TREIZIÈME JOURNÉE.
Mercredi 5 décembre 1945.

Audience du matin.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Quand le Tribunal a levé l’audience hier après-midi, je venais de déposer comme preuve le document PS-2826 (USA-111). C’était un article du SS-Gruppenführer Karl Hermann Frank, publié dans Böhmen und Mähren (Bohême-Moravie), le périodique officiel du protecteur de Bohême-Moravie, numéro de mars 1941, page 79. Ce document révèle très franchement les fonctions des FS et des SS et montre la fierté que les conspirateurs nazis tiraient de l’activité de ces organisations. Je donnerai lecture de cet article, qui a pour titre « Les SS au 15 mars 1939 » :

« Un peuple et un État moderne sont aujourd’hui inconcevables sans troupes politiques. C’est à elles qu’incombe la tâche particulière de constituer l’avant-garde de la volonté politique et de garantir son unité. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne les groupes ethniques allemands qui résident à l’étranger. Ainsi, le parti allemand des Sudètes avait autrefois organisé lui aussi une troupe politique, la “Milice Volontaire de Protection”, en allemand “Freiwilliger Selbstschutz”, FS en abrégé. Ces troupes étaient entraînées suivant les principes des SS, pour autant que ces principes aient pu à ce moment être appliqués dans le pays. Elles avaient en particulier pour tâche de protéger leur sol, le cas échéant et d’une manière active. Elles y réussirent d’ailleurs parfaitement la première fois où pendant la crise de l’automne 1938, elles durent assurer la protection de la patrie les armes à la main.

« Après l’annexion du Pays des Sudètes, la tâche des FS fut surtout confiée aux organisations d’étudiants allemands qui constituaient des troupes militaires cohérentes à Prague et à Brno, à côté des communautés allemandes isolées qui subsistaient dans la seconde République. Ceci s’explique par le fait que de nombreux étudiants actifs des Sudètes étaient déjà membres des SS. Les organisations d’étudiants furent alors mises à l’épreuve, en même temps que les autres éléments allemands, pendant la crise du mois de mars 1939…

« Aux premières heures de la matinée du 15 mars 1939, quand on eut annoncé officiellement la pénétration prévue des troupes allemandes, les Allemands durent, dans certaines localités, faire en sorte que tout se passât dans le calme, soit en prenant en charge les fonctions de la Police de Brno, soit en prenant des instructions auprès des chefs de la Police. Dans certains bureaux tchécoslovaques, depuis les premières heures du matin, on brûlait des archives importantes et le contenu des dossiers politiques. Il fallait donc intervenir là aussi, afin d’empêcher des destructions absurdes. La valeur reconnue à ces mesures diverses et étendues par les autorités allemandes compétentes est confirmée par le fait que, dès le 15 mars et les jours suivants, beaucoup de ces hommes furent admis dans les SS en reconnaissance de leurs services, soit par le Reichsführer SS lui-même, soit par le Gruppenführer Heydrich. Les exploits et les activités de ces hommes furent reconnus comme ayant été accomplis dans l’intérêt des SS.

« Immédiatement après l’arrivée des divisions SS accompagnant les premières colonnes de l’armée allemande et leur entrée en fonction dans le domaine qui leur était assigné, ces hommes se placèrent immédiatement à leur disposition et devinrent des collaborateurs et des auxiliaires précieux. »

Je demande au Tribunal de déclarer recevables, suivant l’article 21 du Statut, trois documents officiels identifiés sous les nos D-571, D-572 et PS-2943. Je les dépose comme preuves, sous les références respectives suivantes : USA-112 pour le document D-571, USA-113 pour le document D-572 et USA-114 pour le document PS-2943 qui est le Livre Jaune officiel français, pages 66 et 67.

Les deux premiers documents sont des dépêches diplomatiques britanniques qui ont été certifiées conformes par le Gouvernement britannique. Ils révèlent les dessous de l’intrigue allemande en Slovaquie. Le troisième document, PS-2943 (USA-114), est constitué par des extraits du Livre Jaune français, et en particulier par des extraits des dépêches expédiées par M. Coulondre, l’ambassadeur de France à Berlin, au ministère des Affaires étrangères français, entre le 13 et le 18 mars 1939. Je pense avoir l’occasion de revenir assez fréquemment sur ces trois dépêches au cours de mon exposé, étant donné que le Tribunal doit, je pense, les déclarer recevables ; il n’est donc pas nécessaire que je les lise entièrement pour le procès-verbal. En Slovaquie, la crise à laquelle on s’attendait depuis longtemps éclata le 10 mars. Ce jour-là, le Gouvernement tchécoslovaque renvoya les membres du Cabinet slovaque qui refusaient de poursuivre les négociations avec Prague, et entre autres le ministre des Affaires étrangères Tiso et Durcansky. En 24 heures, les nazis prirent prétexte de cette mesure du Gouvernement tchécoslovaque pour intervenir. Le jour suivant, 11 mars, une étrange scène eut lieu à Bratislava, la capitale slovaque. Je cite le document D-571 (USA-112). C’est un compte rendu du ministre britannique à Prague au Gouvernement britannique :

« M. Bürckel, M. Seyss-Inquart et cinq généraux allemands sont venus vers 10 heures du soir, le samedi 11 mars, assister à une réunion du Cabinet, qui avait lieu à Bratislava. Ils déclarèrent au Gouvernement slovaque qu’il devrait proclamer l’indépendance de la Slovaquie. M. Sidor, le Premier Ministre, montrant de l’hésitation, M. Bürckel le prit à part et lui expliqua que M. Hitler avait décidé de régler définitivement la question tchécoslovaque. La Slovaquie devait donc proclamer son indépendance, sans quoi M. Hitler se désintéresserait de son sort. M. Sidor remercia M. Bürckel de cette communication, mais déclara qu’il devait discuter de la situation avec le Gouvernement de Prague. » (Étrange situation en effet que d’avoir à discuter un tel sujet avec son propre Gouvernement, avant d’obéir aux instructions de M. Hitler, transmises par cinq généraux allemands, M. Bürckel et M. Seyss-Inquart.)

La situation continua à évoluer rapidement, mais Durcansky, un des ministres qui avaient été renvoyés, s’enfuit à Vienne avec l’aide des nazis, où la station d’émission de la radio allemande fut mise à sa disposition. Des armes et des munitions en provenance des services allemands d’Engerau traversèrent le Danube en direction de la Slovaquie où elles furent utilisées par les FS et la garde Hlinka pour créer incidents et désordres du genre de ceux que désiraient les nazis afin d’en prendre prétexte pour une action militaire. La radio et la presse allemandes lancèrent une violente campagne contre le Gouvernement tchécoslovaque et, fait significatif, Bratislava reçut une invitation de Berlin : Tiso, le Premier Ministre qu’on venait de renvoyer, était convoqué par Hitler à une conférence dans la capitale allemande. Un avion l’attendait à Vienne.

À ce stade des événements, dans la deuxième semaine de mars 1939, les préparatifs de ce que les leaders nazis appelaient la liquidation de la Tchécoslovaquie, progressaient avec un calme qu’ils devaient considérer comme très satisfaisant. Les machines militaires, diplomatiques et de propagande des conspirateurs nazis marchaient en parfaite coordination. Comme au cours du Fall Grün (ou Cas Vert) l’été précédent, les conspirateurs avaient invité la Hongrie à participer à cette nouvelle attaque. L’amiral Horthy, Régent de Hongrie, fut à nouveau très flatté de cette invitation.

Je dépose comme preuve le document PS-2816 (USA-115). C’est une lettre que le distingué amiral de Hongrie, pays qui, entre parenthèses, n’avait pas de marine, écrivit à Hitler le 13 mars 1939 et que nous avons saisie dans les archives du ministère allemand des Affaires étrangères :

« Excellence,

« Mes sincères remerciements.

« Je peux à peine vous dire combien je suis heureux, car cette région du cours supérieur des rivières – je n’aime pas user de grands mots – est d’importance vitale pour la vie de la Hongrie. »

Je suppose qu’il avait besoin d’eau pour la marine inexistante dont il était amiral.

« Bien que nos recrues n’aient servi que pendant cinq semaines, nous allons participer à cette affaire avec beaucoup d’enthousiasme. Les dispositions ont déjà été prises jeudi ; le 16 de ce mois aura lieu un incident de frontière qui sera suivi par le grand coup, samedi. »

II n’aime pas se servir de grands mots : « grand coup » est suffisant.

« Je n’oublierai jamais cette preuve d’amitié et Votre Excellence peut compter en tout temps sur ma gratitude inébranlable.

« Votre ami dévoué,

« Horthy. »

On peut déduire de cette lettre cynique et brutale du distingué amiral…

LE PRÉSIDENT

Cette lettre était-elle adressée à l’ambassadeur de Hongrie à Berlin ?

M. ALDERMAN

Je pense, Monsieur le Président, qu’elle était adressée à Hitler.

LE PRÉSIDENT

Il y a quelques mots en haut de la lettre qui semblent être un nom hongrois.

M. ALDERMAN

C’est l’en-tête de la lettre. Pour autant que je puisse le comprendre, cette lettre était adressée à Adolf Hitler.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

M. ALDERMAN

J’aurais dû dire qu’elle se terminait par…

LE PRÉSIDENT

Y a-t-il quoi que ce soit sur cette lettre qui indique qu’elle ait été adressée à Hitler ?

M. ALDERMAN

Il y a simplement le fait qu’on l’a trouvée au ministère des Affaires étrangères à Berlin, ainsi que le style de la lettre et l’expression « Excellence ». En déduire que cette lettre a été adressée à Hitler est peut-être une conclusion hâtive ; toutefois elle a été trouvée au ministère des Affaires étrangères à Berlin.

On peut déduire de cette lettre cynique et brutale que les conspirateurs nazis avaient déjà informé le Gouvernement hongrois de leurs plans en vue d’une action militaire ultérieure dirigée contre la Tchécoslovaquie. Au cours des événements, l’horaire a été quelque peu avancé. Je voudrais en déduire que « son Excellence », Adolf Hitler, a prévenu à temps son « ami dévoué » Horthy de ce changement.

Sur le plan diplomatique, l’accusé Ribbentrop montra beaucoup d’activité. Le 13 mars, jour où Horthy écrivait cette lettre, Ribbentrop envoyait au Ministre allemand à Prague un télégramme d’avertissement soulignant la conduite qu’il aurait à tenir au cours de la période de tension diplomatique qui allait suivre. Je dépose comme preuve le document PS-2815 (USA-116). C’est le télégramme envoyé par Ribbentrop à la légation allemande à Prague, le 13 mars :

« Berlin, 13 mars 1939.

« Prague. Télégramme en code secret.

« Comme suite aux instructions téléphoniques données aujourd’hui par Kordt, au cas où vous recevriez une communication écrite du Président Hacha, ne faites aucun commentaire écrit ou verbal, ne prenez aucune décision, mais transmettez-les ici par télégramme chiffré. D’autre part, je dois vous demander, ainsi qu’aux autres membres de notre représentation diplomatique, de faire en sorte qu’on ne puisse vous trouver si le Gouvernement tchécoslovaque désire communiquer avec vous au cours des jours à suivre.

« Signé : Ribbentrop. »

L’après-midi du 13 mars, Mgr Tiso, accompagné de Durcansky, de M. Meissner et du chef nazi local, arriva à Berlin à la suite de la convocation de Hitler dont j’ai déjà parlé. Tard dans l’après-midi, Tiso fut reçu par Hitler dans son bureau de la Chancellerie du Reich. On lui présenta un ultimatum comportant deux solutions : ou bien déclarer l’indépendance de la Slovaquie, ou être privé de l’assistance allemande, ce qui l’exposerait aux menées de la Pologne et de la Hongrie. Cette décision, dit Hitler, n’était pas une question de jours, mais d’heures. Je dépose comme preuve le document PS-2802 (USA-117). C’est encore un document saisi au ministère des Affaires étrangères d’Allemagne, procès-verbal du ministère des Affaires étrangères d’Allemagne de la réunion Hitler-Tiso, le 13 mars. Je lis le paragraphe du bas de la page 2 et le paragraphe du haut de la page 3 de la traduction anglaise. Le premier paragraphe que je vais lire se présente comme un résumé des observations de Hitler. Vous noterez que, dans les arguments dont il a usé vis-à-vis des Slovaques, Hitler a montré son habituel mépris de la vérité. Je cite :

« Il avait autorisé le ministre Tiso à venir afin d’éclaircir rapidement cette question. Les pays situés à l’est des Carpathes ne présentaient aucun intérêt pour l’Allemagne. Les événements touchant ces pays lui importaient peu. La question était de savoir si la Slovaquie désirait ou non diriger ses propres affaires. Il n’avait rien à demander à la Slovaquie ; il n’engagerait pas son peuple, ou même un seul de ses soldats, pour quelque chose que le peuple slovaque ne souhaitait aucunement. Il aimerait avoir enfin confirmation de ce que les Slovaques désiraient réellement. Il ne voulait pas que la Hongrie lui fit le reproche de protéger quelque chose qui ne demandait pas à l’être. Il voulait bien se montrer indulgent pour l’agitation et les manifestations en général, mais dans ce cas, l’agitation n’était que la marque extérieure d’une instabilité intérieure. Cela, il ne le tolérerait pas. C’est pour cette raison qu’il avait permis à Tiso de venir entendre sa décision. Ce n’était pas une question de jours, mais d’heures. Il avait déclaré à ce moment que, si la Slovaquie désirait se rendre indépendante, il soutiendrait ce point de vue et même le garantirait. Il tiendrait sa parole aussi longtemps que la Slovaquie exprimerait clairement son désir d’indépendance. Si elle hésitait, ou ne voulait pas renoncer à ses liens avec Prague, il abandonnerait la Slovaquie à son destin et ne serait plus responsable de rien. Dans ce cas, il ne défendrait plus que les intérêts allemands, et ceux-ci n’étaient pas à l’est des Carpathes. L’Allemagne ne s’intéresserait pas à la Slovaquie qui n’avait jamais appartenu à l’Allemagne.

« Le Führer demanda au ministre des Affaires étrangères du Reich – l’accusé Ribbentrop – s’il avait quelques remarques à ajouter. Le ministre des Affaires étrangères du Reich renchérit pour sa part en disant que, dans cette affaire, la décision était une question d’heures et non de jours. Il montra au Führer un message qu’il venait de recevoir et qui signalait des mouvements de troupes hongroises sur les frontières slovaques. Le Führer lut ce compte rendu, en parla avec Tiso et exprima l’espoir que la Slovaquie déciderait elle-même de son sort dans un bref délai. »

Ce fut une entrevue tout à fait extraordinaire. L’Allemagne n’avait aucun intérêt en Slovaquie qui n’avait jamais appartenu à l’Allemagne. Tiso fut convié à une entrevue et voici ce qui arriva. Étaient présents à cette rencontre : l’accusé Ribbentrop, l’accusé Keitel, les secrétaires d’État Dietrich et Keppler, le ministre d’État allemand Meissner. J’attire l’attention du Tribunal sur la présence de Keitel en cette occasion, comme dans beaucoup d’autres où étaient discutées des mesures purement politiques qui devaient favoriser l’agression nazie et où, apparemment, il n’était nul besoin de s’adjoindre un conseiller technique pour les questions militaires.

Pendant leur séjour à Berlin, les Slovaques conférèrent aussi séparément avec l’accusé Ribbentrop et avec d’autres hauts fonctionnaires nazis. Ribbentrop remit avec beaucoup de sollicitude à Tiso un exemplaire, déjà rédigé en slovaque, de la loi proclamant l’indépendance de la Slovaquie. La nuit du 13, un avion allemand fut obligeamment mis à la disposition de Tiso pour le ramener chez lui.

Le 14 mars, conformément au désir des conspirateurs nazis, la Diète de Bratislava proclama l’indépendance de la Slovaquie. Avec les extrémistes slovaques agissant, à la demande des nazis, en révolte ouverte contre le Gouvernement tchécoslovaque, les conspirateurs nazis étaient maintenant en mesure de marcher sur Prague. Le soir du 14, à la suggestion de la légation allemande de Prague, M. Hacha, Président de la République tchécoslovaque, et M. Chvalkowsky, son ministre des Affaires étrangères, arrivèrent à Berlin. On peut dire que l’atmosphère qui les entourait était tant soit peu hostile. Depuis la fin de la semaine précédente, la presse nazie avait accusé les Tchèques d’user de violence contre les Slovaques et surtout contre les membres des minorités allemandes et les citoyens du Reich. La presse et la radio proclamaient que des vies allemandes étaient en danger, qu’une telle situation était intolérable. Il était nécessaire pour ces pacifistes de résorber le plus rapidement possible le foyer de discorde que Prague était devenu au cœur de l’Europe.

Après minuit, le 15 à 1 h. 15 du matin, Hacha et Chvalkowsky furent introduits à la Chancellerie du Reich. Ils y trouvèrent Hitler, les accusés Ribbentrop, Göring, Keitel et d’autres hauts fonctionnaires nazis. Je dépose comme preuve le document PS-2798, sous le nº USA-118. Ce document trouvé au ministère allemand des Affaires étrangères est le compte rendu de cette réunion infâme. C’est un long document. Certaines parties sont tellement révélatrices et donnent des méthodes et des tactiques nazies un tableau si clair, que j’aimerais vous les lire en entier.

Il ne faut pas perdre de vue que le compte rendu de cette importante conférence, tenue dans la nuit du 14 au 15 mars, est de source allemande. On doit donc le considérer à priori comme un rapport tendancieux, ainsi que le disait la semaine dernière un des avocats des accusés. Néanmoins, même si on ne suspecte pas ses sources, ce compte rendu constitue une condamnation complète des nazis qui, par pur et simple banditisme international, ont obtenu la dissolution de la Tchécoslovaquie. J’observe en passant que le banditisme international constitue depuis des siècles un crime contre le droit des gens.

Je vais d’abord lire les en-têtes. Dans la version anglaise du livre de documents, les heures données ne sont pas conformes à l’original. On devrait lire : « De 1 h. 15 à 2 h. 15, conversations entre le Führer et Chancelier du Reich et le Président de Tchécoslovaquie, Hacha, en présence du ministre des Affaires étrangères du Reich, von Ribbentrop et du ministre des Affaires étrangères de Tchécoslovaquie, Chvalkowsky, à la Chancellerie du Reich, le 15 mars 1939, de 1 h. 15 à 2 h. 15. Les autres personnes présentes étaient : le maréchal Göring, le général Keitel, le secrétaire d’État von Weizsäcker, le ministre d’État Meissner, le secrétaire d’État Dietrich, le conseiller de la Légation Hewel. Hacha ouvrit cette conférence, et quoique président d’un État souverain, il se montra conciliant et même humble. Il remercia Hitler de le recevoir et dit qu’il savait que le sort de la Tchécoslovaquie se trouvait entre les mains du Führer. Hitler répondit qu’il regrettait d’avoir été obligé de demander à Hacha de venir à Berlin, surtout à cause du grand âge du Président. – Hacha, à ce moment-là, était je crois, septuagénaire – Hitler ajouta cependant que ce voyage pouvait être d’un grand profit pour la Tchécoslovaquie, car – et je cite – il n’y avait plus que quelques heures avant que l’Allemagne n’entrât en action ». Je cite maintenant le texte, à partir du haut de la page 3 de la traduction anglaise. Vous vous rappellerez que je lis uniquement les notes ou les comptes rendus approximatifs des déclarations de Adolf Hitler :

« La Slovaquie ne l’intéressait pas. Si la Slovaquie était restée plus proche de l’Allemagne, l’Allemagne se serait sentie liée par des obligations. Mais lui, Hitler, était heureux de ne pas être lié par cette obligation en ce moment. Il ne portait aucune sorte d’intérêt aux territoires situés à l’est des petites Carpathes. Il ne désirait pas faire traîner jusqu’en automne les conséquences finales… »

LE PRÉSIDENT

Ne croyez-vous pas que vous devriez lire la dernière phrase de la page 2 ?

M. ALDERMAN

Oui. Peut-être. La dernière phrase de la page précédente était : « Pour les autres pays, la Tchécoslovaquie n’était autre chose que le moyen de parvenir à un but. Londres et Paris n’étaient pas en mesure de prendre réellement position en faveur de la Tchécoslovaquie. La Slovaquie n’intéressait pas Hitler. »

Je lis maintenant au bas de la page : « Même à ce moment-là et plus tard au cours de ses conversations avec Chvalkowsky, il dit clairement qu’il détruirait impitoyablement cet État si les tendances de Bénès n’étaient pas complètement révisées. Chvalkowsky le comprit et demanda au Führer de prendre patience. (Il se vantait souvent de sa patience). Le Führer admit ce point de vue, mais les mois passèrent sans aucun changement. Le nouveau régime ne parvenait pas à éliminer psychologiquement l’ancien régime. Le Führer observait cela d’après la presse, la propagande faite de personne à personne, le renvoi d’Allemands et beaucoup d’autres faits qui, pour lui, témoignaient de la situation générale. Au début, il n’avait pas compris cela, mais, quand il le comprit bien, il vit les conséquences qui s’ensuivraient, car si les événements avaient continué ainsi, les relations avec la Tchécoslovaquie seraient redevenues dans quelques années les mêmes que celles qui existaient six mois avant. Pourquoi la Tchécoslovaquie ne réduirait-elle pas immédiatement son Armée à des proportions raisonnables ? Une telle armée était un fardeau terrible pour un État comme la Tchécoslovaquie car l’Armée n’a de sens que si elle appuie des objectifs de politique étrangère. La Tchécoslovaquie n’ayant plus de mission de politique étrangère à remplir, son Armée n’avait plus de raisons d’être. Il énuméra plusieurs exemples qui lui démontraient que l’esprit général de l’Armée n’avait pas changé. Cette observation lui prouvait que l’armée serait une lourde charge politique pour l’avenir. En outre, il y avait le développement inévitable des nécessités économiques et, de plus, les protestations de groupes nationaux qui ne pouvaient vivre plus longtemps dans de telles conditions. »

Je m’interromps, si le Tribunal le permet, pour souligner l’accent du langage employé par Adolf Hitler, alors qu’il s’adressait au Président et au Premier Ministre d’un pays étranger présumé souverain. Il avait à ses côtés le Feldmarschall Göring, commandant de l’Aviation, et le général Keitel. Et je continue la citation : « Les dés ont été jetés dimanche dernier. J’ai convoqué l’ambassadeur hongrois et lui ai dit que je retirais ma protection à son pays. » Nous étions maintenant mis en présence de ce fait. Il avait donné l’ordre aux troupes allemandes d’entrer en Tchécoslovaquie et d’incorporer la Tchécoslovaquie au Reich allemand. Il voulait accorder à la Tchécoslovaquie une autonomie complète et une vie entièrement indépendante, d’une façon beaucoup plus large que ne l’avait fait précédemment le Gouvernement autrichien. L’attitude de l’Allemagne envers la Tchécoslovaquie serait décidée le lendemain et le surlendemain et dépendrait de l’attitude du peuple et des soldats tchécoslovaques vis-à-vis des troupes allemandes. Il n’avait plus aucune confiance dans le Gouvernement. Il croyait à l’honnêteté et à la droiture de Hacha et de Chvalkowsky, mais doutait que le Gouvernement fût capable de s’imposer à la nation entière. L’armée allemande était déjà en route aujourd’hui, et les casernes qui offraient de la résistance étaient réduites sans pitié. D’autres casernes s’étaient rendues après démonstration d’artillerie lourde.

« À 6 heures du matin, l’armée allemande envahirait la Tchécoslovaquie de tous les côtés, et l’aviation allemande occuperait les aérodromes tchécoslovaques. Il existait deux possibilités : la première était que l’invasion des troupes allemandes déclenchât la bataille. Dans ce cas, la résistance serait brisée par tous les moyens, grâce à la force matérielle. L’autre que l’invasion des troupes allemandes se déroulât de façon supportable. Dans ce cas il serait facile au Führer de donner à la Tchécoslovaquie, lorsqu’on organiserait la nouvelle vie tchèque, une existence indépendante, l’autonomie et une certaine liberté nationale.

« Nous avons été témoins à ce moment-là d’un grand tournant de l’Histoire. Lui, Hitler, ne voulait pas torturer les Tchèques ni leur retirer leur nationalité. Il ne faisait pas tout cela par haine, mais pour protéger l’Allemagne. Si la Tchécoslovaquie, à l’automne de l’année dernière, n’avait pas voulu céder, – je suppose que c’est une mauvaise traduction pour « n’avait pas cédé » – le peuple tchèque aurait été exterminé. Personne n’aurait pu l’empêcher de faire cela. Il pensait que le peuple tchèque devait connaître une vie pleinement nationale ; il croyait fermement qu’on pourrait trouver un moyen de faire d’importantes concessions aux aspirations tchèques.

« Si les combats commençaient le lendemain, l’attaque aurait pour conséquence une contre-attaque, et les résultats de l’une annihileraient les résultats de l’autre. À ce moment-là, il ne lui serait plus possible d’accorder tous les allégements promis. En moins de deux jours, il n’y aurait plus d’armée tchèque. Naturellement, des Allemands aussi seraient tués, et il en résulterait une haine qui le forcerait (lui, Hitler), par instinct d’auto-défense, à ne plus jamais accorder d’autonomie. Le monde entier ne bougerait pas d’un pouce. Quand il lisait la presse étrangère, il plaignait le peuple tchèque. Cette lecture lui donnait une impression qui peut être résumée par un proverbe allemand : “Le Maure a fait son devoir, il n’est plus nécessaire”.

« Tel était l’état des événements. Il existait deux points de vue en Allemagne : un premier, très dur, qui ne voulait accorder aucune concession et souhaitait, en souvenir du passé, la conquête de la Tchécoslovaquie par le sang, et un autre qui correspondait aux suggestions mentionnées ci-dessus.

« C’est pour cela qu’il avait demandé à Hacha de venir le voir. Cette invitation était la dernière tentative de conciliation qu’il pouvait faire vis-à-vis du peuple tchèque. Si on voulait se battre, le sang répandu créerait de la haine, et la visite de Hacha pouvait peut-être empêcher d’en arriver à cette solution extrême et contribuer à trouver une solution constructive pour la Tchécoslovaquie, qui irait beaucoup plus loin que tout ce que la vieille Autriche avait jamais pu lui laisser espérer. Son seul but était d’assurer la sécurité du peuple allemand.

« Les heures passaient. À 6 heures, les troupes entraient en Tchécoslovaquie. Il avait presque honte de dire qu’il y avait une division allemande pour chaque bataillon tchécoslovaque. Cette action militaire n’était pas de faible envergure, et les plans en étaient conçus d’une manière grandiose. Il conseillait – lui, Adolf Hitler au pauvre vieil Hacha – de se retirer avec Chvalkowsky pour discuter de la décision à prendre. »

En réponse à ce long discours, Hacha, d’après les comptes rendus allemands, répondit qu’il était tout à fait d’accord, que la résistance ne servirait à rien ; il doutait cependant qu’il pût donner les ordres nécessaires à l’armée tchèque dans les quatre heures qui lui restaient avant que l’armée allemande ne franchisse la frontière. Il demanda si l’objet de cette invasion était le désarmement de l’armée tchèque. Si oui, il laissa entendre qu’on pourrait arranger l’affaire. Hitler répondit que ses décisions étaient définitives, et qu’on savait très bien ce que voulait dire une décision du Führer. Il se tourna vers le cercle des conspirateurs nazis qui se trouvaient autour de lui, pour avoir leur approbation, et vous vous souvenez que les accusés Göring, Ribbentrop et Keitel étaient là. La seule manière de désarmer l’armée tchèque, d’après Hitler, était de faire intervenir l’armée allemande.

Je vous lis maintenant, au sujet de cette réunion honteuse, un paragraphe de la page 4 de la version anglaise du compte rendu allemand. C’est l’avant-dernier paragraphe de la page 4 :

« Le Führer déclara que sa décision était irrévocable. On savait très bien ce que voulait dire une décision du Führer. Lui, Hitler ne voyait pas d’autre possibilité de désarmer la Tchécoslovaquie, et il demanda aux autres assistants – c’est-à-dire notamment Göring, Ribbentrop et Keitel – s’ils partageaient son opinion. On lui répondit par l’affirmative : la seule possibilité de désarmer l’armée tchécoslovaque était d’utiliser l’armée allemande. »

À ce pénible moment, Hacha et Chvalkowsky se retirèrent de la pièce.

Je vais maintenant présenter comme preuve le document PS-2861 qui est un extrait du Livre Bleu officiel britannique sur la guerre, page 24, et que je dépose sous le nº USA-119. C’est un document officiel du Gouvernement britannique, et je prie le Tribunal de l’accepter comme preuve d’après l’article 21 du Statut. La partie que je vais lire est une dépêche de l’ambassadeur anglais, Sir Nevile Henderson, relatant une conversation avec l’accusé Göring où les événements de la rencontre de la matinée étaient retracés :

« Sir N. Henderson au Vicomte Halifax, Berlin, 28 mai 1939… J’ai rendu hier une courte visite au maréchal Göring à Karinhall. » – Puis je saute deux paragraphes et je lis le paragraphe 4. Pardon, je pense que je ferais mieux de lire tous ces paragraphes. – « Le maréchal Göring, qui de toute évidence avait déjà parlé à quelqu’un de cette question, commença à se plaindre de l’attitude adoptée en Angleterre à l’égard de tout ce qui était allemand ; il fit particulièrement allusion à l’or déposé dans ce pays à la demande de la banque nationale tchécoslovaque. Avant que j’eusse le temps de lui répondre, il fut appelé au téléphone et quand il revint, il ne parla plus de cette question. Il se plaignit alors de l’hostilité anglaise en général, de notre manière d’encercler d’Allemagne économiquement et politiquement, et de l’activité de ce qu’il appela le parti de la guerre en Angleterre…

« Je dis au maréchal qu’avant de parler de l’hostilité britannique, il devait comprendre les raisons du changement indubitable de l’opinion britannique envers l’Allemagne. Il était parfaitement au courant des bases de discussion de l’année passée entre M. Chamberlain et M. Hitler. D’après ces bases, une fois la région des Sudètes réincorporée au Reich, l’Allemagne ne s’occuperait plus des Tchèques et n’entreprendrait plus rien contre leur indépendance. Hitler en avait donné l’assurance formelle dans sa lettre du 27 septembre au Premier Ministre. En cédant aux mauvais conseils de son entourage et en annexant délibérément la Bohême et la Moravie, M. Hitler n’avait pas seulement manqué à la parole qu’il avait donnée à M. Chamberlain, mais aussi enfreint le principe même du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sur lequel reposait l’Accord de Munich.

« À ce moment, le Feldmarschall m’interrompit et me parla de la visite du président Hacha à Berlin. Je dis au maréchal Göring qu’il était impossible de parler de libre volonté quand je savais que lui-même avait menacé de bombarder Prague avec ses avions si le Dr Hacha refusait de signer. Le Feldmarschall ne nia pas le fait, mais expliqua comment on en était arrivé à ce point ; d’après lui, le Dr Hacha était, dès l’abord, prêt à signer tout ce qu’on voulait, mais il avait dit que, constitutionnellement, il ne pouvait le faire sans en référer à Prague. Après beaucoup de difficultés, il put téléphoner à Prague. Le Gouvernement tchécoslovaque donna son accord, mais ajouta qu’il ne pouvait garantir qu’aucun bataillon tchèque ne tirerait sur les troupes allemandes. C’est seulement à ce moment, a dit le maréchal Göring, qu’il avait prévenu le Dr Hacha que, s’il y avait des pertes de vies allemandes, lui, Göring, ferait bombarder Prague. Le maréchal me répéta, à la suite d’une de mes remarques, l’histoire de l’occupation préventive de Witkovitz, accomplie seulement pour prévenir l’action des Polonais qui, ajouta-t-il, et comme chacun sait, avaient l’intention de prendre cette importante région à la première occasion. »

J’attire aussi l’attention du Tribunal sur la dépêche nº 77 du Livre Jaune français, page 96, qui constitue le document PS-2943 (USA-114) de notre livre de documents. C’est une dépêche de M. Coulondre, ambassadeur français, qui donne une autre version digne de foi de cette réunion nocturne, et je lui demande de l’accepter comme preuve. Le compte rendu que je vais vous présenter au sujet de cette réunion provient de deux sources : le Livre Bleu anglais et le Livre Jaune français. Je crois qu’on peut lire des extraits de ce livre qui éclairent vivement le fond de toute l’affaire.

Quand le Président Hacha quitta la pièce où la réunion avait lieu, à la Chancellerie du Reich, il était dans un tel état d’épuisement qu’il eut besoin des soins d’un médecin allemand qui avait été appelé à cette intention. Quand les deux personnalités tchèques revinrent dans la pièce, les conspirateurs nazis leur parlèrent à nouveau de la puissance et de l’invincibilité de la Wehrmacht. Ils leur rappelèrent que dans trois heures, à 6 heures du matin…

LE PRÉSIDENT

Je vous demande pardon. Vous ne lisez pas ?

M. ALDERMAN

Non, je résume.

LE PRÉSIDENT

Bien, continuez.

M. ALDERMAN

Les conspirateurs nazis leur répétèrent que dans trois heures, c’est-à-dire à 6 heures du matin, les armées allemandes franchiraient la frontière. L’accusé Göring se vanta de ce que ferait la Wehrmacht si les troupes tchèques osaient résister à l’invasion allemande ; s’il y avait perte de vies allemandes, dit l’accusé Göring, la Luftwaffe en deux heures réduirait en ruines la moitié de Prague et, ajouta Göring, ce ne serait que le commencement.

Devant cette menace d’une attaque imminente et sans pitié par terre et par air, le vieux Président de Tchécoslovaquie, à 4 h. 30 du matin, signa le document que les conspirateurs nazis lui présentèrent, et qu’ils avaient préparé à l’avance ; ce document porte le nº TC-49. C’est la déclaration du 15 mars 1939. Il fait partie de la série des documents qui seront présentés par le Ministère Public britannique. Je pense que ce document sera produit plus tard. Je cite :

« Le Président de l’État tchécoslovaque… remet avec une entière confiance la destinée du peuple tchèque et du pays tchèque entre les mains du Führer du Reich allemand. » Un vrai rendez-vous avec le destin.

Pendant que les officiels nazis menaçaient et intimidaient les représentants du Gouvernement tchécoslovaque, la Wehrmacht, en certains points, avait déjà traversé la frontière tchèque.

Je présente comme preuve le document PS-2860, un autre extrait du Livre Bleu britannique, et demande au Tribunal de bien vouloir en prendre acte : c’est un discours de Lord Halifax, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, discours dont je cite un passage.

« Il est à noter – et le fait a certainement une signification – que les villes de Mährisch-Ostrau et Vitkovitz avaient déjà été occupées par des détachements de SS le soir du 14 mars, tandis que le président et le ministre des Affaires étrangères de Tchécoslovaquie n’étaient pas encore arrivés à Berlin et n’avaient pas encore commencé à discuter. »

À l’aube du 15 mars, les troupes allemandes firent irruption de toutes parts en Tchécoslovaquie.

Hitler adressa un ordre du jour aux Forces armées et une proclamation au peuple allemand, qui disaient littéralement : « La Tchécoslovaquie a cessé d’exister ».

Le lendemain, et ceci en contradiction avec l’article 81 du Traité de Versailles, la Tchécoslovaquie était officiellement incorporée au Reich allemand sous le nom de « Protectorat de Bohême et de Moravie ». Le décret est le document TC-51, autre document que la délégation britannique présentera ultérieurement au Tribunal au cours de cette semaine. Le décret fut signé à Prague le 16 mars 1939 par Hitler, Lammers et les accusés Frick et von Ribbentrop.

J’aimerais citer la première phrase de ce décret : « Les pays de Bohême et de Moravie ont appartenu pendant un millénaire au “Lebensraum” (à l’espace vital) du peuple allemand ».

La suite de ce décret traitait en détail de la façon dont la Tchécoslovaquie allait être soumise à l’Allemagne. Un protecteur allemand serait désigné par le Führer allemand pour ce qu’on appelait le « Protectorat », l’accusé von Neurath. Dieu nous préserve de tels protecteurs !

Le Gouvernement allemand se chargea des Affaires étrangères, des douanes et des contributions. Il était spécifié que les garnisons et les établissements militaires allemands seraient maintenus dans le Protectorat. En même temps, les chefs extrémistes slovaques qui, sur l’insistance du parti nazi allemand, avaient tant fait pour miner l’État tchèque, estimaient que l’indépendance de leur nouvel État, âgé d’une semaine, n’était pas ce qu’ils escomptaient.

Je dépose comme preuve le document PS-1439. Je n’ai pas besoin de citer le nº USA, c’est un décret qui figure au Reichsgesetzblatt, p. 606, 1939, partie II ; et je demande au Tribunal de l’admettre d’office. L’exposé des motifs est signé par l’accusé von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères ; comme en-tête « Traité de protection à étendre par le Gouvernement allemand à l’État de Slovaquie ».

« Le Gouvernement de l’Allemagne et le Gouvernement slovaque se sont mis d’accord, après que le Gouvernement slovaque se fût placé sous la protection du Reich allemand, pour régulariser par un traité les conséquences résultant de cet état de fait. Dans ce but, les représentants soussignés des deux Gouvernements ont accepté les articles suivants :

« Article premier. – Le Reich allemand se charge de garantir l’indépendance politique de l’État de Slovaquie et l’intégrité de son territoire.

« Article 2. – Afin de rendre effective cette protection assumée par le Reich allemand, les Forces armées allemandes auront le droit à n’importe quel moment de construire des installations militaires et d’entretenir des garnisons de l’importance qu’elles jugeront nécessaire, dans un espace délimité à l’Ouest par les frontières de l’État de Slovaquie et à l’Est par une ligne formée par les contreforts est des Basses Carpathes, les Carpathes Blanches et les montagnes de Javornik. » Je saute quelques passages… « Le Gouvernement de Slovaquie organisera ses Forces militaires en accord complet avec les Forces armées allemandes. »

LE PRÉSIDENT

Ne serait-ce pas le moment de suspendre ? Je crois qu’il serait pratique pour les avocats que l’audience soit suspendue pendant une heure et quart, plutôt que pendant une heure, à midi, et dans ce but le Tribunal se retirera à 12 h. 45 pour reprendre l’audience à 2 h.

(L’audience est suspendue.)
M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Le protocole secret entre l’Allemagne et la Slovaquie prévoyait une étroite collaboration économique et financière de ces deux pays : les ressources minérales et les droits sur le sous-sol étaient placés à la disposition du Gouvernement allemand.

Je dépose comme preuve le document PS-2793 (USA-120), et j’en lis le paragraphe 3 :

« Recherche, développement et utilisation des ressources naturelles slovaques. Le principe de base est qu’autant que la Slovaquie n’en aura pas besoin pour ses propres nécessités, ses ressources naturelles devront être mises en premier lieu à la disposition de l’Allemagne. Tous les travaux de prospection – en allemand Bodenforschung – seront placés sous le contrôle du Service national de prospection (Reichsstelle fur Bodenforschung). Le Gouvernement de l’État slovaque devra bientôt commencer des recherches pour déterminer si les propriétaires actuels des concessions et privilèges ont rempli les obligations industrielles prescrites par la loi et il annulera ces concessions et privilèges au cas où ces devoirs auraient été négligés. »

Dans des conversations privées, les conspirateurs nazis ont abondamment prouvé qu’ils considéraient la Slovaquie comme un État fantoche, en réalité une possession allemande. Je présente comme preuve le document R-100 (USA-121) : ce document est un mémorandum d’information donné par Hitler à von Brauchitsch, le 25 mars 1939. Une grande partie de ce texte traite des problèmes soulevés par l’occupation récente de la Bohême, de la Moravie et de la Slovaquie. Je cite à partir du début du sixième paragraphe :

« Le Generaloberst Keitel doit informer le Gouvernement slovaque, par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères, qu’il ne pourra pas y avoir d’unités slovaques armées (gardes Hlinka) en garnison jusqu’à la limite formée par la rivière Waag. Elles seront transférées sur le nouveau territoire slovaque et les gardes Hlinka seront désarmées.

« On demandera à la Slovaquie, par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères, de nous livrer contre payement toutes les armes dont nous aurions besoin et qui se trouvent encore en Slovaquie. Cette demande doit être basée sur l’accord conclu entre l’armée allemande et les troupes tchèques. Pour ces payements, nous utiliserons les millions que nous allons de toute façon déverser en Slovaquie.

« Protectorat tchèque.

« On demandera à nouveau aux H. GR » – la note du traducteur dit qu’il s’agit probablement des groupes d’armées, mais je ne m’en porterais pas garant – « s’il faut encore répéter la demande de livraison de toutes les armes dans un temps déterminé et sous la menace de sévères sanctions.

« Nous prenons tout le matériel de guerre de ce qui était jadis la Tchécoslovaquie et cela sans payer ; cependant les canons achetés par contrat avant le 15 février seront payés… La Bohême et la Moravie auront à payer une contribution annuelle au Trésor allemand et son montant sera fixé sur la base des crédits autrefois alloués à l’armée tchèque. »

La conquête de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne, en contradiction directe avec l’Accord de Munich, provoqua une protestation formelle des Gouvernements anglais et français. Les documents nos TC-52 et TC-53, datés du 17 mars 1939, seront présentés au Tribunal par le Ministère Public britannique.

Le même jour, le 17 mars 1939, le secrétaire d’État du Gouvernement des États-Unis établit un rapport que je présente comme preuve et je demande au Tribunal d’admettre d’office tout le volume, qui devient le document PS-2862 (USA-122). C’est un extrait de l’ouvrage officiel intitulé « Paix et Guerre, Politique étrangère des États-Unis d’Amérique, 1931-1941 », édité sous le sceau du Département d’État des États-Unis d’Amérique. Ce volume, je le dis en passant, est mon exemplaire personnel, et j’espère pouvoir en trouver un autre. Je le présente comme preuve, car je suis certain que l’étude qu’il fait de la trame de toute cette affaire intéressera fort le Tribunal. Ce livre est en effet une histoire chronologique détaillée de tous les événements diplomatiques qui ont mené à la deuxième guerre mondiale de 1941 et qui en ont marqué le cours. Le passage que je présente maintenant comme preuve figure aux pages 454 et 455 : Déclaration du secrétaire d’État américain Wells datée du 17 mars 1939 :

« Le Gouvernement des États-Unis a, à plusieurs reprises, déclaré sa conviction que la paix du monde ne pouvait être assurée que par la garantie internationale du programme d’un ordre basé sur la loi.

« Ce Gouvernement fondé sur la démocratie et la liberté humaine, auxquelles il a été voué, est dans l’obligation de faire savoir que ce pays condamne les actes qui ont abouti à la suppression temporaire des libertés d’un peuple indépendant et libre avec qui, depuis le moment où la République tchécoslovaque a proclamé son indépendance, le peuple des États-Unis a maintenu des relations particulièrement étroites et amicales.

« La position du Gouvernement des États-Unis a été établie de façon très claire : le Gouvernement a souligné la nécessité de respecter le caractère sacré des traités, de la parole donnée et de la non-intervention de n’importe quelle nation dans les affaires intérieures d’autres nations ; en plusieurs occasions, il a exprimé sa condamnation d’une politique d’agression par les armes.

« II est manifeste que les actes violant la loi et les actes de force arbitraires menacent la paix du monde et la structure même de la civilisation moderne ; l’impérieuse nécessité d’une observation stricte des principes reconnus par notre Gouvernement a été clairement démontrée par les événements qui ont eu lieu pendant ces trois derniers jours. »

Une fois la Tchécoslovaquie entre les mains des Allemands, les conspirateurs nazis avaient réalisé le programme qu’ils avaient eux-mêmes établi lors de la réunion de Berlin du 5 novembre 1937. Vous vous rappelez que ce programme de conquête avait pour but de raccourcir leurs frontières, d’augmenter leurs réserves industrielles et alimentaires et de les placer dans une position industrielle et stratégique d’où ils pourraient lancer des campagnes d’agression plus ambitieuses encore et plus dévastatrices. En moins d’un an et demi, ce programme a été accompli à la satisfaction des chefs nazis, et maintenant j’inviterai à nouveau le Tribunal à regarder le grand tableau placé sur le mur. Je crois que ce n’est pas une simple figure de style que d’évoquer la tête d’un loup que l’on désigne dans la loi américaine sous les mots caput lupinum.

La mâchoire inférieure existant près de l’Autriche avait été prise – la partie rouge sur la première carte – le 12 mars 1938 ; la Tchécoslovaquie était donc encerclée et le pas suivant eut pour résultat l’absorption de la partie montagneuse, le Pays des Sudètes indiqué en rouge sur la seconde carte. Le 1er octobre 1938, la Tchécoslovaquie fut encore mieux encerclée et ses défenses affaiblies. Ainsi les mâchoires se refermaient, les mâchoires ou les pinces, comme le général Jodl et le général Keitel les appelaient (je crois que le mot est dans le journal du général Jodl), et vous voyez ce que devient la Tchécoslovaquie : le 15 mars 1939, les frontières se raccourcissent, de nouvelles bases sont acquises et la Tchécoslovaquie est détruite. La Bohême et la Moravie sont indiquées en noir et la Slovaquie en beige. Je vous ai lu les documents qui indiquent dans quelles conditions la Slovaquie fut laissée, et, avec les installations militaires allemandes en Slovaquie, vous voyez à quel point la frontière sud de la Pologne aussi bien que sa frontière ouest étaient gardées ; la porte était ouverte à une nouvelle agression que le Ministère Public britannique vous décrira.

De tous les conspirateurs nazis, l’accusé Göring était le mieux renseigné sur les avantages économiques et stratégiques qu’apportait à l’Allemagne la possession de la Tchécoslovaquie.

Je dépose maintenant comme preuve le document PS-1301, qui est constitué par un important dossier et nous indiquons particulièrement l’article 10 de la page 25 de la traduction anglaise, sous le nº USA-123. Il contient le procès-verbal très secret d’une conférence tenue en présence de Göring au ministère de la Luftwaffe (ministère de l’Air). La réunion eut lieu le 14 octobre 1938, juste quinze jours après l’occupation des Sudètes et a été consacrée à la discussion de problèmes économiques. Göring se livra à des considérations qui étaient en quelque sorte prophétiques. Je cite le troisième paragraphe :

« Le Pays des Sudètes doit être exploité par tous les moyens ; le maréchal Göring compte obtenir une assimilation complète de l’industrie de la Slovaquie. Les pays tchécoslovaques deviendront des dominions allemands. Il faut tirer de ce pays tout ce qui est possible. Le canal Oder-Danube doit être terminé rapidement ; il faut rechercher du minerai et du pétrole en Slovaquie. C’est notamment la tâche du secrétaire d’État Keppler. »

Dans l’été de 1939, après le rattachement de la Bohême et de la Moravie au Reich allemand, l’accusé Göring parla à nouveau du grand intérêt qu’avaient les chefs nazis à exploiter le potentiel économique tchèque.

Je dépose comme preuve le document R-133 (USA-124) ; c’est le procès-verbal, daté de Berlin le 27 juillet 1939 et signé par Muller, d’une conférence où étaient présents Göring, un groupe de membres de l’OKW et d’autres organisations du Gouvernement allemand, conférence concernant la production de guerre ; cette réunion avait eu lieu deux jours auparavant, le 25 juillet. Je lis la première partie relative au compte rendu de la réunion.

« Le Feldmarschall expliqua dans une déclaration assez longue que l’incorporation de la Bohême et de la Moravie dans l’économie allemande avait été faite, entre autres raisons, pour augmenter le potentiel de guerre allemand en exploitant les industries de ce pays ; des documents tels que le décret du ministre de l’Économie du Reich – S-10, 402/39, du 10 juillet 1939 – ainsi qu’une lettre adressée dans le même sens à la firme Junkers, qui pouvaient diminuer la nature et l’étendue des mesures d’armement dans le Protectorat, sont contraires à ce principe. S’il est nécessaire de donner de telles directives, cela sera fait seulement avec son consentement. Dans tous les cas » – et l’accusé Göring insiste – « en accord avec les directives de Hitler, le potentiel de guerre du Protectorat doit être exploité désormais, en partie ou en entier, et doit être aussitôt que possible orienté vers une mobilisation. »

La conquête de la Tchécoslovaquie ne renforçait pas seulement le potentiel économique nazi pour les guerres d’agression futures, mais elle fournissait aux nazis de nouvelles bases pour la guerre d’agression suivante : l’attaque de la Pologne.

Vous vous rappellerez le procès-verbal de la conférence tenue par Göring et la délégation slovaque pro-nazie au cours de l’hiver 1938-1939, document PS-2801 que j’ai déposé auparavant comme preuve (USA-109) ; vous vous rappellerez la dernière phrase de ce procès-verbal qui rapporte les conclusions de l’accusé Göring. Je cite de nouveau cette phrase :

« Des bases aériennes en Slovaquie sont d’une très grande importance pour l’aviation allemande ; nous pourrons les utiliser dans une attaque contre l’Est. »

Maintenant, je dépose comme preuve le document PS-1874 (USA-125). Ce document est le procès-verbal allemand d’une conférence tenue entre l’accusé Göring, Mussolini et Ciano, le 15 avril 1939, un mois après la conquête de la Tchécoslovaquie.

Au cours de cette conférence, Göring parla à ses récents partenaires de l’Axe des progrès de la préparation allemande pour la guerre. Il compara la puissance de l’Allemagne à celle de l’Angleterre et de la France, et à propos de cette question, il mentionna naturellement l’occupation allemande de la Tchécoslovaquie. Je veux lire deux paragraphes de ces déclarations. Elles figurent sur la page 4, deuxième paragraphe du texte en allemand :

« Quoi qu’il en soit, l’armement lourd de la Tchécoslovaquie démontre jusqu’à quel point ce pays aurait pu être dangereux, même après Munich, au cours de conflits sérieux. L’initiative de l’Allemagne améliore la situation des deux pays de l’Axe, entre autres raisons, à cause des possibilités économiques qui résultent du transfert à l’Allemagne de la grande capacité de production de la Tchécoslovaquie. Ce fait contribue à renforcer considérablement l’Axe contre les puissances de l’Ouest.

« De plus l’Allemagne n’a pas besoin de garder une seule division pour protéger ses frontières contre ce pays en cas de guerre. Ce fait aussi est un avantage dont bénéficieront en dernière analyse les deux pays de l’Axe. »

Ensuite à la page 5, paragraphe 2 du texte allemand :

« L’Action de l’Allemagne en Tchécoslovaquie doit être considérée comme un avantage pour l’Axe, au cas où la Pologne s’allierait définitivement avec les ennemis de l’Axe. L’Allemagne pourrait alors attaquer ce pays par deux côtés et ne se trouverait plus à ce moment-là qu’à vingt-cinq minutes de vol du nouveau centre industriel polonais qui, à cause de sa proximité de la frontière, a été déplacé vers l’intérieur du pays, plus près des autres districts industriels de Pologne, mais qui en raison des événements, se trouve de nouveau tout près des frontières. »

Ce voisinage sur deux fronts est illustré par la carte divisée en quatre sections. Je crois que la carte démontre, mieux que toute explication verbale, le calcul froid, délibéré, la logique de chaque pas amenant à cette agression allemande. Plus encore, ce tableau démontre ce que je pourrais appeler l’idée directrice de la guerre d’agression, c’est-à-dire que chacune des conquêtes était soigneusement étudiée pour servir de tremplin à une agression nouvelle et plus ambitieuse encore. Vous vous souviendrez des paroles de Hitler à la Conférence du 23 mai 1939 à la Chancellerie du Reich, alors qu’il projetait la campagne de Pologne, document L-79 (USA-27). Je cite :

« La période passée a été, en fait, très bien utilisée. Toutes les mesures ont été prises en bon ordre et en harmonie avec nos objectifs. »

Il serait opportun de se référer à deux autres discours des chefs nazis. Le 7 novembre 1943 à Munich, Jodl, au cours d’une conférence, prononça les paroles suivantes (c’est la page 5 du document L-172, déjà accepté comme preuve sous le nº USA-34, page 8 du texte allemand) :

« La solution d’un conflit tchèque sans effusion de sang, à l’automne 1938 et au printemps 1939, et l’annexion de la Slovaquie ont complété le territoire de la Grande Allemagne de telle façon qu’il est maintenant possible d’examiner le problème polonais en se basant sur l’existence de points stratégiques plus ou moins favorables. »

Dans son discours aux chefs militaires, le 23 novembre 1939, Hitler parla des moyens qu’il avait adoptés pour reconstruire la puissance militaire du Reich, c’est notre document PS-789 (USA-23). Je cite un passage du deuxième paragraphe :

« La prochaine étape devait être la Bohême et la Moravie, ainsi que la Pologne. On ne pouvait pas accomplir cette étape en une seule campagne. Il fallait d’abord terminer les fortifications à l’Ouest. Ce but ne pouvait être atteint d’un seul trait. Il me semblait clair, dès le premier moment, que je ne pouvais me contenter des territoires sudètes allemands. Ce n’était là qu’une solution partielle. La marche sur la Bohême fut décidée. Ensuite la création du Protectorat a servi de base pour entreprendre l’action contre la Pologne… »

Avant d’en terminer avec l’agression contre la Tchécoslovaquie, j’aimerais présenter au Tribunal un document dont on n’a pu disposer que trop tard pour l’inclure dans notre livre de documents. Il m’est arrivé samedi, tard dans l’après-midi ou dans la nuit. C’est encore un document officiel du Gouvernement tchécoslovaque. C’est un supplément au rapport tchécoslovaque que je vous ai présenté auparavant. Je vous le présente maintenant. C’est le document nº PS-3061 que je dépose sous le nº USA-126.

Ce document nous est parvenu en allemand, plaise au Tribunal, avec une traduction anglaise qui ne paraissait pas très bonne. Nous l’avons fait traduire à nouveau en anglais et la traduction vient, je crois, d’être remise au Tribunal. Cette traduction ronéotypée doit être ajoutée à notre livre de documents « O ».

Je ne veux pas lire ce rapport. Il a environ douze pages. Le Tribunal l’acceptera comme preuve, conformément aux prévisions de l’Acte constitutif. Je résume ce document qui confirme les autres preuves que j’ai présentées au Tribunal. Il souligne surtout les faits suivants :

1º D’abord, l’étroite coopération entre Henlein et le SDP d’une part, Hitler et les accusés Hess et Ribbentrop d’autre part ;

2º L’utilisation de la légation allemande à Prague pour diriger l’activité de la Cinquième colonne allemande ;

3º Le financement du Mouvement Henlein par des agents du Gouvernement allemand, y compris les représentants diplomatiques allemands à Prague ;

4º L’utilisation du Mouvement Henlein pour poursuivre des activités d’espionnage sous les ordres directs du Reich.

En plus, ce document nous donne d’autres détails circonstanciés sur la visite du Président Hacha à Berlin, la nuit du 14 mars. Il confirme le fait que le Président Hacha eut besoin de soins médicaux de la part du docteur de Hitler et il confirme aussi les menaces que l’accusé Göring proféra à l’égard de la délégation tchèque.

Maintenant, s’il plaît au Tribunal, ceci terminera la présentation de ce qui m’a toujours semblé être l’un des chapitres les plus tristes de l’histoire humaine : le rapt et la destruction de la faible petite nation tchécoslovaque.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE (Procureur Général Adjoint britannique)

Plaise au Tribunal. Avant de vous présenter les preuves, il sera peut-être préférable que je dise comment l’exposé anglais va être divisé et qui présentera les différentes parties.

Je m’occuperai des traités généraux, ensuite mon éminent ami le colonel Griffith-Jones traitera le cas de la Pologne. Puis, le commandant Elwyn-Jones s’occupera des affaires de Norvège et du Danemark. Puis, M. Roberts parlera de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg. Enfin, le colonel Phillimore parlera de la Grèce et de la Yougoslavie. Ensuite, mon ami M. Alderman, de la délégation américaine, parlera pour nos deux délégations de l’agression contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et les États-Unis d’Amérique.

Puis-je, avec votre permission, parler des dispositions concernant les documents ? Chacun des avocats aura un exemplaire des différents livres de documents en anglais. En fait, trente exemplaires de nos quatre premiers livres de documents ont déjà été mis à la disposition du Centre de documentation des accusés.

Nous espérons que le dernier livre de documents, concernant la Grèce et la Yougoslavie, leur sera remis en trente exemplaires aujourd’hui. En outre, les avocats auront au moins six exemplaires en allemand de chaque document.

Les documents concernant la partie de l’exposé dont je vais m’occuper au cours de ce Procès et qui se rapporte aux « Traités Généraux » figurent dans le Reichsgesetzblatt ou dans les Dokumente der deutschen Politik, dont dix exemplaires ont été mis à la disposition des avocats. Pour ce qui concerne la question qui va immédiatement être exposée au Tribunal, les avocats auront au moins seize exemplaires en allemand de tous les documents qui s’y rattachent.

Il y a enfin un exemplaire du Reichsgesetzblatt et des Dokumente à la disposition du Tribunal. D’autres pourraient lui être fournis, s’il le désire, mais pour l’instant il y en a déjà un à sa disposition, si l’un de ses membres désire se référer au texte allemand.

LE PRÉSIDENT

Vous proposez-vous d’appeler des témoins ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Non, Monsieur le Président. Il n’y aura pas de témoin.

Plaise au Tribunal. Avant d’en arriver au premier traité, je désire faire trois citations concernant un point qui fut abordé hier dans l’exposé de mon éminent ami, le Procureur Général.

D’après le triste récit que le Tribunal a entendu hier des traités et des promesses violés, on pourrait penser que Hitler et le Gouvernement nazi n’avaient pas professé qu’ils trouvaient nécessaire ou désirable de respecter leur parole. Extérieurement, toutefois, leurs professions de foi étaient toutes différentes. Au sujet des traités, le 18 octobre 1933, Hitler dit : « Quoi que nous ayons signé, nous remplirons nos obligations de notre mieux. »

Le Tribunal remarquera la réserve « Quoi que nous ayons signé ». Le 21 mai 1935, Hitler dit :

« Le Gouvernement allemand respectera scrupuleusement tout traité qu’il a signé de son plein gré, même si ce traité a été conclu avant mon accession au pouvoir. »

Concernant les assurances données, Hitler était encore plus affirmatif. Dans le même discours au Reichstag du 21 mai 1935. Hitler acceptait les assurances données comme étant également valables pour les parties en cause, et le monde à cette époque-là ne pouvait savoir que cela voulait dire qu’il n’y avait pas d’obligation. Il disait alors : « Et lorsque j’entends dire maintenant par un homme d’État anglais que de telles assurances ne sont rien du tout, et que la seule preuve de sincérité est la signature de pactes collectifs, je dois demander à M. Eden d’être assez bon pour se rappeler qu’il ne s’agit en aucun cas d’une assurance. Il est quelquefois beaucoup plus facile de signer des traités avec la réserve mentale qu’on pourra reconsidérer son attitude à l’heure décisive, que de déclarer devant une nation entière et au moment opportun son adhésion à une politique qui sert les causes de la paix, car elle rejette tout ce qui mène à la guerre. »

Il continue en réitérant ses promesses à la France.

Hitler souhaitait que le monde crût qu’il attachait de l’importance aux traités. N’ayant jamais vu la preuve de cette importance, je demanderai au Tribunal de prendre en considération, pour la partie qui me concerne, quinze des traités que Hitler et les nazis ont rompus. Le reste des soixante-neuf traités rompus, qui figurent sur le tableau, et qui s’échelonnent de 1933 à 1941, sera examiné par mes éminents amis.

Il existe, je crois, un stade final de la position des traités dans la loi allemande. Un traité qui paraît au Reichsgesetzblatt devient partie intégrante du Droit constitutionnel allemand. Ceci n’est pas l’aspect le moins intéressant de l’exposé des violations que je vais présenter au Tribunal.

Le premier traité à examiner est la Convention pour le règlement pacifique des différends internationaux, signée à La Haye le 29 juillet 1899. Je demande au Tribunal d’accepter comme preuve cette Convention que je présente pour plus de facilité comme première pièce GB-1, document britannique TC-1. La référence allemande est le Reichsgesetzblatt de 1901 nº 44, pages 401 à 404, et 482 et 483. Le Tribunal trouvera l’accusation correspondante à l’appendice C, nº 1 de l’Acte d’accusation.

Comme il a été dit hier par le Procureur Général, ces conventions de La Haye étaient les premiers pas vers la suppression du principe de la guerre inévitable. Ces conventions ne considèrent pas la guerre d’agression comme un crime, mais leurs dispositions modérées furent aussi vite enfreintes que celles d’accords beaucoup plus sévères.

Le 19 juillet 1899, l’Allemagne, la Grèce, la Serbie et vingt-cinq autres États signèrent une convention. L’Allemagne la ratifia le 4 septembre 1900, la Serbie, le 11 mai 1901, et la Grèce, le 4 avril 1901.

En vertu de l’article 12 du traité conclu entre les principaux pays alliés et associés et l’État serbo-croate-slovène, signé à Saint-Germain-en-Laye le 10 septembre 1919, le nouveau Royaume reconnaissait tous les anciens traités serbes et devait prendre plus tard, le Tribunal le sait, le nouveau nom de Yougoslavie.

Je crois qu’il est suffisant, à moins que le Tribunal n’ait un autre désir, que je vous lise seulement les deux premiers articles.

« Article premier. – Dans le but d’éviter autant que possible le recours à la force dans les relations internationales, les Puissances signataires s’engagent à déployer tous leurs efforts pour assurer le règlement pacifique des différends internationaux.

« Article 2. – En cas de désaccord ou de conflit grave, les Puissances signataires, avant de prendre les armes, s’engagent à recourir dans la mesure du possible aux bons offices ou à la médiation d’une ou plusieurs puissances amies. »

Cette convention traite ensuite de l’exécution de l’accord. Je suppose que le Tribunal n’estimera pas nécessaire que je traite ce sujet en détail.

Le deuxième traité est la Convention pour le règlement pacifique des différends internationaux. Il a été signé à La Haye le 18 octobre 1907. Je vous demande de l’admettre d’office, et, pour plus de facilité, je dépose comme document GB-2 l’acte final de la Conférence de La Haye. Celle-ci figure aux documents britanniques, TC-2, TC-3, TC-4. En Allemagne, elle a paru au Reichsgesetzblatt de 1910, nº 2, pages 22 à 25. L’accusation correspondante figure à l’appendice C, nº II de l’Acte d’accusation.

Cette Convention fut signée à La Haye par quarante-quatre nations. Elle n’a eu d’effet que pour trente et un pays : vingt-huit signataires et trois adhérents ultérieurs. Pour ce qui nous intéresse, la Convention est en vigueur dans les pays suivants : États-Unis, Belgique, Tchécoslovaquie, Danemark, France, Allemagne, Luxembourg, Japon, Hollande, Norvège, Pologne et Russie.

D’après les dispositions de l’article 91, cet accord remplace la Convention de La Haye de 1899. La Grèce et la Yougoslavie avaient adhéré à la Convention de 1899 et non à celle de 1907. Donc, la Convention de 1899 est toujours en vigueur pour elles. Ce fait explique la classification des pays dans l’appendice C.

Je voudrais à nouveau que le Tribunal ne regarde que les deux premiers articles :

« Article premier. – Dans le but d’éviter autant que possible le recours à la force dans les relations internationales, les Hautes Parties contractantes s’engagent à déployer tous leurs efforts pour assurer un règlement pacifique des différends internationaux. »

Je ne pense pas qu’il me soit nécessaire de lire l’article 2. C’est un article identique sur la médiation et là encore il y a un certain nombre de paragraphes d’exécution.

Le troisième traité est la Convention de La Haye, relative au déclenchement des hostilités. Il a été signé à la même époque. Je vous le présente sous forme d’un document britannique TC-3 que je dépose et que je vous demande d’admettre d’office. Il figure au Reichsgesetzblatt de 1910, partie nº 2, pages 82 à 102, et la référence est dans l’appendice C, nº III de l’Acte d’accusation.

Cette Convention est en vigueur pour l’Allemagne, la Pologne, la Norvège, le Danemark, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg et la Russie. Elle prévoit des négociations avant l’ouverture d’hostilités contre un ennemi éventuel. Elle semble tirer son origine immédiate de la guerre russo-japonaise de 1904, quand le Japon à ce moment-là attaqua la Russie sans l’avoir prévenue.

Il faut remarquer que cet accord ne fixe aucun laps de temps entre l’avertissement et l’ouverture des hostilités, mais il cherche cependant à maintenir un strict minimum de loyauté internationale avant le déclenchement de la guerre.

Si je peux revenir sur l’article premier, je citerai :

« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent que les hostilités entre elles ne doivent pas débuter sans un avertissement explicite et préalable, soit sous forme d’une déclaration motivée de guerre, soit sous forme d’un ultimatum contenant une déclaration conditionnelle de guerre. »

Il se trouve encore beaucoup de détails d’exécution que je ne vais pas lire.

Le quatrième traité, la Convention de La Haye nº V, qui concerne les droits et les devoirs des pays et des personnes neutres en cas de guerre sur terre, fut signé à la même date. C’est le document britannique TC-4. Il figure au Reichsgesetzblatt allemand de 1910, nº 2, pages 168 et 176. La référence en est à l’appendice C, nº IV de l’Acte d’accusation.

LE PRÉSIDENT

Est-il nécessaire de donner les références allemandes ? Si ces indications sont indispensables aux avocats, très bien. Sinon, c’est inutile.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si je pouvais les omettre, cela me ferait gagner du temps.

LE PRÉSIDENT

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Si un avocat désire une référence spéciale, peut-être pourra-t-il me la demander ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

L’Allemagne est l’un des premiers signataires de cette Convention. Ce traité est toujours en vigueur pour l’Allemagne, la Norvège, le Danemark, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’URSS et les États-Unis qui y ont adhéré ou l’ont ratifié.

J’attire l’attention du Tribunal sur le bref texte de l’article premier : « Le territoire des Puissances neutres est inviolable. »

Il y a cependant dans cette Convention un point que je désire éclaircir immédiatement. Aux termes de l’article 20, ses stipulations ne s’appliquent qu’aux pays contractants, et seulement dans le cas où tous les belligérants sont parties à cette Convention.

La Grande-Bretagne et la France sont entrées en guerre moins de deux jours après le déclenchement de la guerre entre l’Allemagne et la Pologne. Une de ces Puissances n’avait pas ratifié la Convention. On peut donc discuter et dire qu’elle ne s’appliquait pas à la deuxième guerre mondiale.

Je ne voudrais pas prendre le temps du Tribunal par une discussion sur ce point, alors qu’il existe tant de traités beaucoup plus importants à prendre en considération. C’est pourquoi je ne veux pas traiter ce point sous l’accusation de rupture de traités. J’attire simplement l’attention du Tribunal sur les termes de l’article premier qui montrent l’état de l’opinion internationale à ce moment-là, et qui soulignent le côté agressif de la guerre que nous considérons.

LE PRÉSIDENT

Peut-être serait-il opportun de suspendre maintenant ?

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)