Onzième journée
Lundi 3 décembre 1945.
Audience de l’après-midi.
Plaise au Tribunal. Mon attention a été attirée sur le fait que j’ai mal lu la signature du document auquel je me suis rapporté ce matin ; c’est le numéro 31 des notes Schmundt, j’ai lu le nom de Jodl comme signataire, alors que j’aurais dû lire Keitel.
En présentant le détail des documents qui ont été déposés comme preuves, je crois qu’il serait bon de s’arrêter un instant et de rappeler le cadre dans lequel ces événements se produisirent. Le monde ne pourra jamais oublier le pacte de Munich et la crise internationale qui y conduisit. Au cours du développement de cette crise en août et septembre 1938, des hommes d’État firent un effort désespéré pour maintenir la paix, mais ils connaissaient bien mal les plans et les desseins diaboliques que ces conspirateurs portaient dans leur cœur et dans leur esprit.
Nous présentons aujourd’hui au Tribunal selon leurs propres paroles, l’histoire des événements dont le pacte de Munich a été l’aboutissement. Nous pouvons maintenant écrire sur les pages de l’Histoire la vérité concernant la fraude et la duplicité employées par les conspirateurs nazis pour arriver à leurs fins. Ce pacte de Munich constitua le tremplin des agressions futures. On ne peut, sans la revivre, penser à nouveau à la terreur de la guerre, à la crainte de la guerre et du désastre mondial, qui saisissaient tous les hommes pacifiques. L’espoir de paix qui vint avec le pacte de Munich fut, nous le voyons maintenant, un artifice, un guet-apens, un piège soigneusement tendu par les accusés que nous jugeons. Le caractère odieux de ces hommes qui développaient ce plan d’agression et de guerre est clairement démontré par leurs propres documents.
D’autres discussions eurent lieu entre l’Armée et la Luftwaffe au sujet de l’heure et du jour propices à l’attaque. Des notes de conférence portant les initiales de l’accusé Jodl, datées du 27 septembre, révèlent des divergences de vue. Ces notes forment l’article 54, page 90 de la traduction du document PS-388. J’en lirai les trois premiers paragraphes ; le titre est : « Absolument confidentiel – Affaire de commandement – À ne transmettre que par officier. Notes de conférence. Berlin 27. 9. 1938. 4 exemplaires. Premier exemplaire. À verser au dossier « Grün ». Synchronisation, en principe, des attaques par l’Armée de terre et par l’Aviation au jour « J ».
« L’Armée désire attaquer à l’aube, c’est-à-dire vers 6 h. 15 ; elle désire aussi mener, la veille au soir, quelques opérations limitées qui toutefois ne donnent pas l’alarme sur la totalité du front tchèque. L’heure d’attaque de l’Aviation dépend des conditions météorologiques. Celles-ci pourront modifier l’heure de l’attaque et limiter aussi la zone des opérations. Le temps de ces derniers jours, par exemple, aurait retardé les envols de 8 heures à 11 heures du matin, à cause du plafond très bas en Bavière.
« En conséquence – je passe aux deux derniers paragraphes, page 91 – on propose : une attaque de l’Armée de terre indépendante de l’attaque de l’Aviation, à l’heure jugée propice par l’Armée, 6 h. 15, et autorisation de mener des opérations limitées auparavant, mais dans la mesure où elles n’alerteront pas le front tchèque tout entier.
« La Luftwaffe attaquera à l’heure la plus favorable pour elle. » L’initiale à la fin du document est « J » vraisemblablement « Jodl ».
Le même jour, le 27 septembre, l’accusé Keitel envoya un mémorandum confidentiel à l’accusé Hess et au Reichsführer SS Himmler pour l’information des personnalités officielles du parti nazi. Ce mémoire constitue l’article 32 du dossier Schmundt, page 56 de la traduction anglaise. Je lis les quatre premiers paragraphes de ce message :
« Étant donné la situation politique, le Führer Chancelier a ordonné des mesures de mobilisation pour l’Armée sans que la situation politique soit aggravée par la mise en vigueur de l’ordre de mobilisation (X) ou des noms de code correspondants.
« Dans le cadre de ces mesures de mobilisation, il est nécessaire que les autorités militaires envoient aux diverses autorités du Parti et à ses organisations des instructions concernant la précédente mise en vigueur antérieure de l’ordre de mobilisation, les mesures préliminaires ou les codes spéciaux.
« Cette situation spéciale exige qu’il soit donné satisfaction immédiatement à ces exigences (même si le code n’est pas encore divulgué) et sans qu’il en soit référé à l’autorité supérieure.
« L’OKW demande que les services subordonnés reçoivent des instructions immédiates à cet effet, afin que la mobilisation des Forces armées puisse être exécutée selon le plan. »
Je passe au dernier paragraphe.
« Le Commandement suprême des Forces armées demande en outre que toutes les mesures qui ne sont pas prévues dans le plan et qui sont prises par des organisations du Parti ou des unités de police comme résultat de la situation politique, soient soumises dans tous les cas, et en temps utile, au Commandement suprême de l’Armée. C’est seulement alors que l’on pourra garantir l’exécution de ces mesures.
« Le chef du Commandement suprême des Forces armées : Keitel. »
Deux autres inscriptions dans le journal de l’accusé Jodl révèlent l’échelle à laquelle les conspirateurs nazis firent leurs préparatifs d’attaque, même pendant la période de négociations qui se termina à l’accord de Munich. Je cite les réponses du journal de Jodl en date des 26 et 27 septembre, page 7 de la traduction du document PS-1780. Le 26 septembre…
Avez-vous présentes à l’esprit les dates de la visite de M. Chamberlain en Allemagne et de l’accord proprement dit ? Peut-être pourriez-vous nous les donner plus tard ?
Je vous donnerai ces dates plus tard, en effet…
Très bien.
Le pacte de Munich date du 29 septembre. Ce qui suit a donc été écrit trois jours avant le pacte, le 26 septembre :
« Le chef du Haut Commandement des Forces armées, par l’entremise du Haut Commandement de l’Armée de terre, a arrêté le mouvement projeté que les unités d’avant-garde devaient exécuter en direction de la frontière tchèque, parce que cette manœuvre n’est pas encore nécessaire et que le Führer n’a pas l’intention, de toute façon, de l’exécuter avant le 30. L’ordre de s’approcher de la frontière tchèque ne devra être lancé que le 27.
« Les stations de radio de Breslau, de Dresde et de Vienne seront mises à la disposition du ministère du Reich de l’Éducation et de la Propagande, pour brouiller les émissions éventuelles de propagande tchèque. La section "Ausland" a posé la question de savoir si l’on doit permettre aux Tchèques de quitter l’Allemagne et de la traverser. Décision du Chef du Haut Commandement de l’Armée : Oui.
« 15 h. 15 : Le Chef du Haut Commandement de l’Armée informe le général Stumpf du résultat des conversations de Godesberg et de l’opinion du Führer : en aucun cas, la date du jour "J" ne précédera le 30.
« Il est important que nous ne nous laissions pas entraîner dans des engagements militaires sur la foi de faux rapports, avant la réponse de Prague.
« Une question de Stumpf au sujet de l’heure "H" amène la réponse suivante : Étant donné la situation météorologique, on ne saurait attendre une intervention simultanée de l’Aviation et de l’Armée. L’Armée de terre doit agir à l’aube, l’Aviation ne peut commencer que plus tard, étant donné les fréquents brouillards.
« Le Führer doit décider lequel des Commandants en chef aura la priorité.
« L’opinion de Stumpf est aussi que l’Armée de terre doit attaquer. Le Führer n’a pris encore aucune décision au sujet d’une attaque contre Prague.
« 20 heures : Le Führer s’adresse au peuple et au monde dans un discours important prononcé au Palais des Sports. »
Puis vient la note du 27 septembre : « 13 h. 20 le Führer consent à ce que l’on fasse avancer la première vague d’assaut jusqu’à une ligne d’où elle pourrait s’élancer vers la zone de rassemblement, le 30 septembre. »
Cet ordre, mentionné par le général Jodl, est aussi relaté par le fidèle Schmundt, article 33, page 57 de son dossier. Je le lirai dans son texte intégral. C’est l’ordre qui a amené l’armée nazie au tremplin de départ de son agression brutale et non provoquée.
« 28 septembre 1938 – Absolument confidentiel – Mémoire. – À 13 heures, le 27 septembre, le Führer et Commandant suprême de l’Armée a donné l’ordre aux unités d’assaut de quitter leurs zones de manoeuvres pour se rendre à leur bases de départ.
« Les unités d’assaut (environ 21 régiments renforcés ou 7 divisions), doivent être prêtes à entrer en action contre "Grün" le 30 septembre, la décision ayant été prise un jour avant, à 12 heures.
« Cet ordre a été transmis au général Keitel à 13 h. 20 par le commandant Schmundt. (Note au crayon de Schmundt.) »
Laissant l’armée nazie sur sa position stratégique aux frontières tchécoslovaques, revenons un moment en arrière pour examiner une autre phase de l’agression contre les Tchèques. Les préparatifs militaires pour l’action contre la Tchécoslovaquie n’avaient pas été faits dans le vide. Ils avaient été précédés d’une campagne habilement conçue destinée à provoquer des actes de désobéissance civile dans l’État tchécoslovaque. Utilisant les techniques qu’ils avaient déjà mises au point au cours de leurs aventures clandestines et concertées, les conspirateurs nazis se servirent pendant plus d’un an, de l’argent, de la propagande et de la contrainte pour miner la Tchécoslovaquie. Dans ce programme, les nazis limitèrent leurs efforts aux personnes de descendance germanique vivant dans le pays des Sudètes, région montagneuse limitrophe de la Bohême, de la Moravie, au nord-ouest et au sud.
J’attire maintenant l’attention du Tribunal sur le document PS-998. Ce document intitulé « Crimes allemands contre la Tchécoslovaquie » est un rapport officiel du Gouvernement tchécoslovaque destiné à la poursuite et au jugement des Grands Criminels de guerre allemands. Je crois que ce rapport rentre nettement dans les prévisions de l’article 21 du Statut et peut être admis d’office comme preuve par le Tribunal. L’article 21 du Statut stipule.
« Le Tribunal n’exigera pas que soit rapportée la preuve de faits de notoriété publique, mais les tiendra pour acquis. Il considérera également comme preuves authentiques les documents et rapports officiels des Gouvernements des Nations Unies, y compris ceux dressés par les Commissions établies dans les divers pays alliés pour les enquêtes sur les crimes de guerre, ainsi que les procès-verbaux des audiences et des décisions des tribunaux militaires ou autres tribunaux militaires ou autres tribunaux de l’une quelconque des Nations Unies. »
Puisque, d’après cet article, le Tribunal admettra d’office ce rapport du Gouvernement tchèque, avec la permission du Tribunal j’en résumerai brièvement les pages 9 à 12 pour montrer les dessous de l’intrigue nazie qui se trama ensuite en Tchécoslovaquie.
L’agitation nazie en Tchécoslovaquie datait des premiers jours de la NSDAP, du parti nazi. Dans les années qui suivirent la première guerre mondiale, un parti des travailleurs allemands nationaux-socialistes, DNSAP, étroitement lié avec la NSDAP de Hitler, déploya son activité dans le pays des Sudètes. En 1932, les chefs de cercle du Sudetendeutsche Volkssport, organisation correspondant aux SA nazies (ou Sturmabteilungen) adhérèrent ouvertement aux vingt et un points du programme hitlérien, dont le premier demandait la réunion de tous les Allemands dans une plus grande Allemagne. Peu après, ils furent accusés d’avoir tramé des plans de révolte armée pour le compte d’une puissance étrangère et furent condamnés pour complot contre la République tchèque.
Vers la fin de l’année 1933, le parti national-socialiste de Tchécoslovaquie prévint sa dissolution par une liquidation volontaire et plusieurs de ses chefs s’enfuirent de l’autre côté de la frontière allemande. Une année encore, l’activité nazie en Tchécoslovaquie continua clandestinement.
Le 1er octobre 1934, avec l’approbation et le soutien des conspirateurs nazis, un moniteur de gymnastique, Konrad Henlein, établit le Front Patriotique allemand ou Deutsche Heimatfront qui, au printemps suivant, devint le parti allemand des Sudètes : SDP. Profitant de l’expérience du parti national-socialiste tchèque, Henlein niait tout rapport avec les nazis allemands. Il rejetait le pangermanisme et proclamait son respect pour les libertés individuelles et sa loyauté envers la démocratie sincère et l’État tchèque. Son parti, cependant, était bâti sur les bases d’un principe nazi, le principe du Chef, et il en devint le Führer.
Vers 1937, quand la puissance de l’Allemagne de Hitler fut devenue évidente, Henlein et ses partisans prirent un ton plus agressif, exigeant une autonomie totale pour les Sudètes, sans définir ce que cela signifiait. Le SDP déposa devant le Parlement tchèque des projets tendant en substance à créer un état dans l’État.
Après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, en mars 1938, les partisans de Henlein qui, alors, étaient ouvertement organisés sur le modèle nazi, intensifièrent leur activité. Une propagande antisémite non déguisée commença dans la presse de Henlein.
La campagne contre le bolchevisme fut intensifiée. Le terrorisme régna là où Henlein dominait. Une organisation de troupes de choc, formée et entraînée d’après les principes des SS nazis, fut créée ; elle était connue sous le nom de FS (Freiwilliger Selbstschutz), ou milice volontaire.
Le 24 avril 1938, dans un discours adressé au Congrès du Parti, à Karlsbad, Henlein révéla ce qu’il a appelé son « programme de Karlsbad ». Dans ce discours qui était un écho de ceux de Hitler, quant au ton et au contenu, Henlein affirmait le droit des Allemands des Sudètes à professer une philosophie politique allemande, qui, cela était clair, signifiait le national-socialisme.
Au cours de l’été 1938, les partisans de Henlein eurent recours à toutes les techniques de la Cinquième colonne nazie. Comme les pages 12 à 16 du rapport officiel du Gouvernement tchèque le résument, ces techniques comprenaient :
a. Espionnage. – L’espionnage militaire était pratiqué par le SDP, le FS et les autres membres de la minorité allemande, pour le compte de l’Allemagne. On dressa des cartes des fortifications tchèques, et des renseignements concernant les mouvements des troupes tchèques furent donnés aux autorités allemandes.
b. Nazification des organisations allemandes en Tchécoslovaquie. Les partisans de Henlein, pénétrèrent systématiquement toute la vie de la population allemande de Tchécoslovaquie. Les associations et les centres sociaux et culturels subirent, l’un après l’autre, une « Gleichschaltung », c’est-à-dire une épuration de la part du SDP. Parmi les organisations conquises par les partisans de Henlein, il y avait des sociétés sportives, des clubs nautiques, des associations d’anciens soldats et des sociétés de choristes. Les partisans de Henlein s’intéressaient tout particulièrement à la pénétration du plus grand nombre possible de sociétés de travail et attiraient à eux les directeurs de banques, les propriétaires ou directeurs d’usines, les directeurs de firmes commerciales. Au cas où le propriétaire ou le directeur était Juif, ils essayaient de s’assurer la collaboration des techniciens et du personnel des bureaux de l’institution.
c. Prédominance et Direction allemande. – Les partisans de Henlein maintenaient un contact permanent avec les personnalités nazies officielles désignées pour diriger les opérations à l’intérieur de la Tchécoslovaquie. On camouflait les réunions tenues en Allemagne, au cours desquelles les partisans de Henlein recevaient des encouragements et des instructions concernant leur activité de Cinquième colonne, en les faisant coïncider avec les « Sänger Feste » ou festivals de choristes, des exhibitions de gymnastique, des assemblées sportives et des réunions commerciales, telles que la foire de Leipzig. Chaque fois que les conspirateurs nazis avaient besoin d’un incident pour la guerre des nerfs, il était du devoir des partisans de Henlein de les créer.
d. Propagande. – Une propagande destructrice et subversive était dirigée contre la Tchécoslovaquie dans les émissions radiophoniques allemandes et la presse allemande s’en faisait l’écho. Goebbels appelait la Tchécoslovaquie un « nid de bolchevisme » et propageait de faux rapports sur des concentrations de troupes et d’avions russes à Prague. Sous la direction du Reich, les partisans de Henlein veillaient à la diffusion constante dans le pays des Sudètes de rumeurs qui contribuaient à augmenter la tension et à créer des incidents. Une littérature nazie illégale arrivant en contrebande d’Allemagne, était largement distribuée dans les régions frontalières. La presse de Henlein, plus ou moins ouvertement, adoptait l’idéologie nazie concernant la population allemande du pays des Sudètes.
e. Meurtres et terrorisme. – Les conspirateurs nazis fournirent aux partisans de Henlein et particulièrement aux FS de l’argent et des armes pour provoquer des incidents et maintenir un état de trouble permanent. Des gendarmes, des officiers des douanes et d’autres fonctionnaires tchèques étaient attaqués. On boycotta des hommes de loi, des docteurs et commerçants Juifs.
Les partisans de Henlein terrorisaient la population qui leur était hostile et la Gestapo nazie allait chercher des citoyens tchécoslovaques dans les régions frontalières pour leur faire passer la frontière en direction de l’Allemagne. Dans plusieurs cas, des ennemis politiques des nazis furent assassinés sur le sol tchèque. Des agents nazis assassinèrent le professeur Théodore Lessing en 1933 et l’ingénieur Formis en 1935 ; ces deux hommes étant anti-nazis s’étaient enfuis d’Allemagne après l’accession de Hitler au pouvoir, et avaient cherché refuge en Tchécoslovaquie.
Peu de temps après, lorsqu’il n’était plus besoin de prétextes et de tromperies, Konrad Henlein fit une déclaration claire et nette de la mission qui lui avait été confiée par les conspirateurs nazis. Je dépose comme preuve le document PS-2863, un extrait d’une conférence faite par Konrad Henlein et cité dans le livre Quatre Années de Combat, publié par le ministère des Affaires étrangères tchécoslovaque ; j’en cite la page 29. Ce livre a été identifié comme document USA-92, mais, sans le déposer comme preuve, je demande au Tribunal de le considérer comme tel. Je lirai un extrait de la page 29. Cette conférence fut faite par Henlein le 4 mars 1941, dans l’auditorium de l’Université de Vienne, sous les auspices de la Wiener Verwaltungsakademie. Au cours de recherches approfondies dans les bibliothèques de Vienne et d’ailleurs, il nous a été impossible de trouver un exemplaire du texte allemand. Ce texte, le volume que j’ai ici, est une version anglaise. Les journaux de Vienne, le jour suivant, ne présentaient que des résumés de la conférence. Cependant, cette version anglaise est une publication officielle du Gouvernement tchèque et c’est en l’espèce la meilleure preuve que nous puissions produire du discours de Henlein.
Dans cette conférence sur la « lutte pour la libération des Sudètes », Henlein disait : « Le national-socialisme nous entraîna bientôt, nous Allemands des Sudètes. Notre lutte eut un caractère différent de ce qu’elle fut en Allemagne. Bien que nous ayons dû nous comporter différemment en public, il est évident que nous étions secrètement en contact avec la révolution nationale-socialiste en Allemagne, afin de pouvoir y participer. La lutte pour la Plus Grande Allemagne était engagée sur le sol des Sudètes aussi. Cette lutte ne pouvait être engagée que par ceux qu’inspirait l’esprit du national-socialisme, les personnes qui étaient de véritables partisans de notre Führer, quelle que fut leur apparence extérieure. Le destin me choisit pour être le chef du groupe national-socialiste dans la dernière phase de cette lutte. Quand, en automne 1933, le chef de la NSDAP me demanda d’assumer la direction politique des Allemands des Sudètes, j’eus des problèmes difficiles à résoudre. Le parti national-socialiste devait-il continuer à exister dans l’illégalité, ou le mouvement devait-il dans l’intérêt des Allemands des Sudètes et afin de préparer leur retour au Reich, mener sa lutte d’une manière camouflée au moyen de méthodes qui apparaissent absolument légales au monde extérieur
« Pour nous autres, Allemands des Sudètes, seule, la deuxième solution semblait possible, car la sauvegarde de notre groupe national était en jeu. Il eût été certainement plus facile d’abandonner cette lutte difficile et épuisante pour l’esprit et de faire le geste héroïque d’avouer que nous dépendions du national-socialisme et d’entrer dans une prison tchécoslovaque. Mais il semblait plus que douteux que, par ce moyen, nous ayons pu accomplir notre tâche politique : détruire la Tchécoslovaquie, l’un des bastions de l’union contre le Reich allemand ».
Le tableau de l’intrigue nazie en Tchécoslovaquie, que je viens de présenter au Tribunal, est le schéma de la conspiration telle que le Gouvernement tchécoslovaque l’a reconstituée en détail au début de cet été. Depuis lors, les documents saisis et d’autres informations que nous avons obtenues depuis la défaite de l’Allemagne ont démontré clairement et de façon définitive que les conspirateurs nazis étaient impliqués dans les troubles des Sudètes, ce qui, jusqu’à présent, n’avait pu être que supposé.
Je dépose comme preuve le document PS-3060 (USA-93). C’est le brouillon original, manuscrit d’un télégramme envoyé par la légation allemande à Prague, le 16 mars 1938, au ministère des Affaires étrangères à Berlin. Il a été probablement écrit par l’ambassadeur allemand Eisenlohr. Il démontre de façon décisive que le mouvement de Henlein était un instrument, un jouet aux mains des conspirateurs nazis. Le parti de Henlein, ce document le démontre, était dirigé par Berlin et par la légation allemande à Prague. Il ne pouvait avoir de politique propre. Même les discours de ses chefs devaient concorder avec les vues des autorités allemandes.
Je lis ce télégramme :
« Prague, 16 mars 1938.
« Ministère des Affaires étrangères. – Berlin, message chiffré secret n° 57 du 16 mars :
Se réfère à l’ordre télégraphique n° 30, en date du 14 mars :
« La semonce passée à Frank a eu un effet salutaire. J’ai discuté séparément avec Henlein qui, récemment, m’avait évité puis avec Frank et j’ai reçu les promesses suivantes :
1. La ligne de conduite de la politique étrangère allemande, telle qu’elle est donnée par la légation allemande regarde exclusivement la politique et la tactique du parti allemand des Sudètes. On doit se conformer implicitement à mes instructions.
2. La coordination des discours publics et de la presse aura lieu avec mon approbation. Les rédacteurs du Zeit doivent être mis au pas.
3. La direction du Parti abandonne l’intransigeance dont elle a fait preuve jusqu’alors et qui eût pu finalement amener des complications politiques, et elle adopte une autre ligne de conduite : servir de plus en plus les intérêts des Allemands des Sudètes. Les objectifs doivent être déterminés dans tous les cas avec ma participation et atteints par une action parallèle de la diplomatie.
Il ne faut plus insister sur les lois de protection nationale (Volkschutzgesetze) et d’« autonomie territoriale ».
4. S’il est nécessaire ou désirable de consulter les services de Berlin avant que Henlein ne fasse de déclarations importantes au sujet de son programme, ces consultations doivent être demandées et préparées par l’entremise de la mission diplomatique.
5. Toute information provenant du parti allemand des Sudètes et destinée aux services allemands doit être transmise par la légation.
6. Henlein prendra contact avec moi chaque semaine et viendra à Prague chaque fois qu’il en sera requis.
« J’espère exercer maintenant sur le parti allemand des Sudètes un contrôle solide, plus que jamais nécessaire pour l’évolution à venir, dans l’intérêt de notre politique étrangère. Je vous prie d’informer les ministères intéressés et la Mittelstelle (Bureau Central pour les sujets de race allemande) et je leur demande d’approuver cette direction uniforme du parti allemand des Sudètes. »
Les initiales sont illisibles.
La semonce passée par Eisenlohr à Henlein eut l’effet désiré. Le lendemain du jour où le télégramme fut envoyé de Prague, Henlein adressa une lettre pleine d’humilité à Ribbentrop, lui demandant un entretien personnel au plus tôt.
Je dépose comme preuve le document n° PS-2789 (USA-94). C’est la lettre de Konrad Henlein à l’accusé Ribbentrop, saisie dans les archives du ministère des Affaires étrangères allemand, et datée du 17 mars 1938 :
« Excellence,
« Ayant ressenti une joie profonde de la tournure que prennent les événements en Autriche, nous nous faisons un devoir d’exprimer notre gratitude à tous ceux qui ont pris part à ce nouveau et grand succès de notre Führer. Je vous prie donc, « Excellence, d’accepter ici les sincères remerciements des Allemands des Sudètes.
« Nous montrerons notre reconnaissance au Führer en redoublant nos efforts au service de la politique de la Grande Allemagne.
« La situation nouvelle exige un réajustement de la politique allemande en pays sudète. Dans ce but, je désire vous demander de m’accorder un entretien personnel dès que possible.
« Étant donné la nécessité d’une telle mise au point, j’ai remis à quatre semaines le Congrès national du parti primitivement fixé aux 26 et 27 mars 1938.
« J’aimerais que l’ambassadeur, Dr Eisenlohr, et deux de mes plus proches collaborateurs soient admis à participer à l’entretien que je sollicite de vous. Heil Hitler.
« Loyalement à vous,
« Konrad Henlein ».
Vous remarquerez que Henlein se rendait parfaitement compte que l’annexion de l’Autriche permettait d’adopter une nouvelle politique à l’égard de la Tchécoslovaquie. Vous remarquerez aussi qu’il était déjà en contact suffisamment étroit avec Ribbentrop et le ministre allemand à Prague, pour avoir la liberté de solliciter un entretien personnel, dès que possible. Ribbentrop ne fut pas insensible à la suggestion de Henlein. L’entretien envisagé par Henlein eut lieu au ministère des Affaires étrangères à Berlin, le 29 mars 1938. La veille, Henlein, avait conféré avec Hitler lui-même.
Je dépose comme preuve le document n° PS-2788 (USA-95) ; ce sont des notes saisies, provenant du ministère des Affaires étrangères allemand, ayant trait à la conférence du 29 mars. Je lis les deux premiers paragraphes :
« A cette conférence participaient les personnes mentionnées dans la liste ci-jointe.
« Le ministre du Reich commença par souligner la nécessité de garder absolument secrète la conférence qui avait été prévue. Il expliqua ensuite à la lumière des instructions données la veille dans l’après-midi, par le Führer en personne, à Konrad Henlein, qu’il y avait deux questions d’importance primordiale pour la conduite de la politique du parti allemand des Sudètes. »
Je passe sur la discussion des revendications des Allemands des Sudètes, et reprends les notes de cette conférence, au milieu du dernier paragraphe de la première page de la traduction anglaise, à la phrase commençant ainsi : « Le but des négociations … »
« Le but des négociations qui doivent être menées par le parti allemand des Sudètes avec le Gouvernement tchécoslovaque est, en définitive, celui-ci :
« Éviter l’entrée dans le Gouvernement et, pour cela, augmenter les réclamations à présenter et les préciser graduellement.
« Il faut souligner clairement dans les négociations que le parti allemand des Sudètes est seul à participer aux négociations avec le Gouvernement tchécoslovaque, et non le Cabinet du Reich. Le Cabinet du Reich lui-même doit refuser d’apparaître aux yeux des gouvernements de Prague, de Londres, ou de Paris, comme l’avocat ou l’arbitre des réclamations allemandes des Sudètes. Il est évident que, au cours de la présente discussion avec le Gouvernement tchécoslovaque, les Allemands des Sudètes, devront être fortement contrôlés par Konrad Henlein, rester tranquilles et disciplinés et éviter toute indiscrétion. Les assurances déjà données par Konrad Henlein à cet égard étaient satisfaisantes.
« Conformément à ces explications d’ordre général données par le ministre du Reich, les exigences du parti allemand des Sudètes présentées au Gouvernement tchèque telles qu’elles figurent dans la pièce ci-jointe furent discutées et approuvées en principe. Pour la collaboration ultérieure, Konrad Henlein reçut l’instruction de rester en contact le plus étroit possible avec le ministre du Reich et le chef du Bureau central pour les sujets de race allemande, de même qu’avec le ministre d’Allemagne à Prague, représentant local du ministre des Affaires étrangères. La tâche du ministre allemand à Prague serait de soutenir les exigences du parti allemand des Sudètes dans une mesure raisonnable, non pas officiellement, mais dans des entretiens plus officieux avec les politiciens tchèques et sans exercer aucune influence directe sur l’importance des exigences du Parti.
« En conclusion, il y eut une discussion pour savoir s’il serait utile au parti allemand des Sudètes de collaborer avec d’autres minorités en Tchécoslovaquie, et surtout avec les Slovaques. Le ministre des Affaires étrangères décida que le Parti aurait les mains libres pour garder un lien assez lâche avec les autres groupes minoritaires s’il leur paraissait opportun d’adopter une ligne de conduite parallèle.
« Berlin, le 29 mars 1938. » Signé « R » pour « Ribbentrop. »
La liste des personnes présentes à cette réunion secrète n’en constitue pas l’aspect le moins intéressant : Konrad Henlein, son principal adjoint Karl Hermann Frank, et deux autres représentants du parti allemand des Sudètes, le géopoliticien Professeur Haushofer et le SS Obergruppenführer Lorenz représentaient la Volksdeutsche Mittelstelle, bureau central pour les sujets de race allemande. Le ministère des Affaires étrangères était représenté par une délégation de huit personnes parmi lesquelles Ribbentrop qui présida la réunion et fut le principal orateur, von Mackensen, Weizsäcker et le ministre Eisenlohr de la légation allemande à Prague.
En mai, Henlein vint à Berlin pour s’entretenir encore avec les conspirateurs nazis. À cette époque, le plan pour le « Cas Vert » (attaque de la Tchécoslovaquie) était déjà sur le papier et on peut supposer que Henlein reçut des instructions sur le rôle qu’il devait jouer durant les mois d’été.
Je cite à nouveau un extrait du journal du général Jodl, document PS-1780, les notes du 22 mai 1938 : « Conférence fondamentale entre le Führer et K. Henlein (voir pièce jointe) ». Malheureusement, la pièce jointe manque au journal de Jodl.
Le Tribunal se souviendra que, dans son discours de Vienne, Henlein avait reconnu qu’il avait été choisi par les conspirateurs nazis à l’automne de 1933 pour assumer la direction politique des Allemands des Sudètes. Les documents que je viens de lire montrent d’une façon concluante la nature de la mission de Henlein. Ils démontrent que la politique de Henlein, sa propagande et même ses discours étaient contrôlés par Berlin.
Je vais montrer maintenant qu’à partir de l’année 1935, le parti allemand des Sudètes fut secrètement financé par le ministre allemand des Affaires étrangères.
Je dépose comme preuve le document n° PS-3059 (USA-96), un autre document secret, saisi dans les dossiers du ministère allemand des Affaires étrangères.
Ce mémorandum, signé par Woermann et daté de Berlin le 19 août 1938, a pour origine une demande du parti de Henlein en vue d’obtenir des fonds supplémentaires. Je lis ce document :
« Le parti allemand des Sudètes a reçu du ministère des Affaires étrangères, depuis 1935, des subsides réguliers constitués par un versement mensuel de 15.000 mark ; 12.000 mark ont été transmis pour débours à la légation de Prague et 3.000 payés à Berlin aux représentants du parti (bureau Buerger). Au cours des derniers mois, les tâches assignées au bureau Buerger se sont considérablement accrues du fait des négociations en cours avec le Gouvernement tchèque. Le nombre de tracts et de cartes publiés et diffusés a augmenté ; la presse a intensifié énormément son activité de propagande. Les frais se sont accrus surtout parce que les exigences d’un service d’informations constamment tenu à jour ont multiplié les déplacements à Prague, Londres et Paris, y compris le financement des voyages de plus en plus nombreux entrepris par les représentants et les agents allemands des Sudètes.
Dans ces conditions, le bureau Buerger n’est plus à même de continuer avec l’allocation mensuelle de 3.000 mark, à remplir toutes les missions qui lui sont confiées. Par conséquent, M. Buerger s’est adressé à ce service pour faire porter cette somme de 3.000 à 5.500 mark par mois. Étant donné l’augmentation considérable des affaires traitées par ce bureau et l’importance de son activité à l’égard de la collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, cette demande mérite d’être appuyée très fermement.
« Soumis par la présente au Service du Personnel avec une demande d’avis favorable. On demande une augmentation des sommes allouées avec effet rétroactif à dater du premier août.
« Signé : Woermann. »
Sous cette signature, on trouve une note au bas de la page, la « "Volksdeutsche Mittelstelle" (c’est-à-dire Bureau central pour les sujets de race allemande) sera informée par le département politique ». C’est une note marginale manuscrite. Seules des suppositions sont permises quant au soutien financier reçu des autres services du Gouvernement allemand par le mouvement de Henlein.
Les préparatifs militaires d’attaque de la Tchécoslovaquie s’étant poursuivis à la fin de l’été et au début de l’automne, les nazis se servirent de Henlein et de ses partisans. Vers le premier août, l’attaché de l’Air à la légation d’Allemagne à Prague, le commandant Moericke, agissant d’après des instructions données par le quartier général de la Luftwaffe à Berlin, rendit visite au chef des Allemands des Sudètes à Freudenthal. Avec son aide et en compagnie du chef local de la FS, équivalent SS de Henlein, il reconnut la région environnante afin de choisir les terrains dont les Allemands pourraient se servir comme aérodromes. Le chef de la FS, un réserviste tchèque alors en permission, portait l’uniforme de l’armée tchèque ; ceci, comme le remarque l’attaché, servait parfaitement de camouflage.
Je lis maintenant la pièce jointe au document PS-1536 que j’ai déjà déposé comme preuve et qui porte le n° de pièce USA-83. J’ai déjà lu les quatre premiers paragraphes de la pièce jointe.
« L’industriel M. est le chef des pilotes de vol à voile des Allemands des Sudètes à Freudenthal, et mon homme de confiance me l’a présenté comme absolument sûr. Mon impression personnelle confirme pleinement ce jugement. Aucune allusion à mon identité n’a été faite en ma présence, bien que j’aie l’impression que M. ait su qui j’étais. Sur ma demande, à laquelle il accéda sans rien dire, M. m’accompagna dans la région en question. La voiture personnelle de M. nous servit pour ce voyage.
« Comme M. ne connaissait pas la région de Beneschau, il emmena le chef local du FS, un réserviste tchèque de groupe des Sudètes de race allemande qui était alors en permission. Il était en uniforme pour des raisons de camouflage, j’étais entièrement d’accord, sans l’exprimer du reste.
« Comme M., pendant le voyage, remarqua que je photographiais de la voiture de grands espaces découverts, il dit : "Vous cherchez donc des terrains d’aviation." Je répondis que nous supposions qu’en cas d’événements graves, les Tchèques établiraient leurs terrains d’aviation immédiatement derrière les lignes de fortifications. J’avais l’intention d’examiner le pays de ce point de vue. »
Dans la dernière partie du rapport de l’attaché de l’air, il est fait allusion à la présence d’agents et d’indicateurs sûrs qu’il appelle « V-Leute », apparemment recrutés parmi les membres du parti de Henlein dans ce secteur. Il indique que ces agents étaient en contact avec l’« Abwehr-Stelle » ou Bureau de contre-espionnage à Breslau.
En septembre, alors que la campagne de propagande nazie atteignait son apogée, les nazis ne se contentèrent pas d’exploiter les revendications d’autonomie des Sudètes ; ils essayèrent de se servir aussi des Slovaques. Le 19 septembre, le ministère des Affaires étrangères à Berlin envoya un télégramme à la légation allemande à Prague.
Je dépose comme preuve le document n° PS-2858 (USA-97), encore un document saisi dans les dossiers du ministère allemand des Affaires étrangères. Voilà le télégramme :
« Veuillez informer le député Kundt que Konrad Henlein ordonne de prendre immédiatement contact avec les Slovaques et de les inciter à formuler leurs premières exigences d’autonomie dès demain.
« Signé : Altenburg. »
Kundt était le représentant de Henlein à Prague. Comme le Gouvernement tchèque, harcelé, cherchait à enrayer les troubles dans les Sudètes, le ministère allemand des Affaires étrangères recourut à des manœuvres diplomatiques dans le but délibéré d’augmenter la tension entre les deux pays. Je dépose comme preuve les documents nos PS-2855, PS-2854, PS-2853 et PS-2856, respectivement USA-98, 99, 100 et 101. Ce sont quatre télégrammes du ministère des Affaires étrangères à Berlin, adressés à la légation de Prague et qui furent envoyés entre le 16 et le 24 septembre 1938. Ces télégrammes s’expliquent d’eux-mêmes. Le premier est daté du 16 septembre :
« Cette nuit, cent cinquante sujets tchécoslovaques de sang tchèque ont été arrêtés en Allemagne. Cette mesure est une réplique aux arrestations d’Allemands des Sudètes opérées depuis le discours du Führer du 12 septembre. Je vous demande de fixer aussi exactement que possible le nombre des Allemands des Sudètes arrêtés depuis le 12 septembre. La Gestapo évalue à quatre cents au bas mot le nombre des personnes arrêtées là-bas. Télégraphiez rapport. »
Suit une note manuscrite : « Impossible pour moi de vérifier, comme je l’ai fait savoir au chargé d’affaires. »
Le deuxième télégramme est daté du 17 septembre :
« Très urgent.
« 1. Prière d’informer immédiatement les autorités gouvernementales locales de ce qui suit :
« Le Gouvernement du Reich a décidé que :
« a) Seront arrêtés immédiatement en Allemagne autant de sujets tchèques de descendance tchèque, Juifs de langue tchèque compris, que d’Allemands des Sudètes l’ont été en Tchécoslovaquie depuis le début de la semaine.
« b) Si des Allemands des Sudètes étaient exécutés à la suite de condamnations à mort en vertu de la loi martiale, un nombre égal de Tchèques serait fusillé en Allemagne. »
Le troisième télégramme fut envoyé le 24 septembre. Je le lis :
« D’après les informations reçues ici, les Tchèques ont arrêté deux gardes-frontière allemands, sept douaniers et trente cheminots. Comme contre-mesure, tout le personnel tchèque de Marschegg a été arrêté. Nous sommes disposés à échanger les fonctionnaires tchèques arrêtés contre les fonctionnaires allemands. Vous prie d’entrer en contact avec le Gouvernement et de télégraphier résultat. »
Le même jour, le quatrième télégramme fut envoyé. J’en lis le dernier paragraphe :
« Confidentiel.
« Il ne peut être évidemment question de céder les otages tchèques arrêtés ici, dans le but d’empêcher l’exécution d’une sentence prononcée par les tribunaux militaires contre des Allemands des Sudètes. »
Dans la deuxième moitié de septembre, Henlein se consacra tout entier, et ses partisans avec lui, à préparer l’attaque allemande imminente. Vers le 15 septembre, après le discours provocateur de Hitler à Nuremberg, dans lequel il accusait Benès de torturer les Allemands des Sudètes et de vouloir les exterminer, Henlein et Karl Hermann Frank, l’un de ses principaux adjoints, s’enfuirent en Allemagne pour éviter d’être arrêtés par le Gouvernement tchèque. En Allemagne, sur l’antenne puissante du Reichssender, Henlein radiodiffusa sa détermination de ramener les Allemands des Sudètes dans le Reich, et dénonça ce qu’il appelait les criminels de guerre bolchevistes de Prague. De son quartier général établi dans un château à Donndorf aux environs de Bayreuth, il resta en étroit contact avec les principaux conspirateurs nazis, dont Hitler et Himmler. Il dirigea les activités le long de la frontière et entreprit l’organisation du corps franc allemand des Sudètes qui constituait une formation militaire auxiliaire. Vous trouverez tous ces événements exposés dans le rapport officiel du Gouvernement tchécoslovaque, document PS-998, qui a déjà été déposé comme pièce USA-91.
Henlein poursuivait ses activités avec l’aide et les conseils des chefs nazis allemands. Le lieutenant colonel Köchling fut adjoint à Henlein à titre de conseiller dans la formation du corps franc allemand des Sudètes. Au cours d’une conférence avec Hitler, dans la nuit du 17 septembre, Köchling reçut des pouvoirs militaires étendus.
À cette conférence, la raison d’être du corps franc fut exposée ouvertement : maintenir un état de désordre et de troubles.
Je lis maintenant l’article 25 du dossier Schmundt, page 49, note manuscrite portant la mention : « Absolument confidentiel » ; document PS-388 :
« Absolument confidentiel. – La nuit dernière, une conférence a eu lieu entre le Führer et l’Oberstleutnant Köchling. Durée de la conférence : sept minutes. L’Oberstleutnant Köchling reste directement responsable devant l’OKW. Il sera détaché auprès de Konrad Henlein en qualité de conseiller. Il a reçu du Führer des pouvoirs discrétionnaires très étendus. Le corps franc allemand des Sudètes reste responsable à l’égard de Konrad Henlein seul. But : protéger les Allemands des Sudètes et maintenir les troubles et les conflits. Le corps franc aura sa base en Allemagne. L’armement consistera en armes autrichiennes seulement. Le corps franc doit entrer en action dès que possible. »
Le moment est-il opportun pour suspendre l’audience dix minutes ?
Plaise au Tribunal. Le journal du général Jodl donne à nouveau un aperçu de la position du corps franc de Henlein. À cette époque, le corps franc s’occupait activement d’organiser des escarmouches le long de la frontière tchèque, fournissant les incidents et provocations désirés. Je cite ce que Jodl a écrit dans son journal les 19 et 20 septembre 1938, à la page 6 du document PS-1780 (USA-72) :
Le 19 septembre : « Ordre est donné au Commandement suprême de l’Armée de s’occuper du corps franc des Allemands des Sudètes. »
Le 20 septembre : « L’Angleterre et la France ont fait connaître leurs exigences à Prague. Elles ne sont pas encore connues. Les activités du corps franc commencent à prendre une telle ampleur qu’elles peuvent provoquer, et ont déjà provoqué, des incidents préjudiciables aux plans de l’Armée (transfert d’assez importantes unités de l’Armée tchèque dans la région frontalière). Étant entré en rapport avec le lieutenant-colonel Köchling, je m’efforce de canaliser ces activités. »
« Vers le soir, le Führer intervint aussi et ne donna la permission d’agir qu’à des groupes de douze hommes au plus, après approbation du Quartier Général du corps franc. »
Un rapport de l’État-Major de Henlein, trouvé au Quartier Général de Hitler, vante les opérations offensives du corps franc. Il constitue l’article 30 du dossier Schmundt, page 54 du document PS-388. Je lis les deux derniers paragraphes :
« Depuis le 19 septembre, plus de trois cents missions ont été exécutées par le corps franc dans un extraordinaire esprit d’attaque – ce mot "attaque" a été ensuite remplacé en surcharge par le terme de "défense" – et avec un dévouement atteignant souvent un degré d’abnégation absolue. Bilan de cette première phase de son activité : plus de mille cinq cents prisonniers, vingt-cinq M.G. – mitrailleuses, je suppose – et une grande quantité d’autres armes et équipements, sans parler des pertes graves de l’ennemi en morts et en blessés ». Et sur le terme « ennemi », figure en surcharge le terme « terroristes tchèques ».
Dans son Quartier Général du château de Donndorf, Henlein était en contact étroit avec l’amiral Canaris du service de renseignements de l’OKW, ainsi qu’avec les SS et les SA. L’officier qui assurait la liaison entre les SS et Henlein était l’Oberführer Gottlob Berger (SS).
Je dépose comme preuve le document PS-3036 (USA-102), un affidavit de Gottlob Berger. Au sujet de cet affidavit, je désire faire remarquer au Tribunal qu’il présente à notre avis un caractère de preuve tout à fait différent des affidavits de Schuschnigg, que le Tribunal n’a pas admis. Schuschnigg naturellement était un neutre, un Autrichien, non nazi, qui n’était pas partie à ce complot, et je comprends bien que le Tribunal ait rejeté son affidavit pour ces raisons.
Cet homme était un nazi. Il était au service de ce complot. Cet affidavit est de lui. Nous estimons que cet affidavit a une valeur probatoire et que le Tribunal devrait l’admettre comme preuve en vertu des dispositions du Statut qui stipule que tout document ayant une valeur probatoire doit être accepté comme tel. Nous pensons qu’il serait injuste de nous demander de faire déposer ici un homme qui serait certainement un témoin hostile, qui à nos yeux est un membre du complot, et il nous semble que l’affidavit devrait être admis en laissant aux accusés la possibilité, s’ils le désirent, de faire venir l’auteur de cet affidavit comme témoin à décharge. Je dois ajouter que cet homme était un membre éminent des SS, accusées devant vous d’avoir été une organisation criminelle. Nous pensons que ce document est tout à fait admissible comme preuve, puisqu’il contient un aveu accablant de la part de ce membre éminent de l’organisation SS.
Monsieur le Président, la Défense proteste contre l’utilisation de ce document. Il a été enregistré assez tard, le 22 novembre 1945 ici, à Nuremberg. Le témoin Berger pourrait donc, sans difficulté, être amené devant le Tribunal, et nous demandons instamment qu’il soit entendu ici sur les questions à propos desquelles le Ministère Public désire citer son témoignage. Ainsi la Défense aura la possibilité de contre-interroger le témoin, et de contribuer à la manifestation de la vérité.
Le Tribunal retient l’objection. Il n’entendra pas lecture de l’affidavit. Libre au Ministère Public ou aux accusés, naturellement, de citer l’auteur de l’affidavit. C’est tout ce que j’ai à déclarer. Nous avons retenu votre objection.
Plaise au Tribunal. J’avais ici un autre affidavit, d’un certain Alfred Helmut Naujocks, qui, je le crains, sera également rejeté dans les mêmes conditions et c’est pourquoi je l’écarte aussi.
Si les circonstances sont les mêmes.
Oui. Je pourrais simplement mentionner cet affidavit aux fins d’identification puisqu’il figure dans notre livre de documents.
Très bien.
C’est le document n° PS-3029.
Très bien, il sera, également rejeté en tant que preuve.
Oui. Les opérations offensives le long de la frontière tchèque n’étaient pas limitées à des escarmouches exécutées par le corps franc. Deux bataillons de SS Totenkopf (Tête-de-Mort) opéraient de l’autre côté de la frontière, en territoire tchèque, près de Asch.
Je cite maintenant l’article 36 du dossier Schmundt ; c’est l’ordre « absolument confidentiel » de l’OKW, signé par Jodl et daté du 28 septembre 1938. Il apparaît à la page 61 du dossier Schmundt.
« Commandement suprême des Forces armées. – Berlin, 28 septembre 1938. – 45 exemplaires – 16e exemplaire. Secret absolu.
Concerne : Quatre bataillons de SS Tête-de-Mort, aux ordres du Commandant en chef de l’Armée.
Au Reichsführer SS et Chef de la Police allemande (Bureau central des SS. – 36e copie.)
Sur ordre du Commandement suprême des Armées, les bataillons suivants de SS Tête-de-Mort seront placés sous les ordres du Commandant en chef de l’Armée. Cet ordre prendra effet immédiatement.
Les 2e et 3e bataillons du second régiment de SS Tête-de-Mort, régiment Brandenburg, actuellement à Brieg, en Haute-Silésie.
Les 1er et 2e bataillons du 3e régiment de SS Tête-de-Mort, Thuringe, actuellement à Radebeul et Koetzschenbroda près de Dresde.
Le Commandant en chef de l’Armée est chargé d’affecter ces bataillons, dans l’Ouest (Rhin supérieur), conformément aux instructions du Führer.
Ces unités de SS Tête-de-Mort, opérant actuellement sur les hauteurs de Asch (1er et 2e bataillons du régiment de SS Tête-de-Mort de Haute-Bavière), ne passeront sous les ordres du Commandant en chef de l’Armée que lorsqu’ils reviendront sur le territoire du Reich ou que l’Armée aura traversé la frontière germano-tchèque.
« On demande que toutes les décisions ultérieures soient prises par le Commandant en chef de l’Armée et le Reichsführer SS (Bureau central SS).
« Pour le Chef du Commandement suprême de l’Armée.
« Signé : Jodl. »
D’après les notes du 25 septembre, dans le journal du général Jodl, ces bataillons de SS Tête-de-Mort opéraient dans cette zone sous les ordres directs de Hitler. Au fur et à mesure que le jour fixé approchait, l’utilisation du corps franc devint un sujet de discussion.
Le 26 septembre, Himmler lança un ordre au Chef de l’État-Major du corps franc des Allemands des Sudètes, aux termes duquel le corps franc passerait sous le contrôle du Reichsführer SS en cas d’une invasion allemande en Tchécoslovaquie. Ce document est l’article 37 du dossier Schmundt, page 62.
Le 28 septembre, l’accusé Keitel ordonna que le corps franc se mît aux ordres de l’OKH dès que l’Armée allemande aurait traversé la frontière tchèque. Dans cet ordre absolument confidentiel de l’OKW, Keitel révèle que les hommes de Henlein opèrent déjà en territoire tchécoslovaque.
Je lis maintenant un extrait de l’article 34 du dossier Schmundt, page 58, les trois derniers paragraphes de ce document secret :
« Pour le corps franc de Henlein, et les unités qui lui sont subordonnées, le principe reste valable : recevoir les instructions directement du Führer, et les exécuter seulement en accord avec les chefs compétents de la Région militaire. En conséquence, les unités d’avant-garde du corps franc devront avant le passage de la frontière rendre compte immédiatement au commandant local de la garde-frontière.
« Ces unités restant en avant de la frontière doivent, dans leur propre intérêt, se mettre en rapport avec la garde-frontière aussi souvent que possible.
« Dès que l’armée aura traversé la frontière tchèque, le corps franc de Henlein passera sous les ordres de l’OKH. Il sera donc opportun d’assigner dès maintenant au corps franc un secteur qui pourra être intégré par la suite dans les régions militaires. »
Le 30 septembre, quand il devint clair que les accords de Munich auraient pour résultat une occupation pacifique du pays des Sudètes, l’accusé Keitel ordonna que le corps franc Henlein soit placé dans sa composition actuelle sous le commandement de Himmler.
Je lis l’article 38 du dossier Schmundt, page 63.
« 1. Rattachement du corps franc de Henlein : le Commandant suprême de l’Armée vient d’ordonner que le corps franc de Henlein soit placé dans sa composition actuelle sous le commandement du Reichsführer SS et Chef de la Police allemande.
« Il n’est pas par conséquent à la disposition immédiate de l’OKH pour l’invasion, comme unité de campagne. Mais il doit, par la suite, être affecté à des besognes de police comme le reste de la Police, en accord avec le Reichsführer SS. »
Plaise au Tribunal. Il m’a été possible d’établir les dates que le Tribunal a exprimé le désir de connaître avant la suspension.
La première visite de Chamberlain en Allemagne à ce sujet eut lieu le 15 septembre 1938. Chamberlain vint à Munich en avion et arriva à 12 h. 30 le 15 septembre, prit un train de Munich à Berchtesgaden, où il arriva à 16 heures, prit ensuite une voiture pour le Berghof où il arriva à 16 h. 50 environ et où il eut trois entretiens avec Hitler. Le 16 septembre, Chamberlain reprit l’avion pour Londres.
La seconde visite eut lieu le 22 septembre. Chamberlain rencontra Hitler à Bad Godesberg à 17 heures pour une conférence de trois heures qui n’aboutit pas. Le 23 septembre, les discussions reprirent à 22 h. 30. Le 24 septembre, Chamberlain revint à Londres.
La troisième visite eut lieu le 29 septembre. Chamberlain prit l’avion jusqu’à Munich. La réunion Chamberlain, Mussolini, Daladier et Hitler eut lieu à la Maison Brune, à 13 h. 30, et se poursuivit jusqu’à 2 h. 30 le vendredi 30 septembre 1938. À cette heure furent signés les accords de Munich.
Menacés d’une guerre par les conspirateurs nazis, et alors qu’en fait la guerre était imminente, le Royaume-Uni et la France signèrent le pacte de Munich avec l’Allemagne et l’Italie dans ces premières heures du matin du 30 septembre 1938. Ce traité sera présenté par le Procureur britannique. Il me suffit de dire maintenant qu’il stipulait la cession du territoire des Sudètes à l’Allemagne par la Tchécoslovaquie. La Tchécoslovaquie fut mise en demeure d’acquiescer.
Le pacte de Munich portera le n° TC-23 dans la documentation britannique.
Le 1er octobre 1938, les troupes allemandes commencèrent à occuper le territoire des Sudètes. Pendant la conclusion du Pacte de Munich, la Wehrmacht était en place pour l’attaque, n’attendant que l’ordre de Hitler pour commencer.
Avec la cession du territoire des Sudètes, des ordres nouveaux furent donnés. Le 30 septembre, l’accusé Keitel donna les instructions n° 1 sur l’occupation du territoire séparé de la Tchécoslovaquie. C’est l’article 39 du dossier Schmundt, page 64, instructions contenant un plan chronologique d’occupation par secteur des anciens territoires tchèques, entre le 1er et le 10 octobre, et définissant les tâches de l’Armée allemande.
Je lis maintenant les quatrième et cinquième paragraphes de ce document :
« 2. La mobilisation doit être maintenue complètement à son stade actuel, à l’Ouest aussi pour l’instant. L’ordre d’annulation des mesures prises est rapporté.
« La pénétration doit être préparée de manière à pouvoir être aisément convertie en opération "Grün" ».
Ce document contient encore une autre clause importante au sujet des forces de Henlein, et je cite dans la liste la partie intitulée « a. Armée » : « l’action de combat de la part du Corps volontaire doit cesser à partir du 1er octobre. »
Le dossier Schmundt contient de nombreux ordres secrets de l’OKW, donnant des instructions pour l’occupation des Sudètes. Je pense qu’il n’y a pas lieu de les lire, étant donné qu’ils ne nous sont pas indispensables comme preuves. Je désire simplement dire qu’ils indiquent l’étendue des préparatifs de l’OKW.
Ces directives qui délimitent les zones d’occupation de l’Armée et les unités placées sous son commandement, organisent les communications, le ravitaillement, la propagande et donnent également des instructions aux divers services du Gouvernement sous la signature de l’accusé Keitel, le 30 septembre. Ce sont les articles 40, 41 et 42 du dossier Schmundt.
Je pense qu’il serait suffisant de lire l’en-tête et la signature.
Quelle page ?
Page 66 du texte anglais.
« En provenance du Commandement suprême des Forces armées. Très secret. Ordres spéciaux n° 1. – Directives n° 1. – Concerne l’occupation des territoires cédés par la Tchécoslovaquie.
« Signature : Keitel. »
L’article 41 se trouve à la page 70 du dossier Schmundt.
« Commandement suprême des Forces armées. – Très secret. IV a. Sujet : occupation des territoires allemands des Sudètes. Signé : Keitel. »
L’article 42 du dossier Schmundt se trouve à la page 75. Il est encore « très secret ». « Sujet : occupation de la zone allemande des Sudètes. Signé : Keitel ».
Le 10 octobre, von Brauchitsch était en mesure de présenter un rapport à Hitler, disant que les troupes allemandes avaient atteint la ligne de démarcation et que l’ordre d’occuper le territoire des Sudètes avait été exécuté. L’OKW demandait l’autorisation de Hitler pour annuler le « Fall Grün », pour retirer les troupes de la zone occupée et pour relever l’OKH de ses pouvoirs exécutifs dans la région des Sudètes, à la date du 15 octobre. Ce sont là les articles 46, 47 et 48 du dossier Schmundt.
L’article 46, qui figure à la page 77, est une lettre de Berlin datée du 10 octobre 1938 et signée par von Brauchitsch : « Mon Führer, j’ai à vous informer que les troupes auront atteint ce soir la ligne de démarcation conformément à vos ordres. Dans la mesure où d’autres opérations militaires ne seront pas nécessaires, l’ordre qui m’a été donné d’occuper le pays aura donc été exécuté. La garde de la nouvelle ligne frontière sera reprise par le service de contrôle renforcé, dans les jours qui vont suivre.
« Il n’est donc plus nécessaire, du point de vue militaire, de combiner l’administration du territoire des Sudètes avec le commandement des troupes de l’Armée sous le contrôle d’une seule personne.
« Par conséquent, je vous demande, mon Führer, de me relever, à la date du 15 octobre 1938, de la charge qui m’a été confiée, d’exercer le pouvoir exécutif dans le territoire allemand des Sudètes.
« Salut, mon Führer.
« Signé : von Brauchitsch. »
L’article 47 du dossier Schmundt, figurant à la page 78, est un télégramme secret adressé par l’OKW au lieutenant-colonel Schmundt, dans le train du Führer :
« Si le rapport de ce soir montre que l’occupation de la zone 5 s’est effectuée sans incident, l’OKW a l’intention d’ordonner la démobilisation :
« En principe : 1. Suspendre l’opération "Grün" mais maintenir suffisamment l’état d’alerte dans l’Armée comme dans la Luftwaffe, de manière à pouvoir intervenir en cas de besoin.
« 2. Retirer de la zone occupée et ramener sur le pied de paix toutes les unités qui ne sont pas nécessaires, étant donné que la concentration de troupes constitue pour la population de la zone occupée un lourd fardeau… »
Je saute à la signature de l’OKW, au bas de la page. On voit, à gauche : « Décision du Führer : 1. D’accord. »
« 2. Cette suggestion doit être faite le 13 octobre à Essen, au général Keitel ; la décision sera alors communiquée. »
Le même jour, de nouvelles mesures de démobilisation des forces se trouvant dans les Sudètes furent ordonnées par Hitler et l’accusé Keitel. Trois jours plus tard, l’OKW demandait le consentement de Hitler pour retirer le contrôle du RAD (Reichsarbeitsdienst) au commandement des Forces armées. Ce sont les articles 52 et 53 du dossier Schmundt.
Comme les Forces allemandes entraient dans les territoires Sudètes, le parti allemand des Sudètes de Henlein fut intégré dans la NSDAP de Hitler et les deux hommes qui s’étaient enfuis pour se placer sous la protection de Hitler à la mi-septembre, Henlein et Karl Hermann Frank, furent respectivement nommés Gauleiter et Gauleiter-adjoint du Gau des Sudètes. Dans les parties encore libres de la république de Tchécoslovaquie, le parti allemand des Sudètes se constituait sous le nom de parti du travail national-socialiste allemand de Tchécoslovaquie, NSDAP de Tchécoslovaquie, sous la direction de Kundt, autre adjoint de Henlein. Le Tribunal trouvera l’exposé de ces événements dans le rapport officiel tchécoslovaque, document PS-998.
La scène était maintenant prête pour la prochaine action des conspirateurs nazis : préparer la conquête du reste de la Tchécoslovaquie. Avec l’occupation des Sudètes et l’intégration des Tchèques de langue allemande dans le Grand Reich, on aurait pu s’attendre à ce que les conspirateurs nazis s’estimassent satisfaits. Jusqu’alors, dans leur programme d’agression, les accusés avaient pris comme prétexte de leurs conquêtes la réunion au Reich des Volksdeutsche (peuples de race allemande). Mais, après Munich, les Allemands de Tchécoslovaquie étaient en fait tous revenus sous la souveraineté allemande.
Le 26 septembre, du Palais des Sports à Berlin, Hitler parla au Monde. Je mentionne maintenant et j’attire l’attention du Tribunal sur le Völkischer Beobachter édition spéciale de Munich du 27 septembre 1938, qui contient le discours en question ; je lis la page 2, colonne 1, qui reproduit les paroles de Hitler : « Et maintenant, nous avons devant nous le dernier problème, qui doit être résolu et qui le sera. C’est la dernière revendication territoriale… »
Cet article figure-t-il parmi nos documents ?
Non, mais je demande au Tribunal de lui accorder valeur probatoire.
Très bien.
C’est une publication allemande très connue. « C’est la dernière revendication territoriale que j’ai à présenter en Europe, mais c’est une revendication à laquelle je ne renoncerai pas et dont j’obtiendrai satisfaction si Dieu le veut. » (Document PS-2358).
Et plus loin : « J’ai peu de chose à expliquer, j’ai remercié M. Chamberlain de tous ses efforts et je l’ai assuré que le peuple allemand ne désire que la paix, mais je lui ai dit aussi que je ne pouvais dépasser les limites de notre patience. » Ceci est à la page 2, colonne 1.
« Je l’ai assuré, de plus, et je le répète ici, qu’une fois cette question réglée, il n’y aura plus de problèmes territoriaux pour l’Allemagne en Europe. Et je l’ai encore assuré qu’à partir du moment où la Tchécoslovaquie aura résolu ses autres problèmes, c’est-à-dire lorsque les Tchèques en seront venus à un arrangement avec les autres minorités, pacifiquement et sans oppression, je ne m’intéresserai pas davantage à l’État tchèque, et que, pour ma part, je le garantirai. Nous ne voulons pas de Tchèques. »
La partie essentielle du passage que je viens de citer figure dans le document TC-28, qui, je pense, sera déposé par le Ministère Public britannique.
Cependant, quinze jours plus tard, Hitler et l’accusé Keitel préparaient une estimation des forces militaires nécessaires pour briser la résistance tchèque en Bohême et en Moravie.
Je lis maintenant un extrait de l’article 42, à la page 82 du dossier Schmundt : c’est un télégramme « Absolument confidentiel » envoyé par Keitel au Quartier Général de Hitler, le 11 octobre 1938 en réponse à quatre questions que Hitler avait posées à l’OKW. Je pense qu’il suffira de lire ces quatre questions :
Question 1. – Quels sont les renforts nécessaires, dans la situation actuelle, pour briser toute résistance tchèque en Bohême et en Moravie ?
Question 2. – Quel est le temps nécessaire pour regrouper ou amener sur place des forces nouvelles ?
Question 3. – Quel sera le temps nécessaire, dans le même but, s’il est exécuté après la démobilisation et les mesures de retour envisagées ?
Question 4. – Quel sera le temps nécessaire pour arriver au même degré de complète préparation qu’au 1er octobre ?
Le 21 octobre, le jour même où l’Administration des Sudètes était remise aux autorités civiles, une directive définissant les plans de conquête du restant de la Tchécoslovaquie était signée par Hitler et paraphée par l’accusé Keitel.
Je dépose maintenant comme preuve le document n° C-136 (USA-104) ordre « très confidentiel » tiré à dix exemplaires ; j’ai ici la première copie signée à l’encre par Keitel.
Dans cet ordre qui date de trois semaines seulement après l’acquisition des Sudètes, les conspirateurs nazis envisageaient déjà de nouvelles conquêtes.
Je cite la première partie du texte de ce document : « Les tâches futures des Forces armées et les préparatifs en vue d’une guerre qui résulterait de ces tâches seront définis par moi dans une directive ultérieure. Jusqu’à ce que cette directive prenne effet, les Forces armées doivent se tenir prêtes en tout temps pour les éventualités suivantes :
« 1. Assurer les frontières allemandes et les protéger contre les attaques aériennes par surprise ;
« 2. Liquider ce qui reste de la Tchécoslovaquie ;
« 3. Occuper le territoire de Memel. »
Et ensuite, sous le n° 2 : Liquider ce qui reste de la Tchécoslovaquie, « II doit être possible, à n’importe quel moment, de vaincre le reste de la Tchécoslovaquie si sa politique devait devenir hostile à l’Allemagne. »
Les préparatifs que les Forces armées doivent faire en vue de cette éventualité seront considérablement plus réduits dans leur étendue que ceux de « Grün » ; ils doivent cependant assurer une préparation continue et très poussée, puisqu’on n’a pas recours aux mesures de mobilisation prévues.
L’organisation, l’ordre de bataille et la préparation des unités désignées pour cette opération seront réglés en temps de paix, de façon à ce que la Tchécoslovaquie, attaquée par surprise, n’ait aucune possibilité d’opposer une résistance efficace. Le but visé est d’occuper rapidement la Bohême et la Moravie et d’isoler la Slovaquie. Les préparatifs doivent être tels qu’en même temps la Grenzsicherung West, (c’est-à-dire les mesures de défense des frontières occidentales) puisse être exécutée.
La mission détaillée de l’Armée et de l’Aviation est la suivante :
a. Armée. – Les unités stationnées à proximité de la Bohême et de la Moravie et plusieurs divisions motorisées doivent être désignées pour un type d’attaque par surprise. Leur nombre sera déterminé par l’importance des forces restant en Tchécoslovaquie : il s’agit d’assurer un succès rapide et décisif. Le rassemblement et les préparatifs de l’attaque doivent être élaborés d’avance. Les forces inutilisées seront tenues prêtes de façon à ce qu’elles puissent être chargées de couvrir les frontières ou envoyées à la suite de l’Armée attaquante.
b. Aviation. – L’avance rapide de l’Armée allemande doit être assurée par une élimination rapide de l’Aviation tchèque.
Dans ce but, il y a lieu de préparer une attaque par surprise à partir des bases du temps de paix. L’évolution de la situation militaire et politique en Tchécoslovaquie permettra seule de déterminer si des forces plus importantes peuvent devenir nécessaires dans ce but. En même temps, il faut préparer le rassemblement simultané du reste des forces offensives contre l’Ouest.
Puis vient la partie 3, sous le titre « Annexion du territoire de Memel ».
Elle est signée par Hitler et confirmée par l’accusé Keitel. Ce texte fut remis à l’OKH, à la Luftwaffe de l’accusé Göring, et au Quartier Général de la Marine à l’accusé Raeder.
Deux mois plus tard, le 17 décembre 1938, l’accusé Keitel fit paraître un additif à l’ordre original, déclarant que sur ordre du Führer, les préparatifs pour la liquidation de la Tchécoslovaquie devaient être poursuivis.
Je dépose maintenant comme preuve le document C-138 (USA-105) et d’autres documents de l’OKW saisis et marqués « absolument confidentiel ». Cet ordre fut distribué de la même façon que celui du 21 octobre et je vais en lire le texte :
« Corollaire aux directives du 21 octobre 1938. – Référence : Liquidation du reste de la Tchécoslovaquie. – Le Führer a donné l’ordre complémentaire suivant : Les préparatifs pour cette éventualité devront être poursuivis en partant de l’hypothèse qu’on ne doit pas s’attendre à une résistance qui vaille d’être mentionnée. Le monde extérieur devra penser qu’il s’agit uniquement d’une action de pacification et non d’une entreprise guerrière.
« L’action doit par conséquent être exécutée par les seules armées de temps de paix, sans renforts provenant d’une mobilisation. La préparation nécessaire à l’action, et surtout l’organisation du ravitaillement indispensable, doivent être effectuées par arrangements à l’intérieur des unités.
« De même, les unités de l’Armée détachées pour l’invasion ne devront, en règle générale, quitter leurs positions que la nuit précédant le passage de la frontière et ne seront pas systématiquement déployées sur la frontière à l’avance. Les transports nécessaires pour l’organisation préalable doivent être limités au minimum et camouflés dans la mesure du possible. Les mouvements éventuellement indispensables d’unités et surtout de forces motorisées vers les zones d’entraînement situées près de la frontière ne pourront avoir lieu qu’avec l’approbation du Führer.
« L’action des Forces aériennes devra se conformer aux directives générales du même ordre.
« Pour les mêmes raisons, l’exercice du pouvoir exécutif par le Commandement suprême de l’Armée n’est applicable qu’au territoire récemment occupé et seulement pour une période très limitée.
« Signé : Keitel. »
J’attire l’attention du Tribunal sur le fait que l’exemplaire de cet ordre, sous forme d’une copie carbone originale signée à l’encre par Keitel, est celui qui fut envoyé à l’OKM, c’est-à-dire au Quartier Général de la Marine allemande. Il porte les initiales de Fricke, chef de la division d’opérations de l’État-Major de guerre de la Marine, de Schniewind, chef d’État-Major, et de l’accusé Raeder.
Pendant que la Wehrmacht achevait ses plans pour ce qu’elle considérait manifestement comme une victoire facile, le ministère des Affaires étrangères jouait son rôle. À Berlin, le 31 janvier 1939, dans une discussion portant sur les moyens d’améliorer les relations germano-tchèques avec le ministre des Affaires étrangères tchèque Chvalkovsky, l’accusé Ribbentrop conseilla vivement au Gouvernement tchèque de procéder à une réduction rapide des effectifs de son armée. Je dépose comme preuve le document PS-2795 (USA-106), notes saisies au ministère des Affaires étrangères allemand au sujet de cette discussion. Je lirai seulement, au bas de la page, une note manuscrite de Ribbentrop :
« J’ai surtout indiqué à Chvalkovsky que la réduction rapide des effectifs de l’Armée tchèque jouerait un rôle décisif dans notre jugement. »
Est-ce que le Tribunal se propose de poursuivre les débats après 16 h. 30 ?
Non. Nous allons maintenant lever l’audience.