DIX-NEUVIÈME JOURNÉE.
Jeudi 13 décembre 1945.

Audience de l’après-midi.

M. DODD

Plaise au Tribunal. L’effet d’intimidation produit par les camps de concentration était dû à la perspective d’un traitement brutal. Une fois entre les mains des gardiens SS, la victime était battue, torturée, affamée, souvent tuée ; c’était là le résultat de l’application du programme de « travail à mort » auquel je me suis référé hier, ou des exécutions massives des chambres à gaz et des fours crématoires des camps, comme vous avez pu le voir il y a quelques jours sur l’écran de cette salle d’audience.

Les comptes rendus des recherches officielles du Gouvernement donnent un supplément de preuves sur les conditions existant à l’intérieur des camps de concentration.

Je cite le document PS-2309 (USA-245), déjà présenté au Tribunal qui lui a accordé valeur probatoire, page 2 du texte anglais, deuxième phrase du deuxième paragraphe :

« Les internés, dans ces camps, étaient employés à des travaux en galeries souterraines destinés à la construction de grandes usines souterraines, entrepôts, etc. Ce travail se faisait complètement sous terre, et les mauvais traitements, les conditions de vie et de travail causaient la mort de 100 internés par jour en moyenne. Au seul camp de Oberstaubling, sur 700 prisonniers qui furent amenés en février 1945, 405 étaient encore vivants le 15 avril 1945 ; pendant les douze mois qui précédèrent la libération, au camp de Flossenbürg et dans les autres camps contrôlés par celui-ci, 14.739 hommes et 1300 femmes moururent. Ces chiffres sont ceux que nous ont fournis les livres trouvés dans les camps. Néanmoins ils ne donnent pas le nombre exact des décès car beaucoup furent tenus secrets, de même que certaines exécutions en masse. En 1941, le camp de Flossenbürg fut agrandi pour recevoir 2.000 prisonniers russes : 102 seulement ont survécu. »

Le camp de concentration de Flossenbürg était littéralement une usine de mort ; bien qu’il ait été principalement créé pour l’utilisation de la main-d’œuvre asservie, il avait aussi pour but la suppression des vies humaines par les méthodes de traitement appliquées aux internés :

« Faim, rations de famine, sadisme, promiscuité, habillement insuffisant, négligence sanitaire, maladies, coups, pendaisons par les mains, froid intolérable, suicides forcés, fusillades, tout visait à atteindre le même but. On tuait les prisonniers au petit bonheur, et les Juifs par vengeance personnelle. Il ne se passait pas de jour sans piqûre toxique ni coup de revolver dans la nuque. Les épidémies de typhus et méningite cérébro-spinale se propageaient librement : c’était encore un moyen de supprimer des prisonniers. Dans ces camps, la vie humaine ne comptait pas. Tuer devint normal, si normal que, pour les malheureux, une mort rapide était la bienvenue. »

Je saute à la dernière phrase du même paragraphe :

LE PRÉSIDENT

Quels sont ces documents déposés auxquels vous vous référez ?

M. DODD

Il y a quelques plans, des photographies, etc. Quelques-uns de ces documents sont des affidavits de personnes qui se trouvaient dans les camps au moment de leur libération ; d’autres sont des reproductions d’écrits trouvés sur place.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal accordera une valeur probatoire à ces documents.

M. DODD

Je prends la dernière phrase de ce paragraphe, même page :

« Le jour de Noël 1944, un certain nombre de prisonniers furent pendus en même temps. Les autres internés durent assister à cette pendaison et, à côté des potences, il y avait un arbre de Noël ; l’un des internés a dit : “C’était une terrible vision que ces prisonniers accrochés au gibet à côté de cet arbre de Noël étincelant”.

« En mars et avril, 13 parachutistes anglais et américains furent pendus. Ils étaient arrivés à ce camp quelque temps auparavant et avaient été arrêtés alors qu’ils essayaient de faire sauter des ponts. »

Je n’importunerai pas le Tribunal par la lecture de tous ces comptes rendus. Je voudrais cependant parler du camp de concentration de Mauthausen, l’un des plus célèbres camps d’extermination. Je me réfère au document PS-2176 (USA-249). C’est un compte rendu officiel des services du Procureur Général militaire de la troisième Armée américaine, en date du 17 juin 1945. Je prends la conclusion, page 3 du texte anglais, paragraphe V, deuxième phrase :

« Il n’y a aucun doute que Mauthausen était prévu pour servir à des plans de longue haleine. Se présentant comme une énorme forteresse de pierre située sur le haut d’une montagne et flanquée de baraques, Mauthausen non seulement était une construction permanente, mais encore pouvait recevoir une garnison importante d’hommes et d’officiers. Il y avait de grandes salles à manger et toutes facilités pour le personnel. Ce camp avait été édifié dans le but d’exterminer tous les prétendus internés qui y pénétraient. Ses annexes étaient placées immédiatement sous le commandement des SS qui se trouvaient à Mauthausen. Tous les rapports, ordres et communiqués administratifs relatifs à ces annexes passaient par Mauthausen. Les autres camps, y compris Gusen et Ebensee, les deux annexes les plus connues et les plus importantes, n’étaient pas uniquement des camps d’extermination. On s’y servait des prisonniers comme d’instruments, pour construire et produire, jusqu’à ce que les coups ou la faim les aient rendus inutilisables ; on les envoyait alors habituellement à Mauthausen où l’on prenait d’ultimes dispositions. »

D’après le film et les comptes rendus détaillés faits par la troisième Armée américaine à son arrivée dans ces centres, nous voyons clairement que les conditions qui régnaient dans ces camps de concentration d’Allemagne, et dans quelques autres situés hors des frontières de l’ancien Reich, étaient toutes à peu près les mêmes. Leur généralité montre qu’elles ne résultaient pas d’excès sporadiques dé la part de geôliers isolés, mais qu’elles étaient fixées délibérément par une politique venant de plus haut. Les crimes, dans les camps, étaient commis sur une si vaste échelle que les atrocités individuelles pâlissent à côté.

Je vous soumets deux documents déposés ; je les présente au Tribunal uniquement parce qu’ils montrent jusqu’où l’administration de ces camps avait sombré peu avant leur libération par les Armées alliées. Le Tribunal se souviendra des fragments de peau humaine, prélevés sur des corps au camp de concentration de Buchenwald et conservés en guise d’ornements, qui ont été présentés dans un film relatif aux camps. Les internés tatoués étaient particulièrement destinés à cette sorte de mutilation. Je dépose ces objets comme preuve sous la cote USA-252 ; ils sont accompagnés d’un extrait du rapport officiel de l’Armée américaine qui décrit les circonstances dans lesquelles ce document a été obtenu ; cet extrait figure dans le document PS-3240 auquel je me réfère en partie ; il porte en titre :

« Commission militaire d’Instruction aux Armées nº 2.

« Bulletin de renseignements sur les prisonniers de guerre (PWIB).

« 13. – Camp de concentration de Buchenwald.

« Préambule. – L’auteur de ce compte rendu est le prisonnier de guerre Andréas Pfaffenberger, 1 Coy, 9 Landesschützen Bn, âgé de 43 ans et peu instruit, boucher de son état. La concordance des détails qu’il donne avec ceux que fournit le PWIB (H)/LF/736 établit l’exactitude de son témoignage. On n’a posé à ce prisonnier aucune question quant aux déclarations dont certains détails, d’après ce que l’on sait, apparaissent erronés, et rien n’a été fait pour modifier le caractère subjectif de son compte rendu, écrit par lui dans l’ignorance des renseignements déjà en notre possession. Le résultat de l’interrogatoire sur les hommes de Buchenwald a déjà été publié (PWIB nº 2/12, art. 31).

« En 1939, on ordonna à tous les prisonniers qui avaient des tatouages de se présenter à l’infirmerie. Personne ne savait pourquoi, mais après avoir été examinés, ceux qui avaient les plus beaux tatouages furent gardés à l’infirmerie et Karl Beigs, un détenu condamné de droit commun, leur administra des piqûres mortelles. Les corps furent ensuite envoyés à la section de pathologie, où l’on préleva les parties tatouées pour les traiter de façon voulue. Le résultat obtenu fut envoyé à la femme du SS Standartenführer Koch qui en fit des abat-jour et autres ornements pour son intérieur. J’ai vu moi-même des peaux tatouées avec des dessins et des légendes tels que “Hänsel et Gretel”, qu’un prisonnier avait sur son genou, et des bateaux, que des prisonniers avaient sur la poitrine. Wernerbach était le nom du prisonnier qui faisait ce travail. »

Je me réfère également au document PS-3421 (USA-253) :

« Nous, George C. Demas, lieutenant USNR, en liaison avec le Procureur Général américain pour les crimes de l’Axe, certifions par la présente que le parchemin ci-joint nous a été remis en la qualité, ci-dessus mentionnée par la section des Crimes de Guerre, de Procureur Général militaire, Armée américaine, comme étant un document trouvé au camp de Buchenwald et saisi par les Forces armées placées sous les ordres du Commandant suprême des Forces expéditionnaires Alliées. »

Le dernier paragraphe du document PS-3423 (USA-252), est la conclusion d’un rapport de l’Armée américaine :

« Se basant sur les faits établis dans le paragraphe 2, ces trois spécimens sont des fragments de peau humaine tatouée ».

Je ne m’attarderai pas sur cet aspect pathologique de la culture nazie, mais je me crois obligé de fournir encore une pièce (USA-254) : c’est une tête humaine dont la boîte crânienne a été retirée, que l’on a naturalisée et conservée, et qui s’est rétrécie. Les nazis ont fait décapiter une de leurs nombreuses victimes, après l’avoir pendue, vraisemblablement pour fraternisation avec une femme allemande et, de la tête, ils ont fait ce terrible objet de curiosité.

Le dernier paragraphe du compte rendu officiel de l’Armée américaine que je viens de citer, indique comment cette pièce a été trouvée :

« Là aussi je vis des têtes rétrécies de jeunes Polonais qui avaient été pendus pour avoir eu des relations avec des Allemandes. Les têtes étaient de la taille d’un poing. Il y avait encore des cheveux, et la marque de la corde était visible. »

Un autre certificat du lieutenant Demas, document PS-3422 (USA-254), est semblable à celui que j’ai lu il y a quelques minutes au sujet de la peau humaine, à ceci près qu’il s’applique à ce second document.

Nous ne pouvons pas dire exactement combien de personnes sont mortes dans ces camps de concentration et peut-être ne le pourra-t-on jamais, mais, comme les preuves déjà présentées au Tribunal en font foi, les conspirateurs nazis étaient généralement des comptables méticuleux. Toutefois leurs rapports sur les camps de concentration semblent avoir été faits très incomplètement. Peut-être ceci était-il dû à l’indifférence des nazis pour les vies de leurs victimes. De temps à autre, nous trouvons des livres de décès ou des fichiers ; néanmoins, dans la plupart des cas, la mort des victimes ne semble pas avoir été enregistrée. Si l’on se reporte à quelques livres de décès, on aperçoit immédiatement l’envergure des opérations liées aux camps de concentration. Je me réfère maintenant au document PS-493, que je dépose comme pièce USA-251. C’est le registre des décès du camp de concentration de Mauthausen, un ensemble de sept livres. Chacun des livres porte sur sa couverture la mention « Totenbuch » ou livre des décès, Mauthausen.

Sur ces livres on porta les noms de quelques-uns des internés qui décédèrent ou furent tués dans ce camp ; ces livres couvrent la période qui va de janvier 1939 à avril 1945. Ils indiquent le nom, le lieu de naissance, le motif du décès et le jour de la mort de chaque individu. À chaque corps était assigné un numéro matricule et, si nous additionnons tous ces numéros pour une période de cinq années, nous arrivons au total de 35.318. L’examen de ces livres est une véritable révélation de la cadence à laquelle on mourait dans ces camps. J’attire l’attention du Tribunal sur les pages 568 à 582 du volume 5. Ces pages contiennent les déclarations de décès faites le 19 mars 1945, entre 1 heure 15 du matin et 2 heures de l’après-midi. Durant ces douze heures trois quarts, selon ce registre, 203 personnes sont décédées. Les numéros matricules qui leur furent donnés vont de 8.390 à 8.593. Les noms des morts sont portés sur la liste et il est assez intéressant de remarquer que toutes les victimes sont censées être mortes de la même indisposition, troubles cardiaques. Elles sont mortes à de courts intervalles. Elles sont mortes dans l’ordre alphabétique. Le nom de la première était Ackermann ; il mourut à 1 heure 15 du matin ; le nom de la dernière était Zynger, il mourut à 2 heures de l’après-midi.

À 2 heures 20, ce même après-midi du 19 mars 1945, le registre témoigne que l’appel tragique recommença et continua jusqu’à 4 heures et demie. En l’espace de 2 heures, il y eut encore 75 morts, et une fois encore, ils moururent tous de maladie de cœur, et dans l’ordre alphabétique. Les déclarations sont portées dans le même volume, de la page 582 à la page 586.

Il y avait un autre livre de décès au camp de Mauthausen. Il figure dans notre documentation sous le numéro PS-495 (USA-250). C’est un seul volume ; il porte aussi sur sa couverture les mots : « Livre de décès. Prisonniers de guerre. » J’attire en particulier l’attention du Tribunal sur les pages 234 à 246. Les noms de 208 prisonniers de guerre y sont portés, apparemment des Russes ; ils ont été exécutés en même temps à minuit et quart, le 10 mai 1942. Le livre indique que l’exécution était dirigée par le chef du SD et de la SIPO, qui était à ce moment-là Heydrich.

On m’a signalé ce matin un journal de New York, publié aux États-Unis et dont une partie se compose de trois pages ou plus d’annonces faites par les familles de ceux qui ont résidé naguère en Allemagne ou en Europe, et qui demandent des renseignements à leur sujet. Bien des annonces mentionnent l’un ou l’autre de ces camps de concentration. Le journal s’appelle Der Aufbau. Il est rédigé en langue allemande et paraît à New York City ; le numéro que j’ai vu était du 23 novembre 1945. Je ne vous donnerai pas la liste de tous ces malheureux, mais sa publication prouve quel nombre considérable d’individus cette horrible tragédie des camps de concentration a affecté. Je pense qu’il n’est pas nécessaire de recourir à un argument spécial pour soutenir l’Accusation : les nazis se sont servis des camps de concentration et des moyens de terreur que j’ai indiqués pour commettre des crimes contre l’Humanité et des crimes de guerre.

La matière des camps de concentration sera nécessairement abordée de nouveau lors de l’exposé de la persécution des Juifs, mais ceci termine notre présentation de la question des camps considérée comme un tout.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dodd, voulez-vous m’expliquer ce que signifient les en-têtes du document PS-495 ?

M. DODD

La colonne 1 est celle des numéros matricules donnés aux prisonniers dans l’ordre de leur décès ; la colonne 2 est celle des numéros matricules des prisonniers de guerre ; la colonne 3 celle des noms ; la colonne 4 celle des prénoms ; la colonne 5 celle des dates de naissance ; la colonne 6 celle des lieux de naissance ; la colonne 7 indique la cause du décès. Dans les derniers cas cités, la mention est la suivante :

« Exécution par ordre du chef de la SIPO et du SD ; en date du 30 avril 1942. » La remarque se répète pour tous les noms qui viennent ensuite, dans la colonne des causes de décès. Dans la colonne 8 sont portées la date et l’heure de la mort (le premier décès eut lieu le 9 mai 1945 à 23 h. 35). La colonne 9 est un espace libre réservé aux commentaires.

LE PRÉSIDENT

On y voit aussi des chiffres, MI 681 dans la première.

M. DODD

C’est le numéro d’un corps, différent du numéro matricule de l’interné et qui lui était donné après la mort.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. Le Major Walsh va présenter maintenant un autre aspect des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité, la persécution des Juifs.

COMMANDANT WALSH (substitut du Procureur Général américain)

Plaise au Tribunal. Je vais maintenant exposer les preuves fondant la partie de l’Acte d’accusation relative aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité, sous le chef d’accusation nº 1, et, en accord avec le Ministère Public sous le chef d’accusation nº 4, paragraphe X (B), crimes contre l’Humanité. Le titre de cet exposé est : « La persécution des Juifs. »

Je dépose comme preuve le livre de documents traduits « T ». Les documents sont rangés en séries : D, L, PS et R ; dans chaque série, les documents sont rangés dans l’ordre numérique.

Ce titre : Persécution des Juifs, est singulièrement impropre si on le considère à la lumière des preuves qui vont suivre. Étymologiquement, persécuter signifie : affliger, tourmenter, harceler. Le terme ne convient pas et je ne puis en trouver un qui stigmatise l’intention fondamentale, le but avoué de rayer du monde la race juive.

Cet exposé n’a pas la prétention d’être un récit complet de tous les crimes commis contre les Juifs ; ils sont si nombreux, si divers, que la nation allemande tout entière en est marquée dans son peuple et dans ses organisations.

Les orateurs qui me succéderont compléteront l’exposé des preuves en traitant d’autres parties de l’accusation ; les documents relatifs aux organisations du Parti et à celles de l’État, dont le Ministère Public tentera d’établir la culpabilité, révéleront quel rôle ces organisations ont joué dans ces plans d’extermination.

Le Ministère Public français et le Ministère Public soviétique ont eux aussi un volume de preuves se rapportant toutes à cette question et ils le soumettront en temps voulu.

Avant de commencer le récit des actes manifestement accomplis dans le but de supprimer les Juifs, je montrerai que la politique poursuivie à l’intérieur de l’Allemagne depuis 1933 jusqu’à la fin de la guerre était liée aux plans de préparation et d’exécution de guerres d’agression, ce qui concorde avec la définition des crimes contre l’Humanité donnée à l’article 6, c du Statut.

On a longtemps soutenu en Allemagne la thèse que la perte de la première guerre mondiale avait été due à un écroulement de l’arrière. Les plans pour la guerre future garantissaient la sécurité du front intérieur dans le but de prévenir une répétition de la débâcle de 1918. L’unification du peuple allemand était une condition essentielle de la réussite des plans et des opérations de guerre, et la base de la politique nazie était : « Un peuple, un Reich, un Führer ».

Il fallait supprimer les syndicats libres ; les partis politiques (autres que le parti nazi) devaient être mis hors la loi, les libertés civiques devaient être supprimées et toute opposition devait être brisée. La loyauté envers Dieu et l’Église, la vérité scientifique, furent déclarées incompatibles avec le régime nazi. La politique antijuive faisait partie de ce plan d’unification, car les nazis étaient convaincus que les Juifs ne contribueraient pas au programme militaire de l’Allemagne, et même qu’ils le contrecarreraient. Il fallait donc supprimer les Juifs.

Ceci ressort clairement d’une déclaration contenue dans le document PS-1919 (USA-170) qui est la sténographie d’un discours fait par Himmler à une réunion de généraux SS tenue le 4 octobre 1943. Je lis un bref passage du paragraphe 3 de la page 4 de la traduction :

« Nous savons combien notre position serait difficile si, en plus des raids aériens, des fardeaux et des privations de la guerre, nous avions encore des Juifs aujourd’hui dans toutes les villes pour jouer le rôle de saboteurs, d’agitateurs et de fauteurs de trouble ; nous aurions probablement atteint le niveau de 1916-1917, alors que les Juifs faisaient encore partie de la nation allemande. »

Le traitement des Juifs à l’intérieur de l’Allemagne faisait donc partie du plan de la guerre d’agression au même titre que la fabrication d’armes et la mobilisation de la main-d’œuvre. Cette question, en tant que partie intégrante des plans et préparatifs du déclenchement d’une guerre d’agression, est du ressort du Tribunal.

Il est clair que les persécutions et les meurtres dont furent victimes les Juifs de tous les pays d’Europe après 1939 sont des crimes de guerre tels que les définit l’article 6, b du Statut. C’est de plus une violation de l’article 46 de la Convention de La Haye de 1907, à laquelle l’Allemagne avait apposé sa signature. Je cite cet article 46 et je demande au Tribunal de lui accorder une valeur probatoire :

« Les droits et l’honneur des familles, la vie des personnes et la propriété privée, ainsi que les convictions et les habitudes religieuses, doivent être respectés. »

Je ne connais pas, dans l’Histoire humaine, de crimes plus horribles dans leurs détails que la façon dont les Juifs furent traités. Je peux prouver que les préceptes du parti nazi, qui prirent corps ensuite dans la politique de l’État allemand et furent fréquemment exprimés à la barre par les accusés, visaient à la destruction du peuple Juif. Je m’efforcerai de ne pas céder à la tentation de citer trop de documents, bien que cette tentation soit forte ; je laisserai plutôt les preuves parler elles-mêmes, je n’adoucirai pas la violence de leur réalisme. Le plaisir de tuer peut avoir joué un rôle dans ces crimes sauvages, mais leur vrai but, leur raison d’être, était la destruction de la race juive, l’un des principes fondamentaux du plan nazi pour la préparation et le déclenchement d’une guerre d’agression. Je me bornerai à la mention des actes manifestes qui furent commis, mais je demande l’indulgence du Tribunal au cas où il me semblerait nécessaire pour l’établissement des preuves de me référer à certains documents déjà déposés.

Pour atteindre cet objectif, il fallait des mesures préliminaires. Le parti nazi devait tout d’abord s’emparer du pouvoir en Allemagne, il fallait faire face à l’opinion mondiale, et il fallait endoctriner le peuple allemand et lui inculquer la haine du Juif.

La politique du Parti à l’égard des Juifs se révéla clairement pour la première fois dans le programme du Parti de février 1920.

Je dépose ce document PS-1708 (USA-255) : programme du parti national-socialiste. Que le Tribunal me permette de citer les passages de ce programme qui nous intéressent :

« Paragraphe 3. – Seul un membre de la race peut être citoyen. N’est membre de la race que le sujet de sang allemand, quelle que soit sa confession.

« En conséquence, aucun Juif ne peut être membre de la race. »

Puis au paragraphe 6 :

« Le droit de s’occuper d’affaires administratives et juridiques n’appartient qu’au citoyen ; en conséquence, nous demandons que tout service public du Reich, d’une province ou d’une ville, n’emploie que des citoyens. »

Je dépose maintenant le document PS-2662, Mein Kampf, (USA-256). Aux pages 724 et 725 de ce livre, Hitler parle des Juifs et dit que, pour atteindre son but, le mouvement national-socialiste « … doit ouvrir les yeux du peuple sur les nations étrangères et lui rappeler sans cesse quel est l’ennemi réel de notre monde contemporain. Au lieu de haïr les Aryens – dont bien des choses peuvent nous séparer, mais auxquels nous sommes liés toutefois par la communauté de sang ou de culture – il faut réserver sa colère à l’adversaire malfaisant de l’Humanité, cause profonde de toute souffrance.

« Mais il doit faire en sorte que, tout au moins dans notre pays, l’ennemi mortel soit démasqué et que la lutte engagée contre lui soit le signe d’une ère plus lumineuse et plus sereine, et éclaire pour les autres peuples aussi, dans une humanité aryenne combattante, la route du Salut. »

Un flot de littérature injurieuse de tout genre, destinée aux gens de tous âges, fut publié et mis en circulation en Allemagne ; un exemple typique en est le livre intitulé Der Giftpilz (Le champignon vénéneux). Je présente comme preuve ce document PS-1778 (USA-257).

Ce livre stigmatise le Juif comme persécuteur des classes laborieuses, démon sous forme humaine, champignon vénéneux et assassin. Ce livre était destiné aux enfants des écoles : il leur apprenait à reconnaître le Juif grâce à des caricatures de ses caractéristiques physiques (figurant aux pages 6 et 7), leur enseignait que le Juif abuse des petits garçons et des petites filles (à la page 30), et que la Bible juive autorise tous les crimes (pages 13 à 17). Le périodique de l’accusé Streicher, Der Stürmer, numéro du 14 avril 1937, en particulier, alla même jusqu’à publier la déclaration selon laquelle les Juifs, à la célébration rituelle de l’Exode, tuaient les Chrétiens. Je présente le document PS-2699 (USA-258), page 2, première colonne, paragraphes 6 à 9. Je cite :

« Bien des Juifs ont confessé que la loi du Talmud exige des meurtres rituels. Le Grand Rabbin Jeofiti, qui devint moine plus tard, déclare que les meurtres rituels ont lieu particulièrement au “Purim Juif” (en mémoire des meurtres de Perse), et à “l’Exode” (en mémoire de la mort du Christ). Les instructions sont les suivantes :

« La victime doit être saignée. À l’Exode, on se sert du sang pour le vin et le pain azyme : un peu de ce sang doit être versé dans la pâte du pain azyme et dans le vin. C’est le père de famille juif qui fait ce mélange. Il opère de la façon suivante :

« Le chef de famille vide quelques gouttes de sang frais, ou du sang séché, dans le verre, en mouille les doigts de sa main gauche et le répand en bénédiction sur tout ce qui se trouve sur la table. Puis il dit : “Ainsi demandons-nous à Dieu d’envoyer les Dix Plaies à tous les ennemis de la loi juive”. Ensuite, ils mangent et, à la fin du repas, le chef de famille s’exclame : “Puissent tous les Gentils périr comme a péri l’enfant dont le sang est contenu dans ce pain et ce vin”.

« Le sang frais (ou séché, ou en poudre) de ceux qui ont été immolés est utilisé par les couples de jeunes mariés juifs, par les juives enceintes, et pour la circoncision, etc. Tous les Juifs talmudiques reconnaissent le meurtre rituel. Le Juif croit se laver de ses péchés en agissant ainsi. »

Il nous est difficile de comprendre comment des mensonges tels que celui-ci pouvaient trouver audience et comment une nation cultivée pouvait lire, assimiler ou croire de telles doctrines. Nous devons réaliser néanmoins que, avec une presse strictement contrôlée qui excluait l’exposé de propagande mensongère, les crédules et les ignorants aient été amenés à y ajouter foi.

Je dépose maintenant comme preuve le document PS-2597, un numéro de Der Stürmer, nº USA-259.

Ce journal, Der Stürmer, était publié par la maison d’édition de l’accusé Streicher. En parlant de la foi juive, Streicher y disait :

« La Sainte Écriture est un horrible roman criminel où fourmillent le meurtre, l’inceste, la fraude et l’indécence. »

Il disait encore :

« Le Talmud est le grand livre des crimes que le Juif commet dans sa vie quotidienne. »

Ce dernier passage est contenu dans le document PS-2598, Der Stürmer, que je dépose maintenant comme preuve sous le nº USA-260.

Cette propagande de haine était trop répandue et trop connue pour qu’on l’approfondisse davantage. Tout au cours du procès on trouvera dans les preuves des documents semblables et même plus injurieux, émanant des accusés eux-mêmes ou de leurs complices.

Lorsque le parti nazi se fut assuré le contrôle de l’État allemand, une arme nouvelle et terrible contre les Juifs fut placée entre leurs mains : le pouvoir de disposer contre eux de la force de l’État. La voie d’exécution en était la promulgation des décrets.

Des immigrants juifs furent dépouillés de leur nationalité : 1933, Reichsgesetzblatt, première partie, page 480 ; décret signé par les accusés Frick et Neurath.

Les Juifs de naissance perdirent leurs droits de citoyen : 1935, Reichsgesetzblatt, première partie, page 1146 ; décret signé par l’accusé Frick.

Il fut interdit aux Juifs de se marier ou d’avoir des relations extra-matrimoniales avec des personnes de sang allemand : 1935, Reichsgesetzblatt, première partie, page 1146 ; décret signé par Frick et Hess.

Les Juifs se virent refuser le droit de vote : 1936, Reichsgesetzblatt, première partie, page 133 ; décret signé par l’accusé Frick.

Les Juifs se virent refuser le droit d’occuper des postes officiels ou administratifs : 1933, Reichsgesetzblatt, première partie, page 277 ; décret signé par l’accusé Frick.

Décision fut prise de donner aux Juifs une situation subalterne en leur refusant les privilèges et les libertés normales. Puis on leur interdit l’accès de certains quartiers de la ville ; certains trottoirs, moyens de transport, lieux de distraction et restaurants leur furent interdits : 1938, Reichsgesetzblatt, première partie, page 1676.

Petit à petit, des mesures de plus en plus sévères furent prises pour leur interdire même l’accès de carrières indépendantes de l’État. Ils furent exclus de la profession de dentiste : 1939, Reichsgesetzblatt, première partie, page 47 ; décret signé par l’accusé Hess.

L’exercice des professions juridiques leur fut refusé : 1939, Reichsgesetzblatt, première partie, page 969 ; décret signé par les accusés Frick et Hess.

Ils ne furent plus autorisés à occuper un emploi dans la presse et la radio : 1939, Reichsgesetzblatt, première partie, page 661.

Ils furent évincés de la Bourse et des affaires de change : 1934, Reichsgesetzblatt, première partie, page 169, et même de l’agriculture : 1933 ; Reichsgesetzblatt, première partie, page 685.

En 1938, ils furent exclus des affaires en général et de la vie économique de l’Allemagne : 1938, Reichsgesetzblatt, première partie, page 1580 ; décret signé par l’accusé Göring.

Les Juifs étaient obligés de payer des impôts particuliers et des amendes énormes. Leurs maisons, leurs comptes en banque, leurs biens immobiliers et leurs biens insaisissables furent confisqués.

J’arrête cette énumération de décrets pour parler spécialement de ces amendes ; je dépose le document PS-1816 (USA-261). C’est un compte rendu sténographié d’une conférence présidée par l’accusé Göring, assisté de l’accusé Funk, entre autres, et tenue le 12 novembre 1938, à 11 heures, au ministère de l’Air du Reich.

Je cite les paroles de l’accusé Göring, aux pages 8 et 9, section 7 :

« Encore une question, Messieurs ; comment pensez-vous que se présenterait la situation si je vous annonçais aujourd’hui que la juiverie doit payer une amende d’un milliard ? »

Je cite encore la page 22 de la traduction anglaise :

« Je terminerai par ces mots : la juiverie allemande, en punition de ses abominables crimes, etc. payera une amende d’un milliard. Cela fera l’affaire ; ces cochons ne commettront pas d’autres crimes. J’aime à répéter que je n’aimerais pas être Juif, en Allemagne. »

C’étaient des boutades de ce genre qui étaient à l’origine des décrets ; en effet, à la suite de cette conférence, un décret fut promulgué, infligeant aux Juifs allemands une amende de 1 milliard de Reichsmark : 1938, Reichsgesetzblatt, première partie, page 1579 ; décret signé le 12 novembre par l’accusé Göring.

On trouve de semblables décrets dans le Reichsgesetzblatt de 1939, première partie, page 282, avec les signatures de l’accusé Göring, et dans celui de 1941, première partie, page 722, avec celles de Frick et Bormann.

Finalement, en 1943, les Juifs furent exclus du domaine de la protection légale par un décret que signèrent Frick, Bormann et d’autres, et la police devint le seul arbitre des châtiments et de la mort : 1943, Reichsgesetzblatt, première partie, page 372.

Je prie le Tribunal de bien vouloir accorder valeur probatoire aux décrets que je viens de citer.

En même temps que ces décrets étaient promulgués et exécutés, le Parti et l’État placé sous son contrôle brandissaient encore une autre arme ; le boycottage, officiel et ouvertement encouragé, de tous les Juifs. Je dépose maintenant le document PS-2409, journal de Joseph Goebbels (USA-262), et j’attire l’attention du Tribunal sur la page 290 où il a écrit à la date du 29 mars 1933 – le Tribunal trouvera la citation au haut de la page 1 de la traduction du PS-2420 :

« La motion de boycottage est approuvée par le Cabinet tout entier. »

De nouveau, le 31 mars 1933, il écrivait, page 1, première phrase du paragraphe 2 :

« Nous avons une dernière discussion en très petit comité et décidons que le boycottage commencera demain d’une façon très sérieuse. »

L’accusé Streicher et l’accusé Frank, ainsi que Himmler, Ley et quelques autres, étaient membres d’un comité central qui dirigea le boycottage des Juifs en 1933. Les noms figurent dans le document PS-2156, « Correspondance du parti national-socialiste », 29 mars 1943 (USA-263).

Dès 1933, les Juifs furent victimes d’actes de violence. Des nazis en uniforme firent irruption dans les synagogues pendant les offices ; les assistants furent attaqués et des insignes et emblèmes religieux furent profanés. La dépêche officielle du Consul général américain à Leipzig en date du 5 avril 1933 contient une relation de cet événement.

Je dépose comme preuve le document PS-2709.

LE PRÉSIDENT

Pourquoi avez-vous cité le 2156 ?

COMMANDANT WALSH

Seulement pour montrer que les noms des accusés Streicher et Frank figurent parmi ceux des membres du comité de boycottage.

LE PRÉSIDENT

Je comprends.

COMMANDANT WALSH

Le document PS-2709 porte le nº USA-265. Je cite le paragraphe 1 de la page 1 :

« Il y a quelques semaines, à Dresde, des nazis en uniforme ont fait irruption dans un lieu de prières juif, interrompu le service religieux du soir, arrêté 25 fidèles et déchiré les insignes et emblèmes sacrés qu’ils portent pour la prière sur leurs coiffures. »

Au cours d’une réunion tenue ici, à Nuremberg, l’accusé Streicher et le bourgmestre de la ville, Liebel, révélèrent aux membres de la presse allemande assemblés que la synagogue de Nuremberg allait être détruite.

Je dépose comme preuve le document PS-1724 (USA-266) ; c’est un compte rendu de la réunion, daté du 4 août 1938. Je cite la traduction de la page 1, paragraphe 4, de l’original :

« Démolition de la synagogue. (Information à ne pas encore divulguer.) La démolition de la synagogue commencera le 10 août 1938 à 10 heures du matin. Le Gauleiter Julius Streicher mettra lui-même en marche la grue qui servira à renverser les symboles juifs : étoile de David, etc. Il faudrait faire les choses en grand. Nous n’avons pour l’instant aucun autre détail. »

L’accusé Streicher surveilla lui-même la démolition.

Pour compléter cette preuve, je dépose le document PS-2711 ; c’est un compte rendu de journal du 11 août 1938 (USA-267). Voici le paragraphe 1 de la traduction :

« On détruit la synagogue de Nuremberg. Julius Streicher inaugure lui-même les travaux par un discours de plus d’une heure et demie. Puis, sur son ordre – prélude, pour ainsi dire de la démolition – l’énorme étoile de David fut arrachée de la coupole. »

Ces violences n’étaient pas des manifestations locales d’antisémitisme ; elles étaient dirigées et ordonnées par un état-major centralisé à Berlin, comme en font foi une série de télétypes, messages émanant du Quartier Général de la Police secrète d’État à Berlin et adressés aux chefs de la Police dans toute l’Allemagne, le 10 novembre 1938 ; ils contenaient des instructions relatives aux manifestations organisées.

Je me réfère maintenant au document PS-3051, déjà présenté comme preuve sous le nº USA-240. Je citerai, dans la traduction, les passages principaux de ces ordres confidentiels signés par Heydrich ; c’est à la deuxième moitié de la page 2.

« En raison de l’attentat dont a été victime à Paris, en cette nuit du 9 au 10 novembre 1938, le secrétaire de légation vom Rath, on s’attend à ce que des manifestations contre les Juifs aient lieu dans tout le Reich. Les instructions suivantes indiquent la conduite à tenir en face de ces événements :

« 1. Les chefs de la Police d’État, ou leurs adjoints, doivent rester en contact par téléphone avec les chefs politiques de leurs districts et organiser une rencontre avec l’inspecteur ou le chef de la Police d’ordre compétent, pour discuter de la façon dont seront réglées ces manifestations. Au cours de ces discussions, les chefs politiques seront informés du fait que la Police allemande a reçu du Reichsführer SS et chef de la Police allemande les instructions suivantes, auxquelles les chefs politiques devront se conformer :

« a) Seules seront prises les mesures qui ne mettront en danger ni vies ni biens allemands. (Par exemple, le feu ne sera mis aux synagogues que s’il n’y a aucun danger d’incendie pour le voisinage.)

« b) Les entreprises des Juifs, leurs logements, pourront être détruits mais non pillés. Ordre est donné à la Police de veiller à ce que ces dispositions soient observées, et d’arrêter les pillards. »

Nous avons vu que la campagne contre les Juifs, l’une des doctrines fondamentales du Parti et de l’État nazi fut une progression ascendante et graduelle. La flamme du mal avait été allumée et attisée. Les Allemands ont été endoctrinés sur une vaste échelle et l’on a semé les graines de la haine. L’État allemand est armé maintenant et prêt à la conquête ; il peut en toute tranquillité ignorer l’opinion mondiale. Déjà 200.000 Juifs ont été chassés d’Allemagne, sur les 500.000 qui s’y trouvaient naguère. L’État allemand s’est donc enhardi sous le contrôle nazi, et Hitler, anticipant sur les guerres d’agression déjà projetées, songe au « bouc émissaire » auquel on pourrait imputer la faute de la catastrophe à venir. Son discours prononcé devant le Reichstag le 10 janvier 1939, figure dans le document PS-2663 que je dépose maintenant comme preuve sous le nº USA-268. J’en cite un bref extrait :

« Si les Juifs de la finance internationale, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Europe, parviennent à plonger une fois de plus les nations dans une guerre mondiale, le résultat ne sera pas la bolchévisation du Monde et la victoire d’Israël, ce sera la suppression de la race juive en Europe. »

LE PRÉSIDENT

Nous suspendons l’audience dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Major Walsh, pourriez-vous lire plus lentement et plus clairement les numéros PS car nous n’avons pas les numéros USA. Cela serait utile pour le Tribunal.

COMMANDANT WALSH

Bien, Votre Honneur.

Le rédacteur en chef de l’organe officiel des SS Das schwarze Korps exprimait, le 8 août 1940, des sentiments semblables. Je dépose comme preuve le document PS-2668 (USA-270) et je cite la traduction complète de la page 2 de l’original :

« De même que la question juive ne sera pas résolue pour l’Allemagne tant que le dernier Juif n’aura pas été déporté, de même le reste de l’Europe réalisera que la paix allemande tant attendue doit être une paix sans Juifs. »

Les personnalités officielles du Parti et de l’État n’étaient pas les seules à émettre de semblables opinions. Je cite un passage de Weltkampf, revue dans laquelle écrivait l’accusé Rosenberg. Je présente comme preuve la page 71 des cahiers 1 et 2 (avril-septembre 1941) ; c’est le document PS-2665 (USA-270) : « La question juive ne sera pas résolue tant que le dernier Juif n’aura pas quitté le continent européen. »

Le Tribunal se rappellera que M. Justice Jackson avait mentionné la note d’excuse contenue dans le journal de Hans Frank ; je la cite, à la page 1 de la traduction du document PS-2233 (c) (USA-271) :

« Il est certain que je n’ai pas pu me débarrasser de toute la vermine et de tous les Juifs en une seule année. Mais avec le temps, et surtout si vous voulez m’aider, j’y arriverai. »

Puisque cet exposé n’entend pas nécessairement retracer dans l’ordre chronologique l’évolution de la condition du peuple Juif, nous pourrions marquer un temps d’arrêt et examiner la situation à ce moment donné. Nous voyons que le parti nazi et l’État placé sous son contrôle ont exprimé clairement leurs intentions, par écrit et oralement, par décrets et par actes officiels : les Juifs doivent être éliminés.

Comment procèdent-ils pour atteindre ce but ? Il fallait d’abord recenser tous les Juifs et dans la mesure où le système appliqué aux Juifs fut un corollaire de l’agression allemande, le faire non seulement à l’intérieur du Reich mais aussi au fur et à mesure dans les territoires occupés. Par exemple en Allemagne, le décret de recensement fut signé le 23 juillet 1938 par l’accusé Frick (Reichsgesetzblatt 1938, première partie, page 922) ; en Autriche, le 29 avril 1940 (Reichsgesetzblatt 1940, volume I, page 694) ; en Pologne, le 5 octobre 1939 (Kurjer Krakowski) ; en France, le 30 septembre 1940 (Journal Officiel nº 9, page 92) ; en Hollande, le 10 janvier 1941, par l’accusé Seyss-Inquart (Verordnungsblatt 1941, nº 6).

Ensuite, il fallait isoler les Juifs dans des zones réservées, des ghettos et les y concentrer. Cette politique fut établie avec soin ; peut-être la déclaration confidentielle trouvée dans les archives de l’accusé Rosenberg fournira-t-elle une illustration précieuse de cette matière.

Je présente comme preuve un exemplaire du mémorandum provenant des archives de l’accusé Rosenberg et intitulé « Directives sur la question juive » ; c’est le document PS-212 (USA-272). Je cite un passage du haut de la page 2 de la traduction :

« Le premier des buts principaux visés par les mesures allemandes est la stricte mise à l’écart des Juifs. Les mesures préliminaires comporteront tout d’abord le recensement de la population juive ou toute autre mesure appropriée. »

Je continue à la page 2, deuxième phrase du deuxième paragraphe :

« Tout droit de liberté doit être retiré aux Juifs. On doit les mettre dans des ghettos et en même temps séparer les hommes des femmes. L’existence, en Ruthénie Blanche et en Ukraine, de colonies juives plus ou moins fermées facilite la tâche. Il faut, de plus, choisir des endroits qui permettent d’utiliser au maximum la main-d’œuvre juive en cas de besoin. Ces ghettos peuvent être administrés par un gouvernement autonome juif et des fonctionnaires juifs. Toutefois, c’est à la Police qu’est dévolue la garde des abords du ghetto.

« De même, dans les cas où il serait impossible d’établir un ghetto, il faut veiller, par de strictes prohibitions et toutes mesures nécessaires, à mettre fin aux mélanges de sang entre Juifs et autres membres de la population. »

En mai 1941, Rosenberg prit, en sa qualité de ministre du Reich pour les Territoires de l’Est, des dispositions tendant à confiner les Juifs d’Ukraine dans des ghettos. Je dépose comme preuve le document PS-1028 (USA-273) et je cite la première phrase de la traduction :

« Après le retrait des Juifs de toutes les fonctions publiques, c’est l’institution de ghettos qui résoudra définitivement le problème juif. »

Les principes exprimés dans ce mémorandum Rosenberg prouvent que les mesures prises n’étaient pas le fait d’initiatives individuelles. C’était la politique expresse de l’État. L’accusé von Schirach joua son rôle dans le programme de généralisation de l’emploi des ghettos. Je dépose comme preuve le document PS-3048 (USA-274) : le 14 septembre 1942, l’accusé von Schirach parla devant les membres du Congrès de la Jeunesse européenne, tenu à Vienne, et je cite la deuxième colonne de la page 2 de l’édition viennoise du Völkischer Beobachter du 15 septembre :

« Tout Juif qui exerce une influence en Europe est un danger pour la culture européenne. Si quelqu’un me reproche d’avoir chassé de cette ville, qui fut jadis la grande capitale européenne de la juiverie, des dizaines et des dizaines de milliers de Juifs, vers les ghettos de l’Est, je me vois obligé de répondre : “Je considère cet acte comme une contribution à la culture européenne”. »

Un des plus grands ghettos était celui de Varsovie. Le rapport original fait par le général SS Stroop sur ce ghetto a pour titre : « Le ghetto de Varsovie n’est plus. » S’il plaît au Tribunal, je dépose cette pièce comme preuve et je demande la permission de m’y référer plus tard au cours de cet exposé. C’est le document USA-275 (PS-1061) ; la phrase que je cite maintenant se trouve en haut de la page 3 de la traduction :

« Le ghetto qu’on avait créé à Varsovie était habité par 400.000 Juifs environ. Il comprenait 27.000 appartements de deux pièces et demie en moyenne. Pour le séparer du reste de la ville, on avait élevé des murs et des cloisons, on avait bouché les rues, les fenêtres, les portes, les espaces libres, etc. »

On peut se faire une idée des conditions qui régnaient dans les ghettos si l’on pense que six personnes en moyenne vivaient dans chaque pièce. Un rapport du SS Brigadeführer de l’Einsatzgruppe A, daté du 15 octobre 1941 et envoyé à Himmler, donne de plus amples détails sur l’établissement et le fonctionnement des ghettos. Je le dépose comme preuve sous le nº USA-276 ; c’est le document L-180. Je cite le deuxième paragraphe à partir du bas de la page 9, dans la traduction :

« En plus des mesures d’organisation et d’exécution, la création de ghettos fut entreprise dans les grandes villes, dès les premiers jours de notre entrée en scène. Le besoin s’en faisait particulièrement sentir à Kovno, car sur un chiffre total de 152.400 habitants, il y avait 30.000 Juifs. » Je cite encore le dernier paragraphe de la page 9, qui se continue à la page 10 :

« À Riga, le faubourg dit “de Moscou” fut choisi comme ghetto. C’est le plus mauvais quartier de Riga ; il était déjà habité presque uniquement par des Juifs. Le transfert des Juifs dans la zone du ghetto fut assez difficile, car les Lituaniens qui habitaient là durent être évacués, et il y a pénurie de logements à Riga. Sur les 28.000 Juifs environ restés à Riga, 24.000 sont dès à présent dans le ghetto. Au cours de l’établissement des ghettos, la Police de Sûreté s’est bornée à de simples actions de police, tandis que l’installation et l’administration, ainsi que l’organisation du ravitaillement, furent laissées aux fonctionnaires civils ; le soin d’employer la main-d’œuvre juive fut laissé aux bureaux de placement.

« On établira également des ghettos dans les autres villes où habite un plus grand nombre de Juifs. »

Certains Juifs furent contraints aussi d’aller dans des ghettos de la province polonaise de Galicie.

Mon vocabulaire n’est pas assez riche pour donner une impression exacte des conditions de vie telles qu’elles sont exposées dans le rapport de Katzmann, Generalleutnant de la Police, en date du 3 juin 1943, adressé à Krüger, général de la Police dans l’Est et intitulé « Solution du problème juif en Galicie. » Je dépose le document L-18 sous le nº USA-277. Plaise au Tribunal. Je citerai d’abord les trois dernières phrases de la page 2 de la traduction, c’est-à-dire les trois dernières phrases précédant celle-ci : « Les conditions que nous avons trouvées dans les ghettos de Rawa-Ruska et Rothatyn étaient tout simplement catastrophiques. » C’est huit lignes environ avant le bas de la page :

« Dans la crainte d’être évacués, les Juifs de Rawa-Ruska avaient caché dans des souterrains ceux d’entre eux qui étaient atteints du typhus exanthématique. Lorsque l’évacuation dut commencer, la police découvrit que 3.000 Juifs environ étaient atteints de cette maladie dans ce ghetto. Pour détruire aussitôt ce foyer d’infection, on fit entrer en action tous les officiers de police vaccinés contre le typhus exanthématique. Nous parvînmes ainsi à crever cet abcès sans perdre plus d’un seul policier.

« Les mêmes conditions ou à peu près régnaient à Rothatyn. »

Je désire encore faire une citation dans ce même document L-18, au dernier paragraphe de la page 19 :

« Ayant reçu des rapports de plus en plus alarmants aux termes desquels les Juifs s’armaient de plus en plus, nous passâmes à l’action pendant la dernière quinzaine de juin 1943, dans tout le district de Galicie, avec l’intention de prendre des mesures draconiennes pour mettre fin au gangstérisme juif. Des mesures spéciales s’avérèrent nécessaires pour dissoudre le ghetto de Lwow où avaient été transportés les malades trouvés dans les souterrains et dont nous avons parlé plus haut. Pour éviter des pertes de notre côté, nous avons dû agir brutalement dès le début ; nous avons dû faire sauter ou brûler plusieurs maisons. Et nous avons eu la surprise de prendre 20.000 Juifs et non 12.000, ce dernier chiffre étant celui du recensement. Nous avons dû sortir environ 3.000 cadavres de Juifs des endroits où ils s’étaient cachés : ils s’étaient suicidés ou avaient avalé du poison. »

Je lis le troisième paragraphe de la page 20 de ce document :

« En dépit de la tâche extrêmement lourde dévolue à chaque officier de la Police et des SS au cours de ces actions, le moral des hommes fut extraordinairement bon et leur attitude digne d’éloges, du premier jusqu’au dernier jour. »

Ces actions, qui consistaient à déplacer et à massacrer les gens, n’étaient pas absolument dénuées de profit. L’auteur de ce rapport dit, au dernier paragraphe de la page 9 de cette traduction, et je cite :

« En même temps que nous évacuions, nous avons confisqué les biens juifs, en grande quantité, et nous les avons remis à l’Einsatzkommando “Reinhard”. Ont été confisqués et transmis à l’Einsatzkommando “Reinhard” en plus des objets textiles et d’ameublement (je voudrais lire quelques-uns des nombreux articles énumérés) :

« 20,952 kgr. d’alliances en or, 7 collections de timbres au complet, 1 valise remplie de couteaux de poche, 1 panier rempli de stylos et stylomines, 3 sacs de bagues sans grande valeur, 35 wagons de fourrures. »

Je n’importunerai pas le Tribunal avec les listes détaillées d’objets de valeur et de sommes d’argent confisquées, mais j’ai cité celle-ci pour démontrer l’intégralité du pillage de ce peuple sans défense, pillage allant jusqu’à 11,730 kgr. de dents et de plombages en or.

À la fin de 1942, les Juifs du Gouvernement Général de Pologne avaient été confinés dans cinquante-cinq localités, là où, avant l’invasion allemande, il y avait eu approximativement 1.000 colonies juives. Cette information est donnée par la Gazette officielle du Gouvernement Général, nº 94, page 665, 1er novembre 1942.

Les Juifs recensés et confinés dans les ghettos formaient une réserve de travailleurs esclaves. Il est important, je crois, de souligner ici quelle différence il y a entre la main-d’œuvre esclave et les travailleurs obligatoires : ces derniers étaient dédommagés de manière raisonnable, ils avaient des heures de travail fixes, ils étaient l’objet d’une surveillance médicale et bénéficiaient de mesures de sécurité, tandis que les premiers n’avaient aucun de ces avantages, étant en fait traités beaucoup plus durement que des esclaves.

L’accusé Rosenberg, en sa qualité de ministre pour les Territoires occupés de l’Est, créa dans ses services un département chargé, entre autres choses, d’apporter au problème juif une solution basée sur le travail forcé. Ses plans nous sont fournis par le document PS-1024, que je dépose comme preuve sous le nº USA-278. Je cite ce document intitulé « Organisation et tâches d’un Service central pour l’examen des problèmes relatifs aux territoires européens de l’Est », daté du 29 avril 1941. Le bref extrait que je lis se trouve à la première partie du troisième paragraphe de la page 1 :

« Il faut prendre des mesures générales afin de donner au problème juif une solution temporaire (travail forcé pour les Juifs, création de ghettos, etc.). »

Là-dessus, il donna des instructions pour que les Juifs soient affectés et utilisés aux travaux manuels, et je me réfère au document PS-212, déjà déposé sous le nº USA-272 ; je cite, à la page 3 de ce document, les paragraphes 5 et 7 :

« La règle de base pour l’emploi de la main-d’œuvre juive est celle-ci : tirer parti absolument et sans merci de cette main-d’œuvre, sans considération d’âge, pour les travaux de reconstruction dans les territoires occupés de l’Est.

« Toute violation de mesures prises par les Allemands, en particulier des règlements du Travail obligatoire, doit être sanctionnée, lorsque le délinquant est Juif, par la peine de mort. »

La main-d’œuvre juive était sélectionnée dans les ghettos, puis était envoyée dans un camp de concentration. Là, « les Juifs utilisables » étaient séparés de ceux que l’on considérait comme inutiles. Par exemple, un contingent de 45.000 Juifs donnait environ de 10.000 à 15.000 travailleurs utilisables. Je fonde cette affirmation sur le texte d’un télégramme envoyé à Himmler par le RSHA, le 16 décembre 1942, et qui porte les mentions « Urgent » et « Secret ». Je dépose comme preuve ce document PS-1472 sous le numéro USA-279 et j’en cite les quatre dernières lignes, dans la traduction :

« Dans le total de 45.000 sont inclus les Juifs diminués physiquement (vieillards et enfants). En tenant compte de ces circonstances, 10.000 à 15.000 travailleurs au moins seront disponibles lorsque les Juifs arriveront à Auschwitz. »

Dans le document L-18, un rapport du Generalleutnant de la Police, Katzmann, adressé au général de la Police dans l’Est, Krüger, déjà déposé comme preuve sous le nº USA-277, nous trouvons des indications très nettes sur la nature du travail forcé auquel étaient astreints les Juifs. Je commence à lire le paragraphe 6 de la page 2 de la traduction :

« Le meilleur remède consistait à faire établir par les chefs de la SS et de la Police, des camps de travail forcé. Une excellente occasion était fournie par la nécessité de terminer la route DG 4 ; c’était une route qui se trouvait en très mauvais état, extrêmement importante et indispensable à toute la partie sud du front. Le 15 octobre 1941, les premiers camps furent établis le long de la route, et, en dépit des difficultés considérables qui surgirent, après quelques semaines, il y avait 7 camps contenant 4.000 Juifs. »

Je lis maintenant le paragraphe 7 de la page 2 :

« Bientôt, d’autres camps suivirent les premiers, de telle sorte qu’après un délai très court, on put annoncer au chef suprême de la SS et de la Police que quinze de ces camps étaient établis. 20.000 travailleurs juifs environ y passèrent. En dépit de difficultés presque inimaginables, je puis annoncer aujourd’hui qu’environ 160 kilomètres de route ont été faits. »

Je lis le paragraphe 8 de la page 2 :

« En même temps, tous les autres Juifs aptes au travail furent recensés et répartis par les bureaux de placement à des fins de travail utile. »

La dernière partie du paragraphe 1 de la page 5…

LE PRÉSIDENT

N’allez-vous pas lire le reste de ce paragraphe, page 2 ?

COMMANDANT WALSH

C’est un document très long ; je ne voulais pas en encombrer le procès-verbal et j’en ai extrait certains passages ; mais je suis prêt à le lire si vous le désirez.

LE PRÉSIDENT

« Ainsi, par exemple, l’administration municipale de Lwow ne réussit pas dans ses efforts pour concentrer les Juifs dans une zone séparée qui serait habitée par eux seuls. Cette question, elle aussi, fut résolue rapidement par le chef de la SS et de la Police, qui fit agir ses subordonnés. »

COMMANDANT WALSH

Avec la permission du Tribunal, j’ajouterai ceci au procès-verbal. Je lis le dernier paragraphe de la page 2 :

« Lorsque les Juifs furent marqués de l’étoile de David, et lorsqu’ils furent recencés par les bureaux de placement, ils essayèrent de tourner les ordres des autorités. Les mesures que ceci entraîna conduisirent à des milliers d’arrestations. Il devint de plus en plus évident que l’administration civile n’était pas en état de résoudre le problème juif d’une manière à peu près satisfaisante. Ainsi, par exemple, l’administration municipale de Lwow n’a pas réussi dans ses efforts pour concentrer les Juifs dans une zone séparée qui serait habitée par eux seuls. Cette question, elle aussi, fut résolue par le chef des SS et de la Police, qui fit agir ses subordonnés. Cette mesure devenait des plus urgentes car, au cours de l’hiver de 1941, des foyers importants de typhus exanthématique furent signalés en de nombreux points de la ville. »

Je lis maintenant la dernière moitié du paragraphe 1 de la page 5, du document L-18 :

« Au cours du transfert des Juifs dans un quartier spécial de la ville, on procéda à plusieurs filtrages qui permirent de saisir les Juifs inassimilables et ceux qui se refusaient au travail et de les soumettre à un traitement spécial.

« Étant donné que près de 90 % des artisans travaillant en Galicie étaient des Juifs, cette tâche ne put être accomplie que petit à petit, car une évacuation immédiate n’aurait pas servi les intérêts de l’Économie de Guerre. »

Je cite encore, à la page 5, la fin du paragraphe 2 :

« Dans certains cas, des Juifs, afin d’obtenir un certificat de travail, non seulement renonçaient à toucher un salaire, mais encore payaient une somme d’argent. Bien plus, les combinaisons juives profitables aux employeurs atteignirent des proportions tellement catastrophiques que l’on jugea nécessaire d’intervenir avec toute l’énergie voulue dans l’intérêt du nom allemand.

« L’administration n’étant pas en état de venir à bout de ce chaos et s’étant avérée trop faible pour cela, le chef des SS et de la Police assuma entièrement la direction de la main-d’œuvre juive. Les bureaux de placement juifs, tenus par des centaines de Juifs, furent fermés. Tous les certificats de travail par des entreprises ou des administrations furent déclarés sans validité et les cartes données aux Juifs par les bureaux de placement furent validées à nouveau par les bureaux de la Police qui y apposèrent un tampon de contrôle.

« À cette occasion, de nouveau, on prit des milliers de Juifs qui étaient en possession de faux certificats ou qui avaient obtenu sous de faux prétextes, subrepticement, des certificats de travail. Ces Juifs subirent également un traitement spécial. »

Plaise au Tribunal. Je voudrais montrer maintenant un film très court, qui est peut-être une des pièces les plus extraordinaires de celles qui seront produites au cours de ce Procès, et demander au commandant Donovan de le commenter.

LE PRÉSIDENT

L’audience doit-elle être suspendue ?

COMMANDANT WALSH

Non, Votre Honneur. Le film est extrêmement court.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

COMMANDANT DONOVAN

Plaise au Tribunal. Les États-Unis déposent maintenant comme preuve, sous le nº USA-280, le document PS-3052, intitulé : « Film allemand original (8 mm.) sur les atrocités commises contre les Juifs ».

C’est une bande d’images prises, je crois, par un membre des SS, et saisie par les Forces armées américaines dans une caserne des environs d’Augsbourg, Allemagne, comme l’indiquent les affidavits déjà déposés.

Nous n’avons pu déterminer absolument dans quel secteur ces films ont été pris, mais nous estimons que c’est sans grande importance.

Le film apporte une preuve indéniable, donnée par les Allemands eux-mêmes, de la brutalité presque incroyable dont furent victimes les Juifs sous la férule des nazis, militaires allemands y compris.

Le Ministère Public pense qu’il s’agit de la liquidation d’un ghetto par des agents de la Gestapo, assistés d’unités militaires. Et, comme le montrera l’autre preuve que doit déposer le Ministère Public, la scène présentée au Tribunal s’est probablement reproduite un millier de fois dans l’Europe entière, lorsque régnait la terreur nazie.

Ce film a été pris avec un appareil d’amateur, de 8 mm. Nous ne l’avons pas reproduit ; nous représenterons donc l’original auquel on n’a pas touché depuis que nos troupes l’ont saisi. Manifestement, ces images ont été prises par un photographe amateur. À cause de cela, et étant donné qu’une partie de ce film a été brûlée, que la durée de sa présentation ne dépasse pas une minute et demie et que les personnages s’agitent confusément, nous ne pensons pas que le Tribunal puisse apprécier cette preuve à sa juste valeur si le film ne passe qu’une fois. Nous sollicitons donc du Tribunal la permission de le projeter deux fois, comme nous l’avons fait devant les avocats de la Défense.

C’est un film muet ; il a été mis à la disposition de tous les avocats, et chacun d’entre eux possède un exemplaire traduit en allemand des affidavits qui étayent l’accusation.

(Projection du film.)

Plaise au Tribunal. Tandis que l’on enroule le film, je tiens à signaler qu’une description de chacune des images de ce film est attachée au texte des affidavits déposés. J’en lirai maintenant quelques extraits, avec la permission du Tribunal, avant que le film ne passe pour la seconde fois, de manière à attirer l’attention du Tribunal sur certaines des scènes.

Scène nº 2 : une jeune fille nue traverse la cour en courant.

Scène nº 3 : une femme âgée que l’on pousse brutalement passe devant l’objectif, et un homme en uniforme de SS se tient à droite de la scène.

Scène nº 5 : un homme, portant une calotte, et une femme sont brutalisés.

Scène nº 14 : une femme demi-nue se fraie un passage en courant à travers la cour.

Scène nº 15 : une autre femme à moitié nue sort de la maison en courant.

Scène nº 16 : deux hommes traînent dehors un vieillard.

Scène nº 18 : un homme en uniforme de soldat allemand regarde la scène ; il tourne le dos à l’objectif.

Scène nº 24 : vue générale de la rue, montrant des corps étendus et des femmes nues qui se sauvent.

Scène nº 32 : vue de rue montrant cinq corps gisant à terre.

Scène nº 37 : un homme dont la tête saigne est frappé à nouveau.

Scène nº 39 : un soldat en uniforme allemand, portant un fusil, se tient près d’un attroupement provoqué par un homme qui sort d’une maison.

Scène nº 44 : un soldat armé d’un fusil, portant un uniforme militaire allemand, dépasse une femme qui serre sur elle une blouse déchirée.

Scène nº 45 : une femme est traînée par les cheveux à travers la rue.

(Deuxième présentation du film.)

Nous soumettons au Tribunal cette bande de 8 mm. pour être consignée dans le procès-verbal définitif.

COMMANDANT WALSH

À partir de ce moment, il devient difficile de suivre l’ordre chronologique ou une ligne bien établie. Les documents sont si nombreux, leur contenu tellement terrifiant, que le Ministère Public n’essaiera pas d’analyser ces crimes au cours de ce bref exposé. Toutefois, des documents sélectionnés révéleront les détails de ces crimes.

Avant d’aborder la question des moyens utilisés pour atteindre le but final, c’est-à-dire l’extermination du peuple juif, je me reporte maintenant à cette source fertile de preuves qu’est le journal de Hans Frank, alors Gouverneur Général de la Pologne occupée. Au cours d’une séance de Cabinet, tenue le mardi 16 décembre 1941 au Palais du Gouvernement de Cracovie, l’accusé Frank fit un discours de clôture. Je dépose comme preuve cette partie du document PS-2233 (d) (USA-281) identifié CV-1941, octobre à décembre ; je cite le passage allant de la ligne 10, page 76, à la ligne 33, page 77 de l’original et de la traduction intégrale :

« En ce qui concerne les Juifs, je veux vous dire très franchement qu’il faut s’en débarrasser d’une manière ou d’une autre. Le Führer a dit un jour : “Si les Juifs s’unissaient de nouveau pour provoquer une guerre mondiale et réussissaient à la déclencher, ce n’est pas seulement le sang des nations entraînées par eux dans la guerre qui coulerait : ce serait la fin des Juifs en Europe”. Je sais que bien des mesures prises actuellement contre les Juifs dans le Reich sont un objet de critique. Intentionnellement, on essaye de parler de cruauté, de hargne, etc. ainsi que le prouvent les enquêtes menées sur le moral de la population. Avant de continuer, je réclame votre assentiment au sujet de la formule suivante : Nous ne serons pitoyables qu’au peuple allemand et à personne d’autre au monde. Les autres non plus n’ont pas pitié de nous. Étant national-socialiste de la première heure, je dois dire : cette guerre ne serait qu’un succès partiel si toute la juiverie survivait, alors que nous aurions versé le meilleur de notre propre sang pour sauver l’Europe. Mon attitude envers les Juifs se basera donc seulement sur l’espoir de les voir disparaître. Il faut s’en débarrasser. Je suis en pourparlers pour leur déportation vers l’Est. Une grande discussion à ce sujet aura lieu en janvier à Berlin ; j’y déléguerai le secrétaire d’État, Dr Bühler. Cette conférence sera tenue à la Sûreté du Reich, bureau principal, avec le Generalleutnant SS Heydrich. De toute façon ce sera le début d’une grande migration juive.

« Mais que faire des Juifs ? Doivent-ils, à votre avis, s’établir dans certains villages de l’“Ostland” (Territoires de l’Est) ? C’est ce qu’on nous a dit à Berlin. Pourquoi se donner tant de mal ? Nous ne pouvons rien faire d’eux, ni dans l’“Ostland”, ni dans le “Reichskommissariat”. Alors liquidez-les.

« Messieurs, je vous demande de vous débarrasser de tout sentiment de pitié. Il nous faut annihiler les Juifs, partout où nous les trouvons, partout où nous le pouvons, afin de maintenir l’unité du Reich. Ce but, naturellement, nous l’atteindrons par d’autres méthodes que celles indiquées par le Dr Hummel. Les juges des tribunaux spéciaux ne peuvent eux non plus en être rendus responsables étant donné que la machine de la procédure légale fonctionne dans certaines limites. Des vues aussi démodées ne peuvent cadrer avec des événements aussi gigantesques, aussi uniques. Nous devons, par n’importe quel moyen, trouver un chemin qui nous mène au but vers lequel sont tendues mes pensées et mon activité.

« Les Juifs sont également pour nous des gloutons extraordinairement nuisibles. Nous avons maintenant environ 2.500.000 Juifs dans le Gouvernement Général, peut-être même 3.500.000 en comptant les sang-mêlé juifs et autres gens du même ordre. Nous ne pouvons passer par les armes ou empoisonner ces 3.500.000 Juifs, mais nous saurons néanmoins prendre des mesures en vue de les annihiler d’une façon ou d’une autre ; ces mesures s’accorderont avec celles qui seront prises à une plus grande échelle au cours des conférences avec le Reich. Le Gouvernement Général doit être libéré des Juifs, et le Reich de même. Où et comment, c’est l’affaire des services que nous devrons créer ici ; votre attention sera attirée sur leur activité en temps voulu. »

Plaise au Tribunal. Ce ne sont pas là des plans et des projets individuels ; c’est un haut fonctionnaire de l’État allemand qui s’exprime, le titulaire du poste de Gouverneur Général de la Pologne occupée. Les méthodes employées pour annihiler le peuple juif furent variées et, bien que manquant de subtilité, elles réussirent toujours entièrement.

De temps en temps, j’ai cité certaines paroles et certains actes de l’accusé Rosenberg, en le considérant comme l’un des dirigeants de la politique du parti nazi et de l’État allemand. En toute vraisemblance, l’accusé Rosenberg alléguera que, dans bien des cas, il exécutait les ordres de ses supérieurs. Toutefois j’ai devant moi un document saisi, le PS-001, portant la mention « Secret » et daté du 18 décembre 1941 ; son titre est « Mémoire documentaire pour le Führer. – Objet : Possessions juives en France » (USA-282). J’ose affirmer qu’aucun des documents présentés devant ce Tribunal ne donnera une preuve plus évidente de l’attitude personnelle de l’accusé Rosenberg, de son tempérament, de ses convictions à l’endroit des Juifs, que ce mémorandum très significatif dans lequel, de sa propre initiative, il excite au pillage et au meurtre. Je dépose comme preuve le document PS-001. Voici le texte de ce mémorandum :

« Conformément à l’ordre donné par le Führer pour la protection des biens culturels juifs, un grand nombre d’habitations juives sont demeurées sans surveillance. En conséquence, beaucoup d’objets ont disparu puisqu’il n’y avait aucune garde. Dans tout l’Est, l’administration a trouvé des habitations où les conditions de vie sont terribles, et les chances de déménagement sont si limitées qu’il est impossible de procurer d’autres logements. En conséquence, je prie le Führer d’autoriser la saisie de tout le matériel d’ameublement possédé par les Juifs de Paris qui ont pris la fuite ou partiront sous peu, et celui des Juifs vivant dans toutes les régions de l’Ouest occupé, afin de pallier la carence du matériel d’ameublement ressentie par l’administration dans l’Est.

« 2. Un grand nombre de personnalités dirigeantes juives ont été relâchées, à Paris, après un court interrogatoire. Les attentats à la vie de membres des Forces armées n’ont pas cessé ; ils continuent, au contraire. Cela révèle, sans aucun doute, un plan qui vise à détruire la coopération franco-allemande, à inciter l’Allemagne à exercer des représailles et, par là même, à évoquer une nouvelle défense contre l’Allemagne de la part des Français. Je suggère au Führer qu’au lieu d’exécuter 100 Français, on leur substitue 100 Juifs : banquiers, hommes de loi, etc. Ce sont les Juifs de Londres et de New York qui incitent les Français à commettre des actes de violence et ce n’est que justice, semble-t-il, si les membres de cette race payent pour eux. Ce ne sont pas les petits Juifs, ce sont les Juifs dirigeants qui devraient être tenus pour responsables, en France. Ceci arriverait à éveiller un sentiment anti-juif.

« Signé : A. Rosenberg. »

Dr ALFRED THOMA (avocat de l’accusé Rosenberg)

Puisque M. le Procureur traite maintenant de l’ensemble des charges produites contre mon client, Rosenberg, me sera-t-il permis d’élever une objection en ce qui concerne le document PS-212 (USA-272) ? Le Ministère Public déclare que ce document était une directive émanant du ministre pour les territoires de l’Est et concernant le traitement des Juifs. D’après ce document, il est censé avoir donné des instructions aux termes desquelles la violation des lois du travail obligatoire entraîne la peine de mort. Ce document n’émane pas de l’accusé Rosenberg ; il ne porte ni date, ni adresse, ni signature. Je m’élève en conséquence sur l’assertion selon laquelle ce document émane de l’accusé Rosenberg.

LE PRÉSIDENT

Un instant. Je ne pense pas que le Ministère Public ait dit que ce document, PS-212, émanait de Rosenberg. Je ne l’ai pas entendu ainsi.

Dr THOMA

J’ai compris que ces directives étaient présentées comme émanant du ministre pour les territoires de l’Est. Et si je ne me suis pas trompé, sa date a été donnée également : avril 1941. À cette époque, le ministère pour les territoires de l’Est n’existait pas. Rosenberg ne fut pas nommé à ce poste avant juillet 1941.

LE PRÉSIDENT

Je poserai la question au Ministère Public.

COMMANDANT WALSH

II me semble, Votre Honneur, que ce document PS-212 fait partie des dossiers de Rosenberg qui ont été saisis.

Dr THOMA

C’est exact, il a été trouvé parmi les papiers de l’accusé Rosenberg ; l’accusé Rosenberg prétend cependant n’avoir jamais vu ce document, ne rien savoir à son sujet et ne l’avoir jamais eu entre les mains.

LE PRÉSIDENT

Rosenberg, quand il sera appelé comme témoin ou lorsque vous viendrez parler à sa place, pourra dire qu’il n’a jamais vu ce document auparavant. Le Ministère Public a seulement dit – et cela me semble exact – que le document a été trouvé dans les archives de Rosenberg. Vous pourrez dire, ou prouver par le témoignage de Rosenberg, – si vous l’appelez à la barre – qu’il n’a jamais vu ce document. Vous me comprenez ?

Dr THOMA

Oui, je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Il est maintenant cinq heures.

(L’audience sera reprise le 14 décembre 1945 à 10 heures.)