SEIZIÈME JOURNÉE.
Lundi 10 décembre 1945.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

L’accusé Kaltenbrunner est maintenant présent. (S’adressant à Kaltenbrunner) Voulez-vous vous lever ? (L’accusé Kaltenbrunner se lève au banc des accusés) D’après l’article 24 du Statut, vous devez plaider coupable ou non coupable.

ERNST KALTENBRUNNER

Je ne me reconnais pas coupable, je ne crois pas m’être rendu coupable.

M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Je venais de déposer le document nº PS-1456 sous le nº USA-148. Je vais lire un extrait de ce document, à la page 17 :

« Voici cette nouvelle conception du Führer que m’a exposée M. le ministre Todt, et qui m’a été confirmée plus tard par le maréchal Keitel.

« 1. La poursuite de la guerre montre que nous avons été trop loin dans nos tentatives d’autarcie. Il nous est impossible d’essayer de fabriquer tout ce qui nous manque par des procédés de synthèse ou par d’autres moyens. Par exemple, il est impossible de développer notre production de carburants liquides dans des proportions suffisantes pour qu’elle puisse couvrir entièrement nos besoins. Toutes ces tentatives d’autarcie demandent une main-d’œuvre considérable et il nous est tout simplement impossible de la recruter. Il faut employer d’autres moyens. Ce qui nous manque et ce dont nous avons besoin, nous devons le conquérir. Les effectifs nécessaires à une seule opération ne seront pas aussi importants que ceux dont on a constamment besoin pour faire marcher ces usines de produits synthétiques. Par conséquent, notre but doit être la conquête de tous les territoires intéressant spécialement l’économie de guerre.

« Au moment de l’établissement du Plan de quatre ans, j’ai déjà dit qu’une économie totalement autarcique était impossible pour nous, car elle exigerait une main-d’œuvre trop importante. Cependant, j’ai toujours préconisé la solution suivante : alimenter nos stocks déficients en s’assurant les réserves nécessaires au moyen d’accords économiques qui garantiraient les livraisons même en temps de guerre. »

C’est sur cette note sombre que je termine l’histoire de cette agression.

Nous avons vu les conspirateurs nazis concevoir, préparer et finalement déclencher leur attaque insensée contre l’Union Soviétique. D’autres poursuivront l’histoire de cette guerre d’agression, décriront la manière atroce dont elle fut conduite, et les innombrables crimes qui l’ont accompagnée. Considérant les promesses solennelles de non-agression, les grossiers prétextes invoqués, les mois de préparatifs et de projets secrets, les souffrances incroyables imposées intentionnellement et délibérément aux autres, je crois pouvoir dire en envisageant tout ceci, que l’on n’a jamais vu et que, avec l’aide de Dieu, l’on ne reverra jamais plus dans l’histoire des relations internationales un chapitre aussi noir que celui de cette invasion perpétrée sans motif par les conspirateurs nazis contre l’Union Soviétique. Les responsables sont ici devant vous, ce sont les accusés du Procès pour eux, il faut que le châtiment soit à la mesure du crime.

Je passe maintenant à la phase finale de mon exposé détaillé sur les guerres d’agression, c’est-à-dire la collaboration allemande avec l’Italie et le Japon et la guerre d’agression contre les États-Unis. Cette partie de l’accusation se trouve à la sous-section 7 de la section IV (F) du chef I, aux pages 9 et 10 du texte anglais imprimé de l’Acte d’accusation.

La documentation sur cette alliance diabolique des trois puissances fascistes, et sur la guerre d’agression déclenchée contre les États-Unis a été réunie dans un livre de documents portant la lettre « Q » que je présente maintenant au Tribunal.

Avant d’aborder le sujet même de cette alliance tripartite, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur la portée de cette nouvelle phase : au cours des récents exposés introductifs américain et britannique, nous avons vu la croix gammée portée aux quatre coins de l’Europe par les soldats d’une Allemagne sévèrement remilitarisée et autoritaire. Je vais décrire maintenant et vous montrer les éléments de cette même conspiration, élargie à l’échelle mondiale, et s’étendant au vieux monde asiatique et au nouveau monde des États-Unis d’Amérique. Les guerres d’agression conçues à Berlin ont été déclenchées sur les frontières de Pologne, et se sont terminées quelque six ans plus tard, presque jour pour jour, par les cérémonies de capitulation, sur le pont d’un bateau de guerre américain, ancré dans la baie de Tokyo.

La première alliance officielle de l’Allemagne de Hitler et du Gouvernement japonais fut le Pacte anti-Komintern signé à Berlin le 25 novembre 1936. Cet accord était apparemment dirigé contre les activités de l’Internationale communiste. L’Italie y adhéra par la suite, le 6 novembre 1937. Je demande au Tribunal de prendre acte de ces documents officiels, conformément à l’article 21 du Statut. Les textes allemands de ces traités – texte original du Pacte anti-Komintern germano-nippon, et le protocole d’adhésion de l’Italie qui y fut joint – se trouvent respectivement dans les volumes 4 et 5 des Dokumente der deutschen Politik. La traduction anglaise du Pacte anti-Komintern germano-nippon du 25 novembre 1936 se trouve dans le document PS-2508. La traduction anglaise du Protocole d’adhésion de l’Italie du 6 novembre 1937 se trouve dans le document PS-2506. Ces deux documents sont dans le livre de documents qui vient d’être remis au Tribunal.

Il est très intéressant de constater, surtout à la lumière de documents que je vais vous présenter et qui montrent la participation active de l’accusé Ribbentrop avec les Japonais, que c’est Ribbentrop qui a signé le Pacte anti-Komintern à Berlin, au nom de l’Allemagne bien qu’à ce moment-là, en novembre 1936, il ne fût pas ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, mais seulement ministre plénipotentiaire spécial de Hitler.

Le 27 septembre 1940, environ quatre ans après la signature du Pacte anti-Komintern, et un an après le début de la guerre en Europe, les Gouvernements allemand, italien et japonais ont signé un autre pacte à Berlin, une alliance militaire et économique de dix ans.

Je remarque encore que c’est l’accusé Ribbentrop qui a signé au nom de l’Allemagne, mais à ce moment-là, en qualité de ministre des Affaires étrangères.

Le texte allemand officiel de ce Pacte, de même que les textes japonais et italien, et une traduction en anglais, figurent dans notre document nº PS-2643, authentifié par la signature et le sceau du secrétaire d’État des État-Unis. Je dépose ce document PS-2643 sous le nº USA-149.

Le Pacte Tripartite engageait l’Allemagne, l’Italie et le Japon à se prêter mutuellement assistance dans leurs efforts pour établir un « ordre nouveau » en Europe et en Asie Orientale. J’aimerais vous lire des extraits de cet accord d’une vaste portée pour qu’ils figurent au procès-verbal.

« Les Gouvernements de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon considèrent que c’est une condition indispensable à l’établissement d’une paix durable, que chaque nation du monde puisse jouir de son propre espace vital. C’est pourquoi ils ont décidé de s’entraider et de coopérer dans leurs efforts tant en Grande Asie Orientale qu’en Europe, où leur but principal est d’établir et de maintenir un nouvel état de choses pour la prospérité et le bien-être des peuples qui y vivent. De plus, c’est le désir des trois Gouvernements d’étendre cette coopération aux nations qui dans les autres parties du monde sont disposées à unir leurs efforts à ceux des Hautes Parties contractantes afin que leurs aspirations vers la paix mondiale en tant que but suprême puissent se réaliser.

« C’est pourquoi les Gouvernements d’Allemagne, d’Italie et du Japon sont tombés d’accord sur les points suivants :

« Article premier. – Le Japon reconnaît et respecte la suprématie de l’Allemagne et de l’Italie, dans l’établissement de l’« ordre nouveau » en Europe.

« Article 2. – L’Allemagne et l’Italie reconnaissent et respectent la suprématie du Japon dans l’établissement de l’« ordre nouveau » dans l’espace de Grande Asie Orientale.

« Article 3. – L’Allemagne, l’Italie et le Japon sont d’accord pour unir leurs efforts sur les bases indiquées dans les articles précédents et s’engagent à se prêter une assistance politique, économique et militaire, si l’une des trois Hautes Parties contractantes est attaquée par une puissance qui n’a pas participé, jusqu’à présent à la guerre européenne ou au conflit sino-japonais. »

Je passe maintenant à la première phrase de l’article 6 :

« Le Pacte entrera en vigueur immédiatement dès sa signature, et restera en vigueur pour une période de dix ans à partir de cette date. »

Le Pacte Tripartite du 27 septembre 1940 annonçait avec audace au monde que les chefs fascistes d’Allemagne, du Japon et de l’Italie avaient conclu une alliance militaire inconditionnelle pour étendre leur domination sur le monde entier et pour établir l’« ordre nouveau » que laissaient présager l’invasion de la Mandchourie par les Japonais en 1931, la conquête cruelle de l’Éthiopie par l’Italie en 1935, et l’afflux nazi en Autriche au début de 1938. Avec ce Pacte, le « Führerprinzip » devint un élément de la politique mondiale.

Je voudrais lire, à ce sujet, une déclaration que fit M. Cordell Hull, secrétaire d’État des États-Unis, au moment de la signature du Pacte Tripartite. Cette déclaration parut dans une publication américaine officielle, Paix et Guerre. La politique étrangère américaine de 1931 à 1941, qui a déjà été déposée sous le nº USA-122. La déclaration de M. Hull porte dans ce livre le nº 184. Elle figure dans notre livre de documents sous le nº PS-2944, dans le texte anglais auquel est jointe une traduction en allemand.

Je cite la déclaration du secrétaire d’État, datée du 27 septembre 1940 :

« Le traité d’alliance dont nous apprenons aujourd’hui la conclusion ne peut pas, aux yeux du Gouvernement des États-Unis, changer de façon essentielle la situation qui existe depuis plusieurs années. Ce traité ne fait que rendre public un état de choses depuis longtemps existant et sur lequel notre Gouvernement avait souvent attiré l’attention. Nous savions depuis longtemps que cet accord était en voie de conclusion, et le Gouvernement des États-Unis en tenait compte dans l’orientation de sa politique nationale. »

Je n’essaierai pas ici de retracer les négociations qui ont abouti au Pacte Tripartite du 27 novembre 1940. Je donnerai néanmoins un exemple des relations germano-nippones, avant la conclusion du Pacte Tripartite. C’est le compte rendu d’un entretien du 21 janvier 1939, entre Himmler et le général Oshima, ambassadeur du Japon à Berlin. Le procureur des États-Unis l’a déjà mentionné dans son discours d’ouverture. Ce document, signé au crayon par Himmler, est classé sous le nº PS-2195 je le dépose sous le nº USA-150. Je cite ce mémorandum :

« J’ai rendu visite aujourd’hui au général Oshima. Notre conversation a porté sur les sujets suivants :

« 1. Le discours du Führer, qui lui a beaucoup plu, en particulier à cause de sa haute tenue intellectuelle sur tous les points.

« 2. Nous avons parlé de conclure un traité pour consolider plus fermement le triangle Allemagne-Italie-Japon. Il m’a dit aussi que d’accord avec le contre-espionnage allemand (Abwehr) il avait des projets à longue portée, visant à la désintégration de la Russie, en partant du Caucase et de l’Ukraine. Néanmoins, cette organisation ne devait vraiment entrer en action qu’en cas de guerre.

« 3. Il avait jusqu’à maintenant réussi à envoyer dix Russes munis de bombes, par la frontière du Caucase. Ces Russes avaient pour mission de tuer Staline. Quelques autres Russes, envoyés par la même voie, avaient été fusillés à la frontière. »

En dépit des dispositions prises au cours des négociations du Pacte Tripartite fasciste, les conspirateurs nazis dès la conclusion de l’alliance militaire et économique avec le Japon, demandèrent aux Japonais d’attaquer les nations avec lesquelles ils étaient en guerre ou contre lesquelles ils avaient l’intention d’entrer en guerre. En cela, les conspirateurs nazis ont adopté une attitude tout à fait parallèle à celle qu’ils avaient eue à l’égard des autres membres de l’Axe européen. Le 10 juin 1940, afin de remplir ses engagements envers l’Allemagne, l’Italie avait envoyé son « coup de poignard dans le dos » en déclarant la guerre à la France et à l’Angleterre. À l’autre extrémité du monde, les conspirateurs nazis poussèrent le Japon à engager une action semblable.

Ainsi que je vais le montrer, la collaboration germano-nippone fut dirigée successivement contre le Commonwealth britannique, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et les États-Unis d’Amérique. Je traiterai le cas de chacun de ces pays dans l’ordre dans lequel je les ai énumérés.

Déjà dès le 23 février 1943, d’après les documents dont nous disposons, les conspirateurs nazis commencèrent à exploiter leur alliance avec le Japon en lui demandant d’attaquer le Commonwealth britannique. Ici encore, nous retrouvons l’accusé Ribbentrop. Le 23 février 1941, il eut avec le général Oshima, ambassadeur du Japon à Berlin, un entretien au cours duquel il pressa le Japon d’entrer en guerre aussitôt que possible contre les Britanniques en Extrême-Orient.

Le compte rendu de cet entretien, document PS-1834, a déjà été déposé au moment de l’exposé sur l’agression contre l’Union Soviétique, sous la cote USA-129. On en a déjà lu une partie, et je me propose d’en citer d’autres extraits. Je reparlerai de ce document quand je m’occuperai de la collaboration germano-nippone en ce qui concerne les États-Unis.

Comme on peut le voir sur la page de garde de la traduction anglaise, Ribbentrop, le 2 mars, a envoyé à ses différents ambassadeurs et ministres des copies d’un extrait de compte rendu de cet entretien, comme information strictement personnelle et confidentielle, en y ajoutant la note suivante et je cite :

« Ces déclarations sont d’une importance fondamentale pour l’orientation de la politique générale vis-à-vis de l’Allemagne au début du printemps de 1941. »

Je vais maintenant citer le passage qui figure en haut de la page 2 dans la traduction anglaise du document PS-1834, jusqu’à la fin du premier paragraphe de cette page. Je passerai ensuite aux trois dernières phrases du second paragraphe.

« Extrait du compte rendu de l’entretien du ministre des Affaires étrangères du Reich avec l’ambassadeur Oshima à Fuschl, le 13 février 1941.

« Après des salutations particulièrement cordiales, le ministre des Affaires étrangères du Reich a déclaré qu’au Japon les sceptiques avaient dû reconnaître que la politique poursuivie par l’ambassadeur Oshima vis-à-vis de l’Allemagne était raisonnable. La victoire allemande à l’Ouest la justifiait absolument. Pour lui » – c’est le ministre des Affaires étrangères du Reich, Ribbentrop – « il regrettait que l’alliance entre l’Allemagne et le Japon, pour laquelle il travaillait déjà depuis plusieurs années, en collaboration avec l’ambassadeur, ne se fût réalisée qu’après beaucoup de détours, mais l’opinion publique japonaise n’était pas prête à l’accueillir plus tôt. Néanmoins, l’important était qu’ils fussent maintenant côte à côte. »

Je saute au prochain extrait :

« Maintenant, l’alliance germano-nippone est conclue, et du côté japonais, c’est l’ambassadeur Oshima qui en retire tout l’honneur. L’alliance conclue, la question de son renforcement ultérieur passe au premier plan. Quelle est la situation à cet égard ? »

Plus loin, Ribbentrop trace un plan d’attaque contre les Britanniques par le Japon. Tout d’abord, il donne un aperçu de la guerre sous-marine et aérienne que l’Allemagne a l’intention de mener contre l’Angleterre. Je cite ses propres paroles, au paragraphe 4, page 2, les deux dernières phrases :

« La situation en Angleterre deviendrait de ce fait catastrophique en une seule nuit. Le débarquement en Angleterre est préparé, son exécution néanmoins dépend de différents facteurs, et surtout des conditions atmosphériques. »

Je passe maintenant à la page 3 de la traduction anglaise, dont je cite le premier paragraphe en entier. Ce sont encore les propres paroles de Ribbentrop :

« Le Führer peut battre l’Angleterre partout où il l’affronte. D’ailleurs, nos forces sont toujours non seulement égales, mais supérieures aux forces anglaises et américaines réunies. Nous avons à notre disposition un nombre illimité de pilotes. Il en va de même de notre production d’avions. Au point de vue de la qualité, elle est toujours supérieure à celle des Anglais, sans parler de celle des Américains, et nous allons même augmenter cette avance. Sur l’ordre du Führer, notre défense anti-aérienne sera également considérablement renforcée. L’Armée ayant reçu beaucoup plus de matériel qu’elle n’en avait besoin, on a pu constituer d’énormes réserves, on a même dû ralentir la production des munitions, celles-ci étant déjà stockées en très grandes quantités aussi la production peut-elle maintenant se concentrer sur la fabrication des sous-marins, des avions et des canons anti-aériens.

« On a prévu toutes les éventualités la guerre est maintenant gagnée, tant aux points de vue économique et politique qu’au point de vue militaire. Nous désirons la terminer rapidement et obliger l’Angleterre à demander la paix au plus tôt. Le Führer est en bonne santé, absolument sûr de la victoire et décidé à terminer rapidement et victorieusement la guerre. Pour atteindre ce but, il serait important d’avoir l’appui des Japonais. D’ailleurs, le Japon, dans son propre intérêt, devrait entrer en lice le plus tôt possible. L’Angleterre perdrait ainsi sa position-clef en Extrême-Orient. D’autre part, le Japon renforcerait ses positions en Extrême-Orient, ce qui n’est possible que par la guerre il y a trois raisons d’agir vite :

« 1. L’intervention japonaise porterait un coup décisif au centre de l’Empire britannique – menace aux Indes, guerre des croiseurs, etc. – Ce coup atteindrait profondément le moral des Anglais et contribuerait ainsi à hâter la fin de la guerre.

« 2. Une intervention japonaise effectuée par surprise écarterait certainement l’Amérique de la guerre. L’Amérique, qui n’est pas encore armée, hésiterait beaucoup à risquer sa Marine à l’ouest de Hawaii, surtout dans ce cas. Si, d’autre part le Japon respecte les intérêts américains, Roosevelt ne pourra même pas invoquer l’argument du prestige pour faire accepter la guerre à son peuple. Il y a peu de chances que l’Amérique déclare la guerre pour rester ensuite impuissante, alors que le Japon pourrait s’emparer des Philippines, sans que l’Amérique puisse intervenir.

« 3. En prévision de l’“ordre nouveau”, le Japon a vraisemblablement intérêt à s’assurer lui-même, au cours de la guerre, la position qu’il veut occuper en Extrême-Orient au moment du traité de paix. L’ambassadeur Oshima est entièrement d’accord avec cette idée et déclare qu’il fera son possible pour suivre cette politique. »

Je voudrais souligner la subtilité de l’argumentation de Ribbentrop. Il a d’abord déclaré à l’ambassadeur japonais que l’Allemagne avait pratiquement gagné la guerre toute seule. Cependant, il suggère que la guerre pourrait être terminée beaucoup plus rapidement avec l’aide du Japon et que le moment était propice pour son entrée en guerre. Passant ensuite aux profits de la conquête, il indique que le Japon ferait mieux de prendre lui-même, pendant la guerre, les positions qu’il désire posséder, insinuant ainsi que le Japon devait gagner sa part de butin. Ceci rappelle une déclaration du Führer que je vous ai déjà citée : « Ceux qui veulent prendre part au repas doivent aider à le préparer ».

Pour vous montrer en quoi consiste réellement cette alliance germano-nippone, je vais lire maintenant la suite de l’argumentation de Ribbentrop, document PS-1834, page 5 de la traduction anglaise, les deux premiers paragraphes :

« Le ministre des Affaires étrangères du Reich poursuivit en disant que c’était grâce à l’amitié japonaise que l’Allemagne avait pu réarmer, après la signature du Pacte anti-Komintern. De son côté, le Japon avait pu pénétrer profondément dans la zone d’influence anglaise en Chine. En vertu du Pacte Tripartite, la victoire allemande sur le continent apportait beaucoup d’avantages au Japon. La France, en tant que puissance, était éliminée en Extrême-Orient (en Indochine). L’Angleterre également était considérablement affaiblie, ce qui avait permis aux Japonais de se rapprocher progressivement de Singapour. Ainsi, l’Allemagne avait déjà énormément contribué à préparer l’avenir des deux pays. En raison de notre situation géographique, nous serons encore les plus exposés dans la dernière phase du combat. Si un conflit, que nous ne désirons pas, éclatait avec la Russie, nous porterions encore presque tout le poids de la guerre. Si l’Allemagne faiblissait alors, le Japon se trouverait bientôt en face d’une coalition mondiale. Nous sommes tous embarqués dans la même galère. C’est maintenant que se décide le sort de nos deux nations pour les siècles à venir. Il en est de même pour l’Italie. On ne peut pas dissocier les intérêts des trois pays. La défaite de l’Allemagne entraînerait la ruine de l’impérialisme japonais.

« L’ambassadeur Oshima se déclara absolument d’accord et souligna, le fait que le Japon était décidé à demeurer une puissance impériale. Le ministre des Affaires étrangères du Reich parla ensuite des grands problèmes qui se poseraient après la guerre aux puissances du Pacte Tripartite pour organiser l’ordre nouveau en Europe et en Extrême-Orient. Il faudrait résoudre de manière énergique les problèmes ainsi soulevés. Il ne fallait pas centraliser à l’excès, mais trouver une solution qui respectât les intérêts de chacun, en particulier dans le domaine économique. En conséquence, le ministre des Affaires étrangères du Reich proposa d’organiser les relations commerciales entre les deux zones d’influence, sur la base du libre échange. L’hémisphère eurafricain serait dirigé par l’Allemagne et l’Italie, et la sphère d’intérêts d’Extrême-Orient par le Japon. D’après cette conception, les Japonais, par exemple, pourraient faire du commerce et conclure des accords commerciaux directement avec les pays indépendants de l’hémisphère européen, comme ils l’avaient fait jusqu’ici. L’Allemagne et l’Italie pourraient établir des relations commerciales et conclure des accords directement avec les pays indépendants, sous l’influence japonaise, tels que la Chine, la Thaïlande, l’Indochine, etc. En outre, les deux grandes sphères économiques devaient s’accorder mutuellement priorité sur les autres pays. L’ambassadeur se déclara d’accord sur tous ces points. »

Le document que je viens de citer nous montre comment Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, poussait le Japon à la guerre. Je reparlerai de lui à ce sujet.

Cependant, je voudrais montrer maintenant comment les « attachés militaires » ont préparé et provoqué les guerres d’agression. Je dépose donc notre document nº C-75 sous le nº USA-151.

C’est un « ordre secret », signé par l’accusé Keitel en qualité de chef de l’OKW, et intitulé : « Ordre de base nº 24, concernant la collaboration avec le Japon ». Il est daté du 5 mars 1941, soit environ une semaine et demie après l’entretien de Ribbentrop et d’Oshima, dont je viens de parler. Il y eut quatorze exemplaires de cet ordre qui furent adressés aux Hauts Commandements de l’Armée de terre, de la Marine et de l’Air, ainsi qu’au ministère des Affaires étrangères. Nous avons trouvé deux exemplaires de cet ordre, exactement semblables seules les distinguent des notes manuscrites ajoutées sans doute par les destinataires. Le document C-75 que je dépose est l’exemplaire nº 2, qui fut adressé à l’État-Major du Haut Commandement de la Marine, l’OKM. Nous possédons aussi l’exemplaire nº 4, adressé au « Wehrmachtsführungsstab », État-Major d’opérations du Haut Commandement de la Wehrmacht. Le chef de cet État-Major était l’accusé Jodl. L’exemplaire nº 4 a été retrouvé à Flensbourg, dans les archives de l’OKW. C’est le document PS-384, que le Ministère Public des États-Unis a déjà mentionné dans son discours d’ouverture. Je ne veux pas encombrer le procès-verbal en présentant deux copies identiques du même document.

Cet ordre de base nº 24 est l’exposé de la conception officielle nazie de la collaboration avec le Japon. C’est pourquoi je voudrais le lire entièrement il fait à peu près deux pages dans la traduction anglaise :

« En ce qui concerne la collaboration avec le Japon, le Führer a donné les ordres suivants :

« 1. Le but de la collaboration basée sur le Pacte Tripartite doit être d’amener le Japon à prendre le plus rapidement possible des mesures actives en Extrême-Orient. »

Cette phrase est soulignée dans le document d’origine.

« On retiendra ainsi d’importants effectifs anglais et le centre de gravité des intérêts des États-Unis se déplacera vers le Pacifique.

« Les chances de succès du Japon seront d’autant plus grandes qu’il entrera en guerre rapidement, car les adversaires ne sont pas encore bien préparés pour la guerre. Le plan “Barbarossa” créera des conditions politiques et militaires particulièrement favorables à la réalisation de ce projet. »

Ici, on a noté en marge : « légèrement exagéré. »

LE PRÉSIDENT

Savez-vous quand cette note a pu être ajoutée ?

M. ALDERMAN

Je suppose qu’elle a été écrite par le destinataire de cet ordre.

LE PRÉSIDENT

Par qui ?

M. ALDERMAN

Par celui qui a reçu l’exemplaire que nous avons entre les mains, c’est-à-dire l’État-Major de la Marine.

« 2. Pour ouvrir la voie à la collaboration, il est absolument essentiel d’augmenter par tous les moyens possibles le potentiel de guerre japonais.

« Dans ce but, les Hauts Commandements des différentes armes de la Wehrmacht se mettront à la disposition des Japonais pour leur donner tous les renseignements qu’ils désirent concernant les expériences faites par l’Allemagne au cours de la guerre et pour les aider par tous les moyens militaires et techniques. Nous souhaitons que ces relations soient réciproques, mais nous ne devons pas compliquer les négociations en insistant sur ce point. Nous devons évidemment satisfaire d’abord aux demandes japonaises, qui portent sur des points importants pour le développement de la guerre prochaine.

« Dans les cas spéciaux, le Führer prendra lui-même les décisions.

« 3. Le Haut Commandement de la Marine est chargé de synchroniser les plans d’opérations, d’après les principes directeurs suivants :

« a) Souligner le but commun des opérations : abattre rapidement l’Angleterre, de façon à laisser les États-Unis en dehors du conflit. Ceci excepté, l’Allemagne n’a en Extrême-Orient aucun intérêt politique, militaire ou économique qui puisse l’inciter à faire des réserves sur les intentions japonaises.

« b) Étant donné les résultats obtenus par l’Allemagne dans la guerre contre les navires marchands, il faudrait employer dans le même but d’importants effectifs japonais. Il faut exploiter toutes les possibilités pour permettre à l’Allemagne de soutenir ce combat contre la Marine de commerce.

« c) Les besoins en matières premières des puissances signataires du Pacte Tripartite exigent que le Japon s’empare des territoires dont la possession est nécessaire à la poursuite de la guerre, surtout dans l’éventualité d’une entrée en guerre des États-Unis. Les livraisons de caoutchouc doivent être faites régulièrement, même après l’entrée en guerre du Japon, car elles sont d’une importance vitale pour l’Allemagne.

« d) La prise de Singapour, position-clé britannique en Extrême-Orient, serait un succès décisif pour les trois puissances dans le développement ultérieur de la guerre.

« De plus, on lancera des attaques contre les autres bases navales anglaises et américaines au cas où l’on ne pourrait pas éviter l’entrée en guerre des États-Unis elles auront pour but d’ébranler le système de contrôle ennemi dans cette région, et, au même titre que les attaques contre les communications maritimes, de paralyser des régions dont les ressources sont d’un intérêt vital (Australie).

« On ne peut encore fixer la date à laquelle on commencera à discuter les plans d’opérations.

« 4. Les commissions militaires, qui doivent être constituées conformément aux dispositions du Pacte Tripartite, n’auront à traiter que les questions concernant également les trois puissances participantes. Dans cette catégorie rentrent en premier lieu les problèmes de la guerre économique.

« La commission principale, en collaboration avec le Haut Commandement de la Wehrmacht, est chargée de régler l’application des mesures prises.

« 5. On ne doit donner aux Japonais aucun renseignement sur le plan “Barbarossa”. »

Ceci fut signé par Keitel en qualité de chef du Haut Commandement de la Wehrmacht.

Si le Tribunal veut bien jeter un coup d’œil sur la liste des destinataires, il verra que tous les services de la Wehrmacht y figurent : Haut Commandement de la Wehrmacht, État-Major de liaison, Services de renseignements, ainsi que le ministre des Affaires étrangères et le ministère.

Les documents que je viens de citer montrent que le but principal des nazis dans leur collaboration avec le Japon était, dès le mois de mars 1941, d’inciter celui-ci à attaquer Singapour et les autres bases britanniques en Extrême-Orient. Pour l’instant, je passe sur les points concernant les États-Unis dans l’ordre de base nº 24 je reprendrai la question plus tard.

Je désire maintenant mentionner le document C-152, qui a déjà été déposé par le Ministère Public britannique sous la cote GB-122 : c’est un compte rendu secret d’une réunion qui eut lieu le 18 mars 1941, soit environ deux semaines après la rédaction de l’ordre de base nº 24 à cette réunion assistaient Hitler, l’accusé Raeder, l’accusé Keitel et l’accusé Jodl seul nous intéresse ici le paragraphe 11, reproduisant les paroles de Raeder, Commandant en chef de la Marine. Voici la citation :

« Le Japon doit prendre des mesures pour s’emparer de Singapour le plus rapidement possible, car les conditions ne seront jamais aussi favorables (toute la flotte anglaise est occupée, les États-Unis ne sont pas prêts à faire la guerre au Japon et la flotte des États-Unis est en état d’infériorité vis-à-vis de la flotte japonaise.) Le Japon se prépare à cette attaque, mais d’après les déclarations d’officiers japonais, il ne l’exécutera que si les Allemands opèrent leur débarquement en Angleterre l’Allemagne doit donc concentrer tous ses efforts pour pousser le Japon à une action immédiate. Quand les Japonais auront Singapour, toutes les questions relatives aux États-Unis et à l’Angleterre en Asie orientale (Guam, Philippines, Bornéo et Indes néerlandaises) seront résolues. Le Japon désire si possible éviter une guerre avec les États-Unis. Il le peut, à condition de s’emparer de Singapour le plus tôt possible. »

On peut déduire de l’examen de ces archives qu’il y avait eu des conférences d’État-Major avec les Japonais pour préparer l’intervention militaire du Japon contre les Anglais, en hâtant l’attaque de Singapour. Je répète la deuxième phrase du paragraphe 11 du document C-152, (GB-122) :

« Le Japon se prépare à cette attaque, mais, d’après les déclarations d’officiers japonais, il ne l’exécutera que si les Allemands opèrent leur débarquement en Angleterre. »

Vraisemblablement, les nazis parvinrent par la suite à persuader les Japonais de remplir les obligations du Pacte sans s’attacher à l’accomplissement de la condition énoncée ci-dessus comme devant précéder leur attaque.

Maintenant, je vais passer aux tentatives ultérieures de Ribbentrop pour persuader les Japonais d’attaquer le Commonwealth britannique : le 29 mars 1941, Ribbentrop rencontra M. Matsuoka, ministre des Affaires étrangères du Japon qui se trouvait alors à Berlin. Le compte rendu de leur conversation, retrouvé dans les archives du ministère des Affaires étrangères allemand, figure dans le document PS-1877 que je dépose sous le nº USA-152.

Des passages importants de ce document ont été traduits en anglais je lis donc dans la traduction anglaise à partir du haut de la page 1 :

« Le “RAM” – Ribbentrop – et Matsuoka reprirent leur conversation au point où ils l’avaient laissée, sur les entretiens que ce dernier allait avoir avec les Russes à Moscou Ribbentrop pensait qu’il serait sans doute préférable, étant donné la situation générale, de ne pas pousser trop loin les négociations avec les Russes, car on ne savait pas comment la situation évoluerait. Il était certain néanmoins que les Allemands frapperaient immédiatement si la Russie attaquait le Japon. Il pouvait en donner l’assurance à Matsuoka si bien que le Japon pouvait avancer vers le Sud en direction de Singapour, sans crainte de complications du côté de la Russie. La plus grande partie de l’armée allemande se trouvait échelonnée sur la frontière est du Reich, prête à déclencher l’attaque à n’importe quel moment. À son avis, – celui du “RAM” – cependant, la Russie essaierait d’éviter la guerre. Si l’Allemagne entrait en conflit avec la Russie, celle-ci serait liquidée en quelques mois. Dans ce cas, à plus forte raison, le Japon n’avait rien à craindre en attaquant Singapour. Il n’y avait donc aucune raison de ne pas tenter cette entreprise par crainte des Russes.

« Il ne pouvait naturellement pas savoir quelle tournure prendraient les relations avec la Russie. On ne pourrait savoir si Staline allait persister ou non dans sa politique actuelle d’hostilité à l’égard de l’Allemagne. Lui (RAM) voulait examiner avec Matsuoka toutes les éventualités de conflit avec la Russie. En tout cas, Matsuoka ne pourrait pas, à son retour déclarer à l’Empereur du Japon qu’un conflit entre la Russie et l’Allemagne était impossible. Bien au contraire, la situation était telle qu’il fallait considérer l’éventualité d’un conflit comme possible, sinon comme probable. »

Je passe cinq pages du texte allemand et je reprends la traduction anglaise :

« Puis, le “RAM” – Ribbentrop – revint à la question de Singapour. Les Japonais ayant exprimé leurs craintes au sujet d’éventuelles attaques de sous-marins partant des bases des Philippines, ou d’une intervention de la flotte britannique de la Méditerranée et de la Home Fleet, il avait envisagé la question avec l’amiral Raeder. Ce dernier lui avait affirmé que la marine anglaise aurait tant à faire cette année dans les eaux territoriales britanniques et en Méditerranée qu’elle ne pourrait pas envoyer un seul bateau en Extrême-Orient à son avis, les sous-marins américains étaient si mauvais d’après lui, que les Japonais n’avaient pas à s’en inquiéter.

« Matsuoka répondit immédiatement que la marine japonaise ne craignait guère la menace que représentait la marine britannique ; il ne fallait pas perdre de vue d’autre part que, dans une rencontre avec la flotte américaine, la flotte japonaise pourrait écraser cette dernière sans difficulté. Néanmoins, il craignait que les Américains n’évitassent d’engager leur flotte dans ces conditions, la guerre avec les États-Unis pourrait traîner peut-être cinq ans, et cette perspective inquiétait beaucoup les Japonais.

« Le “RAM” répondit que l’Amérique ne pouvait rien faire contre le Japon s’il prenait Singapour. Pour cette simple raison, Roosevelt y regarderait sans doute à deux fois avant de se décider à agir contre le Japon en effet, d’un côté, il était impuissant en face du Japon, de l’autre, il risquait vraisemblablement de perdre les Philippines au profit de celui-ci. Pour le Président américain, ce serait évidemment une grande perte de prestige, à laquelle il ne pourrait rien opposer en raison de l’insuffisance des armements américains.

« Matsuoka indiqua alors à ce sujet qu’il faisait tous ses efforts pour rassurer les Anglais au sujet de Singapour. Il agissait comme si le Japon n’avait aucune visée sur cette position-clef de l’Angleterre en Orient. Il pourrait donc arriver qu’il adoptât à l’égard de l’Angleterre une attitude amicale, en paroles comme en actions. L’Allemagne ne devait pas s’y laisser prendre. Il adoptait cette attitude non seulement pour rassurer les Anglais mais pour tromper les éléments pro-britanniques et pro-américains au Japon jusqu’au jour où l’attaque contre Singapour serait déclenchée.

« Matsuoka déclara que sa tactique était basée sur l’hypothèse probable qu’une attaque soudaine contre Singapour unirait d’un seul coup toute la nation japonaise. (“Rien n’est aussi efficace que le succès” fit remarquer le “RAM”.) Il répétait les paroles qu’un homme politique japonais adressait à la Marine au début de la guerre russo-japonaise : “Ouvrez le feu et toute la nation sera unie”. Les Japonais ont besoin d’un choc qui les réveille après tout, en tant qu’Orientaux, ils sont fatalistes : ce qui doit arriver arrive, qu’on le veuille ou non. »

Je saute quelques pages du texte allemand et continue dans la traduction anglaise :

« Matsuoka parla ensuite de l’aide que les Allemands devaient apporter pour l’agression contre Singapour, sujet déjà souvent traité et fit allusion à une promesse écrite d’assistance allemande.

« Le “RAM” répondit qu’il avait déjà soulevé ces questions avec l’ambassadeur Oshima il lui avait demandé de lui procurer des cartes de Singapour pour que le Führer, qu’on pouvait considérer comme le plus grand expert militaire de l’époque, pût donner des conseils au Japon sur la façon la plus habile d’attaquer Singapour ; les experts allemands en guerre aérienne seraient également à la disposition des Japonais, ils pourraient rédiger un rapport basé sur leurs expériences de la guerre européenne, sur l’utilisation de bombardiers légers, partant de terrains voisins, pour attaquer en piqué la flotte anglaise de Singapour. Ces attaques aériennes obligeraient la flotte anglaise à quitter immédiatement Singapour.

« Matsuoka fit remarquer que le Japon s’intéressait moins à la flotte britannique qu’à la prise des ouvrages fortifiés.

« Le “RAM” lui répondit que, sur ce point également, le Führer avait élaboré de nouvelles méthodes pour les attaques allemandes contre les positions fortifiées telles que la ligne Maginot et le Fort Eben Emaël ces plans pourraient être mis à la disposition des Japonais.

« Matsuoka répondit que quelques jeunes officiers de marine japonais avec qui il était intime pensaient que leur flotte mettrait bien trois mois à prendre Singapour. En qualité de prudent ministre des Affaires étrangères, il avait doublé cette évaluation. Il croyait d’ailleurs n’avoir rien à craindre de l’Amérique avant six mois. Néanmoins, ajouta-t-il, si la prise de Singapour demandait encore plus de temps et que les opérations se prolongent pendant un an, la situation vis-à-vis de l’Amérique deviendrait extrêmement critique et il ne savait pas comment on pourrait y parer.

« Il voulait éviter, autant que possible, de toucher aux Indes néerlandaises, craignant qu’une attaque japonaise dans cette zone ne provoque un incendie dans les terrains pétrolifères. En tout cas, les opérations ne s’étendraient pas à cette région avant un an ou deux.

« Le “RAM” répliqua que les Japonais gagneraient le contrôle des Indes néerlandaises en prenant Singapour. »

Le 5 avril, une semaine environ après cet entretien dont je viens de citer le compte rendu, Ribbentrop rencontra de nouveau Matsuoka et lui fit faire un nouveau pas sur la voie de la guerre d’agression le compte rendu de cet entretien, retrouvé lui aussi dans les archives du ministère des Affaires étrangères d’Allemagne, forme le document PS-1882 que je dépose sous le nº USA-153. Je désire en lire quelques courts extraits, à partir du troisième paragraphe de la page 1 dans la traduction anglaise :

« Répondant à Matsuoka qui lui faisait remarquer que le Japon était maintenant réveillé et que, selon le caractère japonais, il agirait rapidement après avoir longuement réfléchi, le ministre des Affaires étrangères du Reich déclara que le Japon devait accepter un certain risque, comme le Führer l’avait fait avec succès en occupant la Rhénanie, en proclamant la nécessité du réarmement et en se retirant de la Société des Nations. »

Je passe maintenant plusieurs pages du texte allemand et je continue dans la traduction anglaise :

« Le ministre des Affaires étrangères du Reich répondit que le nouveau Reich allemand s’appuierait sur les anciennes traditions du Saint Empire romain germanique qui fut en son temps le seul pouvoir constitué de l’Europe continentale.

« En conclusion, le ministre des Affaires étrangères du Reich résuma encore une fois les points importants que Matsuoka devait faire connaître au Japon, en rentrant de son voyage :

« 1º L’Allemagne avait déjà gagné la guerre. Avant la fin de l’année, le monde s’en rendrait compte. L’Angleterre elle-même devrait le reconnaître si elle ne s’effondrait pas auparavant et l’Amérique devrait également admettre ce fait.

« 2º Il n’y avait pas de conflit d’intérêts entre le Japon et l’Allemagne. L’avenir de ces deux pays pouvait être réglé pour longtemps sur la base suivante le Japon serait la nation prédominante en Extrême-Orient l’Italie et l’Allemagne en Europe et en Afrique.

« 3º Quoi qu’il arrive, l’Allemagne gagnerait la guerre. Cependant, la victoire viendrait plus vite si le Japon entrait en guerre. Sans aucun doute, cette entrée en guerre présentait plus d’intérêt pour le Japon que pour l’Allemagne. Le Japon retrouverait difficilement une meilleure occasion d’atteindre ses objectifs nationaux ; cette guerre lui donnerait une chance unique de jouer un rôle de premier plan en Extrême-Orient. »

Dans la citation que je viens de lire, nous voyons Ribbentrop reprendre l’argumentation que j’ai déjà indiquée. Pratiquement, l’Allemagne a déjà gagné la guerre l’entrée en guerre du Japon ne fera que hâter une conclusion inévitable cependant, le Japon ferait mieux de s’emparer pendant la guerre de positions qu’il désire.

J’attire l’attention du Tribunal sur les garanties données par Ribbentrop dans cet extrait du document PS-1877 ; en entrant en guerre, le Japon n’aura de toute façon rien à craindre de l’Union Soviétique ; les allusions à la faiblesse des États-Unis apparaissent dans toutes ces citations comme l’ingrédient nécessaire pour faire avaler ce bouillon si soigneusement préparé.

Je voudrais présenter un autre document se rapportant plus particulièrement au premier point de mon exposé, les efforts de Ribbentrop pour amener les Japonais à attaquer le Commonwealth. C’est le document PS-1538 que je dépose sous le nº USA-154. C’est un compte rendu très secret, daté du 24 mai 1941, adressé par l’attaché militaire allemand à Tokyo aux services de renseignements de l’OKW. À ce sujet, je veux seulement attirer l’attention du Tribunal sur la dernière phrase du premier paragraphe :

« Les préparations d’attaque contre Singapour et Manille sont en cours. »

Je reviendrai à ce document par la suite ; cependant, j’en tire la preuve que les militaires allemands s’occupaient de très près des plans japonais d’opérations contre Singapour à l’élaboration desquels les nazis avaient collaboré.

Plus loin, les nazis essaient d’inciter le Japon à attaquer l’URSS.

Sur ce point, j’attire l’attention du Tribunal sur le texte de l’Acte d’accusation dont je cite la page 10 à partir de la huitième ligne (édition anglaise) : « Les nazis pensaient que l’agression japonaise affaiblirait et gênerait les nations avec qui ils étaient en guerre et celles contre lesquelles ils projetaient d’entrer en guerre. En conséquence ils exhortèrent le Japon à chercher un nouvel ordre de choses. »

La preuve que je viens d’ajouter se rapporte encore aux menées nazies relatives au Commonwealth. Nous allons voir maintenant leurs efforts pour pousser les Japonais à envoyer un « coup de poignard dans le dos » à l’URSS. Ici encore, l’accusé Ribbentrop joue un rôle de premier plan. Quelques mois avant que ne paraisse l’ordre de base nº 24 sur la collaboration avec le Japon, les conspirateurs nazis avaient élaboré le « plan Barbarossa », plan contre l’URSS. Cependant, l’ordre de base nº 24 indique « qu’on ne doit pas permettre aux Japonais de se douter le moindrement du “plan Barbarossa” ».

Cependant, dans son entretien du 29 mars 1941 avec le ministre des Affaires étrangères japonais Matsuoka, trois semaines environ après l’ordre de base nº 24, Ribbentrop a laissé entrevoir la tournure que pourraient prendre les événements. Le document PS-1877, qui donne le compte rendu de cette conversation et doit être cité au procès-verbal, a déjà été déposé sous le nº USA-152. Je désire attirer l’attention du Tribunal sur les deux premiers paragraphes de la traduction anglaise de ce document. Dans ce passage, Ribbentrop déclare à Matsuoka que la plus grande partie de l’armée allemande se trouvait sur la frontière est du Reich, prête à déclencher l’attaque, à n’importe quel moment.

Ribbentrop ajouta que bien qu’il crût que l’URSS éviterait tout incident conduisant à la guerre, il fallait considérer l’éventualité d’un conflit avec l’URSS comme possible, sinon comme probable.

Quelles conclusions l’ambassadeur japonais a-t-il tirées de ces remarques en avril 1941 ? Sur ce point, nous sommes réduits aux conjectures. Mais quand, en juin 1941, les nazis déclenchèrent leur agression contre l’URSS, on ne pouvait plus garder de doute sur le sens des paroles de Ribbentrop. Le 10 juillet 1941, Ribbentrop adressa un télégramme chiffré à l’ambassadeur allemand à Tokyo, Ott, télégramme qui forme le document PS-2896 que je dépose sous la cote USA-155 j’en cite le paragraphe 4, premier paragraphe dans la traduction anglaise :

« Je vous prie de remercier à cette occasion le ministre des Affaires étrangères japonais pour la transmission du rapport télégraphique de l’ambassadeur japonais à Moscou. Nous aimerions pouvoir continuer à recevoir des nouvelles de Russie par ce moyen. En résumé, je voudrais dire que j’ai maintenant, comme par le passé, pleine confiance en la politique japonaise et le ministre des Affaires étrangères japonais en effet, pour l’avenir du pays, l’actuel Gouvernement japonais n’a pas le droit de laisser passer cette occasion unique de donner une solution au problème russe tout en assurant désormais son expansion vers le Sud et en réglant la question chinoise. Puisque la Russie, d’après le rapport de l’ambassadeur japonais à Moscou, rapport qui coïncide d’ailleurs avec nos propres observations, dans la mesure où nous pouvons juger de la situation militaire actuelle, est effectivement prête à s’effondrer, il est absolument impossible que le Japon ne règle pas la question de Vladivostock et de la zone de Sibérie dès que ses préparatifs militaires seront achevés. »

Nous passons maintenant au milieu du deuxième paragraphe de la page 1 dans la traduction anglaise, à la phrase qui commence par « Cependant… »

« Cependant, je vous prie d’employer tous les moyens qui sont à votre disposition pour convaincre instamment le Japon d’entrer en guerre contre la Russie le plus tôt possible, comme je l’ai déjà dit dans la note que j’ai adressée à Matsuoka le plus tôt sera le mieux. Notre objectif naturel est toujours le même : nous voulons opérer notre jonction avec les Japonais sur la ligne du Transsibérien avant le début de l’hiver. Après l’effondrement de la Russie, la position des Puissances du Pacte Tripartite sera tellement forte que l’effondrement de l’Angleterre et la destruction totale des Îles Britanniques ne seront plus qu’une question de temps. En prenant les dernières positions de l’empire britannique dont la possession est importante pour les Puissances du Pacte Tripartite, nous mettrons en face du fait accompli une Amérique absolument isolée du reste du monde.

« J’ai la conviction inébranlable que l’établissement de l’“ordre nouveau” que nous désirons instaurer sera une question de fait et qu’il ne rencontrera pas de difficultés insurmontables si les Puissances du Pacte Tripartite restent étroitement unies et affrontent avec les mêmes armes tout combat contre l’Amérique. Je vous prie à l’avenir de m’adresser des rapports aussi fréquents et aussi détaillés que possible sur la situation politique au Japon. »

Nous avons la réponse de Ott à ce télégramme, datée du 13 juillet 1941, que je dépose comme USA-156. C’est le document nº PS-2897 après avoir lu l’en-tête, je passerai au dernier paragraphe de la page 3 du texte allemand qui figure seul dans la traduction anglaise :

« Télégramme chiffré » – envoyé le 14 juillet de Tokyo, arrivé le 14 juillet 1941 – « extrême urgence :

« J’essaye par tous les moyens de faire entrer le Japon en guerre contre la Russie le plus tôt possible et j’utilise surtout les arguments du message personnel du ministre des Affaires étrangères et du télégramme cité plus haut pour convaincre Matsuoka personnellement ainsi que le ministère des Affaires étrangères, les milieux militaires et nationalistes, et les hommes d’affaires qui nous sont favorables. D’après les préparatifs militaires, je crois que la participation du Japon ne se fera pas attendre. Le principal obstacle à surmonter est le manque d’unité du groupe des activistes qui, n’ayant pas de commandement unique, poursuivent des buts variés, et ne s’adaptent que très lentement aux changements de situation. »

Ribbentrop saisit toutes les occasions ultérieures qui se présentèrent pour pousser le Japon à attaquer l’URSS. Je vais présenter trois documents qui vont de juillet 1942 à mars et avril 1943. Le premier est le document PS-2911 qui contient le compte rendu d’une conversation du 9 juillet 1942 entre Ribbentrop et Oshima, l’ambassadeur japonais à Berlin.

Pour donner l’atmosphère générale, j’indique qu’à ce moment, les armées allemandes se ruaient en Russie et qu’on venait d’annoncer la chute de Sébastopol.

Je dépose le document PS-2911 sous le nº USA-157 et j’en cite les extraits pertinents figurant dans la traduction anglaise :

« Au moment où la situation devint telle que je l’ai décrite, le ministre des Affaires étrangères allemand demanda à voir l’ambassadeur car on se trouvait en face d’un problème essentiel pour la conduite commune de la guerre. Si le Japon se sentait militairement prêt, le moment d’attaquer la Russie était venu. Il pensait que si le Japon pouvait attaquer maintenant, cette attaque provoquerait l’effondrement moral de la Russie et, tout au moins, hâterait l’effondrement de son régime actuel. En tout cas le Japon ne retrouverait jamais une telle occasion d’éliminer une fois pour toutes le colosse russe de l’Asie orientale.

« Il avait discuté de cette question avec le Führer qui était de son avis cependant il voulait de suite préciser un point : le Japon ne devait attaquer la Russie que s’il se sentait suffisamment fort pour une telle entreprise. Mais en aucun cas, les opérations japonaises contre la Russie ne doivent être arrêtées à mi-chemin et nous ne sentons pas la nécessité de pousser le Japon à une action qui ne serait profitable ni à lui, ni à nous. »

LE PRÉSIDENT

Il est 15 h. 50.

(L’audience est suspendue.)
M. ALDERMAN

Plaise au Tribunal. Je dépose maintenant le document nº PS-2954 sous le nº USA-158. C’est le compte rendu d’un entretien du 6 mars 1943 entre Ribbentrop et l’ambassadeur Oshima.

Pour donner l’atmosphère générale, j’indique encore que la situation militaire dans les vastes territoires de l’URSS était quelque peu changée.

Au cours du mois précédent, en février 1943, les armées soviétiques avaient complètement battu les Allemands à Stalingrad et leur avaient infligé de lourdes pertes. Au Nord et à l’Ouest, leur offensive d’hiver avait libéré de l’envahisseur de vastes territoires. Les Forces britanniques et américaines avaient déjà débarqué en Afrique du Nord.

Vous remarquerez au cours de ma lecture que le ton de Ribbentrop a quelque peu changé avec la situation militaire. Le refrain japonais familier : « Je regrette beaucoup », faisait son apparition.

Je vous prie de noter que c’est également pendant ce mois de février 1943 qu’avait cessé la résistance organisée des Japonais sur l’île de Guadalcanal.

Je cite des extraits tirés du procès-verbal de cet entretien du 6 mars 1943 entre Ribbentrop et Oshima la traduction anglaise figure dans le livre de documents.

« L’ambassadeur Oshima déclara qu’il avait reçu un télégramme de Tokyo et qu’il avait reçu de son Gouvernement l’ordre de se présenter au ministre des Affaires étrangères du Reich pour lui signaler les faits suivants : la suggestion du Gouvernement allemand concernant l’attaque contre la Russie avait été l’objet d’une conférence commune entre le Gouvernement japonais et l’État-Major impérial japonais, au cours de laquelle la question avait été examinée et discutée en détail. Les conclusions furent les suivantes : le Gouvernement japonais reconnaît le danger qui menace du côté de la Russie et comprend parfaitement le désir de son allié allemand, de voir le Japon entrer en guerre de son côté contre la Russie. Néanmoins, il considère qu’il lui est actuellement impossible d’entrer en guerre, étant donné la situation militaire actuelle. Il est persuadé qu’il est de l’intérêt commun de ne pas commencer maintenant la guerre contre la Russie. Mais d’autre part, le Gouvernement japonais ne se désintéressera jamais de la question russe.

« Il a l’intention d’attaquer ultérieurement sur d’autres fronts.

« Après avoir écouté les explications de l’ambassadeur, le “RAM” demanda comment Tokyo envisageait la poursuite de la guerre. En ce moment, le Japon restant presque toujours sur la défensive, l’Allemagne combat pratiquement seule des ennemis communs, l’Angleterre et l’Amérique. Il serait cependant préférable que toutes les Puissances du Pacte Tripartite unissent leurs forces pour vaincre l’Angleterre et l’Amérique, ainsi que la Russie. Il n’est pas bon de laisser combattre seule une de ces puissances, et il ne faut pas abuser des forces de l’Allemagne. Il s’inquiétait dans son for intérieur de l’activité de certains éléments japonais qui soutenaient et qui propageaient l’idée que l’Allemagne sortirait certainement victorieuse du combat, et que par conséquent le Japon avait le temps d’assurer ses forces, avant de fournir l’effort suprême. »

Je saute plusieurs pages du texte allemand, et je poursuis ma citation :

« Le “RAM” – Ribbentrop – reprit la question de l’attaque contre là Russie et déclara qu’après tout, les combats sur le front de Birmanie ou dans le Sud étaient à l’heure actuelle plutôt du ressort de la Marine, et que sur tous les fronts sauf celui de Chine, le Japon n’avait engagé que très peu d’effectifs de l’Armée de terre. Donc, l’attaque contre la Russie étant au premier chef du ressort de l’Armée de terre, il se demandait s’il n’était pas possible de disposer des forces nécessaires pour cette opération. »

Ribbentrop fit encore d’autres tentatives. Il eut une autre conférence avec Oshima, environ trois semaines plus tard, le 18 avril 1943. Le compte rendu secret de cet entretien figure dans le document PS-2929, que je dépose sous le nº USA-159 je n’en citerai qu’une phrase :

« Le ministre des Affaires étrangères du Reich souligna une fois de plus que, sans aucun doute, cette année était pour le Japon l’occasion la plus favorable d’attaquer la Russie s’il se sentait assez fort et avait assez d’armes anti-chars à sa disposition, car la Russie ne serait certainement jamais aussi faible qu’elle l’était à ce moment. »

Maintenant, je passe à l’aspect de la conspiration qui a provoqué, dans une large mesure, l’apparition de millions d’Américains en uniforme un peu partout dans le monde.

Comme l’a indiqué le Procureur américain dans son discours d’ouverture, les préparatifs dirigés contre les États-Unis par les nazis, en collaboration avec les Japonais, présentent un double aspect :

1. Préparatifs faits par les nazis eux-mêmes pour attaquer par-delà l’Atlantique.

2. Préparatifs pour déclencher une guerre dans le Pacifique. Dans la partie de mon exposé qui traite des tentatives des nazis pour inciter les Japonais à attaquer le Commonwealth britannique et la Russie, j’ai mentionné certains documents et cité certaines phrases qui concernent les États-Unis. Je vais reprendre ces passages et montrer leur application dans ce cas particulier. J’ai donné également, en parlant des efforts de Ribbentrop pour pousser les Japonais à déclarer la guerre à la Russie, les dates des 7 et 11 décembre 1941, quand les Gouvernements japonais et allemand ont déclenché et déclaré respectivement une guerre d’agression contre les États-Unis.

Indépendamment de leur intérêt et de leur utilité à illustrer mon exposé, ces documents nous ont montré que les nazis acceptaient en toute connaissance de cause les conséquences de leur action, aussi bien que les conséquences générales de leur complot et de leur alliance avec les Japonais. Il faut juger leurs desseins à l’égard des États-Unis dans le cadre de leurs plans généraux et de leurs engagements immédiats à l’extérieur. Le plan général d’opérations prévoyait éventuellement une guerre d’agression contre les États-Unis, comme le laisse entendre l’accusé Göring dans son discours du 8 juillet 1938, au moment où les nazis venaient d’annexer l’Autriche par la force et mettaient au point leur plan d’attaque contre la Tchécoslovaquie.

Ce discours était adressé aux représentants de l’industrie aérienne l’exemplaire que nous possédons se trouvait joint à un mémorandum secret adressé par le secrétaire de Göring au général Udet, qui s’occupait alors des expériences pour la Luftwaffe. Il figure dans le document R-140 que je dépose sous le nº USA-160.

J’attire l’attention du Tribunal sur la note du mémorandum indiquant que la pièce jointe est une copie de la sténographie de cette conférence. Je n’ai pas l’intention de vous lire le long discours dans lequel Göring demanda l’accroissement de la production aéronautique et montra la nécessité d’une mobilisation totale de l’industrie allemande. Je n’en veux citer que deux phrases qui figurent à la page 33 du texte allemand, et à la page 11 de la traduction anglaise. Je cite au paragraphe 2, page 11 de la traduction anglaise, la troisième phrase en partant de la fin du paragraphe :

« Il me manque le moteur à réaction qui permettra de tels voyages. Il me manque encore le bombardier portant 5 tonnes de bombes et pouvant aller jusqu’à New York et retour. Je serais très heureux d’avoir ce bombardier qui irait par delà l’Océan fermer un peu la bouche à ce peuple arrogant. »

Cette espérance chère à Göring ne pouvait naturellement pas se réaliser à ce moment, aussi bien en raison des difficultés techniques que du programme d’agression des nazis, que nous vous avons présenté ces derniers jours.

Pendant les préparatifs et les opérations de guerres d’agression en Europe, jusqu’au déclenchement de la campagne contre la Russie, il est raisonnable de penser que les nazis n’avaient pas l’intention d’entraîner les États-Unis dans la guerre à ce moment-là. Néanmoins, même à la fin de l’année 1940, les plans militaires envisageaient une guerre contre les États-Unis à une date ultérieure. On le voit clairement dans le document PS-376, découvert dans les archives de l’OKL (Haut Commandement de l’Armée de l’air), que je dépose sous le nº USA-161. C’est un mémorandum marqué « Chef-sache », terme allemand désignant les documents secrets et adressé par le commandant von Falkenstein à un général dont on ne donne pas le nom, un général de l’Armée de l’air, sans doute.

Falkenstein, commandant à l’État-Major général, était à cette époque officier de liaison de la Luftwaffe avec l’État-Major d’opérations de l’OKW, à la tête duquel se trouvait l’accusé Jodl. Son mémorandum intitulé : « Bref résumé des questions militaires à l’ordre du jour », est daté du 29 octobre 1940. Il traite plusieurs questions. Je citerai le paragraphe nº 5 qui se trouve au bas de la première page de la traduction anglaise, et qui continue sur l’autre côté de la page.

« 5. Le Führer s’occupe actuellement de l’occupation des îles de l’Atlantique en prévision d’une guerre contre l’Amérique à une date ultérieure. On a commencé, à discuter cette question. Les conditions essentielles de cette opération sont les suivantes :

« a) Aucun autre théâtre d’opérations ;

« b) Neutralité portugaise ;

« c) Aide de la France et de l’Espagne.

« La Luftwaffe (Aviation de guerre allemande) devra étudier les possibilités de s’emparer et de conserver ces bases aériennes, ainsi que d’assurer leur ravitaillement. »

Le paragraphe 7, que je vais vous lire, montre que les nazis s’intéressaient à l’activité des États-Unis au point de vue militaire :

« Le général Boetticher a déclaré plusieurs fois, en particulier dans son télégramme 2314 du 26 octobre, qu’à son avis la presse allemande publiait beaucoup trop de détails sur l’industrie aéronautique américaine. Cette question a été discutée à l’OKW. Je vous signale qu’elle concerne essentiellement l’Armée de l’air ; cependant, j’ai pris la liberté de vous consulter à ce sujet. »

Une autre fois, au mois de juillet 1941, encore plongé dans l’euphorie des premiers succès de l’agression contre l’URSS, le Führer signa un ordre enjoignant de poursuivre la préparation de l’attaque contre les États-Unis. Cet ordre secret, trouvé dans les archives de la Marine allemande, est le document nº C-74, que je dépose sous le nº USA-162. Je lis le paragraphe qui précède immédiatement le paragraphe portant le nº 1 :

« En vertu des projets pour la poursuite de la guerre indiqués dans la directive nº 32, les effectifs de l’Armée et le ravitaillement en matériel devront être fixés, selon les principes suivants :

« 1. En général :

« La domination militaire de l’Europe après la défaite de la Russie permettra de réduire très prochainement les effectifs de l’Armée dans des proportions considérables. Nous renforcerons les unités blindées, autant que le permettra la réduction des effectifs.

« La Marine ne conservera que les armements indispensables pour poursuivre la guerre contre l’Angleterre et si besoin en est, contre l’Amérique.

« Nous porterons notre principal effort sur l’armement de l’Aviation, dont il faut augmenter les effectifs. »

Ces documents nous montrent que les nazis dressaient tout au moins les plans préliminaires à une action contre les États-Unis. Cependant, le plan d’action d’ensemble contre les États-Unis était complexe, car il englobait aussi les opérations menées par le Japon. Au cours des tentatives répétées qu’ils firent auprès des Japonais pour les pousser à attaquer les possessions britanniques d’Extrême-Orient, ils envisageaient encore la guerre contre les États-Unis.

Je mentionne encore une fois l’ordre de base nº 24 concernant la collaboration avec le Japon, document C-75 (USA-151). Je l’ai lu en entier pour qu’il figure au procès-verbal. Le Tribunal se souvient que, dans cet ordre de base du 5 mars 1941, il était dit au paragraphe 3, a que le but de la politique nazie était d’« abattre rapidement l’Angleterre de façon à laisser les États-Unis en dehors du conflit ».

Cependant, dans leurs plans de politique extérieure, les conspirateurs nazis envisageaient clairement la possibilité d’une intervention des États-Unis dans le conflit qu’ils préparaient en Extrême-Orient. Les Japonais pourraient la déclencher en attaquant des possessions américaines, en même temps que celles de l’Empire britannique. C’est ce qui arriva effectivement. On examina également d’autres éventualités pouvant provoquer l’entrée en guerre des États-Unis. Nous voyons dans l’ordre de base nº 24 (document C-75), au paragraphe 3, c, en haut de la page 2 :

« c) Les besoins en matières premières des puissances signataires du Pacte Tripartite exigent que le Japon s’empare des territoires dont la possession est nécessaire à la poursuite de la guerre, surtout dans l’éventualité d’une entrée en guerre des États-Unis. Les livraisons de caoutchouc doivent être faites régulièrement, même après l’entrée en guerre du Japon, car elles sont d’une importance vitale pour l’Allemagne. »

On trouve ensuite, dans le paragraphe non numéroté qui suit le paragraphe 3, d :

« On lancera de plus des attaques contre les autres bases navales anglaises et contre les bases navales américaines, au cas où l’on ne pourrait pas éviter l’entrée en guerre des États-Unis ; elles auront pour but d’ébranler le système de contrôle ennemi dans cette région, et, au même titre que les attaques contre les communications maritimes, de paralyser des régions dont les ressources sont d’un intérêt vital (Australie). »

Ces passages montrent avec clarté que les nazis avaient envisagé la possibilité d’une entrée en guerre des États-Unis, et qu’ils avaient à son égard des intentions agressives. L’accusé Raeder, dans la réunion du 18 mars 1941 avec Hitler et les accusés Keitel et Jodl, avait prévu que les États-Unis se sentiraient gravement menacés dans leurs intérêts par la prise de Singapour. Le procès-verbal de cette réunion se trouve dans le document C-152 qui a déjà été déposé sous le nº GB-122. Je désire vous relire les autres phrases du onzième alinéa du procès-verbal de cette conférence. Elles figurent à la page 1 de la traduction anglaise. Je cite les paroles de l’accusé Raeder :

« Le Japon doit prendre des mesures pour s’emparer de Singapour le plus rapidement possible, car les conditions ne seront jamais aussi favorables (toute la flotte anglaise est occupée, les États-Unis ne sont pas préparés à une guerre contre le Japon, la flotte américaine est en état d’infériorité vis-à-vis de la flotte japonaise). Le Japon se prépare à cette attaque, mais, d’après les déclarations d’officiers japonais, il ne l’exécutera que si les Allemands opèrent leur débarquement en Angleterre. L’Allemagne doit donc concentrer tous ses efforts pour pousser le Japon à une action immédiate. Quand les Japonais auront Singapour, toutes les questions relatives aux États-Unis et à l’Angleterre en Asie Orientale (Guam, les Philippines, Bornéo, les Indes Néerlandaises) seront résolues. Le Japon désire si possible éviter une guerre avec les États-Unis. Il le peut, à condition de prendre Singapour le plus tôt possible. »

L’accusé Ribbentrop a reconnu aussi la possibilité d’une entrée en guerre des États-Unis à la suite de l’acte d’agression qu’il demandait aux Japonais. Je mentionne encore la réunion du 23 février 1941, avec l’ambassadeur japonais Oshima. Le compte rendu de cette entrevue figure au document PS-1834 (USA-129).

Le Tribunal se souvient d’un passage que j’ai déjà cité au paragraphe nº 2, en bas de la page 3, dans la traduction anglaise, dans lequel Ribbentrop déclare à Oshima qu’une intervention par surprise du Japon écarterait certainement les États-Unis de la guerre, car ils n’étaient pas armés, et ne pouvaient ni aventurer leur flotte, ni risquer de perdre les Philippines à la suite d’une déclaration de guerre. Deux paragraphes plus loin, Ribbentrop ne prétend pour ainsi dire plus que les États-Unis ne seront pas engagés dans cette guerre. Je cite le dernier paragraphe, au bas de la page 3 de la traduction anglaise :

« Le ministre des Affaires étrangères du Reich mentionne encore que, si l’Amérique déclarait la guerre par suite de l’intervention du Japon, ce serait parce qu’elle avait eu l’intention de le faire tôt ou tard. Il serait évidemment préférable d’éviter cette entrée en guerre, mais, comme nous l’avons expliqué plus haut, elle n’aurait pas d’importance décisive et ne compromettrait pas la victoire finale des puissances du Pacte Tripartite. Le ministre des Affaires étrangères ajouta qu’à son avis l’entrée en guerre du Japon annulerait les effets de l’intervention américaine sur le moral anglais. Si pourtant, contrairement à toutes les prévisions, les Américains commettaient malgré tout l’imprudence d’envoyer leur flotte en Extrême-Orient, au-delà d’Hawaii, ils donneraient aux puissances du Pacte Tripartite la plus belle occasion de terminer la guerre avec la vitesse de l’éclair. Il était personnellement convaincu que la flotte en finirait avec les Américains d’un seul coup. L’ambassadeur Oshima répondit que, malheureusement, il ne pensait pas que les Américains se risqueraient à cette manœuvre, mais qu’autrement, il était convaincu que la flotte de son pays serait victorieuse dans les eaux japonaises. »

Dans les paragraphes suivants dont nous avons déjà lu des extraits pour les faire figurer au procès-verbal, Ribbentrop souligne l’interdépendance des puissances signataires du Pacte Tripartite, et propose de coordonner les opérations.

Je n’en vais citer que le dernier paragraphe de la page 5. C’est un exemple typique du cynisme nazi qui nous est maintenant familier.

« Le ministre des Affaires étrangères mentionna, en insistant sur le fait qu’il envisageait cette question de façon toute théorique, que les puissances contractantes pourraient être amenées à rompre leurs relations diplomatiques avec les États-Unis, si ceux-ci leur faisaient subir de nouveaux affronts. L’Allemagne et l’Italie étaient déterminées à prendre cette mesure. Maintenant que nous avons signé le Pacte Tripartite, nous devrions, à la première occasion, agir tous ensemble. Une telle leçon ouvrirait les yeux du peuple américain et, sous certaines conditions, pourrait faire pencher l’opinion vers l’isolationnisme. Il faudrait naturellement choisir une situation dans laquelle l’Amérique se soit mise absolument dans son tort. La propagande devrait s’emparer de cette démarche commune des puissances signataires du Pacte Tripartite et l’exploiter à fond. D’ailleurs, cette question n’était pas encore urgente à ce moment-là. »

Au cours d’un entretien avec le ministre des Affaires étrangères du Japon, Matsuoka, le 29 mars 1941, Ribbentrop parla encore des possibilités d’une entrée en guerre des États-Unis. Le compte rendu de cet entretien figure dans le document PS-1877, que j’ai déjà déposé sous le nº USA-152. Les déclarations qui nous intéressent se trouvent dans les deux derniers paragraphes de la page 1 et dans le premier paragraphe de la page 2 de la traduction anglaise. Je ne voudrais pas abuser des instants du Tribunal en les relisant.

Je voudrais citer encore un document pour vous montrer que les conspirateurs nazis savaient que la guerre d’agression qu’ils poussaient les Japonais à entreprendre menaçait les intérêts vitaux des États-Unis et pouvait amener leur intervention dans le conflit qu’ils préparaient en Extrême-Orient. C’est le document PS-1881 qui donne le compte rendu de l’entretien de Hitler avec l’ambassadeur japonais Matsuoka à Berlin, le 4 avril 1941. Dans l’exposé introductif que j’ai prononcé devant le Tribunal, il y a deux semaines, j’ai déposé le document PS-1881 sous le numéro USA-33. J’en ai cité une grande partie pour qu’elle figure au procès-verbal. À moins que le Tribunal n’en décide autrement, je crois qu’il serait bon d’en relire quelques passages.

LE PRÉSIDENT

Je crois que nous pouvons les considérer comme des preuves acquises.

M. ALDERMAN

Je veux souligner néanmoins que les passages que j’ai cités il y a quinze jours, et que j’aurais désiré relire maintenant, démontrent que les nazis non seulement envisageaient une intervention des États-Unis dans le conflit qu’ils fomentaient en Extrême-Orient, mais encore savaient pertinemment que l’armée et la marine japonaises préparaient des plans d’attaque contre les États-Unis. Nous avons même un document qui démontre que l’Axe savait, au moins en partie, en quoi consistaient ces plans de guerre.

Je mentionne encore le document PS-1538 qui a été déposé comme preuve sous le numéro USA-154. C’est un télégramme secret de l’attaché militaire allemand à Tokyo en date du 24 mai 1941. Il donne un compte rendu de ses différents entretiens touchant à l’intervention du Japon dans le cas d’une entrée en guerre de l’Allemagne contre les États-Unis.

Dans le paragraphe 1 figure cette phrase (dernière phrase du paragraphe 1) :

« Les préparatifs d’attaque contre Singapour et Manille demeurent. »

Je voudrais résumer quelle était la situation des nazis vis-à-vis des États-Unis, à cette époque, au printemps de 1941. En raison des engagements urgents qui les liaient ailleurs et de leurs plans d’agression contre l’URSS, dont l’exécution était fixée au mois de juin 1941, ils préféraient évidemment que les États-Unis ne soient pas engagés dans la guerre à ce moment. Néanmoins, ils avaient mis à l’étude des plans préliminaires contre les États-Unis, comme le montre le document relatif aux îles de l’Atlantique, que je vous ai présenté.

Les nazis poussaient constamment le Japon à attaquer le Commonwealth, comme ils les pressaient d’attaquer l’URSS, aussitôt après avoir déclenché leur invasion. Ils savaient que le rôle qu’ils voulaient faire jouer aux Japonais en Extrême-Orient provoquerait sans aucun doute l’entrée en guerre des États-Unis. Le ministre des Affaires étrangères du Japon l’avait d’ailleurs dit expressément à Hitler et les chefs militaires allemands eux-mêmes se rendaient parfaitement compte des conséquences que pourrait entraîner l’avance sur Singapour. Ils savaient aussi que l’armée et la marine japonaises établissaient des plans d’opérations contre les États-Unis. Ils connaissaient au moins une partie de ces plans.

Non seulement les conspirateurs nazis connaissaient tous ces préparatifs, mais ils acceptaient les risques de ces agressions, vers lesquelles ils poussaient de plus en plus les Japonais, leurs alliés de l’Est.

En avril 1941, Hitler déclara au ministre des Affaires étrangères du Japon que si le Japon devait entrer en guerre contre les États-Unis, l’Allemagne en tirerait immédiatement des conséquences pour frapper sans délai.

Je me réfère au document PS-1881, compte rendu de l’entretien Hitler-Matsuoka à Berlin le 4 avril 1941, qui a déjà été déposé sous le nº USA-33, et plus spécialement aux quatre premiers paragraphes de la page 2 de la traduction anglaise. Je crois qu’ils ont déjà été lus deux fois devant vous, il est donc inutile que je recommence.

Deux paragraphes plus loin, nous voyons Hitler encourageant Matsuoka à déclarer la guerre aux États-Unis. J’attire votre attention sur le quatrième paragraphe de la page 2, que vous avez déjà entendu plusieurs fois. Aussi ne le relirai-je pas.

Dans ces passages, nous voyons le chef de l’État allemand, le Führer en personne, chef de la conspiration donner des encouragements et des promesses d’assistance. Mais les nazis ne s’en tinrent pas aux encouragements et aux promesses.

Je dépose maintenant le document PS-2898, sous le nº USA-163. C’est un autre télégramme de l’ambassadeur allemand à Tokyo au sujet d’un entretien avec le ministre des Affaires étrangères japonais. Il est daté du 30 novembre 1941, exactement une semaine avant Pearl Harbor. Je vais lire les quatre premiers paragraphes de la page 2 du texte allemand, qui sont les premiers de la traduction anglaise. Je sais que ce passage n’a pas encore été lu devant le Tribunal. D’ailleurs ce document n’a jamais été cité.

« Le progrès des négociations confirme son point de vue qu’il existe des grandes différences d’opinion entre le Japon et les États-Unis. D’après ce qu’il m’a dit, le Gouvernement japonais, depuis qu’il a envoyé l’ambassadeur Kurusu, a pris une position ferme. Il est convaincu que cette position nous est favorable et doit faire comprendre aux États-Unis qu’ils risqueraient gros en se lançant dans une guerre européenne. Les nouvelles propositions américaines du 25 novembre marquent de grandes divergences entre les points de vue des deux nations. Leurs opinions diffèrent par exemple à propos du règlement à venir de la question chinoise. La principale » – le texte allemand porte l’indication « ici il manque un groupe de mots », c’est-à-dire qu’un groupe de signes du code s’est perdu au cours de la transmission d’après le contexte, ce sont sans doute les mots « différence d’opinion » – « la principale (ici il manque un groupe de mots) résulte du fait que les États-Unis essayèrent de neutraliser les effets du Pacte Tripartite. Les États-Unis avaient suggéré au Japon de conclure des Traités de non-agression avec les États-Unis, l’Empire britannique, l’Union Soviétique et d’autres pays afin de prévenir une éventuelle entrée en guerre du Japon aux côtés des puissances de l’Axe. Cependant, le Japon voulait s’en tenir aux clauses du Pacte c’est pourquoi les exigences américaines forment le principal obstacle à l’établissement de bonnes relations entre les États-Unis et le Japon. Il n’a pas parlé de concessions promises par les États-Unis, et a simplement déclaré que de très graves décisions étaient en cours.

« Les États-Unis se préparent sérieusement à la guerre, et sont susceptibles d’engager une partie considérable de leur flotte en provenance de bases du Sud du Pacifique. Le Gouvernement japonais est en train de rédiger une réponse pour exposer clairement son point de vue. Mais, en ce moment, il n’a pas de programme particulier. Il pense que, dans l’ensemble, les propositions américaines sont inacceptables.

« Le Japon ne craint pas la rupture de ces négociations, espérant que, conformément aux clauses du Pacte Tripartite, l’Allemagne et l’Italie seraient alors à ses côtés. Je répondis qu’il n’y avait aucun doute sur la position que prendrait l’Allemagne. Le ministre des Affaires étrangères japonais me demanda s’il pouvait comprendre que l’Allemagne considérerait alors que son sort était lié à celui du Japon. Je répondis qu’à mon avis l’Allemagne était disposée à conclure un accord entre les deux pays au sujet de cette situation.

« Le ministre des Affaires étrangères répondit que, très probablement, il reviendrait bientôt sur cette question. Les conversations avec le ministre des Affaires étrangères confirmèrent l’impression que la note des États-Unis ne donnait pas satisfaction, même aux politiciens japonais qui cherchent des compromis. Dans ces milieux, l’attitude des États-Unis, surtout pour la question chinoise, a paru très décevante. Le fait que les Japonais présentent le Pacte Tripartite comme le principal obstacle au succès de leurs négociations avec les États-Unis semble indiquer que le Gouvernement japonais commence à se rendre compte de la nécessité d’une étroite collaboration avec les puissances de l’Axe. »

Voici venir le jour de l’infâme agression. Je dépose le document PS-2987 sous le nº USA-166. Il se compose d’extraits du journal du comte Galeazzo Ciano pour la période du 3 au 8 décembre 1941. Ce sont des notes qu’il rédigeait au cours de son travail quotidien en tant que ministre des Affaires étrangères d’Italie. Le texte italien a été traduit en anglais et en allemand. Des exemplaires en anglais et en allemand figurent dans les livres de documents.

Je cite maintenant le début des notes du mercredi 3 décembre :

« Changement sensationnel de la politique japonaise. L’ambassadeur a sollicité une audience auprès du Duce, au cours de laquelle il a lu une longue déclaration sur le développement des négociations avec l’Amérique. Il a terminé en déclarant qu’elles avaient abouti à un échec. Puis, invoquant les clauses correspondantes du Pacte Tripartite, il demanda que l’Italie déclare la guerre à l’Amérique, immédiatement après l’ouverture des hostilités, et proposa que les puissances signataires du Pacte s’engagent par un accord à ne pas conclure de paix séparée. L’interprète qui a traduit cette demande tremblait comme une feuille. Le Duce donna toutes les assurances possibles, se réservant cependant le droit d’en parler à Berlin avant de donner une réponse. Le Duce était satisfait de cette communication et dit : “Nous sommes maintenant au bord de la guerre intercontinentale que j’ai prédite dès le mois de septembre 1939”. Que signifie ce nouvel événement ? En tout cas, Roosevelt a réussi sa manœuvre. Ne pouvant pas entrer en guerre immédiatement et directement, il y est entré indirectement en se faisant attaquer par le Japon. Mais cet événement signifie aussi que les espoirs de paix s’éloignent de plus en plus. Maintenant, il est facile – même beaucoup trop facile – de prédire une longue guerre. Qui pourra tenir le plus longtemps ? C’est sous cet aspect que nous devons considérer le problème. La réponse de Berlin sera un peu en retard, Hitler étant sur le front du Sud pour visiter le général Kleist dont les Armées continuent à céder sous la pression d’une offensive soviétique inattendue. »

Je passe au jeudi 4 décembre, trois jours avant Pearl Harbor :

« Berlin a répondu de façon extrêmement circonspecte à la demande japonaise. Peut-être accepteront-ils, parce qu’ils ne peuvent pas s’en sortir autrement, mais l’idée de provoquer l’intervention américaine leur plaît de moins en moins. De son côté, Mussolini est très satisfait. »

Vendredi, 5 décembre :

« Nuit interrompue à cause de l’agitation de Ribbentrop. Après avoir attendu deux jours, il ne peut pas attendre une minute maintenant pour répondre aux Japonais et, à 3 heures du matin, il envoyait Mackensen chez moi pour me soumettre le plan d’un triple accord concernant l’intervention japonaise et l’engagement de ne pas faire une paix séparée. Il voulait que je réveille le Duce, mais je ne l’ai pas fait et ce dernier en a été très content. »

D’après les notes du 5 décembre que je viens de lire, il semble bien qu’un accord soit intervenu.

Le dimanche 7 décembre 1941, le Japon, sans avertissement préalable et sans déclaration de guerre, commença à attaquer les États-Unis à Pearl Harbor, ainsi que le Commonwealth britannique dans le sud-ouest du Pacifique. Le matin du 11 décembre, quatre jours après l’agression japonaise dans le Pacifique, le Gouvernement allemand déclara la guerre aux États-Unis, commettant ainsi le dernier acte d’agression, celui qui devait lui être fatal. Cette déclaration de guerre figure au volume IX des Documente der Deutschen Politik. Je demande au Tribunal d’en prendre acte sous le nº USA-164. Une traduction anglaise figure dans notre livre de documents, sous le nº PS-2507.

Le même jour, le 11 décembre 1941, dont ce sera demain le quatrième anniversaire, le Congrès des États-Unis décida : « de déclarer formellement l’état de guerre entre les États-Unis et le Gouvernement de l’Allemagne, état de guerre imposé aux États-Unis. » Cette déclaration figure sous le nº 272 dans la publication officielle Paix et Guerre dont le Tribunal a pris acte sous le nº USA-122. La déclaration elle-même a été reproduite pour les livres de documents sous le nº PS-2945.

Nous voyons donc qu’indépendamment de leurs propres intentions d’agression et de leur déclaration de guerre contre les États-Unis, les conspirateurs nazis, dans leur collaboration avec le Japon, ont mis en mouvement une force qui selon leurs calculs, devait aboutir à une agression contre les États-Unis. Tout en déclarant qu’ils préféraient laisser encore l’Amérique en dehors du conflit, ils avaient néanmoins prévu que les opérations qu’ils encourageaient provoqueraient très probablement l’entrée en guerre des États-Unis. Ils savaient que les Japonais avaient projeté une attaque contre les États-Unis, et ils en acceptaient les conséquences, en assurant aux Japonais qu’ils déclareraient la guerre aux États-Unis en cas de conflit entre les États-Unis et les Japonais.

Les documents saisis chez l’ennemi ne nous permettent pas de voir clairement l’ensemble du plan, mais les documents trouvés et déposés devant le Tribunal montrent que l’attaque japonaise était une conséquence directe et prévisible de cette politique de collaboration et que, par leurs exhortations et leurs encouragements, les Allemands ont poussé les Japonais à Pearl Harbor, aussi sûrement que s’ils l’avaient mentionné expressément.

Je voudrais lire, dans le journal de Ciano, les notes du 8 décembre, le lendemain de Pearl Harbor :

« Ribbentrop a envoyé un appel téléphonique de nuit. Il est enchanté de l’attaque japonaise contre l’Amérique. Il en est si content que je me réjouis avec lui, quoique je me demande si, en définitive, nous en tirerons beaucoup d’avantages. Ce qui est certain c’est que l’Amérique va entrer en guerre et que le conflit sera si long qu’elle sera capable de réaliser tout son potentiel. Je l’ai dit ce matin au Roi qui s’était montré satisfait des événements. Il a fini par admettre qu’à la longue je pourrais avoir raison. Mussolini était également très content. Depuis longtemps il désirait voir éclaircie la situation entre l’Amérique et l’Axe. »

Le dernier document est un compte rendu secret d’un entretien entre Hitler et l’ambassadeur japonais Oshima, qui eut lieu le 14 décembre 1941, de 13 heures à 14 heures, en présence du ministre des Affaires étrangères du Reich, Ribbentrop, document PS-2932 (USA-165). L’attaque de Pearl Harbor fournit le premier sujet de conversation, et la façon dont on en parle est typique des procédés nazis. Je cite le passage qui commence au deuxième paragraphe de la traduction anglaise, et qui n’a pas encore été lu :

« Tout d’abord, le Führer décore l’ambassadeur Oshima de la Grand-Croix de l’Ordre du Mérite de l’Aigle allemand en or. Il le remercie amicalement des services qu’il a rendus à la collaboration germano-japonaise qui atteint maintenant son point culminant dans la fraternité des armes.

« Le général Oshima remercie de ce grand honneur et exprime sa satisfaction de voir l’Allemagne et le Japon combattre côte à côte.

« Le Führer continue : “Vous avez fait la bonne déclaration de guerre”. C’est la seule bonne méthode. Le Japon l’avait déjà suivie, et elle correspond à notre propre système : il faut négocier le plus longtemps possible, mais, si on voit que l’autre ne cherche qu’à vous berner, à vous humilier et à vous insulter et ne veut pas arriver à un accord, il faut frapper le plus fort possible et ne pas perdre de temps à déclarer la guerre. Il était réconforté d’apprendre le résultat des premières opérations japonaises. Lui-même avait négocié parfois avec une patience infinie, avec la Pologne par exemple, et avec la Russie. Quand il se rendait compte que l’autre ne voulait pas arriver à un accord, il frappait rapidement et sans prévenir. Il utiliserait toujours cette méthode à l’avenir. »

Plaise au Tribunal. Ceci est la conclusion de l’exposé sur les diverses phases des guerres d’agression imputées en tant que crimes contre la Paix sous le chef nº 1 de l’Acte d’accusation.

En terminant, le Tribunal me permettra de remercier le commandant Sidney J. Kaplan, chef de section, et les membres de son service qui ont rassemblé et préparé avec patience tous les documents que je vous ai présentés. Ce sont, dans l’ordre dans lequel les documents ont été présentés : Commandant Joseph Dainow, Lieutenant-Commander Harold Leventhal, Lieutenant John M. Woolsey, Lieutenant James A. Gorell, Lieutenant Roy H. Steyer.

Le commandant Kaplan et son personnel ont pleinement fait honneur à la célèbre devise de leur arme, les garde-côtes américains, Semper paratus, « Toujours prêt ».

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée jusqu’à demain.

(L’audience sera reprise le 11 décembre 1945 à 10 heures.)