Huitième journée
Jeudi 29 novembre 1945.

Audience du matin.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Avant de poursuivre l’examen du deuxième affidavit de M. Messersmith, document PS-2385 (USA-68), j’aimerais revenir brièvement devant le Tribunal sur les questions traitées dans le premier témoignage de Messersmith présenté par les États-Unis, document PS-1760 (USA-57). Vous vous souviendrez que dans cette déposition M. Messersmith a fait les déclarations générales suivantes :

1. Bien que l’Allemagne nazie déclarât qu’elle respecterait l’indépendance de l’Autriche, elle avait en fait l’intention, dès le début, de réaliser l’Anschluss et l’accusé von Papen travaillait dans ce but.

2. Bien que l’Allemagne nazie prétendît en apparence n’avoir rien de commun avec les nazis autrichiens, elle resta en fait en relation avec eux, leur donna des encouragements et les dirigea.

3. Tandis qu’ils se préparaient à user éventuellement de la force en Autriche, si c’était nécessaire, les nazis utilisaient une tactique d’infiltration silencieuse pour affaiblir l’Autriche de l’intérieur en se servant des membres du Front chrétien qui n’étaient pas nazis d’une façon avouée et pouvaient être considérés comme l’opposition nationaliste, trouvaient de nouvelles dénominations pour les organisations nazies afin de pouvoir les incorporer d’un seul bloc au Front patriotique d’Autriche.

Procédons maintenant à un rapide examen de ce qu’apportent quelques-uns de nos documents allemands à l’appui de l’affidavit Messersmith. Les extraits du rapport de Rainer à Bürckel que j’ai déjà lus et qui sont contenus dans la lettre adressée à Seyss-Inquart, document PS-812 (USA-61), montraient d’abord que les groupes nazis autrichiens restèrent en contact avec le Reich, mais en secret, suivant les instructions du Führer. Deuxièmement, que les nazis poursuivirent leur activité en secret afin d’être prêts en cas d’urgence. Troisièmement, qu’ils se servirent de gens comme Seyss-Inquart et Glaise Horstenau, qui avaient ce qu’ils appelaient « une bonne situation légale » et en qui les nazis pouvaient avoir confiance, que cinq jours après le pacte du 11 juillet 1936 entre l’Allemagne et l’Autriche, pacte par lequel le Gouvernement allemand s’engageait à ne pas intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures de l’Autriche, y compris la question du national-socialisme autrichien, les nazis autrichiens rencontrèrent Hitler à Obersalzberg et reçurent de nouvelles instructions ; enfin, que Hitler utilisa les services de Keppler, dont nous verrons bientôt apparaître le nom avec sa pleine signification, comme agent de liaison avec les nazis autrichiens, nanti de pleins pouvoirs pour agir en Autriche au nom du Führer et pour travailler avec les leaders nazis autrichiens.

Puis, nous avons présenté le document PS-2247 (USA-64), lettre de von Papen à Hitler du 17 mai 1935. Ce document montre que von Papen avait été en contact avec le capitaine Léopold, et aussi que von Papen poussa Hitler à promettre solennellement son indépendance à l’Autriche afin d’assurer sa propre position politique à l’intérieur de l’Autriche.

Ensuite nous avons présenté le document PS-2248 (USA-63), lettre de von Papen en date du 27 juillet 1935, examinant la situation un an après la mort de Dollfuss et indiquant comment le national-socialisme pouvait être l’instrument de l’Anschluss et comment ce national-socialisme pourrait supplanter les idéologies autrichiennes. Von Papen s’identifiait lui-même totalement avec les buts du national-socialisme.

Nous avons présenté également le document PS-2246 (USA-67), lettre de von Papen à Hitler en date du 1er septembre 1936, qui montre que von Papen préconisait l’exercice d’une pression psychologique continuelle et d’une pression économique ; qu’il s’était entretenu avec les chefs du parti illégal autrichien ; qu’il essayait de diriger son développement ultérieur afin d’obtenir une représentation corporative du mouvement au sein du Front patriotique et que, cependant, il n’était pas disposé à pousser à ce que des nationaux-socialistes avoués fussent placés à des postes de premier plan, mais qu’il était satisfait de collaborateurs tels que Glaise-Horstenau.

Je crois que pratiquement, toutes les déclarations contenues dans l’affidavit Messersmith ont été confirmées par ces documents, ces documents allemands que nous avons produits. Certaines parties des affidavits ne peuvent pas être corroborées par des documents, quant au caractère exact des événements, et je fais ici particulièrement allusion à la conversation de M. Messersmith avec l’accusé von Papen en 1934 dont j’ai donné lecture au Tribunal hier, mais je pense que ces questions sont manifestement exactes et claires quant à la culpabilité et à la complicité des accusés.

Hier, j’ai lu devant le Tribunal des passages du second affidavit de M. Messersmith, document PS-2385 (USA-68), relatifs aux préparatifs diplomatiques de la guerre. Avant que le Tribunal ne suspende l’audience, j’avais lu des extraits qui établissaient les propositions suivantes :

1. L’Allemagne nazie mena une violente campagne pour briser les accords diplomatiques qui existaient en 1933 : à l’Ouest, le pacte de Locarno, renforcé par l’accord franco-belge ; à l’Est, la Petite Entente, Yougoslavie, Tchécoslovaquie et la Pologne, et leurs pactes respectifs d’assistance mutuelle avec la France, ainsi que le pacte franco-polonais ; enfin en ce qui concerne l’Autriche, les intérêts particuliers de l’Italie pour l’indépendance de l’Autriche.

2. L’Allemagne nazie riposta à ces alliances en faisant des promesses extravagantes et parfois inconsistantes de gains territoriaux à des pays du Sud-Est de l’Europe tels que la Yougoslavie, la Hongrie et la Pologne.

3. M. Messersmith adressa une communication officielle au département d’État, faisant remarquer que des gens tels que von Neurath et von Papen pouvaient exercer une action beaucoup plus efficace quand ils faisaient ces promesses ou à l’occasion de leurs fonctions parce que, disait-il, « ils propageaient l’idée qu’ils n’étaient pas en sympathie avec le régime ».

4. En fait, les hauts dignitaires nazis déclaraient ouvertement que l’Allemagne ne remplirait ses obligations internationales qu’aussi longtemps que cela lui conviendrait.

Il y a deux autres passages que j’aimerais lire dans cet affidavit : La France et l’Italie travaillèrent activement dans le Sud-Est de l’Europe pour s’opposer au mouvement allemand d’expansion, comme je l’ai dit hier. La France tenta de susciter un Pacte de Locarno de l’Est et de provoquer un accord économique entre l’Autriche et les autres puissances danubiennes. L’effort de l’Italie consista à organiser un bloc économique comprenant l’Autriche, la Hongrie et l’Italie, mais l’Allemagne fit échouer ces efforts en redoublant ses promesses de butin, en poursuivant son armement et en usant d’une autre tactique très particulière : la Cinquième colonne, à l’aide de laquelle les nazis fomentèrent des dissensions intérieures dans les États voisins afin de désunir et d’affaiblir les pays qu’ils avaient choisis pour victimes.

Je vais lire d’abord, à la page 7 de l’exemplaire anglais du deuxième affidavit Messersmith, document PS-2385 (USA-68), le paragraphe qui commence au milieu de la page :

« Au moment même où l’Allemagne faisait de telles promesses de reconnaissance à ceux qui coopéraient à son programme, elle fomentait des dissensions intérieures dans ces pays eux-mêmes, en Autriche et en Tchécoslovaquie en particulier. Toutes ces manœuvres étaient destinées à affaiblir toute opposition et à renforcer l’activité des groupes pro-nazis et fascistes, de telle façon que le programme allemand pût être imposé pacifiquement. J’ai déjà relaté en détail, dans un affidavit distinct, les machinations en Autriche, telles que j’ai pu les observer directement. En Tchécoslovaquie, les nazis employèrent la même tactique avec les Allemands des Sudètes. Une information de source autorisée m’a appris que le parti nazi à dépensé plus de 6.000.000 de marks à financer le parti Henlein pour les seules élections du printemps 1935. En Yougoslavie, l’Allemagne joua sur les vieux différends qui séparaient les Croates et les Serbes et sur la crainte qu’inspirait la restauration des Habsbourg en Autriche. On peut remarquer ici que ce dernier argument était l’un des plus efficaces qu’ait utilisés l’Allemagne nazie, étant donné que la crainte d’une restauration des Habsbourg était réelle, en Yougoslavie particulièrement. En Hongrie, elle joua sur les difficultés agraires et en même temps encouragea si ouvertement les éléments allemands nazis qu’elle amena le Gouvernement hongrois à demander le rappel de von Mackensen en 1936. En Hongrie et en Pologne, elle tabla sur la crainte du communisme et de la Russie communiste. En Roumanie, l’Allemagne accrut l’antisémitisme déjà existant en soulignant le rôle important des Juifs dans l’industrie roumaine et l’origine juive de Lupescu. Il est indubitable que l’Allemagne a aussi financé la Garde de Fer fasciste par l’intermédiaire de Codreanu.

« De telles mesures “diplomatiques”, renforcées par le vaste programme de réarmement allemand, eurent un effet considérable particulièrement en Yougoslavie, en Pologne et en Hongrie et suffirent au moins à empêcher ces pays d’adhérer à toute combinaison opposée aux desseins de l’Allemagne, sinon à les persuader de s’allier activement à l’Allemagne nazie. D’importants chefs politiques yougoslaves avaient acquis la conviction que le régime nazi se maintiendrait au pouvoir et atteindrait ses buts et que la sécurité de la Yougoslavie demandait qu’elle entrât dans le jeu de l’Allemagne. »

Je ne veux pas abuser du temps du Tribunal en donnant lecture des preuves que constituent les dépêches officielles détaillées adressées par M. Messersmith au Département d’État américain, et montrent que la Yougoslavie, la Hongrie et la Pologne commençaient à entrer dans le jeu allemand.

Quant à l’Italie, le but initial de l’Allemagne était de semer la discorde entre la Yougoslavie et l’Italie en promettant à la Yougoslavie des territoires italiens, en particulier Trieste. Cette politique devait empêcher la France de s’allier avec ces pays pour réaliser un Pacte de Locarno de l’Est. À ce sujet, je citerai encore le document PS-2385 (USA-68), second affidavit de Messersmith, au milieu de la page 10 dans le texte anglais :

« Tandis que l’Italie s’opposait ouvertement à l’Anschluss avec l’Autriche en 1934, les ambitions italiennes en Abyssinie fournirent à l’Allemagne l’occasion de semer la discorde entre l’Italie, la France et l’Angleterre, et d’obtenir de l’Italie, l’acception du programme allemand en échange de son assistance pour la réalisation des plans italiens en Abyssinie. »

Plaise au Tribunal. Ce fait prépara la voie à la Déclaration austro-allemande ou Pacte du 11 juillet 1936 ; à l’automne de 1936, l’Allemagne offrit son amitié à l’Italie et consacra les buts communs des deux pays par une alliance qui prit le nom d’« Axe Rome-Berlin ». Celle-ci, qui venait s’ajouter à l’alliance de l’Allemagne avec le Japon, accrut la puissance de l’Allemagne et la pression qu’elle exerçait sur l’Angleterre.

Ainsi, au moyen d’une soigneuse préparation du terrain diplomatique en particulier, les conspirateurs nazis avaient pu acquérir une situation qui leur permît d’envisager sérieusement des plans de guerre et de commencer à établir des prévisions dans ce domaine, non pas des prévisions fixées en mois et en jours, mais de larges projets pour les années à venir, qui constituaient la base nécessaire à leurs plans futurs d’agression et leur permettraient d’établir par la suite des plans plus précis. Ce programme fut mis au point, comme le Tribunal a déjà pu le voir, au cours de la conférence du 5 novembre 1937, objet de notre document PS-386 (USA-25), le rapport Hossbach que j’ai examiné en détail lundi dernier. Nous voyons se cristalliser dans ce rapport, le plan des guerres d’agression contre l’Europe et de la mainmise sur l’Autriche et la Tchécoslovaquie.

En relation avec l’exposé sur l’agression contre l’Autriche, j’ai montré d’abord le but du complot nazi quant à l’absorption de l’Autriche, puis les mesures prises par les nazis en Autriche jusqu’à ce moment, c’est-à-dire novembre 1937. J’ai aussi donné au Tribunal un aperçu des préparatifs généraux des conspirateurs nazis sur le plan diplomatique, quant à leur programme pour l’Europe en général et pour l’Autriche en particulier.

Il serait peut-être intéressant d’examiner à nouveau le compte rendu de la réunion du 5 novembre 1937, en tenant compte de ces nouveaux détails. On se souviendra qu’au cours de cette réunion le Führer insista sur le fait que l’Allemagne devait avoir plus d’espace en Europe. Il décida que l’espace nécessaire devait être pris par la force ; trois possibilités différentes furent envisagées pour plusieurs éventualités, aboutissant toutes à la conclusion que le problème devrait être résolu avant la période s’étendant de 1934 à 1945. Puis on y envisagea la nature d’une guerre déclenchée dans ce proche avenir, en particulier contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Hitler déclara que pour améliorer la situation militaire et politique de l’Allemagne, le premier but des nazis, en cas de guerre, devait être de conquérir la Tchécoslovaquie et l’Autriche simultanément, afin d’éloigner toute menace par les flancs, dans l’hypothèse d’une avance vers l’Ouest. Puis, Hitler considéra que l’incorporation à l’Allemagne de la Tchécoslovaquie et de l’Autriche constituerait un gain de 5.000.000 à 6.000.000 de rations alimentaires, si l’on procédait à l’émigration forcée de 1.000.000 de personnes en provenance de l’Autriche. Il signala, en outre, que l’annexion des deux États à l’Allemagne constituerait, sur les plans militaire et politique, un soulagement considérable, étant donné qu’il en résulterait des frontières plus courtes et meilleures, que du personnel combattant serait ainsi rendu libre pour d’autres buts, et que l’on pourrait constituer de nouvelles armées.

En tant qu’il concerne l’Autriche, ce rapport révèle une cristallisation de la politique des conspirateurs nazis. Ils avaient toujours eu pour but d’acquérir l’Autriche. Dès le début, ils tentèrent un putsch révolutionnaire, mais ce plan échoua. Pendant la période suivante, ils reconnurent, en apparence, l’indépendance de l’Autriche et employèrent des moyens détournés afin de renforcer la position des nazis à l’intérieur. Mais, il devenait clair cependant que la nécessité d’annexer l’Autriche, ou du moins l’avidité des nazis, était assez grande pour autoriser l’usage de la force, afin de s’en saisir avec la rapidité requise. En fait, comme nous le verrons plus tard, les nazis purent s’emparer de l’Autriche après l’avoir affaiblie intérieurement et avoir éloigné d’elle l’aide de toutes les autres nations, en mettant simplement en branle l’appareil militaire allemand, et en se servant de cette force comme d’une menace. Les Armées allemandes purent traverser la frontière et s’emparer de tout le pays sans tirer un coup de fusil. Leurs minutieux plans d’attaque et la rapidité avec laquelle ils utilisèrent la guerre comme un instrument d’action politique, leur permirent de cueillir ce fruit sans le moindre combat.

Bien entendu, le Haut Commandement allemand avait considéré auparavant la nécessité de préparer les opérations contre l’Autriche. J’apporte en preuve un autre document allemand, le document C-175 (USA-69). Celui-ci aussi est « Très secret » et porte la mention en allemand « Chefsache nur durch Offizier » (À ne transmettre que par officier).

C’est une directive secrète, en date du 24 juin 1937, du ministre de la Guerre du Reich et Commandant en chef des Forces armées, le général von Blomberg. L’importance de cette directive très secrète est indiquée par le fait que la copie reçue par le Commandant en chef de la Marine était l’un des quatre seuls exemplaires de ce document qui établissait l’unification des préparatifs de guerre de toutes les Forces armées. Cette directive du général von Blomberg prévoit que, bien que l’Allemagne, étant donné la situation politique, n’ait pas à prendre en considération une agression, de quelque côté que ce soit, elle n’a pas l’intention non plus de déclencher une guerre européenne. Puis elle déclare, dans sa première partie, à la page 2 du texte anglais qui est, je crois, la page 4, paragraphe 3, du texte allemand, et je cite :

« L’intention de déclencher une guerre européenne n’est qu’à peine envisagée par l’Allemagne ; néanmoins la situation mondiale politiquement trouble, qui n’exclut pas les surprises, exige que les Forces armées allemandes soient continuellement prêtes à la guerre :

« a) Pour contre-attaquer à tout moment ;

« b) Pour permettre d’exploiter sur le plan militaire les occasions politiques favorables qui pourraient se présenter. »

La directive indique alors qu’il sera procédé à certains préparatifs de guerre, de nature générale. Je cite les deux premiers passages du paragraphe 2, page 2 du texte anglais et, je crois, page 5 du texte allemand :

« 2. Les préparatifs de nature générale comprennent les mesures suivantes :

« a) Se tenir prêt d’une façon permanente pour la mobilisation des Forces armées allemandes, avant même que le réarmement ne soit achevé et que l’on soit entièrement prêt à faire la guerre.

« b) Continuer à préparer la “mobilisation secrète” afin de mettre les Forces armées en état d’entrer en guerre soudainement et par surprise, et cela aussi bien dans le domaine de la puissance que dans celui de la rapidité. »

Enfin cette directive indique qu’il pourrait être procédé à des préparatifs de guerre spéciaux contre l’Autriche ; je cite la troisième partie du document (1). « Cas spécial Otto », à la page 4 du texte anglais, page 19 du texte allemand. Le « Cas Otto », comme vous pourrez le voir, était le terme de code qui désignait ces préparatifs de guerre contre l’Autriche. Je cite :

« Intervention armée en Autriche en cas de restauration de la monarchie.

« Cette opération aura pour objet de contraindre l’Autriche, par le moyen de la Force armée, à renoncer à une restauration.

« Utilisant les divisions politiques intérieures, l’entrée en Autriche sera faite en direction générale de Vienne et brisera toute résistance. »

Je désirerais attirer maintenant l’attention du Tribunal sur deux conversations qu’eut l’ambassadeur des États-Unis Bullitt, avec les accusés Schacht et Göring en novembre 1937.

PROFESSEUR Dr FRANZ EXNER (avocat de l’accusé Jodl)

Je voudrais formuler des objections sur la manière dont le document C-175 (USA-69), a été utilisé. Ce document est une étude faite par l’État-Major général qui envisage plusieurs éventualités de guerres différentes. Il mentionne même la possibilité que l’Allemagne ait à faire la guerre contre l’Espagne et doive intervenir militairement contre elle. Seule une partie de ce document, celle qui se rapporte à l’Autriche, a été lue, et on a ainsi donné l’impression qu’il s’agissait surtout d’un plan d’invasion de l’Autriche alors qu’en réalité le Reich n’avait pas à ce moment d’intention agressive et se préparait simplement à toutes les éventualités.

Je voudrais demander que l’on complétât la lecture de ce document, en donnant au moins lecture des têtes de chapitres. Si ces chapitres sont portés à la connaissance du Tribunal, on pourra voir qu’il ne s’agit pas d’un plan d’invasion de l’Autriche mais simplement de préparatifs pour toutes les éventualités.

LE PRÉSIDENT

Docteur Exner, votre objection ne semble pas porter sur l’admissibilité du document, mais sur sa valeur probatoire. Le Tribunal a déjà informé les défenseurs qu’ils auront l’occasion en temps voulu, quand ils en viendront à préparer leurs plaidoiries, de se référer à tous les documents dont les extraits auront été présentés par le Ministère Public et d’en lire alors tels extraits qu’il leur apparaîtra nécessaire, ainsi que d’apporter toutes les critiques qu’ils jugeront utiles.

Votre objection est donc prématurée, puisqu’il ne s’agit pas ici de l’admissibilité du document et que vous exprimez simplement le vœu qu’il en soit lu de plus larges extraits. Vous aurez plus tard l’occasion de lire toutes les parties du document que vous désirerez.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Je pense que la base fondamentale de l’objection qui vient d’être faite par mon distingué adversaire, réside dans la théorie selon laquelle l’Allemagne n’a jamais fait de plan d’invasion de l’Autriche ; dans ce cas, il paraîtrait s’ensuivre que l’Allemagne n’a jamais envahi l’Autriche et que peut-être l’Histoire s’est trompée.

Je venais de faire allusion à deux conversations entre l’ambassadeur des États-Unis Bullitt et les accusés Schacht et Göring, en novembre 1937. J’apporte en preuve le document L-151 (USA-70). C’est une dépêche de M. Bullitt, ambassadeur des États-Unis à Paris, au secrétaire d’État américain, en date du 23 novembre 1937. Je suis une fois de plus navré, car ce document ne figure pas dans le livre de documents remis aux membres du Tribunal, mais sa traduction allemande a été communiquée à la Défense.

Avec l’autorisation du Tribunal, je lirai le document original. En tête, figure une lettre de l’ambassadeur Bullitt, datée du 23 novembre 1937, déclarant qu’à son retour de Varsovie, il s’est arrêté à Berlin où il s’est entretenu entre autres, avec Schacht et Göring.

Sur la conversation avec Schacht, je lirai la page 2 du rapport :

« Schacht déclara qu’à son avis, le meilleur moyen d’agir sur Hitler au cours d’une discussion était de se placer sur le terrain économique et non sur le terrain politique. Hitler ne s’intéressait absolument pas aux questions économiques ; il considérait l’argent comme de la boue. Il était donc possible de discuter avec lui, dans le domaine économique sans éveiller son antipathie, et, au moyen de conversations entamées sur ce terrain, de l’amener à des accords dans les domaines politique et militaire qui l’intéressaient fortement. Hitler était décidé à rattacher éventuellement l’Autriche à l’Allemagne et à obtenir au moins l’autonomie pour les Allemands de Bohême. Pour le moment, la question du Corridor de Pologne n’était pas au premier rang de ses préoccupations, et, suivant l’opinion de Schacht, il aurait peut-être été possible de maintenir le Corridor, à condition que Dantzig pût être rattaché à la Prusse Orientale et que l’on pût établir à travers le Corridor une sorte de pont, unissant Dantzig et la Prusse Orientale à l’Allemagne. »

Quant aux déclarations de l’accusé Göring à l’ambassadeur Bullitt, je lirai un extrait du second mémorandum : « Mémorandum d’une conversation entre l’ambassadeur Bullitt et le général Hermann Göring », à la page 2 de ce document, à la suite d’une phrase soulignée, un peu après le milieu de la page :

« La seule cause de friction entre l’Allemagne et la France était le refus de la France d’autoriser l’Allemagne à satisfaire certaines nécessités nationales vitales.

« Si la France, au lieu d’accepter la collaboration avec l’Allemagne devait continuer à poursuivre une politique de construction d’alliances dans l’Est de l’Europe pour empêcher l’Allemagne d’atteindre ses buts légitimes, il est évident qu’il en naîtrait un conflit entre la France et l’Allemagne. Je demandai à Göring de quel but particulier il voulait parler. Il répondit : “Nous sommes décidés à unir au Reich tous les Allemands qui ont des frontières communes avec le Reich et ne sont séparés du grand corps de la race allemande que par les barrières artificielles imposées par le Traité de Versailles”.

« Je demandai à Göring s’il voulait dire que l’Allemagne fût absolument décidée à annexer l’Autriche. Il répondit que c’était là une résolution absolue du Gouvernement allemand. Le Gouvernement, pour le moment, ne se hâtait pas de résoudre cette question à cause de certaines considérations politiques, en particulier celle de ses relations avec l’Italie. Mais l’Allemagne ne tolérerait aucune solution de la question autrichienne autre que la réunion de l’Autriche au Reich. Il ajouta alors la déclaration suivante qui allait plus loin que toutes celles que j’avais entendues auparavant sur ce sujet. “On étudie actuellement des plans en vue d’une union de l’Autriche, de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie avec ou sans un Habsbourg à la tête. Une telle solution est absolument inacceptable pour nous, et la conclusion d’un tel accord serait pour nous un casus belli immédiat”. »

Göring utilisa l’expression latine casus belli ; ce n’est pas une traduction de l’allemand, langue dans laquelle fut tenue cette conversation.

« Je demandai à Göring si le Gouvernement allemand était aussi décidé dans ses intentions relatives aux Allemands de Bohême qu’il l’était vis-à-vis de l’Autriche. Il me répondit qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule solution de cette question. Les Allemands des Sudètes devaient entrer dans le Reich allemand comme tous les autres Allemands qui vivaient dans des pays limitrophes du Reich. »

Ces documents, plaise au Tribunal, sont des rapports officiels établis par le représentant accrédité des États-Unis dans l’exercice régulier de ses fonctions. Ils portent en eux la garantie de véracité d’un rapport fait par un haut fonctionnaire responsable à son propre gouvernement et relatent des conversations et des événements contemporains.

J’aborderai maintenant le chapitre des pressions et des menaces qui ont entraîné d’autres concessions de la part de l’Autriche, et, en particulier, la réunion à Berchtesgaden du 12 février 1938.

Comme je l’ai dit précédemment, le Gouvernement autrichien souffrait de grandes difficultés imposées par son voisin. Il exerçait une pression économique, entraînant la diminution de l’industrie touristique et ce que l’accusé von Papen appelait « une pression psychologique lentement intensifiée ». Il y avait des démonstrations croissantes, des complots et des conspirations. Le capitaine Léopold présentait des exigences et l’accusé Seyss-Inquart, nouveau conseiller de l’État autrichien, se prononçait en faveur des nazis. Dans ces conditions, le Chancelier Schuschnigg décida de rendre visite à Hitler à Berchtesgaden.

Le communiqué officiel de cette réunion est tout à fait apaisant. Je demande au Tribunal de le déclarer recevable ; c’est le document PS-2461, communiqué allemand de la réunion de Hitler et de Schuschnigg à Obersalzberg, le 12 février 1938, extrait de la publication officielle Dokumente der Deutschen Politik, volume 6, partie 1, page 124, numéro 21, a.

Le communiqué déclare que cette réunion officieuse a eu pour cause le désir mutuel d’éclaircir, par des conversations personnelles, les questions relatives aux relations entre le Reich et l’Autriche. Il énumère parmi les présents : Schuschnigg et son ministre des Affaires étrangères, Schmidt, Hitler et son ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop et l’accusé von Papen. Il conclut sur une note plutôt optimiste, et je cite :

« Les deux hommes d’État sont convaincus que les mesures qu’ils ont prises constituent en même temps une contribution efficace à l’évolution pacifique de la situation européenne. »

Un communiqué semblable fut publié par le Gouvernement autrichien.

Mais en fait, et je crois que l’Histoire le sait fort bien, cette conférence fut singulièrement grave. Le Gouvernement allemand obtint de l’Autriche de grandes concessions. Les concessions principales sont contenues dans le communiqué officiel autrichien sur la réorganisation du Cabinet et l’amnistie politique générale, en date du 16 février 1938. Ce communiqué extrait des Dokumente der Deutschen Politïk, volume 6, page 125, numéro 21, b, est traduit dans notre document PS-2464, que je demande au Tribunal de déclarer recevable.

Ce communiqué annonçait une réorganisation du Cabinet autrichien et particulièrement la nomination extrêmement significative de l’accusé Seyss-Inquart au poste de ministre de la Sûreté et de l’Intérieur, ce qui lui donnait le contrôle de la police. En outre, une amnistie politique générale fut prévue pour les nazis condamnés pour crimes.

Deux jours plus tard, on annonça une autre concession.

Je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire au document PS-2469, traduction du communiqué officiel allemand et autrichien concernant la prétendue égalité des droits des nationaux-socialistes autrichiens en Autriche, en date du 18 février 1938, Dokumente der Deutschen Politik, volume 6, partie 1, page 128, numéro 21, d).

Ce communiqué déclarait qu’à la suite de la conférence de Berchtesgaden, les nationaux-socialistes autrichiens pourraient entrer dans le Front patriotique, seul parti politique légal en Autriche.

LE PRÉSIDENT

Nous avez-vous dit quels numéros portent ces deux documents ?

M. ALDERMAN

Excusez-moi, Monsieur le Président, c’est le numéro PS-2469.

LE PRÉSIDENT

Nous ne l’avons pas encore eu. Nous avons eu le PS-2461 qui porte quel numéro de dépôt ?

M. ALDERMAN

Je n’en ai pas encore donné lecture. J’ai demandé au Tribunal de lui accorder une valeur probatoire en tant que communiqué officiel.

LE PRÉSIDENT

N’allez-vous pas lui donner un numéro de dépôt ?

M. ALDERMAN

Non, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Ni au document 2469 ?

M. ALDERMAN

Non, Monsieur le Président.

En fait, une lourde pression fut exercée sur Schuschnigg à Berchtesgaden. Le fait qu’on ait exercé sur lui une pression et que celle-ci ait revêtu un caractère militaire par la menace de l’usage des troupes, est largement établi par des documents allemands saisis. J’en apporte comme preuve le document PS-1544, que je dépose sous la référence USA-71.

Ce document représente les notes personnelles de l’accusé von Papen, sur sa dernière rencontre avec Schuschnigg, le 26 février 1938. Je cite les deux derniers paragraphes de ces notes. Voici ce que dit von Papen dans ses propres notes :

« J’introduisis alors dans la conversation, l’opinion généralement répandue qu’il (Schuschnigg) avait cédé à une “pression brutale” à Berchtesgaden. J’étais moi-même présent et j’avais pu constater qu’il avait à tout moment gardé une entière liberté de décision. Le Chancelier répliqua qu’en fait il avait subi une pression morale considérable et qu’il ne pouvait le nier. Il avait pris des notes sur la conversation qui confirmaient ce fait. Je lui rappelai que, malgré cette conversation, il ne s’était pas décidé à faire des concessions ; et je lui demandai si, sans cette pression, il aurait été prêt à faire les concessions qu’il fit plus tard dans la soirée. Il me répondit : “Honnêtement, non !” »

Von Papen ajoute :

« Il me semble important d’enregistrer cette déclaration. En partant, je demandai au Chancelier de ne pas s’illusionner sur le fait que l’Autriche pourrait maintenir son statut à l’aide de combinaisons européennes excluant l’Allemagne. Cette question ne serait résolue qu’en accord avec les intérêts du peuple allemand. Il déclara qu’il avait la même conviction et qu’il agirait en conséquence. »

Nous avons ainsi, à travers les paroles de von Papen, les déclarations faites par Schuschnigg sur la pression qui avait été exercée sur lui ; von Papen les a rapportées dans un document original, contemporain des événements. Dans un but diplomatique, von Papen, qui avait été à Berchtesgaden, continua de prétendre qu’aucune pression n’avait été exercée.

Mais l’accusé Jodl, rédigeant le rapport des événements en cours dans son journal, fut beaucoup plus franc. Nous avons la chance d’avoir le journal manuscrit du général Jodl en écriture gothique que je ne puis pas lire. C’est le document PS-1780 que j’apporte comme preuve sous la référence USA-72. Je puis dire que le général Jodl, au cours des interrogatoires, a admis que c’était bien son journal et son écriture. Ce journal révèle non seulement la pression exercée à Berchtesgaden mais aussi le fait qu’à la suite, l’accusé Keitel et l’amiral Canaris établirent pendant plusieurs jours un plan pour simuler une pression militaire afin, manifestement, de forcer le président autrichien Miklas à ratifier l’accord. Cela commença avec Schuschnigg à Berchtesgaden. On notera que l’approbation du Président Miklas était nécessaire pour ratifier l’accord de Berchtesgaden, c’est-à-dire la nomination de Seyss-Inquart comme ministre de l’Intérieur et de la Sûreté. Ainsi, les conspirateurs nazis maintinrent la pression militaire et les menaces d’invasion, pendant quelques jours après la conférence, afin de produire l’effet désiré sur le Président Miklas.

Je cite le journal du général Jodl, notes des 11, 13 et 14 février 1938. Le 11 février, il écrivait :

« Dans la soirée et le 12 février, le général K. (Keitel) avec le général von Reichenau et Sperrle à Obersalzberg. Schuschnigg avec G. Schmidt sont soumis à la plus forte pression militaire et politique. À 23 heures Schuschnigg signe le protocole.

« 13 février. L’après-midi, le général K (Keitel) demande à l’amiral C (Canaris) et à moi-même de venir dans son appartement. Il nous dit que l’ordre du Führer a pour but que la pression exercée par la simulation d’une action militaire soit maintenue jusqu’au 15. Les propositions pour ces fausses manœuvres sont projetées et soumises à l’agrément du Führer par téléphone.

« 14 février. À 2 h. 40, l’accord du Führer arrive, Canaris va à Munich au service VII du contre-espionnage et fait mettre en vigueur différentes mesures.

« L’effet est rapide et violent. En Autriche, on crée l’impression que l’Allemagne prend des mesures militaires sérieuses. »

Les propositions pour ces mesures destinées à donner le change et rapportées par l’accusé Jodl, sont établies dans le document PS-1775, document allemand saisi, que j’apporte en preuve sous la référence USA-73. Les propositions sont signées par l’accusé Keitel. Sous sa signature figure une note constituant l’approbation par le Führer de ces propositions. Dans le document original, cette note est écrite au crayon. Les rumeurs que Keitel proposait de faire courir afin d’intimider l’Autriche sont très intéressantes à lire. Je cite les trois premiers paragraphes des ordres suggérés :

« 1. Ne pas prendre de véritables mesures dans l’Armée ou la Luftwaffe. Pas de mouvements de troupes ou de changements de dispositifs.

« 2. Répandre des nouvelles fausses mais parfaitement vraisemblables qui puissent mener à la conclusion que des mesures militaires sont prises contre l’Autriche :

« a) Par nos agents de liaison en Autriche ;

« b) Par notre personnel douanier à la frontière ;

« c) Par des agents voyageurs.

« 3. De telles nouvelles pourraient être :

« a) Les permissions auraient été suspendues dans le secteur du VIIe Corps d’Armée.

« b) Le matériel roulant est rassemblé à Augsbourg, Munich et Ratisbonne.

« c) Le Generalmajor Muff, attaché militaire à Vienne, a été rappelé pour une conférence à Berlin. Et en fait, c’est le cas. »

Ceci me rappelle un avocat de chez moi qui discutait longuement une question et concluait en disant : « D’ailleurs, c’est la vérité ».

« d) Les postes de police de la frontière autrichienne ont appelé des renforts.

« e) Les fonctionnaires des douanes parlent de manœuvres imminentes des brigades de montagne dans la région de Freilassing, Reichenhall et Berchtesgaden. »

L’ensemble du plan d’intimidation et des fausses nouvelles fut efficace car, en temps voulu, comme nous l’avons vu dans les communiqués déjà mentionnés, le Président Miklas ratifia l’accord de Berchtesgaden qui préfigurait déjà l’Autriche nationale-socialiste, et les événements qui conduisirent à l’invasion allemande le 12 mars 1938.

Monsieur le Président, n’est-ce pas le moment de suspendre l’audience ?

LE PRÉSIDENT

Nous suspendons l’audience dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. J’en étais aux événements qui conduisirent à l’invasion allemande de l’Autriche, le 12 mars 1938. Je parlerai d’abord du plébiscite et des préparatifs faits par les nationaux-socialistes allemands et autrichiens.

Le lendemain de sa nomination au poste de ministre de l’Intérieur et de la Sûreté d’Autriche, Seyss-Inquart prit l’avion de Berlin pour conférer avec Hitler. Je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire au communiqué officiel allemand sur la visite de Seyss-Inquart à Hitler, telle qu’elle est rapportée dans les Dokumente der Deutschen Politik, volume 6, partie 1, page 128, numéro 21 c dont on trouvera un exemplaire dans notre document PS-2484.

Le 9 mars 1938, trois semaines après la prise en charge par Seyss-Inquart de la police autrichienne, situation qui lui permettait de diriger les opérations des nationaux-socialistes en Autriche, trois semaines après que les nazis eurent commencé à exploiter leur nouveau gain de prestige et leur nouvelle situation avec ce qu’elle signifiait de victoires futures, Schuschnigg fit une déclaration importante. Le 9 mars 1938, Schuschnigg annonça qu’il organisait un plébiscite dans toute l’Autriche, pour le dimanche suivant, 13 mars 1938. La question posée dans ce plébiscite était (je cite) :

« Êtes-vous pour une Autriche indépendante et sociale, une Autriche chrétienne, allemande et unie ? »

Une réponse affirmative à cette question était certainement compatible avec l’accord passé par le Gouvernement allemand le 11 juillet 1936 et ratifié à Berchtesgaden le 12 février 1938. D’autre part, les nazis avaient depuis longtemps demandé un plébiscite sur la question de l’Anschluss, mais ils envisageaient apparemment la vraisemblance d’un « oui » massif à la question posée par Schuschnigg dans le plébiscite, et ils ne pouvaient tolérer la possibilité d’un tel vote de confiance au Gouvernement Schuschnigg. En tout cas, comme les événements le prouvèrent, ils saisirent cette occasion pour renverser le Gouvernement autrichien. Quoique le plébiscite n’eût pas été annoncé avant le soir du 9 mars, l’organisation nazie en eut connaissance plus tôt dans la journée. Les nazis (je veux dire les nazis autrichiens) décidèrent qu’il leur fallait demander à Hitler ce qu’ils devaient faire dans cette situation, préparer une lettre de protestation contre le plébiscite, adressée par Seyss-Inquart à Schuschnigg, et qu’en attendant l’approbation de Hitler, Seyss-Inquart simulerait une négociation avec Schuschnigg sur les détails du plébiscite. Ce renseignement est contenu dans le rapport du Gauleiter Rainer au commissaire du Reich Bürckel, transmis comme je l’ai déjà signalé, à Seyss-Inquart et qui a déjà été déposé comme preuve, sous la référence PS-812 (USA-61). Je cite un court passage de la page 7 du texte anglais, le paragraphe commençant à la page 11 de l’original allemand :

« La Landesleitung fut informée par ses services clandestins d’information, le 9 mars 1938 à 10 heures du matin, du plébiscite projeté. À la séance qui s’ouvrit immédiatement après, Seyss-Inquart expliqua qu’il n’en avait eu connaissance que quelques heures auparavant mais qu’il ne pouvait en parler parce qu’il avait donné sa parole de garder le silence sur ce sujet ; mais au cours des entretiens, il nous fit comprendre que les renseignements secrets que nous avions reçus étaient fondés sur la vérité et qu’en vue de cette situation nouvelle il avait coopéré avec la Landesleitung dès le début. Klausner, Jury, Rainer, Globocnik et Seyss-Inquart étaient présents aux premiers entretiens qui eurent lieu à 10 heures du matin. Il y fut décidé : premièrement, d’informer immédiatement le Führer ; deuxièmement, de donner à ce dernier l’occasion d’intervenir par la voie d’une déclaration officielle adressée par le ministre Seyss-Inquart à Schuschnigg ; et troisièmement, que Seyss-Inquart négocierait avec le Gouvernement jusqu’à ce que parvinssent des instructions et des ordres précis du Führer. Seyss-Inquart et Rainer composèrent ensemble une lettre à Schuschnigg dont un seul exemplaire fut apporté au Führer par Globocnik qui se rendit en avion auprès de lui dans l’après-midi du 9 mars 1938.

« Les négociations avec le Gouvernement n’aboutirent pas. Aussi furent-elles interrompues par Seyss-Inquart conformément aux instructions du Führer… Le 10 mars, tous les préparatifs des mesures révolutionnaires avaient déjà été faits… et les ordres correspondants donnés à tous les chefs d’unités… Dans la nuit du 10 au 11, Globocnik revint de chez le Führer avec la nouvelle que celui-ci laissait au Parti – le parti nazi autrichien, bien entendu – sa liberté d’action… et qu’il approuverait toute son activité. »

J’en viens à la préparation effective de l’invasion et à l’emploi de la force par l’Allemagne.

Lorsque la nouvelle du plébiscite parvint à Berlin, elle déclencha un déploiement d’activité considérable. Hitler, comme le sait l’Histoire était décidé à ne pas tolérer le plébiscite. Aussi convoqua-t-il ses conseillers militaires et ordonna-t-il de préparer l’invasion de l’Autriche.

Sur le terrain diplomatique, il adressa une lettre à Mussolini, lui donnant les raisons de son entrée en Autriche, et, en l’absence de l’accusé von Ribbentrop (qui était retenu provisoirement à Londres), l’accusé von Neurath reprit en mains le ministère des Affaires étrangères.

Les notes laconiques et quelque peu décousues du général Jodl, donnent le compte rendu vivant de l’activité qui régna à Berlin. Je cite ses notes du 10 mars :

« Par surprise et sans consulter ses ministres, Schuschnigg ordonne un plébiscite pour le dimanche 13 mars, ce qui donnerait au parti légitimiste une majorité importante en l’absence d’un plan ou d’une préparation. Le Führer est décidé à ne pas le tolérer.

« Le même soir, dans la nuit du 9 au 10 mars, il fait appeler Göring. Le général von Reichenau est rappelé du Comité olympique du Caire ; on ordonne au général von Schobert de revenir, ainsi qu’au ministre Glaise-Horstenau qui est avec le chef de district, le Gauleiter Bürckel, dans le Palatinat. Le général Keitel communique les faits à 9 heures 45. Il va à la chancellerie du Reich à 10 heures. Je le suis, à 10 h. 15, selon le désir du général von Viebahn, pour lui donner tous les dispositifs de préparation du “cas Otto”. À 13 heures, le général K » – je pense que cela signifie Keitel – « met au courant le chef de l’État-Major d’opérations et l’amiral Canaris. Ribbentrop est retenu à Londres. Neurath prend en mains le ministère des Affaires étrangères. Le Führer décide de transmettre un ultimatum au Cabinet autrichien. Une lettre personnelle est adressée à Mussolini dans laquelle sont exposées les raisons pour lesquelles le Führer est forcé d’agir. 18 h. 30, ordre de mobilisation est donné au commandant de la VIIIe Armée (3e région militaire), VIIe et XIIIe corps d’Armée, sauf l’Armée de réserve. » (Document PS-1780, USA-72.)

Il faut remarquer ici que l’accusé von Neurath exerçait à cette heure critique les fonctions de ministre des Affaires étrangères. Au mois de février précédent, l’accusé Ribbentrop était devenu ministre des Affaires étrangères et von Neurath était devenu président du Conseil de Cabinet secret ; mais à cette heure critique pour la politique étrangère, l’accusé Ribbentrop était à Londres pour s’occuper des conséquences diplomatiques de l’affaire autrichienne. En sa qualité de ministre des Affaires étrangères, à l’heure d’une agression comprenant la mobilisation et les mouvements de troupes, l’usage de la force et les menaces dans le but d’ôter son indépendance à un pays voisin, von Neurath avait repris son ancien poste dans le complot nazi.

J’apporte maintenant comme preuve le document C-102 (USA-74). C’est un document allemand saisi, très secret, qui est une directive du Commandement suprême des Forces armées, datée du 11 mars 1938. Cette directive de Hitler, portant les initiales des accusés Jodl et Keitel, expose les intentions politiques et militaires de Hitler. Je cite les paragraphes 1, 4 et 5 de cette directive. D’abord l’en-tête : « Le Commandement suprême des Forces armées », avec des initiales se référant à « l’opération Otto ». Trente exemplaires, onzième copie, très secret :

« 1. Si d’autres mesures se révèlent infructueuses, j’ai l’intention d’envahir l’Autriche avec des Forces armées, afin d’établir une situation constitutionnelle et d’empêcher d’autres atteintes aux intérêts de la population pro-allemande.

« 4. Les éléments de l’Armée et de l’Aviation qui doivent être engagés dans cette opération devront être prêts pour l’invasion et prêts à l’action le 12 mars 1938 à midi, au plus tard. Je me réserve le droit de donner l’autorisation de franchir ou de survoler la frontière et de décider le moment précis de l’invasion.

« 5. La conduite des troupes doit donner l’impression que nous ne voulons pas faire une guerre contre nos frères autrichiens ; il est de notre intérêt que toute l’opération soit exécutée sans violence mais sous la forme d’une entrée pacifique souhaitée par la population. Toute provocation devra donc être évitée. Si cependant on rencontre de la résistance, elle devra être brisée impitoyablement par la force des armes. »

J’apporte également comme preuve le document allemand C-103 (USA-75). C’est une directive complémentaire émise par l’accusé Jodl, et qui est ainsi conçue :

« Très secret. 11 mars 1938. 40 exemplaires. 6e copie. Instruction spéciale nº 1 au Commandement suprême des Forces armées, nº 427/38 », avec certains symboles. « Instructions sur la conduite à tenir envers les troupes et unités de milice tchécoslovaques et italiennes sur le sol autrichien.

« 1. Si des troupes ou unités de milice tchécoslovaques sont sur le sol autrichien, elles devront être considérées comme ennemies.

« 2. Les Italiens doivent être traités partout en amis, étant donné particulièrement que Mussolini a déclaré se désintéresser de la solution de la question autrichienne. Le chef du Commandement suprême des Forces armées, par ordre : Jodl. »

Enfin, les événements du 11 mars 1938 nous sont transmis par deux rapports différents. Bien que ces deux rapports diffèrent par certains détails mineurs, tels que les mots précis utilisés et le moment précis où ils furent rédigés, ils se corroborent presque totalement. Nous pensons qu’il est utile que le Tribunal ait devant lui un compte rendu relativement complet de la façon dont le Gouvernement allemand dépouilla, le 11 mars 1938, l’Autriche de sa souveraineté. Je donnerai d’abord le compte rendu des événements qui se sont déroulés ce jour-là en Autriche, tel qu’il est donné par les nazis autrichiens. Je me réfère au document PS-812 (USA-61), rapport du Gauleiter Rainer au Commissaire du Reich Bürckel, et je lirai à partir de la page 8 de la version anglaise. J’indique pour l’interprète allemand que je commence à lire à la suite de l’énumération : cas 1, cas 2, cas 3, après la phrase : « Le Dr Seyss-Inquart prit part à des entretiens avec le Gauleiter » :

« Le vendredi 11 mars, le ministre Glaise-Horstenau arriva à Vienne après une visite au Führer. Après avoir conféré avec Seyss-Inquart, il alla voir le Chancelier. À 11 h. 30 la Landesleitung tint une réunion à laquelle assistaient Klausner, Rainer, Globocnik, Jury, Seyss-Inquart, Glaise-Horstenau, Fischböck et Mühimann. Le Dr Seyss-Inquart rapporta ses entretiens avec le Dr Schuschnigg qui s’étaient terminés par le rejet de la proposition des deux ministres.

« En ce qui concerne la proposition de Rainer, von Klausner ordonna qu’on adressât au Gouvernement un ultimatum expirant à 14 heures, signé par des hommes politiques “légaux” de premier plan, comprenant à la fois des ministres et les conseillers d’État Fischböck et Jury, afin de reporter à trois semaines la date du vote et d’établir un scrutin libre et secret en accord avec la Constitution.

« Sur la base de preuves écrites que Glaise-Horstenau avait apportées avec lui, on prépara un tract qui devait être imprimé à des millions d’exemplaires et un télégramme adressé au Führer pour l’appeler à l’aide.

« Klausner confia la direction des mesures politiques finales aux mains de Rainer et de Globocnik. Schuschnigg convoqua une réunion de tous les ministres pour deux heures. Rainer s’entendit avec Seyss-Inquart pour envoyer un télégramme au Führer et adresser la proclamation à la population à 3 heures ; en même temps, il prendrait toutes mesures nécessaires à la prise du pouvoir, à moins qu’il ne reçût des nouvelles de la réunion du Conseil des ministres avant cette heure. Pendant ce temps, toutes les mesures avaient été préparées. À 2 h. 30, Seyss-Inquart téléphona à Rainer et l’informa que Schuschnigg n’avait pu résister à la pression, qu’il avait fait remettre le plébiscite mais qu’il avait refusé d’en organiser un autre et avait fait prendre de sévères mesures de police pour maintenir l’ordre. Rainer demanda si les deux ministres avaient démissionné, et Seyss-Inquart répondit “non”. Rainer en avisa la Reichskanzlei par l’intermédiaire de l’ambassade allemande et reçut par la même voie une réponse de Göring disant que le Führer ne voulait pas accepter de solutions partielles et que Schuschnigg devait démissionner. Seyss-Inquart en fut informé par Globocnik et Mühlmann. Des entretiens eurent lieu entre Seyss-Inquart et Schuschnigg. Schuschnigg donna sa démission. Seyss-Inquart demanda à Rainer quelles mesures le Parti désirait voir prendre. Rainer répondit : “Rétablissement du Gouvernement par Seyss-Inquart, reconnaissance légale du Parti et appel des SS et des SA comme auxiliaires des forces de Police”. Seyss-Inquart promit que ces mesures seraient prises, mais on apprit bientôt que tout risquait d’être compromis par la résistance du Président Miklas. Cependant, la légation allemande faisait parvenir l’information que le Führer espérait l’établissement d’un Gouvernement Seyss-Inquart avec une majorité nationale, la reconnaissance légale du Parti et la permission pour la légion » – la légion autrichienne en Allemagne – « de rentrer, tout cela avant 19 h. 30 ; sinon les troupes allemandes franchiraient la frontière à 20 heures. À 17 heures, Rainer et Globocnik, accompagnés de Mühlmann, se rendirent au bureau du Chancelier pour lui communiquer ce message.

« Situation : Miklas négocie avec Ender pour la création d’un Gouvernement qui comprendrait des noirs, des rouges et des nationaux-socialistes et proposait le poste de Vice-Chancelier à Seyss-Inquart. Ce dernier rejeta cette proposition et dit à Rainer qu’il lui est impossible de négocier personnellement, étant donné qu’il est lui-même impliqué dans l’affaire et qu’il pourrait par conséquent en résulter une situation politique instable et défavorable. Rainer négocie avec Zematto. Le directeur du Cabinet Huber, Guido Schmidt, Glaise-Horstenau, le conseiller de la légation Stein, le général Muff, attaché militaire, et le Gruppenführer Keppler » – dont j’ai annoncé que le nom réapparaîtrait de manière significative – « qui étaient arrivés entre-temps, négociaient déjà. À 7 h. 30 du soir, Seyss-Inquart reprend les négociations. Situation à 7 h. 30 : refus obstiné de Miklas de nommer Seyss-Inquart chancelier ; appel au monde en cas d’une invasion allemande.

« Le Gruppenführer Keppler explique que le Führer n’a pas encore de raison déterminante pour l’invasion. Il s’agit d’abord de créer cette raison. La situation à Vienne et dans le pays est très dangereuse. On craint que des émeutes n’éclatent incessamment parce que Rainer a donné l’ordre à tout le Parti de manifester à 3 heures. Rainer propose d’envahir et d’occuper le Palais du Chancelier afin d’obtenir par la force, la constitution d’un nouveau Gouvernement. Cette proposition est rejetée par Keppler, mais Rainer la met à exécution après en avoir discuté avec Globocnik. Après 8 heures du soir, les SA et les SS envahissent et occupent les bâtiments du Gouvernement et toutes les positions importantes de la ville de Vienne. À 20 h. 30, Rainer, avec l’assentiment de Klausner, ordonne à tous les Gauleiter d’Autriche de prendre le pouvoir dans les huit Gaue d’Autriche avec l’aide des SS et des SA et leur donne pour instructions que tous les représentants du Gouvernement qui essaieraient de résister soient informés que ces mesures sont prises sur l’ordre du Chancelier Seyss-Inquart.

« C’est ainsi qu’éclata la révolution qui eut pour résultat l’occupation complète de l’Autriche en trois heures et la prise de possession de tous les postes importants par le Parti.

« La prise du pouvoir était l’œuvre du Parti, aidée par la menace d’invasion du Führer et la situation légale de Seyss-Inquart au Gouvernement. Le résultat national, sous la forme de la prise du pouvoir par Seyss-Inquart était dû à la prise effective du pouvoir par le Parti d’une part, et, d’autre part, à la politique efficace de Seyss-Inquart sur son territoire ; mais les deux facteurs ne peuvent être considérés qu’en relation avec la décision du Führer du 9 mars 1938, de résoudre à tout prix le problème autrichien et avec les ordres donnés en conséquence par le Führer. »

Nous avons un autre document qui nous permet de revivre les événements du 11 mars 1938 de la manière la plus animée et la plus intéressante. Grâce à l’activité de l’accusé Göring et à l’organisation de sa Luftwaffe nous avons un document très intéressant : c’est manifestement un document officiel du Quartier Général de la Luftwaffe qui porte pour en-tête, comme d’ordinaire : « Geheime Reichssache » (Affaire d’État secrète). L’en-tête porte le cachet « Reichsluftfahrtministerium Forschungsamt ». Si je comprends bien l’allemand, Forschungsamt signifie Bureau de recherches du ministère de l’Air de Göring. Le document est dans une chemise caractéristiquement allemande, sur le verso de laquelle on peut lire : « Gespräche Fall Österreich » (Conversations sur le cas Autriche). La couverture intérieure en papier porte des inscriptions manuscrites en allemand que je demanderai à l’interprète de lire en temps utile, « Privat, Geheime Archive », c’est-à-dire « Archives secrètes », « Berlin, Gespräche Fall Österreich » (Conversations sur le cas Autriche). Je produis ces documents dans leur dossier original tels qu’ils ont été trouvés au ministère de l’Air ; ils portent le nº PS-2949 et je les apporte comme preuve sous la référence USA-76. Ce faisant, je songe à l’exclamation de Job : « Oh ! que mon ennemi écrive un livre ! » La lettre de transmission de ce dossier, signée par un membre de cette organisation de recherches du ministère de l’Air et adressée à l’accusé Göring, dit en substance (je lirai la traduction anglaise) et commence par : « Au Generalfeldmarschall. Ci-joint copie de nos conversations téléphoniques conformément à vos ordres. » Manifestement l’accusé désirait garder un rapport des principales conversations téléphoniques tenues avec des personnages importants au sujet du « Cas Autriche » et en avait fait établir des relevés par son Service de recherches. La plupart des conversations transcrites et rapportées dans le volume que j’ai présenté, ont été tenues par l’accusé Göring, bien qu’une seule d’entre elles, intéressante d’ailleurs, ait été tenue par Hitler. Pour des raisons pratiques, notre personnel a marqué ces conversations téléphoniques d’une lettre au crayon de A à Z et ensuite à AA. Onze de ces conversations ont été choisies en raison de leur caractère, afin de servir de preuve des événements de cette époque. Toutes celles qui ont été traduites ont été ronéotypées et figurent dans les livres de documents remis aux accusés. Le recueil original contient évidemment la totalité de ces conversations. On peut tirer des extraits de la traduction un compte rendu très détaillé et très intéressant des événements dont nous nous occupons. Je passe aux transcriptions des conversations téléphoniques. Le premier groupe, dans la partie A du dossier, eut lieu entre le Feldmarschall Göring qui était désigné par la lettre F (Feldmarschall), et Seyss-Inquart désigné par S. La transcription faite par le Service de recherches du ministère de l’Air, reproduit en partie les paroles de ces deux personnages et constitue en partie le résumé présent. Je cite la partie A de ce dossier, et étant donné le caractère de confirmation et d’authenticité évidente de cette transcription, je me propose de citer cette conversation dans sa totalité :

« F. (Je dirai ensuite Göring et Seyss-Inquart). – Comment allez-vous Docteur ? Mon beau-frère est-il avec vous ?

« Seyss-Inquart. – Non. »

Ensuite la conversation prit à peu près le tour suivant :

« Göring. – Comment vont vos affaires ? Avez-vous démissionné ou avez-vous des nouvelles ?

« Seyss-Inquart. – Le Chancelier a annulé les élections de dimanche et il a ainsi mis S (Seyss-Inquart) et les autres dans une situation difficile. En plus de l’annulation des élections, de larges mesures de précaution ont été prises parmi lesquelles le couvre-feu à 20 heures. »

« Göring répondit qu’à son avis les mesures prises par le Chancelier Schuschnigg n’étaient pas du tout satisfaisantes. Il ne pouvait encore se prononcer officiellement, mais Göring prendrait clairement position dans un très court délai. Il ne pouvait voir dans le rapport des élections qu’un retard, mais pas un changement de la situation présente créée par l’attitude du Chancelier Schuschnigg en brisant les accords de Berchtesgaden.

« Puis une conversation eut lieu entre Göring et le Führer. Göring téléphona ensuite à nouveau à Seyss-Inquart. Cette conversation se tint à 15 h. 5.

« Göring dit à Seyss-Inquart que Berlin n’acceptait en aucune manière la décision prise par le Chancelier Schuschnigg ; en effet, celui-ci ne jouissait plus de la confiance de notre Gouvernement, parce qu’il avait rompu les accords de Berchtesgaden et qu’ainsi il était impossible d’avoir confiance en ses actes futurs. Par conséquent, les ministres nationaux tels que Seyss-Inquart et les autres étaient invités à remettre immédiatement leur démission au Chancelier ainsi qu’à demander au Chancelier de démissionner, Göring ajouta que si après un délai d’une heure, aucun rapport n’était parvenu on en conclurait que Seyss-Inquart n’avait plus la possibilité de téléphoner. Cela signifierait que ces Messieurs avaient donné leur démission. Seyss-Inquart fut ensuite invité à adresser le télégramme convenu au Führer. Bien entendu, mission de former le nouveau Cabinet serait donnée immédiatement par le Président fédéral à Seyss-Inquart à la suite de la démission de Schuschnigg. »

Vous voyez donc, qu’à 2 h. 45 de l’après-midi, Göring avait dit à Seyss-Inquart par téléphone que ce n’était pas suffisant de la part de Schuschnigg d’annuler les élections ; et vingt minutes plus tard, il téléphonait à Seyss-Inquart pour déclarer que Schuschnigg devait démissionner. Il s’agit là du second ultimatum. Lorsqu’une heure plus tard environ, il fut informé que Schuschnigg avait démissionné, il signala qu’en plus, il était nécessaire d’avoir Seyss-Inquart à la tête du Cabinet.

Dois-je poursuivre par une autre de ces conversations ?

LE PRÉSIDENT

Je crois qu’il vaut mieux suspendre l’audience jusqu’à 2 heures.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)