. Ce paragraphe traite des quatre points suivants ;

1. Réarmement secret de 1933 à mars 1935 ;

2. Instruction de personnel militaire (qui comprend l’entraînement secret ou camouflé) ;

3. Production de munitions pour la guerre ;

4. Construction d’une force aérienne.

Ces quatre points sont compris dans le plan général de violation du Traité de Versailles et de préparation des agressions futures. Le réarmement et le secret dont il était entouré sont prouvés par les événements qui ont suivi. La phase importante de cette activité, aux termes de l’Acte d’accusation, réside dans le fait que tout ceci était nécessaire pour renverser les obstacles du Traité de Versailles et du Pacte de Locarno, et était également nécessaire pour les guerres d’agression qui devaient suivre. La nature et l’étendue de ces activités ne pouvaient s’expliquer que par un but d’agression, et la grande importance que le Gouvernement attachait au secret de ce programme est encore soulignée par la façon dont il a été financé, tant avant qu’après l’annonce du service militaire obligatoire et la mise sur pied d’une armée, le 16 mars 1935.

Plaise au Tribunal. Je suis en possession d’un mémorandum, non signé, de l’accusé Schacht, daté du 3 mai 1935, qui est intitulé : « Financement du programme d’armement (Finanzierung der Rüstung). Comme je l’ai dit, il n’est pas signé par l’accusé Schacht, mais il a été reconnu par lui, le 16 octobre 1945, au cours d’un interrogatoire. Je pense qu’il admettrait encore en être l’auteur. Il a déjà été question de ce document, mais je crois qu’il n’a pas encore été déposé comme preuve. Il porte le numéro PS-1168, et je le dépose sous le nº USA-37. À mon avis, il est tout à fait significatif et, avec la permission du Tribunal je vais le lire in extenso ; je vous rappelle que l’interprète allemand a l’original devant les yeux et va le lire pour qu’il figure au procès-verbal.

« Mémorandum de Schacht à Hitler », reconnu par Schacht comme document A, interrogatoire du 16 octobre 1945, page 40. Il porte la date du 3 mai 1935.

« Financement de l’armement. – Les explications suivantes sont basées sur l’idée que la réalisation du programme d’armement, au point de vue rapidité et quantité, est le grand problème de la politique allemande ; que, par conséquent, tout le reste doit y être subordonné tant que le but principal n’est pas atteint, en laissant de côté toutes les autres questions. Même après le 16 mars 1935, une difficulté demeure : personne ne peut faire de propagande pour l’armement en Allemagne sans mettre en danger notre position internationale et sans préjudice pour notre commerce extérieur. Le financement déjà quasi impossible de notre programme d’armement est devenu, par suite, exceptionnellement difficile.

« Il faut aussi souligner un autre point de vue : la presse à billets ne peut être utilisée pour le financement de l’armement que dans la mesure où la valeur de la monnaie est maintenue. Toute inflation augmente le prix des matières premières étrangères et les prix à l’intérieur ; on peut la comparer à un serpent se mordant la queue. La nécessité de camoufler entièrement notre armement jusqu’au 16 mars 1935 et, même après cette date, de continuer à le faire sur une large échelle, nous a obligés à utiliser la planche à billets dès le début de notre programme d’armement, alors qu’il aurait été naturel de ne commencer à l’employer qu’à la fin du financement. Nous trouvons dans le portefeuille de la Reichsbank des valeurs s’élevant à 3.775.000.000 de Reichsmark et 866.000.000 de Reichsmark, en tout 4.641.000.000 de Reichsmark pour lesquels les seuls bons d’armement s’élevaient à 2.374.000.000 de Reichsmark, à la date du 30 avril 1935. La Reichsbank avait investi en bons d’armement la plus grande partie des marks dont elle disposait, qui appartenaient à des étrangers. Notre armement a donc été financé, en partie, par les crédits de nos adversaires politiques. En outre, 500.000.000 de Reichsmark, provenant de l’emprunt du Reich et placés dans les caisses d’épargne en 1935, furent employés au financement de l’armement. Dans le budget régulier, on avait prévu les sommes suivantes pour les Forces armées : pour le budget 1933-1934 : 750.000.000 de Reichsmark ; pour le budget 1934-1935 : 1.100.000.000 de Reichsmark ; pour le budget 1935-1936 : 2.500.000.000 de Reichsmark.

« Entre le budget de 1928 et celui de 1934-1935, le total des déficits avait augmenté de 5.000.000.000 à 6.000.000.000 de Reichsmark. Ce déficit est déjà comblé à l’heure actuelle par les crédits du marché à court terme de la Bourse. Ceci réduit d’avance les possibilités d’utilisation du marché public pour l’armement. Le ministre des Finances du Reich souligne dans la défense du budget : « Étant donné qu’il est impossible de conserver un déficit annuel permanent, étant donné que nous ne pouvons compter avec certitude sur une augmentation des impôts pour équilibrer le déficit et les autres dettes antérieures, étant donné que, d’un autre côté, un budget équilibré est la seule base sûre pour la grande tâche qui nous incombe en politique militaire », – j’ajoute que, de toute évidence, l’accusé Schacht était au courant de cette grande tâche militaire à laquelle l’Allemagne devait faire face – « pour toutes ces raisons, nous devons entreprendre une politique budgétaire solide et consciente qui résoudra le problème du financement de l’armement par une réduction organisée et systématique des autres dépenses, non seulement du point de vue des recettes, mais aussi du point de vue des dépenses, c’est-à-dire par l’épargne. »

« Ce qui suit démontre l’urgence de cette question : l’État et le Parti » – ce n’est pas seulement l’État, c’est l’État et le Parti – « se sont attaqués à de nombreuses tâches qui ne furent pas toutes financées par le budget, mais par les crédits et contributions qui, en plus des impôts normaux, étaient fournis par l’industrie. L’existence de plusieurs budgets parallèles, tous affectés plus ou moins à des services publics, est le plus grand obstacle qui s’oppose à une claire vue d’ensemble des possibilités de financement en matière d’armement. Beaucoup de ministères et de nombreuses ramifications du Parti ont leur budget propre, en plus de la fraction du budget national qui leur est assignée, et, pour cette raison, ont la possibilité d’avoir des revenus et des dépenses, quoique fondés sur la souveraineté financière de l’État ; mais ils échappent au contrôle du ministre des Finances et du Cabinet. Une délégation trop étendue de pouvoirs législatifs à des individus, amène en matière politique, la création d’États dans l’État. Dans les mêmes conditions, l’existence de différentes branches de l’État et du Parti travaillant côte à côte et l’une contre l’autre a un effet désastreux sur les possibilités du financement. Si, sur ce terrain, la concentration et le contrôle unifié ne sont pas introduits à temps, la solution, déjà difficile en elle-même, pour ne pas dire impossible, du financement de l’armement est mise en péril.

« Nous avons à accomplir les tâches suivantes :

« 1. Un délégué est chargé de rechercher toutes les sources financières et tous les revenus constitués par les contributions du Gouvernement fédéral, de l’État et du Parti, et par les profits des entreprises de l’État et du Parti.

« 2. En outre, des experts nommés par le Führer examineront l’emploi de ces sommes et celles d’entre elles qui pourront être à l’avenir affectées à d’autres services que ceux auxquels elles l’étaient précédemment.

« 3. Les mêmes experts examineront les investissements de toutes les organisations publiques et de celles du Parti, afin de voir dans quelles conditions ils peuvent être employés pour le financement de l’armement.

« 4. Le ministre des Finances est habilité à examiner les possibilités d’accroissement des revenus par la création de nouveaux impôts ou l’augmentation des impôts existants.

« L’ancien procédé de financement de l’armement par le canal de la Reichsbank, dans les conditions politiques existantes, était une nécessité, et la réussite politique a montré que ce processus était bon. Les autres possibilités de financement de l’armement doivent être exploitées immédiatement, quelles que soient les circonstances. Pour cela, toutes les dépenses prévues à d’autres fins, et qui ne sont pas absolument essentielles, doivent être arrêtées, et tout l’effort financier allemand, bien que limité, doit être dirigé vers un seul but : financer l’armement. Nous verrons plus tard si le problème du financement, tel qu’il a été décrit dans ce programme, arrive à une solution ; mais sans cette concentration, ce sera une faillite certaine. »

N’ayant moi-même aucune compétence en matière financière, je ne puis m’empêcher de ressentir quelque sympathie pour l’accusé Schacht se débattant au milieu de tels problèmes.

LE PRÉSIDENT

Peut-être serait-il temps de suspendre l’audience dix minutes ?

M. ALDERMAN

Oui.

(L’audience est suspendue.)
M. ALDERMAN

Le 21 mai 1935 fut une date très importante dans le calendrier nazi. C’est à cette date que fut promulguée la loi secrète de Défense du Reich, document PS-2261. Le caractère secret des opérations d’armement avait déjà atteint un degré au delà duquel il devenait impossible de maintenir un camouflage efficace et, le programme exigeant une extension encore plus grande, les nazis dénoncèrent d’une façon unilatérale, en cette même journée du 21 mai 1935, les clauses d’armement du Traité de Versailles.

Je fais allusion au discours prononcé par Hitler au Reichstag, le 21 mai 1935 (document PS-2288). Nous avons ici le volume original du Völkischer Beobachter (Observateur populaire est, je crois, la traduction exacte), volume 48, de 1935, page 122-131, 22 mai 1935, qui reproduit ce discours, sous le titre, dans la mesure où je puis traduire : « Le Führer révèle au monde le chemin de la paix véritable ».

Je dépose la partie de ce volume désignée sous notre nº PS-2288 (USA-38). Je vais lire en commençant par le paragraphe 5 de la traduction anglaise. Je vous demande pardon, j’ai dit le paragraphe 5… Ceci est mentionné page 3, après la discussion de quelques conclusions générales, dans un paragraphe portant le nº 1, où il est dit :

« 1. Le Gouvernement du Reich refuse d’adhérer à la résolution adoptée à Genève le 17 mars…

« Le Traité de Versailles n’a pas été violé par l’Allemagne d’une façon unilatérale, mais les paragraphes bien connus du Diktat de Versailles furent violés et, par conséquent, rendus caducs par ces mêmes puissances qui ne pouvaient se décider à faire suivre de leur propre désarmement le désarmement de l’Allemagne, comme le stipulait le Traité.

« 2. Étant donné que les autres puissances n’ont pas rempli les obligations qui leur incombaient d’après le programme de désarmement, le Gouvernement du Reich allemand ne se considère plus comme lié par ces articles qui ne sont rien de plus qu’une discrimination de la nation allemande » – je suppose « dirigée contre la nation allemande » – « pour un temps illimité, puisque ces articles constituent un frein qui joue contre l’Allemagne d’une manière unilatérale, contrairement à l’esprit de l’accord. »

Plaise au Tribunal. Il va sans dire que, lorsque je cite Adolf Hitler, je ne garantis pas la véracité absolue de tout ce qu’il avance. C’est un discours officiel adressé au monde et il appartient au Tribunal d’apprécier quand il renferme un prétexte et quand il exprime la vérité.

En rapport avec d’autres phases des plans de préparation de la guerre, avaient été établis divers programmes d’entraînement direct et indirect, de nature militaire. Ils comprenaient non seulement la formation de personnel militaire, mais aussi la création et l’entraînement d’organisations paramilitaires, telles que les forces de police, qui pouvaient être absorbées par l’Armée et le furent effectivement.

Cela ressortira de diverses parties de l’accusation soutenue par le Ministère Public. Cependant l’étendue de ce programme de préparation militaire est indiquée dans les vantardises de Hitler, prétendant avoir dépensé 90.000.000.000 de Reichsmark pendant la période de 1933 à 1939, pour mettre sur pied les Forces armées.

J’ai un autre recueil du Völkischer Beobachter, volume 52 de 1939, numéros des 2 et 3 septembre 1939, que je dépose comme preuve sous le nº USA-39. Il contient une photographie de Hitler et le discours qu’il prononça sous le titre qui, autant que je puisse essayer de le traduire, est : « Le Führer annonce le combat pour la justice et la sécurité du Reich. »

C’est le discours prononcé par Adolf Hitler le 1er septembre 1939, date de l’attaque contre la Pologne, désigné sous notre nº PS-2322. Je lis, depuis le dernier paragraphe au bas de la page 3 :

« Depuis plus de six ans, je me consacre à la création des Forces armées allemandes. Pendant cette période, plus de 90.000.000.000 de Reichsmark ont été dépensés pour mettre la Wehrmacht sur pied. Aujourd’hui, nos Forces armées sont les mieux équipées du monde et elles sont supérieures à celles de 1914 : ma confiance en elles est inébranlable. »

La nature secrète de ce programme d’entraînement et le caractère précoce de sa réalisation, sont illustrés par une allusion à l’entraînement secret, dès 1932, du personnel de l’Aviation, ainsi que par les projets conçus depuis longtemps pour édifier une force militaire aérienne. Un rapport sur ce sujet fut envoyé à l’accusé Hess dans une lettre d’un certain Schickedantz à l’accusé Rosenberg, destinée à être remise à Hess.

Je pense que Schickedantz tenait beaucoup à ce que, seul, Hess fût mis en possession de cette lettre et c’est pourquoi il l’envoya à Rosenberg pour qu’il la remît personnellement. Ce document indique que le corps des pilotes civils devait être organisé de façon à permettre leur transfert dans une formation aérienne militaire. Cette lettre est notre document PS-1143, en date du 20 octobre 1932, que je dépose sous le nº USA-40. Elle commence par les mots : « Cher Alfred » (il s’agit d’Alfred Rosenberg) et elle est signée : « Avec mes meilleures salutations, votre Amo ». (Je suppose que Amo est le prénom de Schickedantz.)

« Cher Alfred, je vous envoie ci-inclus un rapport émanant du RWM ; il m’a été transmis par notre homme de confiance (Vertrauensmann) et présente un grand intérêt. Je crois que nous aurons à prendre quelques mesures afin que le Stahlhelm ne soit pas informé secrètement de l’affaire. Ce rapport n’est connu de personne et, à dessein, je n’en ai même pas informé notre ami de haute taille. » – Je suppose que cela veut dire « notre grand ami ». Je voudrais ajouter que l’accusé Rosenberg, dans un interrogatoire du 5 octobre 1945, a reconnu « l’ami de haute taille » et « le grand ami » comme étant un certain von Alvensleben. – « Je joins une copie de plus pour Hess et je vous demande de la lui transmettre par messager, car je ne désire pas écrire de lettre à Hess, de crainte qu’elle ne soit lue quelque part. Avec mes meilleures salutations, votre Amo ».

La pièce que j’ai jointe était : « L’organisation des Forces aériennes. »

Objet : Préparation de matériel et formation du personnel en prévision de l’armement des Forces aériennes.

« Toute la gestion, en tant qu’organisation civile, sera transférée au colonel von Willberg, actuellement gouverneur militaire de Breslau, et qui, tout en gardant son poste dans la Reichswehr, va recevoir un congé d’absence.

« a) Des mesures doivent être prises pour permettre le transfert des pilotes des lignes aériennes civiles à l’organisation de l’Armée de l’air.

« b) Prévoir l’entraînement d’équipages pour des vols militaires. Cet entraînement doit être poursuivi dans le cadre de l’organisation aéronautique militaire du Stahlhelm » – ce qui signifie je crois « Casque d’acier » – « qui doit être dirigé par le colonel en retraite Hänel.

« Toutes les organisations de sport aérien déjà existantes doivent être utilisées pour des vols militaires. La direction du Stahlhelm fixera la nature et le but de ces vols. L’organisation du Stahlhelm paiera les pilotes militaires cinquante marks par heure de vol. Cette somme sera payée au propriétaire de l’avion, au cas où il effectuerait lui-même le vol. Au cas où ce ne serait pas le propriétaire de l’avion, cette somme sera partagée entre la société organisatrice, le propriétaire de l’avion et l’équipage, dans la proportion de dix, vingt, vingt… Les aviateurs militaires sont maintenant mieux payés que les aviateurs qui volent dans un but de publicité (quarante). Par conséquent, nous devons nous attendre à ce que la plupart des propriétaires d’avions ou la plupart des organisations aéronautiques passent à l’organisation du Stahlhelm. On doit obtenir que des conditions égales soient accordées par le RWM, ainsi que par l’organisation de la NSDAP. »

Le programme de réarmement et les projets destinés à tourner le Traité de Versailles et à y contrevenir, apparaissent de façon frappante dans de nombreux documents de la Marine, montrant la participation et la coopération de la Marine allemande à ce programme de réarmement qui, au début, fut secret. Lorsqu’on estima qu’il n’y avait plus de danger à cela, on reconnut ouvertement qu’on avait toujours eu l’intention de violer le Traité de Versailles.

En 1937, le Haut Commandement de la Marine publia un livre secret intitulé : « La lutte de la Marine contre Versailles ; 1919 à 1935 ». La préface mentionne la lutte de la Marine contre les règlements intolérables du Traité de paix de Versailles. La table des matières énumère les diverses tâches échues à la Marine, telles que celles consistant à sauver les batteries côtières de la destruction exigée par Versailles, les mesures d’armement indépendantes prises en dehors du Gouvernement et des corps législatifs, la résurrection de l’arme sous-marine, la mobilisation économique et le recrutement camouflé, de 1933 jusqu’à la liberté reconquise en 1935.

Ce document souligne l’effet considérable produit par la prise du pouvoir des nazis en 1933 sur l’élargissement du programme de réarmement et sur la détermination de sa nature. Il fait mention également de la très grande indépendance apportée à la formation et au développement de la Marine, qui n’étaient entravés que dans la mesure où le réarmement devait être tenu secret, afin de se conformer apparemment au Traité de Versailles. Avec la restauration, en 1935, de ce qu’on appelle la souveraineté militaire du Reich et la réoccupation de la zone démilitarisée de la Rhénanie, ce camouflage extérieur du réarmement cessa.

Nous avons une photocopie du livre allemand que je viens de mentionner, intitulé : Der Kampf der Marine gegen Versailles (La lutte de la Marine contre Versailles) 1919-1935, écrit par le capitaine de vaisseau Schüssler. Il porte sur la couverture l’emblème du parti nazi, avec la croix gammée et l’aigle et il porte en tête la mention soulignée « Confidentiel ». C’est notre document C-156. C’est un livre de soixante-seize pages de texte, suivies de listes et documents classés par ordre alphabétique. Je le dépose comme preuve sous le nº USA-41. Je puis ajouter que l’accusé Raeder a reconnu cette brochure au cours d’un interrogatoire récent et expliqué que la Marine essayait de respecter la lettre du Traité de Versailles et en même temps d’accroître sa puissance. Plaise au Tribunal. J’aimerais en lire quelques extraits. Il est certain que je ne citerai pas cet ouvrage en entier ; je m’en tiendrai à la préface et à un ou deux extraits.

Il est dit dans la préface :

« L’objet de cet ouvrage est de tracer un tableau technique fidèle, d’après les rapports et la documentation de ceux qui ont pris part à la lutte de la Marine contre les prescriptions intolérables du Traité de Versailles. La Marine du Reich, après les actions libératrices du corps franc et de Scapa Flow, ne cessa de chercher, avec une volonté inébranlable, le moyen de poser les bases d’un développement ultérieur plus vaste en plus de l’édification d’une Marine de quinze mille hommes et de créer ainsi, avec l’aide de soldats et de techniciens, les conditions préalables essentielles à un réarmement futur. Il faut aussi mettre en lumière les services rendus par ces hommes qui, sans être connus du monde, avec un zèle extraordinaire et un sens aigu de la responsabilité, menèrent le combat contre le Traité de Paix. Stimulés en cela par leur très haut sentiment du devoir, surtout aux premiers jours de la lutte, ils engagèrent à fond leur personne et leur situation dans les risques qu’offraient ces tâches qu’ils s’étaient fixées en partie eux-mêmes. Cette brochure démontre clairement que des projets si audacieux ne peuvent être réalisés que sur une petite échelle, si l’effort concentré et coordonné du peuple entier ne soutient pas l’activité courageuse du soldat. Ce n’est que lorsque le Führer eût créé une seconde possibilité, plus importante encore, de réarmer effectivement, en réalisant l’union de la nation tout entière et la fusion des forces politiques, financières et spirituelles, que la tâche des soldats put alors être menée à bien. La charpente de ce Traité de Paix, le plus honteux qu’ait connu l’histoire du monde, s’écroula sous la puissance maîtresse de cette volonté commune. Pillau, le 20 avril 1937. Signé : l’auteur de la compilation. »

Je désire maintenant attirer l’attention du Tribunal sur la table des matières, car les titres des chapitres sont suffisamment significatifs pour ce dont je m’occupe actuellement.

« Table des matières :

« I. Premières mesures de défense contre l’exécution du Traité de Versailles (de la fin de la guerre à l’occupation de la Ruhr en 1923).

« 1) Batteries côtières sauvées de la destruction.

« 2) Retrait du matériel d’artillerie et de munitions, des armes individuelles et des armes automatiques.

« 3) Limitation du démantèlement d’Héligoland.

« II. Mesures d’armement indépendantes prises à l’insu du Gouvernement du Reich et des corps législatifs (de 1923 à l’affaire Lohmann en 1927).

« 1) Essai d’accroissement des effectifs de la Marine du Reich.

« 2) Contribution à l’affermissement du sentiment patriotique dans le peuple.

« 3) Activités du capitaine Lohmann. »

Plaise au Tribunal. J’avoue, à ma honte, ne pas être au courant des entreprises du capitaine de vaisseau Lohmann.

« 4) Préparatifs de reconstitution de la flotte sous-marine allemande.

« 5) Formation d’une Armée de l’air.

« 6) Tentative de renforcement de notre flotte de mouilleurs de mines.

« 7) Réarmement économique.

« 8) Mesures diverses.

a) L’aérogéodésique N.V.

b) Opérations secrètes de reconnaissance.

« III. Travaux d’armement prévus et encouragés par le Gouvernement allemand, mais exécutés à l’insu des corps législatifs, de 1928 à la prise du pouvoir en 1933.

« IV. Réarmement camouflé sous la direction du Gouvernement allemand (de 1933 à l’obtention de la liberté dans le domaine militaire en 1935) ».

Si l’interprète qui a en mains l’original allemand veut bien regarder le chapitre IV, page 75, il trouvera « Aufrüstung », c’est-à-dire réarmement camouflé sous la direction du Gouvernement du Reich (de 1933 à l’obtention de la liberté dans le domaine militaire en 1935) :

« De 1933 jusqu’à l’acquisition de la liberté militaire en 1935, l’unification de la nation tout entière, liée à la prise du pouvoir le 30 janvier 1933, eut une influence décisive sur l’étendue et le rythme du réarmement futur.

« Tandis que le Reichsrat approchait de la date de sa dissolution et disparaissait en tant que corps législatif, le Reichstag se donnait une composition qui ne lui permettait qu’une attitude claire à l’égard du recrutement de la Wehrmacht. Le Gouvernement reprit, sur cette base, la direction du programme de réarmement. »

Puis un titre : « Développement de la Wehrmacht » : Le fait que le Gouvernement du Reich ait assumé cette direction eut pour la Wehrmacht la conséquence suivante : le ministre de la Guerre, le général von Blomberg, et avec lui les trois armes de la Wehrmacht, reçurent du Cabinet du Reich des pouvoirs étendus les autorisant à développer les Forces armées. Toute l’organisation du Reich fut engagée dans cette œuvre et l’on put donc se passer de la collaboration de l’ancien organisme d’inspection de la gestion des dépenses secrètes ; il ne resta plus que le contrôle de l’office des comptes du Reich.

Autre titre : « Autonomie du Commandant en chef de la Marine ». Le Commandant en chef de la Marine, l’amiral Raeder, docteur honoris causa s’était vu attribuer, de ce fait, une indépendance très grande pour la formation et le développement de la Marine. Cette indépendance n’était entravée que dans la mesure où le réarmement devait être tenu secret, en considération du Traité de Versailles. En plus du budget ordinaire subsistait l’ancien budget spécial qui fut largement augmenté en raison des crédits considérables nécessités par les fournitures de main-d’œuvre octroyée par le Reich.

Des pouvoirs étendus pour l’utilisation de ces crédits furent donnés au directeur du département du budget de la Marine, qui fut jusqu’en 1934 le commandant Schüssler, et plus tard le commandant Foerste. Ceux-ci eurent, de ce fait, la responsabilité accrue d’un chef de budget.

Autre titre : « Déclaration de la liberté d’action en matière militaire ». Lorsque, s’appuyant sur le renforcement de la Wehrmacht qui avait, entre temps, été exécuté, le Führer annonça la restauration de la souveraineté militaire du Reich allemand, la limitation apportée aux travaux de réarmement, c’est-à-dire le camouflage extérieur, fut supprimée. Libérée de toutes les entraves qui, pendant une décade et demie avaient diminué notre liberté de mouvement sur et sous les mers, sur terre et dans les airs, emportée par l’esprit combatif qui venait de se réveiller dans la nation tout entière, la Wehrmacht dans l’une de ses armes, la Marine, peut mener à bonnes fins le réarmement déjà entrepris pour assurer au Reich la position à laquelle il a droit dans le monde. »

Plaise au Tribunal. Je voudrais examiner maintenant un nouveau problème que nous n’avons pas discuté, je crois. J’ai en main la traduction anglaise d’un interrogatoire de l’accusé Erich Raeder. Celui-ci sait évidemment qu’il a été interrogé et ce qu’il a dit. Je ne pense pas que nous ayons fourni des copies de cet interrogatoire aux avocats. Je ne sais pas si, dans ces conditions, j’ai le droit d’en lire des extraits ou non. Si j’en cite, je suggère que les avocats prennent tous connaissance du texte complet. Je veux dire, de ce que j’en lis dans le procès-verbal.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que l’avocat de l’accusé Raeder fait une objection quelconque à ce que l’on procède à la lecture de cet interrogatoire ?

Dr SIEMERS

Si j’ai bien compris les débats jusqu’à ce jour, je crois qu’il s’agit d’une procédure dans laquelle la preuve peut être administrée soit au moyen de documents, soit au moyen de témoignages. Je suis surpris que le Ministère Public désire apporter des preuves au moyen de comptes rendus d’interrogatoires faits en l’absence de la Défense. Je serais reconnaissant au Tribunal de me dire si, en principe, en tant qu’avocat de l’un des accusés, je puis recourir à la présentation des preuves de ce genre, à savoir des comptes rendus d’interrogatoires de témoins, c’est-à-dire de documents reproduisant un interrogatoire que j’aurais moi-même fait subir aux témoins, comme le fait le Ministère Public, et ceci sans les faire comparaître ?

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal estime que lorsqu’on utilisera à l’avenir les interrogatoires des accusés, des copies de ces interrogatoires devront être fournies à l’avance aux avocats. La question que le Tribunal désirait vous poser est celle-ci : « Vous opposez-vous, dans le cas présent, à ce que cet interrogatoire soit utilisé, sans que la copie vous ait été fournie à l’avance ? » Au sujet de vos observations relatives à votre propre droit de procéder à l’interrogatoire de l’accusé que vous défendez, le Tribunal considère que vous pouvez le citer comme témoin, mais que vous ne pouvez, en dehors de cela, ni l’interroger ni présenter ses interrogatoires comme preuve. La question maintenant est de savoir si vous vous opposez à ce que ce procès-verbal d’interrogatoire soit lu devant le Tribunal.

Dr SIEMERS

Avant toute chose, je voudrais qu’il me soit permis de voir tous les procès-verbaux avant qu’ils ne soient soumis au Tribunal. Je serai, seulement alors, à même de décider si l’on peut procéder à leur lecture, car, en ma qualité d’avocat, je ne suis en rien familiarisé avec leur contenu.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Le Tribunal suspend l’audience et espère que cet interrogatoire pourra vous être remis pendant la suspension et être utilisé par la suite.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)