QUATORZIÈME JOURNÉE.
Jeudi 6 décembre 1945.
Audience de l’après-midi.
Plaise au Tribunal. Puis-je, avec l’accord du lieutenant-colonel Griffith-Jones, faire une communication à la Défense ?
Ce soir, à 19 h. 30, dans la salle d’audience, aura lieu la projection de la deuxième partie du film que les États-Unis ont l’intention d’utiliser comme preuve. Nous espérons que les avocats seront tous là, à 19 h. 30.
Je crois devoir déclarer, au nom de la Défense, qu’il ne nous paraît pas nécessaire que les films soient projetés pour nous avant l’audience, c’est-à-dire deux fois. Nous sommes très reconnaissants au Tribunal de la courtoisie avec laquelle il facilite notre travail, mais nos soirées sont très occupées par la préparation de nos plaidoiries et par les entretiens nécessaires avec nos clients.
La question des films est entièrement différente de celle des documents. Par exemple, on peut lire les documents à son gré, avant, pendant, ou après l’audience. Mais, alors que nous ne pouvons entendre les témoins et étudier leurs déclarations qu’au cours du déroulement de la procédure principale, nous sommes, bien entendu, d’autant plus disposés à ne prendre connaissance des films qu’au cours des débats. Nous croyons que le Ministère Public peut s’épargner la peine de nous présenter les films deux fois, dont lune, le soir, au préalable.
Nous espérons que ceci ne sera nullement considéré comme, comment dirais-je, une manifestation ; en réalité, la seule raison de cette démarche est que notre temps est tellement rempli par le travail auquel j’ai fait allusion que nous pouvons bien épargner toute tâche supplémentaire aussi bien au Ministère Public qu’à nous-mêmes. Je répète, et j’insiste sur ce point, que nous reconnaissons entièrement l’assistance qui nous est prêtée par le Ministère Public pour faciliter notre travail, et je vous prie de bien vouloir interpréter mes paroles en ce sens.
Si je vous comprends bien, vous pensez qu’il serait inutile pour les avocats d’avoir une présentation préalable des films, et de les voir avant qu’ils ne soient déposés comme preuve ? Est-ce bien ce que vous voulez dire ?
C’est bien ce que j’ai dit, parfaitement.
Colonel Storey, je ne suis pas très sûr que vous ayez été présent au moment où le Dr Dix a commencé son observation. Si je comprends bien, il dit qu’étant donnée la quantité des travaux préparatoires que les avocats doivent entreprendre, ils ne considèrent pas comme nécessaire qu’on leur présente les films avant qu’ils ne soient déposés comme preuve. Ils désirent en même temps exprimer leur gratitude pour la collaboration du Ministère Public.
Je vous remercie. Nous sommes tout à fait d’accord. Nous le faisions pour leur rendre service.
Très bien.
Avant que le Tribunal ne suspende l’audience, je venais de lire la lettre adressée par M. Daladier à Hitler le 26 août. Le 27 août, Hitler répondit à cette lettre, et je pense qu’il est inutile de lire cette réponse. Le sens en est à peu près le même que celui de la lettre qu’il adressa au Premier Ministre britannique en réponse à celle qu’il avait reçue précédemment au cours de la semaine.
Ces deux lettres ont été extraites du Livre Blanc allemand, que je dépose comme preuve sous le nº GB-58. Peut-être le Tribunal voudra-t-il bien accepter ces deux lettres sous le même numéro ? Après cela, il est impossible de dire que le Gouvernement allemand pouvait garder un doute sur la position que prendraient les Gouvernements britannique et français en cas d’agression allemande contre la Pologne.
Mais les plaidoyers en faveur de la paix ne se terminèrent pas là. Le 24 août, le Président Roosevelt adressa un message à Hitler et au Président de la République polonaise. Je vais citer les premiers paragraphes de cette lettre :
« Dans le message que je vous ai envoyé le 14 avril, j’ai déclaré que les chefs des grandes nations semblaient avoir la possibilité de libérer leurs peuples du désastre menaçant, mais que, à moins d’efforts immédiats, soutenus par la bonne volonté de toutes les parties, pour trouver une solution constructive et pacifique à tous les conflits existants, la crise devant laquelle se trouve placé le monde entier se terminerait par une catastrophe. Aujourd’hui, cette catastrophe semble très proche, elle est en fait devant nous.
« Je n’ai reçu aucune réponse au message que je vous ai envoyé en avril dernier, mais étant persuadé que la cause de la paix du monde – qui est la cause de l’Humanité elle-même – s’élève au-dessus de toute autre considération, je m’adresse à vous de nouveau, avec l’espoir que la guerre qui menace et le désastre qui en résulterait pour tous les peuples peuvent encore être évités.
« Par conséquent, je demande instamment – et je le demande également au Président de la République polonaise – que les Gouvernements allemand et polonais déclarent d’un commun accord s’abstenir de tout acte positif d’hostilité, pendant une période fixée d’une durée raisonnable, et qu’ils acceptent également d’un commun accord de régler les conflits qui se sont élevés entre eux par l’une des trois méthodes suivantes :
« Premièrement, par des négociations directes,
« Deuxièmement, en soumettant ces controverses à un arbitrage impartial qui leur inspirera confiance à tous deux,
« Troisièmement, par l’acceptation d’une solution de ces controverses au moyen d’une procédure de conciliation. »
Je pense qu’il est inutile d’en lire davantage. Comme je l’ai déjà indiqué au Tribunal, la réponse à ce message fut l’ordre donné aux Forces armées d’envahir la Pologne le matin suivant.
C’est le document TC-72, nº 124, qui devient GB-59.
Je dépose également comme preuve le document suivant : TC-72, nº 126, GB-60, qui est la réponse du Président de la République polonaise, dans laquelle il accepte l’offre de régler les différends par l’une des méthodes pacifiques suggérées.
Le 25 août, n’ayant reçu aucune réponse du Gouvernement allemand, le Président Roosevelt écrivit de nouveau :
« J’ai, à cette heure, reçu du Président de la République polonaise une réponse au message que j’avais adressé à Votre Excellence et à lui-même la nuit dernière. » Suit le texte de la réponse polonaise.
« Votre Excellence a publiquement déclaré, de façon réitérée, que les buts et les objectifs recherchés par le Reich allemand étaient justes et raisonnables.
« Dans sa réponse à mon message, le Président de la République polonaise a dit clairement que le Gouvernement polonais était disposé à accepter, sur les bases exposées dans mon message, un règlement par des négociations directes, ou par une procédure de conciliation des controverses qui se sont élevées entre la République polonaise et le Reich allemand.
« Il est encore possible de sauver d’innombrables vies humaines, et d’espérer que les nations du monde moderne peuvent, même à présent, construire les fondements de relations pacifiques et plus heureuses, si vous et le Gouvernement du Reich allemand acceptez les moyens pacifiques de règlement admis par le Gouvernement polonais. Le monde entier prie afin que l’Allemagne les accepte aussi. »
Mais, Votre Honneur, l’Allemagne ne voulait pas accepter comme elle ne voulait pas accepter non plus l’appel lancé par le Pape, qui est mentionné dans le document suivant.
Excusez-moi, la réponse du Président de la République polonaise figure sous le nº TC-72, nº 127, qui devient GB-61.
Elle ne voulait pas accepter ces propositions et elle ne voulait pas non plus entendre l’appel du Pape, document TC-72, nº 139, à la même date, le 24 août, et qui devient le document GB-62. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de le lire. Les termes en sont similaires. Voici encore un appel du Pape du 31 août, TC-72, nº 14, qui devient document GB-63. Excusez-moi, c’est le 141, TC-72, nº 141. Il me semble qu’il y a une erreur d’impression dans la traduction du Tribunal :
« Le Pape ne veut pas abandonner l’espoir que les négociations en cours ne puissent mener à une solution juste et pacifique, que le monde entier demande dans ses prières. »
Je ne crois pas nécessaire de lire la suite de ce message. Si le Pape s’était rendu compte que les négociations des derniers jours d’août, qu’il mentionne comme « négociations en cours », n’étaient que des négociations simulées, du moins en ce qui concerne l’Allemagne, et qui n’étaient menées, j’espère éclairer le Tribunal sur ce point d’ici un moment, que pour essayer de dissuader l’Angleterre, par menace ou par corruption, de remplir ses obligations à l’égard de la Pologne, sans doute se serait-il évité la peine d’adresser ce dernier appel ?
Nous verrons très clairement que ces ultimes propositions allemandes dont je vais m’occuper maintenant, n’étaient pas du tout des propositions au sens courant du mot. Il n’y a jamais eu derrière elles la moindre intention d’entamer des discussions, des négociations, de se soumettre à un arbitrage, ou à tout autre moyen pacifique, pour régler le différend avec la Pologne. C’était simplement une tentative pour s’emparer de la Pologne et la conquérir plus facilement que si l’Angleterre et la France se conformaient à leurs obligations.
Peut-être pourrais-je, avant d’examiner ces documents, résumer en quelques mots ces dernières négociations ?
Le 22 août, comme nous l’avons vu, le Pacte germano-soviétique fut signé. Le 24 août, l’ordre fut donné aux Armées de se mettre en marche le matin suivant. Après cela, le Gouvernement allemand reçut apparemment la nouvelle que les Gouvernements britannique et polonais avaient en fait déjà signé un pacte formel de non-agression et d’assistance mutuelle. Jusque-là, on s’en souvient, la position était la suivante : le Premier Ministre avait fait une déclaration à la Chambre des Communes, et un communiqué commun avait été publié – le 6 avril, je crois – déclarant qu’en fait ils s’aideraient mutuellement si l’un d’eux était attaqué ; mais on n’avait pas signé d’accord formel.
Donc, le 24 août, lorsque ces ordres eurent été donnés, arriva la nouvelle que cet accord officiel avait été signé, et l’invasion fut retardée dans le seul but de faire un ultime effort pour écarter de la guerre l’Angleterre et la France, non pas pour terminer la guerre ou y renoncer, mais pour les empêcher d’intervenir.
Afin d’y parvenir, le 25 août, ayant retardé l’invasion, Hitler fit une communication verbale à Sir Nevile Henderson laquelle, le Tribunal le verra, était un mélange de corruption et de menace de nature, espérait-il à persuader l’Angleterre de se tenir à l’écart.
Le 28 août, Sir Nevile Henderson remit à Hitler la réponse du Gouvernement britannique à cette communication. Cette réponse insistait sur le fait que le différend devait être réglé par un accord. Le Gouvernement britannique avançait l’opinion que Dantzig devait être garanti et qu’en fait tout accord devait être signé par d’autres puissances, ce qui, naturellement, quels que soient les événements, aurait été inacceptable pour le Reich allemand.
Comme je l’ai dit, il est en réalité inutile de considérer ce qui aurait été acceptable ou inacceptable étant donné que, une fois déjà, il avait été exprimé très clairement, dans la réponse du Gouvernement britannique du 28 août, que rien ne pourrait empêcher l’Angleterre d’aider la Pologne en cas d’une agression allemande. Le Gouvernement allemand n’avait vraiment plus aucun intérêt à poursuivre les négociations, mais son seul souci était de trouver une apparence quelconque de justification et d’empêcher que le rejet de tous les appels à la raison n’apparût de façon trop cynique.
Dans la soirée du 29 août, à 19 h. 15, Hitler remit à Sir Nevile Henderson la réponse du Gouvernement allemand à la réplique du Gouvernement britannique du 28 août. Et là encore, ce document montre très clairement que son seul objet était de présenter des propositions absolument inacceptables ; Hitler est en effet d’accord pour entrer en relations directes, comme il avait été suggéré par le Gouvernement britannique, mais ces conversations devaient être basées sur le retour de Dantzig au Reich, voire même le retour au Reich du Corridor tout entier.
On se souvient que, jusqu’au moment où il prétend que la Pologne avait renoncé aux clauses de l’accord de 1934, il n’avait exigé que le seul retour de Dantzig au Reich, avec un arrangement pour la construction d’une autoroute et d’un chemin de fer jouissant tous deux de l’extra-territorialité et traversant le Corridor jusqu’à la Prusse Orientale. C’était alors inacceptable. Pour plus de certitude, il demande maintenant le Corridor tout entier ; il n’est plus question de l’autoroute et du chemin de fer. Tout doit devenir allemand. Et ainsi, pour être absolument certain que l’offre ne soit pas acceptée, il dit : « Sur la foi de ces termes, je suis prêt à entrer en discussion, mais pour le faire, car c’est tout à fait urgent, j’attends un plénipotentiaire du Gouvernement polonais, avec pleins pouvoirs, ici à Berlin, pour minuit, demain, le 30 août ».
Cette offre fut faite à 19 h. 15, le soir du 29 août. Elle devait être transmise tout d’abord à Londres et de Londres à Varsovie. Puis de Varsovie, le Gouvernement polonais devait donner les pleins pouvoirs à son ambassadeur à Berlin, si bien que le délai rendait complètement impossible une délégation de pleins pouvoirs à l’ambassadeur à Berlin pour le lendemain minuit. Cela ne laissait aucune possibilité de discuter la question. Comme Sir Nevile Henderson l’a expliqué, l’offre constituait un véritable ultimatum.
À minuit, le 30 août, au moment où le plénipotentiaire polonais aurait dû arriver, Sir Nevile Henderson vit Ribbentrop, et j’aimerais vous lire le compte rendu de cette entrevue, au cours de laquelle Sir Nevile Henderson remit un nouveau message à Ribbentrop, en réponse à celui qui lui avait été transmis le soir précédent. Ribbentrop lut en allemand un document de deux ou trois pages, qu’il prétendit être les propositions allemandes, seules susceptibles d’être admises comme base de discussion entre le Gouvernement allemand et le Gouvernement polonais. Il le lut rapidement en allemand et refusa d’en remettre une copie à l’ambassadeur britannique. Aucune copie ne fut remise à l’ambassadeur polonais. De sorte que les Polonais n’avaient aucune possibilité d’avoir sous les yeux les propositions que l’Allemagne leur offrait si gracieusement et si magnanimement comme bases de discussion.
Le jour suivant, le 31 août, M. Lipski vit Ribbentrop, et n’en put rien obtenir. Celui-ci se contenta de demander s’il venait muni de pleins pouvoirs. Sur sa déclaration qu’il ne les avait pas, Ribbentrop répondit qu’il exposerait la situation au Führer. Mais, en fait, il était beaucoup trop tard pour exposer quoi que ce soit au Führer à ce moment, car le 31 août – je regrette de ne pouvoir vous donner l’heure exacte – le 31 août, Hitler avait déjà lancé son ordre nº 1 pour la conduite de la guerre, dans laquelle il indiquait que l’heure « H » était fixée à cinq heures moins le quart, le lendemain matin, 1er septembre. Le soir du 31 août, à 9 heures, la radio allemande publia les propositions que Ribbentrop avait lues à Sir Nevile Henderson la nuit précédente, disant que c’étaient là les propositions qui avaient été présentées comme bases de discussion, mais que, aucun plénipotentiaire polonais n’étant arrivé pour les discuter, le Gouvernement allemand considérait qu’elles étaient rejetées. C’est par cette diffusion faite à 21 heures, le soir du 31 août, que pour la première fois, les Polonais eurent connaissance de ces propositions, et ce fut la première fois, en fait, que le Gouvernement anglais ou ses représentants à Berlin, en entendit parler autrement que par ce que Ribbentrop avait lu et dont il avait refusé de fournir une copie, dans la soirée du 30.
Après cette diffusion radiophonique, à 21 h. 15, peut-être pendant l’émission, copie de ces propositions fut remise à Sir Nevile Henderson, pour la première fois.
Pour aider le Tribunal, j’ai donné un résumé de la suite des événements au cours de cette semaine. Je demande au Tribunal de se référer brièvement aux textes qui restent dans ce livre de documents.
Tout d’abord, je dépose comme preuve un extrait de l’interrogatoire de l’accusé Göring qui eut lieu le 29 août 1945.
En tant qu’avocat de l’accusé Göring, je m’élève contre l’emploi de ce document, qui est un extrait d’une déposition faite par l’accusé Göring. Celui-ci est présent au banc des accusés, et il peut, à tout moment, être entendu comme témoin sur les faits relatés dans cette déposition.
Est-ce là votre objection ?
Oui, Monsieur le Président.
Le Tribunal ne comprend pas la raison de votre objection, étant donnés les termes de l’article 15, c et de l’article 16, b et c du Statut. L’article 15, c stipule que les Procureurs entreprendront, entre autres choses, la tâche de se livrer à un interrogatoire préliminaire de tous les témoins jugés nécessaires et des accusés, et l’article 16 stipule « qu’afin d’assurer que les accusés soient jugés avec équité, la procédure suivante sera adoptée :
« b) Au cours de tout interrogatoire préliminaire au procès d’un accusé, celui-ci aura le droit de donner toutes explications se rapportant aux charges relevées contre lui ;
« c) Les interrogatoires préliminaires et le procès des accusés devront être conduits dans une langue que l’accusé comprend ou traduits dans cette langue. »
Ces clauses du Statut, d’après le Tribunal, montrent que les accusés peuvent être interrogés, et que leurs interrogatoires peuvent être déposés comme preuve.
J’ai été conduit par la conviction que, pour produire une preuve, il est préférable, toutes les fois que c’est possible, d’appeler un témoin ; c’est le moyen de preuve qui a le plus de poids.
Vous aurez certainement l’occasion de citer comme témoin l’accusé pour lequel vous plaidez, et de lui demander de déposer lui-même. Mais cela n’a rien à voir avec l’admissibilité de son interrogatoire préliminaire.
Cet extrait est le document TC-90 que je dépose sous le nº GB-64. Je cite à partir du milieu de la première réponse. C’est la fin de la septième ligne. L’accusé Göring dit dans cet extrait :
« Le jour où l’Angleterre donna sa garantie officielle à la Pologne, le Führer m’appela au téléphone, et me dit qu’il avait arrêté l’invasion prévue de la Pologne. Je lui demandai alors si c’était un arrêt temporaire ou définitif. Il me dit : “Non, il faudra que je voie si nous pouvons éliminer l’intervention britannique”. »
Ne devriez-vous pas lire la question avant de lire la réponse ?
Bien. Je reviens à la question qui a été posée à Göring :
« Quand les négociations du ministre des Affaires étrangères polonais à Londres amenèrent le traité anglo-polonais, à la fin de mars ou au début d’avril, n’était-il pas suffisamment évident qu’une solution pacifique était impossible ?
« Réponse. – Oui, elle semblait impossible d’après ma conviction, mais non d’après celle du Führer. Quand on mentionna au Führer que l’Angleterre avait donné sa garantie à la Pologne, il dit que l’Angleterre l’avait également donnée à la Roumanie, mais qu’au moment où les Russes prirent la Bessarabie, rien ne se produisit ; et cela l’impressionna vivement. J’ai fait une erreur ici. À cette époque, la Pologne n’avait que la promesse d’une garantie. La garantie proprement dite ne lui fut donnée que peu de temps avant le déclenchement de la guerre. Le jour où l’Angleterre donna sa garantie officielle à la Pologne, le Führer m’appela au téléphone, et me dit qu’il avait arrêté l’invasion projetée de la Pologne. Je lui demandai si cet arrêt était temporaire ou définitif. Il me dit : “Non il faudra que je voie si nous pouvons éliminer l’intervention britannique”. Je lui demandai alors : “Pensez-vous que la situation soit différente d’ici quatre ou cinq jours ?”. À cette époque – je ne sais pas si vous êtes au courant, colonel – j’étais en relation avec Lord Halifax par courrier spécial, en dehors des voies diplomatiques régulières, pour faire tout ce qui était possible afin d’arrêter la guerre avec l’Angleterre. Après la garantie, je tins pour inévitable une déclaration de guerre de la part de l’Angleterre. Je lui avais déjà dit, au printemps 1939 après l’occupation de la Tchécoslovaquie, que désormais, s’il essayait de résoudre la question polonaise, il devrait compter sur l’hostilité de l’Angleterre. En 1939, c’est-à-dire après le Protectorat.
« Question. – Est-il exact que les préparatifs pour la campagne contre la Pologne fussent, à l’origine, censés devoir être terminés avant la fin d’août 1939 ?
« Réponse. – Oui.
« Question. – Et que l’ordre relatif à la campagne contre la Pologne ait été en définitive donné entre le 15 et le 20 août 1939 après la signature du pacte avec la Russie Soviétique ? » Les dates sont manifestement fausses ici.
« Réponse. – Oui, c’est exact.
« Question. – N’est-il pas également exact que le début de cette campagne fut ordonné pour le 25 août, mais que le 24 août, dans le courant de l’après-midi, il fut remis jusqu’au 1er septembre, afin d’attendre le résultat des nouvelles manœuvres diplomatiques avec l’ambassadeur anglais ?
« Réponse. – Oui. »
Mon seul commentaire à ce document porte sur le second paragraphe dans lequel Göring prétend qu’il ne voulait pas de guerre avec l’Angleterre. Le Tribunal se souvient que c’est Göring qui, après le fameux discours du 22 août aux Commandants en chef, se leva et remercia le Führer de son exhortation et l’assura que la Wehrmacht jouerait son rôle.
Je vais passer, dans le livre de documents, sur le document suivant qui ne nous apprend rien de nouveau et nous continuerons avec le « communiqué verbal de Hitler », comme on l’appelle dans le Livre Bleu anglais. Il fut remis à Sir Nevile Henderson le 25 août, après la publication de la signature du traité anglo-polonais, Hitler s’y efforce d’empêcher l’Angleterre de remplir ses obligations. Il déclare, dans le premier paragraphe, après avoir entendu l’ambassadeur britannique, qu’il est désireux de faire encore un effort pour éviter la guerre. Dans le deuxième paragraphe il affirme à nouveau que les provocations polonaises sont insupportables ; je cite le deuxième paragraphe :
« L’Allemagne est en tout cas décidée à abolir les conditions draconiennes imposées à sa frontière orientale, et qui plus est, à le faire dans l’intérêt de la tranquillité et de l’ordre, donc dans l’intérêt de la paix européenne.
« Le problème de Dantzig et du Corridor doit être résolu. Le Premier Ministre britannique a fait un discours qui était absolument impropre à apporter un changement dans l’attitude allemande. Le résultat de ce discours serait tout au plus une guerre sanglante et de conséquences incalculables entre l’Allemagne, la Pologne et l’Angleterre. Une telle guerre serait plus sanglante que celle de 1914-1918. Contrairement à la dernière guerre, l’Allemagne ne se verrait plus obligée de combattre sur deux fronts. » On voit la menace voilée qui apparaît dans ce paragraphe. « Le pacte avec la Russie était inconditionnel et signifiait un changement dans la politique étrangère du Reich, changement qui durerait longtemps. La Russie et l’Allemagne ne prendraient jamais plus les armes l’une contre l’autre. À part cela les accords conclus avec la Russie assureraient aussi la sécurité économique de l’Allemagne, pour une guerre aussi longue qu’elle puisse être.
« Le Führer avait toujours désiré une compréhension mutuelle entre l’Angleterre et l’Allemagne. Une guerre entre l’Angleterre et l’Allemagne pourrait, dans le cas le plus favorable, apporter quelque profit à l’Allemagne, mais n’en apporterait aucun à l’Angleterre. »
Ensuite, nous en venons aux tentatives de corruption : « Le Führer déclare que le problème germano-polonais devrait être résolu et serait résolu. Il est cependant prêt et décidé pour la solution de ce problème, à entrer en relation avec l’Angleterre une fois de plus, en présentant des propositions importantes et compréhensives. C’était l’homme des grandes décisions et dans ce cas aussi, il était capable d’être grand dans ses actions » – et généreux aussi – « Le Führer admet l’existence de l’empire britannique et s’engage personnellement, pour la continuation de celui-ci, à mettre la puissance du Reich allemand à sa disposition, à condition que ses revendications coloniales, limitées, soient traitées par des méthodes pacifiques… Ses obligations à l’égard de l’Italie restent inchangées. »
De nouveau il insista sur la détermination irrévocable de l’Allemagne de ne jamais entrer en conflit avec la Russie.
Je cite les deux derniers paragraphes :
« Si le Gouvernement britannique voulait prendre ces idées en considération, ce serait une bénédiction pour l’Allemagne… »
Ne voudriez-vous pas lire d’abord les premières lignes du troisième paragraphe ?
Oui, je l’ai résumé. « Il désirait insister de nouveau sur la décision irrévocable de l’Allemagne de ne jamais plus entrer en conflit avec la Russie. »
Oui.
Et j’en viens aux deux derniers paragraphes :
« Si le Gouvernement britannique voulait prendre ces idées en considération, ce serait une bénédiction pour l’Allemagne et aussi pour l’Empire britannique : il en résulterait la Paix. S’il les rejetait, ce serait la guerre. En aucun cas, la Grande-Bretagne n’en sortirait plus forte : la dernière guerre l’a déjà prouvé. Le Führer répète qu’il est un homme aux décisions ad infinitum par lesquelles il se lie et que c’est là sa dernière proposition… »
Nous suspendrons l’audience avant d’examiner cette question.
Je venais de lire les propositions faites par Hitler au Gouvernement britannique. C’était le document TC-72, nº 68, déposé sous le nº GB-65.
Le Gouvernement britannique, naturellement, ne savait pas quels étaient les buts véritables de ce message ; il répondit de bonne foi par une note du 28 août qu’il était prêt à engager des négociations. Il était d’accord avec Hitler sur le fait que les différends devaient être réglés ; je cite le paragraphe 4 :
« De l’avis du Gouvernement de Sa Majesté, une solution raisonnable des divergences entre l’Allemagne et la Pologne pourrait et devrait être réalisée par un accord entre les deux pays suivant des directives qui comprendraient la sauvegarde des intérêts essentiels de la Pologne, et le Gouvernement de Sa Majesté rappelle que, dans son discours du 28 avril dernier, le Chancelier a reconnu l’importance de ces intérêts pour la Pologne.
« Mais comme le Premier Ministre l’a déclaré dans sa lettre au Chancelier du 22 août, le Gouvernement de Sa Majesté considère comme essentiel, pour le succès des négociations qui précéderaient l’accord, qu’il soit entendu au préalable que tout règlement sera garanti par d’autres puissances.
« Le Gouvernement de Sa Majesté serait disposé à apporter sa contribution au fonctionnement efficace d’une telle garantie si le désir lui en était manifesté. »
Je passe maintenant au dernier paragraphe de cette page, c’est-à-dire au paragraphe 6 :
« Le Gouvernement de Sa Majesté en a dit assez pour que son attitude soit parfaitement claire en ce qui concerne les questions particulières en jeu entre l’Allemagne et la Pologne. Il espère que le Chancelier Hitler ne pensera pas, parce que le Gouvernement de Sa Majesté entend remplir scrupuleusement ses obligations vis-à-vis de la Pologne, qu’il ne désire pas mettre toute son influence au service d’une solution qui puisse se recommander à la fois à l’Allemagne et à la Pologne. »
C’était un coup pour les espoirs de l’Allemagne. Ils avaient échoué dans leurs tentatives de corruption pour empêcher l’Angleterre de remplir ses obligations à l’égard de la Pologne ; désormais il s’agissait de sortir de cette impasse en toute hâte et autant que possible de sauver la face. Le dernier document porte le nº GB-66. Je dépose aussi le rapport de Sir Nevile Henderson sur cette entrevue ; c’est le document suivant, TC-72, nº 75, qui devient GB-67.
La seule importance réelle de cette entrevue réside dans le fait que Sir Nevile Henderson insista à nouveau sur la position britannique et sur sa détermination en tout état de cause à remplir ses obligations à l’égard de la Pologne. J’aimerais citer un paragraphe qui est intéressant étant donné les lettres qui vont suivre ; c’est le paragraphe 10 :
« À la fin, je lui posai deux questions directes : “Était-il disposé à négocier franchement avec les Polonais et était-il prêt à discuter la question d’un échange de population ?” Il répondit par l’affirmative à la deuxième question, bien que je n’aie aucun doute qu’il eût à l’esprit à ce moment une rectification de frontière. En ce qui concerne la première question, il me dit qu’il ne pouvait me donner de réponse avant d’avoir donné à la réplique du Gouvernement de Sa Majesté toute la réflexion qu’un tel document méritait. À cet égard, il se tourna vers Ribbentrop et dit : “Nous pourrions faire venir le maréchal Göring pour en discuter avec lui”. »
Finalement, dans le paragraphe suivant, Sir Nevile Henderson reprend encore, très solennellement, le point essentiel de toute la conversation en ce qui le concernait.
Je passe au document suivant, TC-72, nº 78, qui devient GB-68.
La réponse allemande, comme je l’ai exposé plus tôt, fut remise à Sir Nevile Henderson le 29 août, à 19 h. 15. Elle traite des suggestions proposées par le Gouvernement britannique dans sa note précédente et continue en disant que le Gouvernement est prêt à entrer en discussion en prenant pour base le retour à l’Allemagne du Corridor tout entier y compris Dantzig. L’avant-dernier paragraphe de la première page de ce document est à citer :
« En ce qui concerne ce territoire, les demandes du Gouvernement allemand sont conformes à la révision du Traité de Versailles qui a toujours été reconnue nécessaire : c’est-à-dire qu’elles comportent le retour de Dantzig et du Corridor à l’Allemagne, la sauvegarde de l’existence de l’élément national allemand dans les territoires restant à la Pologne. »
Il est juste de dire maintenant, comme je l’ai déjà fait remarquer plus tôt, que ce droit avait été reconnu depuis longtemps. Le 28 avril, ces exigences concernaient uniquement Dantzig, l’autoroute et la ligne de chemin de fer.
Le Tribunal se souvient de la position dont le Gouvernement allemand cherche à se sortir. Il s’efforce de se donner une justification en faisant des propositions qu’en aucun cas, ni la Pologne, ni l’Angleterre ne pourraient accepter. Mais comme je l’ai déjà dit, il voulait s’en assurer doublement.
J’en viens à la deuxième page et commence au troisième paragraphe :
« Le Gouvernement britannique attache de l’importance à ces deux considérations :
« a) Que le danger actuel d’une explosion imminente soit éliminé aussi rapidement que possible par négociations directes, et
« b) Que l’existence de l’État polonais dans la forme sous laquelle il continuerait alors à exister, soit sauvegardée de manière adéquate dans le domaine économique et politique par des garanties internationales.
« À ce sujet, le Gouvernement allemand a donné l’explication suivante :
« Bien qu’il soit sceptique sur les chances de succès, il est cependant disposé à accepter la proposition anglaise et à entrer en discussion directe. Comme il l’a déjà souligné avec force, il n’agit ainsi qu’à cause de l’impression produite sur lui par la déclaration écrite que lui a adressée le Gouvernement britannique, aux termes de laquelle ce dernier désire lui aussi un pacte d’amitié suivant les grandes lignes indiquées à l’ambassadeur de Grande-Bretagne. »
Puis, à l’avant-dernier paragraphe :
« Par ailleurs, en faisant ces propositions, le Gouvernement allemand n’a jamais eu l’intention de porter atteinte aux intérêts vitaux de la Pologne ou de mettre en question l’existence d’un État polonais indépendant. » – Ces déclarations font vraiment l’effet d’émaner d’un vulgaire escroc plutôt que du gouvernement d’une grande nation. – « En conséquence, le Gouvernement allemand consent à accepter dans ces circonstances, l’offre du Gouvernement britannique d’employer ses bons offices en vue de l’envoi à Berlin d’un émissaire polonais muni des pleins pouvoirs. Il compte que cet émissaire arrivera le mercredi, 30 août 1939.
« Le Gouvernement allemand va immédiatement préparer des propositions pour une solution qui lui soit acceptable et, si possible, les fera tenir au Gouvernement britannique avant l’arrivée du négociateur polonais. »
Ceci se passait le 29 août à 19 h. 15, et, comme je l’ai déjà expliqué, cela ne laissait que bien peu de temps pour faire venir l’émissaire polonais avant minuit le lendemain. Ce document est le GB-68.
Le document suivant est un rapport de Sir Nevile Henderson qui résume ce qui s’est passé entre temps. J’en cite en particulier le paragraphe 4 :
« Je remarquai que cette phrase » – c’est-à-dire le passage relatif à l’émissaire polonais qui devait être là avant minuit la nuit suivante – « ressemblait à un ultimatum ; mais après quelques vives remarques, M. Hitler et M. von Ribbentrop, m’assurèrent tous deux qu’ils voulaient seulement insister sur l’urgence de la situation, alors que deux armées entièrement mobilisées se faisaient face. » C’était l’entrevue du 29 août au soir. Ce dernier document devient GB-69.
Le Gouvernement britannique donna une nouvelle réponse, et Sir Nevile Henderson la remit à von Ribbentrop, à la fameuse réunion du 30 août à minuit, heure à laquelle on attendait l’émissaire polonais. Il est inutile que je lise intégralement. Le Gouvernement britannique renouvelle son désir d’améliorer les relations. Il déclare à nouveau qu’il ne peut pas sacrifier les intérêts d’autres amis pour obtenir une amélioration de la situation présente. Il comprend, dit-il, que le Gouvernement allemand accepte les conditions suivant lesquelles le règlement sera soumis à une garantie internationale. Il fait des réserves quant aux exigences exprimées par les Allemands dans leur dernière lettre et informe immédiatement le Gouvernement polonais ; en définitive, il comprend que le Gouvernement allemand établit les propositions. Ce document TC-72, nº 89, sera déposé sous le nº GB-70.
Pour le compte rendu de cette entrevue nous prendrons le document suivant dans le livre du Tribunal, TC-72, nº 92, qui devient GB-71. Il n’est pas très long et vaut peut-être la peine qu’on le lise intégralement :
« J’ai dit à von Ribbentrop, ce soir, que le Gouvernement de Sa Majesté trouvait difficile de conseiller au Gouvernement polonais d’accepter la procédure exposée dans la réponse allemande et j’ai suggéré qu’il adopte les méthodes de contact normales, c’est-à-dire que, quand les propositions allemandes seraient prêtes, il invite l’ambassadeur polonais à lui rendre visite et qu’il lui remette les propositions pour les transmettre à son Gouvernement en vue de l’ouverture immédiate de négociations. J’ai ajouté que si cette base permettait d’envisager la possibilité d’un règlement on pouvait être sûr que le Gouvernement de Sa Majesté s’emploierait à Varsovie pour que les négociations soient poursuivies.
« Ribbentrop répondit en produisant un document assez long qu’il lut en allemand à haute voix et à une allure extrêmement rapide. Pensant que, par la suite, il me le remettrait, je n’essayai pas de suivre de trop près les quelque seize articles, qu’il contenait. Bien que je ne puisse, par conséquent en garantir l’exactitude, les points essentiels étaient… » Il est inutile que je lise intégralement, je passe au paragraphe 3.
« Quand je demandai à von Ribbentrop le texte de ces propositions conformément à ce qui avait été convenu dans la réponse allemande de la veille, il déclara qu’il était maintenant trop tard, le représentant polonais n’étant pas arrivé à Berlin à minuit.
« Je fis observer que traiter la question de cette façon, c’est-à-dire demander que le représentant polonais fût à Berlin le 30 août constituait en fait un ultimatum, en dépit de ce que lui et M. Hitler m’avaient assuré hier. Il le nia, disant que l’idée d’un ultimatum était le fruit de mon imagination. Pourquoi alors, demandai-je, ne voulait-il pas adopter une procédure normale et me donner une copie des propositions et demander à l’ambassadeur polonais de lui rendre visite exactement comme Hitler m’avait convoqué quelques jours plus tôt, pour lui remettre ces propositions qu’il communiquerait au Gouvernement polonais ? Dans les termes les plus violents, Ribbentrop dit qu’il ne demanderait jamais à l’ambassadeur de lui rendre visite. Il fit entendre que si l’ambassadeur polonais lui demandait une entrevue il pourrait en être autrement. Je déclarai que naturellement j’en informerais immédiatement mon Gouvernement. Sur quoi, il dit que ceci n’était que son opinion personnelle, il transmettrait à Hitler tout ce que j’avais dit. Il appartenait au Chancelier de prendre la décision.
« Nous nous séparâmes sur ces paroles, mais je dois vous dire que toute l’attitude de von Ribbentrop au cours de cette désagréable entrevue n’était qu’une imitation de Hitler dans ses pires moments. Il lança incidemment des invectives contre la mobilisation polonaise, mais je répondis que cela n’était guère surprenant étant donné que l’Allemagne avait déjà mobilisé, comme Hitler lui-même l’avait admis hier. »
Néanmoins Sir Nevile Henderson ne savait pas à ce moment-là que l’Allemagne avait également donné, quelques jours auparavant, l’ordre d’attaquer la Pologne. Le jour suivant, le 31 août, à 18 h. 30, l’ambassadeur de Pologne, M. Lipski, eut une entrevue avec Ribbentrop. Le document suivant, TC-73, nº 112, qui devient GB-72, est un bref compte rendu à M. Beck :
« J’ai exécuté mes instructions, Ribbentrop m’a demandé si j’avais pleins pouvoirs pour entreprendre des négociations. J’ai répondu que non. Il m’a demandé alors si je n’avais pas été informé que sur la suggestion de Londres, le Gouvernement allemand s’était déclaré prêt à négocier directement avec un délégué du Gouvernement polonais, nanti des pleins pouvoirs nécessaires, qui aurait dû arriver le jour précédent, 30 août. J’ai répondu que je n’avais aucune information directe à ce sujet. En conclusion, Ribbentrop répéta qu’il avait pensé que j’avais pouvoir de négocier. Il communiquerait ma démarche au Chancelier. »
Comme je l’ai déjà indiqué, il était trop tard. Les ordres avaient été donnés, le jour même, à l’armée allemande, pour l’invasion.
J’en viens au document C-126, qui a déjà été déposé sous le nº GB-45. D’autres parties en ont été déposées et je vais maintenant faire mention de la lettre qui figure à la deuxième page, « Ordre secret ». Elle est signée par Hitler et désignée comme son « Instruction nº 1 pour la conduite de la guerre ». Elle est datée du 31 août 1939. Paragraphe 1 :
« 1. Toutes les possibilités de régler sur le plan politique et par des moyens pacifiques une situation intolérable pour l’Allemagne à la frontière orientale étant épuisées, j’ai décidé d’adopter une solution de force.
« 2. L’attaque contre la Pologne doit être exécutée conformément aux préparatifs faits pour le “Fall Weiss” » – Cas Blanc – « avec les modifications qui résultent, en ce qui concerne l’Armée, du fait qu’entre temps elle a presque entièrement mis au point son dispositif.
« Les tâches assignées et les buts d’opérations ne sont pas modifiés.
« Date de l’attaque : 1er septembre 1939.
« Heure de l’attaque : 4 h. 45. » (Ceci a été inscrit au crayon rouge.) Cette heure s’applique également aux opérations à Gdynia, dans la baie de Dantzig et au pont de Dirschau.
« 3. À l’Ouest, il est important que la responsabilité de l’ouverture des hostilités repose de façon très claire sur l’Angleterre et la France. Au début, on n’entreprendra que des actions purement locales pour des violations de frontières sans importance. »
Puis il expose les détails de l’ordre qu’il est inutile de lire devant le Tribunal. Ce même soir, à 21 heures, la radio allemande diffusa les termes des propositions allemandes sur la base desquelles ils étaient si désireux d’entamer des négociations avec le Gouvernement polonais. Les propositions sont exposées dans tous leurs détails. On se souvient qu’à cette heure, ni Sir Nevile Henderson, ni le Gouvernement polonais, ni son ambassadeur n’avaient encore reçu un exemplaire écrit de ces propositions ; c’est en vérité un document qu’il est intéressant de lire, ou de citer par extraits, simplement comme preuve ou comme exemple de parfaite duplicité. Je me réfère au second paragraphe (document TC-72, nº 98, devenu GB-39) :
« En outre, le Gouvernement allemand fit remarquer qu’il pourrait mettre à la disposition du Gouvernement britannique les points essentiels d’une proposition d’accord, avant l’arrivée à Berlin du négociateur polonais. »
Nous savons maintenant comment ils agirent. Ils dirent alors qu’au lieu d’une déclaration concernant l’arrivée d’une personnalité polonaise autorisée, la première réponse que le Gouvernement du Reich reçut à sa proposition d’accord fut la nouvelle de la mobilisation polonaise. Et ce ne fut que vers minuit, dans la nuit du 30 août 1939, qu’ils reçurent des assurances assez générales relatives aux intentions du Gouvernement britannique d’aider à entamer les négociations. « Bien que le négociateur polonais attendu par le Gouvernement du Reich ne soit pas arrivé et que ce fait ait rendu inutile d’informer le Gouvernement de Sa Majesté du point de vue du Gouvernement allemand à l’égard des bases possibles de négociations, le Gouvernement de Sa Majesté ayant plaidé personnellement en faveur de négociations directes entre l’Allemagne et la Pologne, le ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop, donna à l’ambassadeur britannique, au moment de la présentation de la dernière note britannique, des informations précises concernant le texte des propositions allemandes qui seraient considérées comme base des négociations au cas où le plénipotentiaire polonais arriverait. » Puis ils continuèrent à exposer l’histoire, ou plutôt leur version de l’histoire des négociations des derniers jours.
Je passe au document suivant, le second après celui-ci, dans le livre de documents déposé devant le Tribunal, TC-54, qui devient GB-73. Le 1er septembre, alors que ses armées franchissaient déjà la frontière sur toute son étendue, Hitler fit cette proclamation à la Wehrmacht :
« Le Gouvernement polonais, ne voulant pas établir les bonnes relations de voisinage que je désirais, appelle une solution par les armes.
« Les Allemands de Pologne sont persécutés par un terrorisme sanglant et chassés de leurs foyers. Plusieurs violations de frontière, qui ne sauraient être tolérées par une grande puissance, montrent que la Pologne n’est plus disposée à respecter les frontières du Reich. Pour mettre fin à ces actes insensés, je ne vois aucun autre moyen, à partir de maintenant, que de faire face à la force par la force.
« L’armée allemande entreprendra avec une ferme détermination la lutte pour l’honneur et les droits vitaux du peuple allemand.
« J’attends de chaque soldat qu’il soit conscient de la haute tradition des qualités militaires éternelles du soldat allemand, et qu’il remplisse son devoir jusqu’au bout.
« Souvenez-vous toujours et dans toutes les circonstances que vous êtes les représentants de la Grande Allemagne nationale-socialiste.
« Vivent notre peuple et le Reich. »
Nous voyons donc que Hitler avait enfin tenu sa parole envers ses généraux. Il leur avait fourni un prétexte de propagande et à ce moment, en tout cas, il importait peu de savoir ce que les gens diraient par la suite. « Ce n’est pas au vainqueur que l’on demandera plus tard s’il a dit la vérité ou non. Ce qui compte, ce n’est pas le droit, mais la victoire ; le plus fort a raison. »
Le jour même, 1er septembre, quand parvint la nouvelle de la violation du territoire polonais, le Gouvernement britannique, conformément aux obligations du traité, adressa un ultimatum au Gouvernement allemand dans lequel il déclarait, je cite un passage du dernier paragraphe :
« Il m’appartient par conséquent d’informer Votre Excellence que, à moins que le Gouvernement allemand ne soit prêt à donner au Gouvernement de Sa Majesté des assurances satisfaisantes suivant lesquelles le Gouvernement allemand mettrait fin à toute action agressive contre la Pologne et serait prêt à retirer rapidement ses forces du territoire polonais, le Gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume-Uni remplira, sans hésitation, ses obligations envers la Pologne. »
Le 3 septembre, aucun retrait des troupes n’ayant eu lieu, à 9 heures, – document TC-72, nº 110, le document auquel je me réfère devient GB-74 – à 9 heures, le 3 septembre, un dernier ultimatum fut remis au ministère des Affaires étrangères allemand. Je cite le troisième paragraphe :
« Bien que cette communication vous ait été faite depuis plus de vingt-quatre heures, aucune réponse n’a encore été reçue, les attaques allemandes contre la Pologne continuent et sont intensifiées. Par conséquent, j’ai l’honneur de vous informer que, si avant 11 heures (heure d’été britannique) aujourd’hui 3 septembre, des assurances satisfaisantes n’ont pas été données par le Gouvernement allemand et n’ont pas atteint le Gouvernement de Sa Majesté à Londres, l’état de guerre existera entre les deux pays à dater de cette heure. »
C’est ainsi que, le 3 septembre à 11 heures, l’état de guerre fut déclaré entre l’Allemagne et l’Angleterre et entre l’Allemagne et la France. Tous les appels à la paix, tous les appels à la raison avaient été vains, ils étaient condamnés à l’échec avant d’être lancés. Les plans, les préparatifs, les intentions, la détermination d’exécuter cet assaut contre la Pologne existaient depuis des mois, depuis des années. Il importait peu de savoir quelle était l’opinion des nations autres que la nation allemande, ou quels droits pouvait posséder une autre nation en dehors de ceux que revendiquait la nation allemande. Et s’il reste le moindre doute à ce sujet, après tout ce que nous venons de voir, je vous demanderai de considérer encore deux autres documents.
Si vous voulez bien regarder le dernier texte dans votre livre de documents PS-1831, qui devient GB-75. Le 3 septembre encore, Mussolini offre une chance de paix.
Nous avons ici un télégramme daté du 3 septembre à 6 h. 30. Je regrette de ne pas pouvoir préciser si c’est 6 h. 30 du matin ou du soir. Je cite :
« L’ambassadeur d’Italie a remis au secrétaire d’État, sur l’ordre du Duce, le message suivant, adressé au Führer et Chancelier du Reich et au ministre des Affaires étrangères du Reich :
« L’Italie fait savoir, à titre d’information, laissant naturellement la décision au Führer, qu’il y a encore la possibilité de convoquer une conférence avec la France, l’Angleterre et la Pologne sur les bases suivantes :
« 1. Un armistice, qui laisserait les divisions de l’Armée dans les positions qu’elles occupent actuellement. »
On se souvient que le 3 septembre, elles avaient déjà avancé considérablement au-delà de la frontière.
« 2. Convocation de la conférence dans un délai de deux à trois jours.
« 3. Solution du conflit germano-polonais qui serait certainement en faveur de l’Allemagne, étant donné la situation actuelle.
« Cette idée qui émanait du Duce, trouvait en France son meilleur appui.
« Dantzig est déjà allemand, et l’Allemagne détient déjà des garanties pour la plupart de ses exigences. En outre, l’Allemagne a déjà obtenu une “satisfaction morale”. Si elle voulait accepter ce projet de conférence, elle atteindrait tous ses buts, et en même temps elle éviterait une guerre qui se présente dès aujourd’hui comme une guerre générale d’une durée extrêmement longue. »
Mais, Votre Honneur, Mussolini lui-même ne connaissait peut-être pas tous les plans de l’Allemagne et la proposition fut naturellement rejetée dans la lettre décisive que Hitler écrivit en réponse. Je vous prie de revenir au document précédent, il fait toujours partie du même document GB-75.
Si je comprends bien, les références GB que vous donnez ne figurent pas du tout sur les documents, ce sont les numéros de présentation qui doivent figurer sur les documents quand ceux-ci sont déposés devant le Tribunal.
Oui, c’est exact. Ils seront évidemment inscrits par le Tribunal.
Voudriez-vous essayer de préciser les références qui sont sur les documents pour que le Tribunal puisse les trouver ?
Certainement. Le dernier document était PS-1831, c’est le dernier dans le livre de documents. C’est celui auquel je viens de faire allusion, le télégramme de Mussolini. Le document que je vais citer est l’avant-dernier dans le livre de documents qui se trouve devant le Tribunal, mais porte le même numéro que le dernier, car ils font partie du même texte.
Afin d’aider le Tribunal, je pense qu’il serait utile que vous nous expliquiez le système utilisé pour la désignation des documents.
Les documents présentés sont numérotés maintenant, avant d’être déposés comme preuve, avec différents numéros de série tels que « PS », « PC », « L » et autres lettres. Elles n’ont aucune signification spéciale. Elles indiquent par qui ils ont été trouvés et de quels dossiers ils proviennent. Quand ils sont déposés comme preuves, le Tribunal les marque d’un numéro spécial. Les documents déposés par les représentants des États-Unis portent tous la cote « USA », et ceux qui ont été présentés par le Ministère Public britannique la cote « GB ». Pour aider les membres du Tribunal, je ferai marquer ces livres de documents ce soir avec les nouvelles cotes du Tribunal qui sont portées par les greffiers au cours de la journée.
Nous reviendrons là-dessus plus tard.
S’il manque un document dans un de ces livres, j’en ai une copie.
Voulez-vous maintenant lire le document PS-1831 ?
Oui, c’est le document GB-75, dont voici le texte :
« Duce,
« Je désire tout d’abord vous remercier pour votre ultime tentative de médiation. J’aurais été prêt à accepter, à condition seulement qu’on puisse me donner certaines garanties quant au succès de la conférence, car, depuis deux jours, les troupes allemandes sont engagées dans une avance extraordinairement rapide en Pologne. Il aurait été impossible de déprécier une fois de plus par des intrigues diplomatiques les sacrifices sanglants de cette avance. Cependant, je crois que l’on aurait pu trouver un moyen si l’Angleterre ne s’était pas montrée décidée à priori à entrer de toute façon en guerre. Je n’ai pas cédé devant les Anglais, parce que je ne crois plus qu’on puisse maintenir la paix pendant plus de six mois, disons un an. Dans ces circonstances, j’estime qu’en dépit de tout, c’est maintenant le moment favorable pour la résistance. Actuellement, la supériorité de l’armée allemande en Pologne est si écrasante, dans tous les domaines techniques, que l’armée polonaise s’écroulera à très bref délai. Je me demande si ce succès rapide aurait encore pu être réalisé d’ici un an ou deux. L’Angleterre et la France auraient armé leur alliée dans une telle mesure que la supériorité technique écrasante de l’armée allemande n’aurait pas été aussi évidente. Je me rends compte, Duce, que la lutte que j’engage est une lutte à mort. Mon propre destin n’y joue aucun rôle ; mais je me rends compte aussi que l’on ne peut pas toujours éviter cette lutte, et qu’après avoir examiné de sang-froid la situation, il faut choisir le moment de la résistance, de façon à lui garantir vraisemblablement le succès, et je crois dur comme fer, Duce, à ce succès. Récemment, vous m’avez donné amicalement l’assurance que vous pensiez être à même de m’aider en divers domaines. Je vous en remercie à l’avance, avec une sincère gratitude. Mais je crois aussi que même si nous parcourons maintenant une route différente, la destinée nous unira finalement. Si l’Allemagne nationale-socialiste est détruite par les démocraties occidentales, l’Italie fasciste verra devant elle un avenir difficile. Je me suis personnellement toujours rendu compte de cette communauté dans l’avenir de nos deux Gouvernements, et je sais, Duce, que vous pensez de la même façon.
« En ce qui concerne la situation en Pologne, je voudrais seulement vous dire que nous laissons naturellement de côté tout ce qui n’a pas d’importance, que nous ne gaspillons pas une vie humaine pour des tâches secondaires, mais que nous dirigeons toutes nos forces en nous appuyant sur de grandes considérations stratégiques. L’armée polonaise du Nord, qui se trouve dans le Corridor, a déjà été complètement encerclée par notre action. Elle sera balayée, ou devra se rendre. Quant au reste, toutes les opérations se déroulent d’après le plan prévu. Les succès quotidiens des troupes dépassent de beaucoup tous les espoirs. La supériorité de notre aviation est complète, bien qu’on n’en ait engagé qu’un tiers en Pologne. À l’Ouest, je resterai sur la défensive. La France peut ici sacrifier son sang la première. Le moment viendra où nous pourrons faire face à l’ennemi, là aussi, avec toute la puissance de la nation.
« Acceptez encore mes remerciements, Duce, pour toute l’aide que vous m’avez donnée dans le passé, et je vous demande de ne pas me la refuser à l’avenir. »
Voilà qui complète les preuves que nous déposons pour cette partie du Procès, en ce qui concerne la guerre d’agression contre la Pologne, l’Angleterre et la France, exposée au chef d’accusation nº 2.
Plaise au Tribunal. Dans les premières heures de la matinée du 9 avril 1940, l’Allemagne nazie envahit la Norvège et le Danemark. Ma tâche est aujourd’hui de présenter au Tribunal les preuves du Ministère Public que nous avons préparées en collaboration avec mon collègue américain, le commandant Hinely, relativement à ces guerres brutales d’agression faites en violation de traités, assurances et accords internationaux. Avec la permission du Tribunal, j’aimerais tout d’abord traiter des accords et assurances qui furent effectivement violés par les deux invasions de la Norvège et du Danemark.
Ces invasions furent naturellement en premier lieu une violation des Conventions de La Haye et du Pacte Briand-Kellogg. Mon honorable ami, Sir David Maxwell-Fyfe, a déjà traité de ces questions au cours de son exposé des faits. Mais en plus de ces traités de caractère général, il y avait des accords spécifiques entre l’Allemagne, la Norvège et le Danemark. Tout d’abord, il existait un Traité d’arbitrage et de conciliation entre l’Allemagne et le Danemark qui fut signé à Berlin le 2 juin 1926. Le Tribunal trouvera ce Traité, TC-17, à la première page du livre de documents britannique nº 3. Le document porte le nº GB-76. Je me propose de lire simplement le premier article de ce Traité :
« Les Parties contractantes s’engageant à soumettre à la procédure d’arbitrage ou de conciliation, conformément aux clauses du présent Traité, tous les désaccords de quelque nature que ce soit qui pourraient s’élever entre l’Allemagne et le Danemark, et qu’il ne serait pas possible de régler dans un délai raisonnable par les procédés diplomatiques, ou de porter avec le consentement des deux Parties devant la Cour Permanente de Justice Internationale.
« Les conflits entre les deux parties contractantes pour la solution desquels une procédure spéciale a été prévue dans d’autres conventions en vigueur seront réglés en accord avec les clauses de telles conventions. »
Dans les articles suivants se trouve établie la procédure d’arbitrage.
Je voudrais maintenant mentionner le Traité de non-agression entre l’Allemagne et le Danemark, qui fut signé le 31 mai 1939 par l’accusé Ribbentrop, c’est-à-dire, le Tribunal s’en souvient, dix semaines après la prise de la Tchécoslovaquie par les nazis. Le Tribunal trouvera ce document sous le nº TC-24 dans le livre de documents ; il portera maintenant le nº GB-77.
Avec l’autorisation du Tribunal, il serait bon, étant donnée l’identité des signataires de ce Traité, de lire le préambule et les articles 1 et 2 :
« Le Chancelier du Reich allemand et Sa Majesté, le Roi de Danemark et d’Islande,
« Fermement résolus à maintenir la paix entre l’Allemagne et le Danemark, quelles que soient les circonstances, se sont entendus pour renforcer cette résolution au moyen d’un Traité, et ont accrédité comme plénipotentiaires :
« Le Chancelier du Reich allemand…
« Sa Majesté le Roi de Danemark et d’Islande…
« Article premier. – L’Empire allemand et le Royaume de Danemark n’auront jamais recours entre eux à la guerre ou à tout autre moyen de violence.
« Si une action conforme à la définition donnée dans le premier paragraphe est entreprise par une troisième puissance contre l’une des parties contractantes, l’autre partie contractante ne sanctionnera, en aucune façon, une semblable action. »
L’article 2 traite de la ratification du Traité, et il est dit au second paragraphe :
« Le Traité entrera en vigueur par l’échange des instruments de ratification, et sera valable pour une période de dix ans, à compter de ce jour… »
Comme le Tribunal peut l’observer, cette ratification eut lieu le 31 mai 1939. Au bas de la page apparaît la signature de l’accusé Ribbentrop. Le Tribunal verra bientôt que moins d’un an après la signature de ce Traité, l’invasion du Danemark par les forces nazies devait montrer à quel point les traités signés par l’accusé Ribbentrop avaient peu de valeur.
En ce qui concerne la Norvège, l’accusé Ribbentrop et les conspirateurs nazis étaient complices d’une perfidie semblable. Je mentionne tout d’abord le document TC-30, qui figure à la suite de ceux que nous venons de mentionner dans le livre de documents britannique nº 3, et qui portera le nº GB-78. Le Tribunal y trouvera les assurances données au Danemark, à la Norvège, à la Belgique et aux Pays-Bas, le 28 avril 1939.
Naturellement, c’était après l’annexion de la Tchécoslovaquie, qui avait déjà ébranlé la confiance du monde. C’était probablement une tentative – le Ministère Public la présente comme une tentative malhonnête – pour rassurer les États Scandinaves. L’assurance est donnée dans un discours de Hitler dont voici les termes :
« … J’ai fait à de nombreux États des déclarations qui me lient. Aucun de ces États ne peut se plaindre que l’Allemagne leur ait présenté même l’ombre d’une exigence contraire à ces déclarations. Aucun des hommes d’État Scandinaves, par exemple, ne peut prétendre que le Gouvernement allemand et l’opinion publique allemande aient jamais exprimé une prétention incompatible avec la souveraineté et l’intégrité de leur État.
« Je suis satisfait que nombre d’États européens aient saisi l’occasion de ces déclarations du Gouvernement allemand pour exprimer avec force leur désir d’une neutralité absolue. Ceci vaut pour la Hollande, la Belgique, la Suisse, le Danemark, etc. »
Une autre assurance encore fut donnée par le Gouvernement nazi le 2 septembre 1939, c’est-à-dire, le Tribunal s’en souvient, le lendemain de l’invasion de la Pologne par les nazis. Le Tribunal peut voir le document suivant TC-31 dans le livre de documents britannique nº 3, qui portera désormais le nº GB-79. C’est une note additionnelle qui fut remise au ministre des Affaires étrangères norvégien par l’ambassadeur allemand à Oslo, le 2 septembre 1939. Il y est dit :
« Le Gouvernement du Reich allemand est décidé, étant donné les relations amicales qui existent entre la Norvège et l’Allemagne, à ne violer en aucune circonstance l’intangibilité et l’intégrité de la Norvège, et à respecter le territoire de l’État norvégien. En faisant cette déclaration, le Gouvernement du Reich espère naturellement que de son côté la Norvège observera une neutralité absolue envers le Reich et ne souffrira aucune atteinte à sa neutralité de la part d’une tierce puissance. Si l’attitude du Gouvernement royal de Norvège en cas de violation de la neutralité par une tierce puissance était différente, le Gouvernement du Reich se trouverait évidemment dans l’obligation de sauvegarder les intérêts du Reich suivant les nécessités imposées par la situation. »
Suit enfin une assurance des Allemands à la Norvège, document TC-32, le suivant dans le livre de documents qui sera déposé sous le nº GB-80. C’est un discours prononcé par Hitler le 6 octobre 1939, je prie le Tribunal de considérer au paragraphe 2, en haut de la page, un extrait de ce discours :
« L’Allemagne n’a jamais eu de conflits d’intérêts ou même de sujets de controverse avec les États Scandinaves ; elle n’en a pas davantage aujourd’hui. La Suède et la Norvège se sont vues toutes les deux proposer des pactes de non-agression par l’Allemagne, et elles n’ont refusé que parce qu’elles ne se jugent menacées en aucune façon. »
Telles sont les assurances claires et positives données par l’Allemagne. Le Tribunal peut voir que la violation de ces assurances est mentionnée au paragraphe XXII de l’appendice C de l’Acte d’accusation, page 43. Le Tribunal remarquera qu’il y a une petite erreur typographique pour la date de la première assurance qui, d’après l’Acte d’accusation, aurait été donnée le 3 septembre 1939. Le Tribunal peut voir, d’après le document TC-31 (GB-79), que cette assurance fut donnée en fait le 2 septembre 1939.
Ces traités et assurances étaient l’arrière-plan diplomatique devant lequel se déroula l’agression brutale des nazis contre la Norvège et le Danemark. Le Ministère Public veut maintenant montrer au Tribunal et établir, à mon avis sans aucun doute possible, que ces assurances ne furent données que pour endormir les soupçons, de sorte que les victimes présumées de l’agression nazie ne puissent se préparer à résister à leur attaque. Car nous savons maintenant que, dès octobre 1939, ces conspirateurs et leurs complices complotaient l’invasion de la Norvège, et les preuves montreront que les instigateurs les plus actifs de ce complot étaient les accusés Raeder et Rosenberg.
L’invasion de la Norvège, à un certain point de vue, n’est pas une agression typiquement nazie, étant donné que Hitler dut être poussé pour s’y engager. Les principaux agents de persuasion étaient Raeder et Rosenberg ; Raeder, parce qu’il pensait que la Norvège avait une importance stratégique, et parce qu’il avait de glorieuses ambitions pour sa Marine, et Rosenberg à cause de ses relations politiques en Norvège qu’il cherchait à accroître.
Comme le Tribunal le verra bientôt, l’accusé Rosenberg trouva dans le norvégien Vidkun Quisling le type même de l’agent de la Cinquième colonne, la véritable personnification de la perfidie.
Les preuves relatives aux premières phases du complot nazi en vue de l’invasion de la Norvège apparaissent dans une lettre que l’accusé Raeder écrivit le 10 janvier 1944, à l’amiral Assmann, historien officiel de la marine allemande.
Je dépose cette lettre qui est le document C-66, qui devient GB-81 et que le Tribunal trouvera plus loin dans ce livre de documents. Il faudrait que j’explique que les documents sont insérés dans ce livre par ordre numérique des séries auxquelles ils appartiennent, et non pas dans l’ordre de leur présentation au Tribunal. Je suis persuadé qu’il est plus pratique de les grouper de cette façon que dans l’ordre chronologique de leur présentation. C’est le document C-66. Il porte comme titre : « Mémorandum à l’amiral Assmann pour son information personnelle. À ne pas publier. »
Le Tribunal remarquera que la première page traite du « Cas Barbarossa ». Si le Tribunal passe à la page suivante, intitulée : « b) Weser-Übung », le Tribunal trouvera dans les documents que je lui présenterai d’ici peu que « Weser-Übung » est le mot-code qui désigne l’invasion de la Norvège et du Danemark.
Je sauterai la première phrase. Ce document qui est, comme je l’ai dit, une communication de l’accusé Raeder à Assmann, est ainsi libellé :
« Pendant les semaines qui ont précédé le rapport du 10 octobre 1939, j’ai été en correspondance avec l’amiral Carls qui, dans une lettre détaillée qu’il m’a adressée, m’a fait remarquer l’importance primordiale d’une occupation de la côte norvégienne par l’Allemagne. J’ai transmis cette lettre à C-Skl » – qui est le chef d’État-Major de la Marine – « pour son information, et j’ai préparé, sur la base de cette lettre… quelques notes pour le rapport au Führer que j’ai fait le 10 octobre 1939, puisque mon opinion était identique à celle de l’amiral Carls, tandis qu’à la même époque Skl était plus sceptique sur cette question. J’ai fait remarquer dans cette note les désavantages qu’une occupation de la Norvège par les Britanniques présenterait pour nous : contrôle des abords de la Baltique, débordement de notre base d’opérations navales et d’attaques aériennes contre l’Angleterre, pression sur la Suède. J’ai également souligné les avantages que présenterait pour nous l’occupation des côtes norvégiennes : débouchés dans l’Atlantique Nord, aucune possibilité pour les Britanniques d’établir un barrage de mines, comme en 1917 et 1918. Naturellement à l’époque, seules les côtes et les bases ont été considérées. J’y avais inclus Narvik, bien que dans notre correspondance l’amiral Carls ait pensé que Narvik pouvait être laissé en dehors… Le Führer a vu aussitôt l’intérêt du problème norvégien ; il m’a demandé de lui laisser cette note et dit qu’il désirait examiner la question lui-même. »
Je ne continuerai pas la lecture de ce document pour le moment, j’y reviendrai plus tard afin que l’histoire soit exposée au Tribunal dans son ordre chronologique.
Ce rapport de Raeder, selon moi, montre que toute l’évolution de cette campagne nazie contre la Norvège est un bel exemple de la participation du Haut Commandement allemand au complot nazi pour attaquer des voisins inoffensifs.
Cette lettre, dont je viens de lire un extrait, révèle que Raeder avait rapporté à Hitler, le 10 octobre 1939…
De quand date ce rapport ?
Ce rapport, document C-66, fut adressé en janvier 1944 par l’accusé Raeder à Assmann qui était l’historien de la marine allemande, et était donc, probablement, destiné à l’Histoire.
Avant de faire transmettre au Führer ce rapport du 10 octobre 1939. Raeder avait changé d’avis sur la question de l’invasion de la Norvège. Le 3 octobre, Raeder établit un questionnaire sur lequel j’attire maintenant l’attention du Tribunal. C’est le document C-122, et le Tribunal le trouvera dans le livre de documents, deux documents après le document C-66, il portera désormais le nº GB-82.
Comme le Tribunal pourra le remarquer, il porte pour titre : « Acquisition de bases en Norvège » (Extrait du Journal de Guerre) et il est daté du 3 octobre 1939. On y lit :
« Le chef de l’État-Major de la Marine » – qui était l’accusé Raeder – « considère qu’il est nécessaire que le Führer soit informé aussitôt que possible des opinions de l’État-Major de la Marine, sur les possibilités d’étendre vers le Nord la base d’opérations. Il faut s’assurer s’il est possible d’acquérir des bases en Norvège, sous la pression combinée de la Russie et de l’Allemagne, dans le but d’améliorer notre position stratégique et notre position opérative. Les questions suivantes doivent être examinées :
« a) Quels lieux situés en Norvège peuvent être considérés comme des bases ?
« b) Est-il possible d’acquérir des bases par la force des armes, contre la volonté de la Norvège, au cas où cela serait impossible sans combattre ?
« c) Quelles sont les possibilités de défense après l’occupation ?
« d) Les ports devront-ils être complètement transformés en bases, ou comportent-ils déjà des avantages permettant de les utiliser comme postes de ravitaillement ? »
Puis suit entre parenthèses :
« (B.d.U. » – référence technique de l’accusé Dönitz, signifiant Commandant en chef des sous-marins – « considère dès à présent que de tels ports sont extrêmement utiles comme bases d’équipement et de ravitaillement pour les sous-marins de l’Atlantique qui y feraient escale de façon temporaire.) »
Puis la question :
« e) Quels avantages décisifs apporterait à la conduite de la guerre sur mer l’acquisition de bases au Nord du Danemark, Skagen par exemple ? »
Nous avons en notre possession un document C-5 ; pour le trouver le Tribunal devra revenir, dans le livre de documents, au premier des documents « C ». Celui-ci deviendra la pièce GB-83.
C’est un mémorandum sur les bases norvégiennes écrit par l’accusé Dönitz. Il a vraisemblablement trait au questionnaire de l’accusé Raeder, questionnaire qui, comme je l’ai indiqué, avait été transmis à l’époque. Ce document porte le titre « Commandant en chef des sous-marins, Division des opérations ». Il est indiqué comme « très secret » et traite de la question : « Base en Norvège. »
Ensuite sont exprimés les « hypothèses », les « avantages et désavantages », et ensuite les « conclusions ». Je me propose de lire le dernier paragraphe, III :
« En conséquence, les propositions suivantes sont faites :
« 1. Établissement d’une base à Trondheim, comprenant :
« a) Possibilités de ravitaillement en carburant, air comprimé, oxygène et vivres ;
« b) Possibilités de réparation pour travail normal de révision après opérations ;
« c) Possibilités satisfaisantes de logement des équipages de sous-marins ;
« d) Protection anti-aérienne, artillerie côtière, unités de patrouille et de recherche de mines.
« 2. Installation de possibilités de ravitaillement en carburant à Narvik, à défaut de la première possibilité. »
Ceci est un mémorandum de Dönitz.
Maintenant, comme le Tribunal l’a vu dans le rapport de Raeder à Assmann, en octobre 1939, Hitler ne considérait que l’agression contre la Norvège, et ne s’était pas encore engagé à l’exécuter, bien que, comme le Tribunal le verra bientôt, il fût très porté sur toutes les suggestions concernant l’agression du territoire d’un autre pays.
Les documents montreront que l’accusé Raeder persista à présenter son point de vue concernant la Norvège, et qu’il trouva, à ce moment, un allié puissant en la personne de l’accusé Rosenberg.
L’emploi de traîtres par les nazis, et l’instigation à la trahison en tant qu’arme politique, sont malheureusement des faits maintenant prouvés par l’Histoire. Mais s’il fallait une autre preuve de cette affirmation, on la trouverait dans le document remarquable que j’invite maintenant le Tribunal à examiner. Il s’agit du document 007-PS qui se trouve après les séries TC et D dans le livre de documents. Ce sera le document GB-84. Il porte pour titre, à la page 1 « Bref rapport sur les activités du bureau des Affaires étrangères du Parti de 1933 à 1943 » (Aussenpolitisches Amt der NSDAP). On y lit :
« Quand le bureau des Affaires étrangères (Aussenpolitische Amt) fut fondé le 1er avril 1933, le Führer indiqua qu’il ne devait pas se développer sous la forme d’un service bureaucratique de grandes dimensions, mais qu’il devait plutôt déployer son efficacité grâce à des initiatives et des suggestions.
« En correspondance avec l’attitude extraordinairement hostile adoptée dès le début par le Gouvernement soviétique à Moscou, le bureau nouvellement fondé consacra une attention toute particulière aux conditions intérieures de l’Union soviétique, ainsi qu’aux effets exercés par le bolchevisme mondial, particulièrement dans les autres pays européens. Il entra en contact avec les groupes les plus divers, ayant tendance à se rapprocher du national-socialisme dans sa lutte contre le bolchevisme, concentrant principalement son attention sur les nations et les États limitrophes de l’Union soviétique. D’une part ces nations et ces États constituaient un cordon sanitaire encerclant le voisin bolchevique ; d’autre part, ils constituaient l’aile marchante de l’espace vital allemand, et en protégeaient le flanc envers les puissances occidentales, et particulièrement la Grande-Bretagne. Afin d’exercer d’une manière ou d’une autre l’influence souhaitée » – et le Tribunal verra bientôt la signification de cette phrase – « le bureau dut utiliser les méthodes les plus diverses, en prenant en considération les conditions d’existence les plus différentes, les liens du sang et de l’esprit et l’histoire des mouvements observés dans ces pays.
« En Scandinavie, une attitude ouvertement favorable aux Anglo-saxons, basée sur des considérations économiques, s’était peu à peu affirmée après la guerre mondiale de 1914-1918 : le bureau porta donc tout son effort sur les relations culturelles d’ordre général avec les peuples nordiques. Dans ce but, il prit sous sa protection la société nordique de Lubeck. De nombreuses et éminentes personnalités, finlandaises particulièrement, assistaient aux réunions de cette Société organisées par le Reich. Alors qu’il n’existait aucune possibilité de coopération purement politique avec la Suède et le Danemark, une association fondée sur l’idéologie de la Grande Allemagne fut fondée en Norvège. Des relations très étroites furent établies avec son fondateur, et eurent par la suite certaines conséquences. »
Si le Tribunal veut bien se référer à la fin de la partie essentielle de ce rapport, quatre pages plus loin. Je remarque dans les pages intermédiaires un compte rendu de l’activité des services de Rosenberg, non seulement dans les différentes parties de l’Europe mais encore du monde, que je ne me propose pas de soumettre pour le moment à l’attention du Tribunal ; mais si le Tribunal veut bien lire le dernier paragraphe de cette partie essentielle du rapport qui porte la signature de l’accusé Rosenberg, les deux dernières phrases disent :
« Avec le déclenchement de la guerre, le service pouvait considérer que sa tâche était achevée. L’exploitation de nombreuses relations personnelles dans beaucoup de pays pourra être réalisée maintenant d’une façon différente. »
Si le Tribunal veut bien passer à l’annexe du document qui se trouve à la page suivante, il pourra apprécier ce que signifiait « l’exploitation de relations personnelles ».
L’annexe I du document est intitulée « Annexe I au bref rapport sur l’activité du bureau des Affaires étrangères du parti nazi de 1933 à 1943 ». Elle porte en titre « Préparation politique de l’occupation militaire de la Norvège pendant les années de guerre 1939-1940 ». On y peut lire :
« Comme il a été mentionné plus haut, de tous les groupements politiques en Scandinavie, seul le “Nasjonal Samling”, dirigé en Norvège par l’ancien ministre de la Guerre, commandant de réserve Vidkun Quisling, méritait qu’on lui portât attention au point de vue politique. C’était un groupe politique combatif, animé de l’idée d’une grande communauté germanique. Naturellement, toutes les puissances régnantes lui étaient hostiles, et essayaient de l’empêcher, par tous les moyens, de réussir auprès de la population. Le bureau maintenait une liaison constante avec Quisling et observait attentivement les attaques qu’il menait avec une énergie tenace contre la classe moyenne qui avait été prise en remorque par les Anglais. Depuis le début, il semblait probable que sans des événements révolutionnaires qui agiteraient la population et lui feraient modifier son attitude précédente, on ne pouvait espérer aucun progrès heureux du “Nasjonal Samling”. Pendant l’hiver 1938-1939, Quisling reçut secrètement la visite d’un membre du Bureau. Quand la situation politique en Europe devint critique en 1939, Quisling parut en juin à la réunion de la Société nordique à Lubeck. Il exposa sa conception de la situation et ses appréhensions au sujet de la Norvège. Il insista beaucoup sur l’importance décisive de la Norvège dans la région Scandinave au point de vue géo-politique, et sur les avantages que détiendrait la puissance qui contrôlerait la côte norvégienne en cas de conflit entre le Reich Grand-Allemand et la Grande-Bretagne. Présumant que ces déclarations intéresseraient particulièrement le Reichsmarschall Göring, pour des raisons de stratégie aérienne, le Bureau mit Quisling en relation avec le secrétaire d’État Körner. Le Directeur de cabinet du bureau remit au chef de la Chancellerie du Reich un mémorandum à transmettre au Führer… »
Dans la dernière partie de ce document, que je lirai à un stade ultérieur de mon exposé, le Tribunal verra comment Quisling entra en contact avec Raeder. Le Ministère Public est d’avis que ce document constitue un autre exemple de l’interpénétration des commandements politique et militaire de l’État nazi, et de l’union étroite existant entre les militaires de profession et les bandits de profession.
L’accusé Raeder, dans son rapport à l’amiral Assmann, a reconnu sa collaboration avec Rosenberg et j’invite le Tribunal à porter une fois de plus son attention sur le document C-66, qui est la pièce GB-81. Dans la page qui porte le titre « Weser-Übung », second paragraphe du rapport de Raeder, on lit :
« Au cours de développements ultérieurs, j’eus le soutien du capitaine de corvette Schreiber, attaché naval à Oslo et directeur des équipages, en liaison avec l’organisation Rosenberg. Nous sommes ainsi entrés en contact avec Quisling et Hagelin qui vinrent à Berlin au commencement de décembre, et furent présentés au Führer par moi-même, avec l’approbation du Reichsleiter Rosenberg… »
J’attirerai plus tard l’attention du Tribunal sur les événements de décembre.
Les détails sur la manière dont l’accusé Raeder entra personnellement en contact avec Quisling ne sont pas très clairs. Mais j’attire l’attention du Tribunal sur le document C-65, qui précède…
Voudriez-vous lire la fin de ce paragraphe ?
Avec votre permission, j’aimerais y revenir à un stade ultérieur de mon exposé.
Le document C-65, qui portera le nº GB-85, contient un rapport de Rosenberg à Raeder, qui montre toute l’étendue des préparatifs de trahison de Quisling et les incomparables services qu’il rendit aux agresseurs nazis, tels qu’ils furent indiqués et dévoilés à l’accusé Raeder.
Le paragraphe 1 de ce rapport est relatif aux questions que j’ai déjà traitées en lisant la déclaration de Rosenberg (document PS-007). Le Tribunal voudra bien se reporter au second paragraphe du document GB-85 (C-65) ; en voici le texte :
« Les raisons d’un coup de main, exposées dans un rapport de Quisling, sont que le “Storthing”, c’est-à-dire le Parlement norvégien, en violation de la Constitution, a pris une résolution prolongeant son existence, à dater du 12 janvier. Quisling entretient encore, à titre de vieil officier et d’ex-ministre de la Guerre, des relations très étroites avec l’armée norvégienne. Il m’a montré l’original d’une lettre qu’il avait reçue peu de temps auparavant du Commandant en chef de Narvik, le colonel Sunlo. Dans cette lettre, le colonel Sunlo déclare avec énergie : « Si les choses continuent au même rythme, c’en est fait de la Norvège. »
Si le Tribunal veut bien passer à la page suivante de ce document, les deux derniers paragraphes lui donneront les détails du complot de trahison fomenté par le traître Quisling en vue de renverser le Gouvernement de son propre pays, en collaboration avec l’accusé Rosenberg.
« On a établi un projet relatif aux possibilités d’un coup de main et prévoyant la sélection d’un certain nombre de Norvégiens pour subir en Allemagne un entraînement aussi rapide que possible dans ce but. Ils se verront assigner des buts précis et adjoindre des nationaux-socialistes pleins d’expérience, des hommes endurcis et habitués à de telles opérations. Ces hommes ainsi entraînés se rendront ensuite le plus rapidement possible en Norvège où il serait alors nécessaire de mettre au point les détails. Quelques quartiers importants d’Oslo devront être occupés immédiatement, et en même temps, la flotte allemande ainsi que des contingents appropriés de l’armée allemande, entreront en action, dans une baie désignée à l’avance à proximité d’Oslo, sur un appel spécial du nouveau Gouvernement norvégien. Quisling est persuadé qu’un tel coup de main, exécuté immédiatement, lui vaudrait l’approbation instantanée des unités de l’Armée avec lesquelles il est resté en liaison. Il va sans dire qu’il n’a jamais discuté avec eux la question d’une lutte politique. Quant au Roi, il s’inclinerait, de l’avis de Quisling, devant le fait accompli. »
Les événements ont montré combien Quisling pouvait se tromper dans cette anticipation.
Et voici la dernière phrase :
« Quisling indique le chiffre des effectifs allemands nécessaires, en accord avec les prévisions allemandes. »
Le Tribunal admettra qu’il n’y a pas de mot assez fort dans tout le vocabulaire des injures pour qualifier un tel degré de traîtrise.
Ce document est-il daté ?
Ce document ne porte pas de date.
L’audience est levée.