VINGTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 14 décembre 1945.
Audience du matin.
Je me permets de soulever devant le Tribunal deux questions relatives aux preuves présentées hier et à celles qui pourront l’être à l’avenir ; elles concernent le chef d’accusation nº 3 : crimes contre l’Humanité.
Tout d’abord, j’aimerais qu’on supprimât dans le procès-verbal d’hier l’affidavit du témoin Pfaffenberger. Il se peut qu’on ait à interroger contradictoirement ce témoin, son témoignage est en grande partie fragmentaire. Sur de nombreux points, il est impossible de voir s’il fait état d’observations personnelles ou d’assertions qu’il a entendu formuler. C’est pourquoi il n’est que trop facile d’en tirer de fausses conclusions. Le témoin n’a pas dit que le Commandant de camp, Koch et sa femme, aussi inhumaine que lui, avaient été condamnés à mort par un tribunal SS, précisément en raison de ces faits qui n’étaient pas isolés. On pourra arriver à dégager toute la vérité en interrogeant le témoin plus tard au cours du Procès. Jusqu’à ce moment tout le monde, juges, Ministère Public et avocats, restera sous l’impression de ce terrible témoignage. Ce témoignage fait état d’actes si déprimants et si dégradants pour l’esprit humain que l’on voudrait fermer les yeux et se boucher les oreilles. En attendant, de telles déclarations paraissent dans la presse mondiale et c’est à juste titre que la civilisation s’indigne. Les conséquences de ces déclarations prématurées sont incalculables. Le Ministère Public en a certainement compris l’importance et les tristes preuves à l’appui ont été présentées hier au Tribunal. S’il faut attendre des semaines et des mois pour qu’un tel témoignage puisse être redressé, ses premiers effets ne pourront jamais être complètement effacés. La vérité en souffrira, et la justice est mise en danger. Si l’on s’en rapporte à l’article 19 du Statut, de telles choses ne devraient certes pas se produire.
Je me permets ensuite d’ajouter ceci : à cette étape d’accusation, je demanderai qu’on ne lise plus les dépositions de témoins habitant l’Allemagne, et qui peuvent donc comparaître en personne car il s’agit là de faits plus terribles encore que les accusations visant la guerre d’agression puisqu’il s’agit de la torture et de la mort d’êtres humains.
Au début de ce Procès, le Tribunal a refusé d’entendre les dépositions de Schuschnigg, et je pense que ce qui était vrai à l’époque doit l’être encore maintenant.
J’aimerais souligner cette suggestion à l’égard en particulier de l’accusé Kaltenbrunner lui-même, puisque ce n’est qu’au printemps 1943 qu’il devint chef du Bureau central de sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt) et que, d’après le témoignage de la Défense, la plupart sinon toutes ses signatures étaient des faux. D’autre part, toutes les fonctions exécutives de l’administration des camps de concentration et toutes les questions qui s’y rapportaient étaient concentrées dans les mains de Himmler. C’est ce que j’espère pouvoir prouver plus tard. J’en ai parlé afin de justifier mon observation suivante.
Le Tribunal aimerait entendre le représentant du Ministère Public américain.
Plaise au Tribunal. M. Dodd qui s’occupait de cette affaire, est parti hier pour les États-Unis, et je vais devoir le remplacer de mon mieux.
L’acte constitutif qui régit le Tribunal reconnaît qu’en suivant les règles habituelles de procédure, la vie d’un homme ne pourrait suffire à examiner et à juger des milliers d’actes exécutés sur tout un continent pendant une période de dix ans. Nous ne voulons pas que ce Procès, comme celui de Warren Hastings, dure sept ans. En conséquence, l’acte constitutif n’admet une preuve qu’à deux conditions : la première, qu’elle soit pertinente au litige, la deuxième, qu’elle ait une valeur probatoire. L’article 19, tenant compte des difficultés du Tribunal à connaître de ce Procès si l’on y suivait une procédure de droit commun, donne à ces deux conditions un caractère obligatoire. Si l’on a institué un Tribunal Militaire au lieu d’un Tribunal de droit commun, c’est en partie pour éviter de créer ici une jurisprudence applicable dans notre Droit et pour éviter le contrôle jurisprudentiel qui aurait lieu dans une juridiction ordinaire.
L’article 19 dispose que le Tribunal n’est pas lié par les règles habituelles en matière de preuves. Il adoptera et appliquera dans toute la mesure du possible une procédure expéditive et non formaliste et il admettra tout témoignage qu’il estimera avoir une valeur probatoire. Cette dernière règle est impérative. Je crois, Messieurs, que le but de cette règle est le suivant : centrer toute la discussion – et nous ne doutons pas qu’il y ait cause de discussion –, sur la valeur des preuves et non sur leur admissibilité. Il n’y a pas ici de jury, on ne peut donc pas appliquer les règles du jury et lorsqu’on présente une pièce à conviction deux questions se posent : A-t-elle une valeur probante ? Sinon, elle ne doit pas figurer au procès-verbal, bien entendu. Ou bien, est-elle pertinente ? Sinon elle n’a pas à y figurer. Le témoignage dont il s’agit est pertinent, personne ne met cela en doute, personne ne peut dire qu’un affidavit dûment rédigé sous la foi du serment n’a pas de valeur probatoire. Le poids qu’il faut lui accorder doit être déterminé en examinant l’ensemble de la question. C’est-à-dire que si un témoin a fait une déclaration dans un affidavit, et si ses assertions sont niées par Kaltenbrunner et si vous croyez que cette dénégation est fondée, naturellement l’affidavit ne devra pas être pris en considération dans le délibéré final. Mais nous nous occupons ici d’événements couvrant de longues périodes de temps et de grands espaces. Nous avons affaire à des témoins éparpillés au loin et à un état de choses en Allemagne dans lequel les communications sont pour ainsi dire arrêtées.
Si cet affidavit demeure jusqu’à la fin du Procès sans avoir été démenti ou contesté, il n’est pas impossible de penser que le Tribunal le déclarera valable et probant. On pourrait faire la preuve intrinsèque qu’un affidavit n’est pas digne de foi, établir par exemple que le témoin parlait de ce qu’il ne connaissait pas personnellement. Je ne soutiens pas que tout affidavit présenté aura une valeur probatoire uniquement parce que son auteur aura prêté serment, mais il me semble que si nous ne voulons pas retarder le Procès, ce système simplifié, tracé par le Statut et qui a été mûrement pesé, doit être suivi ; il me semble que si un document est présenté sans qu’il remplisse les conditions de forme qui régissent les procédures judiciaires, mais qu’il s’agit de quelque chose qui a une valeur probatoire dans les circonstances ordinaires de la vie, il faut le recevoir comme preuve. Si ce témoignage demeure sans être contesté jusqu’à l’issue du Procès, comme ce sera le cas pour beaucoup, alors il n’y aura pas lieu à contestation et cela évite de faire venir des témoins, ce qui prend un temps indéterminé comme nous l’avons déjà vu. Le témoignage Lahousen qui a duré presque deux jours, aurait pu être présenté en un quart d’heure sous forme de déposition écrite, et contenir tout ce qui était essentiel ; le Tribunal aurait toujours pu en examiner la valeur s’il avait été contesté.
Nous voulons suivre le Statut, il n’y a aucune raison pour ne pas le suivre parce qu’une déposition écrite relate des atrocités. Je crois que l’univers ne pourrait être plus scandalisé par les atrocités provenant de dépositions écrites, qu’il ne l’a été par les documents provenant directement de l’ennemi. Il n’y a pas de raison dans ce cas de se départir des principes essentiels du Statut. Je pense qu’il s’agit ici à la fois d’établir une procédure ordonnée et de gagner du temps. Je pense que le Tribunal devrait admettre des affidavits et nous les avons préparés – nous osons l’espérer avec soin et sans passion –, en lieu de moyens de preuves qui demanderaient des jours et des jours. Je crois pouvoir dire que cette décision sera encore plus importante dans les phases ultérieures de ce Procès que dans le cas particulier de cet affidavit.
Il y a peut-être une autre raison. Nous sommes en face de situations dans lesquelles un membre d’une organisation mise en cause, directement hostile à notre argumentation, parce que l’accusation pourrait l’atteindre au sein de l’organisation incriminée, a rédigé un affidavit ou des affidavits constituant des témoignages à charge. Mais sur d’autres points, il fait des déclarations que nous croyons fausses et non dignes de foi, et nous ne voulons pas nous porter garants de sa bonne foi en général en l’appelant comme témoin, mais nous désirons cependant utiliser ce qu’il a reconnu. Ceci parce que nous devons tirer nos preuves en grande partie de provenance ennemie. Il y a huit mois, toutes les preuves et tous les témoins se trouvaient entre les mains de l’ennemi. C’est d’eux que nous devons tirer la preuve. Dieu seul sait combien il y a d’éléments de preuves dans le monde, que nous n’avons pu atteindre. Nous demandons au Tribunal de suivre le Statut et d’admettre ces affidavits pour la bonne marche de la procédure. S’ils ne sont pas contestés à l’issue du Procès, pas de question ; s’ils le sont, le poids qu’il faut leur accorder est une question que le Tribunal résoudra lors de l’admission définitive.
M. Justice Jackson, je voudrais vous poser trois questions.
La première est : où est Pfaffenberger ?
Je ne sais pas pour l’instant, mais j’essaierai de vous répondre le plus rapidement possible. Actuellement je l’ignore. Si je puis l’apprendre, je vous en informerai après la suspension d’audience.
La deuxième question se rapporte à l’article 16, e du Statut qui envisage le contre-interrogatoire des témoins par la Défense. La seule raison qui pourrait empêcher la déposition écrite des témoins est que la Défense, ne peut, dans ce cas, procéder à un interrogatoire contradictoire.
Je pense que cette clause veut dire très exactement ce qu’elle dit :
Si nous appelons un témoin, la Défense a le droit de le contre-interroger. Si nous ne le citons pas, elle a le droit de le citer s’il peut venir, comme son témoin, mais naturellement elle n’a pas le droit de le contre-interroger. Je fais remarquer à Votre Honneur que la disposition du Statut donne à la Défense le droit de contre-interroger tout témoin cité par l’Accusation, mais n’abroge ni n’affecte l’article 19 qui nous autorise à obtenir et à soumettre tout élément de preuve de nature à hâter les débats.
C’est sur l’article 17, a, que je désire maintenant attirer votre attention. Si j’ai bien compris, vous souteniez qu’il était obligatoire pour le Tribunal de prendre en considération toutes preuves pertinentes. En conséquence, j’attire votre attention sur l’article 17, a, qui donne au Tribunal le pouvoir de convoquer des témoins au Procès.
C’est exact. Je ne pense pas qu’il y ait là la moindre difficulté. Le droit qu’a le Tribunal de convoquer des témoins et de leur poser des questions, a été introduit dans le Statut en conformité avec les systèmes continentaux de jurisprudence. D’ordinaire il n’y a pas de témoins du Tribunal dans notre procédure aux États-Unis. Les témoins sont cités seulement par l’une des parties, mais les juristes continentaux ont suggéré que dans ce cas, puisque nous utilisions une procédure mixte, le Tribunal lui-même devait avoir certaines prérogatives. L’une d’elles consiste à convoquer des témoins, à requérir leur comparution, à leur poser des questions. Je suggère que ce témoin, dont l’affidavit a été admis, soit appelé par le Tribunal, et interrogé au cas où nous pourrions le toucher.
La clause suivante de l’article 17 – et elle est liée à celle-ci – stipule que le Tribunal a le droit d’interroger tout accusé. Bien entendu notre système de procédure ne le permettrait pas, car l’accusé y a le droit absolu de s’abstenir de comparaître comme témoin ; mais, à nouveau par déférence pour le système continental, le Tribunal peut interroger n’importe quel accusé, et les immunités dont jouirait celui-ci d’après la constitution des États-Unis, s’il était poursuivi selon nos lois, ne lui ont pas été accordées.
Je suggère que la parfaite logique de ces dispositions autorise le Tribunal de son plein gré (article 17), à convoquer des témoins, à compléter tout ce qui lui est présenté, à poser n’importe quelles questions aux témoins ou aux accusés.
Si un témoin est cité, le droit à interrogatoire contradictoire ne peut être dénié, mais cela n’abroge pas l’article 19 qui fut introduit pour nous permettre de présenter nos charges devant le Tribunal, de telle sorte que le litige soit ensuite discuté par les accusés et que la valeur de ce que nous présentons soit déterminée au moment de l’examen définitif des preuves.
Finalement, il existe l’article 17, e, qui, votre déclaration me le fait supposer, permettrait au Tribunal, s’il le jugeait à propos, après avoir reçu l’affidavit, de recueillir le témoignage de Pfaffenberger par commission rogatoire.
Oui, je le pense, Votre Honneur. En effet, ceci pourra peut-être surprendre ceux qui ont l’habitude des tribunaux américains, ce fut un des textes les plus débattus pendant l’élaboration du Statut. Nous envisagions l’autorisation donnée à ceux que nous appelons « Masters », d’aller dans différentes communes et de recueillir des témoignages, ne sachant pas ce qui serait nécessaire. Notre habitude de nommer des « Masters in Equity » pour recueillir ces témoignages n’était pas compatible avec la procédure continentale et nous avons finalement établi un compromis, en autorisant des Commissions rogatoires à recueillir des témoignages.
Merci.
Messieurs les Juges, je viens à la barre après mon collègue M. Jackson pour faire ma propre déclaration car je pense que la requête de la Défense est absolument erronée, et doit être repoussée. Nous présentons nos objections à l’examen du Tribunal. Je partage entièrement la position de M. Jackson et de plus je voudrais, Messieurs les Juges, attirer votre attention sur les faits suivants : La Défense, dans sa requête, demande si l’Accusation peut faire état de preuves ou rendre publics des textes contenant des affidavits émanant de personnes qui habitent l’Allemagne. Une telle réclamation n’est pas du tout justifiée de la part de la Défense, car, comme on le sait, la plupart de, ces crimes ont été commis dans toutes les parties de l’Europe. Il n’y a rien d’extraordinaire à ce que des témoins de ces crimes se trouvent dans des pays différents, et le Ministère Public doit évidemment avoir recours au témoignage de ces personnes, qu’il soit écrit ou oral. Messieurs les Juges, nous en sommes au stade du Procès où les atrocités commises par les accusés sur de grands espaces et constituant des crimes de guerre ou des crimes contre l’Humanité, vont être dévoilées. Nous vous présenterons des documents provenant des accusés eux-mêmes, ou des victimes de leurs crimes. Il serait impossible de faire comparaître personnellement tous ces témoins à cette barre et il est donc absolument nécessaire de recueillir des témoignages écrits et des affidavits.
Comme l’a remarqué Monsieur le Président, l’article 17 établit le droit de citer des témoins devant le Tribunal. C’est juste ; l’article 17 fixe cette règle, mais il est impossible de faire comparaître en personne tous les individus qui ont une déposition personnelle à faire au sujet de ces crimes. C’est pour cela que je voudrais encore une fois me référer à l’article 19 du Statut qui stipule : « Le Tribunal ne sera pas lié par des règles formelles de procédure concernant la preuve, il adoptera et appliquera le plus possible une procédure expéditive – je souligne, messieurs, expéditive – et non formaliste et il acceptera toute preuve qu’il estimera avoir une valeur probatoire. »
Je vous demanderai, Messieurs les Juges, de procéder selon cet article qui accepte définitivement les témoignages écrits comme preuves. Voilà ce que je voulais ajouter aux paroles de M. Jackson.
Plaise au Tribunal. Dans la mesure où la Délégation britannique est en cause, elle approuve les paroles du Procureur Général américain, et ne croit pas pouvoir y ajouter utilement quoi que ce soit.
Désirez-vous ajouter quelque chose ?
Je désire simplement faire connaître au Tribunal que le Ministère Public français est absolument d’accord avec les observations du Ministère Public américain et du Ministère Public soviétique.
Je pense, comme l’a indiqué le représentant du Ministère Public américain, qu’il n’est pas possible de régler la question de preuves, dans ce procès, uniquement par la pratique des dépositions verbales à l’audience, car dans ces conditions, il pourrait être opportun de faire citer à la barre de ce Tribunal, ce qui est évidemment impossible, tous les habitants des territoires occupés en cause. La Défense aura toute possibilité de discuter par la suite les documents qui ont été présentés par le Ministère Public et notamment les témoignages écrits.
Je ne crois pas que l’avocat de Kaltenbrunner suggérait que chaque témoin devait être convoqué, mais seulement ceux qui étaient en Allemagne, qui étaient disponibles et que leur témoignage ne soit pas recueilli sous forme d’affidavit.
Il appartient à la Défense de demander leur citation comme témoins, si elle désire les faire entendre.
Je voudrais encore ajouter quelques mots sur cette importante question. Toutes les déclarations qui viennent d’être faites s’accordent à reconnaître qu’un des principes essentiels de cette procédure doit être la rapidité. C’est également mentionné dans l’article 19 du Statut et personne ne peut y attacher plus d’importance que nous autres défenseurs. Je crois cependant que le désir de rapidité ne doit pas mettre en conflit le principe le plus élevé que connaisse l’Humanité, le souci de la vérité : et si la vérité devait le moindrement en souffrir, les considérations de forme, de procédure devraient alors prendre une place secondaire. Il y a des principes qu’on n’exprime pas et qu’on n’a pas besoin d’exprimer, mais qui néanmoins existent. L’esprit de la vérité règne sur le paragraphe 19 et représente son contenu inaltérable. Ce que j’oppose ici aux assertions du témoin en question, me paraît tellement fondé, que l’importante question de rapidité devrait s’effacer devant le souci de la vérité. L’Humanité est ici en jeu – et nous voulons établir la vérité pour le genre humain et les générations à venir. Si une telle assertion reste des mois sans être réfutée, un grand nombre d’êtres humains pourrait désespérer de l’Humanité et le peuple allemand aussi, tout particulièrement, en souffrira beaucoup.
Plaise au Tribunal. Je voudrais attirer l’attention sur un autre point encore qui me paraît très important, parce qu’il est apparemment la réelle source de ce débat. D’après notre procédure, l’Accusation a le devoir d’appeler, non seulement des témoins à charge, mais aussi des témoins à décharge en faveur de l’accusé. Je comprends très bien que mon collègue, le Dr Kauffmann, ait protesté ici parce qu’un point très important a été omis par l’Accusation, à savoir que les autorités allemandes ont accusé et condamné à mort ce cruel chef SS et sa femme. Il est fort probable que le Ministère Public était au courant de ce fait et que ces documents épouvantables d’une humanité pervertie qui nous ont été présentés ont été pris dans les archives de la justice allemande. Je crois que toute cette discussion aurait pu être évitée si l’Accusation avait mentionné comme partie de la preuve le fait que les autorités allemandes avaient elles-mêmes jugé et condamné à mort un homme si peu digne d’être humain. Nous rencontrons ici des difficultés car contrairement à notre procédure, l’Accusation présente surtout des preuves uniquement à charge et cela en se fondant sur un seul document ou un seul témoignage et elle omet de faire ressortir les preuves à décharge qui pourraient faire partie du document ou de partie du témoignage présenté. Si l’on avait au contraire suivi ici la procédure allemande et si le Ministère Public avait mentionné la condamnation à mort de cet homme, Kaltenbrunner aurait fait sur l’opinion publique une impression beaucoup moins défavorable. Mon collègue Kauffmann se serait alors contenté de prouver plus tard que Kaltenbrunner n’était pour rien dans cette affaire, mais cela nous aurait évité cette impression pénible et n’aurait pas fait ressortir le caractère inhumain de cette procédure.
Voulez-vous me préciser à quelle loi allemande vous faites allusion lorsque vous dites que l’Accusation doit non seulement produire des preuves à charge, mais aussi des preuves à décharge ?
C’est le principe général du Droit allemand établi à l’article 160 du Code Pénal, c’est un des principes fondamentaux du Droit allemand dont le but…
Donnez-moi encore la référence que vous invoquez.
Article 160, et d’après la conception du Droit allemand, cet article doit permettre…
160 de quoi ?
Du Code du Reich de procédure criminelle (Reichsstrafprozessordnung). Il existe une disposition analogue dans le Code autrichien de procédure criminelle que je ne connais pas bien. Elle est établie afin de permettre à un accusé d’obtenir que toute la vérité soit dite sur son cas, car il n’a pas toujours, étant détenu, la possibilité de produire toutes les preuves à sa décharge.
C’est pourquoi la loi allemande a chargé l’Accusation de présenter les preuves à décharge aussi bien que les preuves à charge.
La question Pfaffenberger n’intéresse pas l’accusé von Papen, car ce chef d’accusation ne le regarde pas directement. C’est pourquoi je ne discute cette question que pour le principe. Je crois qu’en pratique, les conséquences des idées exprimées par le Ministère Public et par la Défense, ne sont pas d’une très grande importance. M. Justice Jackson est d’accord avec nous que tout témoin dont on fournit un témoignage écrit, peut être convoqué par la Défense s’il est disponible. Dans chaque cas où la Défense estime qu’un affidavit est de valeur secondaire et par conséquent insuffisant et que seule une preuve de première importance, telle qu’un témoignage verbal du témoin, devrait être produite, il y aurait alors double production de preuves, c’est-à-dire lecture de l’affidavit plus audition et contre-interrogatoire du témoin. Ceci serait sans aucun doute un élément de retard dans le Procès. Dans un pareil cas, le Tribunal pourrait toujours s’opposer à la lecture du document pour gagner du temps. Par conséquent, il est probablement inutile de la part de l’Accusation de présenter des affidavits lorsqu’on peut s’attendre à ce que le témoin soit interrogé plus tard. Je ne crois pas que le Ministère Public ait besoin de se faire du souci à ce sujet. Il est évident que nous autres avocats ne voulons rien d’autre que ce que nous supposons de la part de l’Accusation également, c’est-à-dire que le Procès soit aussi rapide que possible, mais soit également aussi respectueux que possible de la vérité. En définitive, si dans un procès, c’est d’abord la déposition écrite qui est produite, et qu’elle peut être une monstrueuse source d’erreurs, il est évident qu’il faudra éclaircir ce cas par l’audition du témoin, ce qui sera long et compliqué.
Le Tribunal prendra ces objections en considération, durant la suspension d’audience.
Puis-je prendre la parole un instant ?
M. Justice Jackson, il n’est pas normal d’entendre pour une seconde fois celui qui oppose une objection.
Je désire simplement répondre à la question que vous m’avez posée concernant Pfaffenberger. J’ai appris que ces dépositions avaient été recueillies par l’armée américaine lorsqu’elle a libéré les internés des camps de concentration. Les films ont été pris à cette époque ainsi que toutes les preuves qu’on a pu rassembler. Le témoin se trouvait dans le camp de concentration et c’est alors qu’il fit sa déposition. Nous ne savons pas où il se trouve actuellement et je ne vois pas la possibilité de le découvrir rapidement. Nous ferons notre possible.
Merci.
Plaise au Tribunal. Puis-je essayer de vous aider ? Je crois que j’ai maintenant le texte allemand auquel s’est rapportée la Défense, article 160 du Code. C’est naturellement, Monsieur le Président, un texte écrit en allemand. Puis-je le présenter au Tribunal ? Les traducteurs pourront sans aucun doute vous en indiquer le contenu.
Je crois devoir renseigner le Tribunal en raison des déclarations faites ici suivant lesquelles nous ne communiquons pas certains faits. Kaltenbrunner a été interrogé. À aucun moment il n’a émis une telle prétention, ceux qui l’ont interrogé me l’ont dit et d’après le Statut, notre devoir est de présenter les charges de l’accusation. En aucun cas je ne servirai deux maîtres.
Maintenant, je demande au Commandant Walsh de prendre la parole : Commandant Walsh, avez-vous donné un indicatif au livre de documents que vous présentez ?
Oui, Monsieur le Président, c’est la lettre « T ». Plaise au Tribunal. Durant la dernière séance le Ministère Public a présenté brièvement les préliminaires conduisant au but suprême du parti nazi et de l’État sous le contrôle nazi : ce but est l’extermination des Juifs. La propagande, les décrets, les lois infâmes de Nuremberg, le boycottage, l’établissement de registres, le maintien des ghettos furent les mesures initiatrices de ce programme ; je continuerai, avec la permission du Tribunal en exposant les méthodes utilisées pour annihiler le peuple juif.
J’aimerais parler d’abord de la mort lente par la faim ; une politique fut tracée et suivie pour priver les Juifs des nécessités les plus élémentaires de l’existence. L’accusé Hans Frank, alors Gouverneur Général de Pologne, écrivit dans son journal que des rations de famine furent allouées au ghetto de Varsovie et parlant du nouveau régime alimentaire d’août 1942, il note avec dureté, par hasard peut-être, que ces restrictions alimentaires ont de fait, condamné à mort plus d’un million de Juifs.
Je dépose comme preuve cette partie du document PS-2233 (e), journal de Hans Frank, volume de conférences du 24 août 1942, (USA-283). – Et je cite : « que nous condamnions 1.200.000 Juifs à mourir de faim devrait être noté seulement en marge. Il est bien entendu que si les Juifs ne meurent pas de faim, il en résultera, nous l’espérons, une aggravation des mesures anti-juives ».
Le journal de Frank n’est pas le seul guide qui nous renseigne sur la politique délibérée de destruction des Juifs par la faim. Il leur fut défendu d’exercer des professions agricoles de façon à leur interdire tout accès aux sources mêmes de la nourriture. Je dépose le document PS-1138 sous la cote USA-284 et je prie le Tribunal de se référer à la page 4 de la traduction marquée du chiffre romain V, paragraphes a et b ; le document a pour titre « Directives provisoires pour le traitement des Juifs » et il émane du Reichskommissar des territoires de l’Est.
Je lis : « Les Juifs doivent disparaître du pays. Ils doivent être expulsés de tous commerces, et spécialement des commerces de produits agricoles et produits alimentaires ». Les Juifs furent exclus du commerce des produits alimentaires de base comme les farines, la viande, les œufs et le lait.
Je présente comme preuve le document PS-1347 sous la cote USA-285 et je cite le paragraphe 2 de la première page de la traduction que le Tribunal a entre les mains. C’est un décret en date du 18 septembre 1942 du ministère de l’Agriculture. Je cite :
« Les Juifs ne recevront plus les aliments suivants, à partir de la 42e distribution (19 octobre 1942) : viande, aliments carnés, œufs, produits farineux (gâteaux, pain blanc, petits pains, farine de blé, etc.), lait entier, lait écrémé frais, aussi bien que les aliments distribués en dehors des cartes d’alimentation et délivrés uniformément dans tout le Reich mais avec des certificats de communes ou par avertissement spécial de l’office de nutrition ou sur coupons spéciaux des cartes d’alimentation.
« Les enfants juifs et les jeunes gens au-dessus de dix ans recevront la ration normale de pain. »
Les malades, les vieillards et les femmes enceintes n’avaient pas droit au régime spécial accordé aux non-juifs. Les envois de l’étranger pour les Juifs furent saisis et les cartes d’alimentation des Juifs furent marquées du mot « Juif » en couleur sur la couverture, afin que les commerçants puissent les identifier rapidement et ainsi faire la discrimination.
Le Gouvernement tchécoslovaque publia en 1943 un document officiel intitulé « La Tchécoslovaquie riposte » et je dépose ce livre comme preuve (document PS-1689, USA-286) ; en résumant le contenu de la page 110, nous voyons que les Juifs ne pouvaient faire d’achats alimentaires que dans une certaine zone, à jours et à heures spécifiés. Comme on peut s’y attendre, les heures autorisées étaient celles où les stocks de nourriture étaient vraisemblablement épuisés.
Par ordonnance spéciale nº 44 des territoires occupés de l’Est, en date du 4 novembre 1941, fut allouée aux Juifs une ration qui était à peu près la moitié de la ration la plus faible prévue comme base et le ministre de l’Agriculture reçut le pouvoir d’exclure les Juifs totalement ou partiellement du rationnement alimentaire, réduisant ainsi la communauté juive à la mort par famine.
Je dépose en preuve le document L-165.
Avez-vous lu un passage du document PS-1689 ?
Je n’ai fait que résumer le contenu de la page 110.
D’accord. Maintenant vous présentez le document L.
L-165, Monsieur le Président, (USA-287). Je demande au Tribunal de se reporter à la dernière moitié du premier paragraphe de la traduction ; c’est un bulletin de presse du ministère polonais de l’Information en date du 15 novembre 1942 ; le ministre polonais conclut que les rations spéciales et les quantités de nourriture accordées aux Juifs dans les ghettos de Varsovie et de Cracovie, étaient calculées dans le dessein de produire la mort lente par la famine.
Je cite : « Pour ce qui est des rations de nourriture, elles sont calculées d’après un système tout à fait distinct qui a pour but évident de les priver des nécessités les plus élémentaires de l’existence. »
Je voudrais maintenant parler de la suppression des Juifs à l’intérieur des ghettos. M. Justice Jackson, dans son discours d’ouverture, se réfère à un document PS-1061, intitulé « Le ghetto de Varsovie n’est plus » et qui porte la cote USA-Exhibit 275, C’est un superbe exemple du travail soigné de l’artisan allemand, relié en cuir, contenant de nombreuses illustrations, imprimé sur papier épais et c’est le récit presque incroyable des hauts faits du Generalmajor de la Police, Stroop qui a bravement signé de sa main. Dans ce rapport, il rend hommage à la bravoure et à l’héroïsme des Forces allemandes qui participèrent à l’action impitoyable exécutée contre un groupe de Juifs sans défense, comptant exactement 56.065 personnes, y compris naturellement femmes et enfants. Dans ce document, il entreprend de raconter le compte rendu au jour le jour de l’accomplissement définitif de sa mission : détruire et effacer de la carte le ghetto de Varsovie.
Selon ce récit, le ghetto, tel qu’il existait en novembre 1940, comprenait environ 400.000 Juifs et, avant l’exécution du plan de destruction, quelque 316.000 Juifs avaient déjà été déportés. Le Tribunal remarquera que ce rapport a environ 75 pages et le Ministère Public pense que son contenu est d’une telle force probante qu’aucune partie ne peut être omise des archives permanentes du Tribunal et qu’il devrait envisager le contenu entier du rapport lorsqu’il établira la culpabilité des accusés.
On a remis aux accusés plusieurs photocopies du document il y a au moins vingt jours et ils ont eu amplement le temps, je suis sûr, de l’étudier en détail. Si le Tribunal, dans l’exercice de ses pouvoirs, décide que le rapport peut être accepté en entier, le Ministère Public estime que la lecture d’une partie du résumé, avec de brefs extraits des rapports journaliers télétypés, suffira pour le procès-verbal. Je voudrais que le Tribunal l’examine, je présente ce livre au Tribunal avec un double et lui demande d’accepter le document en entier.
Commandant Walsh, le Tribunal accepte pourvu que le Ministère Public fasse parvenir aussi vite que possible aux membres russes et français du Tribunal, des exemplaires en russe et en français du document entier.
Oui, Monsieur le Président. Puis-je consulter… ?
Je ne dis pas de faire parvenir immédiatement, mais aussitôt que possible.
Oui.
Vous allez lire les passages que vous jugez indispensables ?
Oui. De la page 6 de la traduction du document PS-1061 que possède le Tribunal, j’aimerais lire le récit, vantard mais néanmoins expressif, de cette action militaire à l’intérieur du ghetto de Varsovie.
Je cite le second paragraphe page 6 :
« La résistance opposée par les Juifs et les bandits ne put être brisée que par l’emploi sans répit, nuit et jour, de toutes nos troupes de choc. Le 23 avril 1943, le Reichsführer SS donna l’ordre aux chefs SS et au chef de la Police de l’Est à Cracovie, d’accomplir le nettoyage du ghetto de Varsovie avec la plus grande sévérité et la ténacité la plus ferme. C’est pourquoi je décidai de détruire entièrement les maisons juives, en incendiant chaque bloc de maisons, y compris les blocs qui avoisinent les usines d’armement. On évacua systématiquement et on incendia tous les bâtiments, l’un après l’autre. Les Juifs sortirent de leurs abris, il y en avait partout ; il n’était pas rare que les Juifs restassent dans les bâtiments en flammes jusqu’à ce que la chaleur et la crainte d’être brûlés vifs les fissent sauter des étages supérieurs après avoir jeté dans la rue les matelas et autres objets rembourrés que pouvaient contenir les bâtiments incendiés. Malgré leurs membres brisés, ils essayaient encore de ramper dans la rue pour atteindre les blocs de maisons qui n’avaient pas encore été atteints par les flammes ou qui n’étaient que partiellement brûlés. Souvent les Juifs changeaient de cachette durant la nuit, en se faufilant à travers les ruines des bâtiments brûlés où ils se cachaient jusqu’à ce qu’ils soient pris par les patrouilles. Ils restaient dans les égouts mais ils trouvèrent cela moins drôle après la première semaine, car fréquemment, de la rue, nous pouvions entendre des voix qui venaient jusqu’à nous par les bouches d’égout. Ainsi, les Waffen SS, les hommes de la police ou ceux du corps du Génie descendaient courageusement par les bouches d’égout pour en faire sortir les Juifs. Assez fréquemment, ils trébuchaient sur des Juifs déjà morts, ou ils fusillaient les vivants sur place. Il fallait toujours se servir de bombes fumigènes pour les faire sortir de leur cachette ; ainsi, un jour, nous ouvrîmes 183 bouches d’égout et à une heure fixée nous y lançâmes une bombe fumigène. Il en résulta que les bandits, croyant que c’étaient des gaz, s’enfuirent jusque dans le centre du vieux ghetto où ils purent être expulsés des bouches d’égout. Un grand nombre de Juifs que nous n’avons pu compter furent tués par l’explosion des égouts et des tranchées.
« Plus la résistance se prolongeait, plus les Waffen SS, la Police et la Wehrmacht s’exaspéraient. Ils remplirent leur devoir sans relâche dans une camaraderie fraternelle et furent tous des modèles et des exemples de soldats. Leur activité commençait au petit jour et durait jusqu’à une heure avancée de la nuit. La nuit, des patrouilles, les pieds entourés de chiffons talonnaient les Juifs sans répit. Fréquemment, ils attrapaient et tuaient des Juifs qui profitaient des heures d’obscurité pour se ravitailler en sortant des égouts ou pour aller trouver des groupes voisins et échanger des nouvelles.
« Si l’on considère que la plus grande partie des hommes de la Waffen SS n’avaient été entraînés que pendant trois ou quatre semaines avant de participer à cette action, il faut reconnaître qu’ils ont témoigné d’un rare cran, d’un courage et d’un goût du risque émérites. On doit également souligner l’infatigable dévouement et le sens du devoir des soldats du Génie, qui firent sauter les égouts, les abris, et les maisons ; les officiers et les hommes appartenant à la Police, dont beaucoup avaient été déjà au front, manifestèrent à nouveau un esprit combatif exemplaire.
« C’est seulement par un travail ininterrompu et infatigable de forces combinées que nous avons réussi à attraper 56.065 Juifs dont nous pouvons prouver l’extermination ; à ce nombre il y a lieu d’ajouter les Juifs qui perdirent la vie dans les explosions ou les incendies et dont le nombre n’a pu être évalué. »
Commandant Walsh, dans la partie dont vous vous occupez en ce moment, n’y aurait-il pas lieu de lire la préface de ce document qui établit le total des pertes des troupes allemandes ?
Je le ferai, Monsieur le Président ; à la page 1 de la traduction, je cite le titre : « Le ghetto de Varsovie n’existe plus. »
« Pour le Führer et pour leur pays, ceux dont les noms suivent sont tombés dans la bataille pour l’extermination des Juifs et des bandits dans l’ancien ghetto de Varsovie. »
Suivent quinze noms.
« Tout d’abord, le sergent de police polonais Julian Zelinski, né le 13 novembre 1891, 8e commissariat, tombé le 19 avril 1943 en accomplissant son devoir. Ils donnèrent le maximum : leur vie. Nous ne les oublierons jamais.
« Ceux dont les noms suivent ont été blessés. »
Viennent alors les noms de 60 Waffen SS, 11 surveillants de camps d’entraînement, probablement Lituaniens, 12 officiers de la Police de sûreté dans les SS, 5 hommes de la police polonaise et 2 membres du Génie de la Wehrmacht.
Permettez-moi de lire quelques extraits de comptes rendus télétypés à la page 13 de la traduction, du message télétypé du 22 avril 1943, je lis :
« Nous incendiâmes tout un bloc de bâtiments ce qui eut pour résultat, pendant la nuit, de faire sortir les Juifs que nous n’avions pu trouver, malgré toutes nos opérations de recherches, de leurs cachettes sous les toits, dans les caves ou ailleurs et nous les vîmes sur les façades des maisons, essayant d’échapper aux flammes ; des groupes importants, des familles entières avaient déjà leurs vêtements en flammes et sautaient des fenêtres et essayaient d’atteindre la rue au moyen de draps noués les uns aux autres, mais des mesures avaient été prises pour que ces Juifs, aussi bien que ceux qui restaient dans les bâtiments, fussent aussitôt supprimés. »
À la page 28 de la traduction, dernière partie du premier paragraphe, je cite :
« Quand les blocs de bâtiments mentionnés plus haut furent détruits, 120 Juifs furent pris et plusieurs furent tués en sautant des greniers dans les cours des maisons, en essayant d’échapper aux flammes. Un plus grand nombre encore périt dans les flammes ou fut tué par l’explosion des tranchées et des égouts. »
À la page 30, seconde moitié du second paragraphe, je lis : « Ce n’est que lorsque les blocs de bâtiments furent complètement en flammes et près de s’effondrer, qu’un nombre plus considérable encore de Juifs sortit pour éviter les flammes et la fumée. À plusieurs reprises, ils essayèrent d’échapper des bâtiments en flammes. D’innombrables Juifs que nous avons vus sur les toits pendant l’incendie y périrent. D’autres sortirent des étages supérieurs au dernier moment et purent échapper, mais en sautant dans la rue. Aujourd’hui, nous avons attrapé en tout 2283 Juifs dont 204 furent fusillés et d’innombrables autres furent exterminés par le feu dans les tranchées. »
À la page 34, second paragraphe, je lis en commençant par la seconde ligne :
« Les Juifs certifient qu’ils sortent la nuit de leurs abris pour avoir un peu d’air frais, car le séjour permanent dans les abris finit par devenir insupportable. En moyenne, les patrouilles abattent de 30 à 40 Juifs chaque nuit ; de cette constatation, il ressort qu’un nombre considérable de Juifs séjourne encore dans le sous-sol du ghetto. Aujourd’hui, nous avons fait sauter un bâtiment en béton que nous n’avions pu détruire par le feu et par cette opération, nous avons établi que c’est une opération très longue que de faire sauter un bâtiment à la dynamite et qu’elle demande une quantité énorme d’explosifs. C’est pourquoi la meilleure et la seule méthode pour exterminer les Juifs est encore l’emploi de produits incendiaires. »
À la page 35, dernière partie du second paragraphe, je lis :
« Quelques dépositions indiquent que 3 ou 4.000 Juifs restent encore terrés dans des trous, des abris, des égouts ; le soussigné est résolu à ne pas abandonner une opération faite sur une aussi grande échelle avant que les derniers Juifs aient été anéantis. »
Et du message télétypé du 15 mai 1943, page 44, nous constatons que l’opération est à sa dernière phase. Je lis la fin du premier paragraphe, page 44 :
« Des unités spéciales ont fouillé une fois de plus le dernier bloc de bâtiment qui était encore intact dans le ghetto et l’ont ensuite détruit. Le soir, la chapelle, le dépôt mortuaire et tous les autres édifices du cimetière juif ont été dynamités ou détruits par le feu. »
Le 24 mai 1943, le major général Stroop fait le bilan (page 45, dernier paragraphe) :
« Sur un total de 56.065 Juifs pris, environ 7.000 furent tués dans l’ancien ghetto durant l’opération de grande envergure, 6.929 Juifs furent mis à mort quand ils furent transportés au T. II – qui est je crois le camp Treblinka nº 2 –, qui sera mentionné plus tard. Le total des Juifs tués est de 13.929. Dans ce chiffre de 56.065, un nombre approximatif de 5 à 6.000 moururent dans l’explosion des bâtiments ou périrent dans les incendies. »
Le Tribunal a remarqué dans le document PS-1061 un certain nombre de photographies et avec sa permission j’aimerais en montrer quelques-unes sur l’écran à moins que le Tribunal ne décide qu’il suffise de se référer au texte original.
Non, si vous désirez faire passer ces photographies devant le Tribunal, vous le pouvez. Peut-être conviendrait-il de suspendre maintenant et vous montrerez ces photographies sur l’écran à la reprise de l’audience ?
1. Cette première photographie figure à la page 27 des photographies comme pièce justificative du document PS-1061 ; son titre est : « Destruction d’un bloc de bâtiments ». Le Tribunal se rappellera le passage des messages télétypés qui se réfère au fait de déchaîner un incendie pour forcer les Juifs à sortir de leur abri.
2. Page 21 des photographies contenues dans le document ; le sous-titre est : « Asphyxie de Juifs et de bandits ». Les extraits des messages télétypés lus au procès-verbal parlent de l’usage des bombes fumigènes comme moyen de forcer les Juifs à sortir de leurs cachettes.
3. Page 36 des photographies, le sous-titre est : « Lutte contre un centre de résistants ». Il s’agit évidemment d’une explosion faite pour démolir un bâtiment ; je rappelle le message du 7 mai 1943 qui disait que l’explosion des bâtiments prenait beaucoup de temps et exigeait beaucoup d’explosifs. Le même message indiquait que la meilleure méthode pour exterminer les Juifs était l’incendie.
4. Cette vue est à la page 36 des photographies. Le Tribunal peut observer à droite, à la partie supérieure de l’écran un homme qui paraît sauter d’une fenêtre d’un étage supérieur du bâtiment en flammes ; un examen attentif de la photographie originale révélera d’autres personnes aux fenêtres des étages supérieurs qui apparemment s’apprêtent à le suivre. Le message télétypé du 22 avril rapporte que des familles entières sautèrent des fenêtres de bâtiments en flammes et furent liquidées aussitôt.
5. Cette photographie se trouve à la page 59 des photographies ; son sous-titre est : « Chef d’une opération de grande envergure » et c’est probablement le général SS Stroop qui est au centre de la photographie chef nazi de l’opération. Je ne peux m’empêcher de remarquer que les Allemands sourient dans ce groupe, devant cette destruction et cette violence.
Allez-vous laisser de côté ce document maintenant ?
Oui, Monsieur le Président.
Voulez-vous dire au Tribunal où ce document a été trouvé ?
C’est un document saisi, Monsieur le Président ; je n’en connais pas l’histoire et je serais heureux de soumettre au Tribunal les circonstances de sa découverte au début de l’audience de cet après-midi.
Le Tribunal aimerait savoir où il fut trouvé et à qui il fut remis.
Cette indication est je crois dans le document : les messages télétypés qui se trouvent dans cette pièce justificative sont tous adressés au SS Obergruppenführer et général de la Police, Krüger ou à son adjoint.
Il n’était pas toujours nécessaire ou même désirable de mettre d’abord les Juifs dans les ghettos pour les exterminer. Dans les États Baltes, une manière d’agir plus rapide fut employée et je me réfère au document L-180 qui devint USA-276 ; c’est un rapport du SS Brigadeführer Stahlecker adressé à Himmler, daté du 15 octobre 1941 et intitulé « Groupe d’action A », il a été trouvé dans les archives privées de Himmler ; il y est dit que 135.567 personnes, presque toutes Juives, furent massacrées en exécution d’ordres fondamentaux concernant l’extermination des Juifs. Ce volumineux document me fournit la déclaration suivante du SS Brigadeführer et je cite la traduction de la page 6, 2e phrase, dernier paragraphe : « À notre étonnement, il était difficile au début de déclencher un vaste pogrom contre les Juifs ; Klimatis, chef susnommé de la bande de partisans qu’on a utilisée surtout pour cette besogne, réussit à commencer un pogrom en se basant sur les conseils d’un petit détachement d’avant-garde qu’on lui avait adjoint à Kovno, de telle façon qu’aucun ordre ou aucune incitation n’était reconnaissable comme venant des Allemands.
« Au cours du premier pogrom, dans la nuit du 25 au 26 juin, les partisans lituaniens exterminèrent plus de 1.500 Juifs ; ils incendièrent plusieurs synagogues ou les détruisirent par d’autres moyens et ils mirent le feu à une agglomération d’environ soixante habitations juives. Au cours des nuits suivantes, environ 2.300 Juifs furent mis hors d’état de nuire, d’une façon analogue. » Dans la dernière partie du paragraphe 3 de la page 7, je cite : « II a été possible, en usant d’influences analogues sur les auxiliaires lettons, de déclencher un pogrom aussi à Riga. Au cours de ce pogrom, les synagogues furent toutes détruites et environ 400 Juifs tués. »
L’ingéniosité nazie atteignit un nouvel étiage avec la construction des camions à gaz comme mode d’extermination en masse des Juifs. La description de ces véhicules de terreur et de mort et leur maniement sont exposés en détail dans un document très secret daté du 16 mai 1942. Ce document a été envoyé au SS Obersturmbannführer Rauff, 8 Prinz Albrechtstrasse à Berlin, par le Dr Becker, SS Untersturmführer.
Je présente ce document PS-501 qui devient USA-288. Je cite :
« La révision des camions par les groupes D et C est terminée. Les camions de la première série peuvent être utilisés si le temps n’est pas trop mauvais. Les camions de la deuxième série s’arrêtent complètement par temps de pluie. Si par exemple il a plu pendant une demi-heure seulement, le camion ne peut être utilisé car il dérape. On ne peut l’utiliser que par temps absolument sec. Il est seulement question maintenant de savoir si le camion peut être utilisé seulement sur place à l’endroit de l’exécution. D’abord le camion doit arriver à cet endroit et ceci ne peut avoir lieu que par beau temps. Le lieu d’exécution se trouve d’habitude à 10 ou 15 kilomètres des grandes routes et ne peut être atteint facilement à cause de son emplacement. Par temps humide ou mouillé on ne peut pas y parvenir du tout. Si les personnes qui doivent être exécutées sont conduites ou amenées à cet endroit, elles se rendent compte tout de suite de ce qui se passe et s’inquiètent et nous devons éviter ceci autant que possible. Il n’y a qu’un seul moyen : les conduire à un point de rassemblement et ensuite, les amener à l’endroit voulu. J’ai ordonné que les camions des groupes D soient camouflés en roulottes en mettant des volets de chaque côté, un de chaque côté des petits et deux de chaque côté des grands, comme on en voit souvent dans les campagnes aux maisons de paysans. Ces camions sont tellement connus que les autorités civiles et la population les appellent les camions de la mort, dès qu’ils apparaissent. À mon avis, on ne peut garder le secret très longtemps, même avec du camouflage. »
Au paragraphe 4 de la même page, je lis :
« À cause du terrain inégal et des conditions de routes indescriptibles, les rivets et le calfeutrage ne tiennent pas. On m’a demandé d’envoyer les camions à Berlin pour les réparer. Les envoyer à Berlin serait trop cher et exigerait trop de carburant. Afin d’éviter ces dépenses, j’ai ordonné que les petites fuites soient soudées sur place et quand on ne pourrait plus continuer, de prévenir Berlin par radio que le camion POL-NR… ne fonctionne plus. En plus, j’ai demandé que pendant que les gaz seraient utilisés, les hommes soient éloignés le plus possible des camions, afin que leur santé ne soit pas éprouvée par l’émanation des gaz. Je voudrais attirer votre attention sur cette question : très souvent on a fait décharger le camion par les hommes, après l’opération, et j’attire l’attention du chef des SK, sur le mal que cela peut leur faire, tant au point de vue santé qu’au point de vue psychologique, sinon de suite tout au moins plus tard. Les hommes se sont plaints qu’ils avaient mal à la tête chaque fois qu’ils déchargeaient les camions. Néanmoins, on ne peut changer les ordres, car les prisonniers qu’on emploierait pour ce travail pourraient profiter d’un moment opportun pour se sauver. Pour protéger les hommes, je demande que des ordres à cet effet soient donnés. L’opération des gaz n’est pas accomplie correctement. Afin d’en finir le plus rapidement possible, le chauffeur appuie sur l’accélérateur, donne les pleins gaz, et les personnes qu’on doit exécuter sont suffoquées et ne s’éteignent pas doucement comme prévu. Les directives ont montré qu’en ajustant bien les leviers, la mort est beaucoup plus rapide et les prisonniers s’endorment paisiblement. On ne remarque plus de visages défigurés et d’excréments comme on en a vus précédemment. Je poursuivrai mon voyage jusqu’au groupe B où d’autres nouvelles peuvent me parvenir. »
« Signé : SS Untersturmführer Dr Becker. »
À la page 3 du document PS-501, nous trouvons une lettre signée du Hauptsturmführer Trühess concernant les camions S, adressée à l’Office principal de Sûreté du Reich, Bureau II – D-3-A Berlin. Très secret. Cette lettre prouve que les camions servaient à l’annihilation des Juifs. Je lis ce message « très secret » :
« Objet : Camions S. Un contingent de Juifs devant recevoir un traitement spécial arrive toutes les semaines au bureau du commandant de la Police de sûreté et du service de sûreté de la Ruthénie blanche. Les trois camions S qui sont ici n’y suffisent plus. Je demande l’affectation d’un autre camion S de 5 tonnes. En même temps je demande qu’on m’envoie 20 conduites de gaz pour les trois camions S que je possède, un Saurer et deux Diamond, car celles dont on se sert ont déjà des fuites. Signé : Commandant de la Police de sûreté et du service de la sûreté, territoires de l’Est. »
Il semble, d’après les preuves documentaires, qu’un certain, désaccord existait entre les fonctionnaires du Gouvernement allemand, concernant la meilleure méthode à utiliser pour ce programme d’extermination. Un compte rendu secret en date du 18 juin 1943, destiné à l’accusé Rosenberg se plaignait que 5.000 Juifs tués par la Police et les SS auraient pu être utilisés pour le travail forcé, et les réprimandait pour n’avoir pas enterré les corps de ceux qui ont été exterminés. Je présente comme preuve R-135, qui devient USA-289.
Est-ce que cela figure dans ces volumes ?
Je crois que vous le trouverez dans le livre de documents juste avant R-124.
Je cite une lettre adressée au ministre du Reich pour les territoires de l’Est, paragraphe 1 de la traduction :
« Le fait que les Juifs reçoivent un traitement spécial n’a pas à être discuté davantage. Néanmoins, il semble presque incroyable que ceci ait été fait de la façon signalée dans le compte rendu du Commissaire général. 1er juin 1943. Qu’est-ce que Katyn comparé à cela ? Imaginez seulement que ceci soit connu de l’autre côté et exploité par eux ? Cette propagande n’aurait aucun effet parce que ceux qui en entendraient parler ou qui le liraient ne voudraient pas le croire. »
La dernière partie du paragraphe 3 de la même page :
« Enfermer des hommes, des femmes et des enfants dans une grange et les incendier ne semble pas une méthode pratique pour combattre des bandes, même si on désire exterminer la population. Cette méthode n’est pas digne de la cause allemande et fait beaucoup de tort à notre réputation. »
Günther, gardien de prison de Minsk, dans une lettre datée du 31 mai 1943, adressée au Commissaire général pour la Ruthénie blanche, formule implicitement une critique. Avec la permission du Tribunal, je lirai toute la lettre, qui fait partie du document R-135, page 5, sujet : « Action contre les Juifs. » :
« Le 13 avril 1943, l’ancien dentiste allemand, Ernst Israel Tichauer et sa femme, Elisa Sarah Tichauer, née Rosenthal, furent amenés à la prison par le service de sûreté. Depuis ce temps-là tous les Juifs allemands et russes qui nous furent confiés furent dépouillés de toutes leurs couronnes, bridges ou plombages en or. Ceci se produisait une heure ou deux avant que leur sort ne soit réglé (action spéciale). 516 Juifs allemands et russes ont été tués depuis avril 1943. Nous n’avons pris de l’or qu’au cours de deux opérations : le 14 avril 1943 sur 172 Juifs, et le 27 avril 1943 sur 164 Juifs. Environ 50 % des Juifs avaient des dents en or et des bridges ou des plombages. Le Hauptscharführer Rübe, du service de sûreté était toujours personnellement présent, et il emmenait l’or saisi.
« Avant le 13 avril 1943 nous n’avions jamais fait ceci. Signé : Günther, gardien de prison. »
Cette lettre fut envoyée à l’accusé Rosenberg, ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, le 1er juin 1943. Je lirai la lettre d’envoi qui fait partie du document R-135, page 4, au ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, Berlin, par l’intermédiaire du Commissaire de l’Est, Riga. Sujet : « Opération contre les Juifs dans la prison de Minsk. »
« Le compte rendu officiel ci-joint du gardien de prison de Minsk est soumis au ministre du Reich et commissaire du Reich pour information. Signé : Le Commissaire général de Minsk. »
Est-ce que « action spéciale » signifie exécution ?
Oui, on l’interprète ainsi. Le Tribunal se souvient que l’extermination des Juifs au moyen des camions à gaz a un rapport très étroit avec la seconde lettre qui traite du transport des Juifs effectué dans ce but.
Est-ce que ce document était dans les dossiers de Rosenberg ?
D’après ce qu’on m’a dit, oui, Monsieur le Président. Une autre plainte figure dans une lettre secrète adressée au général d’infanterie Thomas, chef du département industriel de l’Armement, datée du 2 décembre 1941. On peut noter que l’auteur timoré de cette lettre dit qu’il ne l’a pas fait parvenir par la voie officielle. Je présente comme preuve le document PS-3257 (USA-290) et je cite le paragraphe 1 :
« Pour l’information personnelle du chef du département de l’armement industriel, j’envoie au commissariat du Reich pour l’Ukraine un compte rendu de la situation actuelle dans lequel les difficultés rencontrées jusqu’à présent et cet inquiétant problème sont exposés avec une clarté indiscutable.
« Intentionnellement je n’ai pas soumis ce compte rendu par les voies officielles et je ne l’ai pas fait connaître aux autres départements intéressés, parce que je n’attendais aucun résultat de ce procédé, et que je prévoyais au contraire que les difficultés et les divergences d’opinions augmenteraient à cause de ces circonstances toutes spéciales.
« Problème juif (paragraphe C, page 1).
« Le règlement de la question juive en Ukraine est un problème difficile, car les Juifs constituent une grande partie de la population des villes. Donc, comme dans le cas du Gouvernement Général, nous avons à nous occuper d’un problème général concernant la population. Beaucoup de villes ont un pourcentage de Juifs dépassant 50 %. Seuls les Juifs riches se sont enfuis devant les troupes allemandes. La majorité reste sous l’administration allemande, qui a beaucoup de mal à résoudre ce problème, car ces Juifs représentent presque tout le commerce et même une partie de la main-d’œuvre dans les petites et les moyennes industries que la guerre a supprimées directement ou indirectement. L’élimination produira des contrecoups importants qui atteindront directement l’économie et l’industrie de l’armement (production d’équipement pour les troupes).
« Au début, les Juifs firent preuve d’une craintive soumission. Ils voulaient éviter de faire quoi que ce soit pouvant déplaire à l’administration allemande. Ils détestaient l’administration et l’armée allemandes, cela va sans dire et ne peut surprendre personne, néanmoins il n’est en rien établi que les Juifs en totalité, ou même en majorité, fussent mêlés aux actes de sabotage. Évidemment il y avait quelques terroristes et saboteurs parmi eux comme parmi les Ukrainiens, mais on ne peut dire que les Juifs, comme tels, représentaient un danger pour les Forces armées allemandes. La production juive qui ne marchait bien entendu que par la crainte, était satisfaisante pour les troupes et pour l’administration allemande.
« La population juive ne fut pas inquiétée tout de suite après les combats. C’est seulement des semaines, parfois des mois après, que des formations spéciales de police fusillèrent les Juifs, d’après un plan précis. Cette opération commençait à l’Est et s’étendait vers l’Ouest. Cela se faisait en public en utilisant la milice ukrainienne et dans beaucoup de cas, malheureusement, des membres des Forces armées y prenaient part aussi en tant que volontaires. Cette action était dirigée contre des hommes, des vieillards, des femmes, des enfants de tout âge qui étaient exécutés de façon horrible. Ces exécutions en masse donnent à cette action un caractère plus terrible que toute mesure semblable prise en Union Soviétique. 150.000 à 200.000 Juifs ont été exécutés dans la partie de l’Ukraine appartenant au Commissariat du Reich, sans prendre les intérêts de l’économie en considération.
« En résumé, on peut dire que la solution du problème juif appliquée en Ukraine, qui était basée sur des théories idéologiques érigées en principe, eut les résultats suivants :
« a) Élimination d’une surpopulation des villes ;
« b) Élimination d’une partie de la population qui nous haïssait sans conteste ;
« c) Élimination de commerçants dont l’absence se fait cruellement sentir et qui étaient souvent même indispensables aux intérêts des Forces armées ;
« d) Conséquences évidentes concernant la politique extérieure et la propagande ;
« e) Effets fâcheux sur les troupes qui prennent part aux exécutions ;
« f) Effet abrutissant sur les formations directement chargées des exécutions, la police régulière. »
Ces conditions n’existaient pas seulement à l’Est et j’attire l’attention du Tribunal sur un compte rendu officiel du Gouvernement des Pays-Bas, rédigé par le Commissaire au Rapatriement qui donne une idée du traitement infligé aux Juifs à l’Ouest. Ce document décrit les mesures que les Allemands ont prises contre les Juifs hollandais dans les Pays-Bas : les décrets, les démonstrations antisémites, l’incendie des synagogues, l’exclusion des Juifs de la vie économique de leur pays, les restrictions alimentaires, les travaux forcés, l’internement dans les camps de concentration, la déportation, la mort, tout ceci était la même chose dans toute l’Europe occupée par les nazis.
Je me réfère maintenant au document PS-1726 (USA-195), déjà présenté comme preuve. Je ne le lirai pas comme preuve, mais il est important d’attirer l’attention du Tribunal sur la partie du rapport traitant de la déportation des Juifs hollandais, page 5 de la traduction. Le Tribunal notera que le nombre de Juifs susceptibles d’être déportés, peut être évalué à 140.000. Il remarquera aussi que le nombre total des déportés Juifs hollandais fut 117.000, représentant 83 % de la totalité des Juifs aux Pays-Bas. 115.000 d’entre eux furent déportés en Pologne pour le travail forcé, d’après le rapport hollandais, et après leur départ on a perdu leur trace. Que la guerre soit gagnée ou perdue pour l’Allemagne, les Juifs étaient perdus. C’était l’intention de l’État nazi que, quoiqu’il advînt de l’Allemagne, le Juif ne survive pas.
Je présente comme preuve le document L-53, marqué très secret, USA-291. C’est un message du commandant des SIPO et des SD du district de Radom, adressé au SS Hauptsturmführer Thiel sur le « Nettoyage des prisons ». Je lis :
« Je souligne encore que le nombre d’internés dans les prisons SIPO et SD doit être aussi bas que possible. Dans la situation actuelle, particulièrement les suspects, que la police civile nous a donnés, n’ont besoin que d’un interrogatoire très court s’il n’y a aucune raison sérieuse de les soupçonner. On doit ensuite les envoyer par le moyen le plus rapide dans un camp de concentration. Aucun jugement ne devrait être nécessaire et il ne devrait pas être question de les libérer. Le nombre de ceux à renvoyer chez eux doit être très bas. Si la situation du front se développait et le rendait nécessaire, il faudrait prendre des mesures pour le nettoyage complet des prisons. S’il devenait impossible d’évacuer les prisonniers, les internés doivent être tués et on doit disposer des cadavres le plus vite possible en faisant sauter les bâtiments, en les brûlant, etc. Il faut agir de même avec les Juifs qu’on utilise dans l’industrie de l’armement ou dans d’autres lieux.
« La libération de prisonniers ou de Juifs par l’ennemi, que ce soit par les WB ou par l’armée rouge, doit être évitée à tout prix, ils ne doivent en aucun cas tomber vivants entre leurs mains. »
Que veut dire le WB ?
J’ai demandé plusieurs fois et je n’ai pas trouvé une interprétation ou une explication. Peut-être qu’avant l’audience de cet après-midi je pourrai éclairer le Tribunal. Jusqu’ici je ne sais pas.
Où ce document a-t-il été trouvé ?
C’est un document saisi.
Parle-t-il de prisonniers de guerre ?
Non, mais il y est question de prisonniers de guerre tout comme de Juifs. Je vais essayer d’obtenir l’historique de ce document et de l’apporter au Tribunal.
Qu’est-ce que la SIPO ?
C’est la Police de sûreté. Cette présentation ne serait pas complète si on n’y comprenait pas les camps de concentration puisque des millions de Juifs y sont morts fusillés, gazés, empoisonnés, morts de faim, et par tous autres moyens. Les camps de concentration avec toutes leurs atrocités ont été présentés non seulement dans le film mais dans l’excellent exposé de M. Dodd hier. Nous n’avons pas l’intention de parler maintenant de ces camps, mais seulement en tant qu’ils ont joué un rôle dans l’anéantissement de la race juive. Par exemple dans le camp d’Auschwitz, en juillet 1944, les Allemands ont tué environ 12.000 Juifs par jour. Cette information figure dans le document L-161 (USA-292). C’est un compte rendu officiel polonais du camp de concentration d’Auschwitz, daté du 31 mai 1945. Je choisis un extrait de ce compte rendu marqué sur l’original…
Est-ce que vous ne faites pas erreur ? Ce n’est pas un rapport polonais, c’est un rapport britannique.
Je sais, Monsieur le Président, il vient primitivement du Gouvernement polonais mais il a peut-être été distribué par Londres. Je cite :
« Au cours du mois de juillet 1944, on liquidait 12.000 Juifs hongrois par jour. Les fours crématoires ne pouvaient en absorber un tel nombre, beaucoup de corps furent jetés dans de grands trous qu’on recouvrait de chaux vive. »
Je présente comme preuve le document PS-3311 (USA-293). C’est un compte rendu officiel de la Commission du Gouvernement polonais pour la recherche des crimes allemands contre la Pologne. Ce document décrit le camp de concentration de Treblinka, et à la page 1, paragraphes 3 et 4, je lis :
« En mars 1942, les Allemands commencèrent à établir un autre camp, Treblinka B, près de Treblinka A, qui devait devenir un lieu de tortures pour les Juifs. La construction de ce camp était étroitement reliée au plan allemand d’extermination de la population juive en Pologne, qui nécessitait la création d’une organisation permettant de tuer les Juifs polonais en grande quantité. À la fin d’avril 1942, la construction des trois premières chambres était terminée et des massacres en masse devaient y avoir lieu par la vapeur. Un peu plus tard, fut terminée l’érection du vrai bâtiment de la mort avec dix chambres de mort. Le tout fut prêt pour les assassinats en masse au début de l’automne 1942. » À la page 3 de ce compte rendu, paragraphe 2, la Commission polonaise décrit la procédure d’extermination à l’intérieur de ce camp :
« Le nombre moyen des Juifs qu’on a liquidé dans ce camp pendant l’été 1942 était d’environ deux trains par jour, mais il y avait des jours où le rendement était bien supérieur. À partir de l’automne 1942, ce nombre alla en décroissant.
« Après avoir débarqué sur les voies de garages toutes les victimes, elles étaient rassemblées à un endroit, les hommes séparés des femmes et des enfants. Dans les premiers jours de fonctionnement de ce camp, on faisait croire aux victimes qu’elles allaient rester peu de temps, le temps nécessaire pour les bains et la désinfection, puis qu’on les enverrait travailler plus loin à l’Est. Ces explications étaient données par des SS qui assistaient au débarquement, et d’autres explications étaient données au moyen d’affiches collées sur les murs des baraques, mais plus tard, quand il y eut davantage de transports, les Allemands ne prirent plus aucune précaution et essayèrent seulement d’accélérer l’élimination. Toutes les victimes devaient retirer leurs vêtements et leurs souliers qui étaient rassemblés plus tard. Toutes les victimes, les femmes et les enfants d’abord, étaient menées aux chambres d’extermination. Ceux qui étaient trop lents ou trop faibles pour aller vite étaient poussés à coups de crosse, fouettés, recevaient des coups de pied, souvent Sauer le faisait lui-même. Beaucoup glissaient et tombaient, les suivants trébuchaient par-dessus. Les petits enfants étaient simplement jetés dedans. Quand les chambres étaient complètement remplies, on les fermait hermétiquement et on faisait entrer la vapeur. En quelques minutes tout était fini. Les travailleurs Juifs subalternes devaient retirer les corps et les enterrer dans des fosses communes. De temps en temps, au fur et à mesure que les transports arrivaient, les cimetières s’étendaient, dans la direction de l’Est. Des comptes rendus reçus, on peut déduire que plusieurs centaines de milliers de Juifs ont été exterminés à Treblinka. »
Je présente maintenant comme preuve le document L-22, (USA-294). C’est un rapport officiel du Gouvernement des États-Unis, émanant du Bureau exécutif du Président des États-Unis, Service des Réfugiés de Guerre, concernant les camps de concentration allemands d’Auschwitz et de Birkenau, daté 1944. À la page 33 de ce compte rendu on montre que beaucoup de Juifs furent tués par les gaz à Birkenau en 2 ans, d’avril 1942 à avril 1944. On m’a affirmé que le chiffre figurant ici n’est pas une erreur : il est de 1.765.000.
Je vais maintenant revenir aux statistiques et à la comptabilité allemandes pour éclaircir la question de l’extermination des Juifs en Pologne. Je reviens au Journal de Hans Frank déjà présenté, document PS-2233 (USA 281), et je lis rapidement le début du paragraphe 4, page 1 :
« À nos yeux les Juifs sont des gloutons extraordinairement néfastes. Nous en avons environ 2.500.000 dans le Gouvernement Général. »
Commandant, vous avez déjà lu ceci vous-même.
Oui, mais j’en parle afin de le comparer avec autre chose.
Très bien.
« … peut-être avec les sang-mêlé et tout ce qui s’ensuit, 3.500.000 Juifs. »
Ce chiffre, plaise au Tribunal, est du 16 décembre 1941. Je passe au 25 janvier 1944, trois ans et un mois après, à un autre extrait du journal de Frank PS-2233 (USA-295). Ce volume comprend la période du 1er janvier 1944 au 28 février 1944, et je lis à la page 5 :
« Actuellement, nous avons encore dans le Gouvernement Général environ 100.000 Juifs. »
Au cours de ces trois ans, d’après les chiffres du Gouverneur Général de la Pologne occupée, environ 2.400.000 à 3.400.000 Juifs ont été exterminés.
Le Ministère Public pourra présenter beaucoup de preuves concernant le nombre de Juifs morts aux mains des nazis, mais les preuves cumulatives ne pourront changer la culpabilité de ces accusés. Je vais vous présenter néanmoins un document, une déclaration qui établit la mort de 4.000.000 de Juifs dans les camps et la mort de 2.000.000 de Juifs par la Police d’État de l’Est, formant un total de 6.000.000. Document PS-2738 (USA-296). Les chiffres cités émanent d’une déclaration d’Adolf Eichmann, chef de la section juive de la Gestapo faite par le Dr Wilhelm Höttl, chef adjoint du groupe de la section étrangère de la section de sécurité, AMT VI du RSHA. Le Dr Wilhelm Höttl fit la déclaration suivante sous forme d’affidavit et je cite la page 2 :
« Environ 4.000.000 de Juifs ont été tués dans les divers camps de concentration et 2.000.000 ont trouvé la mort autrement, la plus grande partie fusillée par des détachements de Police de sûreté pendant la campagne de Russie. »
Puis-je pour terminer dire que les documents saisis et présentés comme preuve émanent presque sans exception d’une source officielle du parti nazi.
Vous n’avez lu qu’une déclaration. Mais où la personne qui a prêté serment a-t-elle obtenu ce renseignement ?
Monsieur le Président, je vais vous le lire avec plaisir. J’ai déclaré que Eichmann était à l’origine des précisions fourmes à Wilhelm Höttl, un de ses adjoints, il est dit, page 1 :
« À ma connaissance le chef de section de l’AMT IV (Gestapo) de RSHA était alors Eichmann. Il avait reçu de Himmler, l’ordre de saisir les Juifs de tous les pays d’Europe et de les transporter en Allemagne. Eichmann était alors très impressionné par le fait que la Roumanie s’était retirée de la guerre à cette époque. En ce qui concerne la situation militaire, je recevais tous les jours des informations du ministère de la Guerre hongrois et du commandement des Waffen SS en Hongrie et Eichmann venait se renseigner auprès de moi. Il exprima sa conviction que l’Allemagne avait perdu la guerre et que lui personnellement n’avait plus aucune chance. Il savait qu’il serait considéré comme Grand Criminel de guerre par les Nations alliées puisqu’il avait des millions de vies juives sur la conscience. Je lui en demandai le chiffre. Il me répondit que bien que le chiffre fût un très grand secret il me le dirait parce que, comme historien cela m’intéressait également et que, vraisemblablement, il ne reviendrait pas de son commandement en Roumanie. Peu de temps auparavant, il avait fait un compte rendu à Himmler qui voulait savoir exactement le nombre de Juifs qui avaient été tués. »
C’est en me basant sur cette information que j’ai lu la citation de ce document.
Le Tribunal lève l’audience.