QUATORZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 6 décembre 1945.
Audience du matin.
Le Tribunal a reçu de la Défense une requête pressante demandant que le procès soit interrompu à Noël pour une période de trois semaines. Le Tribunal se rend compte des nombreux intérêts qui sont à considérer dans un procès d’une telle complexité et d’une telle envergure ; et comme ce Procès durera inévitablement assez longtemps, le Tribunal considère qu’il n’est pas seulement de l’intérêt des accusés et de leurs défenseurs mais aussi de tous ceux qui prennent part au Procès, qu’il y ait un arrêt dans les audiences. Tout bien considéré, il semble préférable que cette interruption ait lieu à Noël plutôt qu’à une date ultérieure, quand la tâche du Ministère Public sera terminée. Le Tribunal ne siégera donc pas pendant la semaine de Noël et jusqu’au 1er janvier ; il suspendra ses audiences après celle du jeudi 20 décembre et ne les reprendra que le mercredi 2 janvier.
J’aimerais, pour être équitable envers mon personnel, mentionner l’objection américaine à cet ajournement au bénéfice des accusés.
Plaise au Tribunal. Le Tribunal reprendra la troisième partie du livre de documents, dans laquelle sont compris les documents relatifs aux premières discussions entre les Gouvernements polonais et allemand sur la question de Dantzig. Ces discussions, le Tribunal s’en souvient, commencèrent presque immédiatement après la crise de Munich en septembre 1938, et prirent d’abord la forme de discussions prudentes et amicales jusqu’à ce que le reste de la Tchécoslovaquie eût été conquis, en mars de l’année suivante.
Je demande au Tribunal de se référer au premier document de cette partie, TC-73, nº 44. Ce document extrait du Livre Blanc officiel polonais que je dépose comme preuve sous la cote GB-27 a, donne le compte rendu d’un déjeuner qui eut lieu le 24 octobre au Grand Hôtel de Berchtesgaden, où Ribbentrop rencontra M. Lipski, l’ambassadeur de Pologne en Allemagne.
« Dans une conversation tenue le 24 octobre, pendant un déjeuner au Grand Hôtel de Berchtesgaden auquel assistait M. Hewel, M. von Ribbentrop fit une proposition pour le règlement général des questions pendantes entre la Pologne et l’Allemagne. Cela comprenait la réunion de Dantzig au Reich, la Pologne étant assurée d’y conserver les chemins de fer ainsi que des avantages économiques. La Pologne accepterait la construction d’une autoroute dotée du privilège d’exterritorialité et d’une ligne de chemin de fer à travers la Poméranie (partie nord du Corridor). En échange, Ribbentrop mentionna la possibilité d’étendre à 25 ans l’Accord germano-polonais et de garantir les frontières germano-polonaises. »
Je crois qu’il n’est pas nécessaire de lire les lignes suivantes ; je passe à l’avant-dernier paragraphe :
« Finalement, je dis à von Ribbentrop que je ne voyais aucune possibilité d’accord comprenant la réunion de la Ville libre au Reich. Je conclus en promettant de vous communiquer la substance de cette conversation. »
J’aimerais affirmer l’opinion du Ministère Public suivant laquelle toute la question de Dantzig, comme le disait Hitler lui-même, ne constituait pas une question du tout. Dantzig était un prétexte, une soi-disant justification non pour la prise de Dantzig, mais pour l’invasion et la prise de toute la Pologne ; nous en voyons maintenant le début. À mesure que nous avancerons, il deviendra de plus en plus apparent que le véritable but du Gouvernement nazi était de rechercher l’occasion d’une crise quelconque qui lui offrirait une espèce de justification pour envahir le reste de la Pologne.
Je passe au document suivant qui est lui aussi extrait du Livre Blanc polonais TC-73, nº 45, qui sera le document GB-27 b ; TC-73 sera le Livre Blanc polonais que je déposerai plus tard. Ce document révèle les instructions que M. Beck, le ministre des Affaires étrangères polonais, donna à M. Lipski pour discuter avec le Gouvernement allemand, en réponse aux propositions faites par Ribbentrop, à Berchtesgaden, le 24 octobre. Il n’est pas nécessaire que je lise la première page ; l’histoire des relations germano-polonaises y est exposée et on y insiste sur les besoins de la Pologne à l’égard de Dantzig.
Je passe à la seconde page, au paragraphe 6 :
« Dans ces circonstances, et de l’avis du Gouvernement polonais, la question de Dantzig est régie par deux facteurs : le droit de la population allemande de la ville et des villages avoisinants à vivre et à évoluer librement et le fait que toutes les questions qui regardent la Ville libre en tant que port sont liées à la Pologne. Mis à part le caractère national de la majorité de la population, tout à Dantzig est étroitement lié à la Pologne. »
Ainsi sont établies les garanties faites à la Pologne par le statut en vigueur, et je passe au paragraphe 7 :
« Considérant tous les facteurs précédents et désireux d’établir des relations stables par une compréhension amicale avec le Gouvernement allemand, le Gouvernement polonais propose que les garanties données par la Société des Nations ainsi que ses prérogatives soient remplacées par un accord bilatéral germano-polonais. Cet accord garantirait l’existence de la Ville libre de Dantzig, afin d’assurer à sa majorité allemande la liberté de sa vie nationale et culturelle, et garantirait également tous les droits polonais ; malgré les complications pouvant résulter de ce système, le Gouvernement polonais doit déclarer que toute autre solution, et en particulier toute tentative d’incorporation de la Ville libre au Reich, mènerait inévitablement à un conflit qui n’aurait pas seulement l’aspect de difficultés locales, mais empêcherait aussi toute possibilité d’entente entre les deux nations. »
Et enfin, au paragraphe 8 :
« Étant donné le poids et l’importance de ces questions, je suis prêt à avoir personnellement des conversations définitives avec les milieux gouvernementaux du Reich. Je crois qu’il est cependant nécessaire que vous exposiez d’abord les principes dont nous nous inspirons, afin que ma participation éventuelle aux négociations ne finisse pas par une rupture, ce qui serait dangereux pour l’avenir. »
La première partie de ces négociations avait été un succès complet du point de vue allemand. Ils avaient fait une proposition : le retour de la Ville de Dantzig au Reich, proposition dont ils savaient fort bien qu’elle était inacceptable. Elle était en effet inacceptable et le Gouvernement polonais en avait prévenu le Gouvernement nazi. Les Polonais avaient offert d’entamer des négociations, mais n’avaient pas consenti aux exigences allemandes, ce qui est exactement ce qu’espérait le Gouvernement allemand. Ils n’avaient pas accepté le retour de Dantzig au Reich. Le premier pas vers une crise était fait.
Peu de temps après, à une semaine environ de ces événements, quand le Gouvernement polonais eut offert d’entrer en conversation avec le Gouvernement allemand, nous trouvons un autre ordre très secret donné par le Commandement suprême des Forces armées et signé par l’accusé Keitel. Cet ordre est destiné à l’OKH, à l’OKM et l’OKW et a pour titre : « Premier supplément aux instructions du 21 octobre 1938. »
« Le Führer a ordonné :
« En dehors des trois éventualités mentionnées dans les instructions du 21 octobre 1938, il y a également lieu de faire des préparatifs afin de rendre possible l’occupation par surprise de la Ville libre de Dantzig par les troupes allemandes…
« Ces préparatifs seront faits sur les bases suivantes :
« La condition à réaliser est une occupation quasi révolutionnaire de Dantzig, faite en exploitant une situation politique favorable, mais non pas une guerre contre la Pologne. »
Il faut se souvenir évidemment qu’à cette époque, le reste de la Tchécoslovaquie n’avait pas encore été conquis et que, de ce fait, les Allemands n’étaient pas prêts à entrer en guerre avec la Pologne. Ce document montre comment le Gouvernement allemand répondit aux propositions de conversations. C’est le document C-137, qui portera la référence GB-33.
Le 5 janvier 1939, M. Beck eut un entretien avec Hitler. Il n’est pas nécessaire de lire la première partie de ce document qui suit dans le livre remis au Tribunal ; c’est le TC-73, nº 48, qui portera la référence GB-34. Dans la première partie de la conversation que rapporte ce document, Hitler offre de répondre à toutes les questions. Il dit qu’il a toujours suivi la politique établie par l’accord de 1934. Il discute la question de Dantzig et insiste sur le fait que, d’après le point de vue allemand, Dantzig doit tôt ou tard revenir à l’Allemagne.
Je cite l’avant-dernier paragraphe de cette page :
« M. Beck répondit que la question de Dantzig posait un problème très délicat. Il ajouta qu’il ne trouvait dans les suggestions du Chancelier aucune compensation pour la Pologne et que l’opinion publique polonaise tout entière, non seulement dans les milieux politiques, mais aussi dans les sphères les plus larges de la population, était particulièrement susceptible sur ce point.
« En réponse, le Chancelier déclara que pour résoudre ce problème, il serait nécessaire d’essayer de trouver quelque chose de nouveau, une nouvelle formule pour laquelle il se servit du terme de “Körperschaft”, qui sauvegarderait d’une part les intérêts de la population allemande et d’autre part les intérêts polonais. Puis, le Chancelier ajouta que le Ministre pouvait être complètement rassuré, qu’il n’y aurait pas de “fait accompli” à Dantzig et que rien ne serait fait pour rendre difficile la situation du Gouvernement polonais. »
Le Tribunal se souviendra que dans le tout dernier document que nous avons consulté, le 24 novembre, des ordres avaient déjà été reçus ou donnés pour que des préparatifs soient faits en vue de l’occupation de Dantzig par surprise ; cependant, ici, il assure le ministre des Affaires étrangères polonais qu’il n’y aura pas de « fait accompli » et qu’il peut être tout à fait rassuré.
Je passe au point suivant, le document TC-73, nº 49, qui portera la référence GB-35 ; c’est une conversation entre M. Beck et Ribbentrop, au lendemain de celle que je viens de mentionner entre Beck et Hitler.
Avez-vous attiré l’attention sur le fait que la dernière conversation eut lieu en présence de l’accusé Ribbentrop ?
Je vous suis très obligé : non, je ne l’ai pas fait. Ainsi que je l’ai dit, c’était le jour suivant, le 6 janvier ; en fait, la date n’apparaît pas sur la copie que j’ai dans mon livre. Elle est mentionnée dans le Livre Blanc lui-même.
« M. Beck demanda à Ribbentrop d’informer le Chancelier qu’auparavant, après toutes ses conversations et ses contacts avec les hommes d’État allemands il s’était senti optimiste, mais qu’aujourd’hui, pour la première fois, il était d’humeur pessimiste. En particulier, en ce qui concerne la question de Dantzig telle qu’elle avait été posée par le Chancelier, il ne voyait aucune possibilité d’accord. »
J’insiste sur le dernier paragraphe :
« En réponse, Ribbentrop répéta une fois de plus que l’Allemagne ne cherchait aucune solution violente ; la base de sa politique envers la Pologne était toujours le désir d’établir pour l’avenir des relations amicales ; il était nécessaire de rechercher une telle méthode pour éloigner les difficultés et pour respecter les droits et les intérêts des deux parties en cause. »
L’accusé Ribbentrop ne se contenta pas apparemment de cette seule protestation de bonne foi. Le 25 du même mois, (janvier 1939), quinze jours ou trois semaines plus tard, il se trouvait à Varsovie, où il fit un autre discours dont un extrait nous est donné au document PS-2530. Ce document portera la référence GB-36 :
« En accord avec la ferme volonté du chef de l’État allemand, les progrès continuels et la consolidation des relations amicales entre la Pologne et l’Allemagne, fondés sur l’accord existant entre nous, constituent un élément essentiel de la politique étrangère allemande. La prévoyance politique et les principes appropriés à la bonne gestion des affaires de l’État, qui nous ont conduits de part et d’autre à prendre l’importante décision de 1934, garantissent que tous les problèmes qui surgiront au cours de l’évolution des événements à venir seront, eux aussi, résolus dans le même esprit en considération du respect et de la compréhension des intérêts légitimes des deux parties. Ainsi la Pologne et l’Allemagne peuvent regarder vers l’avenir avec une entière confiance dans la solidité des bases de leurs relations mutuelles. »
Et même ainsi, le Gouvernement nazi devait encore s’inquiéter de ce que les Polonais commençassent à sursauter (Votre Honneur se souviendra de l’expression « sursauter » employée dans la note du Führer) et à se douter qu’ils allaient être les premiers frappés, puisque le 30 janvier 1939, Hitler parla au Reichstag et donna de nouvelles assurances de la bonne foi des Allemands.
Ce document, cet extrait, a été lu par le Procureur Général dans son discours d’ouverture et c’est pourquoi je ne fais que le présenter comme preuve : c’est le document TC-73, nº 57, qui portera la référence GB-37.
Ceci nous amène à mars 1939, date de la prise du reste de la Tchécoslovaquie et de la création du Protectorat de Bohême-Moravie.
Si le Tribunal veut bien passer maintenant à la quatrième partie de ce livre de documents, j’ai l’intention de me référer à trois documents dans lesquels Hitler et Jodl indiquent les avantages retirés de la prise du reste de la Tchécoslovaquie ; mais le Tribunal se souviendra que M. Alderman, dans sa conclusion d’hier matin, a traité complètement cette question, montrant le bénéfice que rapportait cette occupation et montrant aussi, en se servant de la carte murale, l’immense renforcement de la position allemande vis-à-vis de la Pologne. C’est pourquoi je ne poursuis pas l’étude de cette question. Les documents ont déjà été versés comme preuves et, si le Tribunal veut s’y référer, ils sont contenus par ordre chronologique dans le livre de documents.
Dès que cette occupation fut achevée, une semaine après avoir envahi le reste de la Tchécoslovaquie, leur rage commença à se tourner contre la Pologne.
Le Tribunal voudra bien passer au document TC-73, nº 61 qui est à peu près au milieu du livre de documents et qui fait suite au journal de Jodl ; son titre est « Documents officiels concernant les relations germano-polonaises. » II portera la référence GB-38.
Le 21 mars, M. Lipski vit à nouveau Ribbentrop et le ton de la conversation fut en général beaucoup plus acerbe que peu de temps avant, au Grand Hôtel de Berchtesgaden.
« J’ai vu Ribbentrop aujourd’hui. Il commença par dire qu’il m’avait demandé de venir le voir afin de discuter tous les problèmes soulevés par les relations germano-polonaises.
« Il critiqua notre presse et protesta contre les manifestations des étudiants de Varsovie au cours de la visite du comte Ciano. » Je crois pouvoir passer directement au paragraphe important qui commence par les mots « En outre » :
« En outre, Ribbentrop se référa à la conversation qui eut lieu à Berchtesgaden entre vous et le Chancelier, durant laquelle Hitler mit en avant l’idée de garantir les frontières de la Pologne en échange de la construction d’une autoroute et de l’incorporation de Dantzig au Reich. Il ajouta qu’il y avait eu à ce sujet d’autres conversations entre vous et lui à Varsovie » – ce qui veut dire naturellement entre M. Beck et lui – « et que vous aviez souligné les grandes difficultés qu’il y aurait à faire accepter ces suggestions. Il me laissa entendre que tout cela avait fait une impression défavorable sur le Chancelier puisqu’il n’avait eu connaissance, depuis ce moment, d’aucune réaction positive de notre part. Pas plus tard qu’hier, Ribbentrop eut une conversation avec le Chancelier et affirma que celui-ci était encore désireux d’entretenir de bonnes relations avec la Pologne et d’avoir une fois pour toutes une conversation avec vous à propos de nos relations mutuelles. Ribbentrop indiqua qu’il restait sous l’impression que les difficultés qui s’étaient élevées entre nous étaient dues aussi à une mauvaise compréhension des buts réels du Reich. Le problème devait être considéré sur un plan plus élevé. À son avis, nos deux États dépendaient l’un de l’autre. »
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de lire la page suivante. En résumé, Ribbentrop étaya l’argument allemand en expliquant la raison du retour de Dantzig au Reich, et je passe au premier paragraphe de la page suivante :
« J’ai déclaré » – c’est M. Lipski qui parle – « que maintenant, durant le règlement de la question tchécoslovaque, il n’y aurait aucun accord entre nous. L’affaire tchèque était déjà assez dure à avaler pour l’opinion publique polonaise car, en dépit de nos disputes avec les Tchèques, ils étaient après tout un peuple slave. Mais en ce qui concerne la Slovaquie, la position était bien pire. J’appuyai sur notre communauté de race, de langage, de religion et mentionnai l’aide que nous leur avions donnée pour achever leur indépendance. J’attirai l’attention sur notre longue frontière commune avec la Slovaquie, j’indiquai que le Polonais moyen ne pouvait pas comprendre pourquoi le Reich avait assumé la protection de la Slovaquie, cette protection étant dirigée contre la Pologne. J’insistai sur le fait que cette question portait un coup sérieux à nos bonnes relations. Ribbentrop réfléchit un moment et répondit que la chose pouvait être discutée.
« Je promis de vous suggérer une conversation avec le Chancelier ; Ribbentrop fit la remarque que je pourrais aller à Varsovie les jours suivants pour parler de cette question. Il émit l’opinion que cette conversation ne devait pas être retardée, de peur que le Chancelier n’en vînt à la conclusion que la Pologne rejetait toutes ses offres.
« Finalement, je lui demandai s’il pouvait me dire quelque chose sur la conversation qu’il avait eue avec le ministre des Affaires étrangères de Lithuanie.
« Ribbentrop me répondit d’une façon vague qu’il avait vu M. Urbszys à son retour de Rome et qu’ils avaient discuté la question de Memel qui demandait une solution. »
Cette conversation eut lieu le 21 mars ; le monde apprit rapidement ce qu’était la solution de la question de Memel : le lendemain, les Forces armées allemandes pénétraient dans le territoire de Memel.
Le document suivant n’est pas indispensable à mon avis. Si le Tribunal veut bien passer au document TC-72, nº 17, qui deviendra GB-39.
Ces événements eurent pour résultat l’anxiété considérable qui se manifesta tout naturellement au sein des Gouvernements de Grande-Bretagne et de Pologne et qui provoqua des conversations communes. Le 31 mars, le Premier Ministre, M. Chamberlain, parla à la Chambre des Communes et expliqua qu’à la suite des conversations qui avaient eu lieu entre le Gouvernement de Grande-Bretagne et le Gouvernement polonais… (Je cite l’avant-dernier paragraphe de son discours) :
« Ainsi que la Chambre le sait, nous avons procédé à des conversations avec d’autres gouvernements. Afin de rendre parfaitement claire la position du Gouvernement de Sa Majesté, avant que ces consultations ne soient terminées, je dois informer la Chambre que durant cette période, au cas d’une action qui menacerait nettement l’indépendance de la Pologne et à laquelle le Gouvernement polonais jugerait vital de résister avec ses forces nationales, le Gouvernement de Sa Majesté se sentirait immédiatement tenu de soutenir le Gouvernement polonais de toutes ses forces. Il a été donné au Gouvernement polonais une pleine assurance en ce sens.
« Je puis ajouter que le Gouvernement français m’a autorisé à déclarer qu’il prendra en l’occurrence la même attitude que le Gouvernement de Sa Majesté. »
Le 6 avril, une semaine plus tard, un communiqué officiel fut publié par les Gouvernements anglais et polonais, qui répétait l’assurance que le Premier Ministre avait donnée une semaine auparavant, et dans lequel la Pologne assurait la Grande-Bretagne de son assistance si elle – la Grande-Bretagne – était attaquée.
Il n’est pas nécessaire que je lise tout : en fait, je ne lirai rien. C’est le document TC-72, nº 18, je le dépose sous le nº GB-40.
L’anxiété et le souci que ressentaient à ce moment-là les Gouvernements de Pologne et de Grande-Bretagne paraissent avoir été pleinement justifiés. Au cours de la même semaine, le 3 avril, le Tribunal verra dans le document suivant un ordre signé par Keitel. Il émane du Haut Commandement des Forces armées. Il est daté de Berlin du 3 avril 1939, et le sujet en est : « Directives pour les Forces armées 1939-1940 ».
« Les directives pour la préparation uniforme de la guerre par les Forces armées pour 1939-1940 sont révisées :
« Les parties I (Défense des frontières) et III (Dantzig) seront publiées vers le milieu d’avril : leurs principes fondamentaux restent inchangés.
« La partie II “Fall Weiss” (qui est le mot-code pour les opérations contre la Pologne) est jointe. La signature du Führer sera apposée plus tard.
« Le Führer a ajouté les directives suivantes au “Fall Weiss” :
« 1. Les préparatifs doivent être faits de telle façon que les opérations puissent commencer à n’importe quel moment à partir du 1er septembre 1939. » Nous sommes en avril, au commencement d’avril.
« 2. Le Haut Commandement des Forces armées a reçu l’ordre d’établir un horaire précis pour le “Fall Weiss” et, par des conférences, une synchronisation parfaite entre les trois branches des Forces armées.
« 3. Le plan d’organisation des Forces armées et le détail des horaires doivent être soumis à l’OKW dès le 1er mai. »
Ce document, comme le Tribunal le verra à la page suivante sous le titre « Distribution » était adressé à l’OKH, à l’OKM, à l’OKW.
Ces mots du haut font-ils partie du document ou ne sont-ils que des notes ?
Ils font partie du document.
Directives de Hitler et de Keitel en vue de la préparation de la guerre.
Je vous demande pardon, non, cela n’y est pas. Le document commence après les mots : « Traduction d’un document signé par Keitel ».
Oui, je vois.
Les premiers mots sont « Très secret ». Si le Tribunal veut regarder page 2, on peut voir après « Distribution » la traduction d’un autre document daté du 11 avril, et signé par Hitler.
« J’établirai dans une directive postérieure les tâches futures des Forces armées et les préparatifs qui doivent être faits en conséquence pour la conduite de la guerre. » II n’est pas question de guerre, mais de « conduite de la guerre ».
« Jusqu’à ce que ces directives entrent en vigueur, les Forces armées doivent se préparer aux éventualités suivantes :
« 1. Sauvegarde des frontières du Reich allemand et protection contre les attaques aériennes par surprise ;
« 2. “Fall Weiss” ;
« 3. Annexion de Dantzig ;
« L’annexe 4 contient des ordres pour l’exercice de l’autorité militaire en Prusse Orientale au cas où la guerre se développerait. »
Et, de nouveau, ce document est destiné à l’OKH, à l’OKM, à l’OKW.
À la page suivante de la copie que possède le Tribunal, on trouve la traduction de l’annexe I relative à la sauvegarde des frontières de l’Allemagne, et je citerai à partir du paragraphe 2 intitulé : « Ordres spéciaux ».
« Bases légales.
« On devrait anticiper et indiquer qu’un état de défense ou un état de guerre, tels qu’ils sont définis dans la loi de défense du Reich du 4 septembre 1938, ne sera pas déclaré. Toutes mesures ou demandes nécessaires pour réaliser la mobilisation doivent être basées sur les lois en vigueur en temps de paix. »
Votre Honneur, ce document est le C-120 qui devient le GB-41. Il contient quelques autres documents plus récents auxquels je me référerai par ordre chronologique.
La déclaration du Premier Ministre à la Chambre des Communes suivie du communiqué anglo-polonais du 6 avril, fut le prétexte que prit le Gouvernement nazi pour accentuer le différend qu’il avait aggravé à Dantzig avec le Gouvernement polonais.
Le 28 avril, le Gouvernement allemand publia un mémorandum dans lequel il alléguait que la déclaration anglo-polonaise était incompatible avec l’accord de 1934 conclu entre la Pologne et l’Allemagne et que comme résultat de son adhésion, ou en raison de son adhésion à cette déclaration, la Pologne avait unilatéralement renoncé à l’accord de 1934.
Je voudrais seulement citer trois ou quatre courts passages de ce document. C’est le TC-72, nº 14, qui deviendra GB-42.
Certains passages sont dignes d’être cités pour montrer simplement la malhonnêteté totale du document entier sur ce sujet.
« Le Gouvernement allemand a pris note de la déclaration anglo-polonaise relative à la conduite et aux buts des négociations récemment entreprises entre la Pologne et la Grande-Bretagne. Aux termes de cette déclaration, il a été conclu entre le Gouvernement polonais et le Gouvernement britannique une entente temporaire qui doit être remplacée rapidement par un accord permanent qui assurera une mutuelle assistance de la Pologne et de la Grande-Bretagne au cas où l’indépendance de l’un ou de l’autre de ces États serait directement ou indirectement menacée. »
Après quoi, le document relate dans les trois paragraphes suivants l’histoire de l’amitié allemande envers la Pologne. Je cite le dernier paragraphe, paragraphe 5 de cette page :
« L’accord qui a été conclu par le Gouvernement polonais avec le Gouvernement de Grande-Bretagne est en contradiction si flagrante avec les déclarations solennelles faites il y a quelques mois que le Gouvernement allemand ne peut constater qu’avec surprise et stupéfaction un tel renversement de la politique polonaise.
« Indépendamment de la manière dont cette rédaction finale a pu être conçue par les deux parties, le nouvel accord anglo-polonais apparaît comme un pacte régulier d’alliance qui, en raison de sa signification générale et de l’état actuel des relations politiques, est dirigé exclusivement contre l’Allemagne. De cette obligation maintenant acceptée par le Gouvernement polonais, il appert que la Pologne a l’intention, dans certaines circonstances, de prendre une part active en cas de conflit germano-anglais, dans l’éventualité d’une agression contre l’Allemagne, même si ce conflit ne concerne pas la Pologne et ses intérêts. C’est un coup direct et manifeste porté à la renonciation à tout usage de force contenue dans la déclaration de 1934. »
Je crois que je puis négliger le paragraphe 6.
Paragraphe 7 : « Le Gouvernement polonais cependant, par sa récente décision d’accepter une alliance dirigée contre l’Allemagne, a fait entendre qu’il préférait la promesse d’une aide de la part d’une tierce puissance, aux garanties de paix directes du Gouvernement allemand. En conséquence, le Gouvernement allemand est obligé de conclure que le Gouvernement polonais ne cherche pas actuellement à obtenir une solution des problèmes germano-polonais au moyen d’une discussion ouverte et amicale avec le Gouvernement allemand. Le Gouvernement polonais a donc abandonné le sentier tracé depuis 1934 où s’étaient engagées les relations germano-polonaises. »
Tout ceci serait admissible, sans le fait que des ordres pour l’invasion de la Pologne avaient déjà été donnés et que les Forces armées avaient reçu l’ordre d’établir un horaire précis.
Le document continue à établir l’histoire des dernières négociations et discussions. Il montre les demandes que le Gouvernement allemand avait faites le 21 : le retour de Dantzig, la voie de chemin de fer, l’autostrade, la promesse allemande d’une garantie de vingt-cinq années, et j’en viens à l’avant-dernier paragraphe de la page 3 du document, au titre I :
« Le Gouvernement polonais n’a pas saisi l’occasion qui lui était offerte par le Gouvernement allemand d’un règlement juste de la question de Dantzig, pour la sauvegarde définitive de ses frontières avec le Reich et pour un continuel renforcement des relations amicales et de bon voisinage entre les deux pays. Le Gouvernement polonais a même rejeté les propositions allemandes sur ce point.
« En même temps, le Gouvernement polonais a accepté vis-à-vis d’un autre État des obligations politiques qui ne sont compatibles ni avec l’esprit ni avec la lettre de la déclaration germano-polonaise du 26 janvier 1934. Par conséquent, le Gouvernement polonais a arbitrairement et unilatéralement rendu cette déclaration nulle et non avenue. »
Dans le dernier paragraphe, le Gouvernement allemand déclare cependant être prêt à continuer des relations amicales avec la Pologne.
Le même jour 28 avril, Hitler fit un discours au Reichstag, dans lequel il répéta en fait les termes du mémorandum. C’est le document TC-72, nº 13 qui devient GB-43. Je ne mentionnerai au Tribunal que la dernière partie de la deuxième page de la traduction. Il y est encore une fois répété les demandes et les offres faites par l’Allemagne en mars, et l’on continue en disant que le Gouvernement polonais a rejeté ces offres et en dernier lieu :
« J’ai vivement regretté cette attitude incompréhensive du Gouvernement polonais. Mais cela seul n’est pas le fait décisif. Le pire est que maintenant, la Pologne, comme la Tchécoslovaquie il y a un an, croit, sous la pression d’une campagne internationale mensongère, qu’elle doit mobiliser, bien que l’Allemagne de son côté n’ait pas appelé un seul homme sous les drapeaux et n’ait pensé en aucune façon à agir contre la Pologne. Comme je l’ai dit, c’est en soi très regrettable et la postérité, un jour, décidera s’il était véritablement désirable de refuser la suggestion que j’avais faite moi-même. Comme je l’ai dit, ce fut une tentative de ma part pour résoudre un problème qui affecte intimement le peuple allemand, par un compromis véritablement unique, et pour le résoudre à l’avantage des deux pays. Selon ma conviction, la Pologne ne donnait rien dans cette solution ; elle ne faisait que recevoir, car il était hors de doute que Dantzig ne deviendrait jamais polonais. L’intention d’agression de la part de l’Allemagne, qui fut inventée de toutes pièces par la presse internationale, mena comme vous le savez, à la soi-disant offre de garanties et à une obligation d’assistance mutuelle de la part du Gouvernement polonais… »
Il n’est pas nécessaire, Votre Honneur, d’en lire plus. Cela montre la malhonnêteté flagrante de tout ce que le Gouvernement allemand disait à cette époque. Hitler avait déjà probablement dans sa poche une copie des ordres pour le « Fall Weiss », quand il disait que l’intention de l’Allemagne d’attaquer la Pologne était une invention de la presse internationale.
En réponse à ce mémorandum et à ce discours, le Gouvernement polonais publia un mémoire le 28 avril. On le trouve dans le document suivant, TC-72 nº 16, qui devient GB-44. Il n’est pas nécessaire d’en lire davantage…
II est daté du 5 mai, non du 28 avril ?
Je vous demande pardon, oui, du 5 mai.
Il n’est pas nécessaire de lire plus de deux courts paragraphes de cette réponse. Je peux résumer ce document en un mot. Il montre les buts de l’accord de 1934, la décision de renoncer à l’usage de la force, d’avoir des relations cordiales entre les deux pays et de résoudre les problèmes par un arbitrage et autres moyens pacifiques. Le Gouvernement polonais reconnaît que Dantzig est un problème difficile et qu’il est prêt depuis longtemps à le discuter. Il fait ressortir sa participation aux récentes discussions, et je passe à la seconde page du document, l’avant-dernier paragraphe, ou peut-être devrais-je revenir un peu en arrière, au haut de la page, à la première moitié.
Le Gouvernement polonais allégua qu’il écrivit, comme il le fit en fait, au Gouvernement allemand, le 26 mars, pour exposer son point de vue ; qu’il proposa alors de la part des Gouvernements polonais et allemand des garanties communes de la ville de Dantzig, basées sur les principes de liberté pour la population locale dans les affaires internes. Il se disait prêt à examiner la question de l’autostrade et du chemin de fer, mais ses propositions restèrent sans réponse.
« Il est clair que les négociations dans lesquelles un État formule ses exigences et où l’autre est obligé de les accepter, ne sont pas des négociations dans l’esprit de la déclaration de 1934, et sont incompatibles avec la dignité et les intérêts vitaux de la Pologne » ; ce qui évidemment résume en un mot toute la situation du point de vue polonais. Après quoi, il rejette l’accusation allemande suivant laquelle l’Accord anglo-polonais est incompatible avec l’Accord germano-polonais de 1934. Il déclare que l’Allemagne elle-même a conclu d’autres accords semblables avec d’autres nations et enfin, à la page suivante, il dit aussi qu’il est encore désireux de conclure un nouveau pacte avec l’Allemagne, si celle-ci y consent.
Si le Tribunal veut bien se référer à nouveau au document C-120 (GB-41), où se trouvent les deux premières lettres que je viens de mentionner, au bas de la page se trouve le chiffre 614, sur la première page de ce document « Directives de Hitler et de Keitel préparant la guerre et l’invasion de la Pologne ». J’aimerais me reporter à la page 6 de ce document. Le numéro se trouve au bas de la page, au milieu. C’est une lettre du Commandant suprême des Forces armées signée par Hitler. Elle porte la date du 10 mai et est adressée à l’OKW, à l’OKH, à l’OKM et à différentes branches de l’OKW ; y étaient apparemment jointes, des « Instructions pour la guerre économique et la protection de notre propre économie ». Je ne le mentionne maintenant que pour mieux montrer que, pendant cette période, des préparatifs d’agression immédiate étaient en cours. Ce document fait toujours partie de la même pièce.
Revenons à la page suivante qui porte le nº C-120 (1), mais je crains que ce ne soit qu’un extrait et non une traduction entière ; en conséquence, je ne le lirai peut-être pas. Mais c’est l’annexe qui montre les « Directives pour la guerre économique, et les mesures pour la protection de notre propre économie ». Comme nous le verrons plus tard, non seulement les préparatifs militaires étaient en cours pendant tous ces mois et ces semaines, mais encore les préparatifs économiques et autres avaient été faits dans ce but depuis très longtemps.
Je crois que cette période de préparatifs, jusqu’en mai 1939, finit réellement avec cette fameuse conférence du 23 mai à la Chancellerie du Reich, déjà mentionnée au Tribunal. C’était le document L-79 (USA-27), déjà cité je crois et connu sous le nom de « Compte rendu de Schmundt ». C’est le dernier du livre de documents relatif à cette partie. Je n’ai pas l’intention d’en lire des passages, étant donné qu’ils ont déjà été lus ; le Tribunal se souviendra que c’était le discours dans lequel Hitler exigeait un Lebensraum et disait que Dantzig n’était pas du tout la question primordiale. Il s’agissait de l’expansion vers l’Est, et de la décision qui avait été prise d’attaquer la Pologne.
Pouvez-vous m’en rappeler la date ?
23 mai 1939.
Votre Honneur se souviendra que Göring, Raeder et Keitel entre autres, assistaient à cette conférence. Il y a trois lignes que je voudrais rappeler au Tribunal, où il est dit :
« S’il y avait une alliance de la France, de l’Angleterre et de la Russie contre le Japon, l’Italie et, l’Allemagne, je serais obligé de frapper l’Angleterre et la France de quelques coups destructeurs. Le Führer doute de la possibilité d’un règlement pacifique avec l’Angleterre. »
Ainsi, non seulement il avait l’intention bien arrêtée d’attaquer la Pologne, mais il désirait également attaquer l’Angleterre et la France.
Je passe à la période suivante qui est la préparation finale, de juin jusqu’au début de septembre, commencement de la guerre. C’est la cinquième partie du livre de documents. Le Tribunal en regardera l’index. Pour plus de facilité, j’ai divisé les documents en quatre subdivisions : fin des préparatifs des Forces armées, préparation économique, fameux discours d’Obersalzberg, enfin préparatifs politiques ou diplomatiques précipitant la crise et justification de l’invasion de la Pologne.
Le premier document de ce livre, traitant des derniers préparatifs des Forces armées, en contient plusieurs ; je mentionne en particulier le second, daté du 22 juin 1939 : c’est le document C-126, qui portera le nº GB-45.
Le Tribunal se souvient qu’on avait demandé un horaire très précis. Le voici :
« Le Haut Commandement des Forces armées a soumis au Führer et Commandant suprême une progression préliminaire du “Fall Weiss” fondée sur des détails émanant jusqu’à présent de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation. Les détails concernant les jours précédant l’attaque et le début de l’attaque, ne sont pas compris dans cette progression.
« Le Führer et Commandant suprême est en principe d’accord avec les intentions de la Marine, de l’Armée et de l’Aviation, et a fait sur des points particuliers les commentaires suivants :
« 1. Afin de ne pas inquiéter la population à l’occasion du rappel des réserves sur une échelle plus vaste qu’à l’ordinaire pour les manœuvres projetées en 1939, les établissements civils, employeurs ou autres qui se renseigneront seront informés que les hommes sont appelés pour des manœuvres d’automne et pour constituer des unités en vue de ces manœuvres. On demande que des directives soient données à cet effet aux établissements subordonnés. »
Ceci devint évident et particulièrement plus tard, lorsque le Gouvernement allemand tira argument de la mobilisation polonaise. En mai, ou plutôt en juin, il mobilisait mais secrètement.
« 2. Pour des raisons de sécurité, l’évacuation des hôpitaux dans le secteur frontalier n’aura pas lieu. »
Si le Tribunal veut passer au haut de la page suivante, il verra que cet ordre est signé par l’accusé Keitel. Il n’est pas nécessaire de le lire plus avant.
Voici ce qui nous épargnera peut-être de revenir en arrière, si je puis prendre maintenant, sans considération de date, le premier document de la première page de cette série, une courte lettre datée du 2 août. Je crains que ce ne soit qu’un extrait, comme on le voit dans la traduction :
« Ci-joint des directives d’opération pour les sous-marins qui doivent être employés dans l’Atlantique, comme mesure de précaution, au cas où l’intention d’exécuter le “Fall Weiss” resterait inchangée. Le Commandant en chef de la flotte sous-marine transmettra ses ordres à son état-major d’opérations le 12 août. »
Il faut présumer que l’accusé Dönitz savait que ces sous-marins devaient aller dans l’Atlantique, « comme mesure de précaution, au cas où l’intention d’exécuter le “Fall Weiss” resterait inchangée ».
Je passe au document suivant du livre de documents du Tribunal, C-30, qui devient GB-46. C’est une lettre datée du 27 juillet. Elle contient des ordres aux Forces aériennes et navales pour l’occupation de la Ville libre allemande de Dantzig.
« Le Führer et Commandant suprême des Forces armées a ordonné la réunion de l’État libre allemand de Dantzig au Grand Reich allemand. Les Forces armées doivent occuper immédiatement l’État libre de Dantzig afin de protéger la population allemande. Il n’y aura pas d’hostilité de la part de la Pologne, tant que l’occupation aura lieu sans faire usage de la force armée. »
Suit alors le mode suivant lequel l’occupation doit être effectuée. Tout ceci devient encore plus pertinent quand nous envisageons l’action diplomatique des quelques jours précédant la guerre, alors que l’Allemagne prétendait faire des offres fallacieuses en vue d’un règlement pacifique. Je me propose d’établir que la décision avait été prise sans que rien puisse l’en faire dévier. Ce document dit : « Il n’y aura pas d’hostilités de la part de la Pologne tant que l’occupation aura lieu sans faire usage de la force armée. » Cependant ce n’était pas l’unique condition selon laquelle l’occupation devait avoir lieu. Nous trouvons que, durant juillet et jusqu’au moment de la guerre, des mesures furent prises pour armer la population de Dantzig, et la préparer à prendre part à l’occupation à venir.
Je propose au Tribunal le document suivant, TC-71, qui devient GB-47, où figurent seulement quelques-uns des rapports qui, émanant de M. Shepherd, Consul général à Dantzig, arrivaient presque chaque jour, à cette époque, au ministre des Affaires étrangères britannique. La totalité de ces rapports se trouve dans le Livre Bleu anglais. Je m’arrêterai à deux d’entre eux seulement, à titre d’exemple de ce qui se passait alors. Je fais maintenant allusion au premier qui porte la date du 1er juillet 1939.
« Hier matin, quatre officiers de l’armée allemande, en civil, arrivèrent ici par l’express de nuit de Berlin, pour organiser la Heimwehr de Dantzig.
« Tous les environs des collines et des forts démantelés, qui constituent une promenade publique sur le bord occidental de la Cité, ont été fermés par des fils de fer barbelés et des panneaux portant le mot “verboten” (défendu) ; les murs entourant l’arsenal portent les affiches suivantes : “Camarades, taisez-vous, sinon vous en regretterez les conséquences”.
« Tandis qu’il errait dans Kœnigsberg du 28 au 30 juin, le commandant du steamer britannique, “High Commissioner Wood” observa une grande activité militaire, y compris des chargements intensifs de matériel et de voitures camouflés sur de petits caboteurs. Le 28 juin, quatre cargos de moyen tonnage, chargés de troupes, de camionnettes, de cuisines roulantes, etc. quittèrent Kœnigsberg, retournant ostensiblement à Hambourg, après des manœuvres, mais se dirigeant en réalité sur Stettin. Noms des cargos… »
Autre exemple : à la page suivante, le rapport nº 11, daté du 10 juillet, établit :
« Le même informateur, que je crois sûr, m’avise que le 8 juillet il a vu personnellement environ trente camions militaires porteurs de numéros matricules de Prusse Orientale sur le Bischofsberg, où de nombreuses cuisines roulantes avaient été placées le long des haies. Il y avait aussi huit gros canons anti-aériens en position, qu’il estimait être d’un calibre de plus de 75 mm, et trois mitrailleuses anti-aériennes légères à six tubes. Il y avait environ cinq cents hommes, qui faisaient l’exercice avec des fusils et toute la place était solidement fortifiée avec des fils de fer barbelés. »
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’abuser des instants du Tribunal en lisant plus avant.
Ce ne sont, comme je l’ai dit, que deux rapports parmi un grand nombre d’autres qui se trouvent dans le Livre Bleu anglais et qui montrent l’armement et la préparation de la Ville libre de Dantzig.
Les 12 et 13 août, quand les préparatifs furent pratiquement terminés – et on se souviendra qu’ils devaient l’être pour l’invasion de la Pologne le 1er septembre – Hitler et l’accusé Ribbentrop révélèrent enfin leurs intentions à leurs alliés, les Italiens.
On se souvient de l’un des passages du discours de Hitler, le 23 mai. Je ne le citerai pas maintenant, car il a déjà été lu. Toutefois, dans un passage de ce discours, Hitler, au sujet de son attaque projetée contre la Pologne, dit : « Notre but doit être de garder secrètes nos intentions, même vis-à-vis des Italiens et des Japonais. » Maintenant que les préparatifs sont terminés, il révèle ses projets à ses camarades italiens et le fait dans l’espoir de les voir se joindre à lui. Les procès-verbaux de cette réunion sont longs et j’ai l’intention de n’en lire que quelques passages. On peut résumer cette réunion en disant que Hitler essaie de persuader les Italiens d’entrer en guerre avec lui. L’Italie, ou plutôt Ciano est tout à fait surpris. Il n’avait pas la moindre idée, comme il le dit, de l’imminence de la chose et il n’est pas préparé. Pour cela, il essaie de dissuader Hitler de commencer avant que le Duce ait eu un peu de temps pour se préparer. La valeur, peut-être la plus grande des procès-verbaux de cette réunion, est qu’ils montrent très clairement l’intention allemande d’attaquer l’Angleterre et la France, de toute façon, même si ce n’est pas en même temps que la Pologne. Je me réfère à la deuxième page du document ; Hitler essaie de montrer la force de l’Allemagne, sa certitude de gagner la guerre ; par conséquent, il espère persuader les Italiens d’entrer en guerre à ses côtés.
« Sur mer, l’Angleterre ne prévoyait pour le moment aucun renforcement de ses effectifs. »
Je cite le début de la deuxième page :
« Un temps s’écoulera avant que les bateaux maintenant en construction ne puissent entrer en service. En ce qui concerne l’Armée de terre, après l’introduction de la conscription, 60.000 hommes ont été appelés sous les drapeaux. »
Je cite ce passage en particulier pour montrer l’intention d’attaquer l’Angleterre. Nous nous sommes concentrés jusqu’à présent sur la Pologne, mais ici la pensée se tourne entièrement vers l’Angleterre :
« Si l’Angleterre gardait les troupes nécessaires sur son propre territoire, elle pourrait envoyer à la France, au plus, deux divisions d’infanterie et une division blindée. Pour le reste, elle ne pourrait fournir que quelques escadrilles de bombardiers… et presque pas de chasseurs, étant donné qu’à la déclaration de guerre l’aviation allemande attaquerait immédiatement l’Angleterre, et que les chasseurs anglais seraient d’un grand secours pour la défense de leur propre pays…
« En ce qui concerne la position de la France, le Führer dit qu’au cas d’une guerre générale après la destruction de la Pologne – qui ne saurait prendre longtemps – l’Allemagne serait capable de rassembler une centaine de divisions le long de la ligne Siegfried, et la France serait alors forcée de concentrer toutes ses forces disponibles venant des colonies, de la frontière italienne, et d’ailleurs, sur la ligne Maginot pour la lutte à mort qui s’ensuivrait. Le Führer pensait également que les Français trouveraient tout autant de difficultés à envahir les fortifications italiennes qu’à envahir la ligne Siegfried. Ici le comte Ciano montra les signes d’un doute extrême », doute qui, du fait des actions qui suivirent, était peut-être bien justifié.
« L’armée polonaise était de qualité tout à fait irrégulière. Avec quelques divisions de parade, elle comptait un grand nombre de troupes de peu de valeur. La Pologne était très faible en défense anti-chars et anti-aérienne, et pour le moment, ni la France, ni l’Angleterre ne pouvaient l’aider sous ce rapport. »
Le Tribunal appréciera, bien entendu, combien la Pologne constituait une menace pour l’Allemagne sur sa frontière orientale.
« Si cependant la Pologne obtenait l’aide des Puissances occidentales pendant une plus longue période, elle aurait des armes, et la supériorité allemande de ce fait en serait diminuée. Contrairement aux fanatiques de Varsovie et de Cracovie, la population de ces régions est indifférente. D’autre part, il est nécessaire de considérer la position de l’État polonais. Sur 34.000.000 d’habitants, 1.500.000 étaient Allemands, environ 4.000.000 Juifs, et approximativement 9.000.000 Ukrainiens, de telle sorte que les véritables Polonais étaient bien moins nombreux qu’on aurait pu le penser d’après le chiffre total de la population, dont la puissance de combat, comme on l’a déjà dit, devrait être évaluée différemment. Dans ces conditions la Pologne pourrait être très rapidement à la merci de l’Allemagne.
« Étant donné que les Polonais, par leur attitude, tout entière, avaient montré clairement que n’importe comment, en cas de conflit, ils se mettraient aux côtés des ennemis de l’Allemagne et de l’Italie, une liquidation rapide en ce moment ne serait avantageuse que dans le cas d’un conflit inévitable avec les démocraties de l’Ouest. Si une Pologne hostile restait sur les frontières orientales de l’Allemagne, non seulement les onze divisions de la Prusse Orientale seraient immobilisées, mais aussi d’autres contingents seraient retenus en Poméranie et en Silésie. Ceci ne serait pas nécessaire au cas d’une liquidation préalable. »
La discussion continue sur ce sujet.
Je passe au haut de la page suivante :
« Revenant à la question de Dantzig, le Führer dit au comte Ciano qu’il était impossible pour lui de revenir en arrière. Il avait conclu un accord avec l’Italie pour retirer les Allemands du sud du Tyrol ; mais, pour cette raison, il lui fallait prendre le plus grand soin d’éviter de donner l’impression que ce retrait du Tyrol ne fût considéré comme un précédent pour d’autres régions. D’autre part, il avait justifié ce retrait en imprimant une direction générale est et nord-est à la politique allemande. L’Est et le Nord-Est, c’est-à-dire les pays baltiques, avaient été la sphère d’influence incontestée de l’Allemagne depuis des temps immémoriaux, comme la Méditerranée avait été la propre sphère de l’Italie. Pour des raisons économiques également, l’Allemagne avait besoin des produits alimentaires et du bois de ces régions orientales. »
Maintenant nous atteignons le fond de cette question. Il ne s’agissait pas de persécution des minorités allemandes aux frontières polonaises, mais de considérations économiques, de besoins en vivres et en bois de construction venant de Pologne.
« Dans le cas de Dantzig, les intérêts allemands n’étaient pas seulement matériels ; quoique la Cité possédât le plus grand port de la Baltique – son trafic en tonnage était 40 % de celui de Hambourg – Dantzig était un Nuremberg du Nord, c’était une ancienne cité allemande réveillant un sentiment au cœur de chaque Allemand, et le Führer était obligé de tenir compte de cet élément psychologique de l’opinion publique. Pour faire une comparaison avec l’Italie, le comte Ciano devrait se représenter Trieste entre les mains yougoslaves, et une large minorité italienne traitée brutalement sur le territoire yougoslave. Il serait difficile de supposer que l’Italie restât longtemps tranquille en face d’une telle situation.
« Le comte Ciano, répondant à la déclaration du Führer, exprima d’abord la grande surprise ressentie du côté italien en constatant la gravité tout à fait inattendue de la situation. Ni dans les conversations de Milan, ni dans celles qui eurent lieu durant sa visite à Berlin, rien ne marqua, du côté allemand, que la situation vis-à-vis de la Pologne fût aussi sérieuse. Au contraire, le ministre des Affaires étrangères avait dit qu’à son avis la question de Dantzig pouvait être réglée par la suite. Pour ces raisons, le Duce, convaincu qu’un conflit avec les Puissances occidentales était inévitable, avait assuré qu’il ferait ses préparatifs dans cette éventualité ; il avait fait des plans pour une période de deux ou trois ans. Si un conflit immédiat était inévitable, comme il l’avait dit à Ciano, le Duce se mettrait certainement du côté allemand, mais pour diverses raisons, il serait heureux que fût retardé le conflit général. »
Il n’est pas question de se réjouir de ce que le conflit général ait été évité, la seule chose qui les préoccupe, c’est le moment où il éclatera.
« Ciano montra alors, à l’aide d’une carte, la position de l’Italie en cas de guerre mondiale. L’Italie croyait qu’un conflit avec la Pologne ne serait pas limité à ce pays, mais se développerait en une guerre européenne générale. »
Après quoi, au cours de la réunion, Ciano essaya de dissuader Hitler d’une action immédiate. Je cite deux lignes de cette discussion au haut de la page 5 du document :
« Pour ces raisons, le Duce insista pour que les Puissances de l’Axe fissent un geste qui rassurerait les peuples sur les intentions pacifiques de l’Italie et de l’Allemagne. »
Nous avons la réponse du Führer à cet argument, au milieu de la page 5 :
« Le Führer répondit que, pour une solution du problème polonais, on ne pouvait guère perdre de temps. Plus on attendrait et l’on se rapprocherait de l’automne, plus les opérations militaires seraient difficiles dans l’est de l’Europe. À partir du milieu de septembre, les conditions atmosphériques rendraient les opérations aériennes presque impossibles dans ces régions, alors que l’état des routes, qui étaient souvent transformées en marais par les pluies d’automne, rendrait impossible l’action des forces motorisées. De septembre à mai, la Pologne était un grand marécage, tout à fait impropre à aucune opération militaire. La Pologne pourrait cependant occuper Dantzig en octobre… et l’Allemagne ne pourrait rien faire, étant donné qu’elle ne pourrait pas bombarder ni détruire le pays. »
Il ne leur était pas possible de bombarder ou de détruire une ville où se trouvaient des Allemands. Varsovie, Rotterdam, l’Angleterre, Londres, je me demande si des sentiments de cette sorte les animèrent en ce qui concerne ces lieux.
« Ciano demanda quand, selon les vues du Führer, la question de Dantzig devait être réglée. Le Führer répondit que ce règlement devait être fait d’une manière ou d’une autre à la fin d’août. Ciano demandant quelle solution proposait le Führer, Hitler répondit que la Pologne devait céder le contrôle politique de Dantzig, mais que les intérêts économiques polonais seraient évidemment préservés, et que l’attitude polonaise devrait contribuer à un soulagement général de la tension. Il se demandait si la Pologne était prête à accepter cette solution, étant donné que jusqu’à présent les propositions allemandes avaient été repoussées. Le Führer avait fait personnellement ces propositions à Beck, lors de sa visite à Obersalzberg. Elles étaient extrêmement favorables à la Pologne. En compensation de cette reddition politique de Dantzig, avec une garantie absolue des intérêts polonais et l’établissement d’une communication entre la Prusse Orientale et le Reich, l’Allemagne aurait accordé à la Pologne une garantie des frontières, un pacte d’amitié de 25 ans et une participation à son influence en Slovaquie. Beck avait reçu la proposition en faisant remarquer qu’il désirait l’examiner. Le refus pur et simple ne fut que le résultat de l’intervention anglaise. Les buts généraux polonais pouvaient être reconnus clairement d’après la presse. Ils voulaient la Prusse Orientale en entier, et même proposaient d’avancer vers Berlin… »
C’était là quelque chose de tout à fait différent.
Une réunion eut lieu cette nuit-là et se continua le jour suivant. Page 7, au milieu de la page, on peut voir :
« Le Führer en est arrivé à deux conclusions bien définies :
« 1. En cas d’une nouvelle provocation, il attaquerait immédiatement ;
« 2. Si la Pologne ne manifestait pas simplement et clairement ses intentions politiques, elle pourrait être contrainte de le faire. »
Je passe à la dernière ligne de cette page :
« Étant donné la situation, l’Allemagne et l’Italie ne pourraient plus exister dans le monde faute d’espace : non seulement il n’y aurait plus d’espace, mais l’espace vital serait complètement bloqué par ses possesseurs actuels. Ils étaient assis comme des avares sur leurs tas d’or, aveuglés par leurs richesses… Les démocraties de l’Ouest étaient dominées par le désir de gouverner le monde et ne considéraient pas l’Allemagne et l’Italie comme étant de leur classe. Cet élément psychologique de mépris était peut-être le pire dans toute cette affaire. La question ne pouvait être réglée que par une lutte à mort que les partenaires de l’Axe pourraient soutenir d’autant plus facilement que leurs intérêts ne s’opposaient en aucune façon.
« La Méditerranée était manifestement le plus ancien domaine sur lequel l’Italie pouvait prétendre à la prédominance. Le Duce lui-même avait résumé sa position… en disant que l’Italie était déjà la Puissance dominante en Méditerranée à cause de sa situation géographique. D’un autre côté, le Führer a dit que l’Allemagne doit reprendre la vieille route allemande vers l’Est, que cette route est aussi intéressante pour des raisons économiques, et que l’Italie a des raisons géographiques et historiques de se maintenir en Méditerranée. Bismarck l’avait déjà reconnu, et l’a même dit dans sa célèbre lettre à Mazzini. Les intérêts de l’Allemagne et de l’Italie allaient dans des directions tout à fait différentes et ne risquaient pas d’amener un conflit entre elles.
« Le ministre des Affaires étrangères ajouta que si les deux problèmes mentionnés dans les conversations d’hier étaient résolus, l’Italie et l’Allemagne auraient les coudées franches à l’Ouest. Le Führer dit que la Pologne devait être abattue, de telle façon que, pendant dix ans » – il semble qu’il y ait eu ici une difficulté de traduction – « elle serait incapable de lutter. Dans ce cas les problèmes de l’Ouest pourraient être résolus.
« Ciano remercia le Führer de son explication extrêmement claire de la situation. Il n’avait, de son côté, rien à ajouter et donnerait au Duce tous les détails. Il demanda un renseignement plus précis sur un point afin que le Duce puisse avoir tous les éléments d’appréciation. Le Duce pourrait en effet ne pas avoir à prendre de décision, parce que le Führer croyait que le conflit avec la Pologne pourrait être localisé. Ciano, se basant sur une longue expérience, vit très bien que jusqu’alors le Führer avait toujours porté un jugement exact sur la situation. Si cependant, Mussolini n’avait pas de décision à prendre, il lui fallait s’entourer de certaines mesures de précaution et, par conséquent, Ciano poserait la question suivante :
« Le Führer avait mentionné deux conditions auxquelles il prendrait la Pologne : 1. Si la Pologne se montrait d’une provocation sérieuse ; 2. Si la Pologne ne présentait pas clairement sa position politique. La première de ces conditions ne dépendait pas de la décision du Führer et la réaction allemande suivrait aussitôt. La deuxième condition demandait certaines décisions quant au temps :
« Ciano demanda donc quelle était la date à laquelle la Pologne devait avoir satisfait l’Allemagne quant à ses intentions politiques. Il se rendait compte que cette date dépendait des conditions atmosphériques.
« Le Führer répondit que la décision de la Pologne devait être exprimée au plus tard à la fin d’août. Puisque, néanmoins, la partie décisive des opérations militaires contre la Pologne pouvait être exécutée dans une période de quinze jours, la liquidation finale en demandant une autre de quatre semaines, tout pourrait être fini vers la fin de septembre, ou au début d’octobre. Et ceci pouvait être considéré comme des dates. Il s’ensuivait donc que la dernière date à laquelle on pouvait commencer l’action correspondait à la fin d’août.
« Enfin, le Führer réaffirma à Ciano que depuis sa jeunesse, il avait favorisé la coopération germano-italienne, et que ses publications n’exprimaient pas d’autre point de vue. Il avait toujours pensé que l’Allemagne et l’Italie étaient naturellement faites pour collaborer, étant donné qu’il n’y avait pas entre elles de conflits d’intérêt. Il avait la chance, personnellement, de vivre à une époque où, à part lui-même, il y avait un autre homme d’État qui resterait grand et unique dans l’Histoire ; qu’il puisse être l’ami de cet homme était une grande satisfaction personnelle pour lui, et si l’heure de la bataille commune sonnait, il se trouverait toujours aux côtés du Duce, en bonne comme en mauvaise fortune. »
Nous suspendons l’audience pendant 10 minutes.
Plaise au Tribunal. Je n’ai pas encore déposé ce dernier document auquel je me référais. C’est le document TC-77 qui devient GB-48.
Ayant prié le Tribunal de se référer à ces documents qui montrent que pendant toute cette période les préparatifs militaires étaient déjà commencés et prêts à être achevés, je voudrais mentionner une lettre de l’accusé Funk, qui montre qu’à la même époque les économistes n’étaient pas restés oisifs. C’est une lettre datée du 26 août 1939 que Funk écrit à son Führer. Il dit :
« Mon Führer, je vous remercie sincèrement et de tout cœur de vos souhaits amicaux à l’occasion de mon anniversaire. Combien nous devons être heureux et reconnaissants envers vous d’avoir l’occasion de vivre cette époque de grandeur au cours de laquelle change la face du monde, et de prendre part aux événements déterminants de notre temps.
« Le renseignement donné par le Feldmarschall Göring, suivant lequel, mon Führer, vous avez approuvé hier soir le principe des mesures que j’avais préparées pour le financement de la guerre, les relations entre les prix et les salaires et les sacrifices à faire en cas d’urgence, m’a rendu très heureux. Je vous informe très respectueusement par la présente que j’ai réussi, grâce aux précautions prises au cours des derniers mois, à rendre la Reichsbank intérieurement si puissante et extérieurement si inattaquable que même les fluctuations les plus dangereuses de la monnaie et du marché du crédit internationaux ne peuvent nous affecter. Entre-temps, j’ai changé en or et d’une façon très discrète, tous les avoirs de la Reichsbank et de l’économie allemande à l’étranger, dans la mesure où il était possible de les atteindre. En appliquant les projets que j’ai établis pour l’élimination impitoyable de toute consommation qui ne soit pas d’une importance vitale et de toutes les dépenses et travaux publics qui sont sans importance pour l’effort de guerre, nous serons en état de faire face à toutes les demandes de la finance et de l’économie, sans aucune difficulté sérieuse. J’ai pensé qu’il était de mon devoir, en tant que plénipotentiaire général à l’Économie, nommé par vous, de vous faire ce rapport et cette promesse solennelle, mon Führer. Heil, mon Führer.
« Signé : Walter Punk. »
C’est le document PS-699 qui devient GB-49.
Il est difficile, à la vue de cette lettre, de comprendre comment l’accusé Funk peut dire qu’il ne connaissait pas les préparatifs du Gouvernement allemand et son intention de faire la guerre.
Je passe maintenant au discours adressé par Hitler à ses commandants en chef le 22 août, à Obersalzberg. À la fin de la troisième semaine d’août tous les préparatifs étaient terminés. Ce discours a déjà été lu au Tribunal. Je voudrais solliciter la patience du Tribunal pour en citer littéralement une demi-douzaine de lignes, afin de montrer la suite des événements. C’est à la page 1 du document PS-1014 qui a déjà été déposé sous la cote USA-30, quatrième ligne :
« Chacun devra admettre que nous étions déterminés dès le début à lutter contre les Puissances Occidentales. »
Le deuxième paragraphe :
« La destruction de la Pologne est au premier plan. Notre but est d’éliminer les forces vives et non d’atteindre une certaine ligne. Même si la guerre doit éclater à l’Ouest, la destruction de la Pologne sera le premier objectif. »
Une fois de plus la fameuse phrase du troisième paragraphe :
« Je donnerai un prétexte de propagande pour commencer la guerre ; peu importe qu’il soit plausible ou non. On ne demandera pas plus tard au vainqueur s’il a dit la vérité ou non. Quand on commence une guerre et qu’on la fait, ce n’est pas le droit qui importe, mais la victoire. »
Nous ne verrons que trop clairement comment cette raison de propagande qui avait déjà été préparée, fut portée à son comble.
À la page suivante (document PS-798, USA-29), le troisième paragraphe :
« Il était clair pour moi qu’un conflit avec la Pologne devait arriver tôt ou tard. J’avais déjà pris cette décision au printemps, mais je pensais que je me tournerais d’abord vers l’Ouest dans quelques années et seulement après contre l’Est. »
Je mentionne de nouveau ces passages pour insister sur l’intention du Gouvernement allemand, non seulement de conquérir la Pologne, mais par la suite, quoi qu’il arrivât, de faire une guerre d’agression contre les démocraties occidentales.
Enfin, en me reportant à la dernière page, il est un passage, de plus en plus significatif à mesure que l’on étudie l’histoire des derniers jours. Je cite le quatrième paragraphe :
« Nous n’avons pas besoin de craindre un blocus. L’Est nous fournira du grain, du bétail, du charbon, du plomb et du zinc. C’est un grand dessein qui demande de grands efforts. Je crains seulement qu’à la dernière minute quelque “Schweinehund” ne fasse une proposition de médiation.
« Le but politique est plus éloigné. Nous avons déjà commencé à détruire l’hégémonie de l’Angleterre. La voie sera ouverte aux soldats, quand j’aurai fait les préparatifs politiques. »
Et la toute dernière ligne est, elle aussi, pleine de sens :
« Göring répond en remerciant le Führer et en l’assurant que les Forces armées feront leur devoir. »
Abandonnons les préparatifs militaires et économiques et les exhortations aux généraux pour voir comment évoluait la situation dans les domaines diplomatique et politique.
Le 23 août 1939, le Sénat de Dantzig promulgua un décret nommant le Gauleiter Forster chef de l’État de la Ville libre de Dantzig, poste qui n’existait pas aux termes de la constitution de la Ville libre. Je dépose le document suivant, extrait du Livre Bleu anglais, comme preuve de cet événement qui visait évidemment à agiter les passions dans la Ville libre à ce moment-là. C’est le TC-72, nº 62, qui devient GB-50.
Au même moment, des incidents de frontière étaient provoqués par le Gouvernement nazi avec l’assistance des SS. Le Tribunal a déjà entendu, l’autre jour, le témoignage du général Lahousen qui mentionna que l’on avait fourni à cet effet des uniformes polonais aux SS, de sorte que l’on avait trouvé des cadavres de Polonais du côté allemand de la frontière. Je renvoie maintenant le Tribunal à trois courts rapports qui corroborent le témoignage que vous avez entendu et qui se trouvent dans le Livre Bleu anglais. Ce sont des rapports de l’ambassadeur britannique à Varsovie.
Le premier, TC-72, nº 53, qui devient GB-51, est daté du 26 août.
« De nouveau, une série d’incidents se sont produits hier à la frontière allemande.
« Une patrouille polonaise rencontra des Allemands à un kilomètre de la frontière de la Prusse Orientale, près de Pelta. Les Allemands ouvrirent le feu. La patrouille polonaise répliqua, tuant le chef dont le cadavre a été ramené. Des groupes allemands traversèrent la frontière silésienne près de Szczyglo, deux fois près de Rybnik et deux fois ailleurs, tirant des coups de feu et attaquant blockhaus et postes douaniers avec des mitrailleuses et des grenades à main. Les Polonais ont énergiquement protesté à Berlin.
« La Gazeta Polska, dans un éditorial inspiré, dit aujourd’hui que ce sont plus que des incidents. Ce sont des actes d’agression très nettement préparés par des détachements paramilitaires disciplinés, munis d’armes régulières de l’Armée et même, dans un cas, commis par un détachement de l’Armée régulière. Les attaques sont plus ou moins continuelles.
« Ces incidents n’ont pas empêché les Polonais de garder leur calme et de rester sur une énergique attitude défensive. Les faits parlent par eux-mêmes et les actes d’agression viennent du côté allemand. C’est la meilleure réponse au délire de la Presse allemande.
« Le ministère des Affaires étrangères déclare qu’un détachement allemand en uniforme a tué un Polonais au-delà de la frontière et en a blessé un autre. »
Je passe au rapport suivant, TC-72, nº 54, qui devient GB-52, daté du même jour, 26 août.
« Le ministère des Affaires étrangères dément catégoriquement le récit fait par Hitler à l’ambassadeur français selon lequel vingt-quatre Allemands auraient été récemment tués à Lodz et huit à Bielske. Ce récit est absolument sans fondement. »
Enfin, le document TC-72, nº 55, qui devient GB-53, est le rapport du jour suivant, le 27 août.
« 1. Autant que je puisse en juger, les allégations allemandes de mauvais traitements massifs subis par la minorité allemande de la part des autorités polonaises, constituent une grossière exagération sinon une erreur absolue.
« 2. Les autorités civiles polonaises ne semblent pas le moins du monde avoir perdu le contrôle de la situation. À Varsovie, et autant que je sache, dans toute la Pologne, règne le calme le plus complet.
« 3. De telles allégations rappellent les méthodes de propagande nazie utilisées contre la Tchécoslovaquie, l’année dernière.
« 4. En tout cas, nous nous trouvons là en présence d’une provocation délibérée des Allemands, conforme à la politique suivie par eux depuis mars – après que le reste de la Tchécoslovaquie avait été annexé, ils étaient prêts à marcher contre la Pologne – politique qui a, depuis cette époque exacerbé les susceptibilités des deux nationalités. Je suppose que ceci a été fait dans le but :
« a) De créer un esprit de guerre en Allemagne ;
« b) De faire impression sur l’opinion publique à l’étranger ;
« c) De provoquer une atmosphère défaitiste en Pologne ou bien de susciter une agression caractérisée de ce pays.
« 5. Ces deux derniers buts n’ont manifestement pas été atteints.
« 6. Il est à souligner que Dantzig a à peine été mentionné par Hitler.
« 7. Le traitement infligé par les Allemands aux Juifs tchèques et à la minorité polonaise est manifestement sans comparaison avec les souffrances alléguées par les Allemands en Pologne, où, remarquons-le, leur proportion ne s’élève jamais dans aucune commune à plus de 10 % de la population.
« 8. Dans ces conditions il ne fait aucun doute que si Hitler est décidé à la guerre, c’est uniquement dans le but de porter atteinte à l’indépendance polonaise.
« 9. Je ne manquerai jamais d’insister auprès du ministre des Affaires étrangères sur la nécessité de faire tout ce qui est en son pouvoir pour prouver que les allégations de Hitler concernant la minorité allemande sont fausses. »
Et, cependant, une fois de plus, le témoignage du général Lahousen se trouve confirmé par un mémorandum capturé sur l’ennemi, relatant une conversation entre son auteur et Keitel. C’est le document PS-795, maintenant GB-54. Cette conversation avec Keitel eut lieu le 17 août 1939 ; j’en cite le paragraphe 1 :
« Je rapportai à Keitel ma conversation avec Jost. Il me prévint qu’il n’en tiendrait pas compte, étant donné que le Führer ne l’en avait pas informé. Tout ce qu’il lui avait fait savoir, c’est que nous devions fournir à Heydrich des uniformes polonais. Il fut d’accord pour que je mette l’État-Major au courant. Il ne cacha pas qu’il ne pensait pas grand bien de tels agissements. Cependant il n’y avait qu’à s’exécuter puisque cela avait été ordonné par le Führer ; il ne pouvait demander à celui-ci comment il projetait la réalisation de cette opération spéciale. En ce qui concerne Dirschau, il avait décidé que l’opération ne serait exécutée que par l’Armée. »
Telle se présentait, Monsieur le Président, la situation à la fin de la première semaine d’août ; je veux dire, à la fin de la troisième semaine d’août. Le 22 août, le Pacte de non-agression germano-russe était signé à Moscou. Nous l’avons appris avec le discours de Hitler à ses Commandants en chef et la nouvelle fit sensation dans le monde entier. En fait, l’ordre d’envahir la Pologne fut donné immédiatement après la signature du traité, l’heure « H » ayant bien été fixée à l’aube du 25 août. Ordre fut donc donné d’envahir la Pologne le 25 août aux premières heures de la matinée et je l’établirai dans un moment.
En Angleterre, on apprit le 23 août la signature à Moscou du Pacte germano-soviétique, c’est-à-dire le jour même de sa signature. Naturellement il n’était pas douteux que ce traité était militairement très avantageux pour l’Allemagne, vu surtout les circonstances. Le Gouvernement britannique, immédiatement, prit nettement position, dans le suprême espoir qu’en agissant ainsi, le Gouvernement allemand reviendrait à de meilleurs sentiments. Je parle du document TC-72, nº 56, maintenant GB-55 ; c’est le premier de l’avant-dernière partie du livre de documents. Le Premier Ministre écrivait à Hitler :
« Votre Excellence,
« Votre Excellence aura déjà entendu parler de certaines mesures prises par le Gouvernement de Sa Majesté et annoncées par la presse et la radio de ce soir.
« De l’avis du Gouvernement de Sa Majesté, ces mesures ont été rendues nécessaires par les mouvements de troupes signalés en Allemagne, et par le fait que visiblement l’Accord germano-soviétique est considéré dans certains milieux de Berlin comme indiquant que l’intervention de la Grande-Bretagne en faveur de la Pologne n’est plus une éventualité avec laquelle il faille compter. On ne peut se tromper plus lourdement. De quelque nature que le contenu de l’Accord germano-soviétique puisse se révéler, les obligations de la Grande-Bretagne envers la Pologne ne peuvent s’en trouver modifiées, obligations que le Gouvernement de Sa Majesté a publiquement et clairement affirmées à maintes reprises et qu’il est résolu à respecter.
« On a prétendu que, si le Gouvernement de Sa Majesté avait défini plus clairement sa position en 1914, la grande catastrophe eût pu être évitée. Que cette affirmation soit fondée ou non, le Gouvernement de Sa Majesté est décidé à ce qu’un malentendu aussi tragique de conséquences ne se répète plus.
« Si c’était le cas, il est décidé et prêt à utiliser sans délai toutes les forces dont il dispose et il serait impossible de prévoir la fin des hostilités une fois qu’elles seraient engagées. Ce serait une dangereuse illusion de penser que la guerre se terminerait rapidement, même si un succès pouvait être obtenu sur l’un des divers fronts sur lesquels elle se déroulerait. »
Après quoi le Premier Ministre demanda d’une façon pressante au Gouvernement allemand d’essayer de résoudre le problème sans recourir à la force. Il suggéra qu’une trêve soit proclamée pendant laquelle des discussions directes auraient lieu entre les Gouvernements polonais et allemand.
Je cite les paroles du Premier Ministre Chamberlain :
« En ce moment, je l’avoue, je ne peux voir d’autre façon d’éviter la catastrophe qui entraînera l’Europe dans la guerre. Étant donné les graves conséquences que l’action de ses chefs entraînerait pour l’Humanité, j’espère que Votre Excellence pèsera avec la plus grande circonspection les considérations que je vous ai exposées. »
Le lendemain, 23 août, Hitler répondit au Premier Ministre Chamberlain ; c’est le document TC-72, nº 60, qui devient GB-56. Il commence en disant que l’Allemagne a toujours souhaité l’amitié de l’Angleterre, qu’elle a tout fait pour l’obtenir, mais que, d’autre part, elle a certains intérêts essentiels auxquels il lui est impossible de renoncer.
Je cite le troisième paragraphe :
« L’Allemagne était prête à régler les questions de Dantzig et du Corridor en négociant sur la base de propositions d’une magnanimité sans précédent. Les allégations de l’Angleterre concernant une mobilisation allemande contre la Pologne » – et nous voyons ici la malhonnêteté totale de tout cet expédient – « l’affirmation de desseins agressifs à l’encontre de la Roumanie, de la Hongrie, etc., de même que les soi-disant déclarations de garantie qui ont été données par la suite, avaient cependant empêché la Pologne de négocier sur une base telle que l’Allemagne eût pu également l’accepter.
« L’assurance inconditionnelle donnée par l’Angleterre à la Pologne, suivant laquelle elle l’assisterait en toutes circonstances, sans considération des causes qui auraient fait naître le conflit, ne pourrait être dès lors interprétée en Pologne que comme un encouragement au terrorisme, sous le couvert d’un tel accord, contre 1.500.000 Allemands habitant en Pologne. »
Je ne puis m’empêcher de rappeler encore une fois le rapport de l’ambassadeur britannique auquel je viens de me référer.
« Les atrocités qui ont lieu depuis ce moment dans ce pays sont terribles pour les victimes, mais intolérables pour une grande puissance comme le Reich allemand qui devrait rester spectateur passif de ces événements. La Pologne s’est rendue coupable d’un grand nombre de violations de ses obligations envers la Ville libre de Dantzig ; ses exigences ont le caractère d’un ultimatum et ont créé un processus d’étranglement économique. »
Il poursuit en disant que « l’Allemagne ne peut tolérer qu’une telle persécution continue », et que la garantie anglaise vis-à-vis de la Pologne ne change absolument pas sa détermination de mettre fin à cet état de choses.
Je cite le paragraphe 7 :
« Le Gouvernement du Reich a reçu des renseignements d’après lesquels le Gouvernement britannique a l’intention de procéder à des mesures de mobilisation qui, selon les déclarations contenues dans votre propre lettre, sont clairement dirigées contre l’Allemagne seule. On dit que c’est également vrai de la France. Étant donné que l’Allemagne n’a jamais eu l’intention de prendre des mesures militaires, sinon d’un caractère strictement défensif, contre l’Angleterre ou la France, et étant donné que, comme on l’a déjà dit, elle n’a jamais eu et n’a pas l’intention pour l’avenir d’attaquer l’Angleterre ni la France, il s’ensuit que cette déclaration comme vous l’avez confirmé dans votre lettre, Monsieur le Premier Ministre, ne peut se référer qu’à un acte de menace délibéré, dirigé contre le Reich. C’est pourquoi j’informe Votre Excellence qu’au cas où ces mesures militaires seraient exécutées, j’ordonnerais immédiatement la mobilisation de l’armée allemande. »
Si l’intention du Gouvernement allemand avait été pacifique, si véritablement il voulait la paix et non la guerre, quel était le but de ces mensonges ; de ces mensonges disant qu’il n’avait jamais eu l’intention d’attaquer l’Angleterre ni la France, qu’il ne mobilisait pas, alors qu’au vu des preuves que nous avons, nous savons que ce sont des mensonges ? Quel a pu être son but s’il n’a jamais cherché qu’un règlement pacifique de la question de Dantzig ?
Je cite encore le dernier paragraphe :
« La question du règlement des problèmes européens sur une base pacifique n’est pas une décision qui dépende de l’Allemagne, mais elle dépend surtout de ceux qui, après le crime commis au Traité de Versailles, se sont toujours opposés avec entêtement à toute révision pacifique. Ce n’est qu’après un changement dans l’état d’esprit des puissances responsables qu’il peut y avoir également un changement dans les relations entre l’Angleterre et l’Allemagne. J’ai toute ma vie combattu pour l’amitié anglo-allemande ; l’attitude adoptée par la diplomatie britannique – tout au moins jusqu’à présent – m’a convaincu de la futilité d’une telle tentative. S’il pouvait se produire une modification sur ce point dans l’avenir, personne n’en serait plus heureux que moi. »
Le 25 août, le Traité d’assistance mutuelle anglo-polonais fut signé à Londres. Il n’est pas nécessaire de lire ce document. Le Tribunal connaît son contenu, aux termes duquel chaque gouvernement prend la résolution d’aider l’autre en cas d’attaque de la part d’une tierce puissance. Je parle du document TC-73, nº 91, qui devient GB-57. Je reviendrai de nouveau, dans quelques instants, sur la signature de ce traité, mais peut-être vaut-il mieux, pendant que nous nous occupons de la correspondance entre le Premier Ministre britannique et Hitler, nous référer également à une correspondance similaire qui fut échangée quelques jours plus tard entre le Président du Conseil français, M. Daladier, et Hitler. J’insiste sur ce point parce qu’il prouve la façon délibérée dont le Gouvernement allemand avait préparé ses plans d’agression. « L’ambassadeur de France à Berlin m’a fait part de votre message personnel », est-il écrit le 26 août :
« À l’heure où vous évoquez la plus lourde responsabilité que puissent éventuellement assumer deux Chefs de Gouvernement, celle de laisser répandre le sang de deux grands peuples qui n’aspirent qu’à la paix et au travail, je vous dois à vous-même, je dois à nos deux peuples de dire que le sort de la Paix est encore dans vos seules mains.
« Vous ne pouvez pas douter de mes sentiments envers l’Allemagne, ni des sentiments pacifiques de la France envers votre nation. Aucun Français n’a jamais fait plus que je n’ai fait moi-même pour affermir entre nos deux peuples non seulement la paix, mais une sincère collaboration dans leur intérêt propre comme dans celui de l’Europe et du monde.
« Sous peine de prêter au peuple français une moins haute notion de l’honneur national que celle que je reconnais moi-même au peuple allemand, vous ne pouvez pas douter non plus de la fidélité de la France à des engagements loyaux envers d’autres nations, comme la Pologne, qui, j’en ai la certitude, veulent aussi vivre en paix avec l’Allemagne.
« Ces deux certitudes se concilient pleinement. Il n’est rien aujourd’hui qui puisse encore empêcher de résoudre pacifiquement la crise internationale dans l’honneur et la dignité de tous les peuples, si la volonté de paix existe également de toutes parts.
« Avec la bonne volonté de la France, j’atteste celle de tous ses Alliés. Je me porte personnellement garant des dispositions qu’a toujours manifestées la Pologne pour un recours mutuel des méthodes de libre conciliation, telles qu’elles peuvent se concevoir entre les Gouvernements de deux nations souveraines. J’ai hautement conscience de pouvoir vous affirmer qu’il n’est pas un seul des griefs invoqués par l’Allemagne contre la Pologne, à propos de l’affaire de Dantzig, qui ne puisse être soumis à de telles méthodes en vue d’un règlement amiable et équitable.
« Je peux aussi attester sur mon honneur qu’il n’est rien, dans la claire et loyale solidarité de la France avec la Pologne et ses Alliés, qui puisse modifier en quelque manière que ce soit les dispositions pacifiques de ma Patrie. Cette solidarité ne nous a jamais empêchés et ne nous empêche pas davantage aujourd’hui d’entretenir la Pologne dans ses dispositions pacifiques.
« En une heure aussi grave, je crois sincèrement qu’aucun homme de cœur ne pourrait comprendre qu’une guerre de destruction puisse s’engager sans qu’une dernière tentative d’arrangement pacifique ait lieu entre l’Allemagne et la Pologne. Votre volonté de paix peut s’y exercer en toute certitude sans déroger en rien au souci de l’honneur allemand. Pour moi, Chef du Gouvernement de la France, qui ne désire comme vous, que la bonne harmonie entre le peuple français et le peuple allemand et qui est d’autre part unie à la Pologne par des liens d’amitié et par la parole donnée, je suis prêt à faire tous les efforts qu’un honnête homme peut accomplir afin d’assurer le succès de cette tentative.
« Vous avez été, comme moi-même, un combattant de la dernière guerre. Vous savez, comme moi, tout ce que la conscience des peuples garde à jamais d’horreur et de réprobation des désastres de la guerre, quelle qu’en soit l’issue. L’idée même que je puis me faire de votre rôle éminent comme Chef du peuple allemand pour le conduire dans les voies de la paix au plein accomplissement de sa mission dans l’oeuvre commune de la civilisation m’invite à vous demander une réponse à cette proposition. Si le sang français et le sang allemand coulent de nouveau, comme il y a vingt-cinq ans, chacun des deux peuples luttera avec la confiance dans sa victoire, mais la victoire la plus certaine sera celle de la destruction et de la barbarie. »
Je pense que nous pourrions suspendre l’audience jusqu’à 14 heures.