QUINZIÈME JOURNÉE.
Vendredi 7 décembre 1945.

Audience de l’après-midi.

M. ROBERTS

Plaise au Tribunal. À la suspension de l’audience j’en étais arrivé aux événements du 10 mai 1940. À 4 h. 30 du matin, les Allemands envahissaient ces trois petits pays sans avertissement aucun ; violation projetée et décidée des mois auparavant, comme le Ministère Public l’a montré à la lumière des documents.

Votre Honneur, avant d’en terminer avec cette présentation, puis-je citer en conclusion trois documents ? L’invasion s’étant produite à 4 h. 30 du matin dans chacun des trois pays, les ambassadeurs d’Allemagne appelèrent les représentants de ces trois Gouvernements quelques heures plus tard et leur remirent un document qui était le même pour chacun et qu’on intitule mémorandum ou ultimatum. Votre Honneur, un compte rendu de ce qui est arrivé en Belgique figure au document TC-58 de notre documentation, le cinquième environ avant la fin du cahier. Il porte l’en-tête : « Extrait. Belgique. – Compte rendu officiel des événements 1939-1940 » ; j’ai un exemplaire original certifié par le Gouvernement belge ; c’est la pièce GB-111.

Votre Honneur, puis-je en lire de courts extraits ? Je lis le troisième paragraphe :

« À partir de 4 h. 30, nous reçûmes des informations qui ne laissèrent pas l’ombre d’un doute : l’heure avait sonné. On nous signala d’abord des avions vers l’Est. À cinq heures, on fut informé du bombardement de deux aérodromes des Pays-Bas, de la violation de la frontière belge, du débarquement de soldats allemands au fort de Eben-Emaël et du bombardement de la gare de Jemelle. »

Votre Honneur, je pense pouvoir passer maintenant deux paragraphes :

« À 8 h. 30 du matin, l’ambassadeur d’Allemagne se présenta au ministère des Affaires étrangères. Lorsqu’il pénétra dans le bureau du Ministre, il commença par retirer un papier de sa poche. M. Spaak – c’est le Ministre belge – l’arrêta : “Excusez-moi, monsieur l’Ambassadeur, je parlerai le premier”. Et d’une voix indignée il lut la protestation du Gouvernement belge :

« Monsieur l’Ambassadeur, l’armée allemande vient d’attaquer notre pays. Pour la deuxième fois en l’espace de 25 ans, l’Allemagne commet un acte d’agression criminelle contre une Belgique neutre et loyale. Ce qui vient d’arriver est peut-être encore plus odieux que l’agression de 1914 ; le Gouvernement belge n’a reçu auparavant aucun ultimatum, aucune note, aucune protestation d’aucun genre. C’est par l’attaque elle-même que la Belgique a appris la violation par l’Allemagne des garanties qu’elle avait données le 13 octobre 1937 et renouvelées spontanément au début de la guerre. L’acte d’agression commis par l’Allemagne et pour lequel il n’y a aucune justification frappera d’une profonde indignation la conscience du monde. Le Reich allemand en sera tenu pour responsable devant l’Histoire. La Belgique est résolue à se défendre. Sa cause, qui est la cause du Droit, ne peut être vaincue. »

Je passe le paragraphe suivant : « L’ambassadeur lut la note… », puis, dans le dernier paragraphe : « L’ambassadeur en était arrivé à la moitié de sa communication lorsque M. Spaak, ayant à ses côtés le Secrétaire général, l’interrompit : “Donnez-moi le document, dit-il, je voudrais vous éviter une tâche aussi pénible”. Après avoir étudié cette note M. Spaak se contenta de souligner qu’il y avait déjà répondu dans la protestation qu’il venait d’émettre. »

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal aimerait que vous lisiez la note de l’ambassadeur.

M. ROBERTS

Excusez-moi. Je pensais au document que j’allais lire. Je lis le dernier paragraphe de la première page :

« L’ambassadeur fut alors à même de lire la note qu’il avait apportée. “Je suis habilité par le Gouvernement du Reich, dit-il, pour faire la déclaration suivante : Afin d’empêcher l’invasion de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg, invasion pour laquelle la Grande-Bretagne et la France ont fait des préparatifs manifestement dirigés contre l’Allemagne, le Gouvernement du Reich est obligé de recourir aux armes pour assurer la neutralité des trois pays mentionnés. Dans ce but, le Gouvernement du Reich mettra sur pied une Force armée considérable afin de rendre vaine toute résistance. Le Gouvernement du Reich garantit les territoires européens et coloniaux de la Belgique ainsi que sa dynastie à condition qu’aucune résistance ne lui soit opposée. Dans le cas contraire, la Belgique risquera d’être détruite et de perdre son indépendance. Il est donc de l’intérêt de la Belgique de demander à la population de cesser toute résistance et de donner les instructions nécessaires aux autorités afin qu’elles se mettent en contact avec le Commandant militaire allemand”. »

Votre Honneur, ce soi-disant ultimatum, présenté quelques heures après que l’invasion eût commencé, est le document TC-57, le troisième à partir de la fin du cahier. C’est le document que j’ai déposé et qui devient GB-112. C’est un long document, Votre Honneur, et je lirai au Tribunal les parties qu’il jugera nécessaires :

« Le Gouvernement du Reich » – c’est le début – « n’a eu pendant longtemps aucun doute sur le but principal de la politique de guerre française et anglaise. Elle consiste à amener la guerre dans d’autres pays et à se servir de leurs peuples comme troupes auxiliaires et mercenaires au service de la France et de l’Angleterre.

« Le dernier essai de cet ordre fut le plan d’occupation de la Scandinavie avec l’aide de la Norvège, destiné à créer un nouveau front contre l’Allemagne dans cette région. Ce fut seulement l’action de la dernière heure entreprise par l’Allemagne qui empêcha ce projet de se réaliser. L’Allemagne en a fourni des preuves évidentes aux yeux du monde.

« Immédiatement après l’échec de l’action anglo-française en Scandinavie, l’Angleterre et la France entreprirent leur politique d’expansion de la guerre dans une autre direction. À cet effet, tandis que la retraite… de Norvège était encore en cours, le Premier Ministre anglais annonça, comme un résultat du changement de situation en Scandinavie, que l’Angleterre se trouvait une fois de plus dans une situation qui lui permettait de transférer tout le poids de sa Marine en Méditerranée et que les unités anglaises et françaises étaient déjà en route vers Alexandrie. La Méditerranée devint alors le centre de la propagande de guerre anglo-française. Ceci était destiné en partie à pallier la défaite subie en Scandinavie et la grande perte de prestige aux yeux de leurs propres peuples et aux yeux du monde, en partie à faire croire que les Balkans avaient été choisis pour être le prochain théâtre de guerre contre l’Allemagne.

« En réalité, cependant, cette apparente modification de la politique de guerre anglo-française visant désormais la Méditerranée, avait un tout autre but. Ce n’était rien d’autre qu’une manœuvre de diversion de grand style, destinée à tromper l’Allemagne sur la direction de la prochaine attaque anglo-française ; car, comme le Gouvernement du Reich le savait depuis longtemps, le but véritable de l’Angleterre et de la France était l’attaque de l’Allemagne à l’Ouest, attaque préparée avec soin et maintenant imminente, qui devait se développer à travers la Belgique et la Hollande, pour atteindre la région de la Ruhr.

« L’Allemagne a reconnu et a respecté l’inviolabilité de la Belgique et de la Hollande, car il est sous-entendu évidemment que ces deux pays, au cas où l’Allemagne entrerait en guerre contre l’Angleterre et la France, maintiendraient la neutralité la plus stricte.

« La Belgique et les Pays-Bas n’ont pas rempli cette condition. »

LE PRÉSIDENT

Monsieur Roberts, croyez-vous qu’il soit nécessaire de lire ceci en entier ?

M. ROBERTS

Non, je ne pense pas. J’allais résumer ces accusations. Votre Honneur voudrait-il avoir la bonté de regarder au bas de la première page ? Il y verra le soi-disant ultimatum s’élevant contre les expressions hostiles employées par la presse belge et hollandaise. Ensuite, au paragraphe 2 de la page suivante, on parle d’essais faits par le service de renseignements britannique pour amener la révolution en Allemagne, avec l’aide de la Belgique et des Pays-Bas. Puis, Votre Honneur, il est fait allusion, au troisième paragraphe, aux préparatifs militaires de ces deux pays ; et dans le paragraphe 4, on souligne que la Belgique a fortifié la frontière germano-belge.

Le paragraphe 5 contient une protestation concernant la Hollande, des avions britanniques ayant survolé le territoire des Pays-Bas.

Il y a d’autres accusations concernant la neutralité de ces deux pays bien qu’aucun exemple ne soit donné. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de parler de la page 3 du document.

Dans la page 4, j’aimerais lire le paragraphe du milieu : « Dans cette lutte pour la vie imposée au peuple allemand par l’Angleterre et la France, le Gouvernement du Reich n’est pas disposé à attendre tranquillement que la France et l’Angleterre l’attaquent et à leur permettre d’amener la guerre sur le sol d’Allemagne à travers la Belgique et les Pays-Bas. »

Je souligne cette phrase, Votre Honneur, puis j’interromprai ma lecture : « Il a donc donné l’ordre aux troupes allemandes d’assurer la neutralité de ces pays par tous les moyens militaires à la disposition du Reich. »

Il n’est pas nécessaire que j’insiste dans mon examen sur la fausseté de cette déclaration. Le monde sait maintenant que pendant des mois, des préparatifs militaires avaient été faits pour violer la neutralité de ces trois pays. Ce document dit que les ordres d’agir dans ce sens ont été maintenant donnés.

Un document analogue, formulé dans les mêmes termes fut donné aux représentants du Gouvernement des Pays-Bas. C’est, Votre Honneur, le TC-60 qui sera le GB-113, l’avant-dernier document du cahier. C’est le mémorandum adressé au Gouvernement du Luxembourg qui contenait copie des mémorandums présentés aux Gouvernements de la Belgique et des Pays-Bas.

Je désire seulement insister sur le second paragraphe du TC-60 : « Par mesure de défense contre l’attaque imminente, les troupes allemandes ont maintenant reçu l’ordre de défendre la neutralité de ces deux pays… »

Votre Honneur, le dernier document, TC-59, que j’ai déposé précédemment était le GB-111. C’est la protestation pleine de dignité du Gouvernement belge au sujet du crime commis contre la Belgique. Ce sont les faits venant à l’appui des charges de violation des traités et assurances envers ces trois pays et à l’appui de l’accusation d’avoir mené contre eux une guerre d’agression. Votre Honneur, dans l’exposé respectueux que le Ministère Public aura fait ici, cette histoire est très claire et très simple : c’est une histoire de perfidie, de déshonneur et de honte.

COLONEL H. J. PHILLIMORE (substitut du Procureur Général britannique)

Plaise au Tribunal. Ma tâche est de vous présenter des preuves concernant les guerres d’agression et les violations de traités contre la Grèce et la Yougoslavie. Les preuves que je présenterai au Tribunal ont été préparées en collaboration avec mon collègue américain, le lieutenant-colonel Krucker.

L’invasion de la Grèce et de la Yougoslavie par les Allemands qui commença de bonne heure le matin du 6 avril 1941, était nettement une violation de la Convention de La Haye de 1899 pour la solution pacifique des différends internationaux ainsi que du Pacte Briand-Kellogg de 1928. Ces violations figurent respectivement aux paragraphes I et XIII de l’appendice C de l’Acte d’accusation. Toutes deux ont déjà été exposées par mon éminent ami, Sir David Maxwell-Fyfe, qui a exposé également l’obligation que, d’après ces Pactes, le Gouvernement allemand avait contractée vis-à-vis des Gouvernements de la Yougoslavie et de la Grèce.

Dans le cas de la Yougoslavie, l’invasion constituait en plus une violation d’une assurance expresse donnée par les nazis et qui est reproduite au paragraphe XXVI de l’appendice C. Cette assurance fut donnée originairement dans un document du ministère allemand des Affaires étrangères, fait à Berlin le 28 avril 1938, mais elle fut répétée ensuite par Hitler lui-même le 6 octobre 1939 dans un discours qu’il fit au Reichstag ; c’est principalement sur ce dernier fait que l’Acte d’accusation s’est basé.

Puis-je demander au Tribunal de prendre maintenant le premier texte du livre de documents nº 5 ? C’est le PS-2719, il fait partie du document qui a déjà été déposé sous le nº GB-58. C’est le texte du ministère allemand des Affaires étrangères, en date du 28 avril 1938 ; je voudrais en lire le début et ensuite l’avant-dernier paragraphe de la page :

« Berlin, 28 avril 1938. Le secrétaire d’État allemand aux Affaires étrangères, aux représentants diplomatiques allemands.

« Comme conséquence de la réunion de l’Autriche au Reich, nous avons maintenant de nouvelles frontières du côté de l’Italie, de la Yougoslavie, de la Suisse, du Liechtenstein et de la Hongrie. Ces frontières sont considérées par nous comme définitives et inviolables. À ce sujet nous avons fait spécialement les déclarations suivantes :… »

Et maintenant passons au dernier paragraphe :

« 3. Yougoslavie.

« Les autorités allemandes ont informé le Gouvernement yougoslave que la politique allemande n’a pas de visées au-delà de l’Autriche et que la frontière yougoslave resterait de toute façon telle qu’elle est.

« Dans son discours qui eut lieu à Graz le 3 avril, le Führer Chancelier déclara que, au sujet de la réunion de l’Autriche, la Yougoslavie et la Hongrie ont adopté la même attitude que l’Italie. Nous sommes heureux d’avoir ces frontières qui nous délivrent de toute anxiété quant à leur protection militaire. »

Je passerai ensuite, si vous le voulez bien, au deuxième document du livre, TC-92, et je le dépose sous le nº GB-114. C’est l’extrait d’un discours de Hitler prononcé à un dîner donné en l’honneur du Prince Régent de Yougoslavie le 1er juin 1939. Je vais lire cet extrait en entier :

« L’amitié de l’Allemagne pour la nation yougoslave n’est pas seulement une amitié spontanée. Elle a gagné en profondeur et en solidité au milieu de la confusion tragique de la guerre mondiale. Le soldat allemand apprit alors à apprécier et à respecter l’extrême bravoure de son adversaire. Je crois que ce sentiment fut payé de retour. Ce respect mutuel est rehaussé par les intérêts politiques, culturels et économiques communs. Nous considérons donc la visite actuelle de Votre Altesse Royale comme une preuve vivante de la justesse de notre point de vue, et, en même temps, ceci nous permet de formuler l’espoir que l’amitié germano-yougoslave continuera à se développer dans l’avenir et à devenir de plus en plus étroite.

« En présence de Votre Altesse Royale, nous trouvons aussi l’occasion heureuse d’un échange de vues amical et franc qui, j’en suis convaincu, ne peut être qu’utile à nos deux peuples et à nos deux États. Je crois d’autant plus à des relations sûres et fermement établies entre l’Allemagne et la Yougoslavie maintenant que des événements historiques nous donnant de définitives frontières communes nous ont rendus voisins ; ceci n’est pas seulement une garantie de paix durable entre nos deux peuples et nos deux pays, mais peut aussi représenter un élément de tranquillité pour notre continent à bout de nerfs. Cette paix est le but de tous ceux qui sont disposés à faire du travail réellement constructif. »

Ce discours, nous le savons maintenant a été prononcé au moment où Hitler avait déjà décidé une guerre européenne. Je ne crois pas me tromper en disant que c’était une semaine après la conférence de la Chancellerie du Reich, connue sous le nom de note Schmundt, et à laquelle le Tribunal a dû se reporter plus d’une fois.

L’allusion au « continent à bout de nerfs » pourrait s’appliquer à la guerre des nerfs que Hitler menait lui-même depuis plusieurs mois.

Je passe maintenant à un document spécialement invoqué au paragraphe XXVI à propos de la violation des assurances données ; c’est le document suivant, TC-43 : « Assurances données par l’Allemagne à la Yougoslavie le 6 octobre 1939 ». C’est une partie du document qui a déjà été déposé sous le nº GB-80, un extrait des Dokumente der Deutschen Politik :

« Immédiatement après la réalisation de l’Anschluss, j’ai informé la Yougoslavie que dorénavant nos frontières communes avec ce pays seraient aussi inaltérables et que nous voulions seulement vivre en paix et en amitié avec lui. »

Malgré les obligations imposées à l’Allemagne par la Convention de 1899, le Pacte Briand-Kellogg et les assurances que j’ai lues, le sort de la Grèce et de la Yougoslavie avait été décidé comme nous le savons maintenant, depuis la rencontre de Hitler avec Ciano et l’accusé Ribbentrop à Obersalzberg les 12 et 13 août 1939.

Nous allons passer au document suivant du cahier qui est le TC-77. Il a déjà été déposé sous le nº GB-48 et les passages sur lesquels je voudrais attirer l’attention de Votre Honneur ont déjà été cités par mon éminent ami l’Avocat Général : ces passages sont à la page 2, dans le dernier paragraphe, à partir de « à parler d’une façon générale… » jusqu’à « … neutres peu sûrs », et de nouveau pages 7 et 8, le passage cité par l’Avocat Général et particulièrement souligné par le colonel Griffith-Jones. Au bas de la page 7, le second jour de la réunion, la phrase commençant par « En général, toutefois, le succès remporté par un des partenaires de l’Axe… » jusqu’à « … l’Italie et l’Allemagne auraient leurs arrières libres pour une action contre l’Ouest. »

Ces deux extraits ont déjà été cités. Auparavant, je voudrais résumer les conséquences de cette réunion telles que ce document les fait apparaître dans leur ensemble ; il montre Hitler et l’accusé Ribbentrop, deux mois seulement après le dîner offert au Prince Régent, essayant de persuader les Italiens de déclarer la guerre à la Yougoslavie, au moment où l’Allemagne commencerait la guerre contre la Pologne, ce que Hitler avait décidé de faire dans un très proche avenir. Ciano était tout à fait d’accord avec Hitler et Ribbentrop sur l’opportunité de liquider la Yougoslavie, et, dans son désir de s’assurer Salonique, il affirma que l’Italie n’était pas encore prête pour une guerre européenne générale. Ainsi, malgré toutes les persuasions de Hitler et de Ribbentrop au cours de cette réunion, il devint nécessaire pour les conspirateurs nazis de rassurer la victime à venir, la Yougoslavie, puisqu’on fait l’Italie maintenait effectivement sa position et n’entra pas en guerre lorsque l’Allemagne envahit la Pologne et que les Allemands eux-mêmes n’étaient pas encore prêts à faire la guerre dans les Balkans. C’est, je pense, pour cette raison, que le 6 octobre, Hitler dans son discours renouvela les assurances qu’il avait données au mois d’avril 1938.

L’Histoire est là d’ailleurs : après la défaite des armées alliées, aux mois de mai et juin 1940, le Gouvernement italien déclara la guerre à la France, et le 28 octobre 1940, à 3 heures du matin, le ministre italien à Athènes présenta au Gouvernement grec un ultimatum comportant un délai de trois heures, à l’expiration duquel les troupes italiennes envahissaient déjà le sol de la Grèce.

Je voudrais citer au Tribunal les termes dans lesquels le Ministre de Sa Majesté rapporta cet événement :

« Le Président du Conseil s’est assuré une place prépondérante… »

LE PRÉSIDENT

Avez-vous renvoyé à un document ?

COLONEL PHILLIMORE

Ce n’est dans aucun de mes documents. Cela introduit seulement le prochain.

« Le Président du Conseil s’est assuré une place prépondérante dans l’Histoire de la Grèce et quel que soit l’avenir, la prévoyance avec laquelle il a préparé calmement son pays à la guerre et le courage avec lequel il a rejeté sans hésitation l’ultimatum italien lorsqu’il fut présenté à l’aube de ce jour d’octobre, lui assureront une place d’honneur dans l’histoire politique européenne. Il a l’intention de se battre jusqu’à la défaite complète de l’Italie et ceci reflète l’intention de toute la nation grecque. »

Je passe maintenant au document suivant du cahier, c’est-à-dire PS-2762, une lettre de Hitler à Mussolini que je dépose sous le nº GB-115. Bien que non datée, je pense qu’il ressort clairement de son contenu qu’elle a été écrite peu après l’invasion de la Grèce par l’Italie. L’Avocat Général l’a déjà citée en entier, mais je peux venir en aide au Tribunal en lisant les deux derniers paragraphes de cet extrait :

« Il faut désintéresser, si possible, la Yougoslavie, toutefois à notre point de vue, il faut si possible l’intéresser à coopérer à la liquidation de la question grecque. Sans assurance de la part de la Yougoslavie, il est inutile de risquer d’opérer dans les Balkans. Malheureusement, je dois insister sur le fait que risquer une guerre dans les Balkans avant le mois de mars est impossible. Il serait donc inutile de menacer la Yougoslavie car l’État-Major général serbe sait très bien que de telles menaces ne peuvent prendre corps avant le mois de mars. En conséquence, la Yougoslavie doit être gagnée, si possible, par d’autres moyens. »

II est permis de penser que l’allusion faite par Hitler dans les deux premières lignes aux idées qu’il avait débattues avec Mussolini les quinze derniers jours, indique que cette lettre fut écrite au milieu de novembre environ, peu de temps après l’attaque italienne.

LE PRÉSIDENT

Pouvez-vous nous donner la date de l’attaque italienne ?

COLONEL PHILLIMORE

28 octobre 1940.

LE PRÉSIDENT

Merci.

COLONEL PHILLIMORE

Comme le Tribunal le verra dans le document suivant, c’était à ce moment-là que Hitler établissait ses plans pour l’offensive de printemps de 1941 qui envisageait l’invasion de la Grèce par le Nord. D’après cette lettre, il entrait dans ces plans que la Yougoslavie fût amenée à y coopérer ou tout au moins à maintenir une attitude désintéressée vis-à-vis de la liquidation des autres États balkaniques.

Maintenant, je passe au document suivant du cahier, PS-444 (GB-116). Ce sont des « Instructions absolument confidentielles » émanant du Quartier Général du Führer, signées par Hitler, portant les initiales de l’accusé Jodl et datées du 12 novembre 1940. Je vais lire d’abord les deux premières lignes et ensuite passer au paragraphe 4 de la troisième page :

« Instruction nº 18.

« Les mesures préparatoires du Grand Quartier Général pour la poursuite de la guerre dans un proche avenir doivent être prises sur les bases suivantes… »

Je passe les tractations concernant des opérations contre Gibraltar et une offensive contre l’Égypte et je lis le quatrième paragraphe de la troisième page.

« Balkans…

« Le Commandant en chef de l’Armée fera des préparatifs pour occuper le territoire continental de la Grèce au nord de la Mer Égée, si besoin est, en entrant par la Bulgarie. Rendant ainsi possible l’utilisation des unités de l’aviation allemande contre les objectifs de la Méditerranée orientale, en particulier contre les bases aériennes anglaises qui menacent la région pétrolifère de la Roumanie.

« Afin de pouvoir faire face à toute éventualité, et de garder la Turquie en respect, l’utilisation d’un groupe d’armée d’une force d’environ dix divisions doit être la base des calculs et du plan des opérations. Il ne sera pas possible d’utiliser les chemins de fer traversant la Yougoslavie pour amener ces effectifs sur leurs positions. Afin de réduire le temps nécessaire au déploiement des troupes, on fera des préparatifs destinés à augmenter rapidement la mission militaire en Roumanie dont on me soumettra l’importance.

« Le Commandant en chef de l’Aviation fera des préparatifs pour l’utilisation des unités de l’aviation allemande dans le Sud-Est des Balkans et pour un service de reconnaissances aériennes sur la frontière sud de la Bulgarie, en liaison avec les opérations prévues au sol. »

Je pense inutile d’importuner le Tribunal en lisant davantage. Le document suivant, PS-1541, que je dépose comme preuve sous le nº GB-117, est la directive donnée pour l’attaque effective contre la Grèce. Avant de lire, je vous résumerai la position occupée alors par les Forces d’invasion italiennes car c’est un des facteurs mentionnés par Hitler dans son instruction. Je vais résumer très brièvement. Je reproduis les termes de l’ambassadeur britannique :

« Le moral de l’armée grecque a été très élevé, nos succès sur mer à Tarente et dans le désert de l’Ouest ont fait beaucoup pour le maintenir. Avec un armement relativement faible, un minimum d’équipement et de perfectionnements, ils ont repoussé ou fait prisonnières des forces italiennes supérieures en nombre, très souvent à la pointe de la baïonnette. Les Grecs modernes ont ainsi démontré qu’ils n’ont pas démérité des anciennes traditions de leur pays et que, semblables à leurs ancêtres, ils sont prêts à combattre contre des forces supérieures pour défendre leurs libertés. » En fait les Italiens avaient le dessous et il était grand temps que Hitler vienne à leur secours. C’est pourquoi, cette instruction fut donnée le 13 décembre 1940 ; elle est absolument confidentielle ; et c’est l’instruction nº 20, pour l’opération Marita. Elle s’adressait naturellement au commandant de la Marine qui évidemment était l’accusé Raeder et au commandant de l’Aviation qui était l’accusé Göring ; elle s’adressait aussi au Commandant suprême des Forces armées Keitel, et au commandant de l’État-Major qui était, je le suppose, l’accusé Jodl. Je voudrais lire les deux premiers paragraphes et résumer les deux suivants :

« Le résultat de la bataille d’Albanie n’est pas encore décisif. La situation étant dangereuse en Albanie, il est doublement nécessaire de faire échouer les tentatives anglaises de créer des bases aériennes protégées par le front des Balkans, ce qui serait dangereux avant tout pour l’Italie et aussi pour les champs pétrolifères roumains.

« Mon plan est donc : a) D’augmenter progressivement les effectifs réguliers en Roumanie du Sud au cours des prochains mois ; b) Après que le temps se sera mis au beau, probablement au mois de mars, d’envoyer ces effectifs occuper la côte nord de la mer Égée, en passant par la Bulgarie, et, si nécessaire, d’occuper tout le territoire continental de la Grèce (opération Marita). On peut s’attendre à l’aide de la Bulgarie. »

Le paragraphe suivant donne les effectifs pour cette opération et le paragraphe 4 traite de l’opération Marita proprement dite. Le paragraphe 5 expose : « Les préparatifs militaires qui donneront des résultats politiques exceptionnels dans les Balkans demandent le contrôle exact de toutes les mesures nécessaires, par le Haut Commandement. Le transport à travers la Hongrie et l’arrivée en Roumanie seront signalés au fur et à mesure par le Haut Commandement des Forces armées et seront expliqués d’abord comme un renforcement de la mission militaire allemande en Roumanie. Les consultations avec les Roumains ou les Bulgares qui pourraient révéler nos intentions, ainsi que les notifications aux Italiens doivent être soumises à mon approbation, de même que l’envoi des éléments de missions de reconnaissance et des éléments avancés. »

Je pense qu’il est inutile d’importuner le Tribunal en lisant le reste.

Le document suivant, PS-448, que je dépose sous le nº GB-118 est encore une instruction. Absolument confidentielle, développant ce plan, elle traite d’une question toute différente, le soutien des Forces italiennes en Albanie. Je vais lire le premier paragraphe et ensuite le paragraphe en fin de page.

« La situation dans le théâtre des opérations de Méditerranée demande, pour des raisons stratégiques, politiques et psychologiques, l’aide de l’Allemagne, car l’Angleterre utilise des forces supérieures contre nos Alliés. »

Et dans le paragraphe 3, après s’être occupée des effectifs à transporter en Albanie, la directive définit quelles seront les tâches des Forces allemandes :

« a) Pour l’instant, servir de réserve en Albanie en cas d’urgence, s’il y avait une nouvelle crise là-bas.

« b) Alléger la tâche du groupe d’armées italiennes quand il attaquera plus tard dans le but de percer le front défensif de la Grèce à un point décisif pour une opération à longue portée ; d’ouvrir les détroits à l’ouest de Salonique en les prenant par l’arrière, en soutenant ainsi l’attaque de front de l’armée List. »

Cette instruction était signée par Hitler, et, ainsi qu’on peut le voir sur l’original que j’ai présenté, elle portait les initiales des accusés Keitel et Jodl ; ici encore, naturellement, l’accusé Raeder reçut un exemplaire et je pense que celui qui fut envoyé au service de renseignements étranger fut probablement adressé à l’accusé Ribbentrop.

J’en arrive au document suivant, C-134, qui portera la cote GB-119. C’est le compte rendu d’une conférence qui eut lieu les 19 et 20 janvier entre l’accusé Keitel et le général italien Guzzoni. Cette conférence fut suivie par une rencontre de Hitler et de Mussolini à laquelle assistaient les accusés Ribbentrop, Keitel et Jodl.

Je n’importunerai pas le Tribunal par la description de la rencontre avec les Italiens ; mais à la page 3 de ce document il y a un paragraphe qui fait partie du discours du Führer et qui vaut sans doute la peine d’être lu. Le discours du Führer est du 20 janvier 1941. Vous le trouverez au milieu de la page 3. Ce paragraphe indique que le discours a été prononcé après la conférence avec les Italiens et signale les personnes présentes.

Du côté allemand, je voudrais appeler votre attention sur la présence du ministre des Affaires étrangères, du chef du Haut Commandement des Forces armées et du chef de l’État-Major d’opérations des Forces armées. Ce sont naturellement les accusés Ribbentrop, Keitel et Jodl. Du côté des Italiens, vous avez le Duce, Ciano et trois généraux. C’est le dernier paragraphe que je désire lire :

« La concentration des troupes en Roumanie poursuit un triple but :

« a) Opération contre la Grèce ;

« b) Protection de la Bulgarie contre la Russie et la Turquie ;

« c) Sauvegarde des garanties données à la Roumanie.

« Chacune de ces tâches requiert un groupe particulier de Forces armées, par conséquent des effectifs très puissants dont le déploiement loin de leurs bases demande un temps assez long. Il faudrait que ce déploiement puisse être accompli sans que l’ennemi ne le gêne. Il faut donc abattre les cartes le plus tard possible. Il faudra s’efforcer de traverser le Danube le plus tard possible et ensuite se mettre en ligne le plus tôt possible pour l’attaque. »

Je passe au document suivant PS-1746, que je dépose sous le nº GB-120. Ce document est divisé en trois parties. La première partie est une conférence qui eut lieu le 8 février entre le Feldmarschall List et les Bulgares. La seconde de même que la troisième partie traitent d’événements ultérieurs et j’y reviendrai en temps utile.

Je voudrais lire le premier et le dernier paragraphes de la première page de ce document.

« Procès-verbal des questions qui furent discutées entre les représentants de l’État-Major général royal bulgare et du Haut Commandement allemand – général Feldmarschall List – concernant un mouvement possible de troupes allemandes à travers la Bulgarie et leur engagement contre la Grèce et éventuellement la Turquie, si cette dernière entrait dans la guerre. »

Puis le dernier paragraphe de la page montre le plan concerté avec les Bulgares, paragraphe 3 :

« Les États-Majors bulgare et allemand prendront toutes les mesures nécessaires pour camoufler les préparatifs des opérations et assurer de cette façon les conditions les plus favorables à l’exécution des opérations dont les Allemands ont établi les plans.

« Les représentants des deux États-Majors généraux considèrent comme désirable d’informer leurs Gouvernements de la nécessité qu’il y aurait à tenir secrète la signature par la Bulgarie du Traité tripartite et à ménager un effet de surprise de manière à assurer le succès des opérations militaires. »

Je passe maintenant au document suivant C-59 ; je le dépose sous le nº GB-121. C’est une autre instruction absolument confidentielle du 19 février. Je ne crois pas utile de la lire. Le seul élément important qu’elle comporte est la date de l’opération Marita. Elle ordonne que, pour franchir le Danube, on commence le pont le 28 février, le fleuve sera franchi le 2 mars et les ordres définitifs donnés le 26 février au plus tard. Il y a peut-être lieu de noter que, sur l’original que j’ai déposé, les dates sont écrites de la main de l’accusé Keitel.

Il conviendrait peut-être de rappeler la position de la Bulgarie à cette époque-là. Elle avait adhéré au Pacte tripartite le 1er mars…

LE PRÉSIDENT

Quelle année ?

COLONEL PHILLIMORE

Le 1er mars 1941. Le jour même, les troupes allemandes commencèrent à entrer en Bulgarie, conformément au plan Marita et à l’instruction à laquelle je viens de renvoyer le Tribunal.

Le débarquement des troupes britanniques en Grèce le 3 mars, d’accord avec la garantie que le Gouvernement de Sa Majesté avait donnée au printemps de 1939, a peut-être accéléré le mouvement des troupes allemandes, mais, ainsi que vous l’avez vu, il y avait longtemps que les plans avaient été établis pour l’invasion de la Grèce qui déjà était en cours.

Je passe maintenant au document suivant du cahier C-167 (GB-122). Ce n’est peut-être pas un très bon exemplaire, mais l’original que j’ai déposé montre que les accusés Keitel et Jodl étaient présents à la rencontre avec Hitler mentionnée par cet extrait. Ceci est un bref compte rendu de l’accusé Raeder concernant une entrevue qu’il a eue avec Hitler en présence des accusés Keitel et Jodl. Il est peut-être intéressant parce qu’il montre le caractère impitoyable des intentions allemandes.

« Le Commandant en chef de la Marine a demandé à avoir confirmation que toute la Grèce devra être occupée, même si on arrivait à un accord pacifique. Le Führer a dit que l’occupation complète était la condition requise pour tout règlement de la situation. »

Le document ci-dessus…

LE PRÉSIDENT

Ce document porte-t-il une date ?

COLONEL PHILLIMORE

Cette entrevue eut lieu le 18 mars, à 16 heures.

LE PRÉSIDENT

Cette date figure-t-elle sur le document original ?

COLONEL PHILLIMORE

Oui, sur le document original. Le document dont j’ai parlé montre, à mon avis, que les conspirateurs nazis, conformément à leur principe de liquider tout neutre qui prendrait position, avaient achevé leurs préparatifs avant la fin de janvier ; ils étaient à l’époque en train de déplacer les troupes nécessaires afin d’assurer la liquidation définitive de la Grèce, qui était déjà en guerre contre leurs alliés italiens et marquait des points.

Néanmoins, ils n’étaient pas encore prêts à s’occuper de la Yougoslavie à l’égard de laquelle leur politique restait celle d’endormir la victime sans défiance.

Le 25 mars 1941, conformément à cette politique, ils s’assurèrent de l’adhésion de la Yougoslavie au Pacte tripartite. Cette adhésion eut lieu à la suite d’une visite faite à Salzbourg le 15 février 1941 par le Premier Ministre yougoslave Cvetkovič et son ministre des Affaires étrangères Cinkar-Markovič à l’accusé Ribbentrop et d’une visite ultérieure faite à Hitler à Berchtesgaden. Après quoi, ces ministres furent amenés à signer le Pacte à Vienne, le 25 mars. À cette occasion, l’accusé Ribbentrop écrivit les deux lettres d’assurances qui sont présentées dans le document suivant PS-2450 que je dépose sous le nº GB-123. Je vais le lire à partir du milieu de la page :

« Notes des Gouvernements de l’Axe à Belgrade. »

Au moment même de la signature du procès-verbal de l’adhésion de la Yougoslavie au Pacte tripartite, les Gouvernements des puissances de l’Axe envoyèrent au Gouvernement yougoslave les mêmes notes :

« Monsieur le Président du Conseil,

« Au nom du Gouvernement allemand et à sa requête, j’ai l’honneur d’informer Votre Excellence des faits suivants : à l’occasion de l’adhésion de la Yougoslavie aujourd’hui même au Pacte tripartite, le Gouvernement allemand confirme sa détermination de respecter en tout temps la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Yougoslavie. »

Cette lettre était signée par l’accusé Ribbentrop. Vous vous souvenez qu’il assistait à la réunion d’août 1939 au cours de laquelle Hitler et lui essayèrent de convaincre les Italiens d’envahir la Yougoslavie. C’est en fait onze jours après avoir écrit cette lettre que les Allemands envahirent la Yougoslavie, et seulement deux jours après l’avoir écrite, qu’ils donnèrent les ordres nécessaires.

Permettez-moi de lire la seconde lettre :

« Monsieur le Président du Conseil,

« À la suite des entretiens occasionnés par l’adhésion de la Yougoslavie au Pacte tripartite, j’ai l’honneur de confirmer par la présente à Votre Excellence, au nom du Gouvernement du Reich, qu’en vertu de l’accord conclu entre les puissances de l’Axe et le Gouvernement royal de Yougoslavie, les Gouvernements des puissances de l’Axe n’exigeront pas de la Yougoslavie, au cours de cette guerre, qu’elle permette le passage ou le transport de troupes à travers le territoire national yougoslave. »

À ce moment-là, le 25 mars 1941, la situation était par conséquent la suivante : les troupes allemandes étaient déjà en Bulgarie et marchaient vers la frontière grecque, tandis que la Yougoslavie, pour reprendre les propres termes employés par Hitler dans sa lettre à Mussolini, avait cessé de « s’intéresser » à la liquidation de la question grecque.

L’importance de l’adhésion yougoslave au Pacte tripartite ressort très clairement du document suivant PS-2765 que je dépose sous le nº GB-124. C’est un extrait du procès-verbal d’une entrevue Hitler-Ciano dont je voudrais lire le premier paragraphe :

« Le Führer exprime d’abord sa satisfaction de voir la Yougoslavie adhérer au Pacte tripartite, et prendre position. Ceci est d’une importance particulière en vue de la campagne envisagée contre la Grèce, car si l’on réfléchit que sur une distance de 350 à 400 kilomètres, la grande ligne de communication à travers la Bulgarie passe à 20 kilomètres de la frontière yougoslave, on peut voir que si l’attitude de la Yougoslavie avait été incertaine, l’attaque contre la Grèce aurait été une aventure extrêmement hasardeuse du point de vue militaire. »

Nous voici à nouveau devant l’Histoire :

La nuit du 26 mars, lorsque les deux ministres yougoslaves rentrèrent à Belgrade, le général Simovič et ses collègues les destituèrent en faisant un coup d’État et au matin du 27 mars, la Yougoslavie se dressa, prête à défendre son indépendance s’il le fallait. Le peuple yougoslave s’était retrouvé.

Les nazis réagirent avec une vitesse foudroyante à cette nouvelle situation, et décidèrent de liquider immédiatement la Yougoslavie.

Je vous demanderai de revenir en arrière au document PS-1746 que je dépose sous le nº GB-120, seconde partie, page 3. C’est le compte rendu d’une conférence de Hitler avec le Haut Commandement allemand, le 27 mars 1941, sur la situation en Yougoslavie.

Ce document montre que parmi les assistants se trouvaient : le Führer, le Reichsmarschall, c’est-à-dire l’accusé Göring, le chef de l’OKW, c’est-à-dire l’accusé Keitel, le chef du Wehrmachtsführungsstab, c’est-à-dire l’accusé Jodl. À la page suivante, « plus tard les personnes ci-après vinrent se joindre à la réunion ». J’attire l’attention du Tribunal sur le fait que parmi ceux qui arrivèrent plus tard figure l’accusé Ribbentrop.

Je vais lire la partie concernant la déclaration de Hitler à la page 4 :

« Le Führer exposa la situation de la Yougoslavie après le coup d’État. Il déclara que la Yougoslavie était un facteur incertain à l’égard de l’action Marita imminente, et du plan Barbarossa qui devait suivre bien plus tard. Les Serbes et les Slovènes n’ont jamais été pro-allemands. »

Je passe au second paragraphe :

« Le moment présent, pour des raisons politiques et militaires, se prête à un sondage de la situation véritable du pays et de son attitude à notre égard. Car si le renversement du Gouvernement était arrivé au cours de l’action Barbarossa, les conséquences auraient sans doute été beaucoup plus graves pour nous. »

Puis vient le paragraphe suivant, sur lequel j’attire particulièrement l’attention du Tribunal :

« Le Führer est décidé, sans attendre d’éventuelles déclarations de loyalisme de la part du nouveau Gouvernement, à faire tous les préparatifs permettant de détruire la Yougoslavie au point de vue militaire comme au point de vue national. On ne procédera à aucune enquête diplomatique et on ne présentera aucun ultimatum. On prendra bonne note des assurances du Gouvernement yougoslave auxquelles de toute façon on ne pourra pas se fier pour l’avenir. L’attaque commencera aussitôt que les moyens et les effectifs nécessaires seront prêts.

« Il est important d’entrer en action aussi vite que possible. On s’efforcera de permettre aux États limitrophes de participer à l’action de manière appropriée. On exigera que l’Italie, la Hongrie et, à certains égards, la Bulgarie elle aussi, fournissent une aide militaire effective contre la Yougoslavie ; la tâche principale de la Roumanie est de nous protéger contre la Russie.

« Les ambassadeurs de Hongrie et de Bulgarie sont déjà prévenus. Au cours de la journée il faudra envoyer un message au Duce.

« Du point de vue politique, il est particulièrement important que le coup soit porté contre la Yougoslavie avec une rigueur impitoyable et que la destruction militaire soit effectuée avec une rapidité foudroyante. De cette façon, la Turquie serait suffisamment intimidée et la campagne ultérieure contre la Grèce serait influencée en notre faveur. Nous pouvons être à peu près certains que les Croates se rangeront à nos côtés lorsque nous attaquerons. On leur assurera un traitement politique en conséquence (autonomie ultérieure). La guerre contre la Yougoslavie sera sans doute très populaire en Italie, en Hongrie et en Bulgarie étant donné que nous promettrons des acquisitions territoriales à ces États : la côte de l’Adriatique à l’Italie, le Banat à la Hongrie et la Macédoine à la Bulgarie.

« Ce plan suppose une accélération de tous nos préparatifs et la mise en œuvre d’effectifs si puissants, que l’effondrement de la Yougoslavie se fera dans les délais les plus réduits. »

Le Tribunal aura, bien entendu, remarqué qu’au paragraphe 3, deux jours après que le Pacte eut été signé et les assurances données, il y eut un coup d’État ; les opérations contre la Grèce pouvant en être affectées, on décida de détruire la Yougoslavie, sans se préoccuper aucunement de connaître l’attitude du nouveau Gouvernement. Il y a un bref passage à la page 5, que j’aimerais lire.

« 5. La tâche principale de l’Aviation est d’entreprendre dès que possible la destruction des installations au sol de l’aviation yougoslave et de détruire Belgrade, la capitale, en l’attaquant par vagues successives… »

Je m’arrête ici pour faire un commentaire ; naturellement, nous savons maintenant de quelle façon impitoyable ce bombardement fut exécuté. Les quartiers résidentiels de Belgrade furent bombardés le dimanche suivant 6 à 7 heures du matin.

LE PRÉSIDENT

Le 6 avril ?

COLONEL PHILLIMORE

Le 6 avril.

Toujours dans ce document, dans la dernière partie, la partie V, à la page 5, figure un plan provisoire dû à l’accusé Jodl. Je vais en lire un passage assez bref, tout à fait en haut de la page suivante, la page 6 :

« Au cas où l’évolution politique exigerait une intervention armée contre la Yougoslavie, les Allemands ont l’intention de procéder à une attaque concentrique de la Yougoslavie, le plus tôt possible, d’anéantir ses armées et de désagréger son territoire national. »

Je lis ceci, car le plan provenait des services de l’accusé Jodl.

Maintenant, passant au document suivant du cahier, C-127, je le dépose sous le nº GB-125. C’est un extrait de l’ordre donné après la réunion dont je viens de lire partie du procès-verbal, c’est-à-dire la réunion du 27 mars, figurant au document PS-1746, partie II. Ce premier paragraphe vaut la peine d’être lu.

« Le putsch militaire en Yougoslavie a changé la situation politique dans les Balkans. La Yougoslavie doit, en dépit de ses protestations de fidélité, être considérée pour l’instant comme une ennemie, et partout doit être écrasée le plus rapidement possible. »

Je passe au document suivant PS-1835 et je le dépose sous le nº GB-126. C’est l’original d’un télégramme contenant une lettre adressée par Hitler à Mussolini, Hitler et l’accusé Ribbentrop l’ont transmise par l’intermédiaire de l’ambassadeur allemand à Rome. Il est écrit pour faire connaître à Mussolini quelle ligne de conduite a été adoptée et, sous le couvert d’un langage quelque peu flatteur, le Duce reçoit ses ordres. J’en lis les cinq premiers paragraphes :

« Duce, les événements m’obligent à vous faire savoir par les moyens les plus rapides, comment j’envisage la situation et quelles conséquences pourraient en résulter.

« 1. Dès le début, j’ai considéré la Yougoslavie comme le facteur le plus dangereux dans le conflit avec la Grèce. Du point de vue strictement militaire, il était presque impossible d’envisager une intervention en Thrace tant que l’attitude de la Yougoslavie demeurait équivoque et risquait ainsi de menacer, sur notre énorme front, le flanc gauche de nos colonnes en marche.

« 2. Pour cette raison, j’ai tout fait, et honnêtement tout essayé, pour amener la Yougoslavie à entrer dans notre communauté d’intérêts. Malheureusement, ces essais ne furent pas couronnés de succès ou ils furent entrepris trop tard pour aboutir à un résultat précis. Le compte rendu d’aujourd’hui ne me laisse aucun doute, sur l’orientation que va être incessamment celle de la politique étrangère de la Yougoslavie.

« 3. Je ne considère pas cette situation comme catastrophique, mais néanmoins comme difficile, et de notre côté, nous devons éviter toute erreur si nous ne voulons pas, en fin de compte, mettre toute notre position en danger.

« 4. En conséquence, j’ai déjà pris mes dispositions pour que toutes mesures soient prévues afin de parer, par les moyens militaires nécessaires, à une évolution critique de la situation. Ordre a été donné de modifier également le déploiement de nos troupes en Bulgarie.

« Et maintenant, je vous demanderai cordialement, Duce, de ne plus entreprendre d’autres opérations en Albanie au cours des quelques jours qui vont suivre. J’estime nécessaire que vous couvriez et protégiez les passages les plus importants de la Yougoslavie à l’Albanie avec toutes les forces dont vous pourrez disposer.

« Ces mesures ne doivent pas être considérées comme devant durer une longue période, mais comme des mesures auxiliaires, destinées à enrayer la montée d’une crise pour une période d’au moins quinze jours à trois semaines. J’estime également nécessaire, Duce, que vous renforciez vos effectifs sur le front italien-yougoslave avec tous les moyens dont vous disposerez et le plus rapidement possible.

« 5. J’estime également nécessaire, Duce, que tous nos actes et tous nos ordres soient entourés du secret le plus absolu et que, seules en aient connaissance les personnes qui doivent absolument être mises au courant. Ces mesures perdraient toute leur valeur si elles venaient à être connues… »

Puis, il souligne encore l’importance qu’il y a à garder le secret.

Je passe maintenant au document suivant du cahier R-95 que je dépose sous le nº GB-127. Il a été cité par mon éminent ami le Procureur Général. C’est un ordre d’opérations signé du général von Brauchitsch et transmettant seulement aux Armées les ordres contenus dans la directive nº 25, document C-127 dont j’ai présenté un extrait comme pièce GB-125. Je n’importunerai pas le Tribunal par sa lecture.

Je passe au document TC-93, qui a déjà été déposé avec le document TC-92 sous le nº GB-114. L’invasion de la Grèce et de la Yougoslavie eut lieu le matin du 6 avril où Hitler fit la proclamation dont voici un extrait :

« Dès le début de la lutte, l’Angleterre s’est constamment efforcée de faire des Balkans un théâtre d’opérations. La diplomatie britannique se basant sur la guerre mondiale, réussit en fait à capter la Grèce, en lui offrant des garanties et finalement en abusant d’elle pour ses propres buts.

« Les documents publiés aujourd’hui – ceci en référence au “Livre Blanc” allemand, publication de tous les documents qui préparèrent l’invasion – donnent un aperçu d’une pratique qui, d’accord avec les vieilles recettes britanniques, consiste à toujours essayer de faire combattre les autres et de verser leur sang pour les intérêts britanniques.

« Étant donné cela, j’ai toujours souligné que :

« 1º Le peuple allemand n’est nullement hostile au peuple grec, mais que :

« 2º Nous ne tolérerons jamais, comme au cours de la guerre mondiale, qu’une autre puissance s’établisse en territoire grec dans le but de pouvoir pénétrer ensuite dans l’espace vital allemand, à un moment donné, en s’avançant par le Sud-Est. Nous avons débarrassé notre flanc nord des Anglais ; nous sommes résolus à ne pas tolérer une telle menace dans le Sud. »

Puis vient le paragraphe sur lequel je voudrais attirer spécialement l’attention du Tribunal :

« Dans l’intérêt d’une véritable consolidation de l’Europe, je me suis efforcé, depuis le jour de mon arrivée au pouvoir, d’établir avant tout des relations amicales avec la Yougoslavie.

« J’ai volontairement oublié tout ce qui a pu arriver autrefois entre l’Allemagne et la Serbie. Non seulement, j’ai tendu la main du peuple allemand au peuple serbe, mais encore je me suis efforcé, comme un honnête courtier, de faciliter la solution de toutes les difficultés existant entre l’État yougoslave et les différentes nations alliées de l’Allemagne. »

On peut seulement penser que, lors de cette proclamation, Hitler devait avoir momentanément oublié sa rencontre avec Ciano, au mois d’août 1939, et sa rencontre avec l’accusé Ribbentrop et les autres, le 27 mars, quelques jours plus tôt.

Je passe au dernier document du cahier. C’est un document que j’ai déjà versé au dossier, le L-172 ; il a été présenté comme USA-34. C’est le compte rendu d’une conférence faite par l’accusé Jodl le 7 novembre 1943. À la page 4, se trouve un court passage qui expose ses vues, deux ans et demi après, sur l’action entreprise en avril 1941. Je lis le paragraphe 11, page 4 :

« Ce qui toutefois était moins acceptable, c’était la nécessité de prêter assistance en tant qu’allié dans les Balkans, à la suite de l’expédition imprévue “Extratour” des Italiens contre la Grèce. L’attaque qu’ils lancèrent d’Albanie en automne 1940, avec des moyens absolument insuffisants, était contraire à tous les accords, mais nous amena finalement à prendre une décision que – en considérant l’affaire avec recul – nous aurions dû prendre nécessairement tôt ou tard. L’attaque projetée sur la Grèce et qui devait s’effectuer par le Nord n’était pas seulement une opération destinée à aider un allié, mais son but réel était encore d’empêcher les Britanniques de s’établir en Grèce et de menacer notre région pétrolifère de Roumanie. »

Je peux résumer ainsi les faits : l’invasion de la Grèce fut décidée dès décembre, ou même novembre 1940, et prévue pour la fin mars, ou le début d’avril 1941. On ne tint compte à aucun moment des obligations résultant de traités ou conventions qui pourraient interdire une telle invasion, comme violant le Droit international. On prit soin de cacher les préparatifs de guerre pour que les Forces allemandes puissent vaincre une victime sans méfiance.

Cependant, la Yougoslavie, bien que destinée à une liquidation ultérieure, était momentanément laissée de côté. Tous les efforts furent entrepris pour s’assurer sa coopération à l’offensive dirigée contre la Grèce, ou tout au moins pour s’assurer sa neutralité.

Le coup d’État du général Simovič bouleversa ce projet, et les Allemands décidèrent alors qu’il fallait « liquider » la Yougoslavie, sans se préoccuper de savoir si le Gouvernement yougoslave était hostile ou non à l’Allemagne ou même s’il avait l’intention de venir en aide aux Grecs.

Ce n’était pas la peine de chercher à percer les intentions de la Yougoslavie, alors qu’il était si facile, maintenant que les troupes allemandes étaient constituées, de détruire ce pays du point de vue militaire et national. En conséquence, aux premières heures du dimanche 6 avril, les troupes allemandes entrèrent en Yougoslavie sans avertissement et simultanément en Grèce, tandis que l’Allemagne remettait une note au ministre de Grèce à Berlin, l’informant que les Forces allemandes entraient en Grèce pour en chasser les Britanniques. Quand l’Ambassade allemande lui annonça l’invasion de son pays, M. Koryzis, le ministre de Grèce, répondit que l’Histoire se répétait et que la Grèce était attaquée par l’Allemagne de la même façon que par l’Italie. La Grèce donnait, dit-il, la même réponse qu’au mois d’octobre précédent.

Ainsi se terminent les preuves relatives à la Grèce et à la Yougoslavie.

Pour conclure l’exposé britannique, j’aimerais attirer l’attention du Tribunal, brièvement, sur un facteur commun qui apparaît dans l’ensemble de cette agression. Cela ne prendra pas plus de cinq minutes.

Cette technique diplomatique revient avec une constance singulière, non seulement dans les agressions des nazis eux-mêmes, mais aussi dans celles de leurs amis italiens.

Cette technique est essentiellement basée sur le fait qu’il faut s’assurer le plus possible l’avantage de la surprise, même si cela ne doit assurer qu’une avance militaire de quelques heures sans résistance dans le pays de la victime confiante. Ainsi, il n’y eut, bien entendu, aucune déclaration de guerre dans le cas de la Pologne.

L’invasion de la Norvège et du Danemark commença de bonne heure, dans les premières heures de la nuit du 8 au 9 avril ; cette opération militaire était déjà bien avancée lorsque des explications et des excuses diplomatiques furent présentées au ministre des Affaires étrangères du Danemark à 4 h. 20 du matin le 9 et au ministre norvégien entre 4 h. 30 et 5 heures le même jour.

L’invasion de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg ne commença pas plus tard que 5 heures et même plus tôt, dans les premières heures du 10 mai, tandis que l’ultimatum officiel, accompagné à chaque fois d’excuses et d’explications diplomatiques, n’était présenté qu’après. Pour la Hollande, l’invasion commença entre 3 et 4 heures du matin. Ce ne fut que vers 6 heures, après le bombardement de La Haye, que le ministre d’Allemagne demanda à voir M. van Kleffens. Pour la Belgique, où les bombardements commencèrent à 5 heures, le ministre d’Allemagne ne vit M. Spaak qu’à 8 heures. L’invasion du Luxembourg commença à 4 heures et c’est à 7 heures du matin que le ministre d’Allemagne demanda à voir M. Beck.

Mussolini imita cette technique. Ce fut à 3 heures du matin, le 28 octobre 1940, que son ministre à Athènes présenta un ultimatum de trois heures au général Metaxas.

L’invasion de la Grèce et de la Yougoslavie, comme je l’ai dit, commença aux premières heures du 6 avril 1941. Pour la Yougoslavie, aucun échange diplomatique n’eut lieu, même après l’invasion, mais Hitler fit ce dimanche matin à 5 heures, deux heures environ avant le bombardement de Belgrade, une proclamation dont je viens de lire un extrait. Pour la Grèce, une fois encore, c’est à 5 h. 20 que M. Koryzis fut informé que des troupes allemandes envahissaient la Grèce. La façon dont cette longue série d’agressions a été effectuée constitue en elle-même une preuve complémentaire du caractère essentiellement agressif et perfide du régime nazi : attaquer de nuit, sans avertissement, afin de s’assurer un avantage initial et ne présenter qu’ensuite des excuses ou des explications. Cette façon de procéder est nettement une méthode de barbares, la méthode d’un État qui ne respecte pas sa parole et qui ne respecte le Droit d’aucun peuple, sauf le sien. On est tenté de se demander si c’est l’honnête courtier lui-même, qui a mis au point cette technique, ou si c’est son honnête commis, l’accusé Ribbentrop ?

LE PRÉSIDENT

M. Alderman, pourriez-vous poursuivre après une courte suspension ? Est-ce là votre intention ?

M. ALDERMAN

Oui.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Avant de poursuivre la présentation des preuves relatives à l’agression contre l’Union Soviétique, je prendrai un quart d’heure environ pour présenter deux autres documents se rapportant à l’agression contre l’Autriche.

Ces deux documents sont contenus dans un supplément au livre de documents « N ». Les deux documents font partie de la correspondance du ministère britannique des Affaires étrangères ; ils ont été mis aimablement à notre disposition par nos collègues britanniques.

En premier lieu, je présente en preuve le document PS-3045 (USA-127) ; il se compose de deux parties. La première est une lettre datée du 12 mars 1938 adressée par l’ambassadeur Nevile Henderson à Lord Halifax, Ambassade de Grande-Bretagne à Berlin. En voici les termes :

« Excellence,

« Relativement à votre télégramme nº 79 en date du 11 mars, j’ai l’honneur de transmettre à Votre Excellence la copie ci-jointe d’une lettre que j’ai adressée au baron von Neurath, conformément aux instructions reçues, lettre qui fut remise le soir même.

« L’ambassadeur de France a adressé au même moment, une lettre semblable au baron von Neurath. »

La pièce ci-jointe est la note du 11 mars envoyée par l’Ambassade britannique à l’accusé von Neurath ; ses termes sont les suivants :

« Mon Gouvernement est informé qu’un ultimatum allemand a été posé cet après-midi à Vienne, demandant entre autres que le Chancelier résigne ses fonctions et soit remplacé par le ministre de l’Intérieur, qu’un nouveau cabinet soit formé dont les membres devraient être pour les deux tiers nationaux-socialistes et que la Légion autrichienne soit autorisée à rentrer dans le pays avec la tâche de maintenir l’ordre à Vienne.

« D’après les instructions de mon Gouvernement, je dois faire observer immédiatement au Gouvernement allemand, que, si cette information est exacte, le Gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume-Uni se verra obligé de présenter une protestation dans les termes les plus énergiques contre de tels moyens de coercition employés contre un État indépendant, dans le but de créer une situation incompatible avec son indépendance nationale.

« Ainsi que le ministre allemand des Affaires étrangères à Londres en a déjà été informé, un tel acte peut produire les réactions dont il est impossible de prédire les suites. »

Je présente maintenant le document PS-3287 (USA-128) ; c’est la lettre de réponse de l’accusé von Neurath, datée du 12 mars 1938 et transmise au ministère britannique des Affaires étrangères par l’Ambassade d’Angleterre à Berlin. Dans le document, cette lettre est identifiée par la lettre « L ».

D’abord, l’accusé von Neurath s’éleva contre le fait que le Gouvernement anglais assumât le rôle de protecteur de l’indépendance autrichienne. Je cite le second paragraphe de sa lettre :

« … Au nom du Gouvernement allemand, je dois faire remarquer ici que le Gouvernement de Sa Majesté britannique n’a pas le droit d’assumer le rôle de protecteur de l’indépendance autrichienne. Au cours des conversations diplomatiques sur la question autrichienne, le Gouvernement allemand a toujours fait sentir au Gouvernement de Sa Majesté britannique que l’établissement de relations entre l’Allemagne et l’Autriche ne pouvait être considéré que comme une affaire purement allemande, ne concernant nullement une tierce puissance. »

Ensuite, répondant aux affirmations relatives à l’ultimatum allemand, von Neurath exposa une version des événements qu’il affirma être véridique.

Je cite les deux derniers paragraphes de la lettre ; ils sont longs ; dans la traduction anglaise, je commence au bas de la page 1 :

« Au lieu de cela, l’ex-Chancelier d’Autriche annonça le soir du 9 mars, sa résolution surprenante et arbitraire, de procéder aux élections dans quelques jours, ce qui, vu les circonstances et surtout en raison des dispositions prévues pour la marche de ces élections, pouvait et devait avoir un seul but : opprimer politiquement la grande majorité de la population autrichienne. Comme il fallait s’y attendre, cette façon d’agir était en violation flagrante des accords de Berchtesgaden et amena la situation intérieure de l’Autriche à un point très critique. Il était naturel que les membres du Cabinet autrichien, à cette époque, qui n’avaient nullement contribué à décider de cette élection, protestassent énergiquement contre elle. Il y eut donc à Vienne une crise gouvernementale qui aboutit, le 11 mars, à la démission de l’ancien Chancelier et à la formation d’un nouveau Cabinet. Il est faux que le Reich ait fait pression sur l’Autriche pour obtenir ce résultat. L’affirmation, surtout, répandue plus tard par l’ex-Chancelier, que le Gouvernement allemand avait présenté un ultimatum au Président fédéral est une pure invention ; d’après cet ultimatum, il devait désigner au poste de Chancelier un candidat proposé par les Allemands et former un Cabinet répondant aux vues du Gouvernement allemand, sinon on le menaçait de l’invasion de l’Autriche par les troupes allemandes. En réalité, la question d’envoyer des forces de police ou des forces militaires du Reich ne fut soulevée que lorsque le nouveau Cabinet autrichien eut envoyé un télégramme paru dans la presse, au Gouvernement allemand lui demandant d’envoyer d’urgence des troupes pour rétablir la paix et l’ordre et pour éviter l’effusion de sang. En face de la menace d’une guerre civile en Autriche, le Gouvernement allemand décida de répondre à cet appel.

« Telle étant la situation, il est impossible que l’attitude du Gouvernement allemand, ainsi que vous le dites dans votre lettre, ait pu mener à des réactions imprévisibles. Une description complète de la situation politique est donnée dans la proclamation que le Chancelier du Reich a adressée aujourd’hui à midi au peuple allemand. Une réaction dangereuse ne se produira que si une tierce Puissance essaye d’exercer son influence sur la tournure des événements en Autriche en opposition aux intentions pacifiques et aux buts légitimes du Gouvernement allemand, ce qui serait incompatible avec le droit que possède le peuple allemand de se gouverner lui-même. »

Là se termine la citation.

Maintenant, à la lumière de la preuve qui a déjà été présentée au Tribunal, cette version des événements donnée par l’accusé von Neurath est une parfaite contrefaçon de la vérité.

Nous avons appris, par les passages du document PS-1780, (USA-72) qui ont été cités (c’est le journal de Jodl, notes du 10 mars 1938), que von Neurath assurait les Affaires étrangères pendant que von Ribbentrop était retenu à Londres, que le Führer désirait envoyer un ultimatum au Cabinet autrichien, qu’il avait envoyé une lettre à Mussolini donnant les raisons pour lesquelles il agissait, et que les ordres de mobilisation de l’Armée étaient donnés.

Deux documents différents ont fait apparaître la vérité au sujet de l’ultimatum. Je me réfère au document PS-812 (USA-61) rapport du Gauleiter Rainer au Commissaire du Reich Bürckel daté du 6 juillet 1939 qui fut transmis à l’accusé Seyss-Inquart, le 22 août 1939 ; la partie se rapportant aux événements du 11 mars a déjà été lue au Tribunal.

Je me réfère aussi au document PS-2949 (USA-76) transcriptions de conversations téléphoniques de Göring dont j’ai déjà cité d’importants passages au Tribunal.

Ces documents montrent amplement et avec une évidente clarté que les nazis allemands présentèrent un ultimatum au Gouvernement autrichien aux termes duquel les troupes allemandes passeraient la frontière si Schuschnigg ne résignait pas ses fonctions et si l’accusé Seyss-Inquart n’était pas nommé Chancelier.

Ces documents montrent aussi que ce fameux télégramme fut inspiré par Berlin et non par Vienne, que Göring composa le télégramme et que Seyss-Inquart n’eut même pas à l’envoyer mais dit simplement « Approuvé ». La transcription de l’appel téléphonique de Göring à Ribbentrop est consignée dans la partie « W » de ce document. Dans cette conversation, fut développée et exposée la formule destinée à l’usage des Anglais et selon laquelle il n’y avait pas eu d’ultimatum, et les troupes allemandes avaient traversé la frontière seulement à la suite du télégramme.

Et maintenant, dans ce document dont je viens de lire un passage, nous trouvons le même cliché dû à la plume de von Neurath. Il assistait à la réunion du 5 novembre 1937, sur laquelle nous possédons les notes d’Hossbach, (USA-25). Ainsi, il connaissait parfaitement les idées que les nazis ont toujours maintenues en ce qui concerne l’Autriche et la Tchécoslovaquie et de plus, dans la période qui suivit le 10 mars 1938, alors qu’il s’occupait des affaires étrangères en ce qui concerne cette conspiration, et particulièrement après l’invasion de l’Autriche, il joua son rôle en faisant de fausses remontrances. Il donna à M. Mastny l’assurance que l’indépendance de l’Autriche serait respectée. Je me réfère au document présenté par Sir David Maxwell-Fyfe, TC-27 (GB-21).

Et nous retrouvons ici von Neurath s’occupant des Affaires étrangères, bien que se servant du papier à en-tête du Conseil secret de Cabinet – comme le montre ce document – et récitant cette fable diplomatique à l’égard de la situation de l’Autriche, fable que nous rencontrons également dans la transcription de l’appel téléphonique de Göring à Ribbentrop, et qui cadre parfaitement avec les buts de ce que nous appelons la conspiration.

Plaise au Tribunal. Il serait de mise que je présente maintenant le chapitre de la collaboration avec le Japon car c’est aujourd’hui le 7 décembre 1945, quatrième anniversaire de l’attaque de Pearl Harbor, l’agression dont furent victimes les États-Unis. Toutefois, notre plan était de procéder par ordre chronologique et cette partie de l’exposé sera présentée quand son tour viendra, la semaine prochaine.

Nous en arrivons, maintenant, au point culminant de cette stupéfiante histoire des guerres d’agression, qui est peut-être l’une des erreurs de jugement les plus colossales de l’Histoire au moment où l’intuition de Hitler le conduisit avec ses associés à lancer une guerre d’agression contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.

La dernière fois que j’ai pris la parole, j’ai présenté au Tribunal un compte rendu de l’agression contre la Tchécoslovaquie. Depuis ce moment, nos collègues britanniques vous ont donné la preuve relative à l’élaboration du plan d’attaque contre la Pologne ainsi qu’aux préparatifs et à la genèse de la guerre d’agression proprement dite dont je m’occupe maintenant. De plus, ils ont exposé devant le Tribunal, l’histoire de la guerre devenant une guerre générale d’agression, comprenant les plans d’attaque et l’exécution de ces plans contre le Danemark, la Norvège, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, la Yougoslavie et la Grèce, et, ce faisant le Ministère Public britannique a rassemblé et présenté au Tribunal différents traités, accords et assurances d’ordre international et a fourni la preuve de la violation de ces traités et assurances.

J’aimerais présenter maintenant au Tribunal le compte rendu de l’avant-dernier acte d’agression des accusés, l’invasion de l’URSS. La section de l’Acte d’accusation relative à ce crime est le chef d’accusation nº 1, section IV (F), paragraphe 6, ayant comme titre : « Invasion par l’Allemagne du territoire de l’URSS, le 22 juin 1941, en violation du Pacte de non-agression du 23 août 1939 ». La première phrase de ce paragraphe est celle qui va nous occuper aujourd’hui ; je la cite :

« Le 22 juin 1941, les conspirateurs nazis ont traîtreusement dénoncé le Pacte de non-agression conclu entre l’Allemagne et l’URSS et, sans déclaration de guerre, ils ont envahi le territoire soviétique, commençant ainsi une guerre d’agression contre l’URSS. »

Les documents ayant trait à cette phase du cas présenté, figurent dans le livre de documents marqué « P » que nous présentons maintenant au Tribunal.

D’abord, plaise au Tribunal, le début du plan ; le point de départ de l’histoire de l’agression contre l’Union Soviétique est, à mon avis, le 23 août 1939. À cette date, juste une semaine avant l’invasion de la Pologne, les conspirateurs nazis poussèrent l’Allemagne à passer un traité de non-agression avec l’URSS. Ceci est consigné dans la section de l’Acte d’accusation que je viens de citer. Ce traité, document TC-25, sera présenté comme preuve par nos collègues britanniques, mais il contient deux articles sur lesquels je voudrais attirer l’attention du Tribunal : l’article premier stipule :

« Les deux Parties contractantes s’abstiendront de tout acte de violence, de toute agression ou de toute attaque l’une contre l’autre, soit individuellement, soit ensemble avec d’autres puissances. »

L’article V stipule que si des différends ou des conflits s’élèvent entre les parties contractantes au sujet de quelque question que ce soit, les deux parties viendront à bout de ces différends ou de ces conflits par l’unique voie d’échanges de vue amicaux ou, en cas de besoin, par celle de commissions d’arbitrage.

Il est bon de garder présents à l’esprit ces engagements solennels au cours de l’exposé des faits à venir. Ce traité fut signé au nom du Gouvernement allemand par l’accusé Ribbentrop. Lorsqu’il en eut connaissance, le monde fut quelque peu surpris car ce traité semblait constituer un renversement de l’orientation de la politique étrangère nazie jusqu’à ce jour. L’explication de cette volte-face a été fournie toutefois par un témoin qui n’est rien moins que l’accusé Ribbentrop lui-même et cela au cours d’une discussion qu’il eut avec l’ambassadeur japonais Oshima à Fuschi le 23 février 1941. Un compte rendu de cette conférence fut envoyé par Ribbentrop à quelques diplomates allemands se trouvant sur place, aux fins d’informations strictement confidentielles et purement personnelles.

Nous avons maintenant ce compte rendu, il porte le nº PS-1834. Je le dépose comme preuve sous le nº USA-129, document allemand original.

À la page 2 de la traduction anglaise, Ribbentrop donne à Oshima la raison du pacte avec l’URSS. C’est la page 2 du texte allemand :

« Puis, quand on en vint à la guerre, le Führer se décida à un compromis avec la Russie, ceci lui semblant nécessaire pour éviter une guerre sur deux fronts. »

Étant donné l’esprit d’opportunisme qui incita les nazis à prendre cet engagement solennel d’arbitrage et de non-agression, il n’est pas très surprenant de voir qu’ils le considéraient, cet engagement, à l’exemple de tout traité et de tout engagement, comme les liant seulement pour la période pendant laquelle ils éprouvaient le besoin d’être liés. Que c’eût été là leur pensée est démontré par le fait que, même au cours de la campagne de l’Ouest, ils se mirent à envisager la possibilité de déclencher une guerre d’agression contre l’URSS.

Dans un discours prononcé à Munich devant le Reich et les Gauleiter, en novembre 1943, reproduit dans notre document L-172, déjà déposé comme USA-34, l’accusé Jodl admettait ; je lis un passage de la page 7 de la traduction anglaise qui est la page 15 du texte allemand original :

« Parallèlement à toute cette évolution, un danger se précisait et grandissait toujours, – le danger venant de l’Est bolchevique – ce danger dont on a eu trop peu conscience en Allemagne et que, pour des raisons diplomatiques, on a fini par ignorer délibérément. »

« Cependant le Führer lui-même n’a jamais perdu ce danger de vue, et même, si nous remontons jusqu’à la campagne de l’Ouest, il m’avait informé de sa décision fondamentale d’aller au-devant de lui au moment où notre position militaire rendrait la décision réalisable. »

Toutefois, au moment où cette décision fut prise, la campagne de l’Ouest était encore en cours et ainsi toute action dans l’Est devait nécessairement être remise à plus tard. Le 22 juin 1940 cependant, l’Armistice franco-allemand fut signé à Compiègne, et la campagne de l’Ouest, à l’exception de la guerre contre la Grande-Bretagne, se termina. Pendant longtemps, l’idéologie nazie a été fondée sur la conviction que pour l’Allemagne, la clef de la domination politique et économique, se trouvait dans l’élimination de l’URSS en tant que facteur politique et dans l’acquisition du « Lebensraum » aux dépens de cette dernière. Ainsi que nous l’avons vu, cette idée n’avait jamais été complètement abandonnée, même au cours de la guerre à l’Ouest. Maintenant, gonflés par le récent succès de leurs armes, toutefois, pleinement conscients de leur échec à l’égard de la Grande-Bretagne et des nécessités de leurs Armées à se fournir en ravitaillement et en matières premières, les nazis commencèrent à étudier sérieusement les moyens de réaliser leur ambition traditionnelle, par la conquête de l’Union Soviétique.

La situation de l’Allemagne à cette époque faisait apparaître une telle action comme à la fois désirable et pratique. Dès le mois d’août 1940, l’accusé Göring fit comprendre à demi-mot au général Thomas que des plans de campagne contre l’Union Soviétique étaient déjà en cours ; à cette époque, Thomas était le chef du « Wirtschaftsrüstungsamt » de l’OKW (bureau de l’Économie et de l’Armement de l’OKW).

Je dois indiquer, je crois, que ce bureau est généralement désigné dans les documents allemands par l’abréviation Wi Rü.

Le général Thomas dit avoir reçu cette information de Göring dans le projet de son ouvrage intitulé Bases d’une histoire de la guerre allemande et de l’économie d’armement qu’il préparait durant l’été de 1944. Ce livre est notre document PS-2353 ; il a déjà été déposé comme preuve sous le nº USA-35. Je m’excuse, il fut ainsi numéroté aux fins d’identification ; je le dépose maintenant comme pièce USA-35.

De la page 313 à la page 315 de cet ouvrage, Thomas expose et décrit les accords commerciaux germano-russes de 1939, comment de la part des Soviets, l’exécution de cet accord avait lieu avec rapidité et de manière satisfaisante, et comment ceux-ci demandaient en échange du matériel de guerre ; de ce fait il y eut jusqu’au début de 1940 en Allemagne une forte pression exercée dans le sens de livraisons allemandes en quantité supérieure. Cependant, à la page 315, il s’exprime ainsi au sujet du changement de sentiments exprimés par les chefs allemands en août 1940, je lis à la page 9 de la traduction anglaise :

« Le 14 août, au cours d’une conférence avec le maréchal Göring, le chef du Wirtschaftsrüstungsamt fut informé que le Führer désirait que les livraisons destinées aux Russes soient ponctuellement exécutées seulement jusqu’au printemps 1941. Plus tard, nous n’aurions plus aucun intérêt à satisfaire complètement aux demandes russes ; cette notification incita le chef du Wirtschaftsrüstungsamt à donner priorité aux matières concernant l’économie de guerre russe. »

Je reviendrai plus tard sur cette déclaration, lorsque je discuterai des préparatifs d’exploitation économique du territoire russe dont on espérait s’emparer. À ce moment-là aussi je donnerai des preuves qui montreront qu’en novembre 1940 Göring informa Thomas que les plans d’une campagne contre l’URSS étaient déjà faits.

La préparation d’une entreprise aussi considérable qu’une invasion de l’Union Soviétique entraînait nécessairement, même de nombreux mois avant la date de son exécution, une certaine activité dans l’Est : projets de constructions et renforcement des effectifs. On ne pouvait s’attendre à ce qu’une telle activité pût passer inaperçue aux yeux du service de renseignements soviétique. Des mesures de contre-espionnage devenaient urgentes.

Ces mesures furent prises dans une instruction de l’OKW signée par l’accusé Jodl et destinée au service de contre-espionnage à l’étranger, en date du 6 septembre 1940. Cette directive figure dans notre documentation, sous notre nº PS-1229 et je la dépose comme preuve sous le nº USA-130. C’est une photocopie du document allemand saisi ; la directive soulignait que cette activité dans l’Est ne devait pas donner en Union Soviétique l’impression qu’une offensive se préparait, et elle donnait aux agents des services de contre-espionnage, la ligne à suivre pour camoufler la réalité. Le texte indique implicitement l’étendue des préparatifs déjà entrepris et je voudrais en lire le texte au Tribunal :

« Les territoires de l’Est auront un effectif plus puissant dans les semaines à venir. À la fin d’octobre, la situation montrée par la carte ci-jointe devra être atteinte. Ces regroupements ne doivent pas donner en Russie l’impression que nous préparons une offensive à l’Est. D’autre part, la Russie se rendra compte que des troupes allemandes fortes et bien entraînées stationnent dans le Gouvernement Général, dans les provinces de l’Est et dans le Protectorat ; elle pourra en déduire que nous sommes capables de protéger à tout moment nos intérêts – spécialement dans les Balkans – avec des forces très importantes contre une attaque russe.

« Pour le travail de notre service de renseignements, aussi bien que pour la réponse aux questions que le service de renseignements russe pourrait poser, les instructions suivantes sont données :

« 1. Le total des effectifs dans l’Est doit être dissimulé autant que possible au moyen de nouvelles indiquant de fréquents changements d’unités dans ces régions. Ces mouvements peuvent être expliqués par des déplacements vers des camps d’entraînement, par des regroupements, etc.

« 2. Il faut donner l’impression que le point central de concentration des troupes est dans la partie sud du Gouvernement, dans le Protectorat et en Autriche et que les effectifs massés dans le Nord sont relativement peu importants.

« 3. S’il est question de l’équipement des unités, en particulier des divisions blindées, il faut exagérer les choses si besoin est.

« 4. Par des nouvelles appropriées, il faut créer l’impression que la protection antiaérienne à l’Est a été augmentée considérablement après la fin de la campagne de l’Ouest et qu’elle continue à l’être sur tous les points importants, grâce au matériel capturé en France.

« 5. Quant aux améliorations des voies ferrées, routes, aérodromes, etc. il faut indiquer que le travail s’effectue dans les conditions normales, qu’il est nécessité par les améliorations à apporter dans les territoires nouvellement conquis à l’Est et qu’il profite en premier lieu au trafic économique.

« Le Commandement suprême de l’Armée, (OKH) décide quels détails exacts concernant le numéro des régiments, les effectifs des garnisons, etc. seront donnés à propos des préparatifs de défense aux fins de contre-espionnage.

« Le Chef du Haut Commandement des Forces armées,

« Par ordre,

« Signé : Jodl. »

Au début de novembre 1940, Hitler répéta ses ordres précédents et demanda qu’on continuât les préparatifs promettant des instructions plus précises dès que ces travaux préliminaires donneraient les grandes lignes du plan d’opérations de l’Armée ; cet ordre était donné dans une directive très secrète du Quartier Général du Führer nº 18, en date du 12 novembre 1940, signée par Hitler et portant les initiales de Jodl. Il figure dans notre documentation sous le nº PS-444 et a déjà été présenté en preuve comme GB-116.

La directive commence par ces mots :

« Les mesures de préparation du Grand Quartier Général concernant la poursuite de la guerre dans le proche avenir doivent être prises dans le sens suivant… »

Elle donne ensuite les grandes lignes des plans applicables aux divers théâtres d’opérations et la politique des relations avec les autres pays, et elle dit au sujet de l’URSS ; je lis maintenant un passage de la page 3 de la traduction, paragraphe 5, anglais :

« Des discussions politiques ont été entreprises avec l’intention de rendre plus claire l’attitude de la Russie pour le moment. Sans tenir compte des résultats de ces discussions, on continuera tous les préparatifs qui ont été déjà ordonnés verbalement pour la région Est.

« Des instructions suivront à ce sujet dès que les grandes lignes des plans des opérations de l’Armée m’auront été soumises et que je les aurai approuvées. »

Le 5 décembre 1940, le chef de l’État-Major général de l’Armée qui était alors le général Halder fit à Hitler un rapport concernant les progrès des plans des opérations à venir, contre l’URSS. Un compte rendu de cette conférence avec Hitler figure au document saisi PS-1799. C’est le dossier contenant de nombreux documents marqués tous « annexes » et portant tous sur le « Cas Barbarossa », c’est-à-dire le plan contre l’URSS. Ce dossier fut découvert dans le journal de guerre du Wehrmachtführungsstab et était apparemment joint à ce journal.

Le compte rendu dont je parle est l’annexe 1, datée de décembre 1940.

Je dépose maintenant en preuve le document PS-1799 (USA-131). J’aimerais également lire dans ce compte rendu quelques phrases du rapport du 5 décembre 1940, car elles indiquent l’état des plans de cet acte d’agression, six mois et demi avant qu’il ne se produise.

« Rapport fait au Führer le 5 décembre 1940 :

« Le chef de l’État-Major général de l’Armée rendit compte alors des opérations projetées dans l’Est. Il s’étendit ensuite sur les conditions géographiques fondamentales. Les centres les plus importants d’industrie de guerre sont en Ukraine, à Moscou et à Leningrad. »

Je passe ensuite à la phrase :

« Le Führer déclare qu’il a approuvé les plans d’opérations en discussion et il ajoute ce qui suit : le but le plus important est d’empêcher que les Russes puissent se retirer sur un front continu. L’avance en direction de l’Est sera combinée de telle façon que l’aviation russe ne puisse attaquer le territoire du Reich allemand et que d’autre part, l’aviation allemande soit mise à même d’entreprendre des raids de destruction sur les régions d’industrie de guerre russes. De cette façon, nous serons capables d’achever la destruction de l’armée russe et nous empêcherons qu’elle puisse renaître. Le premier engagement devra permettre la destruction d’une grande partie de l’ennemi. »

Puis, plus loin :

« Il est essentiel que les Russes ne puissent reprendre les positions à l’arrière. Le nombre de 130 à 140 divisions prévues sur l’ensemble de l’opération est suffisant. »

LE PRÉSIDENT

Je crois que nous pouvons lever l’audience.

M. ALDERMAN

En effet, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Demain, il n’y aura pas d’audience publique. Lundi à 10 heures nous siégerons à nouveau.

(L’audience sera reprise le 10 décembre 1945 à 10 heures.)