SEIZIÈME JOURNÉE.
Lundi 10 décembre 1945.

Audience du matin.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal a reçu une lettre du docteur Dix, au nom de l’accusé Schacht. Pour y répondre, nous informons les avocats qu’ils auront l’autorisation, en vertu de l’article 24 h de l’Acte constitutif, de faire une seule plaidoirie et ce après la présentation de toutes les preuves. Après l’exposé de l’accusation par le Ministère Public, les avocats seront invités à soumettre au Tribunal les preuves qu’ils désirent apporter, mais ils devront se borner à l’énumération des noms des témoins et des questions auxquelles se rapporteront leurs témoignages cette présentation ne devra pas se faire sous la forme d’une plaidoirie cela est-il bien clair ? Pour éviter tout malentendu, ce que je viens de dire figurera au tableau d’affichage de la salle des avocats, afin que vous puissiez vous y référer.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Vendredi, à la suspension d’audience, j’en étais arrivé dans mon exposé de l’agression contre l’URSS au moment où, la campagne à l’Ouest terminée, les conspirateurs nazis avaient commencé le développement de leur plan d’attaque contre l’Union Soviétique. Des préparatifs et des actions préliminaires de grande envergure étaient en voie d’exécution. Hitler avait annoncé dès novembre que des instructions plus précises et plus détaillées seraient données ultérieurement, c’est-à-dire aussitôt que le schéma général du plan d’opérations de l’Armée lui aurait été soumis et qu’il l’aurait approuvé. Nous atteignons ainsi la phase qui, dans le schéma présenté vendredi dernier, constitue la troisième partie du « plan Barbarossa ».

Le 18 décembre 1940, le schéma général du plan d’opérations de l’Armée ayant été soumis à Hitler, les directives stratégiques de base pour le « plan Barbarossa » furent données au Haut Commandement de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation : Directive nº 21. Cette instruction révèle pour la première fois l’existence d’un plan d’invasion de l’Union Soviétique il en a été formellement fait mention dans un ordre, bien que cet ordre portât la mention « Secret absolu ». C’est là également que, pour la première fois, a été employé le mot-code « Barbarossa » pour désigner cette opération.

Cette instruction qui porte le numéro PS-446 a déjà été déposée au cours de mon exposé introductif, sous le nº USA-31. Étant donné que ce document a été à l’époque examiné à fond, je crois qu’il suffit maintenant de rappeler au Tribunal deux ou trois passages parmi les plus significatifs. La plupart de ces passages figurent à la page 1 de la traduction anglaise. L’un des plus caractéristiques, semble-t-il, est le premier de cette instruction : « Les Forces armées allemandes doivent être prêtes à écraser la Russie soviétique, au cours d’une campagne rapide, avant même la fin de la guerre contre l’Angleterre. »

On relève à la même page : « Les préparatifs les plus longs à mettre à exécution doivent, si cela n’a pas encore été fait, être engagés dès maintenant et terminés le 15 mai 1941.

« Il faudra prendre de très grandes précautions pour que l’on ne puisse se rendre compte de notre intention d’attaquer. »

Cette instruction donne ensuite un schéma du vaste plan stratégique d’invasion et fixe les rôles que les divers services (Armée, Marine, Aviation) doivent y jouer elle demande en outre que les Commandants en chef fournissent à Hitler des rapports oraux et se termine comme suit :

V, page 2 : « Conformément à ces instructions, j’attends les rapports des Commandants en chef sur leurs plans ultérieurs.

« Le Haut Commandement devra me présenter des rapports sur les préparatifs prévus par les différentes armes, en mentionnant leur durée. » Signé par Hitler, paraphé par Jodl, Keitel, Warlimont et une autre signature illisible.

Il résulte clairement de l’ordre lui-même ainsi que des circonstances dans lesquelles il a été donné, qu’il ne s’agissait pas là d’une simple manœuvre ordonnée par l’État-Major. Il s’agissait bien d’un ordre préparant un acte d’agression qu’on avait l’intention d’accomplir et qui eut effectivement lieu.

Les divers services qui le reçurent le comprirent certainement comme un ordre de se préparer à l’action et non pas comme plan hypothétique d’opérations. Cela résulte des plans détaillés et des préparatifs qui suivirent immédiatement dans le but de développer le schéma général exposé dans cette directive de base.

Nous en venons maintenant, au plan militaire et aux préparatifs d’exécution de l’action « Barbarossa ». Le Journal de guerre de la Marine du 13 janvier 1941 indique que très tôt, l’OKM s’est conformé à la disposition de l’instruction 21, enjoignant d’informer Hitler des progrès de la préparation, par l’intermédiaire du Haut Commandement des Forces armées. Ce début du journal de guerre figure dans notre documentation sous le titre C-35 et nous le produisons sous la cote USA-132. Ce document contient une bonne quantité d’informations techniques concernant le rôle de la Marine dans la campagne à venir et la manière dont elle se préparait à le remplir. Je pense cependant qu’il suffira pour ce que nous nous proposons de prouver, de montrer en lisant un court extrait du début de ce journal, que la Marine se préparait activement à l’attaque fixée à une date ultérieure.

Je commence à la page I de la traduction anglaise, qui est la page 401 du journal proprement dit :

« 30 janvier 1941.

« 7. I. a. a parlé de plans et de préparatifs pour l’action “Barbarossa” qui doivent être soumis au Haut Commandement des Forces armées. »

Je fais remarquer que « I. a. » dans ce cas, est une abréviation désignant le chef adjoint des opérations navales. Suit une liste des objectifs de la Marine dans la guerre contre la Russie. Puis une énumération des tâches qui lui incombent, dont l’une est assez typique pour donner au Tribunal une idée de toutes les autres. Je cite ce qui figure en haut de la page 2 de la traduction anglaise :

« II. – Objectifs en cas de guerre contre la Russie.

« d) Harceler la flotte russe par des coups donnés par surprise, comme : 1. Dès le déclenchement de la guerre, des attaques-éclair menées par des escadrilles d’aviation, contre les points fortifiés et contre les vaisseaux de guerre dans la Baltique, la Mer Noire et l’Océan Glacial Arctique. »

En déposant ce document, j’ai simplement l’intention de montrer que le « plan Barbarossa » a été élaboré et établi presque six mois avant l’ouverture des opérations. Il ne s’agit ici que d’un document de plus dans cette masse qui démontre de façon indiscutable que l’invasion de l’Union Soviétique fut l’une des attaques les plus froidement préméditées contre une puissance voisine, qu’ait enregistrée l’Histoire.

De même, le Journal de guerre de la Marine du mois de février mentionne plusieurs fois les plans et les préparatifs pour la campagne future. Le document C-33 que je dépose sous le titre USA-133 en contient des extraits. Je pense qu’il suffira, pour le procès-verbal, de citer les passages caractéristiques qui figurent à la date du 19 février 1941, page 3 de la traduction anglaise et à la page 248 du journal proprement dit.

« En ce qui concerne les opérations prochaines “Barbarossa” pour lesquelles toutes les vedettes rapides de la Baltique seront nécessaires, on ne peut envisager leur transfert qu’après la fin des opérations “Barbarossa” ».

Le 3 février 1941, le Führer tint une conférence pour examiner les progrès déjà accomplis dans la préparation du « plan Barbarossa ». Au cours de cette conférence, furent examinés également les plans « Sonnenblume » (Tournesol) c’était le mot-code désignant les opérations en Afrique du Nord. Avec Hitler, étaient présents : l’accusé Keitel, chef du Haut Commandement des Forces armées, l’accusé Jodl, chef de l’État-Major d’opérations des Forces armées, Brauchitsch, Commandant en chef de l’Armée, Halder, chef de l’État-Major général de l’Armée, ainsi que divers autres dont le colonel Schmundt, aide de camp de Hitler. Un compte rendu de cette conférence se trouve dans notre document PS-872 que je dépose sous le numéro USA-134.

Au cours de cette conférence, le chef d’État-Major général de l’Armée fournit un long rapport sur les forces ennemies comparées à ses propres forces, et sur les plans généraux d’invasion. Ce rapport est ponctué à divers intervalles par des commentaires du Führer.

À la page 4 de la traduction anglaise du compte rendu de la conférence, et à la page 5 de l’original allemand, se trouve un extrait intéressant qui, bien qu’écrit en abrégé, est cependant suffisamment clair pour nous montrer qu’on avait déjà prévu en détail l’horaire des heures de déploiement des troupes ainsi que des mesures industrielles. Je cite :

« Les dates prévues furent reportées sur la carte. Premier échelon du dispositif » – Aufmarschstaffel – « à transférer maintenant, Front – Intérieur – Est. Deuxième échelon du dispositif, à partir du milieu de mars donne trois divisions de renfort dans l’Ouest, mais Groupes d’armées et Hauts Commandements d’armées sont retirés de l’Ouest – Dans l’Est, il y a déjà des renforts considérables bien que stationnés à l’arrière. À partir de ce moment “Attila” » – je puis dire ici que c’était là le mot-code désignant les opérations pour l’occupation de la France non occupée – « ne peut être exécuté qu’avec difficulté. Les transports industriels sont gênés par les mouvements de troupes. À partir du début avril, on s’enquerra des possibilités de traverser la Hongrie. Troisième échelon du dispositif à partir du milieu d’avril. “Félix” n’est plus possible, étant donné que la plus grande partie de l’artillerie est déjà embarquée. » – « Félix » était le nom de l’opération projetée contre Gibraltar. – « L’industrie travaille à rendement maximum suivant les tableaux d’opérations prévus. Plus de camouflage. Quatrième échelon du dispositif du 25 avril au 15 mai, retire des forces considérables de l’Ouest. “Seelöwe” ne peut plus être exécuté. » – « Seelöwe » (Lion de mer) était le mot-code désignant les opérations projetées contre l’Angleterre et « Marita », que nous trouverons plus loin, celui qui désignait les opérations contre la Grèce. – « La concentration de troupes à l’Est est clairement apparente. Les maxima des tableaux d’opérations sont maintenus. Le tableau complet du dispositif des forces sur la carte montre huit divisions Marita.

« Le Commandant en chef de l’Armée a demandé à ne plus employer ici cinq divisions de contrôle, mais à les garder à la disposition des chefs militaires à l’Ouest. »

« Le Führer : Quand “Barbarossa” commencera, le monde retiendra son souffle et se taira. »

À mon sens, il résulte de ceci et des conclusions de la conférence que je lirai tout à l’heure, que l’Armée et la Marine considéraient « Barbarossa » comme une directive d’action, et que leurs préparatifs étaient déjà très avancés dès février 1941, près de cinq mois avant le 22 juin, date à laquelle l’attaque fut effectivement déclenchée. Le compte rendu de la conférence en résume comme suit les conclusions, dans la mesure où elles concernent « Barbarossa » : je lis la page 6 de la traduction anglaise (page 7 du texte allemand).

« Conclusions :

« 1. “Barbarossa”

« a) Le Führer approuve le plan d’opérations dans son ensemble. Au cours de son exécution, il faudra se souvenir que le but essentiel est de s’emparer des États Baltes et de Leningrad.

« b) Le Führer désire que la carte des opérations et le plan de disposition des forces lui soient envoyés aussitôt que possible.

« c) On ne doit pas conclure d’accords avec les États voisins qui doivent y participer, avant qu’il ne soit possible de se démasquer entièrement. Une seule exception pour la Roumanie en ce qui concerne le renforcement de la Moldavie.

« d) Il faut dans tous les cas exécuter “Attila”. (Avec les moyens disponibles.)

« e) La concentration pour le plan “Barbarossa” sera camouflée sous la forme d’une feinte pour “Lion de mer” et comme une mesure subsidiaire concernant “Marita” ».

Le 13 mars 1941, l’accusé Keitel signa une directive d’opérations de l’ordre du Führer nº 21 qui fut donnée sous la forme d’« Instructions pour les territoires soumis à un régime spécial. » C’est l’ordre d’opérations détaillé nº PS-447, que je dépose sous le nº USA-135. Cet ordre donné plus de trois mois avant l’attaque montre avec quelle précision les plans avaient prévu chaque phase de l’opération.

La section 1 de cette instruction est intitulée « Territoires d’opérations et pouvoir exécutif » et fixe les modalités du contrôle. D’après cette instruction, c’est le chef du Haut Commandement des Forces armées qui exerce le pouvoir exécutif dans les territoires d’opérations au cours de la campagne. Cependant, pendant cette période, le Reichsführer SS est chargé de « missions spéciales ». Ceci est exposé dans le paragraphe 2 b, page 1 de la traduction anglaise dont voici le texte :

« b) Dans la zone d’opérations de l’Armée, le Reichsführer SS est chargé par le Führer de missions spéciales concernant l’organisation de l’administration politique, tâches rendues nécessaires par la lutte qui résultera de l’opposition de deux systèmes politiques différents. Dans l’exécution de ces missions, le Reichsführer SS agira de façon indépendante et sous sa propre responsabilité. Le pouvoir exécutif est confié au Haut Commandement de l’Armée de terre (OKH) et les services qu’il contrôle ne sont pas touchés par cette instruction. Le Reichsführer SS doit veiller à ce que l’exécution de sa mission ne gêne pas les opérations militaires. Les détails en seront réglés directement et immédiatement par l’OKH en collaboration avec le Reichsführer SS. »

L’ordre décide que l’administration politique sera subordonnée à des commissaires du Reich et fixe les rapports de ces fonctionnaires et de l’Armée. Cela figure au paragraphe 2 c et au paragraphe 3, dont j’aimerais lire des extraits.

« c) Dès que la zone d’opérations sera suffisamment étendue en profondeur, elle devra être limitée à l’arrière. Le territoire nouvellement occupé à l’arrière de la zone d’opérations doit recevoir son administration politique propre. Pour le moment il sera divisé d’après des bases nationales et les positions des Groupes d’armées, dans le Nord (Pays Baltes), le Centre (Russie Blanche), le Sud (Ukraine). Dans ces territoires, l’administration politique sera confiée aux commissaires du Reich qui reçoivent leurs ordres du Führer.

« 3. Pour l’exécution de toutes les tâches militaires dans les zones soumises à l’administration politique à l’arrière de la zone d’opérations, ce sont les officiers supérieurs, responsables devant le Haut Commandement des Forces armées (OKW), qui auront pouvoir de commandement. Le Commandant en chef est le représentant suprême des Forces armées dans la zone qui dépend de lui et détenteur de droits militaires souverains. Il joue le rôle d’un commandant territorial et a les mêmes droits qu’un chef d’Armée (Armee-Oberbefehlshaber) ou qu’un général (Kommandierend General). Il doit assumer dans cette capacité les tâches suivantes :

« a) Collaboration étroite avec le commissaire du Reich, afin de l’aider à accomplir sa mission politique.

« b) Exploitation du pays et protection de ses ressources économiques destinées à l’industrie allemande. »

Cet ordre fixe également les responsabilités dans l’administration économique des territoires conquis. C’est un sujet que je développerai plus abondamment dans ma présentation ultérieure. Ceci se trouve aussi dans la section 1, paragraphe 4, que je vais lire maintenant :

« 4. Le Führer a confié la direction unique de l’administration économique dans la zone des opérations et dans les territoires d’administration politique au maréchal du Reich qui a chargé le chef du Wi Rü Amt de l’exécution de cette tâche. Des ordres spéciaux seront donnés par l’OKW/Wi Rü Amt. »

La deuxième section traite des questions concernant le personnel, les fournitures, etc.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, pourriez-vous nous dire qui était le Reichsmarschall ?

M. ALDERMAN

C’était l’accusé Göring.

LE PRÉSIDENT

Et qui était, à cette époque, le Reichsführer SS ?

M. ALDERMAN

Himmler.

LE PRÉSIDENT

Himmler ?

M. ALDERMAN

Oui.

La deuxième partie traite de questions concernant le personnel, les fournitures, les transports et communications. Je ne la lirai pas ici.

La troisième partie de l’ordre traite des relations avec certains autres États et je vais en lire une partie : je lis à partir de la page 3 de la traduction anglaise :

« III. – Règlements concernant la Roumanie, la Slovaquie, la Hongrie et la Finlande.

« 9. Les accords avec ces puissances seront conclus par l’OKW en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, et d’après les désirs des hauts commandements respectifs. Si, au cours des opérations, l’établissement de droits spéciaux s’avère nécessaire, on transmettra des requêtes dans ce sens à l’OKW. »

Le document se termine par un passage concernant la Suède, qui figure à la page 3 de la traduction anglaise.

« IV. – Directives concernant la Suède :

« 12. Puisque la Suède ne peut être qu’une zone de passage pour les troupes, le chef des troupes allemandes ne doit pas être nanti de pouvoirs spéciaux. Cependant, il a le droit et le devoir d’assurer la protection immédiate des transports ferroviaires contre le sabotage et les attaques.

« Le chef du Haut Commandement des Forces armées,

« Signé : Keitel. »

Comme il était déjà indiqué dans le plan original « Barbarossa », directive nº 21, dont j’ai déjà parlé précédemment, le plan prévoyait à l’origine que l’attaque aurait lieu aux environs du 15 mai 1941. Entre-temps, cependant, les conspirateurs nazis se trouvèrent entraînés dans une campagne dans les Balkans et furent forcés de retarder « Barbarossa » de quelques semaines. On en trouvera la preuve dans un document C-170. L’accusé Raeder a identifié ce document comme étant une compilation d’extraits officiels du journal de guerre de l’État-Major de la Marine. Il a été préparé par les archivistes de la Marine qui pouvaient consulter les dossiers de l’Amirauté et contient des références aux documents qui sont à la base de chaque note. Je dépose ce document comme preuve sous la cote USA-136.

Bien que je doive revenir plus tard sur ce texte, j’aimerais en lire maintenant un extrait qui figure au paragraphe 2 de la note 142, page 19 de la traduction anglaise, et qui est une note marginale figurant à la page 26 de l’original allemand. Cette remarque porte la date du 3 avril 1941. En voici le texte :

« Les opérations dans les Balkans retardent “Barbarossa” de près de cinq semaines. Toutes les mesures pouvant être considérées comme action offensive doivent être suspendues, d’accord avec l’ordre du Führer. »

À la fin d’avril cependant, les choses étaient suffisamment au point pour permettre au Führer de fixer définitivement le jour « J » au 22 juin, plus de sept semaines à l’avance. Le document PS-873 est un rapport « strictement confidentiel » d’une conférence avec le chef de la section Landesverteidigung des Wehrmachtsführungsstabs du 30 avril 1941, que je dépose sous la cote USA-137. Je pense qu’il suffira de lire les deux premiers paragraphes de ce rapport.

« 1. Horaire “Barbarossa”. Le Führer a décidé que l’action “Barbarossa” commencerait le 22 juin. À partir du 23 mai, mouvements de troupes selon le tableau d’opérations. Au début de l’opération, les réserves de l’OKH n’auront pas encore atteint les positions prévues.

« 2. Rapport des forces en présence pour l’action “Barbarossa”.

« Secteur Nord : effectifs allemands et russes à peu près de la même importance.

« Secteur Central : grande supériorité allemande.

« Secteur Sud : supériorité russe. »

Au début de juin, pratiquement trois semaines avant le jour « J », les préparatifs d’attaque étaient si complets qu’il fut possible au Haut Commandement d’élaborer un horaire indiquant en détail la disposition et les mouvements de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation. Ce plan constitue le document C-39 que je dépose sous la cote USA-138.

Ce document fut préparé en vingt et un exemplaires : celui que je dépose ici est la troisième copie qui fut remise au Haut Commandement de la Marine. La page 1 est sous forme de communiqué et est rédigée comme suit :

« Secret militaire absolu. Haut Commandement des Forces armées, nº 44.842/41. Secret militaire absolu WFSt. Section L. État-Major du Führer. (Sans date). À l’attention du chef. À ne transmettre que par des officiers. – 21 exemplaires. 1 copie. 00845/41. Reçu le 6 juin. Annexes : néant.

« Le Führer a approuvé le schéma ci-joint comme base de la préparation ultérieure de “Barbarossa”. Si des modifications étaient nécessaires au cours de l’exécution, le Haut Commandement des Forces armées devrait en être informé.

« Le chef du Haut Commandement des Forces armées.

« Signé : Keitel. »

Je n’ai pas l’intention de vous lire la liste complète des destinataires des vingt et une copies.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, le Tribunal ne pense pas qu’il soit nécessaire que vous lisiez toutes les annotations figurant en tête des documents secrets : Secret absolu, à transmettre par des officiers, chiffres, références, etc. Donnez seulement le numéro d’identification du document.

M. ALDERMAN

Oui, Monsieur le Président. Les deux pages suivantes du document exposent l’état des préparatifs à la date du 1er juin 1941. Cet exposé comprend six paragraphes portant les titres suivants : Situation générale, négociations avec les États amis, Armée, Marine, Aviation, Camouflage.

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire pour le procès-verbal de lire ceci intégralement. Ce qui suit est rédigé sous forme de tableau comprenant sept colonnes allant de gauche à droite et comportant date, numéro de série, Armée, Force aérienne, OKW et remarques. Ce qu’il y a de plus intéressant dans ce tableau…

LE PRÉSIDENT

Monsieur Alderman, voulez-vous lire le premier paragraphe il y a deux lignes qui me semblent importantes ?

M. ALDERMAN

Oui.

LE PRÉSIDENT

Sous le titre : Situation générale, page 2.

M. ALDERMAN

Oui, Monsieur le Président.

« I. Situation générale :

« Le plan de concentration maxima des troupes à l’Est a été mis à exécution le 22 mai. »

LE PRÉSIDENT

Oui.

M. ALDERMAN

Les textes les plus intéressants sont, à mon avis, ceux des pages 9 et 10. C’est la page 8 du texte allemand. Au bas de la page 9, on lit dans les colonnes concernant l’Armée, la Marine et l’Aviation :

« Jusqu’à 13 heures, dernière limite pour le déclenchement de l’opération. »

Dans la colonne portant le titre OKW, je cite encore :

« Le mot-code “Altona” suspend l’attaque : le mot-code “Dortmund” en confirme le déclenchement. »

Dans la colonne des remarques on lit l’observation suivante :

« Absence totale de camouflage des formations : point d’effort maximum concentration de l’armement et de l’artillerie à envisager. »

La seconde note de la page 10 du document, à la date du 22 juin, et portant le nº 31, s’applique aux rubriques : Armée, Marine Aviation et OKW. Elle porte le titre : « Jour d’invasion » et est rédigée comme suit :

« Heure “H” marquant le début de l’invasion par l’Armée et le passage de la frontière par l’Aviation : 3 h. 30. »

Dans la colonne « Remarques », on lit :

« Le rassemblement des Forces armées est indépendant de tout retard dans le déclenchement de l’action aérienne dû aux conditions météorologiques. »

Le reste de ce document est de même nature que les passages cités et, comme je l’ai dit, donne de nombreux détails sur la disposition et le rôle des divers éléments des Forces armées. Le 9 juin 1941, un ordre du Führer demanda que des rapports ultimes sur « Barbarossa » fussent envoyés à Berlin le 14 juin 1941, c’est-à-dire exactement huit jours avant le jour « J ». Cet ordre est signé par Schmundt, aide de camp de Hitler. C’est le document C-78 dans notre série de documents je le dépose sous la cote USA-139, et j’en cite la page 1, sous le titre : Conférence « Barbarossa » :

« 1º Le Führer et Commandant suprême des Forces armées a demandé que des rapports sur “Barbarossa” lui soient fournis par les Commandants des Groupes d’armées et par les Commandants de même rang de la Marine et de l’Aviation.

« 2º Les rapports seront faits le samedi 14 juin 1941, à la Chancellerie du Reich à Berlin.

« 3º Horaire :

« a) 11 heures : “Renard argenté” ;

« b) 12 à 14 heures : Groupe d’armées sud ;

« c) 14 heures à 15 h. 30 : Déjeuner pour tous ceux qui participeront à la conférence ;

« d) À partir de 15 h. 30 : Baltique, Groupe d’armées nord et Groupe d’armées du centre, dans l’ordre indiqué.

« Signé : Schmundt. »

Sont joints, une liste des participants à la conférence et l’ordre dans lequel ils doivent fournir leur rapport. Je ne la lirai pas. Sur cette liste figurent de nombreux membres, à cette époque-là, des organisations inculpées, Haut Commandement et État-Major général. On y relève évidemment les noms des accusés Göring, Keitel, Jodl et Raeder.

Je crois que les documents que j’ai déposés et cités sont plus que suffisants pour établir de façon définitive la préméditation, les calculs de sang-froid qui ont caractérisé la préparation militaire de l’invasion de l’Union Soviétique. Presque une année entière avant que le crime ne soit perpétré, les conspirateurs nazis élaborèrent leurs plans et préparèrent tous les détails militaires de leur agression avec toute cette précision et cette persévérance que l’on reconnaît au caractère allemand. Bien que plusieurs de ces accusés aient joué un rôle particulier dans cette phase militaire des plans et préparatifs d’attaque, il est assez naturel que les rôles prédominants aient été tenus comme nous l’avons vu, par les personnalités militaires, les accusés Göring, Keitel, Jodl et Raeder.

Ensuite, préparation du pillage : Plan d’exploitation économique et de spoliation de l’Union Soviétique.

Non seulement l’agression fut envisagée en détail dans le domaine militaire, mais les conspirateurs nazis en retirèrent en outre des avantages dans le domaine économique par suite de mesures soigneusement étudiées.

Au cours de mon exposé, je montrerai au Tribunal les motifs qui ont conduit ces conspirateurs à attaquer sans provocation une puissance voisine. Je montrerai alors, qu’à l’origine de ce crime, il y avait des considérations politiques et économiques. Le fondement économique peut se résumer simplement par l’avidité des conspirateurs nazis à se procurer des matières premières, du ravitaillement et autres produits appartenant à des États voisins et jugés nécessaires pour alimenter leur machine de guerre. Aux yeux de ces accusés, un besoin de cette nature devenait immédiatement un droit, et ils commencèrent très tôt à élaborer des plans et à faire des préparatifs avec cette minutie qui les caractérise, pour être sûrs que chaque part du butin qu’ils pourraient glaner au cours de leur agression serait utilisée au maximum. J’ai déjà déposé des preuves montrant que, dès août 1940, le général Thomas, chef du Groupe d’armées B reçut une note de l’accusé Göring concernant une allusion à une attaque éventuelle contre l’URSS, ce qui l’incita à s’intéresser à l’économie de guerre soviétique. J’ai annoncé aussi à ce moment-là mon intention de prouver par la suite, qu’en novembre 1940, huit mois avant l’attaque générale, Thomas fut informé catégoriquement par Göring de l’opération projetée dans l’Est et des préparatifs commencèrent en vue du pillage économique des territoires qui seraient occupés au cours de cette opération. Naturellement, Göring joua ici un rôle de direction générale étant donné son poste à la tête du Plan de quatre ans.

Thomas décrit à la page 369 de son projet, comment il prit connaissance ce ces plans qui constituent notre document PS-2353 et que j’ai déposé sous le numéro USA-35. Le passage que je me propose de lire figure aux pages 10 et 11 de la traduction anglaise.

« En novembre 1940, le chef du “Wi Rü Amt”, ainsi que les secrétaires d’État Koemer, Neumann, Backe et le général von Hanneken furent informés par le maréchal du Reich de l’action prévue à l’Est conformément à ces directives, les préparatifs préliminaires de l’action à l’Est furent entrepris par le bureau du Wi Rü à la fin de 1940.

« Les premiers préparatifs de cette action à l’Est consistèrent tout d’abord dans les tâches suivantes :

« 1. Obtenir un examen détaillé de l’industrie d’armement russe, sa localisation, ses capacités et ses industries annexes.

« 2. Enquête sur les capacités de chaque centre d’armement important et leur interdépendance.

« 3. Déterminer la puissance et les moyens de transport de l’industrie de l’Union Soviétique.

« 4. Enquête sur les sources de matières premières et de pétrole.

« 5. Préparation d’une enquête sur les industries autres que les industries de guerre dans l’Union Soviétique. »

Tous ces points furent rassemblés dans un ouvrage important : Économie de guerre de l’Union Soviétique, illustré de cartes détaillées.

Je continue à citer :

« En outre, on établit un fichier de toutes les usines importantes de la Russie soviétique, et un lexique économique en langue russe et allemande à l’usage de l’organisation de l’économie de guerre allemande. Pour l’analyse de tous ces problèmes, un bureau militaire “Russie” fut créé il fut dirigé tout d’abord par le lieutenant-colonel Luther, puis par le général de brigade Schubert. Le travail était exécuté conformément aux directives du chef de bureau chargé – je le suppose – de l’ensemble des services pour les territoires étrangers (Ausland), en collaboration avec les services et bureaux économiques, et toutes les autres personnes compétentes en ce qui concerne la Russie. Ce travail intensif de préparation consista à établir une documentation importante qui s’avéra, plus tard, particulièrement précieuse pour les opérations et l’administration du territoire. » Ceci termine la citation.

Vers la fin de février 1941, l’état des travaux préliminaires était arrivé au point où il était nécessaire d’élaborer un plan d’organisation plus vaste, et c’est ainsi que, le 28 février 1941, le général Thomas réunit ses subordonnés pour le mettre en œuvre. Un mémorandum sur cette conférence, portant la mention « Secret absolu » et daté du 1er mars 1941 a été saisi et constitue notre document PS-1317. Je le dépose maintenant comme preuve, sous la cote USA-140. En voici le texte :

« Le général donna l’ordre d’élaborer pour le maréchal du Reich un plan d’organisation plus vaste.

« Points essentiels :

« 1. Toute l’organisation doit être subordonnée au maréchal du Reich. But : soutien et extension des mesures du Plan de quatre ans.

« 2. L’organisation doit comprendre tout ce qui concerne l’économie de guerre, à la seule exclusion du secteur de l’alimentation, qui est confié comme mission spéciale au secrétaire d’État Backe.

« 3. Bien mettre en lumière que l’organisation doit être indépendante de l’administration militaire ou civile. Coordination étroite, mais instructions reçues directement de l’Office central à Berlin.

« 4. Ce travail se fera en deux phases :

« a) Suivre l’avance des troupes immédiatement derrière la ligne de front, afin d’éviter la destruction des stocks et d’assurer l’évacuation des denrées importantes.

« b) Administration des districts industriels occupés et exploitation des districts économiquement reliés. »

Puis au bas de la page 1 :

« 5. Étant donnée l’étendue accrue de ce champ d’action, la formule “Inspection de l’économie de guerre” doit être employée de préférence à “Inspection des armements”.

« 6. Étant donnée l’étendue de ce champ d’action, l’organisation doit disposer de moyens importants et d’un personnel suffisamment nombreux. La mission essentielle de l’organisation consistera à s’emparer des matières premières et à prendre en mains toutes les entreprises importantes. On utilisera pour cette dernière mission, des personnes de confiance prises dans les usines allemandes, car l’opération ne pourra être menée à bonne fin qu’avec le concours de leur expérience (par exemple lignite, minerai, industries chimiques, pétrole, etc.)

« Après discussion d’autres questions spéciales, le lieutenant-colonel Luther fut chargé de rédiger en une semaine un premier projet de cette organisation.

« Une étroite collaboration avec les sections particulières est essentielle dans l’élaboration de ces plans. Un officier doit être délégué auprès du “Wi Rü”, avec lequel l’État-Major d’opérations doit conserver un contact permanent. “Wi” devra remettre à chaque chef de section et au lieutenant-colonel Luther, un exemplaire du nouveau plan concernant la Russie. Le général Schubert est prié d’être à Berlin à la fin de la semaine prochaine. De plus, les quatre officiers qui ont été chargés des inspections d’armement spéciales doivent fournir un rapport au chef du service à la fin de la semaine prochaine.

« Signé : Hamann. »

Hamann, qui signa ce rapport, figure sur la liste des officiers présents avec le grade de capitaine. Il était apparemment le plus jeune d’entre eux et c’est pourquoi il est assez naturel qu’il ait été chargé de rédiger le compte rendu de la conférence.

Les pouvoirs et le but de cette organisation, que Thomas était en train d’instituer d’après les directives de Goring, furent clairement reconnus par Keitel, dans son ordre d’opérations du 13 mars 1941. Cet ordre porte le nº PS-447, et je l’ai déjà déposé au début de mon exposé sous la cote USA-135. J’en ai cité, à cette époque, un paragraphe mentionnant que le Führer avait confié au maréchal du Reich la direction générale de l’administration économique dans les zones d’opérations et l’administration politique : Göring, à son tour, avait délégué ses pouvoirs au chef du Wi Rü Amt.

Le travail d’organisation demandé par le général Thomas à la réunion du 28 février se poursuivit apparemment avec une grande rapidité, et, dès le 29 avril 1941, une conférence réunissant diverses sections des Forces armées eut lieu pour expliquer l’organisation de l’État-Major économique Oldenburg. Oldenburg était le mot-code désignant l’ensemble des problèmes économiques liés au « plan Barbarossa ». Un rapport sur cette conférence a été saisi c’est le document PS-1157. Je le dépose maintenant sous la cote USA-141. La première partie de ce mémorandum traite de l’organisation générale de l’État-Major économique Oldenburg, telle qu’elle existait à l’époque, et j’aimerais en lire la plus grande partie, pour qu’elle figure au procès-verbal. Le rapport commence ainsi :

« Conférence avec les sections des Forces armées le mardi 29 avril 1941, à 10 heures.

« I. Bienvenue.

« But de la réunion : introduction à la structure de l’organisation de la section économique de l’opération “Barbarossa-Oldenburg”.

« Comme on le sait déjà, le Führer, contrairement à la façon de procéder antérieure, a ordonné pour cette entreprise, que la direction de toutes les opérations économiques soit confiée à une seule personne et a donné au Maréchal du Reich la direction générale de l’administration économique dans la zone d’opérations et dans les zones soumises à son administration politique.

« Le Maréchal du Reich a délégué ces fonctions à un État-Major économique, travaillant sous la direction du bureau économique d’armement (chef du Wi Rü Amt). Après le Maréchal du Reich et l’État-Major général économique, l’autorité centrale suprême dans la zone d’action proprement dite est – et voici son titre :

« L’État-Major économique “Oldenburg” pour missions spéciales, sous le commandement du Generalleutnant Schubert.

« Lui sont subordonnés, d’après une subdivision territoriale :

« 5 inspections économiques ;

« 23 commandements économiques ;

« 12 bureaux régionaux répartis dans les localités les plus importantes de la zone de commandement économique.

« Ces bureaux exercent leur activité à l’arrière de la zone militaire. Il faut partir du principe que, dans le ressort de chaque Groupe d’armées, il doit y avoir une inspection économique au siège du commandant de la zone militaire de l’arrière chargée de surveiller l’exploitation économique du territoire.

« Une distinction doit être établie entre la zone militaire de l’arrière et la zone de combat proprement dite, d’une part, et les arrières de l’Armée, d’autre part. Dans le dernier cas, les questions économiques sont traitées par le Groupe IV Économie (IV WI.) du Quartier Général de Commandement de l’Armée, c’est-à-dire de l’officier de liaison du Wi Rü Amt de l’OKW auprès du Quartier Général de Commandement de l’Armée. Pour la zone de combat, l’officier de liaison dispose de formations de techniciens, d’effectifs de reconnaissance et de récupération pour les matières premières, le pétrole, les machines agricoles, en particulier les tracteurs, et les moyens de production.

« Dans le secteur compris entre la zone de bataille et les arrières, c’est-à-dire les arrières de l’Armée, le groupe IV – Économie, ainsi que les différents postes de commandement – est à la disposition de l’officier de liaison de l’Office économique des armements, afin d’aider les spécialistes du Quartier Général de Commandement de l’Armée, chargés de se procurer sur place les ressources nécessaires à l’entretien des troupes et de préparer pour plus tard une exploitation économique généralisée.

« Tandis que ces unités se déplacent avec les troupes, les inspections économiques, les commandements économiques et les services qui en dépendent restent sur place.

« Ce qu’il y a de nouveau dans l’organisation dépendant de l’État-Major économique Oldenburg, c’est qu’elle s’occupe non seulement de l’industrie militaire, mais englobe tout le champ de l’économie. En conséquence, les services ne s’appellent plus bureaux d’industrie militaire ou d’armements, mais, d’une manière générale, inspections économiques, commandements économiques, etc.

« Ceci correspond aussi à l’organisation interne des bureaux spéciaux qui, depuis l’État-Major économique Oldenburg jusqu’aux commandements économiques, se subdivisent en trois grands groupes :

« Groupe M – ravitaillement des troupes, armements, organisation des transports industriels,

« Groupe L – qui s’occupe de toutes les questions de ravitaillement et d’agriculture,

« Groupe W – qui est chargé de tout le domaine du commerce et de l’industrie, y compris les matières premières et les fournitures, les questions forestières, financières et bancaires, les biens ennemis, le commerce et les échanges, et les allocations de main-d’œuvre.

« Le secrétaire d’État Backe est nommé commissaire au Ravitaillement et à l’Agriculture à l’Êtat-Major général. Les questions dépendant du groupe W seront traitées par le général von Hanneken. »

Le reste du document concerne les subdivisions locales, les problèmes de personnel d’organisation et autres détails similaires, que je ne juge pas nécessaire de faire figurer au procès-verbal. Ces documents illustrent d’une façon frappante la méthode froidement calculatrice avec laquelle les conspirateurs nazis ont préparé, des mois à l’avance, le vol et le pillage de leurs futures victimes. Ils montrent que les conspirateurs s’étaient préparés, non seulement à lancer une attaque insensée contre un voisin auquel ils avaient garanti la sécurité, mais qu’ils avaient également l’intention de lui voler sa nourriture, ses usines, et tous ses moyens d’existence.

Comme je le montrerai plus tard dans mon exposé, lorsque j’aborderai la question des mobiles du crime, ces hommes avaient fait des plans de pillage, sachant pertinemment que leur exécution causerait la ruine et la famine de millions d’habitants de l’Union Soviétique.

LE PRÉSIDENT

II serait peut-être temps de suspendre.

(L’audience est suspendue.)
M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Les interprètes m’ont dit que j’avais parlé très vite ce matin. J’essaierai de parler plus lentement.

Je vais parler maintenant de la politique de destruction, préparatoire à la phase politique de l’agression.

Comme je l’ai déjà indiqué, et comme je le développerai plus abondamment au cours de cet exposé, les conspirateurs nazis, en préparant l’invasion de l’Union Soviétique, étaient poussés par des raisons d’ordre économique et par des raisons d’ordre politique. En ce qui concerne l’aspect économique de l’agression, j’ai déjà montré l’étendue des plans et des préparatifs qui avaient été mis au point. On retrouve la même minutie dans les plans et les préparatifs faits pour assurer la réalisation des buts politiques de leur agression. Ce but final, il suffit de le définir comme l’élimination de l’Union Soviétique, en tant que facteur politique important en Europe, et l’acquisition de l’espace vital (Lebensraum).

C’est l’accusé Rosenberg qui fut choisi par les conspirateurs nazis comme agent d’exécution. Dès le 2 avril 1941, Rosenberg, ou un membre de son État-Major, prépara un mémorandum sur l’URSS. Ce mémorandum envisage la possibilité d’un différend avec l’Union Soviétique, à la suite duquel les troupes allemandes occuperaient rapidement une portion importante de son territoire. Ce mémorandum examine ensuite quel devrait être le but politique d’une telle occupation, et suggère des moyens pour l’atteindre. Le nº PS-1017 est dans notre série je le dépose maintenant comme preuve, sous la cote USA-142. Je commence au deuxième paragraphe, sous le titre : « URSS ».

« Un conflit militaire avec l’URSS entraînera une occupation extrêmement rapide d’une portion importante et étendue de l’URSS. Il est très probable qu’une action militaire de notre part serait rapidement suivie de l’écroulement militaire de l’Union Soviétique. L’occupation de ces zones ne présenterait pas du point de vue militaire autant de difficultés qu’au point de vue administratif ou économique. La première question qui se pose est la suivante :

« L’occupation doit-elle être motivée par des raisons purement militaires ou économiques, ou bien les bases politiques de la future organisation de ces territoires doivent-elles également entrer en ligne de compte pour déterminer l’étendue de l’occupation ? Dans ce cas, il est urgent de fixer le but politique à atteindre, car sans aucun doute, il influencera aussi les opérations militaires.

« Si les opérations militaires ont pour but un effondrement politique de l’Empire de l’Est, on peut tirer de l’état de faiblesse qui sera le sien à ce moment, les conclusions suivantes :

« 1. L’occupation doit s’étendre sur de vastes territoires.

« 2. Dès le début, il ne faut pas perdre de vue, dans les régions occupées, tant dans l’administration et l’économie que dans la propagande idéologique, les buts politiques que nous nous efforçons d’atteindre.

« 3. De plus, les questions extraordinaires liées à l’occupation de ces vastes territoires telles que l’acquisition des matières essentielles à la poursuite de la guerre contre l’Angleterre, le maintien de la production qu’exige cette guerre et les grandes directives pour les zones complètement autonomes, devraient se trouver concentrées ensemble.

« Je dois insister à nouveau sur le fait que tous les arguments suivants n’auront de valeur qu’une fois que seront assurées à la Grande Allemagne les ressources des territoires à occuper, qui lui sont indispensables pour la poursuite de la guerre.

« Pour qui connaît l’Est, une carte démographique russe comprend les unités nationales ou géographiques suivantes :

« a) La Grande Russie, avec Moscou comme centre.

« b) La Russie Blanche, avec Minsk ou Smolensk comme capitale.

« c) L’Estonie, la Lettonie et la Lithuanie.

« d) L’Ukraine et la Crimée, avec Kiev comme centre.

« e) Le secteur du Don, avec Rostov comme capitale.

« f) Le secteur du Caucase.

« g) L’Asie centrale russe ou Turkestan russe. »

Le mémorandum étudie ensuite en détail chacune des zones ou unités géographiques ainsi délimitées je ne lirai pas ces passages. À la fin du document cependant, l’auteur résume ses pensées et expose son plan. J’aimerais lire cette partie, pour qu’elle figure au procès-verbal. Elle se trouve au bas de la page 4 du texte anglais, sous le titre « Résumé ». Le plan méthodique suivant résulte des observations brièvement esquissées ici :

« 1. Création d’un département central des territoires occupés de l’URSS, plus ou moins limité à la période des hostilités. Il doit travailler en accord avec les autorités suprêmes du Reich. Les tâches sont de :

« a) Donner aux zones d’administration séparées des directives politiques précises, s’inspirant de l’état de choses du moment et du but que l’on se propose d’atteindre.

« b) Se procurer pour le Reich dans les territoires occupés les produits nécessaires à la conduite de la guerre.

« c) Préparer et assurer, par un contrôle général dans toutes les zones, la solution des problèmes importants tels que les problèmes de finances et de capitaux, des transports, de la production de pétrole, de charbon et du ravitaillement.

« 2. Mise en œuvre d’une décentralisation nettement définie dans les zones d’administration séparées, qui seront groupées en se basant sur des considérations nationales ou de politique économique, ce qui facilitera les tâches de nature très différente qui leur incombent.

« Par contre, un service administratif appelé à résoudre les différents problèmes de façon théorique et ne s’inspirant que de considérations économiques comme on l’envisage actuellement, serait bientôt dépassé et manquerait son but. Un office central de ce genre ferait, dans toutes les zones, la même politique dictée seulement par des considérations économiques et entraverait l’exécution des tâches politiques organisme d’esprit purement bureaucratique, il pourrait même faire échouer cette mission.

« La question, par conséquent, est de savoir s’il ne faut pas adopter les opinions qui ont été exposées et s’inspirer de raisons purement pratiques, lorsqu’on organisera ’administration de ces territoires sur la base de l’économie de guerre. Étant donné l’étendue énorme de ces territoires et les difficultés d’administration qui en découleront, étant donné aussi la nature des conditions d’existence créées par le bolchévisme, foncièrement différentes de celles de l’Europe occidentale, il faut résoudre les problèmes qui se posent en URSS dans un esprit tout autre que ceux des pays individualistes de l’Europe de l’Ouest. »

LE TRIBUNAL (M. BIDDLE)

Le document est-il signé ?

M. ALDERMAN

Non, il ne porte pas de signature.

M. BIDDLE

Est-ce l’écriture de l’accusé Rosenberg ?

M. ALDERMAN

Ce document a été trouvé dans les archives de Rosenberg.

LE TRIBUNAL (M. BIDDLE)

Y a-t-il quoi que ce soit qui indique qu’il l’ait écrit ?

M. ALDERMAN

Non. J’ai dit que ce document avait dû être écrit par l’accusé Rosenberg ou sur son ordre. Nous l’avons trouvé dans ses archives, qui constituent en fait une vaste bibliothèque.

Il est évident que l’administration « telle qu’on l’envisage actuellement, ne s’inspirant que de considérations économiques », et contre laquelle ce mémorandum élève des objections, est l’État-Major économique Oldenburg, que j’ai déjà mentionné, comme ayant été institué sous l’autorité de Göring et du général Thomas.

L’exposé de Rosenberg – si c’est le sien – sur les buts politiques de l’invasion, ainsi que son analyse des méthodes pour atteindre ce but, trouvèrent un écho immédiat. Par un ordre du Führer, daté du 20 avril 1941, Rosenberg fut nommé commissaire au Contrôle central pour les affaires de l’Est européen. Cet ordre fait partie de la correspondance concernant la nomination de Rosenberg, dossier qui a reçu le nº PS-865. Je demande que ce dossier, comprenant quatre lettres que je lirai ou que je mentionnerai, soit admis comme preuve, sous la cote USA-143.

Voici l’ordre lui-même. C’est le premier document dans la traduction anglaise : PS-865.

« Je nomme le Reichsleiter Alfred Rosenberg, commissaire au Contrôle central pour les affaires de l’Est européen.

« Un service établi conformément aux présentes directives sera mis à la disposition du Reichsleiter Rosenberg, pour l’aider dans l’exécution des tâches qui lui sont assignées.

« L’argent nécessaire à ce bureau sera prélevé en bloc sur le trésor de la Chancellerie du Reich.

« Quartier Général du Führer, 20 avril 1941.

« Le Führer. Signé : Adolf Hitler.

« Le Ministre du Reich et Chef de la Chancellerie du Reich.

« Signé : Dr Lammers. »

Cet exemplaire en particulier de l’ordre du Führer était joint à une lettre que le docteur Lammers écrivit à l’accusé Keitel, pour lui demander de collaborer avec Rosenberg et de nommer un représentant auprès de celui-ci. Voici le texte de cette lettre. – Elle est écrite sur le papier à lettres de la Chancellerie du Reich – :

« Berlin, 21 avril 194l. » Je passe les formules de politesse. – « Je joins à cette lettre une copie du décret du Führer, en date du 20 de ce mois, nommant le Reichsleiter Alfred Rosenberg commissaire au Contrôle central pour l’Est européen. À ce titre, le Reichsleiter Rosenberg doit très rapidement faire le nécessaire pour parer à l’éventualité toute proche.

« Le Führer désire que Rosenberg soit autorisé à cet effet à collaborer le plus étroitement possible avec les autorités suprêmes du Reich, reçoive d’elles toutes informations nécessaires et convoque les représentants des Autorités suprêmes du Reich à des conférences. Afin de garantir le secret nécessaire qui doit entourer cette nomination, et les mesures qui doivent être prises, seules en seront informées les Autorités suprêmes du Reich dont la collaboration est indispensable au Reichsleiter Rosenberg à savoir : Göring, commissaire au Plan de quatre ans, le ministre de l’Économie du Reich, et vous-même » (c’est-à-dire Keitel).

« Par conséquent, puis-je vous demander, conformément au désir du Führer, de mettre vos bons offices à la disposition du Reichsleiter Rosenberg, pour l’accomplissement de la tâche qui lui a été impartie ? Il serait bon, pour garder le secret, que vous nommiez dans vos services une personne accréditée, chargée de la liaison avec les services du Reichsleiter et qui, outre votre adjoint habituel, sera la seule personne au courant du contenu de cette lettre.

« Je vous serais obligé de bien vouloir accuser réception de cette lettre. Heil Hitler ! Bien sincèrement à vous.

« Signé : Docteur Lammers. »

Dans la lettre suivante, Keitel répond à Lammers en accusant réception de sa lettre et en lui donnant son assentiment. Il met également par lettre Rosenberg au courant de ses décisions. Je vais lire le texte de sa lettre au docteur Lammers,

« Cher Reichsminister,

J’accuse réception de la copie du décret du Führer nommant le Reichsleiter Alfred Rosenberg commissaire au Contrôle central pour les affaires de l’Est européen. J’ai désigné le, général d’artillerie Jodl, chef de l’État-Major d’opérations des Forces armées, comme mon représentant permanent et le Generalmajor Warlimont comme son représentant auprès du Reichsleiter Rosenberg. »

Voici la lettre adressée le même jour par Keitel au Reichsleiter Rosenberg :

« Le Chef de la Chancellerie du Reich m’a envoyé une copie du décret du Führer, vous nommant commissaire au Contrôle central pour les affaires de l’Est européen. J’ai chargé le général d’artillerie Jodl, chef de l’État-Major d’opérations des Forces armées et son représentant le général Warlimont, de résoudre ces problèmes, dans la mesure où ils intéressent le Haut Commandement des Forces armées. Dans la mesure où vos services sont en cause, je vous demande de ne traiter qu’avec eux. »

Aussitôt après avoir reçu cet ordre de Hitler, Rosenberg se mit à l’œuvre il eut plusieurs entrevues dans les divers ministères, donna des instructions et prépara minutieusement la mission qu’on lui avait confiée. Les papiers de Rosenberg, qui ont été saisis intacts, sont pleins de documents montrant à la fois l’étendue et l’objet de ces préparatifs je crois cependant qu’il suffira au Tribunal de prendre connaissance de quelques documents caractéristiques qui figureront au procès-verbal des débats. Tous ces documents que je vais présenter maintenant furent trouvés dans les archives de l’accusé Rosenberg.

Le document PS-1030 est un mémorandum daté du 8 mai 1941, intitulé : « Instructions générales à tous les commissaires du Reich dans les territoires occupés de l’Est ». Je le dépose ici comme preuve sous la cote USA-114. Dans ces instructions à ses hommes de confiance, Rosenberg définit les buts politiques de l’attaque. Dans les deuxième et troisième paragraphes de la traduction anglaise, – c’est à la deuxième page du texte allemand – on lit les remarques suivantes :

« Le seul but politique possible de la guerre, c’est de libérer le Reich allemand, pour les siècles à venir, du danger que constitue la présence à ses côtés d’une grande Russie. Cela n’est pas seulement conforme aux intérêts allemands, mais aussi à la justice historique, car l’impérialisme russe était en train de réaliser sa politique de conquête et d’oppression presque sans rencontrer d’opposition et constituait une menace perpétuelle pour l’Allemagne. Par conséquent, le Reich allemand doit se garder de commencer une campagne contre la Russie par une injustice historique, c’est-à-dire la reconstruction d’un grand empire russe, quelle que soit sa forme.

« Au contraire, toutes les luttes qu’ont menées, au cours de l’Histoire, les diverses nationalités contre Moscou et Petersbourg doivent aujourd’hui nous être utiles. C’est ce qu’a entrepris le mouvement national-socialiste, fidèle en cela au testament politique du Führer, qui demande dans son livre que soit éliminée à tout jamais la menace militaire et politique que l’Est fait peser sur l’Allemagne. Par conséquent ces immenses territoires doivent être divisés d’après leur Histoire et leur population et constituer des commissariats du Reich, qui auront chacun leur mission politique. Le commissariat du Reich Ostland (Estonie) englobant la Ruthénie Blanche aura pour tâche de préparer au moyen d’un protectorat germanisant une union progressivement plus étroite avec l’Allemagne. L’Ukraine deviendra un État indépendant, allié de l’Allemagne, et le Caucase avec les territoires qui le bordent au nord, un État fédéral avec un plénipotentiaire allemand. La Russie proprement dite devra à l’avenir mettre de l’ordre dans sa propre maison.

« Ces idées générales sont développées dans les instructions suivantes à exécuter par chaque commissaire du Reich. En outre se trouvent encore diverses considérations générales présentant de l’intérêt pour tous les commissaires du Reich. »

Le cinquième paragraphe de la traduction anglaise (page 7 du texte allemand) donne une explication séduisante de ce vol en perspective. En voici le texte :

« Le peuple allemand a réussi au cours des siècles à accomplir des choses prodigieuses dans l’Est européen. Presque tous ses biens ont été confisqués sans indemnités, des centaines de milliers d’êtres (dans le Sud, sur la Volga) réduits à la famine ou déportés, ou bien, comme dans les pays baltes, on a brimé pendant 700 ans sa culture et ses efforts intellectuels. Le Reich allemand devra faire en sorte qu’après l’occupation des territoires de l’Est, les biens primitivement allemands redeviennent la propriété du peuple de la Plus Grande Allemagne, sans égard en principe aux intérêts des propriétaires actuels. En effet, le Reich allemand se réserve le droit, dans la mesure où il n’y aura pas été procédé au moment de la fixation, de procéder à une répartition équitable. Le mode de compensation et de restitution de ces biens nationaux sera différent dans chaque commissariat du Reich. »

Le document PS-1029 de notre série est une « Instruction adressée au commissaire du Reich pour les Pays baltes et la Russie Blanche ». Il est caractéristique du type d’instructions données à chacun de ces commissaires nouvellement créés et il expose avec une franchise surprenante les intentions des conspirateurs nazis à l’égard du pays qu’ils voulaient occuper au cours de leur agression. Je dépose ce document comme preuve, sous la cote (USA-145). Pour le procès-verbal des débats, j’aimerais en lire les trois premiers paragraphes :

« Les régions comprises entre la Narva et Tilsitt ont toujours entretenu d’étroites relations avec le peuple allemand. 700 ans d’Histoire ont orienté vers l’Europe les sympathies de la majorité des races qui y vivent et malgré toutes les menaces russes ont ajouté cette région à l’espace vital de la Plus Grande Allemagne. La tâche d’un commissaire du Reich pour l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Ruthénie Blanche » (ces derniers mots ajoutés au crayon) « doit être de s’efforcer d’y établir un protectorat allemand, puis de faire de cette région une partie intégrante du Grand Reich allemand, en germanisant les races assimilables, en y établissant des colons de race germanique et en expulsant les éléments indésirables. La mer Baltique doit devenir une mer intérieure germanique sous la garde de la Grande Allemagne. Dans certaines branches de l’élevage, les Pays baltes sont une région excédentaire, et le commissaire du Reich doit également s’efforcer de mettre à nouveau cet excédent à la disposition du peuple allemand, et, si possible, de l’augmenter. En ce qui concerne la question de la germanisation ou de la colonisation de ces pays, le peuple estonien a été fortement germanisé par un apport de 50 % de sang danois, allemand et suédois et peut être considéré comme notre frère de race. En Lettonie, la partie susceptible d’être assimilée est considérablement plus faible qu’en Estonie. Il faudra compter dans ce pays avec une résistance énergique et les expulsions devront être pratiquées sur une plus grande échelle. Le même processus devra être suivi en Lithuanie, car là aussi, il sera nécessaire d’établir l’immigration d’éléments de race allemande si l’on veut germaniser de façon intensive les régions limitrophes de la Prusse orientale. »

Je saute un paragraphe. Les deux paragraphes suivants sont également très intéressants. Les voici :

« La tâche du commissaire du Reich à Riga sera, par conséquent, hautement positive. Ce pays, fortement germanisé par un afflux de sang allemand et suédois, fut conquis, il y a 700 ans, par les chevaliers teutoniques et fut édifié par la ligue hanséatique. Il doit devenir maintenant une puissante marche allemande. Les conditions culturelles préalables existent partout et le Reich allemand sera à même d’offrir une émigration dans ces pays à tous ceux qui se sont distingués au cours de cette guerre, aux descendants de ceux qui ont sacrifié leur vie et aussi à ceux qui ont combattu au cours de la campagne balte sans jamais perdre courage, même aux heures les plus sombres, et qui ont libéré la civilisation balte du bolchévisme.

« Quant au reste, la solution du problème de colonisation n’est pas une question balte : elle n’intéresse que la Grande Allemagne et doit être résolue dans ce sens. »

Ces deux instructions, il me semble, donnent une idée suffisamment nette de l’ensemble pour que le Tribunal puisse se rendre compte de l’étendue des préparatifs de cette phase de l’agression ainsi que du but politique poursuivi. Cependant, le 28 juin 1941, moins d’une semaine après l’invasion, Rosenberg lui-même prépara un rapport volumineux sur son activité depuis sa nomination, le 20 avril. C’est un compte rendu si méticuleux qu’on pourrait croire qu’il fut fait dans le but de venir en aide à l’Accusation. Il porte le nº PS-1039, et je le dépose maintenant comme preuve sous la cote USA-146. À mon avis, ce qu’il y a de plus intéressant dans ce rapport, ce sont ses révélations sur le nombre des accusés qui travaillèrent avec lui et l’aidèrent à élaborer les plans et à mener à bonne fin les préparatifs de cette phase de l’agression, et sur la mesure dans laquelle les ministères et les bureaux, tant de l’État que du Parti, sont impliqués dans cette opération pratiquement, tous y ont participé. Ce rapport fut trouvé dans les archives de l’accusé Rosenberg et, malgré sa longueur, il peut être lu intégralement, car les personnes, les groupements et les organisations qu’il mentionne lui donnent une importance suffisante pour qu’il puisse figurer au procès-verbal des débats. Il est intitulé : « Rapport sur le travail préparatoire dans les territoires de l’Est européen. » Immédiatement après la notification du décret du Führer du 20 avril 1941 aux différents services supérieurs du Reich, une conférence eut lieu avec le chef de l’OKW (Haut Commandement de l’Armée), en l’espèce l’accusé Keitel. « Après l’exposé des différents buts politiques de ces futurs commissariats pour l’Est du Reich, et des problèmes du personnel qui leur est destiné, le chef de l’OKW expliqua qu’il serait trop difficile et trop compliqué d’employer ici le système des affectations spéciales (UK-Stellung) et qu’il serait plus simple d’envoyer immédiatement le personnel nécessaire sur ordre du chef de l’OKW (Abkommandierung). Le général Feldmarschall Keitel donna alors un ordre posant les bases des dispositions futures. Il désigna comme représentant et comme officier de liaison le général Jodl et le général Warlimont. Ce furent les officiers de l’OKW qui menèrent, en collaboration avec des personnalités de mes services, les négociations qui s’ouvrirent alors, concernant toutes les questions relatives aux territoires de l’Est, y compris les besoins de personnel.

« Une conférence eut alors lieu avec l’amiral Canaris pour que, étant donné le secret qui devait entourer ces questions, mes services n’aient en aucune circonstance de rapport avec un représentant quelconque des peuples de l’Europe orientale. Je lui dis de faire cela dans la mesure où le service de renseignements le demandait, puis de me désigner des personnalités politiques débordant le cadre du service militaire de renseignements en vue de régler leur affectation ultérieure éventuelle. L’amiral Canaris me fit savoir également qu’il était disposé à faire suite à mon désir de ne pas reconnaître de groupements politiques parmi les émigrants et qu’il agirait conformément à mon point de vue.

« Par la suite j’exposai au Generalfeldmarschall von Brauchitsch et au Grand Amiral Raeder les conceptions historiques et politiques du problème de l’Est. Au cours des conférences suivantes nous tombâmes d’accord pour nommer, auprès du Commandant suprême de l’Armée, respectivement auprès du Quartier maître général et des Groupes d’armées, un représentant de mes services, chargé des questions relatives aux données politiques et aux demandes de l’OKW, ce qui fut réalisé par la suite.

« Dès le début, une conférence avait eu lieu avec le ministre de l’Économie Funk Reichswirtschaftsmmister (l’accusé Funk) qui désigna comme délégué permanent le Ministerialdirektor Dr Schlotterer.

« Des conversations presque quotidiennes eurent alors lieu avec le docteur Schlotterer, où fut discuté le point de vue de l’État-Major des opérations économiques de l’Est sur la question de l’Économie de guerre. À ce sujet, j’eus de nombreux entretiens avec le général Thomas, le secrétaire d’État Körner, le secrétaire d’État Backe, le directeur ministériel Riecke, le général Schubert et d’autres.

« En ce qui concerne l’Est, un accord très vaste est intervenu sur les travaux techniques à entreprendre maintenant et à l’avenir. Quelques-unes des questions concernant les rapports généraux de ce futur ministère avec le Plan de quatre ans sont restées pendantes et sont liées à une décision du Führer. Je déclarai qu’en principe, il n’était nullement dans mes intentions d’introduire une section économique dans mes services et que les questions économiques, dépendant en pratique du maréchal du Reich » – c’est-à-dire de l’accusé Göring – « resteraient de son ressort et de celui des personnalités qu’il désignerait. J’ajoutai cependant que les deux personnes spécifiquement responsables, c’est-à-dire le directeur ministériel Dr Schlotterer pour l’Économie industrielle, et le directeur ministériel Riecke pour le Ravitaillement, seraient affectés à mes services comme agents de liaison permanents, chargés de concilier les buts politiques avec les nécessités économiques, dans un service qui devait comprendre d’autres personnalités pour cette tâche de coordination portant sur les conditions de la main-d’œuvre ou sur des conditions destinées à apparaître ultérieurement (Direction politique syndicats, construction, etc.).

« Après notification au ministre des Affaires étrangères, celui-ci désigna le conseiller secret Grosskopf comme agent de liaison permanent auprès de mes services. Comme représentant auprès de la section politique de mes services, dirigée par le Reichsamtsleiter Dr Leibbrandt, le ministère des Affaires étrangères délégua le consul général Dr Bräutigam, que je connaissais depuis des années, qui avait travaillé longtemps en Russie et connaissait bien le russe. Des négociations sont en cours avec le ministère des Affaires étrangères, qui a exprimé le désir d’être représenté auprès des futurs commissaires du Reich. On en informera le Führer si c’est nécessaire.

« Le ministre de la Propagande » – c’est-à-dire Goebbels – « a désigné le secrétaire d’État Gutterer comme agent de liaison permanent. Nous sommes convenus des points suivants : les décisions sur les brochures, discours, proclamations politiques ou autres seront prises dans mon service on publiera un grand nombre d’importants ouvrages de propagande et, si c’est nécessaire, les articles préparés au ministère de la Propagande seront modifiés ici. Toute cette question dépendra sans restriction du “ministère du Reich pour la propagande et l’éducation politique du peuple”. Pour assurer une collaboration plus étroite, ce ministère me déléguera une autre personne subordonnée directement à mon bureau “Éducation politique du peuple et Presse” (Volkserziehung und Presse) et, en outre, un attaché de presse à titre permanent. Cette activité se poursuit depuis quelque temps sans attirer l’attention. Chaque jour sont réglées de nouvelles questions d’attribution et de terminologie.

« De nombreuses discussions eurent lieu avec le Reichsminister Ohnesorge sur la transmission future des communications et sur l’installation des moyens techniques dans les territoires destinés à être occupés. Avec le Reichsminister Seldte fut réglé le problème des attributions de main-d’œuvre avec le Reichsminister Frick » – c’est l’accusé Frick – « et le secrétaire d’État Stuckart et dans une forme détaillée fut réglé également celui de la nomination des nombreux fonctionnaires des futurs commissariats du Reich. D’après l’estimation actuelle, il y aura quatre commissaires du Reich, ce que le Führer a approuvé. Je proposerai au Führer, pour des raisons politiques et autres, d’instituer un nombre suffisant de commissariats généraux (24), de commissariats principaux (environ 80), de commissariats régionaux (plus de 900). Un commissariat général correspondrait au Gouvernement Général antérieur, un commissariat principal à un gouvernement principal. Un commissariat régional se composerait de trois ou quatre districts (Kreise).

« Étant donné l’immensité de ces régions, c’est là le nombre minimum qui me semble nécessaire pour un gouvernement civil ou une administration future. Une partie des personnalités officielles a déjà été demandée en vertu de l’ordre déjà cité du chef de l’OKW. »

LE PRÉSIDENT

Je ne comprends pas très bien, monsieur Alderman, pourquoi vous estimez que ce document doit être lu en entier. Vous avez déjà montré qu’il existait un plan divisant la Russie en un certain nombre de commissariats.

M. ALDERMAN

C’est exact, je voudrais seulement faire remarquer que deux ou trois autres inculpés individuels sont mentionnés dans ce document, ce qui prouve leur participation directe à tout ce plan. Le premier, c’est le chef de la Jeunesse du Reich, l’accusé Baldur von Schirach, dont il est question trois paragraphes plus bas. Puis, évidemment, un paragraphe plus loin, le Gruppenführer SS Heydrich…

LE PRÉSIDENT

Il n’est pas accusé.

M. ALDERMAN

Non, monsieur le Président mais c’est son organisation qui est accusée.

Au paragraphe suivant, l’accusé directeur ministériel Fritzsche qui travaillait sous les ordres de Goebbels.

Sans m’étendre longuement sur les moyens de preuve à utiliser, je vais énumérer brièvement les personnes impliquées dans ce rapport. Parmi les accusés qui sont actuellement devant vous, ceux qui sont personnellement impliqués sont Keitel, Jodl, Raeder, Funk, Göring, Ribbentrop, Frick, Schirach et Fritzsche. Puis les organisations suivantes sont mentionnées dans ce rapport : l’OKW, l’OKH, l’OKM, le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Économie, le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Propagande, le ministère du Travail, le ministère des Communications, le syndicat des médecins du Reich, le ministère de l’Armement et des Munitions, la direction de la Jeunesse du Reich, la direction des organisations du Reich, le Front allemand du Travail, les SS, les SA et le chef de la Presse du Reich. Plus tard et à une autre occasion, j’aimerais demander au Tribunal de faire figurer ce document dans le procès-verbal comme impliquant ces individus.

LE PRÉSIDENT

Tout ceci peut être considéré comme étant déposé comme preuve.

M. ALDERMAN

Plus tard et à une autre occasion, seront apportées des preuves concernant l’exécution de ces plans visant à éliminer l’URSS en tant que facteur politique. À titre d’exemple, le projet de suppression des élites intellectuelles et des autres dirigeants russes n’était qu’une partie du programme de destruction politique de l’URSS, qui aurait rendu impossible son prompt relèvement en tant que puissance européenne.

Ayant ainsi préparé minutieusement et sur toutes les faces l’invasion de l’Union Soviétique, les conspirateurs nazis commencèrent l’exécution de leurs plans, et, le 22 juin 1941, lancèrent leurs armées au-delà des frontières de l’URSS. Le jour de l’attaque, Hitler fit une proclamation annonçant au monde cet acte de perfidie. Le texte en a été porté à la connaissance du Tribunal par mes collègues britanniques je voudrais simplement en passant en citer la phrase suivante :

« J’ai, par conséquent, décidé à nouveau aujourd’hui de remettre le destin de l’Europe entre les mains de nos soldats. »

C’est ainsi que le monde sut que les dés étaient jetés : les préparatifs conçus dans les ténèbres près d’un an auparavant et élaborés sans trêve, dans le plus grand secret, étaient maintenant arrivés à maturité. Ces conspirateurs nazis, après avoir préparé minutieusement cette guerre d’agression, en commençaient la mise à exécution.

Voilà qui nous amène à considérer les raisons de l’attaque. Avant d’en examiner les causes positives, j’aimerais tout d’abord signaler que, non seulement l’Allemagne était liée à l’URSS par un pacte solennel de non-agression, mais que, pendant toute la période comprise entre août 1939 et l’invasion en 1941, l’Union Soviétique remplit loyalement ses engagements à l’égard de l’Allemagne et ne manifesta aucune intention agressive vis-à-vis des territoires du Reich allemand. Le général Thomas, par exemple, fit remarquer dans son « Exposé des faits fondamentaux d’une histoire de l’économie allemande de guerre et des armements » qui constitue notre document PS-2353 et que je dépose sous la cote USA-35, que les Soviets exécutèrent jusqu’à la fin les livraisons prévues par l’accord commercial germano-soviétique du 11 août 1939. Thomas signale que les Soviets exécutaient en général leurs livraisons avec ponctualité les produits alimentaires et les matières premières ainsi obtenus étant considérés comme essentiels pour l’économie allemande les Allemands, de leur côté, s’efforcèrent de remplir leurs obligations. Cependant, comme les préparatifs de la campagne se poursuivaient, les nazis tenaient de moins en moins à remplir les obligations qui leur incombaient en vertu de cet accord. À la page 315 de son livre, Thomas déclare (je lis la page 9 de la traduction anglaise) :

« Par la suite, le caractère d’urgence des livraisons russes diminua, les préparatifs pour la campagne de l’Est étant déjà en cours. » II s’agit naturellement ici des livraisons allemandes à la Russie et non des livraisons des Russes.

« Les Russes exécutèrent leurs livraisons comme prévu jusqu’au début de l’attaque, et même les derniers jours les transports de caoutchouc d’Extrême-Orient furent acheminés par des trains express. »

Une autre fois, Thomas souligne ce fait, à la page 404, de façon encore plus frappante, quand il déclare – je cite le premier paragraphe de la page 14 de la traduction anglaise :

« Jusqu’en juin 1941, outre les négociations italiennes, les négociations avec la Russie, attirèrent beaucoup l’attention.

« Le Führer ordonna que, pour camoufler les mouvements des troupes allemandes, les commandes que la Russie avait passées à l’Allemagne fussent exécutées aussi promptement que possible. Les Russes ne faisant leurs livraisons de grains que lorsque les Allemands livraient leurs commandes, ces livraisons à la Russie empêchant les firmes privées d’exécuter les commandes de l’Armée allemande, le bureau du « Wi Rü » dut en conséquence entreprendre de nombreuses négociations avec les firmes allemandes afin de décider lesquelles, des commandes russes ou allemandes, auraient la priorité. Conformément aux désirs du ministère des Affaires étrangères, l’industrie allemande reçut l’ordre d’accepter toutes les commandes russes, même s’il était impossible d’en assurer l’exécution et la livraison dans les limites prévues. En particulier on devait livrer au mois de mai de grosses commandes à la Marine ; les usines reçurent alors l’ordre de présenter ce matériel à la Commission de Contrôle russe, mais de faire faire pendant le transport de tels détours que ces commandes ne puissent être livrées de l’autre côté de la frontière avant le début de l’attaque allemande. »

Non seulement l’Union Soviétique remplit loyalement les obligations de son traité avec l’Allemagne, mais les documents prouvent qu’elle n’avait aucune intention agressive envers le territoire allemand. Le document C-170 que j’ai déjà présenté sous la cote USA-136 comprend une série de notes sur les relations russo-allemandes, trouvées dans les archives du Haut Commandement de la Marine toutes couvrent la période qui s’étend depuis le traité jusqu’à l’agression. Les notes figurant dans ces archives démontrent, de façon décisive, ce que je viens d’énoncer. Je pense qu’il suffira de lire au Tribunal quelques passages des rapports de l’ambassadeur allemand à Moscou, jusqu’en juin 1941. Je vais lire d’abord l’extrait nº 165, page 21 de la traduction anglaise. Il a été rédigé le 4 juin :

« Extérieurement, aucun changement dans les relations germano-russes. Les livraisons russes continuent à être pleinement satisfaisantes. Le Gouvernement russe fait tous ses efforts pour empêcher un conflit avec l’Allemagne. »

L’extrait 167, page 22 de la traduction anglaise, mentionne :

« 6 juin, le rapport de l’ambassadeur à Moscou précise que la Russie ne se battra que si elle est attaquée par l’Allemagne. La situation est considérée à Moscou comme plus sérieuse que jamais. Tous les préparatifs militaires ont été faits dans le calme, et, autant qu’on en puisse juger, ils ont un caractère strictement défensif. La politique russe s’efforce encore, comme auparavant, d’entretenir avec l’Allemagne les meilleures relations possibles. »

Je cite encore l’extrait 169, page 29, rédigé le 7 juin :

« Extrait du rapport de l’ambassadeur à Moscou. Toutes les observations montrent que Staline et Molotov, qui sont seuls responsables de la politique étrangère russe, font tout pour éviter un conflit avec l’Allemagne. Le comportement du Gouvernement, de même que l’attitude de la presse, qui relate tous les événements concernant l’Allemagne d’une façon objective, vint corroborer ce point de vue, comme aussi le fait que la Russie exécuta loyalement les obligations de son accord économique avec l’Allemagne. »

Et cela, c’est l’ambassadeur allemand qui l’écrivait.

Par conséquent, ce ne fut pas pour des raisons d’auto-défense, ou à cause d’infractions au traité, que les nazis attaquèrent l’Union Soviétique. En vérité, comme nous pouvons en juger d’après les documents concernant les plans et préparatifs qui ont été présentés, les conspirateurs nazis avaient plusieurs raisons de déclencher l’agression contre l’URSS. Toutes, cependant, peuvent se résumer en un seul grand mobile de la politique nazie. Ce motif central sur lequel se greffent les différents mobiles de l’agression, c’est l’ambition traditionnelle des nazis de s’étendre à l’Est aux dépens de l’Union Soviétique. Cette version nazie de visées impérialistes antérieures, le « Drang nach Osten », la poussée vers l’Est, avait été l’un des principes fondamentaux du parti nazi presque depuis sa naissance, et se basait à la fois sur une double raison de stratégie politique et d’expansion économique. Politiquement, cette extension signifiait l’élimination d’une puissance de l’Est qui constituait une menace pour l’ambition allemande, et l’acquisition du « Lebensraum » (espace vital), tandis que, du point de vue économique, elle offrait de magnifiques possibilités de pillage permettant à l’Allemagne de se procurer des produits alimentaires, matières premières et autres fournitures en grande quantité, dépassant de beaucoup le rendement d’une exploitation normale, menée conformément aux principes de la Convention de Genève et pour des fins militaires. Sans aucun doute, les exigences de l’économie de guerre allemande en ravitaillement et matières premières ont remis l’accent sur l’aspect économique de cette théorie, tandis que les difficultés que l’Allemagne rencontrait dans sa lutte contre l’Angleterre imposaient à nouveau aux conspirateurs nazis ce qu’ils avaient temporairement oublié : cet impératif politique nazi d’éliminer comme facteur politique, leur formidable adversaire sur le continent.

Dès 1923, Hitler définit cette théorie de façon détaillée dans Mein Kampf où il déclarait (et je cite la page 641 de l’édition anglaise de Houghton Mifflin) :

« Il y a deux raisons qui me poussent à soumettre à un examen spécial les relations de l’Allemagne et de la Russie :

« 1. Ici nous traitons de la préoccupation la plus décisive de toutes les affaires de la politique étrangère allemande.

« 2. Cette question est aussi la pierre de touche des capacités politiques du jeune mouvement national-socialiste, afin de se rendre compte s’il sait penser clairement et agir justement. »

Et, à nouveau, à la page 654 de cette même édition :

« C’est ainsi que nous, nationaux-socialistes, nous rayons d’un trait toute la politique étrangère d’avant-guerre. Nous reprenons au point où nous en étions restés il y a 600 ans. Nous arrêtons le dernier mouvement germanique éternel vers le Sud et l’Ouest et tournons nos regards vers la terre de l’Est. Enfin, nous rompons avec la politique coloniale et commerciale de l’avant-guerre et glissons rapidement vers la politique territoriale de l’avenir. Et quand nous parlons aujourd’hui de politique territoriale en Europe, nous ne pouvons penser qu’à la Russie et à ses États-frontières vassaux. »

On retrouve nettement ce point de vue politique dans les buts de l’organisation créée par l’accusé Rosenberg pour l’administration des territoires occupés de l’Est. J’ai déjà parlé de ces documents et il est inutile que je recommence maintenant. Cependant, dans un discours qu’il prononça deux jours avant l’attaque, devant les personnalités les plus intéressées aux problèmes de l’Est, Rosenberg exposa encore une fois, de façon assez mystique, comme d’habitude, les raisons politiques de cette guerre et leur corrélation avec les buts économiques. Je désirerais lire un bref extrait de ce discours classé sous le nº PS-1058 que je dépose sous la cote USA-147. Je cite le passage qui figure à la page 9 du texte allemand :

« Cette année, sans aucun doute, la première tâche que les Allemands devront imposer aux territoires de l’Est sera de nourrir le peuple allemand. Les territoires du Sud et le Caucase du Nord devront apporter l’appoint indispensable au ravitaillement du peuple allemand. Nous ne voyons absolument pas pourquoi nous serions obligés de nourrir également le peuple russe avec les produits de ces territoires superflus. Nous pensons que c’est là une dure nécessité qui ne tient aucun compte des sentiments. Sans aucun doute, il faudra procéder à une évacuation massive, et il est certain que l’avenir réserve aux Russes des années très dures. Une décision ultérieure déterminera dans quelle mesure les entreprises industrielles peuvent encore être maintenues dans ces territoires (usines de fabrication de wagons, etc.). L’examen et l’exécution de cette politique dans la zone russe proprement dite, constituent pour le Reich allemand, actuellement et dans l’avenir, une tâche formidable, nullement négative, comme on pourrait le croire, si l’on ne prenait en considération que la dure nécessité de l’évacuation. La conversion du dynamisme russe vers l’Est est une tâche qui réclame des caractères bien trempés. Peut-être cette décision sera-t-elle approuvée par la Russie de demain, non dans trente ans mais dans cent ans. »

Comme je l’ai indiqué, l’échec des opérations contre la Grande-Bretagne n’avait fait que renforcer la conviction des conspirateurs nazis qu’il était absolument nécessaire, au point de vue politique, d’éliminer l’Union Soviétique comme facteur en Europe avant que l’Allemagne pût se rendre entièrement maîtresse du continent.

Nous avons exposé clairement les raisons économiques de l’agression à propos de l’organisation instituée sous le contrôle de Göring et du général Thomas pour procéder à l’exploitation économique des territoires occupés. Il est indiscutable que cette agression fut motivée par des raisons purement matérielles, et, si l’on pouvait encore douter que le vol du ravitaillement et des matières premières nécessaires à la machine de guerre nazie, sans aucune considération des terribles conséquences qu’entraînerait ce pillage, n’ait été l’un des buts essentiels de l’invasion, on devrait se rendre à l’évidence devant le mémorandum nº PS-2718 que j’ai déjà déposé au cours de mon exposé introductif sous la cote USA-32 ce document montre que les nazis savaient parfaitement que leurs plans auraient pour résultat d’affamer des millions de gens en les privant de leur ravitaillement.

Suivant la même politique, le 20 juin 1941, le général Thomas rédigea un mémorandum dans lequel il exposa la politique économique allemande relative aux matières premières, d’après la conception de Hitler, telle qu’elle lui avait été confirmée par Keitel. Cette politique était l’expression d’une théorie d’une cruauté presque inconcevable : il faut moins d’hommes pour conquérir les sources de matières premières que pour fabriquer les produits synthétiques capables de remplacer ces matières premières. Ce mémorandum constitue notre document PS-1456 que je dépose sous la cote USA-148. Je voudrais en lire les deux premiers paragraphes.

LE PRÉSIDENT

Peut-être pourrions-nous reprendre cet exposé après la suspension ?

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)