Huitième journée
Jeudi 29 novembre 1945.

Audience de l’après-midi.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Une heure plus tard, après la conversation entre Göring et Seyss-Inquart dont j’ai parlé ce matin, l’accusé Göring téléphona à Dombrowski, à la légation allemande à Vienne. J’ai ici la référence de cette conversation téléphonique marquée « TT », à la page 2, partie C du document PS-2949.

Au cours de cette conversation, l’accusé Göring s’inquiéta en premier lieu de savoir si le parti nazi et toutes ses organisations seraient définitivement reconnus, et ceci de façon rapide. Je cite la page 2 du procès-verbal :

« Göring. – Maintenant, pour continuer, le Parti a-t-il été définitivement reconnu ?

« Dombrowski. – Mais… il n’est même pas nécessaire d’en discuter.

« Göring. – Avec toutes ses organisations ?

« Dombrowski. – Avec toutes ses organisations à l’intérieur du pays.

« Göring. – En uniforme ?

« Dombrowski. – En uniforme.

« Göring. – Bien. »

Dombrowski attira l’attention de son interlocuteur sur le fait que les SA et les SS étaient déjà en service depuis une demi-heure, ce qui signifiait que tout allait bien.

En outre, Göring déclara que le Cabinet autrichien devait être formé avant 19 h. 30, et il transmit des instructions à remettre à Seyss-Inquart quant aux personnes devant faire partie du Cabinet. Je cite la page 3 du texte anglais du procès-verbal de cette conversation :

« Göring. – Oui, et d’ici 7 h. 30, il doit aussi s’entretenir avec le Führer au sujet du Cabinet. Keppler vous indiquera les noms. Il y a une chose que j’ai oubliée : Fischböck doit avoir le département de l’Économie et du Commerce.

« Dombrowski. – C’est entendu.

« Göring. – Kaltenbrunner doit avoir le département de la Sûreté et Bahr les Forces armées. L’Armée autrichienne doit être placée sous les ordres de Seyss-Inquart lui-même et vous êtes déjà au courant de ce qui concerne le département de la Justice.

« Dombrowski. – Oui, oui.

« Göring. – Donnez-moi le nom.

« Dombrowski. – Eh bien, votre beau-frère, n’est-ce pas ? » (C’est-à-dire Hüber, le beau-frère de l’accusé Göring.)

« Göring. – Oui.

« Dombrowski. – Oui.

« Göring. – C’est exact. Et puis aussi Fischböck. »

Environ vingt minutes plus tard, à 17 h. 26, Göring apprit que le Président Miklas refusait de nommer Seyss-Inquart Chancelier et il donna des instructions quant à l’ultimatum qui devait lui être adressé. Je cite l’un des extraits de la conversation téléphonique qui se trouve dans la partie « E » du dossier, la partie marquée d’un R majuscule, pages 1 et 2 :

« Göring. – Souvenez-vous maintenant de ce qui suit : Allez immédiatement avec le général Muff prévenir le Président que si les conditions que vous connaissez ne sont pas immédiatement acceptées, les troupes, qui sont déjà concentrées à la frontière et qui s’avancent vers la frontière, la traverseront cette nuit sur toute sa longueur, et l’Autriche cessera d’exister. Le général Muff doit aller avec vous et exiger d’être reçu immédiatement pour une conférence. Je vous prie de nous informer aussitôt de la position prise par Miklas. Dites-lui que ce n’est plus maintenant le moment de plaisanter. C’est précisément à cause du rapport erroné que nous avons reçu que l’action a été retardée, et maintenant la situation est telle que cette nuit l’invasion commencera, dans tous les coins de l’Autriche. L’invasion sera arrêtée et les troupes ne seront retenues à la frontière que si nous apprenons d’ici 7 h. 30 que Miklas vous a confié le poste de Chancelier fédéral. » (Suit ici, dans le procès-verbal, une phrase qui est interrompue.) – « M », je suppose que cela désigne le général Muff. – « Peu importe ce qu’il en est, la restauration immédiate du Parti avec toutes ses organisations… » (Et ici encore une interruption dans le procès-verbal.) « … Et ensuite lancez un appel à tous les nationaux-socialistes du pays. Ils doivent être dans les rues. Souvenez-vous-en, un compte rendu doit être fait d’ici 7 h. 30. Le général Muff est censé vous accompagner. Je l’en informerai immédiatement. Si Miklas ne peut le comprendre en quatre heures, nous le forcerons à comprendre en quatre minutes. »

Une heure plus tard, à 18 h. 28, Göring eut un entretien téléphonique fréquemment interrompu avec Keppler, Muff et Seyss-Inquart. Lorsqu’il informa Keppler que Miklas avait refusé de nommer Seyss-Inquart, Göring dit (je lis ici la partie « H » à un tiers de la page environ) :

« Göring. – Eh bien, il faut que Seyss-Inquart le force à démissionner. Remontez à nouveau et dites-lui clairement que S.-I. (Seyss-Inquart) fera appel à la garde nationale-socialiste et que dans cinq minutes les troupes envahiront le pays sur mon ordre. »

Après une interruption, Seyss-Inquart vint à son tour au téléphone et informa l’accusé Göring que Miklas s’obstinait encore dans son ancien point de vue, bien qu’une nouvelle personne fût entrée pour s’entretenir avec lui et qu’il y aurait une réponse définitive d’ici dix minutes. La conversation se poursuivit comme suit (je cite la page 2 de la partie « H » au milieu de la page environ) :

« Göring. – Écoutez, j’attendrai encore quelques minutes, jusqu’à ce qu’il revienne. À ce moment-là, prévenez-moi par un appel prioritaire à la Chancellerie du Reich comme d’habitude, mais il faut que ce soit vite fait. Je ne peux guère justifier cela en réalité, je n’ai pas le droit de le faire. Si cela ne peut être fait, alors il faut que vous preniez le pouvoir ; d’accord ?

« Seyss-Inquart. – Même s’il menace ?

« Göring. – Oui.

« Seyss-Inquart. – Eh bien, je comprends : dans ce cas nous serons prêts.

« Göring. – Prévenez-moi par appel prioritaire. »

En d’autres termes, Göring et Seyss-Inquart étaient tombés d’accord pour un plan d’action selon lequel il fallait que Seyss-Inquart prît le pouvoir si Miklas s’obstinait. Le plan qui avait été déjà discuté impliquait l’usage tant des forces nationales-socialistes en Autriche que des troupes allemandes ayant traversé la frontière. Plus tard, le même soir, Göring et Seyss-Inquart eurent une autre conversation vers 23 heures. C’était après l’expiration de l’ultimatum. Seyss-Inquart informait Göring que Miklas refusait toujours de le nommer Chancelier. La conversation continua alors comme suit (je cite la partie 1 de ce document) :

« Göring. – O.K. » – Quel est le mot allemand pour O.K. ? C’est « schön. » – « Je donnerai l’ordre de pénétrer dans le pays et vous, assurez-vous de prendre le pouvoir. Faites savoir aux dirigeants ce que je vais vous dire : quiconque résistera ou organisera la résistance, sera immédiatement déféré aux tribunaux militaires, les tribunaux de nos troupes d’invasion. Est-ce clair ?

« Seyss-Inquart. – Oui.

« Göring. – Y compris les personnalités dirigeantes ; on ne fera aucune différence.

« Seyss-Inquart. – Oui. Ils ont donné l’ordre de n’opposer aucune résistance.

« Göring. – Oui, cela n’a aucune importance, le Président fédéral ne vous y a pas autorisé, et cela aussi peut être considéré comme un acte de résistance.

« Seyss-Inquart. – Oui.

« Göring. – Bon. Maintenant vous êtes officiellement autorisé.

« Seyss-Inquart. – Oui.

« Göring. – Eh bien, bonne chance. Heil Hitler ! »

Excusez-moi, cette conversation eut lieu à 8 heures et non 11 heures.

Il est très intéressant de constater que lorsque l’accusé Göring faisait des projets pour envahir un paisible État voisin, il avait l’intention d’accuser de crimes de guerre les hautes personnalités et de les traduire devant des tribunaux militaires allemands.

Voilà ce qui concerne les conversations relatives aux plans d’action pour la prise du pouvoir. Une conversation significative eut lieu à ce sujet par téléphone, au moins dans la mesure où ces procès-verbaux peuvent nous l’indiquer. Mais il y eut un autre événement historique qui fut discuté par téléphone. Je fais allusion au fameux télégramme que Seyss-Inquart envoya au Gouvernement allemand lui demandant d’envoyer des troupes en Autriche pour aider à réprimer tout désordre. Une conversation eut lieu à 8 h. 48 ce soir-là entre Göring et Keppler dans les termes suivants (je lis la page 1 de la partie « L ») :

« Göring. – Eh bien, je ne sais pas encore ; écoutez, le principal, c’est que, si Inquart prend tous les pouvoirs du Gouvernement, il fasse occuper les stations de radio.

« Keppler. – Eh bien, nous représentons le Gouvernement maintenant.

« Göring. – Oui, c’est cela. Vous êtes le Gouvernement. Écoutez bien. Le télégramme suivant devrait nous être envoyé par Seyss-Inquart. Prenez note : “Le Gouvernement provisoire autrichien, après la démission du Gouvernement Schuschnigg, considère qu’il est de son devoir d’établir la paix et l’ordre en Autriche et envoie au Gouvernement allemand la requête urgente de le soutenir dans sa tâche et de l’aider à éviter toute effusion de sang. Dans ce but, il demande au Gouvernement allemand d’envoyer des troupes allemandes aussitôt que possible”.

« Keppler. – Oui, les SA et les SS parcourent les rues mais tout est calme. Tous les groupements professionnels se sont effondrés. »

Maintenant parlons de l’envoi de troupes allemandes pour rétablir l’ordre. Les SA et les SS circulent dans les rues mais tout est calme. Et quelques minutes plus tard, la conversation continue comme suit (je cite la page 2 de la partie « L ») :

« Göring. – Alors nos troupes franchiront la frontière aujourd’hui ?

« Keppler. – Oui.

« Göring. – Eh bien, il faut qu’il envoie le télégramme aussitôt que possible.

« Keppler. – Bien. Envoyez le télégramme à Seyss-Inquart dans les services du Chancelier fédéral.

« Göring. – Montrez-lui, s’il vous plaît, le texte du télégramme et dites-lui que nous lui demandons… Il n’a même pas besoin d’envoyer le télégramme, tout ce qu’il doit faire est de dire qu’il est d’accord.

« Keppler. – Oui.

« Göring. – Appelez-moi soit chez le Führer soit à mon domicile. Bonne chance. Heil Hitler ! »

Il n’avait naturellement pas besoin de lui envoyer le télégramme puisque c’était Göring lui-même qui l’avait écrit et, par conséquent, l’avait déjà en mains. On se souviendra que dans la première conversation (partie A) qui eut lieu à 3 h. 05 de l’après-midi, Göring avait demandé à Seyss-Inquart d’envoyer le télégramme convenu. Mais maintenant la question était si urgente que Göring dictait la rédaction exacte du télégramme par téléphone, et, qu’une heure plus tard, à 9 h. 54 du soir, se déroulait la conversation suivante entre le Docteur Dietrich à Berlin et Keppler à Vienne (je cite un extrait de la partie « M ») :

« Dietrich. – J’ai besoin du télégramme d’urgence.

« Keppler. – Dites au Generalfeldmarschall que Seyss-Inquart est d’accord.

« Dietrich. – C’est merveilleux. Merci.

« Keppler. – Écoutez la radio. On y donnera les nouvelles.

« Dietrich. – Quel poste ?

« Keppler. – Vienne.

« Dietrich. – Donc Seyss-Inquart est d’accord ?

« Keppler. – Jawohl. »

Ensuite vint l’ordre proprement dit d’envahir l’Autriche. Les communications avec l’Autriche à ce moment étaient suspendues mais la machine militaire allemande avait été mise en mouvement. Pour le démontrer, je dépose maintenant comme preuve un document saisi : C-182 (USA-77). Il s’agit d’un ordre émis le 11 mars 1938, à 20 h. 45, par le Commandant suprême des Forces armées. Cet ordre signé de Hitler, porte les initiales du général Jodl. Il prescrit d’envahir l’Autriche du fait qu’elle n’a pas obéi à l’ultimatum allemand. En voici le texte :

« Très secret. – Berlin, 11 mars 1938, 20 h. 45.

« Commandement suprême des Forces armées. OKW (avec d’autres références). – 35 copies. 6e exemplaire. – Commandement en chef de la Marine (note au crayon) a été informé. – Sujet : Opération Otto. Directive nº 2.

« 1º Les exigences de l’ultimatum allemand au Gouvernement autrichien n’ont pas été exécutées.

« 2º Les Forces armées autrichiennes ont reçu l’ordre de se retirer devant les troupes allemandes et d’éviter les combats. Le Gouvernement autrichien a cessé de fonctionner de son plein gré.

« 3º Pour éviter toute effusion de sang dans les villes autrichiennes, l’entrée des Forces armées allemandes en Autriche commencera conformément aux instructions nº 1 au lever du jour, le 12 mars.

« J’espère que les objectifs fixés seront atteints en utilisant entièrement toutes les forces, et aussi vite que possible. Signé : Adolf Hitler. » Initiales de Jodl, et, semble-t-il, de Warlimont.

Puis une communication intéressante avec Rome, pour éviter toute possibilité de désastre, car, au moment précis où Hitler et Göring s’étaient lancés dans cette entreprise militaire, il existait encore un point d’interrogation dans leur esprit : l’Italie. L’Italie avait rassemblé des forces sur sa frontière en 1934, à l’occasion du putsch du 25 juillet 1934. L’Italie était par tradition le protecteur politique de l’Autriche. Avec quel soupir de soulagement Hitler entendit à 22 h. 25 ce que lui disait le prince Philippe de Hesse, son ambassadeur à Rome. Il venait de rentrer du Palazzo Venezia et Mussolini avait accepté toute l’affaire de façon très amicale. La situation ne peut vraiment être comprise qu’en relisant la conversation. Le compte rendu montre l’état d’excitation de Hitler parlant au téléphone. C’est une conversation brève que je vous lirai tout au moins dans la première partie (partie « N ») du document PS-2949. Je crains que la partie « N » ne soit pas très claire sur le document ronéotypé ; « H » représente Hesse et « F » le Führer :

« Hesse. – Je reviens à l’instant du Palazzo Venezia. Le Duce a accepté toute l’affaire de façon très amicale. Il vous envoie ses amitiés. On l’a informé de l’affaire d’Autriche. C’est Schuschnigg qui lui a donné les nouvelles. Il a dit à ce moment-là que c’était complètement impossible et que ce serait du « bluff », qu’une chose semblable ne pouvait être faite. On lui a dit que, malheureusement, c’était fait et que cela ne pouvait plus être changé. Alors Mussolini a dit que l’Autriche ne l’intéressait nullement.

« Hitler. – Alors, s’il vous plaît, dites à Mussolini que je n’oublierai jamais cela.

« Hesse. – Oui.

« Hitler. – Jamais, jamais, jamais, quoi qu’il arrive. Je suis toujours prêt à conclure un accord tout à fait différent avec lui.

« Hesse. – Oui, je le lui ai dit aussi.

« Hitler. – Aussitôt que l’affaire d’Autriche aura été réglée, je serai prêt à l’accompagner dans le bonheur et dans le malheur, peu importe.

« Hesse. – Oui, mon Führer.

« Hitler. – Écoutez ; je conclurai n’importe quel accord. Je ne crains plus désormais la terrible position qui aurait été la nôtre, militairement, au cas où nous serions entrés en conflit. Vous pouvez lui dire que je le remercie vivement et que jamais, jamais, je n’oublierai cela.

« Hesse. – Oui, mon Führer.

« Hitler. – Je ne l’oublierai jamais, quoi qu’il arrive. Si jamais il a besoin d’une aide ou s’il est devant un danger, il peut être convaincu que je tiendrai bon auprès de lui, quoi qu’il arrive, même si le monde entier est contre lui.

« Hesse. – Oui, mon Führer. »

Le Tribunal se souviendra que le journal de Jodl mentionne la lettre que Hitler avait envoyée à Mussolini. Elle est datée du 11 mars. On peut la trouver dans la publication officielle des Dokumente der Deutschen Politik, tome VI, partie 1, page 135, nº 24, a. Je demande au Tribunal d’en prendre acte. Vous en trouverez la traduction dans notre document PS-2510. Dans cette lettre, après avoir dit que l’Autriche sombrait peu à peu dans l’anarchie, Hitler écrivait, et je cite :

« J’ai décidé de rétablir l’ordre dans ma patrie, l’ordre et la tranquillité, et de donner à la volonté populaire la possibilité de régler son propre destin d’une façon indiscutable, ouvertement et de son propre mouvement. »

II déclarait que ce n’était qu’un acte d’auto-défense, qu’il n’avait aucune intention à l’égard de l’Italie. Et, après l’invasion, quand Hitler vint à Linz, en Autriche, il exprima sa gratitude à Mussolini, une fois de plus, dans le fameux télégramme dont le monde se souvient si bien. On peut le trouver dans les Dokumente der Deutschen Politik, volume VI, page 156, nº 29. La traduction du télégramme est dans notre document PS-2467. Voilà le texte du télégramme :

« Mussolini, jamais je n’oublierai ce que vous avez fait. »

Passons maintenant de Vienne à Berlin, ou plutôt nous étions passés de Vienne à Berlin et maintenant, il est peut-être bon de revenir à Vienne, juste assez longtemps pour rappeler que dans la fin de la soirée du 11 mars, le Président Miklas nomma Chancelier l’accusé Seyss-Inquart. À 23 h. 15, la radio l’annonça. Ce fait est noté dans les Dokumente der Deutschen Politik, volume VI, partie 1, page 137, nº 25, a et une traduction du communiqué radiophonique se trouve dans notre document PS-2465.

Il restait encore quelque chose à faire à Londres pour adoucir un peu les choses de ce côté et, de fait, les comptes rendus téléphoniques du ministère de l’Air nous rapportent un autre acte joué sur la scène internationale. Le dimanche 13 mars 1938, un jour après l’invasion, l’accusé Göring qui était resté à Berlin avec la charge de l’administration du Reich que lui avait déléguée Hitler partit vers sa patrie, téléphona à l’accusé Ribbentrop qui se trouvait à Londres. Je trouve cette conversation très édifiante, quant aux opérations effectuées par les accusés usant, si je puis employer une expression familière américaine, d’une sorte de « double jeu » pour calmer et tromper les autres nations. Je cite la première partie de l’article « W » du document PS-2949 :

« Göring (parlant à Ribbentrop à Londres). – Comme vous le savez, le Führer m’a confié l’administration des affaires courantes du Gouvernement allemand (Führung der Regierungsgeschäfte) et par conséquent, je voulais vous tenir au courant. Il y a une joie débordante en Autriche, que vous pouvez entendre par la radio.

« Ribbentrop. – Oui, c’est fantastique, n’est-ce pas ?

« Göring. – Oui, la pénétration précédente en Rhénanie est complètement dépassée. Le Führer était profondément ému quand il m’a parlé la nuit dernière. Vous devez vous souvenir que c’était la première fois qu’il revoyait son pays natal. Maintenant, je veux surtout vous parler de questions politiques. Cette histoire selon laquelle nous avons envoyé un ultimatum n’est que du bavardage stupide. Depuis le début, les ministres nationaux-socialistes et les représentants du peuple (Volksreferenten) ont présenté l’ultimatum. Plus tard, des personnalités éminentes de plus en plus nombreuses du mouvement y participèrent et, comme résultat naturel, les ministres nationaux-socialistes de l’Autriche nous demandèrent de les soutenir afin qu’ils ne fussent pas complètement battus ni soumis au terrorisme et à la guerre civile. Nous leur avons alors dit que nous ne permettrions pas à Schuschnigg de provoquer une guerre civile en aucune circonstance. Que ce soit par ordre direct de Schuschnigg ou avec son consentement, les communistes et les rouges avaient été armés et se livraient déjà à des démonstrations qui furent photographiées, avec “Heil Moskau” etc. Naturellement tous ces faits présentaient un certain danger pour Wiener-Neustadt. Vous aviez aussi à considérer que Schuschnigg prononçait des discours où il affirmait que le Front patriotique (Vaterländische Front) combattrait jusqu’au dernier homme. On ne pouvait s’imaginer qu’ils capituleraient ainsi et, en conséquence, Seyss-Inquart, qui avait déjà pris possession du Gouvernement, nous demanda de pénétrer en Autriche immédiatement. Avant cela, nous avions déjà atteint la frontière, car nous ne pouvions pas prévoir s’il y aurait ou non une guerre civile. Voilà les faits véritables que l’on peut prouver par des documents. »

L’accusé Göring donnait alors à l’accusé Ribbentrop les directives qu’il fallait suivre à Londres pour expliquer ce qui s’était passé en Autriche. Naturellement quand l’accusé Göring disait que son histoire pouvait être prouvée par des documents, je ne pense pas qu’il s’imaginait que ses propres appels téléphoniques pourraient constituer un jour des documents.

Une autre histoire assez intéressante commence à la page 3 du texte anglais de cette partie « W ». C’est toujours Göring qui parle à Ribbentrop à Londres. C’est à la fin de la page :

« Göring. – Non, non, je suis également d’accord. Seulement je ne savais pas que vous aviez déjà parlé à ces gens. Je veux qu’une fois de plus, mais non, pas une fois de plus, mais de façon générale, que vous disiez ce qui suit à Halifax et à Chamberlain : II n’est pas exact que l’Allemagne ait présenté un ultimatum. C’est un mensonge de Schuschnigg parce que l’ultimatum lui fut présenté par Seyss-Inquart, Glaise-Horstenau et Jury. En outre, il n’est pas exact que nous ayons présenté un ultimatum au Président ; il fut également présenté par les autres et, pour autant que je le sache, seul un attaché militaire vint, convoqué par Seyss-Inquart, pour une question technique. » – Si vous voulez bien vous souvenir, c’était un général que Göring avait envoyé. – « II était censé demander si, au cas où Seyss-Inquart réclamerait le soutien des troupes allemandes, l’Allemagne accorderait ce soutien. Qui plus est, je veux préciser que Seyss-Inquart nous a demandé expressément par téléphone de même que par télégramme, d’envoyer des troupes parce qu’il n’était pas sûr de la situation à Wiener-Neustadt, dans les faubourgs de Vienne, et, parce que des armes y avaient été distribuées. Et puis, il ne pouvait pas savoir comment le Front patriotique réagirait puisqu’il avait toujours eu une “si grande gueule”.

« Ribbentrop. – Monsieur Göring, dites-moi quelle est la situation à Vienne. Est-ce que tout est réglé là-bas ?

« Göring. – Oui, hier, j’ai fait atterrir des centaines d’avions avec quelques compagnies afin de s’assurer des aérodromes, et ils ont été accueillis avec joie. Aujourd’hui, l’unité avancée de la 17e division progresse avec les troupes autrichiennes. Je désire souligner aussi que les troupes autrichiennes ne se sont pas retirées mais qu’elles se sont unies et ont fraternisé immédiatement avec les troupes allemandes, dans quelque endroit que ce fût. »

Il est intéressant de savoir que l’ultimatum était de Seyss-Inquart seul et non de Göring, que le Général Muff, l’attaché militaire, était là justement pour répondre à une question technique et que Seyss-Inquart avait demandé expressément par téléphone et par télégramme l’envoi de troupes. Mais peut-être pouvons-nous comprendre cette conversation en recréant la matérialité des faits dans le temps et dans l’espace lorsque Göring téléphonait. Je cite neuf lignes de la page 11 du texte anglais vers le milieu de la partie « W » :

« Göring. – Venez donc, je serai ravi de vous voir.

« Ribbentrop. – Je vous verrai cet après-midi.

« Göring. – Le temps est merveilleux ici ; ciel bleu. Je suis assis à mon balcon, enveloppé de couvertures, à l’air frais, buvant mon café. Plus tard il faudra que je prenne l’auto ; il faut que je fasse un discours et les oiseaux gazouillent. Je puis entendre par la radio l’enthousiasme qui doit être merveilleux là-bas. » – c’est-à-dire à Vienne.

« Ribbentrop. – C’est merveilleux. »

Plaise au Tribunal. J’arrive pratiquement à la fin des documents relatifs à l’agression contre l’Autriche. Dans un moment je traiterai très brièvement des effets de l’Anschluss, de certains des événements qui se produisirent après l’invasion des troupes allemandes. Ce qui devait survenir ensuite est un épilogue, mais avant de développer cet épilogue, il serait peut-être bon de s’arrêter un instant. Je pense que les faits que j’ai présentés au Tribunal nous montrent clairement un certain nombre de choses sur les accusés impliqués dans le complot. Parmi les conspirateurs qui ont spécialement participé à l’affaire autrichienne se trouvaient von Papen, Seyss-Inquart, Ribbentrop, von Neurath et Göring.

Je pense qu’il est clair, tout d’abord, que ces hommes sont des hommes dangereux. Ils ont usé sans limite de leur pouvoir. Ils ont usé de leur pouvoir pour briser l’indépendance et la liberté des autres. Ils étaient plus que des tyrans écrasant un ennemi plus faible. Ils étaient des tyrans rusés. Ils mêlaient leur violence à la tromperie. Ils associaient à leurs menaces des prétextes techniques et juridiques et des manœuvres détournées, portant un masque hypocrite pour cacher leur duplicité. Je pense que ce sont là des hommes dangereux.

En accord avec les directives du 11 mars relatées dans notre document C-182 (USA-77), l’Armée allemande traversa la frontière autrichienne à l’aube, le 12 mars 1938. Hitler lança une proclamation au peuple allemand annonçant l’invasion et prétendant la justifier. Je me réfère à nouveau aux Dokumente der Deutschen Politik, volume VI, page 140, nº 27, « Proclamation de Hitler ». Le Gouvernement britannique et le Gouvernement français protestèrent. Le Gouvernement allemand et les nationaux-socialistes autrichiens assurèrent rapidement leur pouvoir en Autriche. Seyss-Inquart accueillit Hitler à Linz, et tous deux exprimèrent leur joie au sujet des événements du jour. Seyss-Inquart, dans son discours, déclara que l’article 88 du Traité de Saint-Germain était caduc. Je fais allusion au discours de Seyss-Inquart prononcé à Linz le 12 mars 1938, et qui est contenu dans les Dokumente der Deutschen Politik, volume VI, partie I, page 144, nº 28, a. Je demande au Tribunal d’en prendre acte. Il en trouvera la traduction dans notre document PS-2485.

Pour illustrer ce qui se produisit à Vienne, je dépose comme preuve notre document L-292. Télégramme 70. Légation américaine, Vienne, au secrétaire d’État américain, le 12 mars 1938. (USA 78.) Je cite en entier :

« Secrétaire d’État, Washington, 12 mars, midi.

« De nombreux bombardiers allemands survolent Vienne, laissant tomber des tracts : “L’Allemagne nationale-socialiste salue son nouveau territoire, l’Autriche nationale-socialiste et son nouveau Gouvernement en une union sincère et indissoluble”.

« Des rumeurs continuelles circulent, suivant lesquelles de petites unités allemandes pénètrent en Autriche ; l’arrivée de la légion autrichienne est imminente. Les SS et les SA contrôlent absolument Vienne. La Police porte des brassards à croix gammée. Schuschnigg et Schmidt, d’après les rumeurs, ont été arrêtés. Himmler et Hess sont ici.

« Signé : Wiley. »

La machine juridique fut mise en marche pour consolider la situation. Pour toute cette partie, je renvoie simplement le Tribunal aux sources allemandes et aux documents dans leur traduction anglaise, mais il me semble qu’il ne m’est pas nécessaire de déposer tous ces actes législatifs comme preuves ; j’inviterai simplement le Tribunal à en prendre acte.

Tout d’abord, Miklas fut obligé de démissionner de son poste de Président. Je mentionne ici les Dokumente der Deutschen Politik, volume VI, partie I, page 147, nº 30, b. La traduction figure dans notre document PS-2466.

À cet égard, le Tribunal se souviendra sans doute de la conversation téléphonique de Göring que nous avons mentionnée dans le document PS-2949 aux termes de laquelle Miklas, pour avoir hésité à nommer Seyss-Inquart, devait être révoqué. Seyss-Inquart devint à la fois Chancelier et Président. Il signa alors le 13 mars 1938, une loi constitutionnelle fédérale pour la réunion de l’Autriche au Reich allemand, loi qui à son tour fut incorporée au Statut du rattachement promulgué le même jour et qui est une loi allemande. Je cite le Reichsgesetzblatt, 1938, volume I, page 237, nº 21 dont une traduction se trouve dans notre document PS-2307. Cette loi constitutionnelle fédérale déclare que l’Autriche est désormais une province du Reich allemand. En annexant l’Autriche au Reich allemand, l’Allemagne violait l’article 80 du Traité de Versailles qui stipulait… (À ce propos, au bas des lois constitutionnelles que j’ai mentionnées tout à l’heure se trouvaient les signatures suivantes : Adolf Hitler, Führer et Chancelier du Reich, Göring, Generalfeldmarschall, ministre de l’aviation du Reich, Frick, ministre de l’Intérieur du Reich, von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, Rudolf Hess, adjoint du Führer.) En annexant l’Autriche au Reich allemand, l’Allemagne violait l’article 80 du Traité de Versailles qui stipule (je cite) :

« L’Allemagne reconnaît et respectera strictement l’indépendance de l’Autriche, dans les frontières qui seront fixées par Traité passé entre cet État et les Principales Puissances alliées et associées ; elle reconnaît que cette indépendance sera inaliénable, si ce n’est du consentement du Conseil de la Société des Nations. » (JN-2)

De même, l’action autrichienne violait l’article 88 du Traité de Saint-Germain qui stipule :

« L’indépendance de l’Autriche est inaliénable si ce n’est du consentement du Conseil de la Société des Nations. En conséquence l’Autriche s’engage à s’abstenir sauf le consentement dudit Conseil, de tout acte de nature à compromettre son indépendance directement ou indirectement et par quelque voie que ce soit, notamment et jusqu’à son admission comme membre de la Société des Nations par voie de participation aux affaires d’une autre puissance. » (JN-3)

Cette loi constitutionnelle de base prévoyait un plébiscite pour le 10 avril 1938 sur la question de l’union, mais ce n’était qu’une simple formalité. Le plébiscite ne pouvait confirmer l’union déclarée par la loi. Il ne pouvait supprimer ni l’union avec l’Allemagne ni le contrôle de l’Allemagne sur l’Autriche.

Afin d’illustrer la façon dont ce rattachement légal fut rapidement assuré alors que l’Autriche était occupée par les troupes, il suffit de revoir certaines des lois promulguées dans le courant du mois. Hitler plaça l’Armée fédérale autrichienne sous son commandement propre et demanda à tous les membres de l’Armée de lui prêter un serment d’allégeance comme à leur chef suprême. Une traduction de ce document se trouve dans notre document PS-2936 et je fais ici allusion aux instructions du Führer et Chancelier du Reich concernant l’Armée fédérale autrichienne, le 13 mars 1938, Dokumente der Deutschen Politik, volume VI, partie I, page 150. Les fonctionnaires de la province d’Autriche furent invités à prononcer un serment d’allégeance, jurant obéissance à Hitler, Führer du Reich et du peuple allemand. Les fonctionnaires juifs, tels qu’ils étaient définis par la loi, ne furent pas autorisés à prononcer le serment. Je mentionne ici le décret du Führer et Chancelier du Reich sur la prestation du serment des fonctionnaires de la province d’Autriche, le 15 mars 1938, Reichsgesetzblatt 1938, volume I, page 245, nº 24 ; la traduction en sera trouvée dans notre document PS-2311.

Hitler et Frick signèrent un décret rendant applicables à l’Autriche diverses lois du Reich, y compris la loi de 1933 contre la formation de nouveaux partis politiques et la loi de 1933 pour la préservation de l’unité du Parti et de l’État.

Je cite le premier décret du Führer et Chancelier du Reich, relatif à l’introduction des lois du Reich allemand en Autriche, 15 mars 1938, Reichsgesetzblatt 1938, volume I, page 247, nº 25, la traduction se trouvant dans le document PS-2310.

Hitler, Frick et Göring ordonnèrent que le ministre de l’Intérieur du Reich fût l’autorité centrale pour réaliser l’union de l’Autriche avec le Reich allemand. Je me réfère à l’ordre pris en exécution de la loi concernant l’union de l’Autriche avec le Reich allemand, 16 mars 1938, Reichsgesetzblatt, 1938, volume I, page 249, nº 25, traduit dans notre document PS-1060.

En ce qui concerne la vaste campagne de propagande allemande entreprise pour assurer l’acceptation du régime allemand, on peut remarquer que Goebbels institua un Office de propagande du Reich à Vienne. Je me reporte à l’ordre relatif à l’institution d’un Office de propagande à Vienne, le 31 mars 1938, Reichsgesetzblatt, 1938, volume I, page 350, nº 46, traduit dans notre document PS-2935.

Le bulletin adressé aux soldats de l’ancienne armée autrichienne en tant que « soldats allemands » demandait aux votants s’ils étaient d’accord avec l’accomplissement et la ratification de l’acte du 13 mars 1938, unissant l’Autriche à l’Allemagne. Je me réfère au deuxième ordre sur le plébiscite et les élections pour le Reichstag de la Grande Allemagne du 24 mars 1938, Reichsgesetzblatt, 1938, volume I, page 303, traduit dans notre document PS-1659.

Les fondations étaient fermement posées avant que n’ait lieu pour « les hommes et les femmes allemands d’Autriche » le plébiscite promis par la loi de base du 13 mars 1938.

Nous voyons maintenant l’importance de l’Autriche pour les agressions ultérieures.

Pourrions-nous lever cet écran ? La carte est-elle toujours derrière ? Je pense que le Tribunal s’en souviendra.

La prise de l’Autriche avait maintenant fermé la mâchoire inférieure de la tête de loup sur la tête de la Tchécoslovaquie. Le désir de l’Allemagne de réaliser l’Anschluss avec l’Autriche et sa volonté de l’exécuter de la façon et au moment voulus, c’est-à-dire sous la menace de la force militaire, rapidement, et en dépit des risques politiques, était dû à l’importance de l’Autriche dans ses plans ultérieurs d’agression.

La conférence du 5 novembre 1937, où l’on établit des projets pour une guerre d’agression en Europe, définissait comme objectifs en Autriche, l’acquisition de ressources alimentaires par l’expulsion d’un million de personnes et l’accroissement effectif de la puissance militaire, en partie par l’amélioration des frontières. Je cite à nouveau le document PS-386 (USA-25). L’Autriche devait fournir d’importantes ressources matérielles ; de plus elle donnait de l’argent liquide confisqué aux Juifs et au Gouvernement autrichien. L’un des premiers ordres qui suivirent l’Anschluss fut un ordre signé par Hitler, Frick, Schwerin von Krosigk et Schacht, qui transférait au Reich l’actif de la banque nationale autrichienne. Je mentionne ici l’ordre pour le transfert de la Banque nationale autrichienne à la Reichsbank, 17 mars 1938 ; Reichsgesetzblatt, 1938, volume I, page 254, nº 27, traduit dans notre document PS-2313.

L’Autriche fournissait des ressources humaines. Trois mois après l’Anschluss, fut promulgué un décret exigeant que les Autrichiens de 21 ans révolus se présentassent pour le service militaire actif. Je fais mention ici du décret sur le recensement pour le service militaire actif en Autriche pendant l’année 1938, Reichsgesetzblatt, 1938, volume I, page 634, traduit dans notre document PS-1660.

L’acquisition de l’Autriche améliorait la position militaire stratégique de l’Armée allemande. J’attire l’attention du Tribunal sur un document que j’ai présenté au cours de l’exposé sur la préparation de l’agression, L-172 (USA-34), qui relate une conférence faite par le général Jodl, chef de l’État-Major allemand des Forces armées, le 7 novembre 1943, à Munich, aux Gauleiter. Une seule page de cette conférence a été citée dans notre livre de documents ; je cite un paragraphe de la page 5 du texte anglais qui correspond à la page 7 de la conférence de Jodl ayant pour objet un examen de la situation en 1938 :

« L’Anschluss autrichien à son tour, amenait non seulement la réalisation d’un ancien but national, mais eut aussi pour effet de renforcer notre force de combat et d’améliorer de façon substantielle notre position stratégique. Alors que, jusqu’à cette date, le territoire de la Tchécoslovaquie, avec sa “taille de guêpe”, s’avançait d’une façon des plus menaçantes au cœur même de l’Allemagne, en direction de la France, et constituait une base aérienne pour les alliés, en particulier la Russie, la Tchécoslovaquie elle-même était désormais prise dans des tenailles. Sa propre position stratégique était maintenant devenue si défavorable qu’elle était condamnée à être victime de n’importe quelle attaque menée de façon vigoureuse avant d’espérer une aide efficace de l’Ouest. »

Les conspirateurs nazis étaient maintenant prêts à exécuter la deuxième partie de cette deuxième phase de l’agression et à s’emparer de la Tchécoslovaquie.

Logiquement, plaise au Tribunal, nous devrions continuer maintenant avec la question de la Tchécoslovaquie. Pour des raisons que j’ai déjà expliquées au début de la semaine, nous avons dû laisser notre plan s’écarter tant soit peu de l’ordre logique. D’après le plan actuel, je continuerai lundi seulement avec la partie Tchécoslovaquie, l’exposé de la question de la guerre d’agression.

À ce sujet, notre délégation se propose de projeter un film. Des préparatifs techniques indispensables demanderont quelques minutes. Si le Tribunal ne voit pas d’objection à suspendre l’audience, on pourra procéder à cette mise en place.

LE PRÉSIDENT

Pouvez-vous dire combien de temps durera la présentation du film ?

M. ALDERMAN

Une heure, je crois.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue pendant dix minutes, jusqu’à ce que le film soit prêt.

(L’audience est suspendue.)
COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. J’ajoute aux déclarations de M. Alderman qu’il a fallu modifier dans une certaine mesure l’exposé de l’accusation. Un témoin sera interrogé ici demain matin. Puis lundi, M. Alderman prendra la parole et sir Hartley Shawcross mardi matin fera l’exposé introductif britannique.

Le film de cet après-midi, à la demande de la Défense adressée par écrit au Tribunal, lui a été présenté avant-hier dans cette salle. J’ai personnellement demandé au Dr Dix de transmettre cette invitation à la Défense. Huit personnes sont venues. Le Dr Dix a aimablement prévenu qu’il ne viendrait pas à moins d’y être forcé.

Je vous présente M. Dodd qui est chargé de la présentation de ce film.

M. DODD

Plaise au Tribunal. Le Ministère Public américain va maintenant présenter au Tribunal, avec son autorisation, un film documentaire sur les camps de concentration. Ceci ne constitue pas une preuve absolue de l’accusation relativement aux camps de concentration. Mais le film que nous présentons nous montre d’une façon brève et inoubliable ce que les mots « camps de concentration » veulent dire.

Ce sujet vient à point dans le récit des événements qui ont mené à la déclaration d’une guerre d’agression qui, comme le montre l’exposé de M. Alderman, était projetée et préparée par les conspirateurs nazis. Nous allons vous montrer que les camps de concentration n’étaient pas une fin en eux-mêmes mais formaient partie intégrante du système nazi de Gouvernement. Ainsi que nous vous le montrerons, les gardes SS en chemise noire et la Gestapo se profilaient derrière les textes officiels du Reichsgesetzblatt.

Nous avons l’intention de prouver que chacun de ces accusés connaissait l’existence des camps de concentration ; que la peur, la terreur et les horreurs sans nom des camps de concentration étaient des instruments à l’aide desquels les accusés ont gardé le pouvoir et ont supprimé toute opposition à leurs desseins, y compris, bien entendu, leurs plans pour une guerre d’agression. De cette façon ils ont renforcé le contrôle qu’ils exerçaient sur le peuple allemand pour pouvoir exécuter ces plans et annihiler la liberté de l’Allemagne et des pays envahis et occupés par les Armées du IIIe Reich.

Enfin, nous demandons au Tribunal, pendant la projection de ce film, de se rappeler que les preuves qui seront administrées plus tard au cours de ce Procès, montreront que c’est sur quelques-unes des organisations incriminées dans l’Acte d’accusation que retombe la responsabilité de l’origine, du contrôle et de l’entretien de l’ensemble des camps de concentration : sur les SS et le SD – une partie des SS qui traquaient les victimes – sur la Gestapo qui envoyait ces victimes dans les camps et sur d’autres branches des SS qui étaient chargées des atrocités commises dans ces camps.

Le commandant James Donovan va vous présenter ce film avec une déclaration indiquant sa source et son authenticité.

COMMANDANT JAMES BRITT DONOVAN, USNR (substitut du Procureur Général américain)

Plaise au Tribunal. Je me réfère au document PS-2430, relatif à un film intitulé : « Camps de concentration nazis », et aux affidavits du commandant James B. Donovan, du lieutenant-colonel George C. Stevens, du lieutenant E. R. Kellogg et du colonel Erik Tiebold. Les déclarations sous serment du colonel Stevens et du lieutenant Kellogg figurent aussi dans le film : elles seront donc dans les archives du Tribunal. Avec l’autorisation du Tribunal, je vais lire les déclarations qui ne figurent pas dans le film.

LE PRÉSIDENT

S’il n’y a aucune objection de la part des avocats, nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de lire ces affidavits.

COMMANDANT DONOVAN

Bien, Monsieur le Président. Les États-Unis présentent comme preuve un film documentaire sur les camps de concentration. Ce compte rendu provient de films pris par les autorités militaires au fur et à mesure de la libération par les Armées alliées des régions où se trouvaient ces camps. Le texte des commentaires est établi directement d’après les comptes rendus des photographes militaires qui ont filmé ces camps.

Ces films montrent d’eux-mêmes ce qu’étaient la vie et la mort dans les camps de concentration nazis. Ce film est authentifié par les attestations des officiers de la Marine et l’Armée américaine dont j’ai parlé.

Comme il a été dit, ce film a été mis à la disposition des avocats, qui possèdent des traductions de ces déclarations sous serment.

Si le Tribunal le permet, nous commencerons la présentation de ce film, document PS-2430 (USA-79).

(Des photographies sont alors projetées sur l’écran montrant les affidavits suivants, en même temps que sont enregistrées les voix des témoins lisant leurs déclarations respectives.)

« George C. Stevens, lieutenant-colonel de l’Armée américaine certifie par la présente :

« 1. Du 1er mars 1945 au 8 mars 1945, j’étais en service au Corps des Transmissions des Forces expéditionnaires alliées, attaché au Grand Quartier Général. Parmi mes fonctions officielles, figurait la direction de la photographie des camps de concentration nazis et des camps de prisonniers libérés par les Forces alliées.

« 2. Le film qui va vous être présenté après cet affidavit a été tourné par les équipes de photographes officiels alliés en service commandé, chaque équipe étant composée d’un personnel militaire sous la direction d’un officier responsable.

« 3. En toute connaissance de cause et en toute sincérité, ces films constituent un reportage réel sur les individus et les scènes photographiés. Ils n’ont en rien été modifiés depuis qu’ils ont été tirés. Le commentaire qui les accompagne est un exposé sincère des faits et des circonstances dans lesquelles ces vues furent prises.

« Signé : Georges C. Stevens, lieutenant-colonel, AUS. Fait sous la foi du serment, le 2 octobre 1945.

« Signé : James B. Donovan, commandant de réserve de la Marine américaine. »

« E. R. Kellogg, lieutenant de la Marine américaine, certifie par la présente :

« 1. De 1929 à 1941, j’ai travaillé aux “Twentieth Century Fox Studios” à Hollywood, Californie, en tant que directeur des effets cinématographiques, et je suis familiarisé avec toutes les techniques photographiques. Depuis le 6 septembre 1941 jusqu’à la date d’aujourd’hui, le 27 août 1945, je suis resté en service actif dans la Marine américaine.

« 2. J’ai examiné soigneusement le film qui sera présenté après cet affidavit et je certifie que les extraits provenant du négatif original n’ont pas été retouchés, déformés ou altérés de quelque manière que ce soit et sont des copies réelles des originaux conservés dans les caves du service des Transmissions de l’Armée américaine. Ces extraits, d’une longueur de 6.000 pieds, ont été choisis parmi 80.000 pieds de films. J’ai examiné la totalité de ces films qui sont absolument conformes à ces extraits.

« Signé : E. R. Kellogg, lieutenant de la Marine américaine. Fait sous la foi du serment, le 27 août 1945.

« Signé : John Ford, capitaine de la Marine américaine. »

Le film est alors présenté.
COLONEL STOREY

Ceci termine la présentation.

(L’audience sera reprise le 30 novembre 1945 à 10 heures.)