Douzième journée
Mardi 4 décembre 1945.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

Avant que le Procureur Général ne continue son discours d’ouverture, le Tribunal désire que j’indique les nouvelles heures d’audiences proposées pour l’avenir. Nous pensons qu’il serait préférable que le Tribunal siégeât de 10 heures du matin à 1 heure avec une interruption de dix minutes au milieu de la matinée et de 2 heures à 5 heures de l’après-midi avec une interruption de dix minutes au milieu de l’après-midi. Il n’y aurait aucune audience publique le samedi matin, étant donné que le Tribunal doit étudier un grand nombre de requêtes des avocats, à propos de témoins, documents ou autres questions de ce genre.

SIR HARTLEY SHAWCROSS

Plaise au Tribunal. Lorsque nous nous sommes arrêtés ce matin, je disais que le Gouvernement nazi avait l’intention arrêtée de déclencher une guerre d’agression, que les négociations qui se poursuivaient au sujet de Dantzig et les demandes qui étaient faites à ce sujet n’étaient qu’un masque, un prétexte et une excuse pour une domination ultérieure. Dès septembre 1938, les projets de guerre d’agression contre la Pologne, l’Angleterre et la France étaient arrêtés. Alors qu’à Munich Hitler déclarait au monde que le peuple allemand voulait la paix, et que l’Allemagne, ayant résolu le problème tchécoslovaque, n’avait plus de revendications territoriales en Europe, les États-Majors de ses Forces armées préparaient déjà leurs plans.

Le 26 septembre 1938, Hitler avait déclaré : « Nous avons donné des garanties aux États de l’Ouest ; nous avons assuré tous nos voisins immédiats que nous respecterions l’intégrité de leurs territoires ; ce n’est pas une simple phrase, c’est notre volonté sacrée. Nous n’avons aucun intérêt à violer la paix et nous n’exigeons rien de ces peuples. »

Le monde était en droit de se reposer sur ces garanties. La coopération internationale est absolument impossible si on ne peut être assuré de la bonne foi des chefs des divers États, et de l’honnêteté des déclarations publiques qu’ils font. En fait, moins de deux mois après cet engagement solennel et apparemment pris au sérieux, Hitler et ses satellites se préparaient à s’emparer de Dantzig. Afin de reconnaître les assurances données, les promesses et les feintes diplomatiques comme les mensonges, vides de sens, qu’elles étaient en réalité, il faut revenir en arrière et se demander ce qui se passait dans les conseils privés du Reich depuis les accords de Munich.

Dans l’extrait d’un dossier de septembre 1938 sur la reconstruction de la Marine allemande portant le titre « Opinions concernant un projet d’étude de la guerre navale contre l’Angleterre », on peut lire :

« 1. Si, selon la décision du Führer, l’Allemagne doit s’inscrire au rang des grandes puissances, il ne lui suffit pas seulement d’avoir des possessions coloniales, mais il faut également qu’elle se procure des moyens de communications maritimes et qu’elle s’assure un débouché sur l’Océan.

« 2. Ces deux exigences ne peuvent être satisfaites qu’à l’encontre des intérêts anglo-français, car elles porteraient atteinte à la situation de ces pays en tant que puissances mondiales. Il est peu probable que ce résultat puisse être obtenu par des moyens pacifiques. La décision de faire de l’Allemagne une puissance mondiale nous contraint nécessairement à faire les préparatifs de guerre correspondants.

« 3. La guerre contre l’Angleterre signifie aussi la guerre contre son empire, contre la France, probablement aussi contre la Russie, et contre un grand nombre de pays d’outre-mer, en fait contre la moitié ou le tiers du monde. Elle ne peut être justifiée et n’avoir une chance de succès » – et ce n’était pas une justification morale que l’on cherchait dans ce document – « que si elle est préparée du point de vue économique, politique et militaire et si elle est conduite dans l’intention de donner à l’Allemagne un accès à l’Océan. »

LE PRÉSIDENT

Je crois que le Tribunal aimerait savoir à quel moment vous avez l’intention de produire les documents que vous citez.

SIR HARTLEY SHAWCROSS

Mes collègues américains et britanniques avaient l’intention de faire suivre mon exposé de la production de ces documents. La première série de documents qui sera déposée par mon honorable collègue, Sir David Maxwell-Fyfe, comprendra les traités.

LE PRÉSIDENT

Je crois que vous devriez lire à nouveau ces extraits.

SIR HARTLEY SHAWCROSS

Je limite mes citations dans la mesure du possible. Je suppose que vous avez l’intention de les faire relire afin de les faire figurer au procès-verbal au moment même où le document est déposé comme preuve. Mais quand la plupart des documents seront déposés, on verra, me semble-t-il qu’ils sont beaucoup plus explicites.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

SIR HARTLEY SHAWCROSS

Ce document sur la guerre navale contre l’Angleterre présente à la fois quelque chose de significatif et de nouveau : jusqu’à cette date, les documents en notre possession révélaient des préparatifs de guerre contre la Pologne, l’Angleterre et la France, en les faisant apparaître comme des mesures défensives destinées à parer les attaques qui pourraient résulter de l’intervention de ces puissances dans les agressions préliminaires de l’Allemagne en Europe centrale. Jusqu’alors, la guerre d’agression contre la Pologne, la France et l’Angleterre n’avait été envisagée que comme un objectif lointain. C’est dans ce document que pour la première fois, il est fait mention d’une guerre de conquête menée par l’Allemagne contre la France et l’Angleterre, reconnue ouvertement comme but ultérieur, tout au moins en ce qui concerne l’activité de la Marine allemande.

Le 24 novembre 1938, Keitel ajouta un appendice à un ordre antérieur du Führer. Dans cet appendice étaient exposées les tâches futures des Forces armées ainsi que la préparation de la conduite de la guerre qui devait résulter de ces tâches.

« Le Führer a ordonné » – et je cite – « que, outre les trois éventualités mentionnées dans la précédente directive, des préparatifs soient aussi faits pour l’occupation par surprise de l’État libre de Dantzig par les troupes allemandes. Pour cette préparation, on doit avoir présent à l’esprit les principes suivants (et ceci est la trame générale de l’agression) : l’hypothèse essentielle est l’invasion subite de Dantzig en exploitant une situation politique favorable, et non pas la guerre contre la Pologne. Les troupes qui seront utilisées dans ce but ne doivent pas être réservées en même temps pour la prise du territoire de Memel, de façon à ce que, si besoin est, les deux opérations puissent avoir lieu simultanément. »

Après quoi eurent lieu, comme l’ont montré les preuves présentées au Tribunal, les ultimes préparatifs pour l’invasion de la Pologne. Le 3 avril 1939, trois jours avant la publication du communiqué anglo-polonais, l’accusé Keitel publia au Haut Commandement des Forces armées une instruction dans laquelle il était dit que les directives pour la préparation de la guerre par les Forces armées de 1939-1940 étaient remises en vigueur et que la partie concernant Dantzig paraîtrait en avril. Les principes fondamentaux devaient rester les mêmes que dans l’instruction antérieure. Joints à ce document se trouvaient les ordres « Cas Blanc », nom chiffré de l’invasion projetée contre la Pologne. Les préparatifs pour cette invasion devaient être faits de façon, y disait-on, à ce que l’opération puisse être exécutée à n’importe quel moment à partir du 1er septembre 1939.

Le 11 avril, Hitler promulgua un ordre sur les préparatifs uniformes de guerre par les Forces armées de 1939-1940, dans laquelle il dit : « J’établirai dans une prochaine instruction les tâches futures des Forces armées et les préparatifs qui doivent en résulter pour la conduite de la guerre. Jusqu’à ce que cette instruction entre en vigueur, les Forces armées doivent se tenir prêtes à assurer, le cas échéant, les tâches suivantes :

« 1. Protection des frontières ;

« 2. Le "Cas Blanc" ;

« 3. L’annexion de Dantzig. »

Dans une annexe à ce document qui portait le titre : « Hypothèses et buts politiques », il était déclaré qu’on devait éviter les frictions avec la Pologne mais que si celle-ci venait à changer sa politique et adoptait une attitude menaçante envers l’Allemagne, un règlement final serait nécessaire, malgré les dispositions du Pacte polonais. La ville libre de Dantzig serait incorporée au Reich au plus tard au début du conflit. Les buts politiques tendaient à limiter les possibilités de guerre à la Pologne, ce qui, à cette époque, était un point de vue logique, étant donné la crise intérieure de la France et le malaise qui en résultait en Grande-Bretagne.

La rédaction de ce document – que le Tribunal étudiera d’ailleurs en entier – n’implique pas directement l’intention d’une agression immédiate. Il constitue le plan d’une attaque « si la Pologne venait à changer sa politique et adoptait une attitude menaçante ». Mais l’image de la Pologne, avec son armement tout à fait insuffisant, menaçant l’Allemagne armée jusqu’aux dents est assez risible. Le véritable objet de ce document apparaît dans la phrase suivante, et je cite : « Le but est donc de détruire la force militaire polonaise et de créer à l’Est une situation qui satisfasse aux exigences de la défense », phrase dont le sens est suffisamment vague pour couvrir des projets de n’importe quelle importance.

Mais même à ce stade-là, la preuve donnée ne suffit pas à démontrer que la véritable décision d’attaquer la Pologne à une date déterminée avait déjà été prise. Tous les préparatifs furent mis en train, et toutes les mesures nécessaires envisagées pour le cas où on en arriverait à une décision.

Dans les trois semaines qui suivirent la parution de ce document, Hitler s’adressait au Reichstag, le 28 avril 1939 ; dans ce discours, il remit en question les exigences qui avaient déjà été formulées vis-à-vis de la Pologne et dénonça l’accord germano-polonais de 1934. Je laisse de côté pour le moment les préparatifs belliqueux que Hitler avait faits dans les coulisses, et je demande au Tribunal de considérer la nature de cette dénonciation d’un accord auquel, dans le passé, Hitler avait déclaré attacher une si haute importance.

En premier lieu, la dénonciation de Hitler était évidemment sans effet en soi. Le texte de l’accord ne prévoyait pas de dénonciation par l’une ou l’autre partie avant dix ans. Aucune dénonciation ne pouvait être légalement effective avant juin ou juillet 1943, et Hitler parlait en avril 1939 plus de cinq ans trop tôt.

En second lieu, la véritable attaque de Hitler contre la Pologne quand elle se produisit le 1er septembre 1939, eut lieu avant l’expiration de la période de six mois du préavis exigé par l’accord.

En troisième lieu, les raisons de cette dénonciation définies par Hitler dans son discours au Reichstag étaient tout à fait spécieuses. De quelque manière qu’on l’interprète, il est impossible d’accepter le point de vue suivant lequel la garantie anglo-polonaise d’assistance mutuelle contre une agression pût rendre le pacte germano-polonais nul et non avenu, comme cherchait à le suggérer Hitler.

Si tel avait été l’effet des assurances anglo-polonaises, le pacte auquel Hitler avait lui-même adhéré avec l’Italie et le Japon, on aurait alors invalidé le traité avec la Pologne. Hitler aurait pu économiser ses mots. Bien entendu, la vérité est que les assurances du communiqué anglo-polonais ne contenaient rien qui fût de nature à étayer l’affirmation qu’il venait à l’encontre du pacte germano-polonais.

On se demande pourquoi Hitler a fait cette tentative trois fois inopérante, de renier son instrument diplomatique favori. Une seule réponse reste possible : l’accord ayant atteint son but, les motifs qu’il choisit pour le dénoncer n’auraient simplement pour but que de fournir à l’Allemagne quelque justification, du moins aux yeux des Allemands, pour l’agression que les dirigeants allemands avaient l’intention de perpétrer.

Hitler avait vivement besoin d’une justification, de quelque excuse apparemment valable, étant donné qu’il ne s’était rien produit de nouveau et que, probablement, rien ne se produirait du côté polonais qui pût lui fournir un prétexte quelconque à envahir la Pologne. Jusqu’à présent, Hitler avait présenté à son partenaire au traité des exigences que la Pologne, en tant qu’État souverain, avait parfaitement le droit de refuser. Si ce refus lui déplaisait, Hitler était tenu, par les termes mêmes de l’accord, de « chercher un règlement d’entente » – et je cite les termes du pacte – « de chercher un règlement par d’autres moyens pacifiques, sans préjudice de la possibilité d’appliquer, en cas de nécessité, ces méthodes de procédure prévues pour un tel cas, dans les autres accords déjà signés entre eux et qui sont en vigueur. » Il est à présumer que c’était là une référence au traité d’arbitrage germano-polonais signé à Locarno en 1925.

Par conséquent, dès que les chefs nazis ne peuvent obtenir ce qu’ils veulent de la Pologne (ce à quoi ils n’ont pas droit) en formulant une simple demande, ils ne font pas d’autres efforts pour régler le différend « par des moyens pacifiques », selon les termes de l’accord et du Pacte Kellogg qui liaient les deux parties contractantes. Ce fait crée une forte présomption d’intention agressive de la part de Hitler et de ses collaborateurs. Cette présomption deviendra une certitude quand les documents sur lesquels je vais attirer l’attention du Tribunal seront étudiés.

Le 10 mai, Hitler promulgua un ordre pour la capture des installations d’intérêt économique en Pologne. Le 16 mai l’accusé Raeder, commandant en chef de la Marine, rédigea un mémorandum contenant les instructions du Führer tendant à se tenir prêt à tout moment pour l’opération « Cas Blanc » à partir du 1er septembre 1939.

Mais le document décisif est le procès-verbal de la conférence tenue par Hitler, le 23 mai 1939, s’entretenant avec des officiers de haut grade y compris les accusés Göring, Raeder et Keitel. Le détail du document entier sera lu au Tribunal par la suite, et je ne fais maintenant qu’en résumer l’essentiel. Hitler déclara que la solution des problèmes économiques auxquels l’Allemagne avait à faire face ne pouvait, dès l’abord, être trouvée que par l’invasion d’États étrangers et l’attaque des biens de l’étranger. Dantzig – et je cite – « Dantzig n’est pas du tout l’objet du conflit ; c’est une question d’extension de notre espace vital à l’Est ; c’est pourquoi il ne peut être question d’épargner la Pologne, et il nous reste à prendre la décision de l’attaquer à la première occasion. Nous ne pouvons nous attendre à une répétition de l’affaire tchèque. Nous aurons à combattre. Notre tâche est d’isoler la Pologne. Le succès de cet isolement sera décisif, et c’est une question de politique habile. »

C’est ainsi que Hitler expliqua la situation à ses complices ; il prévoyait la possibilité d’une guerre avec la France et l’Angleterre, mais la guerre sur deux fronts devait être évitée dans la mesure du possible ; cependant, l’Angleterre était reconnue – et je le dis avec fierté – comme l’ennemi le plus dangereux de l’Allemagne. « L’Angleterre », dit-il, – et je cite – « est la force agissante contre l’Allemagne et le but à atteindre sera toujours de lui faire plier le genou ». Plus d’une fois, il répéta que la guerre contre l’Angleterre et la France serait une lutte à mort ; cependant il conclut : « L’Allemagne ne sera pas contrainte à faire la guerre, mais elle ne serait pas capable de l’éviter. »

Le 14 juin 1939, le général Blaskowitz, alors commandant en chef du 3e groupe d’armées établit un plan de bataille détaillé pour le « Cas Blanc ». Le lendemain, von Brauchitsch rédigea un mémorandum dans lequel il déclarait que l’objectif imminent était de détruire les Forces armées polonaises. « L’intérêt supérieur de la politique exige, dit-il, que la guerre débute par de durs coups de surprise afin d’obtenir des résultats rapides ». On procéda très vite aux préparatifs. Le 22 juin, l’accusé Keitel soumit un horaire préliminaire de l’opération que Hitler semble avoir approuvé, et suggéra que la manœuvre prévue soit « camouflée », afin de ne pas inquiéter la population.

Le 3 juillet, Brauchitsch écrivit à l’accusé Raeder pour lui demander d’abandonner certains mouvements préliminaires de la flotte, afin de ne pas diminuer la surprise de l’attaque. Les 12 et 13 août, Hitler et Ribbentrop eurent une conférence avec Ciano, le ministre des Affaires étrangères d’Italie. C’est une conférence sur laquelle l’attention du Tribunal sera attirée sur plusieurs points. Je ne résume ici qu’un seul aspect de la question : au début de la conversation Hitler insista sur la force de la position allemande, sur ses fortifications occidentales et orientales, sur les avantages stratégiques et autres que l’Allemagne détenait en comparaison avec ceux de l’Angleterre, de la France et de la Pologne.

Et maintenant, je cite le texte même du document saisi ; Hitler dit : « Puisque les Polonais par leur attitude générale, ont montré clairement qu’en cas de conflit, ils se rangeraient aux côtés des ennemis de l’Allemagne et de l’Italie, une rapide liquidation ne pourrait être qu’avantageuse dans l’inévitable lutte avec les démocraties de l’Ouest. Si une Pologne hostile demeurait à la frontière orientale de l’Allemagne, non seulement les onze divisions de la Prusse orientale seraient retenues, mais aussi d’autres contingents seraient immobilisés en Poméranie et en Silésie. Ces deux éventualités ne seraient pas à redouter en cas de liquidation préliminaire. »

Puis il ajoute : « D’une façon générale, le mieux serait de liquider les neutres l’un après l’autre. Cette opération pourrait être facilitée si, à chaque occasion, un partenaire de l’Axe couvrait l’autre occupé à régler son compte à un neutre peu sûr. Sans doute l’Italie pourrait bien considérer la Yougoslavie comme un neutre de cet ordre ».

Ciano était d’avis de retarder l’opération : l’Italie n’était pas prête. Elle croyait qu’un conflit avec la Pologne dégénérerait en guerre européenne générale ; Mussolini était convaincu qu’un conflit avec les démocraties occidentales était inévitable, mais il faisait des projets pour une période de deux ou trois ans plus tard. Le Führer déclara que la question de Dantzig devait être réglée d’une façon ou d’une autre à la fin du mois d’août. Et je cite : « II avait donc décidé de profiter de la prochaine provocation politique qui revête la forme d’un ultimatum. »

Le 22 août, Hitler réunit tous ses Commandants en chef et donna l’ordre d’attaquer ; au cours de sa conférence, il fit comprendre que cette décision avait été prise en réalité dès le printemps précédent. Il donnerait une raison fallacieuse pour commencer la guerre. À ce moment-là, l’attaque avait été fixée aux premières heures du 26 août. La veille, 25 août, le Gouvernement britannique, dans l’espoir que Hitler pourrait encore hésiter à plonger le monde dans la guerre et croyant qu’un traité officiel l’impressionnerait davantage que les assurances officieuses qui avaient été données auparavant, adhéra à un accord écrit et exprès d’assistance mutuelle avec la Pologne, comprenant les garanties qui avaient été données au début de l’année.

Hitler savait que la France était liée par le Traité franco-polonais de 1921 et par le Pacte de Locarno de 1925 qui l’obligeaient à intervenir en faveur de la Pologne en cas d’agression. Et pendant un moment, Hitler hésita.

Les accusés Göring et Ribbentrop, dans les interrogatoires que vous lirez, ont reconnu que c’est le Traité anglo-polonais qui amena Hitler à abandonner ou plutôt à reculer l’attaque fixée au 26 août ; peut-être espérait-il qu’après tout, il y avait encore quelque chance de recommencer ce qu’il avait appelé « l’affaire tchèque ».

En ce cas, son espoir fut de courte durée. Le 27 août, Hitler accepta la décision de Mussolini de ne pas entrer en guerre immédiatement, mais demanda l’appui de la propagande et un déploiement d’activités militaires de la part de l’Italie destiné à susciter l’incertitude dans l’esprit des Alliés. Ribbentrop, le même jour, déclara que les Armées étaient en marche.

Pendant ce temps et en particulier durant le mois précédent, des tentatives désespérées furent faites par les puissances occidentales en vue de prévenir la guerre. Des preuves détaillées vous en seront fournies : intervention du Pape, message du Président Roosevelt, offre du Premier Ministre britannique de faire tout son possible pour créer des conditions favorables à la libre discussion de toutes les questions litigieuses et à la garantie des décisions qui en résulteraient. Mais ces tentatives, ainsi que tous les autres efforts des honnêtes gens pour éviter l’horreur d’un conflit européen, étaient voués à l’échec. Les Allemands avaient décidé que le jour de la guerre était arrivé. Le 31 août, Hitler promulgua un ordre strictement secret pour que l’attaque débutât aux premières heures du 1er septembre.

Les incidents de frontière nécessaires se produisirent effectivement. Peut-être était-ce pour cela que l’accusé Keitel avait reçu de Hitler des instructions pour fournir à Heydrich des uniformes polonais. Et ainsi, sans déclaration de guerre, sans même donner au Gouvernement polonais la possibilité de connaître les exigences finales de l’Allemagne – et vous aurez lecture des preuves de négociations diplomatiques extraordinaires, si on peut les appeler ainsi, qui eurent alors lieu à Berlin – sans laisser aux Polonais la moindre possibilité de négocier ou d’obtenir un arbitrage sur les exigences présentées par l’Allemagne nazie, les troupes nazies envahirent la Pologne.

Le 3 septembre, Hitler envoya un télégramme à Mussolini, le remerciant de son intervention mais signalant que la guerre était inévitable et qu’il avait fallu choisir le moment le plus favorable après une froide délibération. Ainsi, Hitler et ses complices qui comparaissent maintenant devant ce Tribunal, commencèrent la première de leurs guerres d’agression, pour laquelle ils s’étaient préparés depuis si longtemps et si complètement. Ils la firent avec tant d’acharnement qu’en quelques semaines la Pologne fut vaincue.

Le 23 novembre 1939, Hitler exposa la situation à ses commandants militaires, et, au cours de son discours, il fit cette remarque :

« Un an après, ce fut le tour de l’Autriche ; cette entreprise aussi paraissait douteuse. Elle amena un immense renforcement de la puissance du Reich. L’entreprise suivante concerna la Bohême, la Moravie et la Pologne. Il ne fut pas possible d’accomplir aussi cette action d’un seul coup. Il fallut tout d’abord terminer les fortifications occidentales… Puis suivit la création du Protectorat et c’est ainsi que furent posées les bases de l’action contre la Pologne. Mais je ne savais pas très clairement à cette époque si je devais commencer à l’Est et finir à l’Ouest ou vice-versa. Vint la décision de combattre d’abord la Pologne. On pourrait m’accuser de vouloir lutter encore et toujours. Je vois dans le combat le sort de tous les êtres. »

II ne savait pas où il porterait sa première attaque, mais le fait qu’il attaquerait tôt ou tard soit à l’Est, soit à l’Ouest n’avait jamais été mis en doute. Et il avait été averti, non seulement par les Premiers Ministres anglais et français, mais même par son propre associé Mussolini, qu’une attaque contre la Pologne entraînerait l’Angleterre et la France dans la guerre. Il choisit ce qu’il considérait être le moment favorable et il frappa.

Dans ces circonstances, l’intention de déclencher la guerre contre l’Angleterre et la France, et de la précipiter par une attaque contre la Pologne est indéniable. C’est un défi aux obligations les plus solennelles des traités ; c’est le mépris des assurances les plus pacifiques ; c’est l’agression sans voile et sans honte qui devait éveiller la résistance horrifiée et héroïque de tous les peuples civilisés, mais qui, avant qu’on en ait fini avec elle, devait abattre bien des piliers de notre civilisation.

Ayant entrepris l’exécution de son plan pour assurer la domination de l’Europe, sinon du monde, le Gouvernement nazi procéda à l’attaque d’autres pays lorsque l’occasion s’en présenta. Les premiers à être effectivement attaqués et envahis après l’attaque contre la Pologne, furent le Danemark et la Norvège.

Le 9 avril 1940, les Forces armées allemandes envahirent ces deux pays sans avertissement, sans déclaration de guerre. C’était une violation de la Convention de La Haye de 1907. C’était une violation de la Convention d’arbitrage et de conciliation signée entre l’Allemagne et le Danemark, le 2 juin 1926. C’était, bien entendu, une violation du Pacte Briand-Kellogg de 1928. C’était une violation du Traité de non-agression signé entre l’Allemagne et le Danemark le 31 mai 1939. C’était une violation des assurances les plus explicitement données. Après que l’annexion de la Tchécoslovaquie eut ébranlé la confiance du monde, Hitler avait tenté de rassurer les États Scandinaves. Le 28 avril 1939, il affirma qu’il n’avait jamais formulé à leur égard des exigences incompatibles avec leur souveraineté et leur indépendance. Le 31 mai, il signa un pacte de non-agression avec le Danemark.

Le 2 septembre 1939, au lendemain de l’invasion de la Pologne et de la prise de Dantzig, il exprima à nouveau sa détermination – disait-il – de respecter l’inviolabilité et l’intégrité de la Norvège, dans un mémoire remis le même jour au ministre de Norvège par le ministre du Reich à Oslo.

Un mois plus tard, dans un discours prononcé en public le 6 octobre 1939, il déclara :

« L’Allemagne n’a jamais eu aucun conflit d’intérêt ou même de points de désaccord avec les États Scandinaves et elle n’en a pas aujourd’hui. La Suède et la Norvège se sont vu offrir des pactes de non-agression par l’Allemagne, et ces deux pays ont refusé simplement parce qu’ils ne se sentaient menacés en aucune façon. »

L’invasion du Danemark et de la Norvège avait déjà commencé au petit matin du 9 avril 1940 quand un mémorandum allemand fut remis aux Gouvernements de ces pays pour essayer de justifier l’action allemande. Diverses allégations furent soulevées contre les Gouvernements des pays envahis. On affirma que la Norvège s’était rendue coupable de violation de neutralité, qu’elle avait permis et toléré l’usage de ses eaux territoriales par la Grande-Bretagne, que l’Angleterre et la France faisaient elles-mêmes des plans pour envahir et occuper la Norvège et que le Gouvernement norvégien était prêt à accepter une telle éventualité.

Je n’ai pas l’intention de discuter si oui ou non ces allégations étaient vraies. Cette question ne relève pas de la compétence du Tribunal. Même si ces allégations étaient vraies – et elles étaient manifestement fausses – elles n’offraient pas la moindre justification à une invasion sans avertissement, sans déclaration de guerre, et sans aucune tentative de médiation ou de conciliation.

Une guerre d’agression n’est pas moins guerre d’agression quand l’État qui l’entreprend croit que d’autres États pourraient à l’avenir agir de même. Violer une nation ne se justifie pas par le fait qu’on suppose qu’elle puisse l’être par une autre. Même en cas de légitime défense, les mesures de guerre ne sont pas justifiées, à moins qu’après l’échec de tous les essais de médiation, la force ne soit effectivement employée contre l’État intéressé.

Mais ceci n’a rien à voir avec la question qui nous préoccupe, car en réalité, avec la preuve que nous possédons maintenant, il est parfaitement établi que l’invasion de ces deux pays fut entreprise dans des intentions toutes différentes. Elle avait été projetée longtemps avant qu’il fut question de la violation de la neutralité de la Norvège ou de son occupation par l’Angleterre. Il est également évident que les assurances répétées à diverses reprises durant l’année 1939 ne le furent que dans le but d’endormir les soupçons dans ces pays et de les empêcher de prendre des mesures pour résister à l’attaque qui se préparait activement contre eux.

Depuis quelques années l’accusé Rosenberg, en sa qualité de chef du Bureau des Affaires étrangères – APA – du NSDAP, s’était intéressé au développement des activités de la Cinquième colonne en Norvège, et il avait établi des relations étroites avec le « Nasjonal Samling », groupe politique à la tête duquel se trouvait le traître maintenant bien connu Vidkun Quisling. Dans le courant de l’hiver 1938-1939 l’APA fut en contact avec Quisling, et plus tard Quisling conféra avec Hitler, et les accusés Raeder et Rosenberg. En août 1939, un cours spécial de deux semaines eut lieu à l’école du Bureau des relations étrangères à Berlin et fut suivi par vingt-cinq partisans que Quisling avait choisis pour y assister. Le but était d’envoyer en Allemagne un certain nombre d’hommes triés sur le volet, sur lesquels on pouvait compter, pour qu’ils y reçoivent un court entraînement militaire dans un camp dont l’emplacement était caché. Ces « hommes de confiance » devaient, grâce à leur connaissance toute spéciale de la topographie et de la langue du pays, servir aux troupes allemandes amenées à Oslo en péniches à charbon pour entreprendre une action politique en Norvège. Le but était de faire un coup de force grâce auquel Quisling se saisirait de ses principaux adversaires en Norvège, y compris le Roi, et empêcherait toute résistance militaire dès le début. Parallèlement à ces activités de Cinquième colonne, l’Allemagne faisait des préparatifs militaires. Le 2 septembre 1939, comme je l’ai déjà dit, Hitler avait assuré la Norvège de son intention de respecter sa neutralité. Le 6 octobre, il déclara que les États Scandinaves n’étaient absolument pas menacés. Et pourtant, le 3 octobre, l’accusé Raeder signalait que l’occupation de bases, au besoin par la force, améliorerait beaucoup la position stratégique allemande. Le 9 octobre, Dönitz recommandait Trondheim comme base principale avec Narvik comme base de ravitaillement en essence. L’accusé Rosenberg fournissait peu après un rapport sur la possibilité d’un coup d’état de Quisling immédiatement soutenu par les forces militaires et navales allemandes. Le 12 décembre 1939, l’accusé Raeder, en présence des accusés Keitel et Jodl, conseilla à Hitler, si ce dernier était favorablement impressionné par Quisling, de faire préparer par l’OKW l’occupation de la Norvège, si possible avec l’assistance de Quisling, mais au besoin entièrement par la force. Hitler fut d’accord ; mais on se demanda quelle opération devait être effectuée en premier : celle contre les Pays-Bas ou celle contre la Scandinavie ? Les conditions atmosphériques retardèrent la marche contre les Pays-Bas. En janvier 1940, des instructions furent données à la Marine allemande pour l’attaque contre la Norvège. Le 1er mars, des directives pour l’occupation furent promulguées par Hitler. L’objectif général n’était pas censé empêcher l’occupation par les Forces anglaises mais, exprimé en termes peu précis, éviter un empiétement britannique en Scandinavie et dans la mer Baltique, « garantir nos sources de minerais de Suède et donner à notre Marine et à notre Aviation une plus vaste base de départ contre la Grande-Bretagne ». Et l’ordre poursuivait (nous retrouvons là le procédé habituel) : « En principe, nous ferons tout notre possible pour que l’opération apparaisse comme une occupation pacifique, ayant pour objet la protection militaire des États Scandinaves… Il importe que les États Scandinaves, aussi bien que les adversaires de l’Ouest, soient surpris par nos mesures… Au cas où les préparatifs d’embarquement ne pourraient plus être tenus secrets, on trompera les chefs et les troupes en leur indiquant des objectifs fictifs. »

Tout le monde connaît les circonstances de l’invasion, et le succès qu’elle obtint. Aux premières heures du 9 avril, 7 croiseurs, 14 destroyers, un certain nombre de torpilleurs et de plus petits bâtiments amenèrent des éléments avancés de 6 divisions, environ 10.000 hommes. Ils forcèrent l’entrée des fjords extérieurs d’Oslo, de Kristiansand, de Stavanger, de Bergen, de Trondheim et de Narvik et y débarquèrent des troupes. Un petit corps de troupes débarqua aussi à Arendal et à Egersund, sur la côte sud. En outre, des troupes aéroportées atterrirent sur des aérodromes très près d’Oslo et de Stavanger. L’attaque allemande eut lieu complètement par surprise. Toutes les villes envahies le long de la côte furent prises selon le plan prévu et avec seulement de légères pertes. Seul le plan de capture du roi et du Parlement échoua. Malgré la bravoure de la résistance organisée rapidement dans tout le pays, on ne put rien faire contre cette attaque brusquée, préparée depuis longtemps et, le 10 juin, toute résistance militaire avait cessé. Ainsi un autre acte d’agression avait été commis.

Presque exactement un mois après l’attaque contre la Norvège, la 10 mai 1940, les Forces armées allemandes, répétant ce qui avait été fait vingt-cinq ans auparavant, envahirent la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg selon le plan prévu, c’est-à-dire sans avertissement ni déclaration de guerre.

C’était bien entendu une violation de la Convention de La Haye qui leur est reprochée aujourd’hui et c’était aussi une violation de l’Accord de Locarno de 1925 que le Gouvernement nazi ne réaffirmait en 1935 que pour le répudier illégalement deux ans plus tard. Par cet Accord, toutes les questions qui ne pouvaient être réglées par des moyens diplomatiques ordinaires devaient être soumises à l’arbitrage. Vous verrez les termes généraux de tous ces traités. C’était une violation du Traité d’arbitrage et de conciliation signé entre l’Allemagne et les Pays-Bas le 20 mai 1926. C’était une violation d’un traité semblable avec le Luxembourg du 11 septembre 1929. C’était une violation du Pacte Briand-Kellogg. Mais peut-être les chefs nazis de l’Allemagne n’attachaient-ils pas de valeur à ces traités du fait qu’ils avaient été solennellement conclus par les Gouvernements de l’Allemagne pré-nazie. Considérons donc les assurances expresses et les promesses que les chefs nazis eux-mêmes donnèrent à ces États, qui faisaient obstacle à leurs plans contre la France et l’Angleterre et qu’ils avaient toujours eu l’intention d’attaquer. Ce n’est pas une fois, ni deux, mais onze fois, que les assurances les plus nettes furent données à la Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg. Ces pays pouvaient se reposer et de fait se reposaient sur ces assurances données solennellement et formellement exprimées. Les accusés ici présents sont inculpés de violation de ces assurances. Le 30 janvier 1937, par exemple, Hitler avait dit :

« Quant au reste, j’ai bien souvent exprimé le désir et l’espoir d’entretenir de bonnes et cordiales relations avec nos voisins. L’Allemagne a maintes et maintes fois, et je le répète ici solennellement, donné l’assurance que, par exemple, entre elle et la France il ne pouvait y avoir de sujets de controverse humainement concevables. Le Gouvernement allemand a, d’autre part, donné l’assurance à la Belgique et à la Hollande qu’il est prêt à reconnaître et à garantir l’inviolabilité et la neutralité de ces territoires. »

Après que Hitler eut remilitarisé la Rhénanie et répudié le Pacte de Locarno, l’Angleterre et la France cherchèrent à rétablir la sécurité de la Belgique menacée par l’action de Hitler. Elles donnèrent donc à la Belgique, le 24 avril 1937, la garantie expresse qu’elles maintiendraient à l’égard de ce pays les promesses d’assistance qu’elles avaient faites en adhérant à la fois au Pacte de Locarno et au Covenant de la Société des Nations. Le 13 octobre 1937, le Gouvernement allemand fit aussi une déclaration assurant la Belgique de son intention de respecter l’intégrité de son territoire.

Il serait peut-être bon de traiter des dernières assurances reçues, puisque nous passons en revue les preuves que nous possédons au sujet des préparatifs et des intentions du Gouvernement allemand, avant l’invasion de la Belgique le 10 mai 1940.

De même que pour la Pologne, de même que pour la Norvège et le Danemark, les dates parlent d’elles-mêmes.

Dès le mois d’août 1938, des mesures étaient prises pour utiliser les Pays-Bas comme base pour une action décisive à l’ouest au cas où la France et l’Angleterre s’opposeraient à l’Allemagne à propos du plan d’agression qu’elle avait déjà mis sur pied contre la Tchécoslovaquie. Dans une directive de l’Armée de l’Air, datée du 25 août 1938, qui traite des mesures à prendre au cas où l’Angleterre et la France interviendraient dans l’opération contre la Tchécoslovaquie on peut lire :

« On n’a pas à s’attendre pour le moment à ce que d’autres États interviennent contre l’Allemagne. Les régions hollandaises et belges revêtent sous ce rapport beaucoup plus d’importance pour la conduite de la guerre dans l’ouest de l’Europe que durant la première guerre mondiale. Elles seront principalement une base avancée pour la guerre aérienne. »

Et dans le dernier paragraphe de cet ordre il était déclaré :

« La Belgique et la Hollande aux mains des Allemands présentent un avantage extraordinaire, dans la poursuite de la guerre aérienne contre la Grande-Bretagne aussi bien que contre la France… »

C’était en août 1938. Huit mois plus tard, le 28 avril 1939, Hitler déclara à nouveau :

« J’ai été satisfait de ce qu’un certain nombre d’États européens, à la suite de cette déclaration du Gouvernement allemand, aient exprimé et souligné leur désir de conserver une neutralité absolue. »

Un mois plus tard, le 23 mai 1939, Hitler fit à la Chancellerie du Reich la conférence dont j’ai déjà parlé. Le compte rendu de cette réunion rapporte que Hitler aurait dit :

« Les bases aériennes hollandaises et belges doivent être occupées par la force armée. Il faut ignorer les déclarations de neutralité. Si l’Angleterre et la France désirent déclencher un conflit général à l’occasion de la guerre entre l’Allemagne et la Pologne, elles soutiendront la Hollande et la Belgique dans leur neutralité… C’est pourquoi, si l’Angleterre a l’intention d’intervenir dans la guerre polonaise, il faut que nous attaquions la Hollande avec la rapidité de l’éclair. Notre but doit être de nous assurer des lignes de défense sur le territoire hollandais jusqu’au Zuyderzée. »

Même après cela, il devait faire des déclarations solennelles selon lesquelles il respecterait la neutralité de ces pays. Le 26 août 1939, lorsque la crise concernant la Pologne et Dantzig atteignit son paroxysme, le jour même qu’il avait choisi pour l’invasion de la Pologne, des déclarations assurant les Gouvernements intéressés de l’intention de respecter leur neutralité furent remises par les ambassadeurs d’Allemagne au Roi des Belges, à la Reine de Hollande et au Gouvernement du Grand Duché de Luxembourg, dans la forme la plus solennelle. Mais, à l’Armée, Hitler disait :

« Si la Hollande et la Belgique sont occupées et tenues avec succès, la guerre contre l’Angleterre sera assurément victorieuse. »

Le 1er septembre, la Pologne fut envahie. Deux jours plus tard, l’Angleterre et la France entraient en guerre contre l’Allemagne, en exécution des obligations du Traité dont il a déjà été fait mention. Hitler renouvela le 6 octobre ses assurances d’amitié à la Hollande et à la Belgique, mais, le 9 octobre, avant qu’aucune accusation n’ait été portée par le Gouvernement allemand à propos de violations de neutralité, Hitler publia une directive pour la conduite de la guerre, dans laquelle il disait :

1. S’il devient évident dans un proche avenir que l’Angleterre et la France, agissant sous sa direction, ne sont pas disposées à terminer la guerre, je suis décidé à agir fermement et à prendre l’offensive sans perdre de temps.

2. Une longue période d’attente a non seulement pour résultat la suppression, au profit des puissances de l’Ouest, de l’avantage que constituent les neutralités belge et peut-être aussi hollandaise, mais encore renforce la puissance militaire de nos ennemis à un degré croissant, fait décliner la confiance des pays neutres dans la victoire finale de l’Allemagne, et ne contribue pas à amener l’Italie à nos côtés, pour combattre en frères d’armes.

3. C’est pourquoi je donne les ordres suivants pour la poursuite future des opérations militaires :

a) Il faut procéder à des préparatifs d’action offensive sur le flanc nord du front de l’Ouest à travers le Luxembourg, la Belgique et la Hollande. Cette attaque doit être exécutée aussitôt que possible et avec la plus grande force possible.

b) L’objectif de cette attaque est de battre le plus grand nombre possible de sections de l’Armée française combattante et de son alliée et partenaire dans le combat, ainsi que de se rendre maîtres de territoires aussi vastes que possible en Hollande, en Belgique et dans le nord de la France, de façon à en faire des bases offrant des gros avantages pour la guerre aérienne et navale contre l’Angleterre, et fournissant également une ample couverture pour la région vitale de la Ruhr. »

Rien ne pouvait mieux que ce document définir clairement ou avec plus de précision le motif de l’invasion de ces trois pays.

Le 15 octobre 1939, l’accusé Keitel écrivit une lettre très secrète concernant le « Cas Jaune », nom de code donné à l’opération contre les Pays-Bas. Dans cette lettre, il déclarait :

« La protection de la région de la Ruhr, en avançant le plus possible le service de repérage et la défense aérienne dans la région de la Hollande, est importante pour toute la conduite de la guerre. Plus nous occupons de territoire hollandais, plus la défense de la Ruhr peut être efficace. Ce point de vue doit décider du choix des objectifs de l’Armée, même si l’Armée et la Marine ne sont pas directement intéressées à ces gains territoriaux. Les préparatifs de l’Armée doivent donc avoir pour but d’occuper, au reçu d’un ordre spécial, le territoire de la Hollande, tout d’abord la région de la ligne Grebbe-Meuse. Il dépendra de l’attitude politique et militaire des Hollandais, aussi bien que du succès de leur inondation, que les objectifs puissent être encore plus étendus, comme ils doivent l’être. »

L’opération « Cas Jaune » avait été prévue pour le début de novembre 1939. Nous avons en notre possession une série de dix-sept lettres datées du 7 novembre au 9 mai, retardant pratiquement d’un jour à l’autre la date « J » de l’opération, si bien que, dès le début de novembre, tous les plans et préparatifs essentiels avaient été effectivement réalisés. Le 10 janvier 1940, un avion allemand fit un atterrissage forcé en Belgique. Dans cet avion on trouva ce qui restait d’un ordre d’opérations que le pilote avait essayé de brûler et qui contenait une foule de détails sur les terrains d’atterrissage belges dont l’Aviation devait s’emparer. On a trouvé bien d’autres documents qui illustrent le plan et les préparatifs de cette invasion dans la dernière moitié de 1939 et au début de 1940. Mais ils ne nous renseignent pas plus et ne nous donnent pas d’explications plus claires que les preuves auxquelles je me suis déjà référé, des intentions du Gouvernement allemand et de la Wehrmacht.

Le 10 mai 1940, vers 5 heures du matin, commença l’invasion allemande de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg. Et ainsi, une fois de plus, les forces d’agression se mirent en marche. Traités, assurances, droits des États souverains ne signifiaient rien. La force brutale, doublée d’un élément de surprise aussi grand que les nazis pouvaient se l’assurer, devait capturer ce qui avait été jugé nécessaire pour frapper le coup mortel contre l’Angleterre, ennemi principal. La seule faute de ces trois malheureux pays était de s’être trouvés sur le chemin de l’envahisseur allemand dans ses desseins contre l’Angleterre et la France. Mais c’était suffisant et ils furent envahis.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.) L’audience est reprise à 15h40.
SIR HARTLEY SHAWCROSS

Le 6 avril 1941, les Forces armées allemandes envahirent la Grèce et la Yougoslavie. Une fois de plus, le coup fut frappé sans avertissement et avec la lâcheté et la fourberie auxquelles le monde s’attendait maintenant de la part du « Herrenvolk », comme il se nommait lui-même. C’était une violation de la Convention de La Haye, une violation du Pacte de Paris, une violation de l’assurance expresse donnée par Hitler le 6 octobre 1939.

Il avait alors prononcé les paroles suivantes : « Immédiatement après la réalisation de l’Anschluss, j’ai informé la Yougoslavie que la frontière que nous avons avec elle serait désormais inchangeable, et que nous ne désirions que vivre en paix et en bonne amitié avec elle. »

Mais le plan d’agression contre la Yougoslavie avait bien entendu été établi depuis longtemps. Dans les opérations d’agression vers l’Est contre l’Ukraine et les territoires soviétiques, les Allemands avaient déjà étudié la question de la sécurité du flanc sud et des lignes de communications.

L’histoire des événements qui ont abouti à l’invasion de la Yougoslavie par l’Allemagne est bien connue. Le 28 octobre 1940, à 3 heures du matin, un ultimatum avec délai de trois heures fut présenté par le Gouvernement italien au Gouvernement grec. Cet ultimatum fut immédiatement suivi du bombardement aérien de villes de province grecques et de l’entrée des troupes italiennes en territoire grec. Les Grecs n’étaient pas prêts. Ils furent d’abord forcés de se retirer. Mais plus tard, l’avance italienne fut d’abord arrêtée, puis repoussée vers la frontière albanaise, et à la fin de l’année 1940, les Grecs avaient fait subir de sérieux revers à l’Armée italienne.

La position allemande à l’égard de cette question fut mise en évidence par l’entretien du 12 août 1939 entre Hitler et Ciano.

Vous vous souvenez que Hitler y déclara :

« D’une manière générale, le mieux serait de liquider les neutres l’un après l’autre. Cette opération serait facilitée si, à chaque occasion, un partenaire de l’Axe couvrait l’autre occupé à régler son compte à un neutre peu sûr. L’Italie pourrait très bien considérer la Yougoslavie comme un neutre de cet ordre. »

Puis l’entretien se poursuivit ; ils se rencontrèrent de nouveau le 13 août, et, au cours d’une discussion assez longue, Hitler déclara :

« En général, cependant, tout succès d’un des partenaires de l’Axe devrait être suivi d’un renforcement, tant au point de vue psychologique que stratégique, de la position de l’autre partenaire, et par conséquent de l’Axe en son ensemble. L’Italie a réussi un certain nombre d’opérations en Abyssinie, en Espagne et en Albanie, et chaque fois à l’encontre des souhaits de l’Entente démocratique. Ces actions individuelles n’ont pas seulement renforcé les intérêts locaux italiens, mais aussi ont renforcé sa position générale. Il en était de même de l’action allemande en Autriche et en Tchécoslovaquie… Le renforcement de la position de l’Axe par ces opérations individuelles était d’une très grande importance pour le conflit inévitable avec les puissances occidentales. »

Et ainsi, une fois de plus, nous voyons suivre le même processus. Cette réunion avait eu lieu les 12 et 13 août 1939. Moins de deux mois plus tard, Hitler donnait son assurance à la Yougoslavie que l’Allemagne ne désirait que vivre en paix et en bonne amitié avec l’État yougoslave dont il venait lui-même si récemment de suggérer la liquidation par son partenaire de l’Axe.

Puis vinrent l’ultimatum de l’Italie à la Grèce, la guerre contre la Grèce et les revers italiens.

Nous avons trouvé parmi les documents capturés une lettre non datée de Hitler à Mussolini qui a dû être écrite à peu près au moment de l’agression italienne contre la Grèce.

« Permettez-moi, dit Hitler, de vous assurer au début de cette lettre que, durant ces derniers quinze jours, mon cœur et mes pensées ont été plus que jamais avec vous. De plus soyez sûr, Duce, que je suis résolu à faire tout mon possible pour vous rendre la situation actuelle plus facile… Lorsque je vous ai demandé de me recevoir à Florence, j’ai fait ce voyage dans l’espoir de pouvoir exprimer mes idées avant le commencement du conflit menaçant avec la Grèce, sur lequel je n’avais reçu que des informations générales. D’abord, je voulais vous demander de retarder l’action, si possible, jusqu’à un moment de l’année plus favorable, et, en tous cas, jusqu’après les élections présidentielles américaines. Mais de toute façon, je voulais vous demander, Duce, de ne pas entreprendre cette opération sans une occupation éclair préalable de la Crète, et dans ce but, je voulais aussi vous soumettre quelques suggestions pratiques au sujet de l’emploi d’une division de parachutistes allemands et d’une autre division aéroportée… La Yougoslavie doit être laissée si possible en dehors de l’affaire ; cependant il faudrait, à notre avis, qu’elle prenne part à la liquidation de la question grecque. Sans assurances du côté de la Yougoslavie, il est inutile de risquer une opération avec chance de succès dans les Balkans. Malheureusement, je dois insister sur le fait qu’il est impossible d’engager une guerre dans les Balkans avant mars. En conséquence, il ne servirait à rien d’essayer d’influencer la Yougoslavie par des menaces, étant donné que l’État-Major général serbe sait pertinemment que cette menace ne pourrait être mise à exécution avant le mois de mars. Par conséquent, la Yougoslavie doit, si c’est possible, être gagnée par d’autres moyens et par d’autres voies. »

Le 12 novembre 1939, dans son ordre « Très secret » Hitler ordonna à l’OKH de faire des préparatifs pour occuper la Grèce et la Bulgarie en cas de nécessité. Il fallait vraisemblablement dix divisions pour empêcher une intervention turque. Je crois que j’ai dit 1939, c’était évidemment le 12 novembre 1940. Pour gagner du temps, on devait renforcer les divisions allemandes en Roumanie.

Le 13 décembre, Hitler adressa à l’OKW, l’OKH, l’OKL, l’OKM et l’État-Major général un ordre relatif à l’opération « Marita », terme désignant l’invasion de la Grèce. Il était dit dans cet ordre que l’invasion de la Grèce était préparée et devait commencer dès que les conditions atmosphériques seraient favorables. Un autre ordre fut donné le 11 janvier 1941.

Le 28 janvier 1941, Hitler rencontra Mussolini. Les accusés Jodl, Keitel et Ribbentrop assistaient à cette réunion. Nous savons, d’après les notes de Jodl, ce qui s’y passa. Nous savons que Hitler déclara qu’on opérait des concentrations de troupes allemandes en Roumanie, en particulier, pour l’exécution du plan « Marita » contre la Grèce.

Le 1er mars 1941, les troupes allemandes entrèrent en Bulgarie, et s’avancèrent vers la frontière grecque. Devant cette menace d’attaque de la Grèce par les Forces allemandes aussi bien qu’italiennes, des troupes britanniques débarquèrent en Grèce le 3 mars, conformément à la déclaration faite par le Gouvernement britannique le 13 avril 1939, selon laquelle la Grande-Bretagne se trouverait obligée de donner à la Grèce et à la Roumanie toute l’assistance en son pouvoir, au cas où l’un de ces pays serait victime d’une agression et déciderait d’y résister. Déjà, bien entendu, l’agression italienne avait déclenché le mécanisme de cette garantie.

Le 25 mars 1941, la Yougoslavie, en partie gagnée par « les autres voies et moyens » auxquels faisait allusion Hitler, adhéra au pacte tripartite, déjà signé par l’Allemagne, l’Italie et le Japon. Le préambule du pacte déclarait que les trois puissances travailleraient de concert et se soutiendraient mutuellement.

Le même jour, Ribbentrop rédigea deux notes adressées au Premier Ministre yougoslave, l’assurant que l’Allemagne était absolument résolue à respecter la souveraineté et l’indépendance de son pays. Cette déclaration n’était qu’un autre exemple de la perfidie de la diplomatie allemande. Nous avons déjà vu les préparatifs qui avaient été faits. Nous avons vu les efforts de Hitler pour inciter les Italiens à attaquer la Yougoslavie. Nous avons vu les ordres qu’il avait lui-même donnés en janvier pour les préparatifs d’invasion de la Yougoslavie et de la Grèce. Et maintenant, le 25 mars, il signe un pacte avec ce pays et son ministre des Affaires étrangères rédige des assurances de respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale.

Résultat de la signature de ce pacte : les éléments antinazis de Yougoslavie firent immédiatement un coup d’état et établirent un nouveau Gouvernement. Là-dessus, n’étant plus disposée à respecter plus longtemps l’intégrité territoriale et la souveraineté de son alliée, l’Allemagne prit la décision de l’envahir. Le 27 mars, deux jours après la signature du Pacte tripartite, Hitler donna des instructions selon lesquelles la Yougoslavie devait être envahie et utilisée comme base pour la poursuite de l’offensive combinée germano-italienne contre la Grèce.

Il y eut par suite un déploiement de forces, et des instructions nouvelles pour l’action « Marita » furent données par von Brauchitsch le 30 mars 1941.

Il y est dit – je lis la citation :

« Les ordres antérieurs relatifs aux opérations contre la Grèce restent valables dans la mesure où ils ne sont pas touchés par celui-ci. Le 5 avril, si les conditions atmosphériques le permettent, la Luftwaffe attaquera les troupes en Yougoslavie, tandis que commencera simultanément l’attaque de la 12e Armée contre la Yougoslavie et la Grèce. »

Comme nous le savons maintenant, l’invasion commença en fait aux premières heures du 6 avril.

Traités, pactes, assurances, obligations de toutes sortes sont balayés et ignorés chaque fois que les intérêts agressifs de l’Allemagne sont mis en question.

Je passe maintenant au dernier acte d’agression en Europe – mes collègues américains s’occuperont de la position de l’Allemagne dans la question du Japon – je passe au dernier acte d’agression dont sont accusés les conspirateurs nazis, l’attaque contre la Russie.

Au mois d’août 1939, quoiqu’elle eût indubitablement l’intention d’attaquer la Russie à la première occasion favorable, l’Allemagne conclut un traité de non-agression avec l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Après l’occupation de la Belgique et des Pays-Bas et l’écroulement de la France en juin 1940, l’Angleterre – bien qu’ayant l’aide morale et économique des États-Unis, d’une valeur inestimable – resta seule sur le champ de bataille, seule représentante de la démocratie en face des forces d’agression. À ce moment, l’Empire britannique était le seul obstacle à l’Allemagne dans la réalisation de son but, la domination du monde occidental. L’Empire britannique seul – avec l’Angleterre comme citadelle – Mais c’était suffisant. La première défaite, peut-être la défaite décisive, que subit l’ennemi sur le plan militaire, fut celle de la campagne contre l’Angleterre ; et cette défaite eut une influence profonde sur le développement ultérieur de la guerre.

Le 16 juillet 1940, Hitler remit aux accusés Keitel et Jodl une instruction – qu’ils se trouvèrent dans l’incapacité d’appliquer – pour l’invasion de l’Angleterre. Elle commençait par cette phrase, dont les Anglais seront éternellement fiers :

« Étant donné que l’Angleterre, en dépit de sa situation militaire désespérée, ne montre aucune disposition à composer, j’ai décidé de préparer une opération de débarquement contre elle et, s’il le faut, de l’exécuter. Le but en est d’éliminer la métropole britannique, en tant que base de départ pour la poursuite de la guerre contre l’Allemagne… Les préparatifs de toute l’opération devront être terminés à la mi-août. »

Mais la première condition fondamentale de ce plan était – et je cite :

« Que l’Aviation anglaise devra être abattue moralement et effectivement de sorte qu’elle ne puisse plus montrer de véritable agressivité en face de l’attaque allemande. »

L’accusé Göring et son Aviation firent indubitablement des efforts considérables pour réaliser cette condition ; mais dans l’une des plus sublimes pages de notre Histoire, ils subirent une défaite décisive. Et quoique le bombardement des villes et des villages d’Angleterre se poursuivît pendant tout le sombre hiver 1940-1941, l’ennemi décida finalement que l’Angleterre ne pouvait être dominée par ces moyens et, en conséquence, l’Allemagne se tourna vers l’Est sans avoir atteint son premier grand but.

Le 22 juin 1941, les Forces armées allemandes envahirent la Russie, sans avertissement, sans déclaration de guerre. C’était naturellement une violation de l’habituelle série de traités, mais ils ne signifiaient pas plus dans ce cas que dans les autres. C’était une violation du Traité de Paris, en contradiction flagrante avec le traité de non-agression que la Russie et l’Allemagne avaient signé le 23 août, un an auparavant.

Hitler déclara lui-même, à propos de cet accord, que « les accords ne devaient être respectés qu’aussi longtemps qu’ils servaient à un but. ».

L’accusé Ribbentrop fut plus explicite. Dans une entrevue avec l’Ambassadeur du Japon à Berlin, le 23 février 1941, il fit clairement ressortir que le but de l’accord avait été simplement pour l’Allemagne d’éviter une guerre sur deux fronts.

Nous voyons, en contraste avec ce que Hitler, Ribbentrop et les autres fomentaient au sein des conseils secrets d’Allemagne, ce qu’ils déclaraient au reste du monde.

Le 19 juillet, Hitler déclara au Reichstag :

« Dans ces circonstances, j’estimais qu’il fallait en tout premier lieu arriver par ces négociations à une délimitation nette de nos intérêts avec la Russie. On éclaircira une fois pour toutes ce que l’Allemagne croit devoir considérer comme la sphère d’influence nécessaire pour sauvegarder son avenir, et d’autre part ce que la Russie estime important pour son existence. C’est de cette claire répartition des sphères d’intérêts que résultera le nouveau modus vivendi russo-allemand. Il est puéril d’espérer que, maintenant, à l’expiration de cet accord, puisse se produire une nouvelle tension russo-allemande. L’Allemagne n’a fait aucune démarche pouvant l’amener à dépasser sa sphère d’intérêt, pas plus que la Russie. Mais l’espoir de l’Angleterre d’améliorer sa propre position, en fomentant quelque nouvelle crise européenne n’est, en ce qui concerne les relations russo-allemandes, qu’une illusion. Les hommes d’État anglais comprennent tout un peu lentement, mais eux aussi, finiront par saisir avec le temps. »

Toute cette déclaration était naturellement un tissu de mensonges. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’on prit des dispositions pour attaquer la Russie. L’accusé Raeder nous donne les raisons probables de cette décision dans une note à l’amiral Assmann :

« La crainte de ne plus pouvoir conserver le contrôle aérien de la Manche à l’automne 1940 – certitude que le Führer eut sans doute plus tôt que l’État-Major naval, qui n’était pas aussi bien informé, des véritables résultats des raids aériens sur l’Angleterre (nos propres pertes) – a sûrement amené le Führer, dès le mois d’août ou septembre » – août et septembre 1940 – « à envisager si, même avant la victoire à l’Ouest, il était possible de mener une campagne à l’Est, dans le but d’éliminer d’abord notre dernier adversaire sérieux sur le continent. Cependant le Führer n’exprima pas ouvertement cette crainte avant la mi-septembre. »

Il se peut qu’il n’ait pas parlé à la Marine de ses intentions avant la fin de septembre, mais, dès le début de ce mois, il en avait certainement parlé à Jodl.

Nous avons, datée du 6 septembre 1940, une instruction de l’OKW, signée par l’accusé Jodl :

« Des directives sont données pour renforcer les effectifs d’occupation à l’Est durant les semaines qui vont suivre. Pour des raisons de sécurité » – je continue à citer – « il ne faudrait pas donner à la Russie l’impression que l’Allemagne prépare une offensive à l’Est. »

Des directives sont données au Service de renseignements allemand au sujet des réponses à donner à des questions du Service de renseignements russe. Je cite :

« L’importance des effectifs des troupes allemandes à l’Est doit être camouflée par des changements fréquents dans cette zone. Il faut donner l’impression que le gros des troupes au Sud a été déplacé tandis que le Nord n’est occupé que par de très faibles effectifs. »

Nous voyons donc le début des opérations.

Le 12 novembre 1940, Hitler donna une instruction signée de l’accusé Jodl, dans laquelle il était dit qu’on avait entrepris la tâche politique de préciser l’attitude de la Russie sans mention toutefois du résultat des préparatifs contre l’Est, qui avaient été ordonnés de vive voix.

On ne peut croire que l’URSS ait pris part à des conversations à ce moment, si elle s’était rendu compte qu’on donnait, le même jour, des ordres pour les préparatifs à faire en vue de l’invasion de la Russie, et qu’on élaborait activement l’ordre relatif à ces opérations, ordre nommé « plan Barbarossa ». Un ordre fut donné le 18 décembre, je cite :

« Les Forces armées allemandes doivent être prêtes à battre la Russie soviétique en une campagne rapide avant la fin de la guerre contre la Grande-Bretagne. »

Et plus loin, dans la même instruction – je continue la citation :

« Tous les ordres qui seront donnés par les Commandants en chef en exécution de cette instruction doivent être rédigés en termes tels qu’ils puissent être pris pour des mesures de précaution pour le cas où la Russie changerait son attitude présente à notre égard. »

L’Allemagne continua à feindre l’amitié, et le 10 janvier 1941, bien après avoir décidé l’élaboration du plan Barbarossa pour l’invasion de la Russie, elle signa l’accord de frontières germano-russe. Moins d’un mois plus tard, le 3 février 1941, Hitler tint une conférence à laquelle assistèrent les accusés Keitel et Jodl où l’on prit des mesures en vue du camouflage de l’ensemble des opérations contre la Russie en une partie des préparatifs du « Seelöwe », terme désignant le plan d’invasion de l’Angleterre.

En mars 1941, les plans étaient suffisamment avancés pour prévoir la division du territoire russe en neuf États distincts qui devaient être administrés par des commissaires du Reich sous le contrôle général de l’accusé Rosenberg ; en même temps furent dressés des plans détaillés pour l’exploitation économique du pays, sous le contrôle de l’accusé Göring, à qui Hitler avait délégué la responsabilité dans ce domaine, et c’était une sérieuse responsabilité.

Vous connaîtrez quelques détails de ces plans. Je vous rappelle un des documents que nous avons déjà mentionnés à ce sujet.

Il est significatif que, le 2 mai 1941, ait eu lieu une conférence des Secrétaires d’État au sujet du plan Barbarossa, au cours de laquelle on nota :

« 1. La guerre ne peut être poursuivie que si toutes les Forces armées se nourrissent sur la Russie dès la troisième année de guerre.

« 2. Il est certain que le résultat de ces mesures sera de faire mourir de faim des millions de gens, si nous tirons du pays tout ce qui nous est nécessaire. »

Mais apparemment, cette considération ne causa aucun souci. On poursuivit l’élaboration du « Plan Oldenburg », terme désignant le plan d’organisation économique et d’exploitation de la Russie. Dès le 1er mai 1941, le jour « J » des opérations était fixé. Dès le 1er juin, les préparatifs étaient virtuellement terminés et on. établit un horaire détaillé. On estimait que, malgré de violentes batailles de frontières qui dureraient peut-être quatre semaines, il n’y aurait plus lieu ensuite de prévoir aucune opposition sérieuse.

Le 22 juin, à 3 h. 30 du matin, les Armées allemandes reprirent leur marche. Comme le dit Hitler dans sa proclamation à la Wehrmacht : « J’ai décidé de remettre une fois encore le sort du peuple allemand, du Reich et de l’Europe entre les mains de nos soldats. »

Les faux prétextes ordinaires furent naturellement donnés ; Ribbentrop déclara le 28 juin que cette mesure était prise à cause de la menace de l’Armée Rouge sur les frontières allemandes. C’était un mensonge et l’accusé Ribbentrop savait que c’était un mensonge.

Le 7 juin 1941, le propre ambassadeur de Ribbentrop à Moscou lui rapportait – et je cite : « Toutes les observations démontrent que Staline et Molotov, seuls responsables de la politique étrangère russe, font leur possible pour éviter un conflit avec l’Allemagne. » – Les rapports d’États-Majors que vous allez voir montrent clairement que les Russes ne faisaient pas de préparatifs militaires et qu’ils continuèrent leurs livraisons, en vertu de l’accord commercial, jusqu’au dernier jour. La vérité est évidemment que l’élimination de la Russie comme adversaire politique et l’incorporation du territoire soviétique dans l’espace vital allemand avait été depuis très longtemps l’une des principales caractéristiques de la politique nazie, subordonnée seulement dans les derniers temps à ce que l’accusé Jodl appelait des raisons diplomatiques.

Et c’est ainsi que, le 22 juin, les Armées nazies se ruèrent contre la puissance à laquelle Hitler avait si récemment juré amitié, et que l’Allemagne s’engagea dans cet ultime acte d’agression en Europe qui, après de longs et durs combats, devait en fait amener son écroulement.

Telles sont les accusations relevant du chef n° 2 portées contre ces accusés en tant que maîtres de l’Allemagne.

On peut dire que bien des documents que nous avons mentionnés étaient rédigés au nom de Hitler, que les ordres étaient les ordres de Hitler et que ces hommes n’étaient que les instruments de la volonté de Hitler. Mais ils étaient les instruments sans lesquels la volonté de Hitler n’aurait pas pu être réalisée ; et ils étaient plus que cela. Ces hommes n’étaient pas que des instruments volontaires, et pourtant ils eussent été assez coupables si tel avait été leur rôle. Ce sont les hommes qui, en prêtant leur appui à Hitler, l’ont porté au pouvoir ; ce sont les hommes qui, par leurs idées et leurs plans, conçurent souvent, et en tous cas rendirent possibles, les actes d’agression accomplis au nom de Hitler ; et ce sont les hommes qui ont permis à Hitler d’édifier l’Armée, la Marine, l’Aviation, l’Économie de guerre, la Philosophie politique qui lui permirent d’exécuter ces attaques félones et de mener ses partisans fanatiques dans des pays en paix pour assassiner, piller et détruire, Ce sont les hommes qui, par la coopération et l’appui qu’ils lui apportèrent, rendirent possible le Gouvernement nazi en Allemagne.

Le Gouvernement d’un pays totalitaire peut être établi sans représentants du peuple, mais il ne peut être établi sans aucune assistance. Il est inutile d’avoir un chef s’il n’y a pas aussi des hommes tout disposés à servir leur ambition et leur avidité personnelles en l’aidant et en le suivant. Le dictateur qui a le contrôle des destinées de son pays ne dépend pas de lui seul pour acquérir le pouvoir comme pour le conserver ; il dépend du soutien et de l’aide que des hommes moins importants, qui eux-mêmes aspirent à prendre leur part de pouvoir dictatorial et sont impatients de jouir de l’adulation dont leur chef est l’objet, sont disposés à leur donner.

Dans les Tribunaux criminels de nos pays, quand des hommes sont jugés pour des violations du Droit interne, il arrive souvent que, dans une bande dont les membres sont ensemble au banc des accusés, l’un soit la tête, la personnalité dirigeante. Mais ce n’est pas une excuse valable pour un voleur ordinaire que de dire :

« J’ai volé parce qu’on m’avait dit de voler » ou pour l’assassin de plaider : « J’ai tué parce qu’on m’avait dit de tuer ». Les hommes que vous voyez ici ne sont pas dans une situation différente parce que c’étaient des nations qu’ils cherchaient à piller et des peuples entiers qu’ils essayaient de tuer. « II n’est pas d’ordre de qui que ce soit qui excuse un acte illégal ». La loyauté politique, l’obéissance militaire sont d’excellentes choses, mais elles n’exigent ni ne justifient l’accomplissement d’actes notoirement mauvais. Il vient un moment où un homme doit refuser d’obéir à son chef s’il veut obéir à sa conscience. Même le simple soldat, servant dans les rangs, n’est pas obligé d’obéir à des ordres illégaux. Mais ces hommes n’étaient pas de simples soldats, ce furent les hommes dont l’habileté et la ruse, le travail et l’activité permirent au Reich de déchirer les traités existants, d’adhérer à de nouveaux traités et de les fouler aux pieds, de réduire les négociations internationales et la diplomatie à une sinistre plaisanterie, de détruire tout respect du Droit international et de lui enlever toute efficience, et enfin de marcher contre les peuples du monde pour s’assurer cette domination à laquelle ils prétendaient avoir droit en qualité de membres arrogants de la race qu’ils appelaient eux-mêmes race de seigneurs.

Si ces crimes sont en un sens les crimes de l’Allemagne nazie, ces hommes sont coupables aussi en tant qu’individus pour avoir aidé, soutenu, conseillé et rendu possible l’exécution de ces actions.

Le crime commis par ces hommes, si affreux dans sa portée, présente beaucoup d’aspects. Leur luxure, leur sadisme, la dégradation et le massacre délibéré de tant de millions de leurs semblables que l’imagination se refuse à l’envisager ne sont qu’un côté de cette question. Maintenant que ce cauchemar est terminé et que nous pouvons envisager ce que sera l’avenir, il se peut que leur culpabilité en tant qu’assassins et que voleurs soit de moindre importance et de moindre conséquence pour les générations futures que leur crime de tromperie – tromperie par laquelle ils se sont mis en position pour exécuter leurs crimes et leurs vols – Voilà l’autre aspect de leur culpabilité. L’histoire de leur « diplomatie », fondée sur la ruse, l’hypocrisie et la mauvaise foi, relate des actions moins affreuses évidemment, mais non moins mauvaises et accomplies, elles aussi, de propos délibéré. Si l’on pouvait la considérer comme un précédent dans les relations internationales, ses conséquences pour l’humanité ne mèneraient pas moins sûrement à la fin de la société civilisée.

Si la confiance ne règne pas entre les nations, si l’on ne croit que ce qui est dit est pensé et que ce qui est promis sera tenu, tout espoir de paix et de sécurité est mort. Les Gouvernements du Royaume-Uni et du Commonwealth Britannique, des États-Unis d’Amérique, de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et de la France, soutenus par toutes les nations du monde qui aiment la paix, et parlant en leur nom, se sont donc unis pour amener devant le Tribunal tous ceux qui ont imaginé et appliqué la conception nazie des relations internationales. Ils le font pour que ces accusés soient punis de leurs crimes. Ils le font aussi pour que leur conduite soit exposée et mise à nu dans toute son horreur, et ils le font dans l’espoir que la conscience et le bon sens du monde entier pourront voir les conséquences d’une telle conduite et la fin à laquelle elle doit inévitablement mener. Restaurons encore une fois le bon sens et avec lui le caractère sacré de nos engagements les uns envers les autres.

LE PRÉSIDENT

Monsieur le Procureur, les Procureurs de Grande-Bretagne ont-ils l’intention de continuer ?

SIR HARTLEY SHAWCROSS

Notre intention était de laisser notre ami M. Sidney Alderman poursuivre son exposé sur les derniers actes d’agression contre la Tchécoslovaquie et, si l’on nous l’accorde, nos collègues britanniques continueraient ensuite la présentation de l’exposé britannique. Comme le Tribunal s’en rendra compte, les chefs d’accusation n° 1 et 2 sont à beaucoup de points de vue complémentaires, et mes collègues des États-Unis et nous-mêmes travaillons en très étroite collaboration pour présenter les preuves afférentes à ces chefs d’accusation.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, pouvez-vous continuer jusqu’à 5 heures ?

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Il m’est tout à fait possible de continuer. Je ne peux m’empêcher de sentir que ce sera un contraste absolu après l’exposé que vous venez d’entendre.

Quand le Tribunal a levé l’audience hier après-midi, j’avais terminé l’esquisse des plans des conspirateurs nazis pour les semaines qui suivirent immédiatement l’accord de Munich. Ces plans exigeaient ce que les fonctionnaires allemands appelaient « la liquidation du reste de la Tchécoslovaquie ». Vous vous souvenez que, trois semaines après Munich, le 21 octobre, le jour même où l’administration des Sudètes fut remise aux autorités civiles, Hitler et Keitel avaient promulgué un ordre à la Wehrmacht, document C-136 (USA-104).

Dans cet ordre, ils ordonnaient d’entreprendre la préparation de la Wehrmacht pour la conquête du reste de la Tchécoslovaquie. Deux mois après, le 17 décembre, l’accusé Keitel promulgua un appendice à l’ordre original ordonnant la continuation de ces préparatifs, document C-138 (USA-105). Ces deux documents sont déjà versés au dossier.

En fonction de l’hypothèse qu’il ne devait y avoir aucune résistance sérieuse, cet ordre insistait sur le fait que l’attaque de la Tchécoslovaquie devait être camouflée de telle sorte qu’elle ne parût pas être une agression belliqueuse. « Pour le monde extérieur », disait-il – et je cite – « il doit paraître évident que ce n’est qu’une action de pacification et non une entreprise belliqueuse ».

Ainsi, au début de 1939, les plans essentiels d’une action militaire contre la République tchécoslovaque déjà mutilée avaient été mis au point par le Haut Commandement allemand.

Je passe aux méthodes clandestines et criminelles utilisées par les conspirateurs nazis pour s’assurer qu’on n’opposerait aucune résistance sérieuse à l’Armée allemande. Comme dans le cas de l’Autriche et du pays des Sudètes, les conspirateurs nazis n’avaient pas l’intention de s’appuyer sur la Wehrmacht seule pour atteindre l’objectif prévu, la liquidation de la Tchécoslovaquie. La minorité allemande étant séparée de la Tchécoslovaquie, ils ne pouvaient plus utiliser le cri : « Retour au Reich. » Il ne restait plus qu’une seule minorité de taille, celle des Slovaques, dans l’État tchécoslovaque.

Je dois mentionner que le Gouvernement tchécoslovaque avait fait tous ses efforts pour se concilier les extrémistes slovaques dans les mois qui suivirent la cession du territoire des Sudètes. L’autonomie avait été accordée à la Slovaquie avec un Parlement et un Cabinet autonomes à Bratislava. Néanmoins, malgré ces concessions, ce fut en Slovaquie que les conspirateurs nazis trouvèrent le terrain propice à leur tactique. Le tableau que je vais tracer des opérations nazies en Tchécoslovaquie est fondé sur le rapport officiel tchécoslovaque, document PS-998, déjà déposé sous le n° USA-91 et dont le Tribunal a pris acte.

Les groupes nazis de propagande et de recherches s’intéressaient depuis longtemps au maintien de relations étroites avec l’opposition autonomiste slovaque. Lorsque Bela Tuka, qui devint plus tard Premier Ministre de l’État fantoche de Slovaquie, fut jugé pour espionnage et trahison en 1939, la preuve fut faite qu’il avait déjà établi des relations avec les groupes nazis d’Allemagne. Avant 1938, les agents nazis étaient en contact étroit avec le traîtres slovaques vivant en exil et ils tentaient d’établir des contacts plus profitables dans le parti populaire catholique et demi-fasciste de Mgr. Andréas Hlinka. En février et juillet 1938, les chefs du mouvement de Henlein conférèrent avec les chefs du parti du Père Hlinka et s’accordèrent pour se prêter mutuellement assistance dans leurs réclamations d’autonomie. Cette entente s’avéra très utile lors de l’agitation de septembre quand, au moment propice, les Affaires étrangères de Berlin télégraphièrent à Kundt, chef du parti de Henlein, à Prague, de dire aux Slovaques de commencer à réclamer l’autonomie.

Ce télégramme, document PS-2858 (USA-97), a été déposé et lu.

À ce moment – au milieu de l’été 1938 – les nazis étaient en contact direct avec les personnalités du mouvement autonomiste slovaque et avaient des agents à leur solde parmi les plus hauts personnages du parti du Père Hlinka. Ces agents entreprirent de rendre impossible toute compréhension entre les autonomistes slovaques et les partis slovaques du Gouvernement de Prague.

Hans Karmasin, qui devait devenir plus tard Volksgruppenführer, avait été nommé chef nazi en Slovaquie et prétendait servir la cause de l’autonomie slovaque, alors qu’il était en fait payé par les Nazis. Le 22 novembre, les nazis télégraphièrent sans discrétion à Karmasin de venir en personne chercher son argent à la Légation allemande de Prague, et je peux présenter en preuve le document PS-2859 (USA-107) saisi dans les dossiers du ministère des Affaires étrangères allemand. Je lis ce télégramme qui fut envoyé de la Légation allemande de Prague à Presbourg :

« Le délégué Kundt fait savoir au Secrétaire d’État Karmasin qu’il aimerait qu’il vienne personnellement chercher la somme gardée pour lui à la caisse de l’Ambassade.

« Signé : Hencke. »

Karmasin se montra plus tard très utile à la cause nazie. Quoique ce ne soit pas l’ordre chronologique de mon exposé, je voudrais fournir en preuve le document PS-2794, mémorandum saisi dans les archives du ministère des Affaires étrangères allemand que je dépose sous le n° USA-108 ; il est daté du 29 novembre 1939 à Berlin.

Ce document, qui date de huit mois après la conquête de la Tchécoslovaquie, jette une lumière révélatrice sur Karmasin et sur le ministère des Affaires étrangères allemand. Je cite un extrait de ce mémorandum :

« Question des paiements à Karmasin.

« Karmasin a reçu mensuellement 30.000 mark du VDA (Ligue populaire pour les Allemands à l’étranger), jusqu’au 1er avril 1940 ; ensuite 15.000 mark par mois.

« D’autre part le Service central des Allemands de race (Volksdeutsche Mittelstelle) a déposé pour Karmasin auprès de la mission allemande à Bratislava (Presbourg) 300.000 mark sur lesquels il pourra compter en cas d’urgence.

« Par ailleurs, Karmasin a reçu de l’argent du ministre du Reich Seyss-Inquart ; pour le moment, il a été impossible de déterminer le montant des versements, et si les paiements continuent.

« Par conséquent, il semble que Karmasin ait suffisamment d’argent ; on peut donc attendre jusqu’à ce qu’il fasse de nouvelles demandes.

« Présenté au ministre des Affaires étrangères.

« Signé : Woermann. »

Ce document montre la complicité du ministère des Affaires étrangères allemand dans le financement des organisations illégales à l’étranger. Il montre, et c’est plus grave, que les Allemands considéraient comme nécessaire de fournir à leurs représentants clandestins à Presbourg des fonds importants même après la déclaration de ce qu’on appelait l’État indépendant de Slovaquie.

Au cours de l’hiver 1938-39, Göring conféra avec Durkansky et Mach, deux chefs du parti extrémiste slovaque qui étaient accompagnés de Karmasin. Les Slovaques dirent à Göring leur désir d’obtenir ce qu’ils appelaient l’indépendance avec des liens économiques, politiques et militaires solides avec l’Allemagne. Ils promirent que le problème juif serait résolu comme il l’avait été en Allemagne, et que le parti communiste serait interdit. Le compte rendu de cette réunion rapporte que Göring estimait que les efforts des Slovaques vers l’indépendance devaient être soutenus, mais, comme le document le montre, ses motifs n’étaient guère altruistes.

Je dépose maintenant le document PS-2801 sous le n° USA-109, compte rendu non daté d’une conversation entre Göring et Durkansky. Ce document fut saisi dans les dossiers des Affaires étrangères d’Allemagne.

Je lis ce compte rendu rédigé en style quelque peu télégraphique.

« Au début Durkansky (vice-premier ministre) lit une déclaration : "Amitiés au Führer, gratitude envers le Führer pour avoir rendu possible l’autonomie pour les Slovaques". Les Slovaques ne veulent pas appartenir à la Hongrie. Les Slovaques veulent une pleine indépendance, avec des liens puissants avec l’Allemagne, au point de vue politique, économique et militaire. Bratislava sera la capitale. L’exécution du plan n’est possible que si l’armée et la police sont slovaques.

« L’indépendance de la Slovaquie doit être proclamée au cours de la réunion de la première Diète slovaque. En cas de plébiscite, la majorité serait en faveur d’une séparation d’avec Prague. Les Juifs voteront pour la Hongrie. La région du plébiscite doit s’étendre jusqu’à la March, où habite une nombreuse population slovaque.

« Le problème juif sera résolu comme en Allemagne, le parti communiste sera interdit.

« Les Allemands de Slovaquie ne veulent pas appartenir à la Hongrie, mais veulent rester en Slovaquie.

« L’influence allemande, avec un Gouvernement slovaque, serait considérable, la nomination d’un Ministre allemand (membre du Cabinet) a été promise.

« Pour le moment les Slovaques ont entrepris des négociations avec la Hongrie. Les Tchèques auraient tendance à s’accorder avec les Hongrois plutôt qu’avec les Slovaques.

« Le Feldmarschall Göring estime que les négociations des Slovaques en vue de leur indépendance doivent être soutenues de façon convenable. La Tchécoslovaquie sans la Slovaquie est encore plus à notre merci.

« Les bases aériennes en Slovaquie sont de grande importance pour l’Aviation allemande qui peut les utiliser contre l’État. »

Le 12 février, une délégation slovaque se rendit à Berlin. Elle se composait de Tuka, un des Slovaques avec lesquels les Allemands avaient été en contact, et de Karmasin, le représentant rétribué des conspirateurs nazis en Slovaquie. Ils conférèrent avec Hitler et avec l’accusé Ribbentrop à la Chancellerie du Reich à Berlin, le dimanche 12 février 1939.

Je dépose maintenant le document PS-2790 sous le n° USA-110, compte rendu de cette réunion dressé par les Affaires étrangères allemandes et tombé entre nos mains.

Je lis : « Après de brefs souhaits de bienvenue, Tuka remercie le Führer de lui avoir accordé cette entrevue. Il s’adresse à lui en disant "Mon Führer", et déclare que, bien qu’il ne soit qu’un homme modeste, il pourrait prétendre parler au nom de la nation slovaque. Les tribunaux et les prisons tchèques lui avaient donné le droit de faire une telle déclaration. Il déclare que le Führer a non seulement été le premier à poser la question slovaque, mais qu’il a été également le premier à reconnaître la dignité de la nation slovaque. Le peuple slovaque combattra volontiers sous le commandement du Führer pour le maintien de la civilisation européenne. Une association future avec les Tchèques est devenue une impossibilité pour les Slovaques, tant au point de vue moral qu’au point de vue économique. »

Je saute à la dernière phrase :

« Je remets le sort de mon peuple entre vos mains », dit-il au Führer.

Pendant cette réunion les conspirateurs nazis réussirent apparemment à faire admettre l’idée d’une insurrection par les délégués slovaques. J’attire votre attention sur la dernière phrase du document que je viens de lire, phrase prononcée par Tuka : « Je remets le sort de mon peuple entre vos mains. »

Il ressort de ces documents qu’au milieu de février 1939 les nazis avaient un groupe de Slovaques bien disciplinés à leur service, beaucoup d’entre eux provenant des rangs du Père Hlinka. Flattés par l’attention personnelle que leur prodiguaient des hommes comme Hitler et l’accusé Ribbentrop et rétribués par des représentants allemands, ces Slovaques se révélèrent de dociles instruments des conspirateurs nazis.

Outre les Slovaques, les conspirateurs nazis utilisèrent les Allemands qui restaient encore dans la République mutilée de Tchécoslovaquie. Kundt, délégué de Henlein, qui avait été nommé chef de cette minorité allemande, créa autant d’artificiels « foyers de culture allemande » qu’il était possible. Les Allemands des districts remis à l’Allemagne reçurent de Berlin l’ordre de continuer leurs études à l’Université allemande de Prague, et d’en faire un centre de nazisme agressif. Avec l’aide des fonctionnaires allemands fut menée une campagne délibérée d’infiltration nazie dans les institutions tchèques publiques et privées, et les partisans de Henlein coopérèrent étroitement avec les agents de la Gestapo du Reich, qui apparurent sur le territoire tchèque. Le but de l’activité politique nazie était de miner et d’affaiblir la résistance tchèque aux ordres venant d’Allemagne.

Devant les menaces continuelles et la contrainte exercée sur le plan diplomatique et sur le plan de la propagande, le Gouvernement tchèque ne put prendre les mesures adéquates contre ceux qui offensaient sa souveraineté.

J’utilise comme base de mes remarques le rapport officiel tchécoslovaque, document PS-998.

Au début de mars, peu avant la date de l’entrée définitive en Tchécoslovaquie, l’activité de la Cinquième colonne entra dans sa dernière phase. En Bohême et en Moravie, les FS, équivalent des SS pour Henlein, étaient en contact avec les conspirateurs nazis dans le Reich et préparèrent les événements des 14 et 15 mars.

Je dépose comme preuve le document PS-2826 (USA-111). C’est un article du chef de groupe SS Karl Hermann Frank, publié dans la revue Böhmen und Mähren, périodique officiel du Protecteur du Reich en Bohême-Moravie, édition de mai 1941, page 179.

C’est un article écrit par un des chefs nazis en Tchécoslovaquie, au moment des plus grands succès militaires de l’Allemagne. C’est un article plein de vantardise qui révèle, avec une franchise que l’on trouve rarement dans la presse nazie, les fonctions que remplissaient les FS et les SS, et la fierté que les conspirateurs nazis tiraient de l’activité de ces organisations. C’est une longue citation.

LE PRÉSIDENT

Continuerez-vous à traiter cette question demain, Monsieur Alderman ?

M. ALDERMAN

Oui.

LE PRÉSIDENT

En aurez-vous pour toute la journée ?

M. ALDERMAN

Non, pas plus d’une heure et demie.

LE PRÉSIDENT

Le Ministère Public anglais continuera-t-il ensuite ?

M. ALDERMAN

Oui.

(L’audience sera reprise le 5 décembre 1945 à 10 heures.)