Sixième journée
Mardi 27 novembre 1945.

Audience de l’après-midi.

M. JUSTICE JACKSON

Je demanderai au Tribunal de bien vouloir prendre acte de la présence dans cette salle de M. A. I. Vishinsky, du ministère des Affaires étrangères de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, et du général K. P. Gorshenin, Procureur Général des Républiques Soviétiques, qui viennent de nous rejoindre à la table du Ministère Public.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal prend acte des paroles de M. Justice Jackson et tient à faire remarquer que M. Vishinsky a pris place à la table de la Délégation soviétique des Procureurs Généraux.

Dr SIEMERS

Au cours de la suspension de midi, j’ai pris connaissance du procès-verbal. Je voudrais faire remarquer que je ne trouve pas très satisfaisant que le Ministère Public maintienne son point de vue et qu’ainsi la Défense ne puisse avoir communication des documents qu’au cours des débats, ou immédiatement avant, parfois même après. Je serais très reconnaissant au Ministère Public de veiller à l’avenir à ce que nous soyons informés en temps utile.

On a affiché hier au bureau 54 une liste des documents qui devaient être présentés aujourd’hui devant le Tribunal. Or, j’ai constaté que les documents présentés aujourd’hui ne figuraient pas sur cette liste. Vous comprendrez que la tâche de la Défense est rendue de ce fait particulièrement ardue. En principe je ne puis, dans ma déclaration d’aujourd’hui, donner mon assentiment à la lecture des procès-verbaux des interrogatoires. Pour faciliter les choses, j’aimerais accepter la suggestion du Tribunal et déclarer que je consens à ce que lecture soit donnée des procès-verbaux présentés ici. Je demande toutefois, – et je crois avoir déjà obtenu du Ministère Public des assurances à ce sujet – que seule soit lue la partie qui concerne le document C-156, attendu que je n’ai pas eu le temps de m’entretenir sur les autres points avec les accusés. Sur ces autres points, cinq autres documents sont mentionnés. Je demande en outre que la citation du livre du capitaine de vaisseau Schüssler soit faite intégralement. Je crois que le Ministère Public est d’accord à ce sujet.

LE PRÉSIDENT

Les paroles de l’avocat de l’accusé Raeder me laissent entendre, M. Alderman, que vous étiez parfaitement d’accord sur les parties de cet interrogatoire que vous devez lire. N’est-ce pas exact ?

M. ALDERMAN

Si j’ai bien compris, l’avocat a demandé que je lise toute la partie de l’interrogatoire relative au document C-156 ; mais j’ai cru saisir qu’il n’était pas d’accord pour que je lise les passages se rapportant à d’autres documents. J’ai donné à l’avocat l’exemplaire original de l’interrogatoire avant l’heure de déjeuner ; quand il me l’a rendu après le déjeuner, je lui ai remis en échange une copie dactylographiée. Je n’ai pas très bien compris sa déclaration faisant état de documents déposés qui n’auraient pas été transmis à l’accusé. Le livre de documents a bien été déposé.

LE PRÉSIDENT

Ce document figure-t-il dans le livre de documents ?

M. ALDERMAN

Je crois que le livre de documents contient tous les documents à l’exception de ces interrogatoires. Il ne contient pas cet interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

En ce cas, l’avocat a raison de s’exprimer ainsi.

M. ALDERMAN

En ce qui concerne cet interrogatoire, oui, il a raison.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous obtenu son assentiment sur ce que vous désirez lire maintenant ? Quant aux parties sur lesquelles il élève des objections, il n’est pas nécessaire de les lire aujourd’hui.

M. ALDERMAN

Je le pense. Je comprends qu’il s’oppose à ce que je lise tout ce qui ne concerne pas le document C-156 ; mais je présume qu’il ne verra aucun inconvénient à ce que je lise les autres passages demain.

Il s’agit de la brochure que j’ai déposée comme preuve ce matin, le document C-156 (USA-41). L’accusé Raeder a reconnu l’autorité de cet ouvrage et a expliqué que la Marine essaya de respecter à la lettre le Traité de Versailles, tout en réalisant en même temps des progrès considérables dans le domaine naval. Je renvoie au passage de l’interrogatoire de l’accusé Raeder relatif à cette question :

« Question. – J’ai ici le document C-156 qui est une photocopie d’un ouvrage préparé par le Haut Commandement de la Marine et qui concerne la lutte de la Marine contre le Traité de Versailles, de 1919 à 1935. Je vous demanderai tout d’abord si vous avez eu connaissance de cet ouvrage ?

« Réponse. – Je connais cet ouvrage. Je l’ai lu une fois au moment de sa publication.

« Question. – Était-ce une publication officielle de la Marine allemande ?

« Réponse. – Le capitaine Schüssler, son auteur, avait rang de commandant dans la Marine. Le livre fut publié par l’OKM ; mais l’initiative en revient à cet officier.

« Question. – Vous souvenez-vous des circonstances dans lesquelles l’autorisation de préparer un tel travail lui fut accordée ?

« Réponse. – Je crois que, comme il le mentionne dans sa préface, il me déclara son intention d’écrire un ouvrage de cette sorte.

« Question. – Et, pour la préparation de cet ouvrage, il eut accès aux dossiers officiels de la Marine et son travail fut effectué à partir des détails découverts dans ces archives ?

« Réponse. – Oui, je crois. Il a dû avoir des conversations avec différentes personnes et obtenir les dossiers qui lui étaient nécessaires.

« Question. – Savez-vous si, avant la publication de cet ouvrage, des épreuves furent soumises à l’appréciation des officiers de l’Amirauté ?

« Réponse. – Non, je ne le crois pas. Pas avant sa publication. Pour ma part, je ne l’ai vu qu’après.

« Question. – A-t-il été diffusé librement après sa publication ?

« Réponse. – Le sujet avait un caractère secret. Je crois que tout le Haut Commandement de la Marine en prit connaissance.

« Question. – Fut-il mis en circulation dans des milieux autres que ceux de la Marine ?

« Réponse. – Non.

« Question. – Quelle est donc votre opinion au sujet des commentaires contenus dans cet ouvrage sur la manière de tourner les stipulations du Traité de Versailles ?

« Réponse. – Je ne me souviens pas très bien du contenu de cet ouvrage. Je me souviens seulement que la Marine a toujours eu pour objectif de suivre à la lettre le Traité de Versailles, afin d’en tirer quelques avantages. Mais les aviateurs subissaient un an d’entraînement avant d’entrer dans la Marine. C’étaient de tout jeunes gens. Ainsi la lettre du Traité de Versailles était respectée. Ils n’appartenaient pas à la Marine durant tout le temps de leur entraînement au vol. La technique de construction des sous-marins fut perfectionnée, non pas en Allemagne, non pas par la Marine, mais en Hollande. Il y avait là un bureau civil. En Espagne, c’était un bureau industriel, ainsi qu’en Finlande. Ces sous-marins ne furent construits que beaucoup plus tard, quand nous commençâmes à négocier avec les Anglais le Traité de 35 %. Comme nous pouvions voir qu’un tel accord avec l’Angleterre détruirait le Traité de Versailles, nous essayâmes, pour respecter la parole donnée à Versailles, de suivre ce Traité à la lettre, tout en nous efforçant d’obtenir des avantages.

« Question. – Serait-il exact de dire que le Haut Commandement de la Marine cherchait à se soustraire aux dispositions du Traité de Versailles portant limitation du personnel et des armements, mais qu’il essayait de respecter ce Traité à la lettre tout en s’y soustrayant en fait ?

« Réponse. – C’est bien ce à quoi nous nous efforcions de parvenir. »

La suite constitue le passage que l’avocat de l’accusé m’a demandé de lire :

« Question. – Pourquoi une telle politique fut-elle adoptée ?

« Réponse. – Dans les premières années qui ont suivi la première guerre, nous avons été gravement menacés par le danger d’une agression éventuelle de la Pologne contre la Prusse Orientale ; aussi avons-nous essayé d’augmenter un peu nos forces qui étaient vraiment très faibles de ce côté ; tous nos efforts tendirent à acquérir un peu plus de puissance contre les Polonais dans le cas où ils nous attaqueraient. À ce moment-là, il aurait été absurde d’envisager de notre part une attaque de la Pologne par notre Marine. Notre second but fut d’avoir quelques moyens de défense contre le passage éventuel des Forces françaises dans la mer Baltique car nous savions que les Français auraient soutenu les Polonais. Leurs navires venaient dans la mer Baltique à Gdynia. Notre Marine devint ainsi un moyen de défense contre une attaque de la Pologne et contre une entrée des unités françaises dans la Baltique. Tels étaient nos buts purement défensifs.

« Question. – Quand cette crainte d’une attaque venant de la Pologne prit-elle naissance dans les milieux officiels allemands ? Pourriez-vous nous le dire ?

« Réponse. – Dans les toutes premières années. Les Polonais prirent Vilna ; nous pensâmes aussitôt qu’ils en viendraient à la Prusse Orientale. Je ne me rappelle pas exactement de quelle année il s’agit, car ces opinions furent celles des ministres allemands de l’Armée et de la Marine, Gröner et Noske.

« Question. – Ainsi, à votre avis, ces opinions étaient courantes et existaient dès 1919-1920, peu après la fin de la première guerre mondiale ?

« Réponse. – C’est que la situation générale était très, très incertaine ; je ne puis vous donner, de ces dernières années, une description très exacte, car je fus pendant deux ans occupé aux archives de la Marine, à écrire un livre sur la guerre et sur les capacités de combat des croiseurs. Durant ces deux années, je demeurai étranger à ces questions. »

On trouve le reflet d’objectifs et de plans du même ordre dans la table des matières d’une Histoire de la Marine allemande de 1919 à 1939 découverte parmi les dossiers officiels de la Marine allemande qui ont été saisis. Nous n’avons pas pu trouver un seul exemplaire de cet ouvrage ; mais le projet en a toutefois été rédigé par le colonel Scherff, historien militaire personnel de Hitler. Nous avons trouvé la table des matières ; ses références numériques renvoient à des groupes de documents et à des commentaires de documents qui, de toute évidence, devaient servir de base pour la rédaction de chapitres conformes aux énonciations de la table des matières. Les titres de cette table établissent clairement les plans et préparatifs de la Marine en vue de tourner le Traité de Versailles et de reconstituer la force navale nécessaire à une guerre d’agression.

Nous avons ici le document original saisi qui est, comme je l’ai dit, la table des matières dactylographiée en allemand de ce projet d’ouvrage avec une couverture dactylographiée portant le titre : Geschichte der Deutschen Marine, 1919-1939 (Histoire de la Marine allemande, 1919-1939). C’est un document de la série C-17 que je dépose sous le nº USA-42. Cette table des matières comprend des têtes de chapitres tels que… Mais peut-être ferais-je mieux d’en lire quelques-uns :

« Partie A : 1919, année de transition. Chapitre VII : Premiers efforts pour tourner le Traité de Versailles et en limiter les effets.

« a) Démilitarisation de l’administration, incorporation des services de la Marine dans les ministères civils, etc. (Par exemple, incorporation au ministère des Transports jusqu’en 1934 de la plus grande partie du centre d’observation maritime et de l’organisation du balisage maritime de Heligoland, Kiel et du canal Ems-Jade ; proposition de Noske du 11 août 1919 en vue d’incorporer le service des constructions navales à l’École supérieure technique de Berlin ; fondation de l’arsenal maritime de Kiel.) » Avec une référence à un groupe de documents portant le chiffre 75.

« b) Fortifications et batteries côtières sauvées de la destruction.

« 1. Mer du Nord (Renforcement des fortifications au moyen de nouvelles batteries et de pièces modernes entre la signature et l’entrée en vigueur du Traité de Versailles ; rapports avec la Commission de contrôle : renseignements, dessins, visites d’inspection, résultats obtenus.) » Référence à un groupe de documents portant le chiffre 85.

« 2. Baltique (Prise de possession par la Marine des forteresses de Pillau et de Swinemünde ; mise en lieu sûr pour l’Armée de cent quatre-vingt-cinq canons mobiles et mortiers qui s’y trouvaient.) »

Je signale au passage que lorsque la délégation britannique aura déposé devant le Tribunal le texte du Traité de Versailles, vous pourrez voir le détail des limitations imposées et comprendre l’effort pour s’y soustraire que représente le document que je lis.

« 3. Débuts de la défense côtière contre avions.

« Partie B. 1920-1924. Nouvelle méthode d’organisation. Chapitre V : La Marine. Application et non-application du Traité de Versailles. L’étranger.

« a) Les commissions de contrôle interalliées.

« b) Mesures de défense contre l’application du Traité de Versailles et armement autonome à l’insu du Gouvernement du Reich et des organes législatifs.

« 1. Éparpillement du matériel et des munitions d’artillerie, des armes individuelles et automatiques.

« 2. Limitation du démantèlement de Heligoland.

« 3. Tentative d’augmentation des effectifs de la Marine à partir de 1923.

« 4. Activités du capitaine Lohmann (création de nombreuses associations en Allemagne et à l’étranger, adhésions, formation d’unions et de clubs « sportifs », appel à l’industrie du film pour le recrutement naval).

« 5. Préparatifs pour reconstituer l’arme sous-marine allemande dès 1920 (projets et livraisons au Japon, à la Hollande, à la Turquie, à l’Argentine et à la Finlande ; essais de torpilles).

« 6. Participation à la constitution de la Luftwaffe (aménagement d’aérodromes, construction aéronautique, cours d’enseignement, initiation des aspirants à la défense antiaérienne, entraînement des pilotes).

« 7. Tentatives de développement du service des mines.

« Partie C. (1925-1932. – Renouvellement du tonnage.)

Chapitre IV. La Marine, le Traité de Versailles, l’étranger.

« a) Activités des Commissions de contrôle interalliées (jusqu’au 31 janvier 1927 ; cessation de l’activité de la Commission navale de la Paix).

« b) Mesures d’armement autonome à l’insu du Gouvernement du Reich et des organes législatifs (jusqu’à l’affaire Lohmann).

« 1. Activités du capitaine Lohmann (suite). Leur portée en tant que base pour l’œuvre de reconstruction rapide depuis 1935.

« 2. Préparatifs de reconstitution de l’arme sous-marine allemande à partir de 1925 (suite). Rôle de Lohmann dans la préparation d’une construction rapide en 1925, relations avec l’Espagne, l’Argentine et la Turquie. Première construction après la guerre de sous-marins de la Marine allemande en Espagne à partir de 1927… Prototype de 250 tonnes en Finlande, dispositifs en vue d’un montage rapide ; torpilles électriques ; entraînement du personnel des sous-marins en Espagne et en Finlande. Création en 1932 d’une école de navigation sous-marine camouflée en école anti-sous-marine.

« 3. Participation aux préparatifs de reconstruction de la Luftwaffe (suite). Préparation d’une arme aéronavale ; compagnie aérienne Severa, plus tard Luftdienst GMBH (Service aérien SARL) ; école aéronavale de Warnemünde ; liste des aéroports ; entraînement des aspirants de Marine ; problèmes de tactique militaire ; « excursions de la Défense aérienne » ; progrès techniques, préparation de stations expérimentales militaires, essais, développement des hydravions (Do X, etc.), avions catapultés, armement, moteurs, installations au sol, torpilles aériennes, le vol du Deutschland en 1925 et course d’hydravions en 1926.

« 4. Réarmement économique. (La « Tebeg », Technische BeratungsGesellschaft, société technique d’études et d’achats, entreprise camouflant les services de la Marine à l’étranger qui se renseignent sur les stocks de matières premières, sur la capacité industrielle et sur d’autres questions intéressant l’économie de guerre.)

« 5. Mesures diverses (Compagnie aéro-géodésique NV, enquêtes secrètes).

« c) Travaux d’armement préparés avec l’accord tacite du Gouvernement du Reich mais toujours à l’insu des organes législatifs (de 1928 jusqu’à la prise du pouvoir).

« 1. Influence de l’affaire Lohmann sur les préparatifs secrets, cessation des travaux non préconisés, reprise et conduite d’autres travaux.

« 2. La question financière (la « Caisse noire » et le « Budget spécial »).

« 3. Le Comité du Travail et ses objectifs.

« d) La question des attachés navals (leur maintien sous une forme déguisée, puis leur réapparition officielle en 1932-1933).

« e) Question du désarmement de la flotte à l’étranger et en Allemagne. (La Conférence du désarmement à Genève en 1927 ; le Traité naval de Londres de 1930 ; l’accord anglo-franco-italien de 1931 ; la Conférence du désarmement de la Société des Nations en 1932.)

« Partie D (1933-1939). – La Marine allemande durant la période de la liberté d’armement. »

Cette partie se rapporte à une période postérieure à celle dont je m’occupe en ce moment. Un coup d’œil sur les titres des chapitres suivants montrera l’envergure du travail entrepris. Mais j’ignore si cette histoire a été effectivement écrite par Scherff.

J’aimerais attirer l’attention sur les titres des deux ou trois premiers chapitres de cette partie D : « La Marine allemande durant la période de la liberté des armements » :

« I. Le national-socialisme et la question de la flotte et du prestige sur mer.

« II. Incorporation de la Marine dans l’État national-socialiste. »

Au milieu de la page, le chapitre III est intitulé : « Le réarmement de la Marine sous la direction du Gouvernement du Reich, sous une forme déguisée. »

La politique mise en œuvre par la Marine apparaît également sur le plan financier. Le projet du budget de la Marine en vue du réarmement fut établi en adaptant étroitement les mesures militaires aux objectifs politiques. Le développement de la politique militaire fut accéléré après que l’Allemagne eut quitté la Société des Nations.

Plaise au Tribunal. J’ai devant moi un document saisi, rédigé en allemand, qui a pour en-tête : « Der Chef der Marineleitung, Berlin, 12. Mai 1934 », et porte en gros caractères imprimés en bleu : « Geheime Kommandosache » (Affaire secrète de Commandement) : c’est le document C-153. Il porte à la fin la signature en fac-similé de Raeder. Je présume que c’est un fac-similé. Il a probablement été tracé avec un stylet sur un stencil ; mais je n’affirmerai rien. Je dépose ce document sous le nº USA-43. Son titre est « Plan d’armement (RP : Rüstungsplan) pour la troisième phase ». Ce document du 12 mai 1934 parle de tâches de guerre, de plans de guerre et d’opérations, de buts à atteindre dans l’armement, et mentionne les nombreux membres du Haut Commandement de la Marine auxquels il a été communiqué. Il montre que l’un des buts essentiels était d’être prêt aux opérations d’une guerre sans période préalable d’alerte. Je cite un passage du troisième paragraphe :

« L’organisation préalable des mesures d’armement est nécessaire pour la réalisation de ce but. Cela exige encore un plan et une coordination des dépenses dès le temps de paix. Cette organisation des mesures financières s’étendant sur un certain nombre d’années, en conformité avec le point de vue militaire, on la trouve dans le programme d’armement et elle constitue :

a) Pour le chef militaire, une base solide pour ses conceptions stratégiques.

b) Pour le chef politique, une vision nette de ce qui peut être réalisé avec les moyens militaires mis à sa disposition à un moment donné. »

Voici une autre phrase de ce document au paragraphe 7 : « Tous les préparatifs “R” théoriques et pratiques » – je suppose que cela signifie préparatifs d’armement – « doivent être faits dans le but essentiel d’être prêts à une guerre sans période préalable d’alerte ». Cette phrase « sans période préalable d’alerte » est soulignée dans l’original.

Le véritable complot que révèlent ces plans nazis et ces préparatifs entrepris bien avant le début des hostilités, d’autres détails nous le dévoilent clairement. Ainsi, en 1934, Hitler donna l’ordre à Raeder de garder secret le programme de construction des sous-marins, de même que le tonnage et la vitesse réelle de certains navires. La construction, déjà signalée, de sous-marins en Hollande et en Espagne, se poursuivit encore. L’idée des nazis à ce sujet n’était pas dépourvue d’ingéniosité. Le Traité de Versailles interdisait aux Allemands le réarmement en Allemagne ; mais prétendaient-ils, il n’interdisait nullement le réarmement en Hollande, en Espagne et en Finlande.

Autre raison à l’époque de garder le secret : les négociations navales en cours avec l’Angleterre. Nous avons un autre document saisi, qui est un manuscrit, en caractères gothiques, d’un entretien entre l’accusé Raeder et Adolf Hitler en juin 1934. Il n’est pas signé par l’accusé Raeder, mais je demanderai à son avocat s’il voit une objection à ce que je dise que l’accusé Raeder, au cours de son interrogatoire du 8 novembre 1945, a reconnu que c’était bien là un compte rendu de cet entretien et qu’il était écrit de sa propre main, bien que ne portant pas sa signature.

Ce document a le nº C-189 et je le dépose sous le nº USA-44. Il est intitulé : « Conversation avec le Führer en juin 1934, à l’occasion de la démission du commandant du Karlsruhe. »

« 1. Rapport du Commandant en chef de la Marine sur l’augmentation du tonnage des D et E (armes défensives).

« Instructions du Führer : aucune mention ne doit être faite d’un tonnage de 25.000 à 26.000 tonnes, mais seulement du perfectionnement des navires de 10.000 tonnes. De même, les vitesses supérieures à vingt-six milles marins ne doivent pas être déclarées.

« 2. Le Commandant en chef de la Marine exprime l’opinion que la Marine doit être accrue dans l’avenir pour pouvoir s’opposer à l’Angleterre et qu’en conséquence, à partir de 1936, les gros navires devront être armés de canons de trente-cinq centimètres (comme ceux de la classe du King George).

« 3. Le Führer demande de garder secrète la construction des sous-marins, en raison du plébiscite de la Sarre ».

Pour poursuivre son accroissement vital, conformément au plan, la Marine avait besoin de fonds plus considérables que ceux qu’elle avait à sa disposition ; aussi Hitler décida-t-il de mettre des fonds appartenant au Front du Travail à la disposition de la Marine.

Nous avons un autre mémorandum de Raeder relatant une conversation entre Raeder et Hitler, le 2 novembre 1934. J’ai une photocopie de ce texte allemand dactylographié qui porte le nº C-190. Il n’est pas non plus signé mais il a été trouvé dans les dossiers personnels de Raeder, qui, je crois, n’en niera pas l’authenticité. Je le dépose sous le nº USA-45. Il porte le titre : « Conversation du 2 novembre 1934 avec le Führer au moment de la nomination du commandant de l’Emden :

« 1. Lorsque je mentionnai que tous les fonds disponibles pour les Forces armées en 1935 ne représentaient probablement qu’une fraction de la somme nécessaire et qu’il était par conséquent possible que la Marine fût arrêtée dans ses projets, il répliqua qu’il ne pensait pas que les fonds seraient considérablement réduits. En effet, il considérait comme nécessaire un accroissement rapide de la Marine jusqu’en 1938 dans les limites prévues. En cas de besoin, il demanderait au Dr Ley de mettre à la disposition de la Marine 120 à 150.000.000 provenant du Front du Travail, étant donné que cet argent continuerait ainsi à profiter aux travailleurs. Plus tard, au cours d’une conversation avec le ministre Göring et moi-même, il répéta qu’il considérait comme essentiel l’accroissement de la Marine tel qu’il avait été projeté ; car aucune guerre ne pourrait être poursuivie si la Marine n’était pas à même de sauvegarder les importations de minerais de Scandinavie.

« 2. Puis, comme je faisais remarquer qu’il serait souhaitable d’avoir six sous-marins entièrement équipés au moment critique de la tension politique, au cours du premier trimestre de 1935 », – c’est-à-dire l’année d’après – « il déclara qu’il y songerait et me préviendrait quand la situation exigerait que l’on commençât cet équipement ». Il y a ici un astérisque qui renvoie à une note au bas de la page ; « L’ordre ne fut pas envoyé. Les premiers bâtiments ne furent lancés qu’au milieu de juin 1935, conformément au plan antérieur. »

L’utilisation des marchés étrangers pour développer l’industrie de l’armement fut systématiquement encouragée par la Marine, afin que cette industrie fût à même de répondre à ses exigences en cas de besoin.

Nous avons un document allemand original portant lui aussi la mention : « Geheime Kommandosache » (affaire secrète de Commandement). Ce sont les directives du 31 janvier 1933 signées par l’accusé Raeder, recommandant à l’industrie allemande de soutenir l’armement de la Marine.

C’est le document C-29 que je dépose sous le nº USA-46.

« Très secret. Instructions générales pour le soutien donné à l’industrie allemande d’armement par la Marine allemande.

« Les conséquences de la dépression économique actuelle ont fait croire dans certains milieux qu’il n’y avait pas pour l’industrie allemande d’armement de perspective d’activité à l’étranger, même si les termes du Traité de Versailles n’étaient pas respectés plus longtemps, que cette activité n’était pas profitable et ne méritait donc pas d’être encouragée. Bien plus, on a soutenu que le développement de l’autarcie rendrait de toute façon cette activité superflue.

« Je me vois forcé cependant, en faisant la mise au point suivante, de contredire ces opinions que pourraient confirmer les circonstances actuelles.

« a) La crise économique et ses conséquences actuelles doivent nécessairement être surmontées tôt ou tard. Bien que, politiquement, l’égalité des droits dans le domaine militaire ne nous soit pas pleinement accordée à l’heure actuelle, elle sera réalisée un jour par l’égalisation des armes, tout au moins dans une certaine mesure.

« b) Les tâches qui en résultent pour l’industrie allemande d’armement doivent être estimées en se plaçant sur le plan de la politique militaire. Il est impossible à cette industrie, tant au point de vue économique que militaire, de répondre aux demandes croissantes qu’elle reçoit, si elle se borne à approvisionner la Wehrmacht. Sa capacité de production doit donc être augmentée en faisant à des pays étrangers des livraisons supérieures et excédant même nos exigences propres.

« c) Presque tous les pays travaillent aujourd’hui dans le même sens, même ceux qui ne sont pas paralysés comme l’Allemagne par des restrictions. La Grande-Bretagne, la France, l’Amérique du Nord, le Japon et surtout l’Italie, font des efforts désespérés pour assurer des débouchés à leurs industries d’armement. Les représentations diplomatiques, les voyages de propagande de leurs navires et vaisseaux les plus modernes, les envois de missions ainsi que les prêts et assurances qu’ils accordent contre les déficits, n’ont pas seulement pour but d’obtenir des commandes commercialement avantageuses pour leurs industries d’armement, mais d’abord et surtout, d’accroître leur production à des fins de politique militaire.

« d) C’est juste au moment où ont abouti nos efforts tendant à supprimer les restrictions qui nous étaient imposées, que la Marine allemande a un intérêt toujours plus grand et réellement vital à favoriser l’industrie allemande d’armement et à lui préparer les voies de toutes les manières pour la bataille de la concurrence qu’elle devra livrer au reste du monde.

« e) Néanmoins, pour que l’industrie allemande d’armement ait la possibilité de jouer son jeu sur les marchés étrangers, elle doit inspirer la confiance à ses acheteurs. Pour cela, il ne faut pas que le secret sur nos propres buts soit poussé à l’excès. La quantité de matériel qui doit être en toutes circonstances dissimulée dans l’intérêt de la défense nationale est relativement faible. J’aimerais vous mettre en garde contre la présomption qu’au stade actuel du développement technique, des puissances industrielles étrangères pourraient ne pas avoir résolu un problème d’importance militaire capitale dont nous avons trouvé la solution. Nos solutions d’aujourd’hui toujours susceptibles, grâce à une indiscrétion, d’être connues d’un tiers, ont souvent été déjà remplacées chez nous par des solutions nouvelles et meilleures, qu’elles soient spontanées ou qu’elles résultent d’imitations. Il est beaucoup plus important pour nous d’être techniquement toujours en tête dans les domaines vraiment essentiels plutôt que de garder un silence inutile et excessif sur des questions de moindre importance.

« f) En conclusion, je tiens tout particulièrement à ce que l’industrie qui est en rapport avec la Marine soit assurée de son soutien permanent, même après la fin des restrictions actuelles. Si les acheteurs ne se sentent pas assurés qu’on leur offre ce qu’il y a de mieux, l’industrie ne pourra pas se montrer à la hauteur dans la bataille de la concurrence et, par conséquent, ne sera pas capable de satisfaire les exigences de la Marine allemande en cas de besoin. »

Ce programme de réarmement clandestin de la Marine en violation des obligations du Traité, entamé avant même la venue au pouvoir des nazis, est mis en lumière dans un ordre adressé en 1932 par l’accusé Raeder, Commandant en chef de la Marine au Haut Commandement naval, au sujet de la construction secrète de tubes lance-torpilles sur les vedettes rapides. Il prescrivait que les tubes lance-torpilles fussent démontés et entreposés à l’arsenal maritime, mais tenus prêts pour un remontage rapide. En ne mettant en service à la fois que le nombre autorisé, c’est-à-dire autorisé par le Traité de paix, de vedettes rapides, et en les stockant après des essais satisfaisants, le nombre effectif de ces vedettes rapides en état de service ne cessa d’augmenter. Nous avons cet ordre allemand avec le fac-similé de la signature de Raeder et la mention : « Der Chef der Marineleitung, Berlin, 10 février 1932 ». C’est un ordre pour l’armement secret de vedettes rapides. (Document C-141, USA-47.) Je lis à partir du premier paragraphe :

« En raison des obligations du Traité et de la Conférence du Désarmement, il faut prendre des mesures pour que les vedettes rapides S de la première demi-flotille qui, dans quelques mois comportera des unités exactement semblables récemment construites, n’apparaissent pas ouvertement comme des bateaux lance-torpilles (Torpedo Träger), étant donné que nous n’avons pas l’intention de compter ces unités au nombre des navires lance-torpilles qui nous sont accordés. J’ordonne en conséquence :

« 1. S-2, S-5. devront rester mouillés dans le chantier Lürsseen, Vegesack, sans armement, et les emplacements des tubes lance-torpilles seront recouverts de plaques métalliques facilement démontables. Les mêmes mesures seront prises par la T.M.I. » Une note du traducteur indique au bas de la page : « Inspection des mines et torpilles ». « En accord avec l’arsenal maritime, les tubes lance-torpilles de S-1 seront démontés aussitôt après la fin des tirs d’exercice pour être remontés sur un autre bateau.

« 2. Les tubes lance-torpilles de toutes les vedettes S seront entreposés à l’arsenal maritime prêts à être montés immédiatement. Durant les sorties d’essai, les tubes lance-torpilles seront successivement mis à bord un court laps de temps, aux fins de montage et d’exercices de tir, de façon qu’un seul bâtiment à la fois porte un dispositif lance-torpilles. Pour le public, ce bâtiment sera en train d’effectuer des essais préliminaires pour le T.V.A. ». Je suppose qu’il ne s’agit nullement de « Tennessee Valley Authority » (Autorité de la Vallée du Tennessee), mais du « Technisches Versuchamt » qui est traduit dans une note « Direction des recherches techniques ».

« Il ne devra pas être ancré à proximité des autres unités désarmées de la demi-flotille à cause de leur similitude manifeste. La durée du tir et par conséquent le temps pendant lequel les tubes lance-torpilles seront à bord devra être aussi court que possible.

« 3. Le montage des tubes lance-torpilles sur toutes les vedettes rapides S aura lieu aussitôt que la situation du contrôle politique le permettra. »

Il est assez intéressant de noter que ce mémorandum rédigé par l’accusé Raeder en 1932, dit « dès que la situation du contrôle politique le permettra ». L’année suivante, eut lieu la prise du pouvoir.

Dans le même sens, la Marine poursuivait aussi la préparation secrète de croiseurs auxiliaires sous l’appellation fictive de « bateaux de transport O ». Aux termes des ordres, ces travaux devaient être terminés le 1er avril 1935. Pendant que ces soi-disant navires de commerce étaient construits, des plans étaient déjà dressés pour leur transformation. Nous avons le document allemand original, très confidentiel lui aussi, (nº C-166) émanant du Commandement de la Marine, daté du 12 mars 1934, et portant la signature manuscrite Groos. Il porte au-dessus de la signature manuscrite le cachet du ministère de la guerre, direction de la Marine. Je le dépose comme preuve sous le nº USA-48. Je pense que l’accusé Raeder reconnaîtra ou tout au moins ne niera pas qu’il s’agit d’un document officiel.

« Objet : Préparation de croiseurs auxiliaires. Mon intention est d’inclure dans le plan d’organisation 35 (AG-Aufstellungsgliederung) un certain nombre de croiseurs auxiliaires destinés aux opérations dans les eaux étrangères. Afin de cacher les buts de cette préparation, ces unités seront dénommées « navires de transports O ». On demande qu’à l’avenir cette dénomination soit seule employée. » Un court passage stipule : « Ces travaux de préparation doivent être conduits de façon à être terminés pour le 1er avril 1935 ».

Dans les dossiers officiels de la Marine, dossiers OKM, que nous possédons, il y a des notes prises année par année, de juin 1927 à 1940, sur la reconstruction de la Marine allemande, et ces notes donnent sur les activités de la Marine et ses procédés de nombreux renseignements parmi lesquels je choisis quelques exemples significatifs.

L’un de ces documents révèle que le tonnage des cuirassés Scharnhorst, Gneisenau et F G – j’ignore ce que signifie cette abréviation – fut en fait plus élevé que les tonnages déclarés aux Anglais aux termes du Traité. Je dépose le document C-23 sous le nº USA-49 qui en réalité groupe trois documents. En voici un extrait : « Le véritable tonnage des cuirassés Scharnhorst, Gneisenau, aussi bien que celui du F G dépasse de vingt pour cent le tonnage déclaré aux Anglais. » Il y a aussi un tableau énumérant différents navires : deux colonnes donnent, sous le titre général « Tonnage par type », l’une le tonnage réel, l’autre le tonnage déclaré. Pour le Scharnhorst, le tonnage réel était de 31.300 tonnes, le tonnage déclaré de 26.000 tonnes. Pour le F, tonnage réel 41.700 tonnes, tonnage déclaré 35.000. Pour le H I. tonnage réel 56.200 tonnes, tonnage déclaré 46.850, et ainsi tout le long de cette liste dont je ne poursuivrai pas la lecture.

Dans le second document de ce groupe, page 2 du texte anglais, vers la fin, on trouve cette déclaration : « Dans un programme de construction nettement défini, le Führer et Chancelier du Reich a assigné à la Marine la tâche de réaliser les buts de sa politique étrangère ».

La Marine allemande n’a cessé de projeter et d’exécuter des violations de la limitation des armements et avec la méthode consciencieuse caractéristique des Allemands, elle a préparé des explications spécieuses ou des prétextes à ces violations. À la suite d’une conférence avec le chef de la Section « A », un état récapitulatif détaillé fut préparé et dressé, indiquant soigneusement la quantité et le modèle de tous les armements et munitions de la Marine en cours de construction ou de fabrication. Dans certains cas, cet état mentionnait les arguments qui pouvaient être employés pour justifier ou défendre les violations flagrantes du Traité de Versailles ou les dépassements des chiffres qu’il avait fixés.

La liste contenait trente articles sous le titre « Mesures d’ordre matériel » et quatorze articles sous le titre « Mesures d’organisation ». La variété des détails exposés indique la collaboration de plusieurs services de la Marine, qui ont nécessairement saisi la signification de ces mesures. Si je comprends bien, la section « A » était le département militaire de la Marine.

Parmi les documents saisis, en voici un particulièrement intéressant (C-32, USA-50). Il porte la mention « Geheime Kommandosache » et le titre : « Rapport récapitulatif de l’armement naval allemand après la conférence avec le chef de la section “A” ». Il est daté du 9 septembre 1933 et a été saisi dans les dossiers officiels de la Marine allemande. C’est un long document, mais s’il plaît au Tribunal, j’aimerais attirer l’attention sur quelques-uns de ses articles les plus significatifs.

Il y a trois colonnes, l’une intitulée « Mesures », l’autre « Mesures d’ordre matériel, détails », et la plus intéressante, « Remarques ». Les remarques contiennent les prétextes ou justifications expliquant les violations du Traité. Elles sont numérotées ; aussi puis-je en citer les chiffres :

« Nº 1. Dépassement du nombre de mines autorisé. » Puis les chiffres sont donnés. « Remarques : D’autres mines ont été commandées, d’autres sont déjà livrées.

« Nº 2. Mise en réserve continuelle des pièces d’artillerie de la Mer du Nord pour les batteries de la Baltique. » Dans la colonne des remarques : « Justification : nécessité de gagner du temps. Réparations plus économiques. »

Passons au nº 6 : « Préparation d’emplacements de batteries dans la région de Kiel. Remarques : La contravention aux dispositions du nº 3 de la série consiste dans le fait que toute fortification est interdite dans la région de Kiel. Elle sera atténuée par la justification suivante : mesures de simple défense.

« Nº 7 : Dépassement du calibre autorisé pour les batteries côtières. Explication : Justification possible : bien que le calibre soit plus grand, le nombre des canons est moindre.

« Nº 8 : Armement de dragueurs de mines. Réponse à toutes les protestations contre cette infraction : les canons prélevés sur les réserves de la Marine ont été provisoirement installés à seule fin d’entraînement. Toutes les nations arment leurs dragueurs de mines (égalité des droits). »

Voici un article plus amusant : « Nº 13 : Dépassement du nombre autorisé de mitrailleuses, etc… Remarques : À tirer au clair. »

« Nº 18 : Construction de pièces de sous-marins. » Cette remarque est tout à fait caractéristique. « Difficile à déceler, peut au besoin être niée. »

« Nº 20 : Armement de bateaux de pêche. Remarques : Pour tirs d’avertissements. Y attacher peu d’importance. » Et ainsi de suite jusqu’à la fin de la liste.

Il semble évident que ce document aurait dû servir de guide aux négociateurs qui participaient à la Conférence du Désarmement, quant à la position qu’ils devaient adopter.

Passons maintenant au paragraphe IV, F, 2 b de l’Acte d’accusation ; il dit : « Le 14 octobre 1933, ils provoquèrent le retrait de l’Allemagne de la Conférence internationale du Désarmement et de la Société des Nations. »

C’est un fait historique dont je demande au Tribunal de prendre acte. Les nazis ont saisi l’occasion de se retirer des négociations internationales et d’adopter une attitude agressive sur un point qui n’aurait pas été suffisamment sérieux pour provoquer des représailles de la part des autres pays. Mais les Allemands attachaient une telle importance à cet acte qu’ils s’attendaient à l’application éventuelle de sanctions par les autres pays. Prévoyant la nature probable de ces sanctions et les pays qui pourraient les prendre, des plans pour la préparation militaire d’une résistance armée sur terre, sur mer et dans les airs, furent exposés dans des directives données par Blomberg, ministre de la Défense du Reich, au chef du Haut Commandement de l’Armée, Fritsch, au commandant en chef de la Marine, Raeder, et au ministre de l’Air, Göring.

Nous avons saisi ces directives. C’est le document C-140 que je dépose sous le nº USA-51. Ce sont des instructions datées du 25 octobre 1933, onze jours après le retrait de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations.

« 1. Les instructions ci-jointes donnent la base des préparatifs applicables aux Forces armées au cas où des sanctions seraient prises contre l’Allemagne.

« 2. J’ordonne aux chefs du Haut Commandement de l’Armée et de la Marine, ainsi qu’au ministre de l’Air, d’exécuter ces préparatifs conformément aux directives suivantes :

« a) Strictement confidentiel. Il est de la plus haute importance que ne transpire à l’étranger aucun fait de nature à révéler des préparatifs de résistance aux sanctions, ou incompatible, dans le domaine de la politique étrangère, avec les obligations actuelles de l’Allemagne dans la zone démilitarisée.

« Ces préparatifs céderont éventuellement le pas à cette dernière nécessité. »

Je pense que cette mise au point nous dispense d’une plus longue lecture. L’une des conséquences immédiates de ce retrait de la Société des Nations fut que, aussitôt après, l’Allemagne élargit encore son programme d’armement.

J’ai déposé ce matin le document C-153 (USA-43). J’aimerais en lire maintenant le paragraphe 5. Ainsi que vous vous le rappelez, c’est un document daté du 12 mai 1934.

« 5. Étant donné la rapidité de l’évolution politique et militaire depuis que l’Allemagne a quitté Genève, et en se basant sur les progrès de la Wehrmacht, le nouveau plan « R » ne sera établi que pour une période de deux ans. La troisième période « A » s’étend par conséquent du 1er avril 1934 au 31 mars 1936. »

Plaise au Tribunal. Passons maintenant au point suivant de l’Acte d’accusation : « Le 10 mars 1935, l’accusé Göring annonçait que l’Allemagne créait une force aérienne militaire. »

C’est un fait historique dont je demande au Tribunal de prendre note et je suis tout à fait certain que l’accusé Göring ne le contestera pas.

Nous avons un exemplaire d’une publication allemande connue sous le titre Das Archiv ; il s’agit d’un numéro de mars 1935, page 1830. C’est le document PS-2292 que je dépose sous le nº USA-52. C’est une proclamation relative à l’Aviation allemande :

« Le ministre de l’Aviation du Reich, le général d’aviation Göring, au cours de son entretien avec le correspondant spécial au Daily Mail, Ward Price, a parlé de l’Aviation allemande.

« Le général Göring a dit :

« Dans l’extension de notre défense nationale (Sicherheit) il nous fallait, ainsi que nous l’avons répété au monde, veiller à notre défense aérienne. Pour ma part, je me suis borné aux mesures absolument indispensables. Il n’entrait pas dans ma ligne de conduite de créer une force agressive menaçant les autres nations, mais simplement de mettre au point une aviation militaire suffisamment forte pour repousser en toutes circonstances des attaques dirigées contre l’Allemagne. »

La fin de cette partie de l’article de Das Archiv rapporte :

« Pour terminer, le correspondant demande si l’Aviation allemande serait capable de repousser des attaques contre l’Allemagne. Le général Göring répondit exactement ceci :

« L’Aviation allemande est aussi profondément pénétrée de la volonté de défendre la Patrie jusqu’au bout qu’elle est convaincue, par ailleurs, de n’avoir jamais à menacer la paix des autres nations. »

Comme je l’ai dit, je crois, ce matin, lorsque nous citons des déclarations de ce genre, émanant des chefs nazis, nous ne pouvons nous empêcher de montrer qu’ils avaient des intentions différentes de celles qu’ils annonçaient.

Le point suivant de l’Acte d’accusation concerne la promulgation de la loi sur le service militaire obligatoire.

Étant allés aussi loin qu’ils le pouvaient en matière de réarmement et d’entraînement secret du personnel, la première mesure à prendre ensuite dans la voie d’une guerre d’agression consista à accroître, sur une large échelle, la puissance militaire. Cette mesure ne pouvait être poursuivie clandestinement plus longtemps et devait finir par être connue de l’extérieur.

C’est pourquoi la loi sur le service militaire obligatoire fut promulguée le 16 mars 1935, en violation de l’article 173 du Traité de Versailles.

Je demande au Tribunal d’accorder d’office force probante à cette loi publiée au Reichsgesetzblatt, recueil officiel des lois, titre 1 du volume 1, année 1935, page 369. Je pense qu’il n’est pas indispensable de déposer l’ouvrage ou la loi.

Le texte de la loi elle-même est très bref, et je puis le lire ; il se trouve à la fin de l’article. C’est le document PS-1654 que je cite :

« Dans cet esprit, le Cabinet du Reich a adopté aujourd’hui la loi suivante :

« Loi sur l’organisation des Forces armées, en date du 16 mars 1935.

« Le Cabinet du Reich a adopté la loi suivante qui est ci-dessous promulguée comme telle :

« Paragraphe 1. – Le service dans la Wehrmacht est basé sur le principe du service militaire obligatoire.

« Paragraphe 2. – En temps de paix, la Wehrmacht, y compris les troupes de police qui lui sont adjointes, est organisée en douze corps et trente-six divisions. » Il y a une erreur typographique dans la version anglaise. Celle-ci dit seize divisions, mais l’original allemand porte trente-six divisions.

« Paragraphe 3. – Le ministre de la Guerre du Reich est chargé de soumettre immédiatement au ministère du Reich des lois détaillées sur le service militaire obligatoire. Berlin, le 16 mars 1935. »

Ce texte porte les signatures, d’abord du Führer et Chancelier du Reich, Adolf Hitler, puis de plusieurs personnages officiels, dont les accusés suivants : Von Neurath, Frick, Schacht, Göring, Hess, Frank.

LE PRÉSIDENT

Nous suspendons l’audience pendant 10 minutes.

(L’audience est suspendue.)
COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. Le Ministère Public espère présenter demain comme preuve quelques films saisis ; afin de donner aux avocats l’occasion de les voir au préalable en réponse à la demande qu’ils ont adressée au Tribunal il y a quelque temps, la projection de ces films aura lieu, ce soir, à leur intention, dans la salle d’audience, à 20 heures.

LE PRÉSIDENT

Très bien, colonel Storey.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. J’en viens maintenant au paragraphe IV, F, 2, e de l’Acte d’accusation, aux termes duquel :

« Le 21 mai 1935, ils déclarèrent au monde, dans le but de le tromper et d’endormir ses craintes au sujet de leurs intentions d’agression, qu’ils respecteraient les limites territoriales arrêtées par le Traité de Versailles et se conformeraient aux stipulations du Pacte de Locarno. »

Afin de diminuer la résistance possible des États ennemis, une partie du programme nazi consistait à pratiquer une politique de fausses promesses qui ne tendaient qu’à créer la confusion et à donner un faux sentiment de sécurité. C’est ainsi que, le jour même où l’Allemagne dénonçait les clauses du Traité de Versailles relatives à l’armement, Hitler annonçait l’intention du Gouvernement allemand de respecter les frontières territoriales fixées par les Traités de Versailles et de Locarno.

J’ai déposé ce matin le document PS-2288 (USA-38), constitué par le recueil contenant le Völkischer Beobachter du 21 mai 1935 qui a publié le discours que Hitler fit au Reichstag à cette même date.

Hitler dit dans ce discours :

« Par conséquent, le Gouvernement du Reich allemand respectera incontestablement tous les autres articles concernant la coopération » – Zusammenleben, qui signifie, en fait, « vie harmonieuse en commun » – « des différentes nations, y compris les clauses territoriales. Il ne procédera à des révisions devenues inévitables avec le temps que par la voie d’une entente pacifique.

« Le Gouvernement du Reich allemand a l’intention de ne signer aucun traité dont les clauses lui semblent irréalisables, mais il respectera scrupuleusement tout traité signé volontairement, même s’il a été conclu avant que le Gouvernement actuel fût au pouvoir. Par conséquent, il tiendra particulièrement tous ses engagements du Pacte de Locarno aussi longtemps que les autres parties contractantes seront disposées à s’en tenir à ce Pacte. »

Pour la clarté des explications, les limitations territoriales des Traités de Locarno et de Versailles comprennent ce qui suit :

Pacte rhénan de Locarno, 16 octobre 1925 :

« Article premier. – Les Hautes Parties contractantes garantissent individuellement et collectivement, ainsi qu’il est stipulé dans les articles ci-après, le maintien du statu quo territorial résultant des frontières entre l’Allemagne et la Belgique et entre l’Allemagne et la France, et l’inviolabilité desdites frontières telles qu’elles sont fixées par ou en exécution du Traité de paix signé à Versailles le 28 juin 1919, ainsi que l’observation des dispositions des articles 42 et 43 dudit traité, concernant la zone démilitarisée. »

Ceci se réfère évidemment à la zone démilitarisée de la Rhénanie.

Puis, le Traité de Versailles du 28 juin 1919 :

« Article 42. – II est interdit à l’Allemagne de maintenir ou de construire des fortifications soit sur la rive gauche du Rhin, soit sur la rive droite, à l’ouest d’une ligne tracée à cinquante kilomètres à l’Est de ce fleuve.

« Article 43. – Sont également interdits, dans la zone définie à l’article 42, l’entretien ou le rassemblement de forces armées, soit à titre permanent, soit à titre temporaire, aussi bien que toutes manœuvres militaires de quelque nature qu’elles soient et le maintien de toutes facilités matérielles de mobilisation. »

Le point suivant de l’Acte d’accusation, paragraphe f, est ainsi rédigé :

« Le 7 mars 1936, ils réoccupèrent et fortifièrent la Rhénanie, en violation du Traité de Versailles et du Pacte rhénan de Locarno du 16 octobre 1925, et annoncèrent fallacieusement au monde : « Nous n’avons pas de demandes territoriales à présenter en Europe. »

Il est clair que la démilitarisation de la Rhénanie avait toujours été une blessure cruelle pour les nazis après la première guerre mondiale. Ce n’était pas seulement un coup porté à leur orgueil croissant, mais aussi un obstacle pour atteindre la position forte dont l’Allemagne avait besoin pour le règlement de ses questions vitales. En cas de sanctions quelconques contre l’Allemagne, sous la forme de mesures coercitives militaires, les Français et d’autres auraient pu sans peine pénétrer profondément en Allemagne, à l’est du Rhin, avant qu’aucune résistance allemande ait pu être organisée. C’est pourquoi tout plan allemand destiné à menacer ou à violer les obligations internationales ou à commettre une agression quelconque exigeait la réoccupation et la fortification préalable de ce territoire ouvert de la Rhénanie. Les plans et les préparatifs pour la réoccupation de la Rhénanie commencèrent de très bonne heure.

Nous possédons un document saisi, en langue allemande, figurant dans notre documentation sous la cote C-139, qui semble signé de la main de Blomberg. Je le dépose comme USA-53. Ce document traite de l’opération « Schulung », ce qui signifie instruction ou entraînement. Il est daté du 2 mai 1935 et consacré à des discussions antérieures de l’État-Major sur le sujet en question. Il est adressé au chef du Haut Commandement de l’Armée, qui à ce moment, je crois, était Fritsch, au chef du Haut Commandement de la Marine, Raeder, et au ministre de l’Air du Reich, Göring. Il ne cite pas le mot de « Rhénanie », il n’en parle pas non plus en termes explicites. À notre point de vue, c’était un plan militaire pour la réoccupation militaire de la Rhénanie, en violation du Traité de Versailles et du Pacte rhénan de Locarno.

Je lis dans la première partie du document, qui porte la mention : « Absolument confidentiel » :

« Pour désigner l’opération suggérée dans les dernières conversations de l’État-Major des Forces armées, je choisis le mot conventionnel de « Schulung » (entraînement). La direction d’ensemble de l’opération « Schulung » est entre les mains du ministre de la Défense du Reich, puisque cette entreprise implique l’action commune des trois armes. Les préparatifs de l’opération commenceront immédiatement, conformément aux directives suivantes :

« 1º Instructions générales.

« 1. L’opération doit, dès l’envoi du mot conventionnel :« Exécuter la Schulung », être menée par un coup de surprise et avec la rapidité de l’éclair. Le secret le plus absolu est nécessaire pour les préparatifs et un nombre aussi restreint que possible d’officiers seront mis au courant et chargés d’établir les rapports, les plans, etc. qu’ils dresseront en personne.

« 2. On n’a pas le temps de mobiliser les troupes qui prendront part à cette opération. Elles seront utilisées avec leur effectif et leur équipement du temps de paix.

« 3. La préparation de l’opération sera faite sans tenir compte de l’insuffisance actuelle de nos armements. Toute amélioration de l’état de nos armements permettra d’élargir les préparatifs et de créer ainsi de meilleures chances de succès. »

Le reste de cet ordre est consacré à des détails militaires, et je ne crois pas nécessaire de le lire.

Il y a certains points de cet ordre qui sont incompatibles avec l’hypothèse qu’il ne s’agissait que d’un ordre de manœuvres ou de mesures de défense. L’opération devait être conduite sous la forme d’une attaque par surprise (Schlagartig als Überfall). L’Aviation devait soutenir l’attaque, et la division de Prusse Orientale envoyer des renforts. D’autre part, ce document porte la date du 2 mai 1935, c’est-à-dire environ six semaines après la promulgation de la loi sur la conscription du 16 mars 1935 ; ce plan pouvait ainsi difficilement avoir été conçu comme mesure défensive contre des sanctions attendues en réponse à l’introduction du service militaire obligatoire.

En fait, la réoccupation réelle de la Rhénanie n’eut pas lieu avant le 7 mars 1936, de sorte que ce plan primitif aurait dû être complètement remanié pour s’adapter aux conditions existantes et aux objectifs particuliers. Comme je l’ai dit, bien que le plan ne mentionne pas le mot « Rhénanie », il a tous les caractères d’un plan d’opérations en Rhénanie. Que les détails de ce plan particulier n’aient pas été finalement ceux de la réoccupation de la Rhénanie ne supprime en rien le fait essentiel que, dès le 2 mai 1935, les Allemands avaient déjà projeté cette opération, non pas seulement comme un plan d’État-Major, mais comme une opération déterminée. Évidemment, il n’était pas dans leur dessein de l’exécuter si tôt, si elle pouvait être évitée. Mais ils étaient prêts à le faire, en cas de besoin, pour s’opposer aux sanctions françaises contre la loi sur la conscription. Il est significatif de constater que la date de ce document est la même que celle de la signature du pacte franco-russe, que les nazis invoquèrent plus tard comme excuse à la réoccupation de la Rhénanie.

Les ordres militaires d’après lesquels la réoccupation de la Rhénanie s’effectua réellement, le 7 mars 1936, furent donnés, le 2 mars 1936, par von Blomberg, ministre de la Guerre, Commandant en chef des Forces armées, et adressés au Commandant en chef de l’Armée, Fritsch, au Commandant en chef de la Marine, Raeder, et au ministre de l’Air et Commandant en chef de l’Aviation, Göring. Nous avons cet ordre signé par Blomberg ; et il porte la mention habituelle « Affaire secrète de commandement », et figure dans notre documentation sous le nº C-159. Je le présente comme preuve sous le nº USA-54. L’exemplaire de ce document porte les initiales de l’accusé Raeder au crayon vert, avec une note au crayon rouge : « À soumettre au Commandant en chef de la Marine ».

La première partie de cet ordre est la suivante :

« Au Commandement suprême de la Marine :

« 1. Le Führer et Chancelier du Reich a pris la décision suivante :

« En raison du pacte franco-russe d’assistance mutuelle, les obligations contractées par l’Allemagne dans le Traité de Locarno, dans la mesure où elles se rapportent aux articles 42 et 43 du Traité de Versailles ayant trait à la zone démilitarisée, doivent être considérées comme caduques.

« 2. Des éléments de l’Armée et de l’Aviation seront en conséquence transportés simultanément et par surprise dans des garnisons de la zone démilitarisée. À ce propos, j’ordonne… »

Viennent ensuite des ordres détaillés concernant les opérations militaires.

Nous avons également les ordres concernant la coopération de la Marine. Le document original allemand qui figure dans notre documentation sous le nº C-194 fut publié le 6 mars 1936 sous forme d’un ordre de Blomberg, ministre de la Guerre du Reich et signé par Keitel, adressé à Raeder, Commandant en chef de la Flotte et aux amiraux commandant dans la Baltique et dans la mer du Nord. Je dépose ce document sous le nº USA-55.

La courte lettre jointe à cet ordre est la suivante :

« Au Commandant en chef de la Marine.

« Après la réunion, le Ministre a décidé ce qui suit :

« 1. L’idée d’une reconnaissance aérienne discrète dans la baie allemande, pas plus loin que la ligne Texel-Doggerbank, à partir de midi, le jour « Z », est approuvée. Le Commandant en chef de l’Aviation donnera l’ordre au commandement aérien VI de tenir prêts à partir de midi, le 7 mars, des appareils de reconnaissance isolés qui seront mis à la disposition du Commandant en chef de la Flotte.

« 2. Jusqu’au soir du 7 mars, le Ministre réserve sa décision pour fixer une ligne de reconnaissance sous-marine. Un transfert immédiat de sous-marins de Kiel à Wilhelmshafen a été approuvé.

« 3. Les mesures préalablement proposées dépassent généralement le degré d’urgence A et, en conséquence, ne doivent pas être envisagées comme les premières contre-mesures à prendre à l’égard de préparatifs militaires d’États voisins. Il s’agira plutôt d’examiner les mesures tombant sous le degré d’urgence A pour voir si l’une ou l’autre des mesures particulièrement visibles ne pourrait être abandonnée. »

Ce texte est signé : « Keitel ».

Le reste du document contient des ordres détaillés concernant la Marine, des instructions concernant les opérations, et, à mon avis, je n’ai pas besoin d’en lire davantage.

Pour bien souligner l’importance historique de cette affaire, Hitler fit un important discours, le 7 mars 1936. J’ai le recueil du Völkischer Beobachter, numéro de Berlin, dimanche 8 mars 1936. C’est le document PS-2289, que je dépose comme pièce USA-56. On y trouve un long discours, dont le monde se souvient, et dont je ne lirai qu’une petite partie.

« Membres du Reichstag allemand ! La France a répondu aux offres amicales répétées et aux assurances pacifiques de l’Allemagne en violant le Pacte rhénan par une alliance militaire avec l’Union Soviétique, dirigée exclusivement contre l’Allemagne. Le Pacte rhénan de Locarno a ainsi perdu son sens profond et a cessé pratiquement d’exister. Par conséquent, l’Allemagne se considère, pour sa part, comme n’étant plus liée par ce traité caduc. Le Gouvernement allemand est maintenant contraint de faire face à la nouvelle situation créée par cette alliance , situation qui est rendue plus difficile par le fait que le traité franco-soviétique a été renforcé par un traité d’alliance de forme similaire entre la Tchécoslovaquie et l’Union Soviétique. Conformément aux droits fondamentaux d’une nation d’assurer la sécurité de ses frontières et de pourvoir à ses possibilités de défense, le Gouvernement allemand a rétabli aujourd’hui la souveraineté pleine et illimitée de l’Allemagne dans la zone démilitarisée de la Rhénanie. »

La réoccupation par l’Allemagne de la zone démilitarisée de la Rhénanie a eu de graves répercussions internationales. Les protestations adressées à la Société des Nations déterminèrent le Conseil à faire une enquête : elle en proclama les résultats dont je demande au Tribunal de prendre acte. Ils figurent au procès-verbal mensuel de la Société des Nations, mars 1936, volume 16, page 78, et sont également mentionnés dans un article de Quincy Wright dans le Journal américain de droit international, page 487, 1936.

Ces conclusions sont les suivantes :

« Le Gouvernement allemand a violé l’article 43 du Traité de Versailles, en faisant pénétrer et s’établir, le 7 mars 1936, des forces militaires dans la zone démilitarisée visée par les articles 42 et suivants de ce Traité et par le Traité de Locarno. »

En même temps, le 7 mars 1936, lorsque les Allemands réoccupèrent la Rhénanie, en violation flagrante des Traités de Versailles et de Locarno, ils essayèrent, à nouveau, de dissiper les craintes des autres puissances européennes et de les bercer dans une fausse sécurité, en annonçant au monde : « Nous n’avons aucune prétention territoriale à formuler en Europe ». Cette parole revient dans le même discours de Hitler que j’ai déposé sous le nº USA-56 (PS-2289). Elle se trouve page 6, colonne 1 : « Nous n’avons aucune prétention territoriale à formuler en Europe : nous savons parfaitement que toutes les tensions résultant soit de fausses répartitions territoriales, soit de la disproportion entre le nombre des habitants et leur espace vital, ne peuvent pas, en Europe, être supprimées au moyen de la guerre. »

La plupart des faits que j’ai invoqués et qui figurent dans l’Acte d’accusation n’exigent pas d’être corroborés par des preuves puisqu’ils constituent des données historiques. Nous avons été à même de vous apporter un certain nombre de documents intéressants qui font la lumière sur ce point. L’existence de plans et de préparatifs antérieurs est indiscutable de par la nature même des choses. La méthode et la cohérence de ces plans, ainsi que leur perfection, montrent clairement le développement et le caractère de plus en plus agressif des objectifs nazis, en dépit des obligations internationales et des considérations humanitaires.

Nos collègues britanniques vous présenteront en détail les violations des traités et du Droit international, lorsqu’ils exposeront le deuxième chef de l’Acte d’accusation.

Il ressort clairement de cet ensemble que les conspirateurs nazis étaient déterminés à employer n’importe quel moyen pour supprimer ou rejeter les prescriptions du Traité de Versailles et les restrictions qu’elles apportaient à l’armement et à l’activité militaire de l’Allemagne. C’est pour cela qu’ils conspirèrent et entreprirent en secret le réarmement et l’entraînement des troupes, la production de matériel de guerre et l’organisation d’une Aviation. Ils se retirèrent de la Conférence Internationale du Désarmement et de la Société des Nations le 14 octobre 1933. Ils instituèrent le service militaire obligatoire le 16 mars 1935. Le 21 mai 1935, ils annoncèrent hypocritement qu’ils respecteraient les clauses territoriales de Versailles et Locarno. Le 7 mars 1936, ils réoccupèrent et fortifièrent la Rhénanie et, en même temps, annoncèrent mensongèrement qu’ils n’avaient aucune prétention territoriale en Europe.

Les conspirateurs avaient visé haut et loin, et, pour atteindre leurs buts, il leur fallait de longs et importants préparatifs. L’exécution impliquait que les engagements internationaux et les traités fussent tournés, bafoués et violés. Rien ne les arrêta. La réalisation de tout ce programme, y compris la mise à l’écart du Traité de Versailles, ouvrait la porte aux diverses agressions qui suivirent :

Plaise au Tribunal. Je passerai maintenant à l’exposé de l’agression contre l’Autriche.

Je ne sais si Votre Honneur désire que je commence ou non ? Je suis tout disposé à le faire.

LE PRÉSIDENT

Vous servirez-vous demain du volume de documents marqués « M » ?

M. ALDERMAN

J’en présenterai un nouveau marqué « N ».

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal suspend l’audience jusqu’à 10 heures demain matin.

(L’audience sera reprise le 28 novembre 1945 à 10 heures.)