DIX-NEUVIÈME JOURNÉE.
Jeudi 13 décembre 1945.

Audience du matin.

M. DODD

Plaise au Tribunal. À la fin de l’audience d’hier, nous avions discuté et fini de lire les extraits de l’interrogatoire de l’accusé Alfred Rosenberg du 6 octobre 1945.

Les documents PS-017 et PS-019 dont j’ai lu des extraits ont déjà été déposés. Le Tribunal se souvient que ce sont des lettres de l’accusé Sauckel à l’accusé Rosenberg, lui demandant aide pour le recrutement de travailleurs étrangers supplémentaires. Je les mentionne au passage, en manière de récapitulation, étant donné la part prise par l’accusé Sauckel à ce programme d’asservissement et l’aide que l’accusé Rosenberg lui a apportée. L’accusé Sauckel a reçu également l’aide de l’accusé Seyss-Inquart, commissaire du Reich pour les Pays-Bas occupés.

Je mentionne encore le procès-verbal de l’affidavit de l’accusé Sauckel dont on a lu hier des extraits et je me réfère maintenant à un autre passage de celui-ci. On le trouvera à la fin du livre de documents ; c’est le dernier. J’aimerais tout particulièrement en citer un passage ; c’est la première question :

« Question. – Je désire attirer un instant votre attention sur la Hollande. Si je comprends bien, on se mettait d’accord sur la quantité de travailleurs hollandais, et leur nombre était ensuite donné au commissaire du Reich, Seyss-Inquart, qui devait exécuter la tâche.

« Réponse. – Oui, c’est exact.

« Question. – Une fois le nombre de travailleurs donné à Seyss-Inquart, c’était à lui de les recruter avec l’aide de vos représentants n’est-ce pas ?

« Réponse. – Oui, c’était tout ce qui me restait à faire, et c’était la même chose pour les autres pays. »

L’accusé Hans Frank, qui fut Gouverneur Général de Pologne, devait également contribuer à fournir la quantité exigée par l’accusé Sauckel. Je mentionne à nouveau l’interrogatoire de l’accusé Sauckel, page 1 des extraits du procès-verbal de cet interrogatoire ; vous le trouverez dans le livre de documents.

« Question. – Le même processus était-il suivi, dans le Gouvernement Général de Pologne ?

« Réponse. – Oui. Je renouvelle mon affirmation fondamentale : en remplissant ces missions, la seule possibilité qui m’était laissée était de prendre contact avec l’autorité supérieure militaire allemande du pays en question, de lui transmettre les ordres du Führer et de lui demander, comme je l’ai toujours fait, d’exécuter ces ordres de toute urgence.

« Question. – Il y eut naturellement des discussions de cet ordre en Pologne avec le Gouverneur Général Frank ?

« Réponse. – Oui. J’ai passé deux ou trois fois la journée à Cracovie et je me suis entretenu personnellement avec le Gouverneur Général Frank. Naturellement le Dr Goebbels était également présent. »

Les SS apportaient également leur aide, comme dans la plupart des cas où il était fait usage de la force et de la brutalité.

Nous revenons au document PS-1292 (USA-225). Ce document PS-1292 est le compte rendu, fait par le chef de la Chancellerie du Reich, Lammers, d’une conférence avec Hitler. À cette conférence assistaient entre autres les accusés Sauckel, Speer et Himmler, le Reichsführer SS. Je prends la page 2 du document, et je commence à la troisième ligne en haut de la page du texte anglais.

C’est la page 4, paragraphe 2 du texte allemand ; je cite :

« Le plénipotentiaire à l’Utilisation de la main-d’œuvre, Sauckel, déclara qu’il était farouchement résolu à obtenir ces ouvriers. Jusqu’à maintenant, il avait toujours rempli ses promesses quant au nombre d’ouvriers à fournir. Cependant, avec la meilleure volonté, il était incapable de faire une promesse positive pour 1944. Il ferait tout son possible pour satisfaire aux demandes de main-d’œuvre en 1944. Le succès dépendait essentiellement des résultats qu’obtiendraient les agents de recrutement allemands. Son projet ne pouvait pas être exécuté par les agents de recrutement locaux. »

Le Tribunal remarquera qu’il y a d’autres citations dans cette partie dont je viens de lire des extraits, mais j’ai l’intention de m’y référer un peu plus tard. L’accusé Sauckel aidait à déterminer le contingent de travailleurs pour l’Allemagne entière et donnait les quantités qui devaient être fournies par les agents et bureaux mentionnés, sachant pertinemment que la violence et la brutalité étaient les seuls moyens d’obtenir un résultat satisfaisant.

Je reviens au document PS-1292 ; je cite, page 1 :

« Une conférence avec le Führer a eu lieu aujourd’hui. Étaient présents : le plénipotentiaire pour l’Utilisation de la main-d’œuvre, Gauleiter Sauckel ; le secrétaire à l’Armement et Production de guerre, Speer ; le chef du commandement suprême de la Wehrmacht, Generalfeldmarschall Keitel ; le Generalfeldmarschall Milch ; le secrétaire d’État chargé de la direction des affaires du ministère du Reich pour le Ravitaillement et l’Agriculture, Backe ; le ministre de l’Intérieur, Reichsführer SS Himmler et moi-même. (Le ministre des Affaires étrangères et le ministre de l’Économie du Reich avaient à plusieurs reprises demandé à participer à cette conférence avant qu’elle n’ait lieu ; cependant, ce n’était pas le vœu du Führer.)

« Le Führer déclara tout d’abord : Je voudrais tirer au clair les points suivants :

« 1. Combien d’ouvriers l’Économie de guerre allemande exige-t-elle,

« a) pour maintenir la production présente ?

« b) pour augmenter cette production ?

« 2. Combien d’ouvriers peut-on faire venir des territoires occupés, ou combien en peut-on encore trouver dans le Reich par des moyens appropriés (accroissement de la production) ?

« Il s’agit donc en fait de remplacer les pertes de main-d’œuvre dues au décès, à l’invalidité, au flux et au reflux continuel des ouvriers, mais aussi d’obtenir un supplément de main-d’œuvre.

« Le plénipotentiaire pour l’Utilisation de la main-d’œuvre, Sauckel, déclara qu’afin de maintenir le recrutement actuel des travailleurs, il devrait procurer au moins 2.500.000, probablement 3.000.000 de nouveaux travailleurs pour 1944. Sinon, la production tomberait.

« Le Reichsminister Speer déclara qu’il avait besoin de 1.300.000 travailleurs supplémentaires ; tout cela, cependant, était lié à la possibilité d’augmentation de la production de minerai de fer. Dans la négative, il n’était pas nécessaire de recruter des travailleurs supplémentaires. L’obtention de travailleurs supplémentaires venant des territoires occupés, serait cependant soumise à la condition que ces travailleurs ne seraient pas retirés d’une industrie d’armement ou des industries auxiliaires fonctionnant dans ces territoires. Cela signifierait, en effet, une baisse dans la production. Le plénipotentiaire à l’Utilisation de la main-d’œuvre doit faire en sorte que les ouvriers travaillant déjà en France par exemple, dans les industries mentionnées ne soient pas envoyés en Allemagne.

« Le Führer approuva les vues du Reichsminister Speer et souligna que les mesures prises par le plénipotentiaire à l’Utilisation de la main-d’œuvre ne devaient en aucune circonstance entraîner un prélèvement de travailleurs dans les industries d’armement ou dans les industries annexes fonctionnant en territoire occupé, parce qu’un semblable transfert d’ouvriers n’amènerait que des perturbations dans la production des pays occupés.

« Le Führer attira en outre l’attention sur le fait que 250.000 ouvriers au moins seraient nécessaires à l’établissement de dispositifs anti-aériens pour la protection des civils contre les raids. Il en fallait déjà, pour Vienne seulement, 2.000 à 2.500. Le plénipotentiaire à l’Utilisation de la main-d’œuvre doit verser au moins 4.000.000 d’ouvriers, étant donné qu’il a besoin de 2.500.000 travailleurs pour maintenir le niveau de la production actuelle, que le ministre du Reich, Speer, a besoin de 1.300.000 travailleurs supplémentaires, et que l’établissement des dispositifs de sécurité anti-aériens ci-dessus mentionnés nécessite 250.000 ouvriers. »

Je reviens à la page 2 du texte anglais de ce document (page 5, paragraphe 1 du texte allemand), et je cite en entier le paragraphe 1 :

« Le Reichsführer SS expliqua que les agents de recrutement mis à sa disposition étaient très peu nombreux, mais qu’il essayerait, en augmentant leur nombre et en leur demandant un travail plus grand, d’aider Sauckel dans l’exécution de sa tâche. Le Reichsführer SS fournit aussitôt 2.000 à 2.500 hommes des camps de concentration pour l’établissement des dispositifs de protection contre les raids aériens à Vienne. »

Je saute le paragraphe suivant de ce document, et je reprends au paragraphe intitulé :

« Résultat de la conférence. » Je cite :

« Le plénipotentiaire à l’Utilisation de la main-d’œuvre doit procurer au moins 4.000.000 de nouveaux travailleurs recrutés dans les territoires occupés. »

De plus, comme le document PS-3012 déjà déposé sous la référence USA-190 l’a révélé, l’accusé Sauckel, en demandant l’aide de l’Armée pour le recrutement de 1.000.000 d’hommes et de femmes des territoires occupés de l’Est, avisa Keitel qu’une action rapide était nécessaire et qu’il fallait employer la force comme dans tous les autres pays occupés, si les autres mesures ne suffisaient pas. Le document PS-018, qui a été déposé et dont on a déjà lu des extraits, révèle que l’accusé Sauckel fut avisé par l’accusé Rosenberg de la manière dont s’opérait l’asservissement de la main-d’œuvre étrangère : par la force et la brutalité. Bien qu’il n’ignorât pas cet état de choses, l’accusé Sauckel continua à prélever en grande quantité des travailleurs étrangers dans les régions où les méthodes les plus brutales avaient été employées. En fait, lorsque les commandants militaires allemands du front de l’Est essayèrent de résister ou de pallier les exigences de Sauckel, parce que le recrutement forcé augmentait les rangs des partisans et rendait plus difficile la tâche de l’armée, Sauckel envoya un télégramme à Hitler, dans lequel il suppliait ce dernier d’intervenir. Je renvoie au document PS-407-II (USA-226). Ce document est un télégramme envoyé par l’accusé Sauckel à Hitler, le 10 mars 1943. C’est un message assez long, mais je désire tout particulièrement attirer l’attention du Tribunal sur le dernier paragraphe de la page 1 du texte anglais. C’est la page 2, paragraphe 5 du texte allemand. Je cite le dernier paragraphe du texte anglais :

« Par conséquent, mon Führer, je vous demande de rapporter tous les ordres s’opposant au travail obligatoire de la main-d’œuvre étrangère et de bien vouloir me faire savoir si l’idée que je me fais de ma mission est toujours exacte. »

Je passe maintenant au paragraphe 5 de la première page de ce texte anglais. Nous trouvons ces mots :

« Si le travail obligatoire et le recrutement forcé de la main-d’œuvre ne sont plus possibles dans l’Est, les industries de guerre allemandes et l’agriculture ne pourront accomplir complètement leur tâche. »

Et le paragraphe suivant :

« Moi-même, je suis d’avis que nos chefs d’Armée ne doivent en aucune circonstance, ajouter foi à la propagande d’atrocités et de diffamation faite par les partisans. Les généraux eux-mêmes ont grand intérêt à ce que les troupes reçoivent en temps utile ce dont elles ont besoin. J’aimerais souligner que des centaines de milliers d’excellents ouvriers partant au front comme soldats ne peuvent absolument pas être remplacés par des femmes allemandes qui n’ont pas l’habitude du travail, même si elles essayent de faire de leur mieux. C’est pourquoi je suis obligé d’utiliser la population des territoires de l’Est. »

LE PRÉSIDENT

Il me semble que vous devriez lire le paragraphe suivant.

M. DODD

« Je vous ai rapporté moi-même que les travailleurs des pays étrangers sont tous traités humainement et correctement, qu’ils jouissent de bonnes conditions d’hygiène, qu’ils sont bien nourris, bien logés et même habillés. En ce qui concerne mes propres services, j’agis vis-à-vis des nations étrangères de manière à pouvoir affirmer que jamais auparavant, nulle part dans le monde, les travailleurs étrangers n’ont été traités aussi correctement qu’ils ne le sont maintenant, dans la plus dure de toutes les guerres, par le peuple allemand. »

L’accusé Sauckel était responsable, non seulement du recrutement par la force des travailleurs civils étrangers, mais aussi des conditions dans lesquelles ces travailleurs étrangers étaient déportés en Allemagne, et du traitement qui leur était réservé.

Nous avons déjà mentionné les conditions dans lesquelles s’opérait le transport de ces personnes en Allemagne, et j’ai lu déjà un passage du document PS-2241-3, pour démontrer que Sauckel connaissait ces conditions. Hier, nous avons longuement exposé quelles étaient les conditions dégradantes, brutales, inhumaines, de vie et de travail que ces travailleurs connaissaient en Allemagne. Nous avons attiré l’attention du Tribunal sur le document PS-3044 déjà déposé sous la référence USA-206. C’est le règlement nº 4, du 7 mai 1942, édicté par Sauckel en sa qualité de plénipotentiaire général pour l’Utilisation de la main-d’œuvre. Il concerne le recrutement, l’entretien, le logement, la nourriture et le traitement des travailleurs étrangers des deux sexes. Par ce décret, l’accusé Sauckel ordonnait de façon expresse que le rassemblement, le transport par rail et le ravitaillement des travailleurs fussent placés sous la responsabilité de ses agents, jusqu’à ce que les transports soient arrivés en Allemagne. Par le même règlement, l’accusé Sauckel décidait qu’à l’intérieur de l’Allemagne l’entretien des ouvriers étrangers employés dans l’industrie serait à la charge du Front allemand du Travail et celui des ouvriers agricoles étrangers à la charge de l’administration du Ravitaillement du Reich. Aux termes de ce règlement, c’était Sauckel qui, en dernier ressort, était responsable pour toute question concernant l’entretien, le traitement, le logement et la nourriture des travailleurs étrangers au cours de leur transport vers l’Allemagne.

Je renvoie en particulier au texte anglais de ce document PS-3044 (USA-206), et le passage auquel je me réfère se trouve au bas de la page 1 dans le texte anglais et à la page 518 du volume allemand. Je cite le texte anglais directement :

« Les travailleurs étrangers seront pris en charge :

« a) Jusqu’à la frontière du Reich :

« Par mes commissaires – dans les zones d’occupation, par les bureaux militaires compétents ou par les services de l’Utilisation de la main-d’œuvre. Cette tâche sera assumée en collaboration avec les organisations compétentes respectives de l’étranger.

« b) À l’intérieur du Reich :

« 1. Par le Front allemand du Travail en ce qui concerne les travailleurs non agricoles.

« 2. Par l’administration du Ravitaillement du Reich en ce qui concerne les travailleurs agricoles.

« Le Front allemand du Travail et l’administration du Ravitaillement doivent s’en tenir à mes directives dans l’exécution de cette tâche d’acheminement des ouvriers. Les services de l’administration pour le recrutement de la main-d’œuvre doivent aider dans toute la mesure du possible le Front allemand du Travail et l’administration du Ravitaillement du Reich à exécuter les tâches qui leur sont assignées.

« Ma compétence dans ce domaine n’est diminuée en rien par l’assignation de ces tâches au Front allemand du Travail et à l’administration du Ravitaillement du Reich. »

LE PRÉSIDENT

Ne pensez-vous pas, monsieur Dodd, que ce passage est de nature à être résumé et non lu, vu qu’il établit une seule chose : Sauckel, ses services et ses commissaires étaient responsables, et c’est tout.

M. DODD

Oui, Votre Honneur, en effet j’avais pensé que peut-être, d’après les règles d’établissement du procès-verbal, il fallait lire ce texte in extenso, mais je suis entièrement d’accord avec vous.

LE PRÉSIDENT

Je pense qu’un résumé sera tout à fait suffisant.

M. DODD

Dans le même document, j’aimerais mentionner les détails indiqués à la page 3, paragraphe III, du texte anglais, qui, sous le titre : « Organisation et fonctionnement des transports » définit la tâche des représentants de l’accusé Sauckel ; dans le paragraphe c), à la page 5 du texte anglais, sous le titre « Ravitaillement et transport », après avoir souligné quelques-unes des responsabilités incombant aux Services allemands du Travail, l’accusé Sauckel déclare que, pour le reste, ses services s’occupent de ravitailler le transport.

L’accusé Sauckel avait passé accord avec le Dr Robert Ley, chef du Front allemand du Travail, et dans cet accord, l’accusé Sauckel soulignait sa responsabilité, au dernier chef, en créant une Inspection centrale chargée d’examiner les conditions de travail et d’existence des travailleurs étrangers. Nous renvoyons au document PS-1913 (USA-227).

Cet accord entre l’accusé Sauckel et le chef du Front allemand du Travail d’alors est publié dans l’édition de 1943 du Reichsarbeitsblatt, première partie page 588. Le texte de l’accord est assez long et je ne le lirai pas tout entier ; je n’en lirai pas de grands passages, si ce n’est la partie indiquant sur quelles bases a été passé l’accord Sauckel-Ley, concernant les travailleurs étrangers et leurs conditions d’existence et de travail. Nous trouvons à la première page du texte anglais :

« Le Reichsleiter du Front allemand du Travail, Dr Ley, en collaboration avec le plénipotentiaire général pour l’Utilisation de la main-d’œuvre, Gauleiter Sauckel, établira une “Inspection centrale” pour la surveillance continuelle de toutes les mesures concernant la prise en charge des travailleurs étrangers mentionnées à l’article premier. Elle recevra le nom de “Inspection centrale pour la prise en charge des travailleurs étrangers”. »

Le quatrième paragraphe du même texte (désigné par le chiffre romain IV) est rédigé comme suit : « Les services de l’administration pour l’Arbeitseinsatz (Utilisation de la main-d’œuvre) seront tenus constamment au courant des observations faites par l’Inspection centrale pour la prise en charge des travailleurs étrangers, et ceci immédiatement, en particulier dans les cas où l’intervention d’un organisme de l’État semble être nécessaire. »

J’aimerais également attirer l’attention du Tribunal sur un autre paragraphe de la même page : c’est le quatrième à partir du bas, après le petit 2 ; il commence par les mots : « Sont maintenues les dispositions relatives à l’autorité du plénipotentiaire général pour l’Arbeitseinsatz : délégation de pouvoirs aux membres de son personnel et aux chefs des bureaux d’embauche de l’État dans un but d’information directe sur les conditions d’emploi des étrangers dans les usines et dans les camps. »

Nous avons déjà présenté au Tribunal des preuves démontrant que l’accusé Sauckel était responsable de la contrainte exercée sur les habitants des pays occupés pour fabriquer des armes et des munitions, et construire des ouvrages de défense militaire dirigés contre leur propre pays et ses alliés. Il portait de plus la responsabilité d’avoir contraint des prisonniers de guerre à fabriquer des armes et des munitions destinées à être employées contre leur propre pays et l’active résistance de leurs alliés.

Le décret de nomination de Sauckel indiquait qu’il était nommé plénipotentiaire général à la main-d’œuvre et qu’il était chargé, entre autres tâches, d’intégrer les prisonniers de guerre dans l’industrie de guerre allemande. Dans une série de rapports adressés à Hitler, Sauckel souligna les heureux résultats qu’il avait obtenus dans la réalisation de ce programme. L’un de ces rapports précise qu’en une seule année l’accusé Sauckel a incorporé 1.622.829 prisonniers de guerre dans l’économie allemande.

Je mentionne le document PS-407-V (USA-228). C’est une lettre de l’accusé Sauckel à Hitler, datée du 14 avril 1943. Les chiffres qui y figurent ont été déjà donnés dans un autre document, mais je dépose celui-ci pour la première fois. Je cite les paragraphes 1 et 2 du texte anglais :

« Mon Führer,

« Après avoir occupé le poste de plénipotentiaire à l’Arbeitseinsatz pendant une année, j’ai l’honneur de vous signaler que 3.638.056 travailleurs étrangers supplémentaires ont été affectés à l’économie de guerre allemande entre le 1er avril de l’année dernière et le 31 mars de cette année. »

Je saute un court passage se rapportant aux prisonniers de guerre en particulier, pour arriver à la phrase :

« Outre les travailleurs civils étrangers, l’économie allemande emploie 1.622.829 prisonniers de guerre. »

Un rapport ultérieur précise que 845.511 travailleurs étrangers et prisonniers de guerre supplémentaires ont été incorporés à l’industrie de guerre allemande. Le document PS-407-IX (USA-229), encore une lettre de l’accusé Sauckel à Hitler, contient à la page 1, paragraphes 1 et 2, ce passage que je cite :

« Mon Führer,

« Permettez-moi de vous donner un état de l’Arbeitseinsatz pour les cinq premiers mois de 1943. Pour la première fois, le nombre des travailleurs supplémentaires étrangers et des prisonniers de guerre employés dans l’industrie de guerre allemande, a atteint le total de 846.511. »

L’accusé Speer a donné confirmation de l’emploi de prisonniers de guerre dans la fabrication d’armements sous la responsabilité de l’accusé Sauckel lorsqu’il établit que 40 % des prisonniers de guerre étaient employés dans les usines d’armes et de munitions et dans les industries de guerre. Je désire mentionner brièvement les paragraphes 6, 7 et 8 de la page 15 du texte anglais d’un interrogatoire de l’accusé Speer, fait le 18 octobre 1945, déjà déposé et auquel je me suis référé hier ; c’est la pièce USA-220, au paragraphe 1 de la page 2 du texte allemand ; on y pose deux questions qui donnent le ton de la réponse.

« Question. – Les prisonniers de guerre que vous aviez décidé de faire travailler faisaient-ils l’objet de réquisitions individuelles, ou bien réclamiez-vous un chiffre global de travailleurs ?

« Réponse. – Schmelter seul peut répondre directement à cette question. En ce qui concerne l’emploi de prisonniers de guerre, c’était l’affaire des officiers des bureaux d’embauche des Stalags. J’ai essayé plusieurs fois d’augmenter le nombre total des prisonniers de guerre travaillant à la production au détriment des autres demandes.

« Question. – Donnez quelques explications supplémentaires.

« Réponse. – Dans la dernière phase de la production, c’est-à-dire en 1944, quand tout s’écroulait, 40 % des prisonniers de guerre étaient utilisés à la production. Je voulais augmenter ce pourcentage.

« Question. – Quand vous dites “utilisés à la production”, voulez-vous dire utilisés dans ces industries auxiliaires dont vous avez parlé, et aussi à la production des armes et des munitions ?

« Réponse. – Oui, tout ceci était de mon ressort. »

LE TRIBUNAL (M. BIDDLE)

Que voulez-vous dire par « industrie auxiliaire » ? Sont-ce des industries de guerre ?

M. DODD

Oui, ce sont des industries de guerre au sens où nous l’entendons. Ces accusés y ont fait allusion à maintes reprises comme à des éléments d’un plan d’ensemble.

Je désirerais attirer à nouveau l’attention du Tribunal sur le « Procès-verbal de la 36e réunion du Bureau central des plans », document R-124 (RF-1414), dont j’ai déjà lu un certain nombre d’extraits hier. Le tribunal se rappellera que, dans ce rapport, l’accusé Speer a précisé :

« 90.000 prisonniers de guerre russes utilisés dans l’ensemble de l’industrie d’armement sont, pour la majeure partie, des ouvriers spécialisés. »

Pour l’instant, nous aimerions examiner la responsabilité particulière de l’accusé Speer et discuter les preuves des divers crimes commis par l’accusé Speer, en rapport avec le plan et la réalisation du vaste programme de déportation forcée des habitants des pays occupés. Il était ministre de l’Armement du Reich et Chef de l’organisation Todt, postes qu’il assuma à partir du 15 février 1942 ; en vertu du contrôle qu’il acquit ensuite sur les services d’armements de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation, et sur les services de Production du ministère de l’Économie, l’accusé Speer était responsable de toute la production de guerre du Reich, ainsi que de la construction des fortifications et installations pour la Wehrmacht. La position de Speer est définie dans sa propre déclaration telle qu’elle figure au document PS-2080 (USA-18), déjà présenté au Tribunal.

Les industries soumises au contrôle de l’accusé Speer étaient en réalité celles qui utilisaient le plus de main-d’œuvre en Allemagne. Ainsi, d’après l’accusé Sauckel, les exigences en main-d’œuvre de Speer avaient priorité absolue sur toutes les autres demandes de main-d’œuvre. Nous nous référons à l’interrogatoire de l’accusé Sauckel, en date du 22 septembre 1945. C’est la pièce USA-230, l’avant-dernier document du livre de documents. Je désire mentionner la page 1, paragraphe 4. C’est la dernière réponse de la page. On pose à l’accusé Sauckel la question suivante :

« Question. – Excepté pour Speer, on vous faisait part des besoins généraux dans tous les domaines ; mais, dans le domaine de Speer, des demandes particulières étaient faites pour chaque branche de l’industrie. Est-ce exact ?

« Réponse. – Les autres n’obtenaient que ce qui restait. En effet, Speer m’a dit une fois, en présence du Führer, que j’étais là pour travailler pour lui et que j’étais avant tout son homme. »

L’accusé Speer a reconnu sous la foi du serment qu’il avait participé aux discussions au cours desquelles fut prise la décision d’utiliser de force la main-d’œuvre étrangère ; il a dit également avoir participé à cette décision et déclaré que c’était la base du programme de déportation de travailleurs étrangers en Allemagne. Je mentionne l’interrogatoire de l’accusé Speer, en date du 18 octobre 1945. C’est la pièce USA-220. Nous en avons déjà lu un passage hier ; je renvoie en particulier au bas de la page 12 et au haut de la page 13 du texte anglais :

« Question. – Mais, monsieur Speer, êtes-vous d’accord sur le fait qu’en 1942, lorsque furent prises les décisions concernant l’emploi par contrainte de main-d’œuvre étrangère, vous avez participé vous-même aux discussions ?

« Réponse. – Oui.

« Question. – D’où je conclus que l’exécution du programme de déportation de travailleurs étrangers en Allemagne sous la responsabilité de Sauckel s’appuyait sur des décisions prises antérieurement, avec votre consentement ?

« Réponse. – Oui, mais je dois souligner que seule une très petite partie de la main-d’œuvre que Sauckel amena en Allemagne fut mise à ma disposition ; une partie bien plus grande fut allouée aux autres services qui en réclamaient. »

Cet aveu est confirmé par le compte rendu des conférences que Speer eut avec Hitler les 10, 11 et 12 août 1942, document R-124 (RF-1414) déjà déposé et dont on a déjà lu des extraits. Le paragraphe 1 de la page 34 du texte anglais a déjà été cité, et ces extraits ont été lus hier devant le Tribunal. Le Tribunal se rappellera que l’accusé Speer rapportait le résultat de ses négociations sur le recrutement forcé de 1.000.000 de travailleurs russes pour l’industrie allemande d’armement ; le recours à la violence fut à nouveau le sujet d’une discussion entre Hitler et l’accusé Speer, le 4 janvier 1943, comme le montrent les extraits du document PS-556-XIII, où il fut décidé que des mesures plus énergiques devaient être utilisées pour accélérer le recrutement de travailleurs civils français.

Nous disons que l’accusé Speer exigeait des travailleurs étrangers pour les industries soumises à son contrôle et utilisait ces travailleurs, en sachant qu’ils avaient été déportés de force et contraints à travailler. Speer a déclaré sous serment, dans son interrogatoire du 18 octobre 1945, paragraphe 9 de la page 5 du texte anglais :

« Je ne désire pas donner l’impression de vouloir nier le fait que j’ai exigé de Sauckel, avec la dernière énergie, un contingent de main-d’œuvre, et de main-d’œuvre étrangère ». Il a admis avoir eu connaissance de ce que la plus grande partie de la main-d’œuvre étrangère qui lui était attribuée accomplissait un travail forcé ; et me référant à nouveau à ce même interrogatoire du 18 octobre 1945, je cite les pages 8 et 9 du texte anglais, page 10 du texte allemand :

« Question. – Ainsi pendant la période où vous demandiez de la main-d’œuvre, il semble clair, n’est-ce pas, que vous saviez que vous obtiendriez de la main-d’œuvre étrangère et de la main-d’œuvre nationale également en réponse à vos demandes, et qu’une grande partie de la main-d’œuvre étrangère accomplissait un travail forcé.

« Réponse. – Oui.

« Question. – Pour prendre un exemple, supposons que, le 1er janvier 1944, vous ayez demandé 50.000 travailleurs pour un travail déterminé ; réclamiez-vous que 50.000 travailleurs soient réquisitionnés, sachant que sur ces 50.000 il y aurait des travailleurs étrangers accomplissant un travail forcé ?

« Réponse. – Oui. »

L’accusé Speer a également déclaré sous serment qu’il savait au moins depuis septembre 1942 que les travailleurs de l’Ukraine étaient déportés aux fins d’emploi dans l’économie allemande. De même il savait que la grande majorité des travailleurs des territoires occupés de l’Ouest étaient recrutés par la force et envoyés contre leur gré en Allemagne ; et si nous nous reportons encore à cet interrogatoire du 18 octobre 1945, au 4e paragraphe à partir de la page 5 du texte anglais, paragraphe 10 de la page 6 du texte allemand, nous trouvons cette série de questions et de réponses :

« Question. – Quand avez-vous découvert qu’une partie de la main-d’œuvre ukrainienne n’était pas volontaire ?

« Réponse. – Il m’est plutôt difficile de répondre à votre question, je veux dire, de préciser la date ; cependant il est certain que j’ai su, à un moment donné, que la main-d’œuvre ukrainienne n’était pas volontaire.

« Question. – Ceci vaut-il également pour la main-d’œuvre des autres territoires occupés, c’est-à-dire, y eut-il un moment où vous vous êtes rendu compte que cette main-d’œuvre n’était pas volontaire ?

« Réponse. – Oui.

« Question. – Quand cela ? Donnez-nous une indication générale, sans spécifier un mois de l’année.

« Réponse. – En ce qui concerne les Ukrainiens, je crois qu’ils cessèrent de venir volontairement après quelques mois, car nous avons fait de grandes erreurs dans la façon de les traiter. Je puis tout de suite dire que ce fut en juillet, août ou septembre 1942. »

Je passe au paragraphe 11 de la page 6 du texte anglais de ce même interrogatoire, paragraphe 8 de la page 7 du texte allemand ; nous trouvons cette série de questions et de réponses. Je cite :

« Question. – Beaucoup d’ouvriers venaient en fait de l’Ouest, n’est-ce pas ?

« Réponse. – Oui.

« Question. – Cela signifie donc que la grande majorité des travailleurs des pays de l’Ouest, des territoires occupés de l’Ouest, venaient en Allemagne contre leur volonté ?

« Réponse. – Oui. »

Ces aveux sont confirmés naturellement par d’autres faits car le document R-124 en fait foi et nous l’avons montré dans les extraits que nous en avons lus. Dans tous les pays, le recrutement pour le travail en Allemagne ne pouvait être exécuté qu’avec l’aide active de la police, et les méthodes habituelles de recrutement avaient provoqué une réaction si violente que beaucoup d’agents du recrutement allemands avaient été tués.

De nouveau, au cours d’une conférence qu’il eut avec Hitler pour discuter des exigences en main-d’œuvre pour 1944 – c’est le document PS-1292 (RF-68) – l’accusé Speer fut avisé par l’accusé Sauckel de ce que les demandes de main-d’œuvre formulées par Speer, y compris celle de 1.300.000 travailleurs supplémentaires, ne pouvaient être satisfaites que si l’on disposait d’agents de recrutement allemands pour exécuter dans les pays occupés ce programme d’asservissement. Nous savons maintenant qu’étant au courant de la conscription et de la déportation en Allemagne de ces travailleurs, Speer n’en continua pas moins à réclamer des travailleurs étrangers et à les faire affecter aux industries placées sous son contrôle. Ceci est confirmé par les comptes rendus du Comité directeur des plans, consignés dans le document R-124, en particulier à la page 13, paragraphe 4 du texte anglais, page 6 et paragraphe 4 du texte allemand.

C’est Speer qui parle :

« Examinons maintenant le problème de la main-d’œuvre en Allemagne. Je crois qu’il est encore possible de faire venir quelques travailleurs des territoires de l’Ouest. Le Führer a dit récemment qu’il désirait mettre fin à ce volontariat étranger qui, à son avis, constituait pour les formations de l’Armée, un poids mort qu’elles traînaient avec elles. Cest pourquoi, si nous ne pouvons régler nous-mêmes ces questions, nous demanderons une audience au Führer pour discuter des problèmes du charbon. Keitel et Zeitzier seront invités à cette réunion afin de déterminer le nombre des Russes qui doivent nous être envoyés des territoires constituant l’arrière de nos armées. Toutefois, je vois une autre possibilité : nous pourrions faire encore un effort pour découvrir les ouvriers mineurs parmi les prisonniers de guerre russes se trouvant dans le Reich ; mais cette possibilité est bien aléatoire. »

À une autre réunion du Comité directeur des plans, l’accusé Speer rejeta une suggestion selon laquelle la main-d’œuvre pour les industries soumises à son contrôle devrait venir de source allemande et non étrangère. Je cite à nouveau un passage du document R-124, page 16, paragraphes 3, 4 et 5 du texte anglais page 12, paragraphes 6 et 7 du texte allemand.

C’est l’accusé Speer qui parle :

« Nous agirons comme suit : Kehrl rassemblera les demandes de main-d’œuvre exigées par la réalisation complète du plan “Fer et Charbon” et il en communiquera l’importance à Sauckel. Il y aura probablement une conférence chez le maréchal du Reich la semaine prochaine et, d’ici à, nous aurons reçu la réponse de Sauckel. La question du recrutement pour l’industrie d’armement sera résolue avec Weger. »

Je cite Kehrl :

« Je désire insister sur le fait que la question de la main-d’œuvre minière ne devrait pas dépendre de la possibilité de recrutement de travailleurs étrangers. Nous avons été absolument défavorisés ces trois derniers mois parce que ce principe a été appliqué. Décembre s’est soldé pour nous par un déficit de 25.000 hommes, et nous n’avons pu le combler ; il faut le faire avec des ouvriers allemands. »

Speer : « Non, rien à faire ! »

Nous disons aussi que l’accusé Speer est coupable d’avoir préconisé la terreur et la brutalité comme moyens d’accroître au maximum le rendement des travailleurs-esclaves. Je me réfère encore au document R-124. À la page 42 se trouve une discussion concernant l’apport et l’exploitation de la main-d’œuvre. Cet extrait a déjà été lu devant le Tribunal et je le mentionne simplement au passage ; Speer disait que ce serait une bonne affaire, et qu’en résumé on ne pouvait rien reprocher aux SS et à la Police qui prenaient l’affaire en mains et augmentaient le travail et le rendement de ces hommes.

Nous disons qu’il est aussi coupable d’avoir obligé les nationaux alliés, ainsi que les prisonniers de guerre, à travailler à la production d’armements et de munitions et à prendre part à des opérations militaires dirigées contre leur propre pays.

Nous déclarons qu’en sa qualité de chef de l’« Organisation Todt », il est responsable de la politique de cette organisation qui était en conflit direct avec les lois de la guerre, car l’organisation Todt, en violation de ces lois, requérait des nationaux alliés pour son service.

Le document L-191 (USA-231) est une étude du Bureau International de la main-d’œuvre sur l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère entreprise par l’Allemagne. Nous avons un seul exemplaire de ce document imprimé à Montréal, Canada, en 1945 et nous demandons au Tribunal de lui accorder une valeur probatoire, en tant que publication officielle du Bureau International de la main-d’œuvre.

Je voudrais m’excuser auprès du Tribunal : ce document nous est parvenu à un moment où nous n’étions pas en mesure de ronéotyper et de reproduire cet extrait ; c’est donc le seul absent du livre de documents que vous avez entre les mains ; j’aimerais toutefois citer, à la page 73, paragraphe 2, de cette étude faite par le Bureau International de la main-d’œuvre, un passage très bref :

« Les méthodes utilisées pour le recrutement des travailleurs étrangers qui devaient être employés dans cette organisation ne différaient pas beaucoup des méthodes employées pour le recrutement des travailleurs destinés à la déportation. » (L’organisation en question est l’organisation Todt.)

« La grande différence était que, le principal champ d’activité de l’organisation étant situé hors des frontières de l’Allemagne, les étrangers n’étaient pas envoyés en Allemagne et avaient à travailler soit dans leur propre pays soit dans quelque autre pays occupé.

« Au cours des campagnes de recrutement de travailleurs étrangers pour l’organisation, on employa aussi bien des méthodes de contrainte que des méthodes de persuasion, ces dernières donnant en général des résultats très insignifiants. »

En outre, certains nationaux alliés recrutés furent obligés par cette même organisation à participer réellement à des actes de guerre contre leur propre pays.

Le document PS-407-VIII (USA-210) révèle que les travailleurs étrangers contraints par l’accusé Sauckel à entrer dans l’« Organisation Todt » participèrent à l’édification des ouvrages du mur de l’Atlantique. En tant que chef de la Production de guerre allemande, l’accusé Speer encouragea et approuva l’utilisation des prisonniers de guerre dans la fabrication d’armements et de munitions. Cela ressort clairement des preuves que nous avons déjà examinées.

En résumé, ceci montre tout d’abord qu’après avoir assumé la responsabilité de la production d’armements, l’accusé Speer, dans ses discussions avec les autres conspirateurs, n’eut plus qu’un souci : assurer un contingent important de prisonniers de guerre à ses usines d’armement. Cela a déjà été montré par les citations extraites du document R-124, compte rendu de la réunion du Comité directeur des plans ; et dans cette même réunion, le Tribunal se souviendra des réclamations de Speer parce que 30 % seulement des prisonniers de guerre russes travaillaient dans l’industrie d’armement.

Nous nous sommes reportés à un discours de Speer, document PS-1435 ; nous en avons cité un passage dans lequel celui-ci disait que 10.000 prisonniers de guerre avaient été mis sur son ordre à la disposition de l’industrie d’armement. Et finalement, l’accusé Speer appuya l’idée que les prisonniers de guerre évadés et repris soient envoyés aux usines comme forçats. Ceci ressort encore une fois du document R-124, page 13, paragraphe 5 du texte anglais, où l’accusé Speer dit qu’il est arrivé à un accord…

LE PRÉSIDENT

Ne pensez-vous pas, monsieur Dodd, que nous ayons des preuves suffisantes maintenant ?

M. DODD

Bien, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Nous avons le propre aveu de Speer et un certain nombre de documents prouvant comment les prisonniers de guerre et les autres travailleurs furent amenés en Allemagne.

M. DODD

Bien ; je voulais mentionner brièvement ce passage du document R-124 montrant que cet accusé recommandait que les prisonniers de guerre évadés soient employés comme forçats dans les fabriques de munitions. Je n’ai pas l’intention d’accentuer cette responsabilité de l’accusé Speer. Je désirais vivement, ou peut-être devrais-je dire, nous désirons tous très vivement, que ces documents soient fournis au Tribunal et figurent dans le procès-verbal des débats.

LE PRÉSIDENT

Quel passage désirez-vous citer ?

M. DODD

À la page 13, la déclaration commençant par les mots : « Nous sommes arrivés à un accord avec le Reichsführer SS ». L’avant-dernière phrase est : « Les hommes devront être placés dans les usines comme forçats… »

Finalement, en ce qui concerne l’accusé Speer, je voudrais indiquer au Tribunal qu’il visita le camp de concentration de Mauthausen et qu’il visita également des usines comme les usines Krupp, où la main-d’œuvre fournie par les camps de concentration était exploitée dans des conditions avilissantes. En dépit de cette connaissance personnelle des conditions régnant à Mauthausen et aux endroits où les travailleurs obligatoires étaient utilisés à des travaux d’usine, il continua à diriger l’exploitation de ce genre de main-d’œuvre dans les usines qui dépendaient de lui.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous l’intention de fournir maintenant des preuves au sujet de ces camps de concentration ?

M. DODD

J’avais l’intention de renvoyer le Tribunal à l’interrogatoire du 18 octobre 1945, page 11, paragraphe 5 du texte allemand, page 9, paragraphe 9 du texte anglais :

« Question. – Mais en général, l’utilisation de main-d’œuvre prise dans les camps de concentration vous était connue et vous l’approuviez ?

« Réponse. – Oui.

« Question. – Et vous saviez aussi, je suppose, que parmi les internés des camps de concentration, il y avait à la fois des Allemands et des étrangers ?

« Réponse. – Je n’y ai pas pensé à l’époque.

« Question. – En fait, vous avez visité personnellement le camp de concentration d’Autriche, n’est-ce pas ?

« Réponse. – Non ; enfin, je suis allé une fois à Mauthausen, mais à cette époque on ne m’a pas dit exactement à quelles catégories appartenaient les internés des camps de concentration.

« Question. – D’une façon générale, tout le monde savait, n’est-ce pas, que les étrangers enlevés ou arrêtés par la Gestapo étaient emmenés, aussi bien que les Allemands, dans les camps de concentration ?

« Réponse. – Oui, certainement ; je ne voulais rien insinuer de ce genre. »

Et à la page 15 de ce même interrogatoire, au début du paragraphe 13 du texte anglais (page 20 du texte allemand) nous trouvons cette question :

« Question. – Avez-vous jamais discuté les demandes de main-d’œuvre étrangère formulées par Krupp ?

« Réponse. – Il est certain que j’ai eu connaissance des besoins de main-d’œuvre étrangère de Krupp.

« Question. – Avez-vous jamais discuté la question avec un des membres de la firme Krupp ?

« Réponse. – Je ne peux dire exactement, mais durant mon temps d’activité j’ai visité les usines Krupp plus d’une fois et il est certain qu’il y fut souvent discuté de la pénurie de main-d’œuvre. »

Avant d’en terminer, j’aimerais prendre encore deux minutes pour mentionner les quelques lois auxquelles nous devons nous référer dans ce cas pour faciliter au Tribunal l’examen des documents que nous avons déposés. Il est évident que nous nous référons d’abord à la Section 6, b) et 6, c) du Statut du Tribunal. Nous disons également que les actes des conspirateurs sont en violation flagrante des articles 46 et 52 des règlements joints à la Convention de La Haye nº IV de 1907.

L’article 46 s’efforce de sauvegarder l’honneur de la famille, les droits et la vie des personnes dans les zones occupées par l’ennemi.

L’article 52 stipule entre autres que : « Les réquisitions en nature et en services ne seront pas exigées des municipalités ou des habitants si ce n’est pour les besoins de l’armée d’occupation. Elles seront proportionnées aux ressources du pays ».

Nous disons que ces conspirateurs ont violé cet article parce que la main-d’œuvre qu’ils ont recrutée n’a pas été utilisée pour satisfaire aux besoins de l’armée d’occupation, mais au contraire qu’elle a été enlevée des zones occupées par la force et exploitée dans l’intérêt de l’effort de guerre allemand.

En fin de compte, nous disons que ces conspirateurs, et particulièrement l’accusé Sauckel et l’accusé Speer, à cause de leur plan et de son exécution, de leur acceptation du programme qui a été exposé hier et aujourd’hui, de la mise en esclavage et de l’abus de la main-d’œuvre constituée par les prisonniers de guerre utilisés de force, portent une responsabilité toute particulière dans les crimes contre l’Humanité et les crimes de guerre.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous terminé, monsieur Dodd ?

M. DODD

Oui, j’ai présenté ma conclusion.

LE PRÉSIDENT

Je voudrais vous demander pourquoi vous n’avez pas lu le document PS-3057, qui est la déclaration de Sauckel ?

M. DODD

Oui, nous avions l’intention de présenter ce document mais l’avocat de l’accusé Sauckel m’a informé, il y a un jour ou deux, que son client maintenait qu’il avait été contraint et forcé de faire cette déclaration. N’ayant plus assez de temps pour mener une enquête précise sur les faits en question, nous avons préféré écarter ce document plutôt que de le présenter au Tribunal sans une certitude absolue.

LE PRÉSIDENT

Sauckel fait objection et c’est pourquoi vous n’avez pas déposé le document ?

M. DODD

En effet, nous ne l’avons pas présenté puisqu’il y avait discussion à son sujet.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

M. DODD

Puis-je suggérer au Tribunal de suspendre l’audience maintenant, car j’aurai à me présenter à nouveau devant lui pour exposer les faits concernant les camps de concentration ?

LE PRÉSIDENT

Vous désirez une suspension maintenant ?

M. DODD

Si cela vous convient, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement, dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
M. DODD

Plaise au Tribunal. Nous nous proposons de soumettre maintenant des preuves supplémentaires concernant l’envoi dans les camps de concentration nazis d’Allemands et de nationaux des pays alliés. Nous nous proposons d’examiner le but et le rôle du camp de concentration dans le grand plan nazi, et de montrer qu’il était une institution fondamentale du régime, un pilier du système de terreur qui permit aux nazis d’affermir leur puissance en Allemagne et d’imposer leur idéologie au peuple allemand ; qu’il fut vraiment une arme de première importance dans la lutte contre les Juifs, contre l’Église, contre les travailleurs, contre ceux qui voulaient la paix, contre toute opposition ou tout refus de conformisme.

Nous disons que ce régime impliquait l’emploi systématique de la terreur pour réaliser en Allemagne la cohésion nécessaire à l’exécution des plans d’agression des conspirateurs.

Nous nous proposons de montrer que le camp de concentration fut l’un des principaux instruments utilisés par les conspirateurs pour perpétrer un nombre énorme de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre ; que ce fut le dernier maillon d’une chaîne de terreur et de répression formée par les SS et la Gestapo qui servit à l’arrestation des victimes et à leur internement sans jugement, souvent sans que des charges fussent relevées contre elles, et généralement sans qu’elles soient prévenues de la durée de leur internement.

Mes collègues présenteront de nombreuses preuves du rôle criminel joué par les SS et la Gestapo au cours de cette phase du terrorisme nazi et fourniront des preuves sur les camps de concentration ; mais, pour l’instant, je désire simplement souligner que les SS traquaient les victimes par un système d’espionnage, que la Police criminelle et la Gestapo se saisissaient d’elles et les envoyaient dans les camps, et que les camps de concentration étaient administrés par les SS.

Le Tribunal possède déjà des preuves accablantes de la brutalité qui sévissait dans des camps de concentration ; elles ont été fournies par le film qui a été projeté. Bien plus, les accusations individuelles portées devant d’autres tribunaux révéleront en détail toutes ces violences. C’est pourquoi nous ne nous proposons pas de présenter une liste des actes de brutalité commis individuellement, mais plutôt de présenter des preuves montrant les buts fondamentaux auxquels servaient ces camps, les techniques employées, le grand nombre de victimes, les morts et les tourments qu’ils causèrent.

Les preuves concernant les camps de concentration figurent dans un livre de documents portant la lettre « S ». Les documents de ce livre ont été disposés dans l’ordre de présentation plutôt que dans un ordre numérique, comme nous l’avions fait auparavant. Dans ce livre, nous avons en effet disposé les témoignages dans l’ordre de présentation. L’un des documents de ce livre, PS-2309 (USA-245) est cité plusieurs fois ; aussi l’avons-nous marqué d’une fiche spéciale pour pouvoir s’y reporter plus facilement.

Les nazis se rendirent très vite compte que s’ils ne réprimaient pas de façon draconienne l’opposition qui existait déjà et celle qui était en puissance, ils ne pourraient pas affermir leur domination sur le peuple allemand. À peine Hitler était-il devenu chancelier que les conspirateurs détruisaient rapidement, nous l’avons vu, les libertés individuelles en promulguant le décret présidentiel du 28 février 1933 sur les cas d’urgence ; c’est le document PS-1390 ; le décret, qui a déjà été déposé comme preuve devant le Tribunal, se trouve au livre de documents « B » des USA (Reichsgesetzblatt, partie I, 1933, page 83). Il a jeté les bases de ce qui fut appelé « Schutzhaft », c’est-à-dire « internement de protection », cette arme terrible permettant d’emprisonner les gens sans jugement. Ceci ressort clairement du document PS-2499, ordre-type d’internement de protection que nous déposons comme preuve au nom de l’Accusation qui le détient. C’est la pièce USA-232 ; je cite :

« Ordre d’internement de protection.

« En vertu de l’article 1 du décret du Président du Reich pour la protection du peuple et de l’État en date du 28 février 1933 (Reichsgesetzblatt I, page 83), vous êtes arrêté en vue d’internement de protection pour des raisons de sécurité et d’ordre publics.

« Motif ; vous êtes soupçonné d’activités nuisibles à l’État. »

L’accusé Göring, dans un livre intitulé Aufbau einer Nation, publié en 1934, chercha, semble-t-il, à donner l’impression que les camps avaient été créés primitivement pour ceux que les nazis considéraient comme communistes et sociaux-démocrates. Je me reporte au document PS-2324 (USA-233) ; ce document est un passage de la page 89 de l’édition allemande. Je me reporte aux troisième et quatrième paragraphes de ce document et je lis :

« Nous étions obligés d’agir impitoyablement avec ces ennemis de l’État. Il ne faut pas oublier qu’au moment où nous avons pris le pouvoir, plus de 6 millions de gens ont voté officiellement pour le communisme et environ 8 millions pour le marxisme aux élections du Reichstag de mars. Ainsi furent créés les camps de concentration où nous avons dû envoyer en premier des milliers de fonctionnaires communistes et sociaux-démocrates. »

Pratiquement, le pouvoir d’envoyer des gens dans ces camps était presque illimité. L’accusé Frick, dans un ordre qu’il donna le 25 janvier 1938, en qualité de ministre de l’Intérieur, fit la lumière sur ce point. Un extrait de cet ordre figure dans le document PS-1723 (USA-206) que je vais citer. Je voudrais lire l’article 1, commençant au bas de la page 5 de la traduction anglaise :

« L’internement de protection peut être décrété par la Police secrète d’État comme mesure de coercition contre ceux qui mettent en danger la sécurité du peuple et de l’État par leur attitude, ceci afin de briser tout élan des ennemis du peuple et de l’État. »

Je désire également que soient consignés au procès-verbal les deux premiers paragraphes de cet ordre ; nous les trouvons en haut de la page 1 de la traduction anglaise :

« En résumé de tous les décrets antérieurs sur la collaboration du Parti et de la Gestapo, j’ordonne :

« 1. Le Führer a donné à la Gestapo mission de surveiller et d’éliminer tous les ennemis du Parti et de l’État national-socialiste, ainsi que toutes les forces de désagrégation dirigées contre eux. L’heureux résultat de cette tâche est une des conditions essentielles pour que les rouages du Parti puissent jouer librement et sans heurts. La Gestapo, dans sa tâche très difficile, doit être assistée et soutenue par la NSDAP dans tous les domaines. »

Les conspirateurs braquèrent alors leur appareil de terreur sur les « ennemis de l’État », « les forces de désagrégation », sur ceux qui mettaient l’État en péril « par leur attitude ». Qui faisaient-ils entrer dans ces catégories assez lâches ? Eh bien, tout d’abord les Allemands qui voulaient la paix. Je me réfère au document L-83 (USA-234) :

LE PRÉSIDENT

Quelle est la date du document que vous venez de mentionner, le PS-1723 ?

M. DODD

25 janvier 1938.

Il a déjà été déposé et figure dans le livre de document USA-B. C’est un affidavit de Gerhardt H. Seger ; je voudrais en lire seulement le paragraphe 2, page 1.

« 2. Durant la période qui va de la première guerre mondiale jusqu’à mon internement à la prison de Leipzig et au camp de concentration d’Oranienburg en 1933, au printemps qui suivit l’accession des nazis au pouvoir en janvier, mon activité et mes opinions politiques me désignaient aux coups des nazis, à leurs pratiques de violence et à leurs tactiques terroristes. Le fait d’avoir été en conflit avec les nazis en raison de mon affiliation au mouvement pacifiste et de mon appartenance au Reichstag, en qualité de membre dûment élu représentant une faction politique hostile au national-socialisme (parti social-démocrate), démontrait clairement que, même dans la période antérieure à 1933, les nazis tenaient le crime et le terrorisme pour une arme nécessaire et souhaitable dans la lutte contre l’opposition démocratique. »

Je passe à la page 5 du même document, au paragraphe marqué e) :

« Le fait que les nazis avaient déjà conçu le système du camp de concentration comme un moyen de supprimer et d’endiguer les éléments d’opposition, attira obligatoirement mon attention au cours d’une conversation que j’eus avec le Dr Wilhelm Frick en décembre 1932. Frick, à l’époque, était Président du Comité des Affaires étrangères du Reichstag, dont je faisais partie. Comme je donnai une réponse sentie à Frick sur ce point particulier de la discussion, il répliqua : “Ne vous faites pas de souci ; quand nous aurons le pouvoir, nous mettrons tous les individus de votre espèce dans les camps de concentration”. Quand les nazis prirent le pouvoir, Frick fut nommé ministre de l’Intérieur du Reich, il se hâta d’exécuter ces menaces, en collaboration avec Göring, en sa qualité de chef de la Police d’État de Prusse, et avec Himmler. »

Ce paragraphe montre que, même avant la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne, ils avaient conçu l’idée de réprimer par la terreur toute opposition en puissance, et la déclaration de Frick à Seger est tout à fait d’accord avec une déclaration antérieure qu’il avait faite le 18 octobre 1929. Je renvoie au document PS-2513 (USA-235), qui a déjà été déposé et fait partie du livre de documents B des USA. Je me rapporte à la première page de la traduction anglaise, page 48 du document allemand. La citation commence à la page 1 :

« C’est avec le bulletin de vote que nous engagerons cette bataille fatale, mais ceci ne continuera pas indéfiniment car l’Histoire nous a appris que, dans une bataille, il faut que le sang coule et que le fer se brise. Les élections ne sont que le début de cette lutte fatale. Nous sommes décidés à imposer par la force ce que nous prêchons, et, de même que Mussolini a exterminé les marxistes en Italie, nous devons arriver à un résultat identique par la dictature et par la terreur. »

LE PRÉSIDENT

C’est l’accusé n’est-ce pas ?

M. DODD

Oui, l’accusé Frick.

Il y a encore bien d’autres cas d’utilisation du camp de concentration contre les pacifistes.

Il y avait, par exemple, un groupe appelé les Bibelforscher, c’est-à-dire des exégètes ; la plupart d’entre eux appartenaient à la secte des « témoins de Jéhovah ». C’étaient des pacifistes, et nos conspirateurs ne s’employèrent pas seulement à les traduire devant les tribunaux réguliers ; ils les firent enfermer dans des camps de concentration après qu’ils avaient purgé leur peine. Je mentionne ici le document D-84 (USA-236). Ce document est daté du 5 août 1937 ; c’est un ordre de la Police secrète d’État de Berlin ; je me reporte en particulier au premier et au dernier paragraphes de cet ordre :

« Le ministre de la Justice du Reich m’avait informé qu’il ne partageait pas l’opinion exprimée à diverses occasions par les services subordonnés et d’après laquelle l’arrestation des Bibelforscher après l’accomplissement de leur peine semblait compromettre l’autorité des tribunaux.

« Il se rendait parfaitement compte que la Police d’État devait nécessairement prendre des mesures après l’accomplissement des peines, mais il demandait qu’on n’applique pas aux Bibelforscher “l’internement de protection” dans des conditions susceptibles de nuire au respect de la Justice. »

Vient ensuite le paragraphe 2 :

« Aux termes de mon décret-circulaire du 22 avril 1937, si les autorités chargées d’exécuter la sentence annoncent la mise en liberté imminente d’un Bibelforscher, on devra me consulter sur les mesures que devra prendre la Police d’État, concernant son transfert dans un camp de concentration aussitôt l’accomplissement de la peine.

« Si le transfert dans un camp de concentration n’est pas immédiatement possible, les Bibelforscher seront détenus dans les prisons de la police. »

Les syndicats ouvriers, dont on peut dire à coup sûr qu’ils étaient, en majorité et par tradition, opposés aux guerres d’agression, sentirent également tout le poids de la terreur nazie.

Un membre du Ministère Public américain, le commandant Wallis, a déjà déposé des preuves devant le Tribunal sur la campagne des conspirateurs contre les syndicats. Or le camp de concentration fut une arme importante dans cette campagne, et le Tribunal se rappellera que, dans le document PS-2324, déjà mentionné ce matin, l’accusé Göring précisait que les membres du parti social-démocrate devaient être internés dans des camps de concentration. Les chefs des syndicats étaient pour la plupart membres de ce parti, et firent connaissance avec les horreurs de l’internement de protection. Je me reporte au document PS-2330 (USA-237) qui a déjà été introduit dans le livre de documents « G » des USA. C’est un ordre relatif à l’internement de protection d’un certain Joseph Simon. Je renvoie au passage du milieu de la première page de la traduction anglaise, commençant sous le mot « Motifs ».

LE PRÉSIDENT

Il me semble que vous pourriez lire les deux lignes qui précèdent. C’est la phrase : « La personne arrêtée n’a pas le droit de faire appel contre le décret d’internement de protection. »

M. DODD

« La personne arrêtée n’a pas le droit de faire appel contre le décret d’internement de protection. » Alors vient le titre « Motifs ».

« Simon a été pendant plusieurs années membre du parti socialiste et temporairement membre de l’Union socialiste populaire. De 1907 à 1918, il a été député du parti socialiste au Landtag ; de 1908 à 1930, il fut conseiller municipal (Stadtrat) démocrate à Nuremberg. Étant donné le rôle décisif joué par Simon dans le syndicalisme international, étant donné ses relations avec les chefs marxistes internationaux et leurs services centraux, relations qu’il a poursuivies après le rétablissement national, il fut interné pour raison de protection le 3 mai 1933 et gardé jusqu’au 25 janvier 1934 dans le camp de concentration de Dachau. Simon est fortement soupçonné d’avoir, même après cette date, joué un rôle important dans la vie clandestine du parti socialiste. Il prit part à des réunions visant à la continuation de cette vie clandestine du parti socialiste et à la propagande, en Allemagne, d’imprimés marxistes interdits par la loi. Par cette attitude radicale d’hostilité à l’État, Simon met directement en danger la sécurité et l’ordre publics. »

Nous ne voulons pas alourdir les débats en multipliant ces exemples, mais je renvoie le Tribunal aux documents déjà déposés à propos de la présentation des preuves concernant l’abolition des syndicats. J’aimerais en particulier renvoyer à deux documents : PS-2334 et PS-2928 (pièces USA-238 et 239 contenues toutes deux dans ce livre de documents « G » des USA).

Des milliers de Juifs, comme tout le monde sait, furent internés dans ces camps de concentration. Les preuves sur ce point seront développées dans un exposé ultérieur par un autre membre du Ministère Public des États-Unis. Parmi les nombreuses preuves dont nous disposons à ce sujet, établissant que certains Allemands avaient été internés uniquement parce qu’ils étaient Juifs, je désire vous soumettre le document PS-3051 (USA-240). C’est une copie d’un télétype du SS-Gruppenführer Heydrich, en date du 10 novembre 1938. Il fut envoyé à tous les quartiers généraux de la Police d’État et à toutes les divisions et subdivisions du SD. Je me reporte au paragraphe 5 de ce télétype ; il se trouve à la page 3 de la traduction anglaise et commence au bas de la page 2. Je cite le paragraphe 5 :

« Dès que l’évolution des événements de cette nuit permettra de disposer du personnel officiel prévu à cet effet, on arrêtera dans tous les districts autant de Juifs que pourront en contenir les prisons existantes, en particulier les Juifs fortunés. Pour le moment, il ne faut arrêter que des hommes bien portants et pas trop âgés. À leur arrestation, il faudra entrer immédiatement en contact avec le camp de concentration voulu afin de les y interner aussitôt que possible. On fera en sorte que les Juifs arrêtés aux termes de ces instructions ne soient pas maltraités. »

Himmler, en 1943, indiquait que l’usage du camp de concentration anti-juif n’était pas motivé simplement par le racisme nazi. Himmler indiqua que la raison de cette politique était la crainte que les Juifs ne soient un obstacle à une guerre d’agression. Il est inutile d’examiner si cette crainte était justifiée. Le point important est qu’elle existait et, à cet égard, je mentionne le document PS-1919 (USA-170). Ce document est un discours prononcé par Himmler à la réunion des généraux SS, le 4 octobre 1943 à Posen, au cours de laquelle il s’efforça de justifier la politique anti-juive des nazis. Je renvoie au passage du discours qui se trouve à la page 4, paragraphe 3 de la traduction anglaise et qui commence par les mots : « Je veux dire la liquidation des Juifs…  » :

« Je veux dire la liquidation des Juifs, l’extermination de la race juive. C’est vite dit… Il faut exterminer le peuple juif, dit n’importe quel membre du Parti ; c’est net, c’est dans notre programme, élimination des Juifs, extermination, allons-y ! Et ils sont tous ainsi, les 80 millions de braves Allemands ; et chacun connaît un Juif bien convenable. Il est clair que les autres ne sont que de la vermine, mais celui-là est un Juif extraordinaire. Tous ceux qui parlent ainsi n’ont pas vu, n’ont pas vécu. La plupart d’entre nous savent ce que c’est que cent cadavres alignés les uns à côté des autres, ou 500, ou 1.000. Avoir tenu dans ces circonstances-là et, à part quelques cas exceptionnels de faiblesse humaine, être restés honnêtes, cela nous a endurcis. C’est une page glorieuse de notre Histoire (elle n’a jamais été écrite, et ne le sera jamais), car nous savons combien il nous serait dur aujourd’hui, en plus des attaques aériennes, du fardeau de la guerre et des privations, d’avoir encore toutes les villes pleines de Juifs, ces saboteurs secrets, ces agitateurs et ces fauteurs de trouble. »

Ce qui précède montre clairement qu’avant le déclenchement de l’agression nazie, le camp de concentration avait constitué l’une des principales armes au moyen desquelles les conspirateurs atteignirent la cohésion sociale nécessaire à l’exécution de leurs plans d’agression. Après le déclenchement de cette agression et l’invasion de l’Europe par leurs armées, ils instituèrent le camp de concentration dans les pays occupés et amenèrent aussi les citoyens de ces pays en Allemagne, les soumettant à tout l’appareil de la brutalité nazie.

Le document R-91 (USA-241), est une communication faite le 16 décembre 1942 par Müller à Himmler, Chef de la Police de Sûreté et du SD. Il traite de l’arrestation des Juifs polonais destinés à être déportés dans les camps de concentration d’Allemagne. Je prends le premier paragraphe :

« Vu l’ampleur prise par les transferts de main-d’œuvre vers les camps de concentration, et leur date d’achèvement étant prévue pour le 30 janvier 1943, il faut dans la section juive, procéder comme suit :

« 1. Nombre total : 45.000 Juifs.

« 2. Début du transport : 11 janvier 1943.

« Fin du transport : 31 janvier 1943. (Les chemins de fer du Reich sont incapables de fournir des trains spéciaux pour l’évacuation pendant la période allant du 15 décembre 1942 au 10 janvier 1943, à cause du trafic accru des trains de permissionnaires.)

« 3. Composition : sur les 45.000 Juifs, il y en aura 30.000 du district de Bialystok et 10.000 du ghetto de Theresienstadt, dont 5.000 aptes au travail et qui jusqu’à maintenant ont été utilisés pour les petites corvées nécessaires dans le ghetto et 5.000 atteints par la limite générale d’incapacité au travail, 60 ans passés. »

Je saute une phrase :

« Comme par le passé, seuls sont évacués les Juifs n’ayant pas de relations particulières et qui ne sont pas titulaires de décorations importantes. 3.000 Juifs des territoires occupés hollandais, 2.000 Juifs de Berlin, soit 45.000. Ce chiffre de 45.000 comprend les inaptes (vieillards et enfants). En procédant de façon pratique, le filtrage des Juifs arrivant à Auschwitz doit donner au moins 10.000 à 15.000 personnes capables de travailler. »

Les Juifs de Hongrie subirent le même destin tragique. Entre le 19 mars 1944 et le 1er août 1944, plus de 400.000 Juifs hongrois furent pris dans les rafles. Nombre d’entre eux furent entassés dans les wagons et envoyés dans des camps d’extermination. Je renvoie au document PS-2605 (USA-242). Ce document est un affidavit du docteur Rudolph Kastner, qui travaillait naguère à l’Organisation Sioniste hongroise. Je cite en entier le troisième paragraphe de la page 3.

En mars 1944, « avec les autorités militaires allemandes d’occupation arrivèrent à Budapest les membres d’une “Section Spéciale” ou “Kommando Spécial” de la police secrète allemande, avec pour seule mission la liquidation des Juifs hongrois. À la tête de cette section se trouvait Adolf Eichmann, SS Obersturmbannführer, chef de la section IV B de l’Office central de Sûreté du Reich. Ses collaborateurs immédiats étaient : le SS Obersturmbannführer Hermann Krumcey, les Hauptsturmführer Wisliczeny, Hunsche, Novak, Dr Seidl, et plus tard Danegger, Wrtok. Ils arrêtèrent et déportèrent ensuite à Mauthausen toutes les personnalités juives de la vie des affaires et de la vie politique, les journalistes et les hommes politiques hongrois démocrates et anti-fascistes : profitant de l’interrègne qui survint au moment de l’occupation allemande et qui dura quatre jours, ils placèrent leurs Quislings au ministère de l’Intérieur ».

À la page 7 de ce même document, je cite le paragraphe 8 :

« Les commandants des “Camps de la mort” ne tuaient par les gaz que sur instructions directes ou indirectes de Eichmann. L’officier spécial du IV B qui dirigeait les déportations d’un pays donné, avait autorité pour indiquer si le train serait dirigé sur un camp de la mort ou non, et ce qui arriverait à ses occupants. Les instructions étaient généralement transmises par le sous-officier SS qui escortait le train. La lettre “A” ou “M” portée sur les instructions relatives à l’escorte, indiquait Auschwitz (Oswiecem) ou Maidanek, et cela signifiait que les occupants devaient être gazés. » Je saute la phrase suivante, pour reprendre à ces mots :

« Quant aux Juifs hongrois, la règle générale suivante fut établie à Auschwitz :

« Les enfants jusqu’à l’âge de 12 à 14 ans, les personnes au-dessus de 50 ans, de même que les malades (ou les gens ayant un casier judiciaire chargé), transportés dans des wagons avec plaque indicatrice spéciale étaient menés aux chambres à gaz dès leur arrivée.

« Les autres défilaient devant un docteur SS, qui indiquait à première vue, qui était capable de travailler et qui ne l’était pas. Ceux qui en étaient incapables allaient aux chambres à gaz pendant que les autres étaient répartis dans divers camps de travail. »

Dans les territoires appelés « territoires de l’Est » on destinait ces victimes à l’extermination…

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dodd, ne vous référez-vous pas à la page 5 pour les numéros que vous avez donnés pour la période allant jusqu’au 27 juin 1944 ? Vous ne nous avez donné jusqu’à maintenant aucune référence.

M. DODD

Oui, à la page 5 du même document, PS-2605, je cite : « Jusqu’à la date du 27 juin 1944, 475.000 Juifs furent déportés. »

Dans les territoires appelés « territoires de l’Est » on destinait les victimes à l’extermination dans les camps sans qu’aucune accusation ait été portée contre elles. Dans les territoires occupés de l’Ouest il semble que des accusations aient été portées contre certaines victimes. Quelques-unes des accusations considérées comme motifs suffisants d’internement dans les camps de concentration sont révélées par le document L-215 (USA-243). Ce document est un sommaire des dossiers de 25 personnes arrêtées dans le Luxembourg pour être internées dans divers camps de concentration ; il expose les accusations portées contre chacune de ces personnes.

Je commence au paragraphe précédé du nom de « Henricy » au bas de la première page. Je cite :

« Nom : Henricy.

« Accusation : S’est joint à des membres de mouvements de résistance illégaux et leur a procuré de l’argent ; est contrevenu aux tarifs légaux de change, a fait tort aux intérêts du Reich, et est suspect de désobéir à l’avenir aux règles administratives officielles et de se poser en ennemi du Reich.

« Lieu d’internement : Natzweiler. »

Ensuite vient le nom de « Krier » avec l’accusation :

« Est responsable de graves sabotages dans le travail et inspire des craintes à cause de son passé politique et criminel. La liberté ne ferait que renforcer l’élément anti-social qu’il représente. Lieu d’internement : Buchenwald. »

Au milieu de la page 2, après le nom de « Monti », on lit l’accusation :

« Est fortement soupçonné d’aider les déserteurs. Lieu d’internement : Sachsenhausen. »

Le nom suivant est : « Junker », accusation :

« Étant parent d’un déserteur, est susceptible de mettre en danger les intérêts du Reich allemand s’il est laissé en liberté.

« Lieu d’internement : Sachsenhausen. »

Puis vient le nom de Jäger, avec l’accusation :

« Étant parent d’un déserteur, est susceptible de mettre à profit toute occasion de nuire au Grand Reich allemand s’il est mis en liberté. Lieu d’internement : Sachsenhausen. »

Plus bas se trouve le nom de « Ludwig » et l’accusation : « Est fortement soupçonné d’aider les déserteurs. Lieu d’internement : Dachau. »

Non seulement les civils des territoires occupés, mais aussi les prisonniers de guerre étaient soumis aux horreurs et à la brutalité des camps de concentration ; nous mentionnons, à cet égard, le document PS-1165 (USA-244). Ce document est un mémorandum destiné à tous les officiers de la Police d’État, signé par Müller, Chef de la Gestapo, et daté du 9 novembre 1941. Ce mémorandum porte le titre significatif : « Transfert dans les camps de concentration des prisonniers de guerre russes devant être exécutés. »

Je désire citer aussi un passage de la partie essentielle de ce mémorandum. C’est à la page 2 de la traduction anglaise. Je cite :

« Les commandants des camps de concentration se plaignent que 5 à 10 % des Russes soviétiques devant être exécutés arrivent dans les camps morts ou à demi morts. D’où l’on est arrivé à penser que les stalags se débarrassaient de cette façon-là des prisonniers de ce genre. On a particulièrement remarqué que, par exemple, de la station de chemin de fer au camp, un grand nombre de prisonniers de guerre tombaient d’épuisement au cours de la marche, morts ou à demi morts, et devaient être ramassés par un camion marchant derrière le convoi. On ne peut éviter que les Allemands ne remarquent ces incidents. Même si le transfert dans les camps est généralement confié à la Wehrmacht, la population imputera la chose aux SS.

« Afin si possible d’empêcher à l’avenir de semblables incidents, j’ordonne qu’à dater de ce jour les Russes soviétiques déclarés définitivement suspects et manifestement marqués des stigmates de la mort (de misère physiologique par exemple), incapables par conséquent de supporter tout effort, même celui d’une courte marche à pied, soient désormais, en principe, exclus des convois pour les camps de concentration en vue d’exécution. »

D’autres preuves encore d’internement de prisonniers de guerre russes dans des camps de concentration sont fournies par un rapport officiel de l’enquête menée dans le camp de concentration de Flossenbürg par le Quartier Général de la Troisième Armée américaine, Section des Procureurs militaires, Service des crimes de guerre, rapport daté du 21 juin 1945. Il figure dans notre documentation sous le nº PS-2309 (USA-245). Je cite dans le bas de la page 2 du texte anglais les deux dernières phrases du dernier paragraphe :

« En 1941, une enceinte supplémentaire fut ajoutée au camp de Flossenbürg, pour enfermer 2.000 prisonniers russes. De ces 2.000 prisonniers, 102 seulement ont survécu. »

Les prisonniers de guerre soviétiques trouvèrent aussi leurs alliés dans les camps de concentration et nous en verrons la preuve à la page 4 de ce même document, PS-2309, au paragraphe 5 ; je cite :

« Les victimes de Flossenbürg comprenaient entre autres des Russes, civils et prisonniers de guerre, des nationaux allemands, des Italiens, des Belges, des Polonais, des Tchèques, des Hongrois, des prisonniers de guerre anglais et américains. On n’a eu aucun moyen pratique de dresser une liste complète des victimes de ce camp ; toutefois, depuis son établissement en 1938 jusqu’au jour de la libération, on estime que plus de 29.000 internés y sont morts. »

Les prisonniers de guerre évadés et repris étaient envoyés dans des camps de concentration par les conspirateurs et ces camps étaient particulièrement destinés à être des centres d’extermination ; je renvoie au document PS-1650 (USA-246). Ce document est une communication de la Police secrète d’État de Cologne, en date du 4 mars 1944. Le texte anglais porte tout en haut la mention :

« À transmettre secrètement. – Question gouvernementale secrète. »

Je cite, au troisième paragraphe :

« Objet : mesures à prendre contre les prisonniers de guerre évadés et repris, officiers ou sous-officiers ne travaillant pas, à l’exception des prisonniers de guerre britanniques et américains. Le Chef suprême de l’Armée a ordonné ce qui suit :

« 1. Tout prisonnier de guerre évadé et repris, officier ou sous-officier ne travaillant pas, à l’exception des prisonniers de guerre britanniques et américains, doit être remis au chef de la Police de Sûreté et du Service de Sécurité au titre de la “Mesure III”, que l’évasion se soit produite au cours d’un transport, qu’il s’agisse d’une évasion collective ou d’un cas individuel.

« 2. Puisque la nouvelle du transfert des prisonniers de guerre à la Police de Sûreté et au Service de Sécurité ne doit transpirer sous aucun prétexte, les autres prisonniers de guerre ne seront en aucune façon informés de la reprise de ces prisonniers. Ils doivent être signalés au Bureau de renseignements de l’Armée comme évadés et non repris. On agira en conséquence pour leur courrier. Aux enquêtes de représentants des Puissances protectrices, de la Croix-Rouge internationale et d’autres sociétés de secours, on donnera la même réponse. »

Dans la même communication se trouvait la copie d’un ordre du général SS Müller, agissant au nom du chef de la Police de Sûreté et du SD, enjoignant à la Gestapo de diriger directement sur Mauthausen les prisonniers repris après évasion. Je cite les deux premiers paragraphes de l’ordre de Müller, qui commence au bas de la page 1 de la traduction anglaise et se poursuit à la page 2 :

« La Direction de la Police d’État recevra les officiers prisonniers de guerre repris après évasion, que les commandants de camps de prisonniers lui remettront, et elle les dirigera sur le camp de Mauthausen selon les méthodes déjà employées, à moins que les circonstances ne rendent nécessaire un transport spécial. Les prisonniers de guerre seront mis aux fers pendant le transport et non sur le chemin de la gare s’il s’y trouve des personnes susceptibles de l’observer. Le commandant de Mauthausen doit être avisé que ce transfert est opéré dans le cadre de l’action “Kugel”. La direction de la Police d’État soumettra tous les six mois des rapports sur ces transferts donnant simplement des chiffres : le premier rapport doit être remis le 5 juillet 1944. »

Nous sautons les trois phrases qui suivent et nous arrivons à celle-ci :

« Pour des raisons de discrétion, le Haut Commandement Suprême des Forces armées a été prié d’informer les camps de prisonniers de guerre qu’ils avaient à remettre les prisonniers repris après évasion au poste local de la Police d’État et non à les envoyer directement à Mauthausen. »

Ce n’est pas une simple coïncidence que la traduction littérale du mot allemand « Kugel » soit le mot « balle » puisque Mauthausen, où l’on envoyait les prisonniers évadés, était un centre d’extermination.

La conquête nazie se manifesta par l’établissement de camps de concentration dans toute l’Europe. À ce propos je renvoie au document R-129. C’est un rapport sur la situation des camps de concentration, signé par Pohl, général SS, responsable de l’utilisation de la main-d’œuvre des camps de concentration. Le document R-129 porte le nº USA-217.

Je désire me rapporter en particulier à la section I, paragraphes 1 et 2 de ce document, page 1 de la traduction anglaise. Il est adressé au Reichsführer SS et porte le tampon « Secret ».

« Reichsführer, je vous rends compte de la situation actuelle des camps de concentration et des mesures que j’ai prises afin d’exécuter vos ordres du 3 mars 1942 :

« 1. Au début de la guerre existaient les camps de concentration suivants :

« a) Dachau, en 1939 : 4.000 prisonniers ; aujourd’hui 8.000.

« b) Sachsenhausen, en 1939 : 6.500 prisonniers ; aujourd’hui 10.000.

« c) Buchenwald, en 1939 : 5.300 prisonniers ; aujourd’hui 9.000.

« d) Mauthausen, en 1939 : 1.500 prisonniers ; aujourd’hui 5.500.

« e) Flossenbürg, en 1939 : 1.600 prisonniers ; aujourd’hui 4.700.

« f) Ravensbrück, en 1939 : 2.500 prisonniers ; aujourd’hui 7.500. »

Puis il continue au paragraphe nº 2 ; je cite :

« De 1940 à 1942, neuf nouveaux camps furent établis à :

« a) Auschwitz ;

« b) Neuengamme ;

« c) Gusen ;

« d) Natzweiler ;

« e) Gross-Rosen ;

« f) Lublin ;

« g) Niederhagen ;

« h) Stutthof ;

« i) Arbeitsdorf. »

Outre les camps situés dans les territoires occupés que mentionne le document R-129, il y en avait encore bien d’autres. Je cite le rapport officiel du Quartier Général de la troisième armée américaine auquel je me suis déjà reporté. C’est le document PS-2309 (USA-245). Je cite le paragraphe 4, section IV, à la page 2 du texte anglais :

« Le camp de concentration de Flossenbürg fut créé en 1938 pour contenir des prisonniers politiques. Les constructions furent commencées en 1938 et le premier transport de prisonniers n’arriva qu’en avril 1940. Dès lors, les prisonniers commencèrent à affluer régulièrement dans le camp (pièce B-1). Flossenbürg était le camp principal, sous son contrôle direct et sa juridiction étaient placés des camps satellites, ou kommandos, 47 pour les hommes et 27 pour les femmes. Ces Kommandos recevaient le nombre de prisonniers nécessaire à l’exécution des travaux projetés.

« De tous ces kommandos, Hersbruck et Leitmeritz (en Tchécoslovaquie), Oberstaubling, Mulsen et Sall sur le Danube, étaient considérés comme les pires ».

Je ne désire pas faire perdre de temps en décrivant chacun des camps de concentration nazis qui parsemèrent la carte d’Europe. Je pense que l’utilisation largement répandue de ces camps est universellement connue et suffisamment notoire. Cependant je prie le Tribunal de bien vouloir prêter attention au tableau que j’ai fait établir.

La ligne noire tracée en plein suit les frontières de l’Allemagne après l’Anschluss et j’attire l’attention du Tribunal sur le fait que la plupart des camps portés sur la carte sont situés à l’intérieur des limites territoriales de l’Allemagne proprement dite. Ce sont les points rouges qui désignent les camps.

Au centre de l’Allemagne, il y a le camp de Buchenwald situé près de la ville de Weimar, et tout à fait au bas de la carte il y a Dachau, à quelques kilomètres de Munich. En haut de la carte il y a les camps de Neuengamme et Bergen-Belsen, situés près de Hambourg. À gauche se trouve le camp de Niederhagen, dans la vallée de la Ruhr. À droite, en haut, il y a une quantité de camps près de Berlin : l’un d’eux est Sachsenhausen, précédemment nommé Oranienburg et qui fut l’un des premiers camps établis par les nazis après la prise du pouvoir. Dans la région se trouve le camp de Ravensbrück où l’on n’internait que des femmes. Certains des camps les plus connus étaient situés en fait hors de l’Allemagne. Mauthausen était en Autriche. En Pologne se trouvait le camp d’infamie d’Auschwitz. À gauche sur la carte, il y a un camp appelé Hertogenbosch et celui-ci était situé en Hollande. Au-dessous vous trouvez Natzweiler situé en France.

Les camps étaient disposés en réseaux et l’on peut observer qu’alentour de chaque camp principal – les plus grosses taches rouges – il y a un groupe de camps satellites ; les noms des principaux camps, tout au moins les plus célèbres, se trouvent au-dessus et au-dessous de la carte, sur le tableau. Ces noms, pour la plupart des gens, symbolisent le système nazi des camps de concentration car, depuis 1945, ou un peu plus tard, ils sont connus dans le monde entier.

J’aimerais attirer un instant votre attention sur le traitement infligé dans ces camps de concentration. Le film dont j’ai déjà parlé et qui a été présenté au Tribunal a révélé le terrible et sauvage traitement infligé aux nationaux alliés, aux prisonniers de guerre et autres victimes de la terreur nazie. Le film ayant bien exposé la situation, tout au moins pour l’époque où il a été pris, je me limiterai à un exposé très bref du sujet.

Les conditions qui existaient dans ces camps étaient naturellement en rapport direct avec les buts que les nazis s’efforçaient d’atteindre hors des camps au moyen de la terreur. Il est vraiment remarquable, nous semble-t-il, de voir l’aisance avec laquelle les mots « camps de concentration » passaient les lèvres de ces hommes. Comme tous les problèmes devenaient simples lorsqu’ils avaient recours à cet appareil de terreur des camps de concentration !

Je me réfère au document R-124, déjà déposé devant le Tribunal comme pièce USA-179. C’est le document introduisant le procès-verbal du Comité central des plans où siégea l’accusé Speer et où s’élabora la haute stratégie de la grande production nazie d’armements. Je n’ai pas l’intention d’en lire à nouveau un extrait puisque je l’ai déjà fait ce matin pour illustrer une autre partie de mon exposé, mais le Tribunal se souviendra que c’est au cours de cette réunion que l’accusé Speer discuta avec d’autres la question des « tireurs au flanc », et il fut question de mesures draconiennes à prendre contre ces travailleurs dont le rendement était insuffisant au gré de leurs maîtres. Speer était d’avis qu’il n’y avait rien à dire contre les SS et la police s’ils prenaient des mesures conduisant à l’envoi de ces « tireurs au flanc » dans des fabriques dépendant des camps de concentration ; il disait bien « camps de concentration » et ajoutait : « Que cela se produise un certain nombre de fois, et la nouvelle s’en répandra vite. »

Et ce sont des mots de la sorte qui tranchèrent le sort de bien des victimes. Quant à la propagation des nouvelles, prévue par l’accusé Speer, elle n’était pas laissée au hasard ; nous le montrerons bientôt. L’effet d’intimidation exercé par le camp de concentration sur le public était soigneusement préparé. Pour que l’atmosphère de terreur soit plus pesante, ces camps furent ensevelis dans le secret. Ce qui se passait derrière les clôtures de fil de fer barbelé était matière à suppositions craintives en Allemagne et dans les pays soumis au contrôle nazi ; aucune nouvelle officielle ne parvenait. Cette politique fut suivie dès le début, dès que les nazis eurent pris le pouvoir en Allemagne et instauré ce système de camps de concentration. Je me réfère au document PS-778 (USA-247). C’est un ordre donné le 1er octobre 1933 par le commandant du camp de Dachau. Le document établissait un programme de châtiments pour les internés coupables d’infraction au règlement : fouet, détention cellulaire, exécution.

Le règlement comprenait des prescriptions de censure absolue des conditions de vie à l’intérieur du camp. Je me reporte à la première page du texte anglais, à l’article 11 :

« Quiconque, dans le camp, sur les lieux de travail, dans les logements, cuisines et ateliers, lavabos, lieux de repos, se comporte en agitateur : fait de la politique, tient des propos agressifs, organise des réunions dans ce but, forme des groupes ou va de l’un à l’autre, recueille des nouvelles vraies ou fausses pour le compte de la propagande adverse sur les horreurs des camps de concentration et de leur organisation, s’en fait l’écho, les dissimule, les propage, les transmet à des visiteurs étrangers ou à d’autres, les fait sortir du camp par des moyens clandestins ou d’une autre façon, les confie par écrit ou oralement à des détenus libérés ou à ses supérieurs, les cache dans des vêtements ou autres objets, les jette par-dessus le mur du camp au moyen de pierres, etc. ou bien rédige des tracts secrets, quiconque en outre monte sur les toits des baraques ou dans les arbres afin de créer du désordre, fait des signaux lumineux ou cherche par d’autres moyens à entrer en contact avec l’extérieur, quiconque incite les autres à fuir ou à commettre un crime, donne des conseils à cet effet ou les soutient de toute autre manière ;

« Sera en vertu de la loi sur les révolutionnaires, pendu comme agitateur. »

La censure portant sur les camps mêmes était complétée hors des camps par une campagne de rumeurs d’inspiration officielle. On parlait des camps de concentration à voix basse et ces murmures étaient répandus par les agents de la police secrète. Quand l’accusé Speer disait que, si l’on avait recours à la menace des camps de concentration, les nouvelles circuleraient assez vite, il savait ce qu’il disait. Je renvoie au document PS-1531. Je désire donner quelques explications au sujet de ce document.

L’original allemand, le document qui a été saisi, se trouvait ici au centre d’information et avait été traduit en anglais comme le prouve notre traduction. J’ai été avisé hier qu’il a été soit perdu, soit déplacé, et malheureusement nous n’en possédons ici à Nuremberg, aucune photocopie. Une copie certifiée conforme, cependant, nous est envoyée de Francfort aujourd’hui. Je sollicite donc du Tribunal la permission de déposer comme preuve la traduction anglaise de l’original allemand, dont l’exactitude est attestée par le traducteur, quitte à la retirer si la copie certifiée de l’original ne nous parvient pas.

Je renvoie donc au document PS-1531 (USA-248). Ce document porte la mention « Absolument confidentiel » ; il est adressé à tous les bureaux de district de la Police d’État et au bureau de la Gestapo pour information aux inspecteurs de la Police de Sûreté et du SD. C’est un ordre relatif aux camps de concentration, donné par le chef de la Gestapo. Je lis le texte anglais, second paragraphe :

« Afin d’obtenir un plus grand effet d’intimidation, les règles suivantes doivent être observées dans chaque cas individuel :

« 3. Il ne faut faire connaître en aucun cas la durée de la période d’internement, même si le Reichsführer SS et chef de la Police allemande, ou bien le Chef de la Police de sûreté et du SD, l’a déjà fixée.

« La durée de l’internement dans un camp de concentration, doit être officiellement prévue jusqu’à nouvel ordre ». Dans les cas les plus graves, il n’y a aucune objection à ce que l’on accroisse encore l’effet d’intimidation par une propagande intelligemment répandue, ayant plus ou moins pour but de faire croire qu’étant donné la gravité de son cas, l’homme arrêté ne sera pas relâché avant deux ou trois ans.

« 4. Dans certains cas, le Reichsführer SS et chef de la Police allemande ordonnera des fustigations en plus de la détention dans un camp de concentration. Des ordres de ce genre seront également transmis à l’avenir au Bureau de district de la Police d’État intéressé. Dans ce cas aussi, il n’y aucune objection à ce que la rumeur de ce châtiment soit propagée comme il est prévu paragraphe 3, section 3, dans la mesure où cela serait désirable pour ajouter à l’effet d’intimidation.

« 5. Il va de soi que seuls des gens particulièrement qualifiés et dignes doivent être choisis pour la propagation de semblables nouvelles. »

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dodd, le Tribunal pense qu’il accordera une valeur probatoire au document américain PS-2309.

Pour faciliter la tâche des avocats, le Tribunal, ayant siégé jusqu’à 1 heure, se réunira de nouveau à 2 heures et quart seulement.

M. DODD

Bien, Votre Honneur.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures et quart.)