Septième journée
Mercredi 28 novembre 1945.

Audience de l’après-midi.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. J’étais en train de mentionner le rapport du Gauleiter Rainer au Commissaire du Reich Bürckel en juillet 1939, qui expose l’histoire ultérieure du Parti et le problème du commandement après le départ de Reinthaler.

Parlant de la situation existant en 1935, il mentionne certains contacts avec le Gouvernement du Reich, c’est-à-dire avec le Gouvernement allemand, dans les termes suivants. Je cite ici la page 4 du texte anglais de ce rapport, et, je crois, la page 4 du texte allemand du rapport de Rainer, qui constitue le document PS-812 (USA-61) :

« En août, eurent lieu quelques autres arrestations dont les victimes, à part les Gauleiter, furent Globocnik et Rainer. Schattenfroh émit alors la prétention, sur la foi d’instructions reçues de Léopold, qui se trouvait à ce moment-là en prison, d’exercer les fonctions de commissaire de la Direction du Pays. Un groupe dirigé par l’ingénieur Raffelsberger avait également, à cette époque, établi des relations avec des services de l’Altreich (le ministère de la Propagande, la Volksdeutsche Mittelstelle, etc.) et avait fait des tentatives pour formuler dans un manifeste sa conception des idées politiques directrices du mouvement de lutte en Autriche. »

Et le rapport Rainer continue à donner l’image de la situation un peu plus tard, en 1936. Je cite un extrait de la page 6 du texte anglais et, autant qu’il me semble, page 5 du texte allemand.

« Les principes de base étaient les suivants :

« L’organisation doit être le support de la lutte illégale et le dépositaire de l’idée selon laquelle il faut créer une organisation secrète qui ignore le compromis et soit fondée sur le principe de sélection et selon la manière la plus simple, afin d’être prête à entrer immédiatement en action au service de l’autorité illégale du pays. Il faut, en outre, utiliser toutes les occasions politiques, exploiter toutes les personnalités et toutes les possibilités légales sans révéler un lien quelconque avec l’organisation illégale. Par conséquent, la coopération entre l’organisation illégale du Parti et les auxiliaires politiques légaux ne doit se faire qu’aux échelons supérieurs de la direction du Parti. Tous liens avec le Parti en Allemagne sont tenus secrets, conformément aux ordres du Führer stipulant que l’État allemand ne soit pas mêlé officiellement aux questions intérieures autrichiennes ; des centres auxiliaires pour la propagande, la presse, les réfugiés, les œuvres de secours, etc. doivent être établis dans les pays étrangers limitrophes de l’Autriche.

« Hinterleitner était déjà entré en contact avec l’avocat Seyss-Inquart, qui était en relation avec le Dr Wächter, depuis que Seyss-Inquart avait apporté son concours au putsch de juillet. D’autre part, Seyss-Inquart avait une situation intéressante dans le monde juridique et des relations particulièrement solides avec les dirigeants du parti social-chrétien. Le Dr Seyss-Inquart sortait des rangs du “Steierischer Heimatschutz” (défense de la patrie de Styrie), et devint membre du Parti quand le Steierischer Heimatschutz tout entier fut incorporé au parti nazi. Une autre personnalité de marque, que l’on pouvait utiliser sur le terrain légal, était le colonel Glaise-Horstenau, qui avait des relations avec les deux partis. L’accord du 11 juillet 1936 fut fortement influencé par l’activité de ces deux personnages, dont l’un, Glaise-Horstenau, avait été désigné à Hitler comme un homme de confiance. »

Le rapport de Rainer dévoile ainsi la double tactique des nazis autrichiens pendant cette période où ils restèrent tranquilles en attendant la suite des événements : ils maintinrent des contacts secrets avec les personnalités du Reich et utilisèrent des personnalités indigènes telles que Glaise-Horstenau et Seyss-Inquart. Les nazis se servirent habilement de ces personnages qui avaient des activités plus discrètes et que l’on pouvait qualifier facilement de nationalistes. Ils présentèrent, soutinrent et firent accepter des exigences que n’auraient pu formuler des nazis avérés tels que le capitaine Léopold.

Seyss-Inquart ne détint aucun poste officiel jusqu’en janvier 1937, date à laquelle il devint conseiller d’État. Mais Rainer, le décrivant comme un membre de valeur du Parti provenant des rangs du « Steierischer Heimatschutz », le désigne comme l’une des personnes dont l’influence s’est fortement fait sentir sur l’accord du 11 juillet 1936. L’importance stratégique de cet accord sera examinée un peu plus tard. Comme je l’ai dit, on ne peut admettre que le rapport de Rainer ait exagéré l’importance de la contribution de Seyss-Inquart.

Les nazis ont bien fait de faire confiance à Seyss-Inquart mais non pas le Gouvernement autrichien. Le document suivant que je me propose de déposer le prouve. C’est le document PS-2219 (USA-62), copie dactylographiée d’une lettre datée du 14 juillet 1939, adressée au Feldmarschall Göring. Elle se termine par le « Heil Hitler », le terme habituel, et n’est pas signée, mais nous pensons qu’elle a été, sans aucun doute, écrite par l’accusé Seyss-Inquart. C’est un double au carbone trouvé dans les archives personnelles de Seyss-Inquart, et, d’ordinaire, les doubles gardés par les auteurs ne sont pas signés. Sur la première page de la lettre, figure une indication à l’encre qui n’est pas portée sur la traduction anglaise partielle : « Poste aérienne, 15 juillet, 15 h. 15, Berlin, à porter au bureau de Göring. » L’essentiel de la lettre consiste en un plaidoyer pour un certain Mühlmann dont le nom sera encore mentionné par la suite et qui était tombé en disgrâce auprès de Bürckel. Je vais citer un extrait de cette partie du document, qui a été déjà traduit en anglais, et qui commence, me semble-t-il, à la page 7 du texte allemand :

« À Vienne pour le moment, ce 14 juillet 1939.

« Au Generalfeldmarschall.

« Monsieur.

« Si je puis dire sur moi-même quelque chose de plus, le voici : je sais que je ne suis pas d’un naturel combatif et énergique, même si des décisions essentielles sont en jeu. Par ce temps “d’activisme” prononcé, – le terme Aktivismus est employé dans le texte – on pourrait interpréter cela comme un défaut. Je sais cependant que je m’accroche avec une ténacité inébranlable aux buts auxquels je crois : la Grande Allemagne (Grossdeutschland) et le Führer. Si certaines personnes sont déjà épuisées par la lutte ou sont tombées pour elle, je suis toujours là et prêt à entrer en action. Telle fut, après tout, ma position jusqu’à l’année 1938. Jusqu’en juillet 1934, je me suis comporté comme membre régulier du Parti. Et si j’avais sagement payé mes cotisations, sous quelque forme que ce soit, (j’ai payé la première, d’après le reçu que j’en ai, en décembre 1931), j’aurais probablement été, indiscutablement et toutes proportions gardées, un vieux militant, un vieux camarade du Parti en Autriche, mais je n’aurais pas fait davantage pour l’Union. Je me suis dit, en juillet 1934, que nous devions combattre ce régime clérical sur son propre terrain, afin de donner au Führer une occasion d’utiliser la méthode qu’il désirait mettre en vigueur. » – Et je veux particulièrement attirer votre attention sur la phrase suivante – « Je me suis dit que cette Autriche valait bien une messe. J’ai tenu bon dans cette attitude avec une détermination de fer, parce que mes amis et moi devions combattre en Autriche le catholicisme politique, la franc-maçonnerie, la juiverie, tout en un mot. La moindre faiblesse dont nous aurions fait preuve aurait, sans doute, amené notre anéantissement politique. Elle aurait privé le Führer des moyens et des instruments nécessaires à la découverte de son habile solution politique du problème autrichien, comme les jours de mars 1938 le montrèrent clairement. Je me rends pleinement compte que j’emprunte un chemin impénétrable aux masses et même à mes camarades du Parti. Je l’ai suivi tranquillement, et le suivrai à nouveau sans hésiter, parce que je suis convaincu que, sur ce point, je pourrai servir d’instrument au Führer pour son travail, même si mon ancienne attitude donne maintenant l’occasion à de très honorables et très bons camarades du Parti d’avoir des doutes sur ma valeur. Je ne me suis jamais affligé de ces choses, car l’opinion que le Führer et les hommes de son entourage ont de moi, me suffit amplement. »

Cette lettre a été écrite à l’un des hommes qui touchaient Hitler de près, le Feldmarschall Göring. Je pense que cela suffit à démontrer que Seyss-Inquart est une personne que sa loyauté à Hitler, à un dictateur étranger, a conduit à combattre pour la réalisation des buts du complot nazi, et pour l’Anschluss, vers lequel il était poussé, par tous les moyens dont il disposait.

Il est utile maintenant de déposer comme preuve un document émanant de l’accusé von Papen et de voir comment, d’après lui, les doctrines du national-socialisme pouvaient être utilisées en faveur des buts de l’Anschluss. Je dépose sous la cote PS-2248 (USA-63), une lettre de von Papen à Hitler, datée du 27 juillet 1935. Elle consiste en un rapport intitulé : « Examen de la situation et aperçu général, un an après la mort du Chancelier Dollfuss. » Après avoir passé en revue le succès remporté par le Gouvernement autrichien qui avait fait de Dollfuss un martyr, et, de ses principes, les principes patriotiques de l’Autriche, von Papen déclarait, et je cite le dernier paragraphe de la lettre qui commence à la page 1 (146 du texte allemand) :

« Le national-socialisme doit vaincre et vaincra la nouvelle idéologie autrichienne. Si l’on prétend, aujourd’hui, en Autriche, que la NSDAP n’est qu’un parti centralisé du Reich allemand, et qu’elle est, par conséquent, incapable d’insuffler l’idéologie du national-socialisme à des groupes nationaux de formation politique différente, on doit répondre à juste titre, que la révolution nationale en Allemagne n’aurait pu être réalisée de façon différente. Mais une fois que la création de la communauté nationale dans le Reich sera complétée, le national-socialisme pourra, dans un sens infiniment plus large qu’il n’est rendu possible par l’organisation actuelle du Parti – au moins en apparence – devenir à coup sûr, le point de ralliement de toutes les unités raciales allemandes par delà les frontières. Ce n’est pas avec une tendance centralisatrice qu’un progrès spirituel peut être réalisé en face de l’Autriche. Si cette proposition était clairement et explicitement formulée par le Reich, il deviendrait possible d’effectuer une brèche dans le fond de la nouvelle Autriche. Une journée du Parti à Nuremberg, appelée le “Jour allemand” comme au temps jadis, et la proclamation d’un front des peuples nationaux-socialistes seraient des événements émouvants pour tous par delà les frontières du Reich. De telles attaques gagneraient également à notre cause les cercles particularistes autrichiens, dont le porte-parole, le comte légitimiste Dubsky, a écrit dans sa brochure sur l’Anschluss : “Le troisième Reich se fera avec l’Autriche ou ne se fera pas du tout. Le national-socialisme doit la gagner ou périr, s’il se montre incapable de résoudre ce problème”. »

Nous avons d’autres rapports de von Papen à Hitler que je déposerai dans un instant comme preuves, montrant qu’il a conservé des contacts secrets avec les groupes nationaux-socialistes d’Autriche. Il est certainement intéressant de voir que, dès le début de sa mission, l’accusé von Papen cherchait la meilleure manière d’appliquer vis-à-vis des Allemands résidant en dehors des frontières, les principes du national-socialisme. Papen travaillait pour l’Anschluss, bien qu’il comptât plus volontiers sur les principes du national-socialisme que sur l’organisation du Parti, comme l’instrument indispensable à la diffusion de ces principes dans le Reich allemand.

Nous en arrivons ensuite à diverses assurances données à l’Autriche, et à leur ratification. Le Gouvernement allemand se contenta de paraître rester fidèle au principe de non-intervention dans la vie des groupes autrichiens. Il employa la ruse psychologique, consistant à assurer qu’il n’avait aucun but contraire à l’indépendance autrichienne. Si l’Autriche voulait avoir confiance dans la réalisation de ces assurances, la voie lui était ouverte pour obtenir des concessions et des allégements de la pression exercée au point de vue intérieur et économique.

Je dépose comme preuve le document PS-2247 (USA-64). C’est une lettre de von Papen adressée à Hitler et datée de Berlin, du 17 mai 1935. La lettre de von Papen indiquait à Hitler qu’une déclaration directe et digne de confiance, faite par l’Allemagne pour rassurer l’Autriche, serait très utile pour les buts diplomatiques allemands et pour l’amélioration des relations entre l’Autriche et les groupes allemands en Autriche. Il avait un plan pour lancer Schuschnigg et les forces du mouvement social chrétien contre Starhemberg, Vice-Chancelier d’Autriche, soutenu par Mussolini. Von Papen espérait persuader Schuschnigg d’accepter pour alliée la NSDAP, afin de sortir victorieux de la lutte contre Starhemberg. Von Papen indique que cette idée lui fut suggérée par le capitaine Léopold, chef des nationaux-socialistes clandestins en Autriche. Je cite un extrait de cette lettre, commençant au deuxième paragraphe de la deuxième page. Elle est adressée par von Papen à « Mein Führer », Hitler.

« Je suggère que nous prenions une part active dans cette lutte. L’idée fondamentale serait de lancer Schuschnigg et ses forces sociales chrétiennes, qui sont hostiles à une dictature d’un front national, contre Starhemberg. La possibilité de faire échec aux mesures décidées de concert par Mussolini et Starhemberg, doit lui être offerte de façon qu’il propose au Gouvernement une alliance définitive des intérêts germano-autrichiens. D’après l’opinion du capitaine Léopold, chef de la NSDAP en Autriche, le principe totalitaire de la NSDAP en Autriche doit être remplacé au début par une alliance avec la partie des éléments chrétiens sociaux qui est favorable à la Grande Allemagne et au Parti. Si l’Allemagne reconnaît l’indépendance nationale de l’Autriche, si elle garantit pleine liberté à l’opposition nationale autrichienne, il résultera d’un tel compromis que le Gouvernement autrichien sera constitué, au commencement, par une coalition de ces forces… Une conséquence ultérieure de cette attitude résidera dans la possibilité pour l’Allemagne de participer au pacte du Danube, ce qui diminuera la tension entre l’Allemagne et l’Autriche. De telles mesures auront des conséquences profitables sur la situation européenne et principalement sur nos relations avec l’Angleterre. On pourrait objecter que Schuschnigg ne tiendra guère à adopter un projet de ce genre et que, suivant toute probabilité, il communiquera immédiatement notre offre à nos adversaires. Naturellement, on doit tout d’abord examiner la possibilité de dresser Schuschnigg contre Starhemberg, par l’utilisation d’intermédiaires. Cette possibilité existe. Si Schuschnigg refuse finalement, et fait connaître nos offres à Rome, la situation n’en sera pas aggravée pour autant ; au contraire, les efforts du Gouvernement du Reich pour un règlement pacifique avec l’Autriche seront révélés, sans préjudice d’autres intérêts. Donc, même en cas de refus, cette dernière tentative serait un atout de plus. Je considère qu’il est tout à fait possible, qu’étant donné le mécontentement général produit dans les pays alpins par l’attitude pro-italienne et les crises très fortes à l’intérieur du Gouvernement fédéral – ou Bundesregierung – Schuschnigg saisira cette dernière occasion, toujours à condition que l’offre ne soit pas considérée comme un piège par les adversaires, mais qu’elle revête l’aspect d’un véritable et honnête compromis avec l’Autriche.

« En supposant acquis le succès de cette mesure, nous pourrions à nouveau intervenir activement dans la politique de l’Europe centrale, ce qui représenterait à rencontre des manœuvres des Français, des Tchèques et des Russes un énorme succès tant moral que pratique.

« Puisqu’il nous reste quinze jours pour accomplir un travail énorme, sous forme de contacts préliminaires et de conférences, une décision immédiate est nécessaire. Le ministre du Reich partage l’opinion exposée ci-dessus et le ministre des Affaires étrangères du Reich désire en discuter avec vous, mon Führer.

« Signé : Papen. »

En d’autres termes, von Papen voulait une assurance expresse et digne de foi du respect de l’indépendance autrichienne. Comme il l’expliquait, l’Allemagne n’avait rien à perdre en faisant ce pas, qu’on pourrait toujours qualifier de simple effort pour garantir la paix, et elle pourrait peut-être se trouver en état de convaincre Schuschnigg d’établir un gouvernement de coalition autrichienne, avec la participation de la NSDAP. De cette façon elle renforcerait singulièrement sa position en Europe. Finalement, von Papen conseillait de se dépêcher.

Exactement quatre jours plus tard, dans une allocution adressée au Reichstag, Hitler répondit à la suggestion de von Papen et affirma :

« L’Allemagne n’a ni l’intention ni le désir d’intervenir dans les affaires intérieures de l’Autriche, d’annexer l’Autriche ou de décider un Anschluss. » Le Ministère Public anglais se propose de déposer un document reproduisant ce discours. C’est une allocution historique bien connue.

Il est bon de prendre note de l’assurance donnée sur ce point, car pour diverses raisons, la suggestion de Papen et la déclaration de Hitler définissaient une politique tout à fait différente de leurs intentions réelles qui avaient été, et étaient toujours, d’intervenir dans les affaires intérieures de l’Autriche et de proclamer un Anschluss.

Ils poursuivirent ainsi, un certain temps, leur politique de pression modérée.

Le 1er mai 1936, Hitler dénonça dans un discours public, comme des mensonges toutes les déclarations suivant lesquelles le lendemain, ou le surlendemain, l’Allemagne attaquerait l’Autriche. J’invite le Tribunal à porter toute son attention sur la version de ce discours parue dans le Völkischer Beobachter, du 2 au 3 mai 1936, édition de l’Allemagne du Sud, page 2 et traduite dans le document PS-2367. Si Hitler pensait ce qu’il disait, ce n’était qu’au sens le plus littéral et le plus fallacieux : c’est-à-dire qu’il n’avait pas l’intention d’attaquer l’Autriche « le lendemain ou le surlendemain ». Les conspirateurs savaient fort bien que l’heureuse réalisation de leur dessein exigeait, pendant un certain temps encore, le maintien de la politique de modération qu’ils poursuivaient en Autriche.

Je dépose maintenant comme preuve notre document L-150 (USA-65), qui est le mémorandum d’une conversation qui eut lieu le 18 mai entre l’ambassadeur Bullitt et l’accusé von Neurath. Malheureusement, ce document figure en allemand dans votre livre de documents car, à la suite d’une erreur technique, il n’a pas été reproduit en anglais. Les avocats en ont des exemplaires en allemand. J’en lirai des extraits, et, en même temps, je remettrai à l’interprète allemand une copie annotée de la traduction allemande. Dans le premier paragraphe je ne lirai qu’une phrase :

« J’ai rendu visite, le 18 mai, à von Neurath, ministre des Affaires étrangères. J’ai eu avec lui une longue conversation sur la situation générale en Europe.

« Von Neurath me dit que la politique du Gouvernement allemand consistait à ne rien entreprendre, en matière d’affaires étrangères, tant que la Rhénanie ne serait pas “digérée”. Il expliqua qu’il voulait dire par là que, jusqu’à ce que les fortifications allemandes fussent édifiées sur les frontières française et belge, le Gouvernement allemand ferait tout son possible pour empêcher plutôt qu’encourager une intervention violente des nazis en Autriche et qu’il poursuivrait une politique conciliante à l’égard de la Tchécoslovaquie. Je cite : “Aussitôt que les fortifications seront achevées et que les pays de l’Europe centrale se rendront compte que la France ne peut plus pénétrer en territoire allemand, tous ces pays modifieront leur politique étrangère et un nouveau regroupement des forces se formera”. »

Je saute maintenant deux paragraphes et je continue :

« Von Neurath déclara ensuite qu’aucun accord n’avait été conclu entre l’Allemagne et l’Italie et reconnut que les démonstrations d’amitié entre ces deux pays n’étaient que de simples manifestations extérieures, sans fondement réel. Il continua en disant que, pour le moment, il ne voyait aucun moyen de concilier les conflits d’intérêts entre l’Allemagne et l’Italie en Autriche et qu’il y avait trois raisons pour que le Gouvernement allemand invitât les nazis autrichiens à se tenir tranquilles pour le moment. La première était que Mussolini avait mobilisé sur la frontière autrichienne la plus grande partie de son armée, qu’il tenait prête à faire entrer en action dès qu’un bon prétexte se présenterait. La seconde raison, qui incitait les nazis autrichiens à se tenir tranquilles pour l’instant, était que leur mouvement devenait de jour en jour plus fort. La jeunesse autrichienne se tournait de plus en plus vers les nazis, et la prédominance du parti nazi en Autriche était inévitable. Ce n’était qu’une question de temps. La troisième raison était que jusqu’à ce que les fortifications allemandes fussent construites sur la frontière française, la possibilité d’une guerre entre l’Allemagne et l’Italie risquait d’entraîner une attaque française contre l’Allemagne. »

Mais si l’Allemagne n’était pas encore prête à déclencher un conflit ouvert en Autriche, sa position diplomatique s’était notablement améliorée par rapport à ce qu’elle était en 1934. L’Autriche fut ainsi influencée et amenée à faire des concessions à l’Allemagne et à lui céder.

Je cite à nouveau le témoignage de Messersmith, page 11 du texte anglais, document PS-1760.

« L’évolution de la situation à la fin de 1935 et au printemps de 1936 donna à l’Allemagne l’occasion de faire des pas décisifs dans la voie de la conversion de l’Autriche au national-socialisme. L’Italie qui avait garanti à l’Autriche, de la façon la plus formelle, son concours contre toute agression extérieure de la part de l’Allemagne et qui avait incontestablement arrêté, une fois déjà, en mobilisant ses troupes, une action offensive allemande projetée contre l’Autriche, se lançait dans l’aventure éthiopienne. Ce fait, et la réoccupation de la Rhénanie en 1936, changèrent complètement l’équilibre des forces en Europe. Il était très clair qu’après que l’Italie se fut précipitée dans son aventure éthiopienne, elle n’était plus en mesure de s’opposer à l’agression déclenchée par l’Allemagne contre l’Autriche. »

Cet affaiblissement de l’Autriche ouvrit la voie à l’accord du 11 juillet 1936, qui fut conclu entre les Gouvernements allemand et autrichien. Ce traité sera déposé comme preuve par le Ministère Public britannique. Je demande simplement que le Tribunal considère qu’il a reçu la preuve de la conclusion de cet accord du 11 juillet 1936. Le caractère officiel de ce dernier sera également prouvé par nos collègues britanniques. Pour des raisons de commodité, ce document sera enregistré dans la série déposée par le Ministère Public anglais sous la cote TC-22. La substance de ce document apparaît également aux pages 11 et 12 de la déposition de M. Messersmith, PS-1760.

Du seul point de vue de cette lutte, l’accord semble être un grand succès pour l’Autriche. Il contient une clause assez confuse aux termes de laquelle l’Autriche, dans sa politique, et surtout à l’égard de l’Allemagne, se considéra comme un État allemand. Mais les deux autres clauses expriment clairement que l’Allemagne reconnaît l’entière souveraineté de l’Autriche et qu’elle n’exercera aucune action directe ou indirecte sur l’ordre politique intérieur autrichien, y compris la question du national-socialisme autrichien qui reste un problème intérieur de l’Autriche. Mais cet accord contient beaucoup plus d’éléments susceptibles d’éclairer les événements contemporains qu’on ne pourrait le croire. Je fais allusion au rapport de M. Messersmith, page 12 de sa déposition, document PS-1760 :

« Un accord officieux, bien plus important que les stipulations du pacte publié dans le communiqué officiel, fut conclu au même moment. Aux termes de ses clauses les plus importantes :

« 1º L’Autriche nommerait à des postes, dans le Cabinet, un certain nombre de personnes jouissant de la confiance du Chancelier mais animées d’intentions amicales à l’égard de l’Allemagne ;

« 2º Elle trouverait les moyens convenables pour donner à l’opposition nationaliste un rôle dans la politique du pays, dans le cadre du Front patriotique ;

« 3º Elle décréterait une amnistie pour tous les nazis incarcérés à l’exception de ceux convaincus des crimes les plus graves. »

Cette amnistie fut dûment proclamée par le Gouvernement autrichien et des milliers de nazis furent remis en liberté.

La première pénétration des nationalistes allemands dans le Gouvernement autrichien fut consacrée par la nomination du Dr Guido Schmidt au poste de secrétaire d’État aux Affaires étrangères et du Dr Edmund Glaise-Horstenau, comme ministre sans portefeuille.

Je dépose maintenant comme preuve le document PS-2994 (USA-66), qui est une déposition signée de Kurt von Schuschnigg, ancien Chancelier d’Autriche, faite à Nuremberg, Allemagne, le 19 novembre 1945. Les accusés ont reçu des traductions allemandes de ce témoignage.

Dr LATERNSER

Au nom de l’accusé Seyss-Inquart, je tiens à protester contre l’utilisation d’une déposition écrite du témoin von Schuschnigg pour les raisons suivantes : aujourd’hui, s’agissant du témoignage écrit de M. Messersmith, le Tribunal, dans sa décision, a émis l’avis que, pour un cas véritablement très important, il lui serait possible d’adopter un point de vue différent sur la question. En ce qui concerne le conflit autrichien, cela est bien le cas, puisque le témoin von Schuschnigg est le témoin le plus important ; il occupait en effet à ce moment le poste de Chancelier fédéral. Pour un témoin d’un tel poids, le principe de la preuve directe doit être respecté. L’accusé et son défenseur se sentiraient lésés dans les droits que leur reconnaît le Statut s’ils ne pouvaient même pas poser des questions au témoin. C’est pourquoi je dois maintenir mon point de vue, car le témoin von Schuschnigg serait également susceptible de confirmer certains faits en faveur de l’accusé Seyss-Inquart. Je demande donc au Tribunal de bien vouloir décider que la déposition écrite du témoin von Schuschnigg ne sera pas recevable.

LE PRÉSIDENT

Si vous avez terminé votre déclaration, le Tribunal entendra M. Alderman.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Je me propose simplement, en ce moment, de déposer ce témoignage, dans le but de montrer, en liaison avec l’accord officiel, les termes de l’accord secret conclu entre l’Allemagne et l’Autriche. Il ne s’agit en rien d’incriminer l’accusé Seyss-Inquart.

Dr LATERNSER

Puis-je ajouter encore que le témoin von Schuschnigg a été entendu à Nuremberg, le 19 novembre 1945, et que, si cette audition a été possible à ce moment-là, il devrait être tout aussi facile, après un si court laps de temps, de convoquer maintenant le témoin devant le Tribunal, afin qu’il vienne déposer sur des faits particulièrement importants pour l’accusé ?

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal suspend momentanément l’audience afin de régler cet incident.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a examiné les objections élevées contre le témoignage écrit de von Schuschnigg ; il leur fait droit. Si le Ministère Public désire citer von Schuschnigg comme témoin, il peut le faire. Si les avocats des accusés le désirent, ils peuvent également déposer une requête en ce sens. Au cas où il ne serait pas possible de faire comparaître von Schuschnigg à la barre, la question de l’admissibilité de ce moyen de preuve, constitué par son témoignage écrit et signé, sera examinée à nouveau.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Du fait que les nazis pratiquaient une politique de conciliation, comme je l’ai indiqué dans la partie du témoignage de Messersmith que j’ai déjà lue, de substantielles concessions furent faites par l’Autriche, pour obtenir de la diplomatie allemande, l’assurance formelle de l’indépendance de l’Autriche et la non-intervention dans ses affaires intérieures. La mise en liberté des nazis emprisonnés posait un problème policier, comme nous le lisons aux pages 12 et 13 de la dépêche envoyée en 1934, par M. Messersmith, au département d’État américain :

« Toute perspective de voir les nazis prendre le pouvoir, empêche d’exercer à leur encontre une action policière et judiciaire efficace, par crainte de représailles de la part d’un futur gouvernement nazi contre ceux qui, même à bon droit, auraient pris des mesures contre eux. La sauvegarde de la paix intérieure en Autriche dépend maintenant du respect que l’Allemagne témoignera vis-à-vis des engagements pris dans cet accord. »

L’Allemagne n’en continua pas moins son programme d’affaiblissement du Gouvernement autrichien. Dans le pacte du 11 juillet 1936, l’Allemagne consentait à ne pas intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures autrichiennes ni dans le mouvement national-socialiste autrichien. Cinq jours plus tard, le 16 juillet 1936, Hitler violait déjà cette clause. Je cite le document PS-812 (USA-61). Ce sont les rapports du Gauleiter Rainer au commissaire du Reich Bürckel qui devaient être transmis à l’accusé Seyss-Inquart (page 6 du texte anglais et, je suppose, page 6 du texte allemand) :

« À cette époque, le Führer exprima le désir de voir les chefs du Parti en Autriche, afin de leur faire part de son opinion sur ce que devaient faire les nationaux-socialistes autrichiens. Entre temps Hinterleitner fut arrêté et le Dr Rainer lui succéda comme chef du parti autrichien. Le 16 juillet 1936, le Dr Rainer et Globocnik rendirent visite au Führer à Obersalzberg, où leur furent communiquées, avec une claire explication de la situation, les intentions du Führer. Le 17 juillet 1936, tous les Gauleiter illégaux se rassemblèrent à Anif, près de Salzbourg, où ils reçurent un rapport complet de Rainer sur les déclarations du Führer et sur ses directives politiques pour la poursuite de la lutte. Globocnik et Hiedler leur firent part aussi des instructions relatives à l’organisation. »

Je saute un paragraphe qui est omis dans la version anglaise :

« Sur la proposition de Globocnik, le Führer nomma le Generalleutenant Gruppenführer Keppler, chef de la commission mixte qui avait, aux termes du traité du 11 juillet 1936, à contrôler l’exécution correcte de l’accord. En même temps, Keppler reçut du Führer pleins pouvoirs sur le Parti en Autriche. Après l’échec de Keppler dans ses efforts de collaboration avec le capitaine Léopold, qui avaient duré plusieurs mois, il travailla avec le Dr Rainer et Globocnik, puis avec Reinthaler, chef de la paysannerie, Kaltenbrunner (notre accusé actuel), chef des SS, Dr Jury, chef-adjoint du parti autrichien, ainsi qu’avec Glaise-Horstenau et Seyss-Inquart. »

M. Messersmith décrit brièvement la nouvelle tactique qui s’offrit alors aux nazis autrichiens. Je cite, à partir de la page 13, le document PS-1760 (USA-57).

« Les conséquences de cet accord furent bien celles qu’on pouvait en attendre, étant donné tous les faits et événements antérieurs. Les nazis reprirent activement leurs opérations en Autriche sous la direction d’un certain capitaine Léopold qui, de notoriété publique, était en rapports fréquents avec Hitler. Le programme des nazis consistait à former une organisation leur permettant de poursuivre ouvertement leurs activités avec l’approbation légale de l’Autriche. On créa en Autriche divers groupements sur une base parfaitement légale, mais qui n’étaient que des moyens pour les nazis d’Autriche de s’organiser et de s’introduire, par la suite, en groupes dans le Front patriotique. Le plus important était le “Ostmärkische Verein” (Union des Marches de l’Est), dont l’instigateur était le ministre de l’Intérieur Glaise-Horstenau. Grâce à son influence et à celle du journal “Neustädter Stürmer” favorable aux nazis, cette organisation fut déclarée licite par les Tribunaux. »

Je fais une mention spéciale des événements antérieurs parce qu’ils montrent le degré de désorganisation atteint par l’Autriche à la suite des activités ouvertes ou secrètes dirigées de l’intérieur de l’Allemagne. À ce sujet, je désire déposer comme preuve le document allemand PS-2246 (USA-67) que nous avons réussi à saisir et qui est un rapport de von Papen à Hitler, en date du 1er septembre 1936. Ce document est très intéressant parce qu’il révèle la tactique de von Papen après le 11 juillet 1936, pour mettre fin à l’indépendance autrichienne. Avec l’accord du 11 juillet, von Papen avait réalisé un grand pas en avant. On peut remarquer incidemment qu’après cet accord il fut nommé de simple ministre au poste d’ambassadeur.

Voici comment se développa sa tactique. Je cite les trois derniers paragraphes de sa lettre du 1er septembre 1936 au Führer Chancelier du Reich, (ces trois paragraphes sont réunis en un seul dans le texte anglais) :

« Les progrès que pourraient faire les relations normales avec l’Allemagne se heurtent à l’insistance continuelle du ministère de la sécurité, qui actuellement se trouve aux mains des anciens fonctionnaires hostiles au national-socialisme. C’est pourquoi il est absolument nécessaire d’effectuer des changements dans ce personnel ; mais on ne peut les espérer avant la conférence sur l’abolition du contrôle des Finances à Genève. Le Chancelier fédéral a informé le ministre von Glaise-Horstenau de son intention de lui offrir le portefeuille de l’Intérieur. Pour notre “Marschroute”, c’est-à-dire notre progression, je recommande, du point de vue tactique, la poursuite d’une patiente activité psychologique avec une pression lentement croissante dans le sens d’un changement de régime. La conférence prévue sur les relations économiques doit avoir lieu à la fin d’octobre, elle sera très utile pour réaliser quelques-uns de nos projets. Dans les discussions avec les fonctionnaires du gouvernement aussi bien qu’avec les chefs du parti illégal (Léopold et Schattenfroh), qui se conforment entièrement aux termes de l’accord du 11 juillet, j’essaie de diriger les développements ultérieurs de façon à obtenir une représentation corporative du mouvement dans le Front national, mais néanmoins, j’essaie de ne pas mettre les nationaux-socialistes à des postes importants pour le moment. Ces postes doivent cependant être occupés par des personnalités ayant l’appui et la confiance du mouvement. J’ai à cet égard un collaborateur actif en la personne du ministre Glaise-Horstenau.

« Signé : Papen. »

En résumé, ce rapport de von Papen à Hitler dévoile le plan suivant :

a) Obtenir un changement dans le personnel du ministère autrichien de la Sûreté, à un moment donné ;

b) Obtenir une représentation corporative du mouvement nazi dans le Front national ;

c) Ne pas placer provisoirement de véritables nationaux-socialistes à des postes importants, mais se servir de personnalités nationalistes ;

d) Exercer une pression économique et une action psychologique de longue haleine, en accentuant lentement cette pression pour obtenir un changement de régime.

J’aborderai maintenant la préparation diplomatique de la conquête de l’Autriche par l’Allemagne.

Le programme de la conspiration nazie à l’égard de l’Autriche consistait à l’affaiblir extérieurement et intérieurement, en lui retirant tout soutien de l’étranger et en pénétrant dans ses frontières. Ce programme est d’une importance essentielle, surtout parce que, comme le Tribunal s’en souviendra, les événements survenus en Autriche le 25 juillet 1934 avaient pour cause principale le fait que Mussolini avait amené ses troupes sur le Brenner et les avait postées là en se posant en protecteur puissant de son voisin du Nord, l’Autrichien. Pour réussir donc, à s’immiscer dans les affaires de l’Autriche et augmenter constamment la pression nécessaire pour obtenir le contrôle du pays, il fallait supprimer toute possibilité d’intervention de l’Italie ou de tout autre pays en faveur de l’Autriche. Mais le programme de politique étrangère des conspirateurs pour affaiblir et isoler l’Autriche n’était qu’une partie de leur programme général de politique étrangère en Europe.

C’est pourquoi j’aimerais interrompre un instant la présentation des preuves relatives à l’Autriche seule, et examiner avec le Tribunal, le programme général de la politique étrangère des nazis. Je n’ai pas l’intention d’examiner ce sujet en détail. Les historiens et les érudits qui fouilleront les archives mettront bien des années pour découvrir les détails et les ramifications de la diplomatie européenne pendant cette décade fatale. Mon but est bien plutôt de mentionner brièvement les points essentiels de la préparation diplomatique des conspirateurs nazis en vue de la guerre. À cet égard, j’aimerais déposer le document PS-2385 qui est un second témoignage de George S. Messersmith rédigé le 30 août 1945 à Mexico. Cet affidavit a été remis aux avocats en allemand et en anglais. C’est un témoignage tout à fait différent du document PS-1760, qui fut écrit le 28 août. Ce second témoignage que je dépose sous la cote USA-68, consiste en un exposé de la partie diplomatique du programme des conspirateurs nazis. Pour une grande part, il ne fait qu’énumérer des faits universellement connus et parvenus à la connaissance des gens généralement bien informés. Il relate aussi des faits bien connus des cercles diplomatiques et de ceux qui s’occupent d’affaires étrangères. Il comporte environ onze pages ronéotypées en texte serré. Je lis d’abord le paragraphe 3 de ce témoignage :

« Dès 1933, alors que j’étais en fonctions en Allemagne, j’eus avec des Allemands et des nazis de rang élevé aussi bien que de rang plus modeste, des contacts qui me révélèrent clairement les ambitions allemandes visant à dominer l’Europe du Sud-Est, de la Tchécoslovaquie à la Turquie. Comme ils le déclaraient ouvertement, leur objectif était une expansion territoriale quant à l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Les buts visés au cours des premières phases du régime nazi étaient, pour le restant de l’Europe du Sud-Est, les contrôles politique et économique. À cette époque, ils ne parlaient pas de façon si précise d’absorption ou de destruction de souverainetés. Leur ambition, cependant, ne se limitait pas au Sud-Est européen. Dès le début de 1933, et même avant l’accès des nazis au pouvoir, d’importantes personnalités nazies déclaraient ouvertement, en parlant de l’Ukraine : “Elle doit être notre grenier”, et “Même avec le Sud-Est européen sous notre contrôle, l’Allemagne réclame et doit avoir la majeure partie de l’Ukraine, afin d’être à même de nourrir le peuple de la Grande Allemagne”.

« Quand j’eus quitté l’Allemagne au milieu de l’année 1934 pour rejoindre mon poste en Autriche, je continuai à recevoir des informations sur les visées allemandes sur le Sud-Est européen. Dans une conversation que j’eus, en 1934, avec von Papen, peu de temps après sa nomination au poste de ministre d’Allemagne en Autriche, il me déclara franchement : “Le Sud-Est européen, jusqu’à la Turquie, constitue l’hinterland allemand, et j’ai été désigné pour amener la réalisation de ces tâches. L’Autriche est la première partie de notre programme”.

« Comme je l’appris par mes collègues du monde diplomatique, von Papen à Vienne, et son collègue von Mackensen à Budapest, propageaient ouvertement, dès 1935, l’idée du démembrement et de l’absorption définitive de la Tchécoslovaquie. »

Je saute ensuite un bref paragraphe et je reprends ma lecture :

« Immédiatement après la prise du pouvoir, ils entreprirent un vaste programme de réarmement. C’était là l’un des premiers objectifs du régime nazi. En fait, les deux buts immédiats du régime, au moment où il assuma la prise du pouvoir, étaient, selon les déclarations qui furent faites fréquemment devant moi : 1º Confirmer absolument et complètement leur pouvoir sur l’Allemagne et sur le peuple allemand afin qu’ils devinssent, à tous égards, les instruments dociles et actifs du régime ; 2º Établir une puissance armée formidable à l’intérieur de l’Allemagne, afin que le programme politique et économique dans le Sud-Est européen et en Europe pût être exécuté par la violence, si nécessaire, mais, de préférence par des menaces de violence. Il était significatif de constater qu’ils mettaient, dès le début de l’exécution de cette seconde intention, l’accent sur la construction d’une force aérienne écrasante. Göring et Milch m’ont souvent dit, ou ont déclaré en ma présence, que les nazis avaient décidé de concentrer une force aérienne comme l’arme de terreur la plus susceptible de donner à l’Allemagne une position prépondérante, et de se développer au mieux dans le délai le plus bref. »

Je passe la fin du paragraphe et je reprends la lecture du paragraphe suivant :

« Pendant que ce programme de réarmement était en cours d’exécution, le Gouvernement nazi prit toutes les mesures possibles pour préparer psychologiquement le peuple allemand à la guerre. D’un bout à l’autre de l’Allemagne, on voyait par exemple, la jeunesse allemande de tout âge occupée à des exercices militaires, entraînement, manœuvres en terrain varié, exercices de lancement de grenades, etc. À cet égard, j’envoyai de Berlin, en novembre 1933, une dépêche officielle, signalant : “Tout ce qui se fait aujourd’hui dans ce pays a pour objet de donner au peuple l’impression que l’Allemagne est menacée, dans ses forces vitales et sous tous les aspects de son existence, par des influences extérieures et par d’autres pays. On essaie d’exploiter ce sentiment afin de stimuler l’entraînement et les exercices militaires ; des mesures innombrables sont prises pour développer le peuple allemand et en faire une race dure, solide, capable de faire face à toute éventualité. L’esprit belliqueux grandit constamment ; il ne saurait en être autrement. Les chefs de l’Allemagne d’aujourd’hui, n’ont aucun désir de paix à moins que ce soit une paix que le monde acceptera au prix d’une soumission totale aux ambitions et aux désirs allemands. Hitler et ses complices désirent, en toute sincérité, la paix pour le moment, mais seulement pour pouvoir recourir immédiatement à la force, si cette solution s’avère finalement nécessaire. Ils préparent leurs voies si soigneusement, qu’à mon avis il ne peut y avoir aucun doute que le peuple allemand ne soit à leurs côtés lorsqu’ils voudront utiliser la violence et quand ils estimeront qu’ils ont les moyens nécessaires pour atteindre leurs buts”… »

Je cite la phrase suivante :

« Les préparatifs militaires et psychologiques se sont ajoutés aux manœuvres diplomatiques qui tendaient à désunir et isoler les victimes envisagées, afin de les rendre incapables de toute défense contre une attaque allemande. »

En 1933, l’Allemagne se trouva aux prises avec d’autres difficultés dans le domaine diplomatique et politique. La France était la puissance militaire prépondérante sur le continent ; elle avait établi un système d’assistance mutuelle à l’Est et à l’Ouest. Le Pacte de Locarno de 1928, complété par l’alliance franco-belge, garantissait le statu quo territorial à l’Ouest. La Yougoslavie, la Tchécoslovaquie et la Roumanie constituaient la Petite Entente, et chacun de ces pays était lié avec la France par un pacte d’assistance mutuelle ; depuis 1922, la France et la Pologne avaient signé un pacte contre toute agression étrangère. L’Italie avait clairement exprimé son intérêt particulier au maintien de l’indépendance de l’Autriche.

L’Allemagne nazie lança une vigoureuse campagne diplomatique pour briser les alliances existantes, pour créer des divisions entre les membres de la Petite Entente et les autres puissances européennes de l’Est.

L’Allemagne nazie s’efforça essentiellement de briser ces alliances par des promesses d’avantages économiques qui devaient découler d’une collaboration avec elle. Certains pays reçurent des promesses extravagantes d’avantages territoriaux et économiques. L’Allemagne offrit la Carinthie autrichienne à la Yougoslavie. Elle offrit une partie de la Tchécoslovaquie à la Hongrie, et une autre à la Pologne. Elle offrit une partie du territoire yougoslave à la Hongrie, en même temps qu’elle offrait des territoires hongrois à la Yougoslavie. M. Messersmith déclare, page 5 de sa déclaration sous serment, document PS-2385 :

« L’Autriche et la Tchécoslovaquie étaient les premières visées par le programme allemand d’agression. Dès 1934, l’Allemagne commença à faire la cour aux voisins de ces pays, avec des promesses de participation au pillage. À la Yougoslavie, en particulier, les Allemands offrirent la Carinthie. S’agissant de la réaction des Yougoslaves, j’adressai, à l’époque, un rapport en ce sens :

« Le facteur essentiel de la situation intérieure au cours de la semaine dernière a été l’accroissement de la tension produite par la question des réfugiés nazis autrichiens en Yougoslavie… Il est très vraisemblable que Göring, quand il a entrepris son voyage dans diverses capitales du Sud-Est européen, il y a environ six mois, a dit aux Yougoslaves qu’ils obtiendraient une partie de la Carinthie dès qu’un gouvernement national-socialiste prendrait le pouvoir en Autriche… Ce ferment nazi déposé en Yougoslavie a suffi pour occasionner des troubles et il y a, sans doute là-bas, un assez grand nombre de gens qui considèrent d’un œil bienveillant ces réfugiés nazis qui se rendirent en Yougoslavie dans les jours qui suivirent le 25 juillet. »

« L’Allemagne fit aussi des promesses de gains territoriaux à la Hongrie et à la Pologne afin d’obtenir leur collaboration ou, tout au moins, leur accord dans le démembrement que l’on se proposait d’opérer en Tchécoslovaquie. Comme je l’appris par mes collègues diplomates à Vienne, von Papen et von Mackensen propageaient à Vienne et à Budapest, en 1935, l’idée d’un partage de la Tchécoslovaquie, au terme duquel l’Allemagne devait obtenir la Bohême, la Hongrie, la Slovaquie, et la Pologne le reste. Ces promesses ne trompèrent aucun de ces pays, car ils savaient que l’intention de l’Allemagne nazie était de tout prendre pour elle.

« Le Gouvernement de l’Allemagne nazie n’hésitait pas à faire des promesses inconsidérées lorsqu’elles étaient susceptibles de servir ses buts immédiats. Je me souviens que le ministre de Yougoslavie à Vienne me dit, en 1934 ou 1935, que l’Allemagne avait promis à la Hongrie des territoires yougoslaves en même temps qu’elle promettait à la Yougoslavie des portions de territoires hongrois. Le ministre de Hongrie à Vienne me donna plus tard la même information.

« Je désire insister, dans cette déclaration, sur le fait que, parmi les hommes qui firent ces promesses, ne figuraient pas uniquement des nazis fanatiques, mais aussi des Allemands conservateurs qui avaient déjà commencé à se prêter à la réalisation de ce programme nazi. Dans une dépêche officielle au département d’État, expédiée de Vienne le 10 octobre 1935, j’écrivais ce qui suit :

« L’Europe ne se débarrassera pas du mythe que Neurath, Papen et Mackensen ne sont pas des hommes dangereux et qu’ils sont des “diplomates de la vieille école”. Ils sont, en fait, les instruments serviles du régime et capables de travailler d’autant plus efficacement que le monde extérieur les considère précisément comme inoffensifs. Ils peuvent d’autant mieux semer la discorde qu’ils propagent la légende qu’ils ne sympathisent pas avec le régime. »

Je trouve que ce dernier paragraphe est très important et mérite qu’on s’y attarde. En d’autres termes, l’Allemagne nazie était capable d’encourager ces divisions et d’accroître ses propres forces d’agression, en utilisant comme porte-parole de ses promesses, des hommes dont les apparences extérieures étaient celles de diplomates conservateurs. Il est vrai que les nazis se moquaient de toute notion d’obligation internationale, comme je le montrerai dans un moment. Il est non moins vrai que les véritables atouts dans les mains de l’Allemagne étaient son réarmement et plus encore sa volonté d’entrer en guerre. Cependant l’attitude des divers pays n’était pas influencée par ces seules considérations. Nous ne sommes pas toujours raisonnables en jugeant tous ces pays et tous ces personnages. Nous avons tendance à croire ce que nous désirons croire. Et lorsqu’une personnalité conservatrice et digne de crédit, telle que l’accusé von Neurath, prononce des paroles semblables, on a tendance à lui faire foi ou tout au moins à agir suivant une telle hypothèse. L’impression est encore plus forte si l’on croit que la personne en question n’est pas nazie et qu’elle ne s’abaissera pas à la réalisation des plans nazis.

Des tentatives de rapprochement de l’Allemagne avec la Grande-Bretagne et la France se manifestèrent sous le manteau d’une expansion limitée, en garantie du maintien de la paix. Elle signa un traité de limitation des armements navals avec l’Angleterre et prit part aux négociations du pacte aérien de Locarno. En face de la France et de l’Angleterre, elle limita ses exigences en revenant sans cesse sur le thème de la crainte du communisme et de la guerre.

En faisant ces diverses promesses, l’Allemagne ne s’inquiétait guère du caractère sacré des obligations internationales. Des nazis de rangs élevés tels que Göring, Frick et Frank, déclarèrent ouvertement à M. Messersmith que l’Allemagne n’observerait ces engagements internationaux qu’aussi longtemps que ce serait conforme aux intérêts allemands. Je cite la dixième ligne de la page 4 du texte anglais de cet affidavit, document PS-2385.

« De hautes personnalités nazies, avec lesquelles je devais maintenir des contacts officiels, en particulier des hommes tels que Göring, Goebbels, Ley, Frick, Frank, Darré et d’autres se moquèrent à différentes reprises, de ma conviction du caractère obligatoire des traités et me déclarèrent ouvertement que l’Allemagne n’observerait ces engagements internationaux qu’autant qu’ils resteraient conformes à ses intérêts. Bien que ces déclarations m’aient été faites publiquement – et je suis sûr qu’elles ont également été faites à d’autres personnes – ces chefs nazis n’ont à proprement parler révélé aucun secret, car ils ont fréquemment exprimé en public les mêmes idées. »

La France et l’Italie travaillaient activement dans le Sud-Est européen pour contrecarrer l’activité des Allemands.

LE PRÉSIDENT

Croyez-vous que ce moment convienne pour interrompre votre exposé ?

M. ALDERMAN

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Nous suspendons l’audience jusqu’à dix heures demain matin.

(L’audience sera reprise le 29 novembre 1945 a 10 heures.)