VINGTIÈME JOURNÉE.
Vendredi 14 décembre 1945.

Audience de l’après-midi.

LE PRÉSIDENT

La requête déposée ce matin au nom de l’accusé Kaltenbrunner a été repoussée. L’affidavit est admis et ne sera pas rayé du procès-verbal, mais le Tribunal désire faire savoir aux avocats que, d’accord avec le Statut et les règlements de procédure, il leur est permis de présenter une requête par écrit, s’ils le désirent, pour que Pfaffenberger assiste à un interrogatoire contradictoire, en exposant les motifs de cette demande.

Dr KAUFFMANN

Je viens ici soulever une question analogue, quoique différente de celle de Pfaffenberger. Je demande qu’on supprime la déposition du Dr Höttl, qui a été consignée ce matin au procès-verbal ; le Dr Höttl, à ma connaissance, est ici à Nuremberg.

LE PRÉSIDENT

Un instant, s’il vous plaît. Avez-vous bien compris que le Tribunal vient de repousser la requête que vous avez présentée ce matin ?

Dr KAUFFMANN

Oui, c’est exactement ce que j’ai entendu.

LE PRÉSIDENT

Et que demandez-vous maintenant ?

Dr KAUFFMANN

Je voudrais demander l’annulation du témoignage cité ce matin du Dr Höttl, pour un motif dont plusieurs autres dépendent, et qui n’est pas celui de ma requête concernant l’interrogatoire de Pfaffenberger. Comme on le voit dans l’affidavit, le Dr Höttl a été entendu le 26 novembre, donc il y a à peine trois semaines. Je viens d’apprendre en outre que le Dr Höttl est détenu, ici à Nuremberg. Cela n’occasionnera donc aucun retard si nous faisons comparaître ce témoin devant le Tribunal. Cet homme avait une situation importante dans les SS. J’ai demandé il y a quelque temps par écrit qu’il vînt témoigner, et je suis certain qu’il pourrait produire une grande quantité de pièces importantes pour le Tribunal. Le témoignage du Dr Höttl est extrêmement important. Il s’agit de la mort de millions d’hommes, or ce témoignage repose sur des conclusions tirées par lui et il n’a eu connaissance des faits décrits que par on dit. Je suis donc d’avis que le cas paraîtra entièrement différent et je n’aimerais pas demander au Tribunal, après des semaines ou des mois, de faire comparaître ce témoin ici.

COMMANDANT WALSH

Plaise au Tribunal. Des extraits de l’affidavit de Höttl ont été lus ce matin (document PS-2738) dans le seul but de montrer le nombre approximatif de Juifs qui, selon lui, sont morts de la main des Allemands. Son témoignage n’a été mentionné que pour cela et la preuve n’a été fournie que dans le but d’établir son évaluation du nombre des victimes. Sa fonction dans le Parti et dans l’État, aussi bien que celle d’Adolf Eichmann, son informateur, ont été également mentionnées dans le rapport. Je pense que si pour toute autre raison, la Défense désire l’appeler, ce sera possible, mais le Ministère Public n’avait pas lieu d’utiliser autrement son témoignage.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous l’intention d’ajouter quelque chose ?

COMMANDANT WALSH

Non, c’est tout.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal applique la même règle ici que dans le cas de Pfaffenberger, à savoir que l’affidavit est admis comme preuve, mais que la Défense a le droit de faire une requête par écrit, pour que le témoin soit interrogé, en en indiquant les raisons.

COMMANDANT WALSH

Au cours de la séance de ce matin, le Tribunal a demandé quelques précisions au sujet de documents fournis et admis comme preuves. Il s’agit du document PS-1061 (USA-275), le rapport : « Le ghetto de Varsovie n’existe plus. » Ce rapport, m’a-t-on dit, a été préparé en vue d’une réunion des chefs de la Police SS qui devait avoir lieu le 18 mai 1943. Ceci est indiqué à la page 45 de la traduction, qui est entre les mains du Tribunal. Il a été saisi par la 7e Armée américaine et a été remis par elle au Service G 2, des Forces des États-Unis dans le théâtre d’opérations européen ; il fut remis ensuite au Colonel Storey du Ministère Public américain, il y a quelques mois.

LE PRÉSIDENT

Commandant Walsh, je crois que le Tribunal voudrait aussi savoir à qui le rapport avait été adressé.

COMMANDANT WALSH

Le rapport, d’après le télétype, était adressé au Chef suprême des SS et de la Police, Krüger, ou à son adjoint.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie.

COMMANDANT WALSH

Le Tribunal a également demandé des précisions en ce qui concerne le document L-53. Ce document a été saisi par les forces « T » du détachement nº 220 du corps de contre-espionnage et trouvé parmi les rapports allemands saisis à Weimar, en Allemagne, avant le 10 mai 1945.

LE PRÉSIDENT

Le L-53 n’est-ce pas ?

COMMANDANT WALSH

Oui. D’autre part, le Tribunal a demandé la signification des lettres WB. Je regrette, mais je n’ai pu m’en informer de façon décisive. Mais on m’a suggéré que cela pouvait signifier « West-Bund » ou « Western Ally » (Allié de l’Ouest), parce que cela a trait au massacre de tous les prisonniers après leur capture par les WB ou l’Armée Rouge, et je présume que cela peut signifier « West-Bund ».

Le carnage des Juifs en Europe ne peut être exprimé seulement par des chiffres car l’influence de ce carnage est encore plus tragique pour l’avenir du peuple juif et de l’Humanité. D’anciennes communautés juives, avec leur vie culturelle très riche, leur développement spirituel et économique, liées depuis des siècles à la vie des nations dans lesquelles elles s’épanouissaient, ont été complètement anéanties. L’apport du peuple juif à la civilisation, aux arts, aux sciences, à l’industrie et à la culture n’a pas besoin, j’en suis sûr, d’être souligné devant ce Tribunal. Leur destruction, exécutée d’une façon continue, délibérément, intentionnellement et méthodiquement par les nazis, représente une perte pour la civilisation, perte de qualités et de valeurs bien définies qui ne peuvent être remplacées.

Je n’ai pas essayé de décrire les crimes multiples et diaboliques commis contre le peuple juif par l’État dirigé par ces accusés, parce qu’en respectant la vérité contemporaine et historique, la description détaillée de quelques-uns de ces crimes dépasserait les limites extrêmes de la faculté humaine d’expression. L’esprit recule et se refuse à admettre les faits incroyables déjà relatés. Mon but est plutôt de mettre en lumière la ligne générale, les étapes successives de la réussite, la suite et l’aboutissement des crimes commis, enfin les moyens prévus pour atteindre au résultat projeté. Pourtant, ces faits, ces chiffres nus, froids et brutaux, tirés pour la plupart des propres documents des accusés et présentés comme preuves à cette barre, défient la contradiction.

Partant de la conception pour aboutir à l’exécution, du programme du parti en 1920 aux déclarations pompeuses de Himmler et de l’accusé Frank en 1943 et 1944, l’annihilation de la race juive en Europe a été faite par ces hommes, ceux-là mêmes qui sont assis au banc des accusés et appelés à être jugés devant ce Tribunal.

Avant de terminer, puis-je exprimer ma reconnaissance des services incessants rendus par le personnel du Ministère Public des États-Unis ? Grâce à leurs recherches laborieuses, à leurs analyses et à leurs travaux, la présentation des preuves a été possible ; je veux nommer : le capitaine Seymour Krieger, le lieutenant Brady Bryson, le lieutenant Frederic Felton, le sergent Isaac Stone, et Mr. Hans Nathan.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. La présentation suivante des preuves concernant la germanisation et la spoliation dans les pays occupés sera faite par le capitaine Harris.

CAPITAINE SAMUEL HARRIS (substitut du Procureur Général américain)

Plaise au Tribunal. Les documents relatifs au programme nazi de germanisation et de spoliation ont été rassemblés dans un livre de documents portant la lettre « U ». Ces documents sont maintenant distribués aux membres du Tribunal. Je demande au Tribunal de noter que les onglets du livre de documents sont numérotés de 1 à 30. L’index en tête du livre donne la référence de ces numéros dans les séries EC, PS et R de nos documents. Pour la commodité du Tribunal, nous avons également numéroté les pages de chaque pièce, au crayon, en haut et à droite. Les documents que nous fournirons ont été rassemblés par le lieutenant Kenyon, qui est à ma droite, et par les Docteurs Derenberg et Jacoby. Sans leur effort infatigable, cette présentation n’aurait pas été possible.

M. Alderman a déjà déposé les preuves tendant à établir que les accusés ont conspiré pour déclencher des guerres d’agression. Il a été également établi que le désir de l’espace vital « Lebensraum » était une des forces principales poussant les conspirateurs à projeter le déclenchement et la poursuite de leurs guerres d’agression. Nous nous proposons maintenant de fournir des documents qui indiquent ce que les conspirateurs nazis avaient l’intention de faire de leurs territoires conquis, appelés par eux « Lebensraum », une fois écrasées les victimes de leurs agressions. Nous avons divisé, en gros, le sujet en deux catégories : Germanisation et spoliation.

Lorsque nous parlons de plan de germanisation, nous voulons dire des plans en vue de l’assimilation politique, culturelle, sociale et économique des territoires conquis dans le Reich allemand. La germanisation, nous le montrerons, aboutissait à l’élimination de l’ancien caractère national des territoires conquis et à l’extermination de tous les éléments irréconciliables avec l’idéologie nazie.

Par spoliation, nous voulons dire le pillage de la propriété publique et privée et, en général, l’exploitation du peuple et des ressources naturelles des pays occupés.

Nous avons l’intention, avec l’autorisation du Tribunal, de présenter en tout trente documents. Ces documents dévoilent quelques-uns des plans secrets des conspirateurs pour germaniser, dépouiller, piller et détruire. Naturellement, ils ne content pas l’histoire complète de tous les projets des conspirateurs dans ce domaine. Dans certains cas, la preuve du plan émane des actes commis ultérieurement. Mais ils mettent particulièrement en lumière les desseins concernant la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Russie. Ils indiquent les grandes lignes de ce qui avait été soigneusement conçu pour le reste de l’Europe. D’autres documents qui suivront, compléteront ce tableau, en montrant une série d’outrages commis sur une si vaste échelle que la pensée directrice ne peut faire l’objet du moindre doute.

La Pologne a été en quelque sorte un champ d’expériences pour les théories sur le « Lebensraum » des conspirateurs, et je commencerai par ce pays. Les quatre provinces occidentales de la Pologne furent à dessein incorporées à l’Allemagne par un ordre du 8 octobre 1939. Cet ordre, qui fut signé par Hitler, Lammers et les accusés Göring, Frick et Hess, est publié dans le Reichsgesetzblatt, 1939, partie 1, page 2042 et nous demandons au Tribunal de l’admettre comme preuve.

Ces régions de la Pologne sont souvent mentionnées dans la correspondance entre les conspirateurs, sous le nom de « Territoires incorporés de l’Est. » Le reste de la Pologne, capturé par les envahisseurs nazis fut établi sous forme de Gouvernement Général de la Pologne, par un ordre de Hitler, daté du 12 octobre 1939. Dans ce même ordre, l’accusé Hans Frank fut nommé Gouverneur Général de ce nouveau Gouvernement Général et l’accusé Seyss-Inquart, Gouverneur Général adjoint. Cet ordre est publié dans le Reichsgesetzblatt, 1939, partie 1, page 2077, et nous demandons au Tribunal de l’admettre aussi comme preuve.

Les plans concernant la Pologne étaient assez compliqués, et je crois que la signification des documents présentés comme preuves sera plus apparente si, avant de les soumettre, je puis me permettre d’indiquer brièvement le contour de ces plans.

Nous soumettons que les documents que nous allons introduire sur la Pologne démontrent les faits suivants :

I. Les conspirateurs se proposèrent d’exploiter le peuple et les ressources matérielles du Gouvernement Général de la Pologne, afin de renforcer la machine de guerre nazie, d’appauvrir le Gouvernement Général et d’en faire un État vassal. Plus tard, des plans furent dressés pour créer des îlots de colonies allemandes dans les régions les plus fertiles du Gouvernement Général, afin d’engloutir la population polonaise indigène et d’accélérer le processus de germanisation.

II. La région incorporée de Pologne, que l’on estimait être une partie du Reich allemand, devait être impitoyablement germanisée. Dans ce but, les conspirateurs projetèrent :

a) D’autoriser la conservation des moyens de production dans la région incorporée, afin naturellement de les destiner à la machine de guerre nazie.

b) De déporter dans le Gouvernement Général des centaines de milliers de Juifs, membres de l’élite intellectuelle polonaise, et autres éléments non soumis. Nous montrerons que les Juifs déportés dans le Gouvernement Général étaient voués à une extermination rapide. De plus, comme les conspirateurs se rendaient compte que les membres de l’élite intellectuelle polonaise ne pouvaient être germanisés, et qu’ils pourraient servir de centre de résistance contre leur ordre nouveau, ceux-là aussi devaient être éliminés.

c) Ils projetèrent de déporter en Allemagne tous les travailleurs polonais valides, pour travailler à la machine de guerre nazie, ceci dans le double but d’aider à satisfaire les besoins de main-d’œuvre de la machine de guerre nazie, et d’empêcher la naissance d’une nouvelle génération de Polonais. M. Dodd a déjà produit des preuves abondantes à ce sujet et je ne ferai que le mentionner.

d) Ils projetèrent de faire, de toutes les personnes des régions incorporées que l’on estimait avoir du sang allemand, des sujets allemands qui adhéreraient avec ferveur aux principes du national-socialisme. Dans ce but, les conspirateurs établirent un système minutieux de contrôle racial et ceux qui résistèrent ou refusèrent de coopérer à ce programme furent envoyés dans des camps de concentration.

e) Ils décidèrent d’amener des milliers de sujets allemands dans la région incorporée pour les y établir.

f) Enfin, ils projetèrent la confiscation des propriétés et en particulier des fermes de Polonais, de Juifs, et de tous les éléments dissidents. La confiscation de la propriété des Juifs était une partie du grand programme d’extermination des conspirateurs. La confiscation était effectuée dans un triple but :

1. Elle fournissait du terrain pour les nouveaux colonisateurs allemands, et permettait aux conspirateurs de récompenser leurs adhérents.

2. Les propriétaires polonais dépossédés seraient envoyés en Allemagne pour travailler à la production de l’armement.

3. La séparation des fermiers polonais de leurs femmes empêchait le développement d’une nouvelle génération polonaise.

Nous passons maintenant aux preuves documentaires. Je présente d’abord le document nº EC-344/16 (USA-297). Ce document est le compte rendu d’un interview de l’accusé Frank, le 3 octobre 1939, et fut trouvé dans les dossiers de l’OKW qui étaient rassemblés dans le centre de documentation de Fechenheim. Ce document particulier faisait partie d’un vaste rapport préparé à l’OKW par un certain capitaine Varain, sous la direction du général Thomas, alors chef du personnel économique militaire de l’OKW. Je cite les dix-neuf premières lignes de la page 3 du texte anglais. Dans le texte allemand, c’est à la page 29, lignes 25 à 36 et page 30, lignes 1 à 6. Je cite :

« Dans la première entrevue que le chef de la division centrale et l’officier de liaison entre le Service d’armement du Nord-Est et l’officier administratif en chef, appelé plus tard Gouverneur Général, eurent avec le ministre Frank, le 3 octobre 1939 à Posen, Frank expliqua les directives et les responsabilités économiques et politiques qui lui avaient été confiées par le Führer, et selon lesquelles il avait l’intention d’administrer la Pologne.

« Selon ces directives, la Pologne ne peut être administrée qu’en utilisant le pays par des moyens d’exploitation impitoyables, de déportation de toutes les ressources, matières premières, machines, installations d’usines, etc., qui sont importantes pour l’économie de guerre allemande, disponibilité de tous les travailleurs qui seront à employer à l’intérieur de l’Allemagne, réduction de toute l’économie polonaise au minimum absolument nécessaire à la survie de la population, fermeture de tous les établissements d’instruction, en particulier les écoles techniques et les universités, afin d’éviter le développement d’une nouvelle élite intellectuelle polonaise.

« La Pologne, déclara l’accusé Frank, sera traitée comme une colonie, les Polonais seront les esclaves du plus grand empire allemand mondial. »

J’aimerais aussi citer les six dernières lignes de la version anglaise de ce texte. Dans le texte allemand, ce sont les lignes 18 à 23, page 30. L’accusé Frank ajouta – et je cite :

« En détruisant l’industrie polonaise, sa reconstruction après la guerre sera plus difficile, sinon impossible, de sorte que la Pologne sera ramenée à sa propre position de pays agricole, et devra compter sur l’Allemagne pour l’importation des produits industriels. »

Comme autre preuve du plan des accusés, de piller et de dépouiller le Gouvernement Général de la Pologne, je présente maintenant le document EC-410 (USA-298). Ce document montre également le traitement différent envisagé par les conspirateurs pour la région incorporée de la Pologne et pour le Gouvernement Général. Ce document est la copie d’une directive donnée et signée par l’accusé Göring, le 19 octobre 1939, et fut également trouvé dans les dossiers saisis de l’OKW. Je cite les lignes 1 à 19, page 1 du texte anglais. Dans le texte allemand, c’est la fin de la page 1 et la première ligne de la page 2. La directive de l’accusé Göring établit, et je cite :

« À la réunion du 13 octobre, j’ai donné des instructions détaillées pour l’administration économique des territoires occupés. Je les répéterai ici brièvement :

« 1. La tâche pour le traitement économique des diverses régions administratives diffère et dépend du fait de savoir si le pays sera incorporé politiquement dans le Reich allemand, ou s’il s’agit du Gouvernement Général qui, selon toutes probabilités, ne deviendra pas partie de l’Allemagne.

« Dans le territoire d’abord mentionné, il faut tendre vers la reconstruction et l’expansion de l’économie, la sauvegarde de toutes les facilités de production et de ressources, aussi bien qu’une complète incorporation dans le plus grand système économique, le plus tôt possible.

« Par contre, toutes les matières premières, pièces détachées, machines, etc. qui sont utiles à l’économie de guerre allemande, doivent être enlevées du territoire du Gouvernement Général. Les entreprises qui ne sont pas absolument nécessaires au maintien minimum de l’existence de la population doivent être transférées en Allemagne, à moins que ce transfert ne demande une période de temps par trop longue, et que l’exploitation directe de ces entreprises soit plus pratique, en leur donnant des commandes allemandes à exécuter sur place. »

Quand le Gouvernement Général fut dépouillé de son potentiel industriel, les accusés décidèrent de laisser le pays ruiné. Les dommages de guerre ne seraient même pas réparés. Ceci ressort clairement des documents qui viennent d’être produits et c’est également mis en lumière par le document EC-411 (USA-299). Je dépose ce document comme preuve. C’est une copie d’un ordre donné le 20 novembre 1939, par l’accusé Hess, en sa qualité de délégué du Führer. Le document a également été trouvé dans les dossiers saisis de l’OKW. Je cite les textes allemands et anglais en entier. L’accusé Hess déclara, et je cite :

« J’ai entendu dire par des membres du Parti, qui rentrent du Gouvernement Général, que diverses agences, comme par exemple l’État-Major économique militaire, le ministère du Travail du Reich, etc. ont l’intention de reconstruire certaines entreprises industrielles à Varsovie. Cependant, d’accord avec une décision du ministre Dr Frank, approuvée par le Führer, Varsovie ne sera pas reconstruite, et ce n’est pas l’intention du Führer de reconstruire aucune industrie dans le Gouvernement Général. »

Passant du programme de spoliation économique des accusés dans le Gouvernement Général à leur programme de déportation et de réinstallation, je fournis maintenant en preuve le document PS-661 (USA-300). C’est un rapport secret préparé par l’Académie allemande de Droit, en janvier 1940, sur des plans pour la migration en masse des Polonais et des Juifs, allant des régions incorporées en Pologne au Gouvernement Général et pour la déportation forcée des Polonais valides en Allemagne. Ce document a été trouvé au centre ministériel de documentation de Kassel, en Allemagne. La date n’apparaît pas sur la traduction anglaise, mais elle est clairement visible sur la couverture du document original comme étant janvier 1940. Avant de citer ce document, je demande d’abord que le Tribunal tienne pour acquis le décret du 11 juillet 1934, contenu dans le Reichsgesetzblatt, partie 1, page 605, qui prévoyait que l’Académie allemande de Droit serait une corporation publique du Reich, sous la surveillance des ministres de la Justice et de l’Intérieur du Reich, et que sa tâche serait :

« … de favoriser la reconstruction de la vie juridique allemande, et de réaliser, en collaboration étroite et constante avec les organisations législatives compétentes, le programme national-socialiste dans toute la sphère du Droit. »

Avant de citer le rapport ci-dessus mentionné de l’Académie de Droit, j’aimerais déposer le document PS-2749 (USA-301). C’est la page de titre de la publication de l’Académie allemande de Droit de 1940. Je l’offre en preuve dans le but de montrer que l’accusé Frank a été le Président de l’Académie allemande de Droit durant la période où fut établi ce rapport de l’Académie. Le document établit avec précision, et je cite :

« Le ministre du Reich, Dr Hans Frank, Président de l’Académie allemande de Droit, 7e année – 1940. »

Je demande maintenant au Tribunal de revenir au document PS-661 (USA-300). J’aimerais d’abord citer la page 1, lignes 6 à 24 du texte anglais. Dans le texte allemand, ces extraits sont : page 6, lignes 6 à 10, et page 6, ligne 22, à page 7, ligne 4. Je cite :

« Pour l’exécution de mesures longues et coûteuses en vue de l’accroissement de la production agricole, le Gouvernement Général peut au plus absorber un million à un million et demi de colonisateurs, et comme le pays est déjà surpeuplé avec l’adjonction de 1.600.000 travailleurs, le taux de population du Reich de 1925 : 133 habitants au kilomètre carré, serait atteint. Pratiquement, en raison d’une population rurale déjà trop nombreuse, et d’un manque d’industrie, il en résulterait un double surpeuplement.

« Ce chiffre de 1.600.000 suffira à peine à transférer du Reich les Juifs de l’Est libérés (plus de 600.000), une partie du reste des Juifs, plutôt les groupes des jeunes classes de l’Allemagne proprement dite, de l’Autriche, de la Région des Sudètes et du Protectorat (ensemble, plus de 1.000.000). » Le rapport continue à parler des transferts hors du Reich et je continue à citer :

« L’élite intellectuelle polonaise, qui a été active politiquement dans le passé, qui contient d’éventuels chefs politiques, des notabilités économiques, comprenant les propriétaires de vastes biens fonciers, des industriels, des hommes d’affaires, etc., la population paysanne, en tant qu’elle a dû être éloignée pour exécuter l’encerclement des territoires polonais de l’Est, en y insérant des groupes de colonies allemandes. »

Ensuite, je cite le dernier paragraphe de la page 1 du texte anglais, page 8, lignes 3 à 10 du texte allemand. Je cite : « Afin de libérer l’espace vital des Polonais dans le Gouvernement Général aussi bien que dans l’Est libéré, on devrait éloigner temporairement les travailleurs à bon marché par centaines des milliers, les utiliser quelques années dans le Vieux Reich, et par là entraver leur développement biologique. Leur assimilation dans le Vieux Reich doit être évitée. »

Enfin, je cite le dernier paragraphe de la page 2 du texte anglais. Dans le texte allemand, ce sont les cinq dernières lignes de la page 40. Je cite : « Le soin le plus absolu doit être pris pour que les circulaires secrètes, mémorandums, et correspondances officielles qui contiennent des instructions au détriment des Polonais soient enfermés à clef, afin que, quelque jour, ils ne remplissent pas les livres blancs imprimés à Paris ou aux États-Unis. »

Le Tribunal se rappellera les violentes campagnes de propagande menées par l’Allemagne nazie pour discréditer les livres polonais lorsqu’ils apparaissent dans les pays amis de la Pologne. Le dernier paragraphe de ce document donne un démenti à toute la campagne de propagande nazie.

Les plans pour la déportation de milliers de gens innocents, exposés dans le document que je viens de citer, n’étaient pas de simples théories tissées par des juristes. Ils représentaient, comme les trois documents suivants le montreront, un programme qui, en fait, a été impitoyablement exécuté.

Je présente maintenant comme preuve le document PS-2233 (g), journal de Frank de 1939, du 25 octobre au 15 décembre (USA-302). Ce document provient du centre de documentation de la 7e Armée à Heidelberg. Je cite le dernier paragraphe de la page 1 jusqu’aux deux premières lignes de la page 2 du texte anglais (dans le texte allemand, page 19, lignes 19 à 28) ; l’accusé Frank déclare :

« Le Reichsführer SS (c’est-à-dire Himmler) désire que tous les Juifs soient évacués du territoire nouvellement acquis par le Reich ; approximativement, 1.000.000 de personnes doivent être amenées de cette façon dans le Gouvernement Général. Les familles de bonne extraction raciale représentent dans le territoire polonais environ 4.000.000 de personnes et doivent être évacuées dans le Reich, logées individuellement et, par conséquent, déracinées en tant que peuple. »

Je présente maintenant comme preuve le document EC-305 (USA-303). C’est le compte rendu très secret d’une réunion tenue le 12 février 1940, sous la présidence de l’accusé Göring, sur « des questions relatives à l’Est ». Le document fut trouvé dans les dossiers saisis de l’OKW. Himmler et l’accusé Frank étaient présents à cette réunion. Je commence à citer page 1, lignes 15 à 17 du texte anglais (texte allemand, première page, lignes 1 à 8). Je cite :

« En introduction, le Generalfeldmarschall (l’accusé Göring), explique que le renforcement du potentiel de guerre du Reich doit être le but principal de toutes les mesures à prendre dans l’Est. »

Je cite maintenant les deux premières lignes du dernier paragraphe, page 1 du texte anglais (dans le texte allemand, c’est à la page 2, lignes 2 à 4) : « Agriculture – la tâche consiste à obtenir la plus grande production agricole des nouveaux Gau de l’Est, sans considérer les questions de propriété. »

Je cite maintenant la première phrase du deuxième paragraphe, page 2 du texte anglais (page 3, lignes 22 à 24 du texte allemand) : « Question spéciale concernant le Gouvernement Général. Le Gouvernement Général devra recevoir les Juifs qui ont reçu l’ordre d’émigrer d’Allemagne et du nouveau Gau de l’Est. »

Enfin, je cite le paragraphe II, page 2 du texte anglais (dans le texte allemand, page 4, lignes 3 à 19) :

« Les rapports suivants ont été faits sur la situation dans les territoires de l’Est. Reichsstatthalter Gauleiter Forster. La population de la région de Dantzig, du Gau de Prusse Occidentale et des territoires nouvellement acquis, est de 1.500.000, dont 240.000 sont Allemands, 850.000 Polonais et 300.000 émigrants Polonais Juifs et asociaux (1.800 Juifs). 87.000 personnes ont été évacuées, 40.000 d’entre elles de Gotenhafen. Là aussi, de nombreux réfractaires qui vivent de secours devront être déportés dans le Gouvernement Général. Par conséquent, une évacuation de 20.000 autres personnes peut être envisagée pour l’année courante. »

À cette réunion, d’autres rapports furent faits par d’autres gauleiters. Les chiffres donnés ne l’ont été que pour février 1940.

Les déportations forcées qui ont été rapportées dans les pièces que je viens de lire ne comprennent pas seulement l’ordre donné aux infortunées victimes, d’abandonner leurs maisons et d’aller habiter ailleurs ; ces déportations furent accomplies avec préméditation d’une façon extrêmement brutale et inhumaine ; le document PS-1918 (USA-304), apporte une preuve frappante de ce fait et je le dépose comme preuve. C’est un discours prononcé par Himmler devant des officiers SS le jour commémoratif de la présentation du drapeau nazi. Il se trouve dans un recueil de discours de Himmler, qui a été saisi par la section de contre-espionnage de l’armée américaine. La date exacte du discours ne s’y trouve pas, mais le texte montre clairement qu’il a été fait quelque temps après l’invasion de la Pologne. Je cite les lignes 2 à 8, page 1 du texte anglais (texte allemand page 52, lignes 2 à 10). Dans ce discours, Himmler dit, et je cite :

« Très souvent les membres des Waffen SS pensent à la déportation des gens vivant ici. Ces pensées me sont venues alors que je contemplais le travail difficile exécuté ici par la Police de sûreté assistée de vos hommes qui les aident beaucoup. La même chose s’est produite en Pologne à une température de 40º au-dessous de zéro, là où nous devions transporter des milliers, des centaines et des dizaines de milliers de personnes, où nous avons dû avoir la cruauté – vous devez entendre cela, mais aussi l’oublier immédiatement – de fusiller des milliers de Polonais de marque. »

Je répète cette citation :

« Où nous avons dû avoir la cruauté de fusiller des milliers de Polonais de marque. »

Les Polonais de la région incorporée au Reich, qui parvinrent à survivre aux conditions de voyage dans le Gouvernement Général, pouvaient s’attendre à une souffrance extrême et être exposés à des dégradations et brutalités.

Le Tribunal se souvient de la déclaration de l’accusé Frank, contenue dans le document EC-344-16 (USA-297), qui a été déposé en preuve il y a peu de temps, déclaration selon laquelle l’économie polonaise serait réduite au minimum indispensable à la survie de la population.

Le Tribunal se souviendra aussi des directives de l’accusé Göring dans le document EC-410 (USA-298), déposé dernièrement, selon lequel toutes les entreprises industrielles du Gouvernement Général qui n’étaient pas absolument indispensables à la subsistance de la population polonaise devraient être amenées en Allemagne. La survie, selon les préceptes des conspirateurs, signifiait virtuellement la mort par famine.

Pour les Juifs déportés de force dans le Gouvernement Général, il n’y eut naturellement aucun espoir. Ils furent en fait déportés vers leurs tombes. L’accusé Frank, ainsi qu’il l’a reconnu, s’est voué à leur complète extermination.

Je renvoie le Tribunal au journal de Frank, volume de conférences 1941, octobre à décembre, document PS-2233 (d) qui a été déposé précédemment par le commandant Walsh comme document USA-281. L’accusé Frank y disait (page 77, lignes 9 et 10 du texte allemand) :

« Nous devons exterminer les Juifs, là où nous les trouvons et chaque fois que c’est possible. »

Je passe maintenant à la partie du programme des conspirateurs qui avait trait à la germanisation forcée, dans la région incorporée, des habitants censés être en partie de sang allemand. De telles personnes, les preuves le montreront, eurent le choix entre le camp de concentration et la soumission à la germanisation. Himmler fut le principal exécutant de ce programme, et j’aimerais en débutant produire quelques documents qui révèlent les pouvoirs qui lui furent conférés et sa conception de sa tâche. Je dépose d’abord en preuve le document PS-686 (USA-305). C’est la copie d’un décret secret signé par Hitler et par les accusés Göring et Keitel, daté du 7 octobre 1939, confiant à Himmler la tâche d’exécuter le programme de germanisation. Ce document vient du Centre ministériel de documentation à Cassel, Allemagne. Je cite à la page 1 les lignes 9 à 21 du texte anglais, (dans le texte allemand, extraits page 1, de la ligne 13 à la ligne 25) :

« Le Reichsführer SS (c’est-à-dire Himmler) a l’obligation, d’accord avec mes directives :

« 1. De ramener pour un retour définitif dans le Reich tous les nationaux allemands et tous les Allemands de race qui sont dans les pays étrangers.

« 2. D’éliminer l’influence néfaste des parties étrangères de la population présentant un danger pour le Reich et pour la communauté du peuple allemand.

« 3. Formation de nouvelles colonies allemandes par une nouvelle colonisation, en particulier, en établissant le retour des citoyens allemands et des Allemands d’origine qui sont à l’étranger. Le Reichsführer SS a reçu l’autorisation de prendre toutes les mesures nécessaires, générales et administratives pour l’exécution de cette obligation. »

La conception qu’a Himmler de ses devoirs, selon ce décret, est clairement établie dans la préface qu’il écrivit pour le Deutsche Arbeit, édition de juin-juillet 1942. La préface est contenue dans le document PS-2915, maintenant USA-306. Je cite les quatre premières lignes du texte anglais (page 157 du texte allemand) :

« Il n’est pas de notre devoir » – écrit Himmler – « de germaniser l’Est dans le vieux sens du terme, c’est-à-dire d’enseigner au peuple de là-bas, la langue et la loi allemandes, mais de veiller à ce que seul le peuple allemand de sang pur vive dans l’Est.

« Signé : Himmler. »

Je présente maintenant comme preuve le document PS-2916 (USA-307). Il contient différents éléments de preuve : Der Menscheneinsatz de 1940, publication secrète à tirage limité des services de Himmler, pour le renforcement de la nationalité allemande. Je cite page 1, lignes 7 à 11 (dans le texte allemand, page 51, les 4 premières lignes après la lettre D).

« Le nettoyage des races étrangères hors des territoires incorporés de l’Est, est l’un des buts essentiels à accomplir dans l’Est allemand. C’est la tâche politique principale qui doit être exécutée dans les territoires incorporés de l’Est par le Reichsführer SS, commissaire du Reich pour le renforcement du caractère national du peuple allemand. »

Je cite maintenant les lignes 33 à 39, page 1 du texte anglais, (dans le texte allemand, page 52, lignes 14 à 20).

« Il y a deux raisons principales qui rendent impératif le recouvrement du sang allemand qui a été perdu pour nous :

« 1. Empêcher l’accroissement de l’élite intellectuelle polonaise par les familles de descendance allemande, même si elles sont polonisées.

« 2. Accroissement de la population par des éléments raciaux désirables pour la nation allemande et l’acquisition de forces acceptables ethno-biologiquement pour la reconstruction allemande de l’agriculture et de l’industrie. »

Une nouvelle lumière est jetée sur les buts que les conspirateurs nazis s’étaient tracés dans leur programme de germanisation dans les régions conquises de l’Est, par un discours fait par Himmler le 14 octobre 1943. Ce discours fut publié par le Commandement suprême national-socialiste de l’OKW. Il provient du Centre de documentation de la 3e division d’Infanterie des États-Unis. Les extraits de ce discours sont contenus dans le document L-70 (USA-308). Je cite le texte anglais dans sa totalité (dans le texte allemand, page 23, lignes 6 à 11, 12 à 15, 20 à 23 et page 30, lignes 7 à 16) ; Himmler dit :

« Je considère que lorsqu’on s’occupe des membres d’un pays étranger et en particulier de nationalité slave, nous ne devons pas partir du point de vue allemand, et nous ne devons pas accorder à ces gens des pensées correctes allemandes et les conclusions logiques dont ils ne sont pas capables, mais nous devons les prendre pour ce qu’ils sont réellement. Manifestement dans un tel mélange de races, il y aura toujours de très bons types raciaux. C’est pourquoi, je pense qu’il est de notre devoir de prendre chez nous leurs enfants, de les éloigner de leur entourage, si c’est nécessaire, en les volant ou en les kidnappant.

« Ou bien nous gagnerons du bon sang que nous pourrons utiliser nous-mêmes et nous lui donnerons une place au sein de notre peuple, ou bien, Messieurs, peut-être estimez-vous que c’est cruel, mais la nature elle-même est cruelle, nous détruirons ce sang. »

Continuant à la page 30 du texte allemand : lignes 7 à 16, Himmler déclara, je cite :

« Pour nous, la fin de cette guerre signifiera une voie ouverte vers l’Est, la création du Reich allemand d’un côté ou de l’autre, le rapatriement de 30 millions d’êtres humains de notre sang, si bien que, même pendant notre vie, nous serons un peuple de 120.000.000 de Germains ; ce qui signifie que nous serons la seule puissance décisive en Europe. Ceci signifie que nous pourrons fixer la paix. Durant les premières vingt années, nous pourrons reconstruire et étendre nos villages et nos villes, et nous repousserons les frontières de notre race allemande 500 kilomètres vers l’Est. »

Pour favoriser les plans dévoilés par les trois dernières pièces déposées comme preuves, les conspirateurs mirent sur pied un registre racial dans la région incorporée de la Pologne. Le registre racial était en effet une classification soigneuse des personnes estimées de sang allemand et contenait des clauses établissant certains des droits, privilèges et devoirs de chaque catégorie. Ces personnes étaient classées en quatre groupes :

1. Les Allemands qui avaient activement favorisé la cause nazie.

2. Les Allemands plus ou moins passifs dans la lutte nazie, mais qui avaient conservé leur nationalité allemande.

3. Les personnes allemandes qui, quoique en relation auparavant avec des personnes de nationalité polonaise, étaient prêtes à se soumettre à la germanisation.

4. Les personnes de descendance allemande qui avaient été absorbées politiquement par la nation polonaise et qui résisteraient à la germanisation.

Le registre racial fut instauré par un décret du 12 septembre 1940, rendu par Himmler en tant que commissaire du Reich pour la consolidation de la nation allemande. Document PS-2916 (USA-307), déjà déposé. Je cite la page 4 du texte anglais, lignes 14 à 46 (dans le texte allemand ces extraits sont à la page 92, ligne 29, jusqu’à la fin de la page et lignes 1 à 9, page 93).

« La liste des Allemands de race sera divisée en 4 parties (ceci concerne seulement le service intéressé) :

« 1. Les Allemands de race qui ont pris une part active à la lutte de race. Outre le fait d’avoir adhéré à une organisation allemande, toute autre activité en faveur des Allemands contre une nationalité étrangère sera considérée comme une manifestation active.

« 2. Les Allemands de race qui ne sont pas intervenus activement en faveur de la nationalité allemande, mais qui avaient la preuve de leur nationalité allemande.

« 3. Les personnes de descendance allemande qui ont été en relation avec la nation polonaise au cours des années précédentes, mais qui, en raison de leurs aptitudes et de leurs conditions peuvent devenir des membres de la communauté nationale allemande. À ce groupe appartiennent toutes les personnes qui ne sont pas allemandes mais vivent, en mariage mixte, avec un Allemand de race où l’influence de l’époux allemand prédomine. Les personnes de Masurie, de Slovaquie ou de Haute-Silésie doivent être reconnues comme des Allemands de race appartenant généralement à ce groupe 3.

« 4. Les personnes d’ascendance allemande politiquement absorbées par la nation polonaise (renégats). Les personnes non incluses dans la liste des Allemands de race sont les Polonais nationaux et étrangers. Leur sort est réglé à B II.

« Les membres des groupes 3 et 4 doivent être éduqués comme Allemands, c’est-à-dire doivent être regermanisés au cours du temps par un traitement intensif dans la vieille Allemagne.

« L’établissement des membres du groupe 4 doit être fondé sur la doctrine que le sang allemand ne doit pas être utilisé dans l’intérêt d’une nation étrangère. Contre ceux qui refusent la regermanisation, des mesures de sécurité doivent être prises. »

L’idée fondamentale de créer un registre racial pour des personnes d’extraction allemande fut reportée plus tard dans un décret du 4 mars 1941, signé par Himmler et les accusés Frick et Hess. Ce décret est daté du 4 mars 1941 et établi dans le Reichsgesetzblatt, 1941, partie 1, page 118. Nous demandons au Tribunal d’en considérer la preuve comme acquise.

L’appareil des SS renforça l’exécution vigoureuse de ce décret. La preuve de ce fait est contenue dans le document R-112 (USA-309), que je présente maintenant. Cette pièce contient des directives données par Himmler en tant que commissaire du Reich pour la consolidation de la nation allemande. Je cite tout d’abord les deux derniers paragraphes de la page 3 du texte anglais du décret du 16 février 1942, page 3, (dans le texte allemand), ces clauses apparaissent page 1 pour le premier décret daté du 16 février 1942, paragraphes 1 et 2). Je cite maintenant :

« 1. Là où les Allemands de race n’ont pas demandé à être portés sur la liste ethnique allemande, vous demanderez aux agents subordonnés de donner leurs noms au service de Police d’État. Après quoi, vous me ferez un rapport.

« 2. Le service supérieur local de Police d’État chargera les personnes dont les noms ont été donnés, de prouver dans les huit jours qu’elles ont demandé à être portées sur la liste ethnique allemande. Si une telle preuve n’est pas fournie, la personne en question doit être mise en détention de protection pour être transférée dans un camp de concentration. »

Les mesures prises contre les personnes de la quatrième catégorie, les Allemands « polonisés » comme les conspirateurs les appelaient, furent particulièrement dures. Comme on l’a dit avant, ces personnes résistaient à la germanisation et des mesures impitoyables, destinées à briser leur résistance, furent prescrites. Quand l’histoire passée de l’individu indiquait qu’il ne pouvait être effectivement germanisé, il était jeté dans un camp de concentration.

Certaines de ces mesures sont exposées dans le sous-paragraphe 2, page 5 du document R-112, et je cite le texte anglais de ce paragraphe particulier (texte allemand, pages 2 à 3 pour le deuxième décret, daté du 16 février 1942, sous le nº II). Voici ce que la directive indiquait :

« 2º La regermanisation des Allemands polonisés présuppose leur séparation totale de l’entourage polonais. Pour cette raison, les personnes comprises dans la catégorie IV de la liste ethnique allemande doivent être traitées de la façon suivante :

« a) Elles doivent être rétablies dans le territoire du vieux Reich.

« 1. Les chefs supérieurs des SS et de la Police sont chargés de l’évacuation et du rétablissement de ces gens, selon les instructions qui suivront plus tard.

« 2. Les personnes asociales et autres qui sont de qualité héréditaire inférieure ne seront pas incluses dans le rétablissement. Leur nom sera immédiatement donné par le chef de la Police de sûreté au service de Police d’État. Ce dernier prendra des mesures pour leur transfert dans un camp de concentration.

« 3. Les personnes qui ont un dossier politique particulièrement mauvais ne sont pas incluses dans une action de rétablissement. Leur nom sera aussi donné par le chef SS et le chef de la Police (Inspecteur de la Police de sûreté et Service de sûreté) au service de Police d’État compétent, ce dernier arrangera leur transfert dans un camp de concentration.

« Les femmes et les enfants de ces personnes seront rétablis dans le territoire du Reich et inclus dans les mesures de germanisation. Si la femme, elle aussi, a un dossier politique particulièrement mauvais, et ne peut être incluse dans le rétablissement, son nom sera aussi donné au service de Police d’État compétent afin qu’elle soit emprisonnée dans un camp de concentration. Dans de tels cas, les enfants seront séparés de leurs parents et traités selon les instructions contenues dans le chapitre III, paragraphe 2 de ce décret.

« Devront être considérées comme ayant un dossier politique particulièrement mauvais, les personnes qui ont offensé la nation allemande, ont participé aux persécutions d’Allemands ou boycottage d’Allemands, etc. »

Concurremment avec le programme de germanisation des personnes d’extraction allemande dans les régions incorporées, les conspirateurs, comme cela a été indiqué auparavant, entreprirent d’installer un certain nombre d’Allemands d’opinion nazie bien établie dans cette région. Cette partie de leur programme apparaît nettement dans un journal du SS Obergruppenführer et du général de police, Wilhelm Koppe, qui était un des hommes de confiance de Himmler. Les extraits de cet article sont contenus dans le document PS-2915 qui a déjà été déposé comme pièce USA-306. Deuxième paragraphe du texte anglais (à la troisième ligne du texte allemand, à la fin de la page 170 jusqu’au tout premier paragraphe de la page 171). Je cite maintenant la déclaration de Koppe :

« La victoire des armes allemandes à l’Est doit donc être suivie par la victoire de la race allemande sur la race polonaise si la sphère Est regagnée, selon la volonté du Führer, reste une partie constituante essentielle du plus grand Reich allemand. Il est donc d’une importance considérable d’emplir la région allemande regagnée avec des fermiers allemands, travailleurs, fonctionnaires, marchands et artisans allemands de façon qu’un bastion enraciné d’Allemands soit formé comme mur protecteur contre les infiltrations étrangères et point de départ possible pour la pénétration raciale des territoires plus loin à l’Est. »

LE PRÉSIDENT

La séance est suspendue pour dix minutes.

CAPITAINE HARRIS

Oui, Monsieur le Président.

(L’audience est suspendue.)
CAPITAINE HARRIS

Jusqu’à maintenant, nous avons considéré les mesures de germanisation dans les régions annexes. Je voudrais maintenant passer brièvement au plan de germanisation dans le Gouvernement Général.

Au début, il y eut assez peu de personnes qui se firent inscrire comme Allemands, conformément aux règles des conspirateurs, d’où le peu d’utilité qu’aurait eu l’introduction d’un registre racial classant les personnes de descendance allemande sur le modèle de celui instauré dans la zone annexée. À notre connaissance, on n’instaura pas de registre racial de ce genre dans le Gouvernement Général, mais le plan semble avoir été : a) de faire du Gouvernement Général une colonie de l’Allemagne, ce qui – comme le Tribunal s’en souviendra d’après le document EC-344-16 (USA-297) – était l’objectif fixé par l’accusé Frank et, b) de créer de soi-disant îlots de colonisation allemande dans les régions de production fermière.

À cet effet, je dépose comme preuve le document PS-910 (USA-310). Ce sont des notes secrètes portant la mention, département de l’Intérieur, Cracovie, 30 mars 1942, concernant les déclarations de Himmler sur les « plans de germanisation » du Gouvernement Général. Ce document vient du Centre de renseignements de la troisième Armée à Freising en Allemagne. Je cite la page 2 du texte anglais, de la ligne 3, à la fin du rapport. Ce document établit ; et je cite :

« Le Reichsführer SS Himmler développa d’autres directives selon lesquelles, pendant le premier plan quinquennal de réinstallation après la guerre, les nouveaux territoires allemands de l’Est seraient d’abord peuplés, après quoi on avait l’intention de fournir aux pays de la Crimée et de la Baltique, au moins une classe supérieure allemande. De nouveaux îlots de colonisation allemande, de provenance européenne, seraient peut-être transplantés dans le Gouvernement Général. Cependant une décision exacte à cet égard n’a pas été prise, on souhaite que dès le début, une forte colonisation le long du San et du Brig soit effectuée, afin que les parties de la Pologne, peuplées par des populations étrangères, se trouvent encerclées. Jusqu’à présent, il a toujours été prouvé que cette sorte d’encerclement mène très vite à la nationalisation désirée. »

Sur ce même sujet, je fournis en preuve le document PS-2233 (h), journal de l’accusé Frank, 1941, volume II, page 317 (USA-311). Je cite la dernière phrase, au bas de la page 3 du texte anglais de ce document. Dans le texte allemand, ce passage est à la page 317, lignes 25 à 28. L’accusé Frank déclare dans ce journal :

« En raison du courage héroïque de nos soldats, ce territoire est devenu allemand, et le temps viendra où la vallée de la Vistule, de sa source à son embouchure, sera aussi allemande que la vallée du Rhin. »

Je passe maintenant à une autre phase du programme que j’ai mentionnée avant, c’est-à-dire au plan des conspirateurs de confisquer la propriété des Polonais, des Juifs, et des autres éléments dissidents. Comme je l’ai déjà dit, la preuve établira que ces plans étaient destinés à atteindre un certain nombre d’objectifs. En ce qui concerne les Juifs, ils faisaient partie intégrante du programme général d’extermination. La confiscation était aussi un moyen de fournir de la propriété à des colonisateurs allemands, et servait à récompenser ceux qui avaient rendu fidèlement service à l’État nazi. De même, elle rendait disponibles comme main-d’œuvre les fermiers polonais dépossédés, ils étaient envoyés au travail forcé en Allemagne, et ainsi se réalisait l’objectif des conspirateurs d’empêcher la venue d’une nouvelle génération de Polonais.

La preuve du fait que les conspirateurs confisquèrent les propriétés des Polonais pour favoriser leur programme de germanisation et de travail forcé, est contenue dans le document PS-1352, qui a déjà été présenté par M. Dodd comme USA-176. Ce texte contient un certain nombre de rapports faits par un certain Kusche, qui semble avoir été l’un des principaux adjoints de Himmler en Pologne. M. Dodd a cité l’un des rapports confidentiels de Kusche, daté du 22 mai 1940, page 4 du texte anglais, paragraphe 5. Dans le texte allemand, il se trouve page 9, lignes 16 à 18. Dans cette déclaration, Kusche signale qu’il était possible, sans difficulté, de confisquer les petites fermes, et je cite :

« Les anciens propriétaires des fermes polonaises avec leurs familles seront transférés dans le vieux Reich par des agences de travail, pour être employés dans des fermes comme ouvriers agricoles. »

Je voudrais maintenant citer un autre rapport de Kusche portant la même date, 22 mai 1940 – le rapport que je cite maintenant est marqué secret et porte le titre « Détails de la confiscation dans la région de Bielitz ». – Je voudrais citer d’abord le dernier paragraphe de la page 1 de cette pièce. Cette pièce est transmise sous le nº PS-1352 (USA-176). Le texte allemand se trouve page 11, paragraphes 1 et 2. Kusche déclara, et je cite :

« Il y a quelques jours, le commandant du camp de concentration qui est en construction à Auschwitz, dit au chef d’État-Major Müller qu’il demandait son assistance pour exécuter ses instructions. Il dit qu’il était absolument nécessaire de confisquer les entreprises agricoles dans une certaine région autour du camp de concentration, étant donné que non seulement les champs, mais aussi les fermes de ces biens, limitaient directement le camp de concentration. Une inspection locale tenue le 21 de ce mois, révéla les faits suivants : il est absolument indubitable que les entreprises agricoles limitant le camp de concentration doivent être confisquées immédiatement. D’autre part, le commandant du camp demande que d’autres terrains soient mis à sa disposition, pour pouvoir occuper les prisonniers. Cela peut être fait aussi sans délai, étant donné qu’on peut rendre suffisamment de terrains disponibles dans ce but, tous les propriétaires de ces lots étant des Polonais. »

Je cite maintenant la page 2, lignes 22 à 31 du texte anglais, dans le texte allemand : page 12, paragraphe 2, jusqu’à la ligne 22 au haut de la page. Je cite :

« J’ai eu la discussion suivante avec le chef du Service du travail à Bielitz :

« II existe encore une pénurie de travailleurs agricoles dans le vieux Reich. Le transfert dans le Reich des anciens propriétaires des entreprises confisquées, avec leurs familles entières, est possible sans autre délai. Il est seulement nécessaire que le Service du travail reçoive les listes de personnes à temps, afin de prendre les mesures nécessaires (transport, répartition dans les diverses régions en quête de main-d’œuvre). »

Enfin, je cite à la page 3, du même document lignes 6 à 13 du texte anglais. Le texte allemand se trouve à la page 13, les trois dernières lignes jusqu’à la page 14, ligne 9 :

« La confiscation de ces entreprises polonaises à Alzen, sera aussi exécutée dans les quelques jours qui suivront. Le commandant du camp de concentration fournira des SS et un camion pour l’exécution de cette action. S’il n’était pas possible maintenant de transporter les Polonais d’Alzen à Auschwitz – et Auschwitz, le Tribunal s’en souviendra, est l’emplacement du camp de concentration –, ils devront être transportés au château vide de Zator. La propriété polonaise libérée doit être donnée aux fermiers pauvres de race allemande, pour leur usage personnel. »

Afin de régulariser le programme de confiscation, l’accusé Göring promulgua un décret le 17 septembre 1940. Ce décret se trouve dans le Reichsgesetzblatt de 1940, partie 1, page 1270, et je demande au Tribunal d’en considérer la preuve comme acquise. Selon la section 2 de ce décret, la mise sous séquestre des biens meubles ou immeubles, magasins et autres intérêts des Juifs et « de personnes qui ont fui ou ne sont pas simplement absentes temporairement », est obligatoire. De plus, la mise sous séquestre fut autorisée, section 2, sous-section 2, si la propriété était nécessaire « pour le bien-être public, et particulièrement dans l’intérêt de la défense du Reich ou pour le renforcement du germanisme. »

Par la section 9 de ce décret, promulgué par l’accusé Göring, « est autorisée la confiscation de la propriété mise sous séquestre, si le bien public, et en particulier la défense du Reich, ou le renforcement du germanisme l’exigent ». Cependant, la section 1, sous-section 2 du décret, décide que la propriété des nationaux allemands ne serait pas assujettie à la mise sous séquestre, ou à la confiscation ; la section 13 établit que la mise sous séquestre serait suspendue si le propriétaire déclarait qu’il était Allemand. Le décret indique très clairement le but de dépouiller les Polonais, les Juifs et les éléments dissidents de leurs propriétés. D’autre part, il était manifestement destiné à favoriser le germanisme.

Nous demandons au Tribunal de tenir ce décret pour acquis ; il a paru dans le Reichsgesetzblatt.

Il semble qu’une question s’est élevée à un moment donné pour savoir si le décret exigeait qu’une discrimination fût faite dans chaque cas impliquant la propriété d’un Polonais, pour établir que la propriété était exigée « dans l’intérêt général, particulièrement dans l’intérêt de la défense du Reich, ou le renforcement du germanisme ». La réponse donnée par les conspirateurs fut ferme et claire. Dans tous les cas où il s’agit de la propriété d’un Polonais, le « renforcement du germanisme » exige sa saisie.

À cet égard, je fournis comme preuve le document R-92 (USA-312), daté du 15 avril 1941. Il porte l’en-tête du Reichführer SS, Commissaire pour la consolidation de la nation allemande, et porte le titre « Instructions pour l’usage intérieur sur l’application de la loi concernant la propriété des Polonais, du 17 septembre 1940 ». Ce document fut saisi par le service de contre-espionnage américain, et je cite la page 2, lignes 11 à 14 du texte anglais (texte allemand page 3, paragraphe 2, sous-paragraphe 2) :

« Les conditions permettant la saisie selon la section 2, sous-section 2a, sont toujours valables si la propriété appartient à un Polonais, car la propriété foncière polonaise sera utilisée sans exception pour la consolidation de la Nation allemande. »

Dans le Gouvernement Général, l’accusé Frank promulgua un décret le 24 janvier 1940, autorisant la mise sous séquestre « d’accord avec l’accomplissement de tâches d’intérêt général et la liquidation des firmes anti-sociales ou ne rapportant pas financièrement. » Le décret se trouve dans le Verordnungsblatt du Gouvernement Général, nº 6, 27 janvier 1940, page 23, et je demande au Tribunal de considérer cette preuve comme acquise. Les critères peu précis de ce décret, renforcèrent la position des officiels nazis dans le Gouvernement Général et ils purent opérer la saisie en grand de la propriété.

L’ampleur du programme de confiscation des conspirateurs en Pologne était étonnante. Je demande au Tribunal de se rapporter à la sixième page du document R-92, présenté il y a un instant comme USA-312. Ce plan montre que dès le 31 mai 1943, le total fantastique de 693.252 propriétés, comprenant 6.097.525 hectares et 9.508 propriétés comprenant 270.446 hectares, avait été confisqué par les services fonciers de Dantzig, de Prusse occidentale, de Poznan, Zichenau et de Silésie. Il faut observer que ceci représente la saisie et la confiscation de quatre services seulement.

Ceci termine notre discussion sur la Pologne, et je passe maintenant à la Tchécoslovaquie. Ici, nous présenterons seulement un document sur la Tchécoslovaquie, mais il contient une révélation étonnante des plans des conspirateurs pour germaniser la Bohême et la Moravie. Il relate comment trois plans, chacun caractérisé par sa sévérité, furent discutés, et enfin, le Führer se décida pour le plan « c », qui impliquait l’assimilation d’environ la moitié de la population tchèque par les Allemands, et l’extermination de l’autre moitié. De plus, il envisageait un grand afflux d’Allemands dont la loyauté au Führer était indiscutable. Je fournis ce document PS-862 (USA-313) comme preuve. C’est un rapport très secret du 15 octobre 1940, qui a été écrit par le général Friderici, délégué général de la Wehrmacht en Bohême et Moravie. Sur ce document est portée la mention que quatre copies seulement en furent faites. Celui que nous fournissons comme preuve est le document original qui fut trouvé dans les dossiers saisis de l’OKW. Ce document porte les lettres écrites à la main K et J, sur la première page à gauche, et je me suis laissé dire que cette écriture est indiscutablement celle des accusés Keitel et Jodl. Je cite le document dans sa totalité :

« Le 9 octobre de cette année, le service du Protecteur du Reich tint une conférence officielle à laquelle le secrétaire d’État SS, Gruppenführer K. H. Frank parla des points suivants : » (le SS Gruppenführer K. H. Frank était secrétaire d’État, sous les ordres de l’accusé von Neurath qui, à cette date, était Protecteur de Bohême et de Moravie).

LE PRÉSIDENT

Qui était Frank ?

CAPITAINE HARRIS

Frank était SS Gruppenführer et secrétaire d’État, sous les ordres de l’accusé von Neurath, ce n’est pas l’accusé Hans Frank. Au moment de ce rapport, von Neurath, sous les ordres de qui se trouvait K. H. Frank, était Protecteur de Bohême et Moravie. Je continue à citer : « Depuis la création du Protectorat de Bohême et de Moravie, les services du Parti, les cercles industriels ainsi que les services des autorités centrales de Berlin ont envisagé la solution du problème tchèque. Après amples délibérations, le Protecteur du Reich a exprimé dans un mémorandum, son point de vue sur les divers plans. Trois solutions furent indiquées :

« a) Infiltration allemande de la Moravie, les nationaux tchèques qui restent se trouvant parqués dans ce qui reste de la Bohême. Cette solution n’est pas considérée comme satisfaisante, parce que le problème tchèque, même sous une forme diminuée, continuera à exister.

« b) De nombreux arguments peuvent être apportés à rencontre d’une solution plus radicale, à savoir la déportation de tous les Tchèques. » Par conséquent, le mémorandum conclut qu’il ne peut être exécuté dans une période de temps raisonnable. C’est, et je cite toujours le document :

« c) L’assimilation des Tchèques, c’est-à-dire de la moitié de la nation par les Allemands selon leur importance et valeur du point de vue racial. Ceci aura lieu en augmentant le travail des Tchèques dans le territoire du Reich à l’exception du district frontière sudète, en d’autres termes, en dispersant la nation tchèque. L’autre moitié de la nation tchèque doit être privée de son pouvoir, doit être éliminée et chassée du pays par toutes sortes de méthodes. Ceci s’applique particulièrement à la partie de race mongoloïde et à la plus grande partie de la classe intellectuelle. Cette dernière peut difficilement être convertie idéologiquement, et représenterait une charge, en réclamant constamment la direction des autres classes tchèques et ainsi nuisant à leur assimilation rapide. Les éléments qui s’opposent à la germanisation en vue doivent être traités avec dureté et éliminés.

« Les dispositions ci-dessus présupposent un afflux accru d’Allemands du territoire du Reich dans le protectorat de Bohême-Moravie.

« Après discussion, le Führer a choisi la solution “c”, l’assimilation, comme directive pour la solution du problème tchèque et il a décidé que le protectorat garderait son autonomie en surface, la germanisation devra être exécutée d’une façon centralisée par les services du Protecteur du Reich dans les années à venir.

« Du rapport ci-dessus, il n’y a aucune conclusion particulière à tirer en ce qui concerne les Forces armées. Telle est l’attitude que nous avons toujours eue ici ; à ce sujet, je mentionne mon mémorandum soumis au chef du Commandement suprême des Forces armées, daté du 12 juillet 1939, numéro de dossier 6/39, très secret, portant le titre : “Le problème tchèque”. Pièce jointe.

« Représentant des Forces armées auprès du Protecteur du Reich en Bohême et Moravie ; Signé : Friderici, général d’Infanterie. »

Avec la permission du Tribunal, j’aimerais commenter encore quelques parties de ce mémorandum. D’abord, j’attire votre attention sur la solution « a ». Cette solution aurait appelé l’infiltration allemande dans la Moravie et l’éloignement par la force des Tchèques de Moravie jusqu’en Bohême. Comme le Tribunal le sait, la Moravie se trouve entre la Bohême et la Slovaquie. La solution « a » aurait impliqué l’érection d’un État allemand entre la Bohême et la Tchécoslovaquie, et aurait empêché des communications entre les Tchèques et les Slovaques. De cette façon, le désir historique d’unité de ces deux peuples pacifiques et la continuité de leur État Tchécoslovaque, aurait été frustré.

La solution « a », on peut le noter, a été rejetée parce que les Tchèques survivants, même opprimés, dans une sorte de réserve de Bohême, seraient demeurés une source d’ennuis pour les conspirateurs.

La solution « b » qui impliquait la déportation forcée de tous les Tchèques, fut rejetée non parce que ces termes semblaient trop draconiens, mais plutôt parce qu’on désirait une solution plus rapide du problème.

La solution « c », comme le prouve le document, fut considérée comme la plus désirable et fut adoptée. Cette solution prévoyait l’assimilation d’environ la moitié des Tchèques. Ceci signifiait deux choses :

a) Germanisation forcée pour ceux qui étaient jugés qualifiés au point de vue racial ;

b) Déportation au travail forcé en Allemagne pour les autres. « Augmentation du travail des Tchèques dans le territoire du Reich » : Ceci signifiait en réalité le travail forcé en Allemagne.

D’autre part, la solution « c » établissait aussi l’élimination et la déportation par toutes sortes de méthodes, de l’autre moitié de la population tchèque, en particulier des intellectuels et de ceux qui n’atteignaient pas le niveau racial des conspirateurs. Les intellectuels partout étaient anathèmes pour les conspirateurs nazis, et les intellectuels tchèques n’étaient pas une exception. Ils avaient prouvé abondamment leur bravoure, leur esprit de sacrifice et leur résistance à l’idéologie nazie. Ils devaient par conséquent être exterminés, comme on le verra dans d’autres sections de ce rapport très secret qui déclarait : « Les éléments qui agiront contre la germanisation projetée, doivent être maltraités et éliminés. » Cela signifiait que les intellectuels et autres éléments dissidents devaient être, soit jetés dans des camps de concentration, soit immédiatement exterminés. Bref, les clauses de la solution « c » n’étaient qu’une application pratique de la philosophie des conspirateurs, telle qu’elle était exprimée dans le discours de Himmler, discours dont nous avons cité une partie dans le document L-70 (USA-308). Himmler disait :

« Ou bien nous gagnerons du “bon sang” que nous pouvons utiliser pour nous-mêmes, ou bien nous détruirons ce sang. »

Je passe maintenant brièvement au programme des conspirateurs en matière de spoliation et de germanisation dans les pays occupés de l’Ouest. Les preuves qui seront présentées plus tard montreront comment ils essayèrent de germaniser les pays occupés de l’Ouest, comment ils les privèrent de nourriture et de matières premières, en laissant un minimum à peine suffisant de nourriture pour assurer leur existence, et comment ils forcèrent l’industrie locale et l’agriculture à satisfaire aux besoins insatiables de la population civile allemande et de la Wehrmacht ; enfin, comment la spoliation dans les pays occupés de l’Ouest fut facilitée et favorisée par des frais d’occupation excessifs, par des dispositions de clearing frauduleuses et obligatoires, enfin par la confiscation de leur or et de leurs devises étrangères. La preuve de ces faits sera exposée avec de grands détails par le Procureur de la République Française, elle est si écrasante, qu’il est impossible de ne pas en déduire que les conspirateurs ont commis ces actes selon un plan préétabli.

Néanmoins, ce ne sera pas avant la fin des vacances de Noël que les preuves concernant l’exécution des plans des conspirateurs de l’Ouest seront présentées à ce Tribunal. Par conséquent, dans le but de montrer que les plans des conspirateurs embrassaient les pays occupés de l’Ouest aussi bien que ceux de l’Est, nous fournissons en preuve, une seule pièce, le document R-114 (USA-314). Ce document a été obtenu du Service de contre-espionnage américain. C’est un mémorandum du 7 août 1942, auquel est adjoint un autre mémorandum du 29 août 1942. Ils font partie du dossier personnel de Himmler.

Le premier mémorandum porte le titre « Directions générales pour le traitement des Alsaciens déportés. » Le second mémorandum est marqué « secret » et porte le titre : « Déportation des Alsaciens dans l’Allemagne véritable ». Ces documents montrent que des plans furent faits et en partie exécutés pour éloigner tous les éléments alsaciens qui étaient hostiles aux conspirateurs et à la germanisation de la province. Je cite à la page 1, lignes 21 à 31 du texte anglais, un mémorandum intitulé « Directions générales pour le traitement des Alsaciens déportés. » Ces extraits sont contenus dans le texte allemand, page 1, huit dernières lignes, et page 2, lignes 1 à 5. Je cite maintenant :

« La première action d’expulsion fut exécutée en Alsace, dans la période de juillet à décembre 1940. Au cours de cette action, 105.000 personnes furent soit chassées de chez elles soit empêchées d’y revenir. C’étaient en général des Juifs, des Bohémiens, ou autres éléments raciaux étrangers, criminels, asociaux, incurables et en outre des Français et des francophiles. La population parlant patois fut éliminée par cette série de déportations, de la même façon que les autres Alsaciens. Se référant à la permission que le Führer avait donnée de nettoyer l’Alsace de tous ses éléments étrangers, malades ou douteux, le Gauleiter Wagner avait signalé récemment la nécessité de nouvelles déportations à préparer dès que possible. »

J’aimerais remettre la fin de cette présentation jusqu’à lundi. M. Justice Jackson voudrait faire quelques remarques au Tribunal.

M. JUSTICE JACKSON

Plaise au Tribunal. Je voudrais attirer l’attention du Tribunal et de la Défense sur des questions concernant la situation qui se présentera la semaine prochaine, afin de hâter notre procédure, si notre programme peut être examiné d’ici là par le Tribunal. Le capitaine Harris en a encore pour quelque temps lundi, et lorsqu’il aura terminé, l’exposé des États-Unis aura atteint la partie de l’Acte d’accusation qui demande du Tribunal une décision concernant le caractère criminel des six organisations en question. Le but de cette décision est uniquement de constituer un fondement aux poursuites contre des membres individuels, dans d’autres tribunaux que celui-ci, procédure dans laquelle toute défense sera accordée à l’accusé, sauf qu’il ne pourra récuser les conclusions de ce Tribunal quant au caractère de l’organisation dont il était membre. Les États-Unis désirent apporter ces preuves dans des conditions de nature à épargner les instants du Tribunal et à hâter la poursuite, de telle sorte que le personnel des États-Unis puisse être libéré aussi vite que possible. Nous désirons aussi que les avocats aient le plus grand nombre possible de nos charges contre ces organisations, avant le congé de Noël, afin d’utiliser ce temps pour préparer leurs plaidoiries et que l’on nous épargne d’autres demandes de sursis pour ce motif.

Notre proposition consiste en substance à demander que toutes les questions définitives concernant cette partie de l’accusation soient réservées jusqu’après la présentation des preuves. Il ne s’agit pas ici de l’admissibilité de la preuve. Il s’agit de sa valeur et de ses conséquences juridiques, selon les clauses du Statut. Les autres preuves que nous présenterons, le seront avec la conviction qu’on ne peut leur nier une valeur probatoire et qu’elles se réfèrent bien aux chefs inscrits dans l’Acte d’accusation ; c’est sur ces bases que le Statut autorise le rejet de la preuve. Nous ne cherchons pas d’autre avantage que celui de faire gagner du temps au Tribunal, de remettre aux avocats la plus grande partie des pièces avant Noël et de ne conclure que lorsque les preuves pourront être discutées et comprises avec fruit, sur une présentation complète et non sur des suppositions et des déclarations hypothétiques. En présentant ces preuves concernant les organisations par conséquent, nous proposons de stipuler ce qui suit :

Toute opposition, de quelque caractère que ce soit, à tout instrument de preuve présenté par les États-Unis à l’encontre de ces organisations, peut être réservée et utilisée par les avocats, à n’importe quel moment, avant la fin de l’exposé américain, avec le même effet que si elle avait été faite au moment de la présentation de la preuve.

Toute question de ce genre restera soumise au pouvoir d’annulation du Tribunal, sur motion d’un avocat ou sur sa propre motion, sans préjudice de l’absence d’objection ; elle sera considérée comme admissible, sans préjudice du fait que la preuve aura été admise sans objection. Nous reconnaissons maintenant le caractère essentiellement contradictoire des conclusions qui peuvent être tirées de ce chef de l’accusation ; ce que cette preuve établit, quelles organisations il suffira de condamner, comment le Statut s’applique, sont des problèmes à débattre et que nous débattrons volontiers quand ce sera possible, d’une façon ordonnée et intelligible. Nous avions pensé le faire au réquisitoire final, mais nous le ferons à n’importe quel moment, selon les vœux du Tribunal, après qu’il y aura un procès-verbal sur lequel baser la discussion et nous sommes prêts à le faire, soit avant, soit après l’intervention des avocats. Mais nous nous permettons de suggérer que si on le fait pas à pas, au fur et à mesure de la production des preuves et sur des questions d’admissibilité, il n’y aura pas d’ordre et on perdra du temps. Une discussion fragmentaire fera perdre du temps en forçant les avocats des deux parties à citer à nouveau la preuve qui est déjà présentée ou à spéculer sur une preuve non encore admise, à recourir à des suppositions et à recommencer lors de chaque objection particulière. Il en résultera également un manque d’ordre dans notre plan de présentation.

Les problèmes qui concernent ces organisations vont au fond même de la proposition faite par le Président Roosevelt à Yalta et qui a servi de base à ce Procès. Les États-Unis n’auraient pas participé à ce genre de recherche de culpabilité sans l’existence de ce plan ou d’un plan analogue, permettant d’atteindre des milliers d’autres coupables qui tout en étant moins en vue, ne sont pas moins coupables de crimes que les accusés que nous avons devant nous. En raison de ma participation à la mise sur pied du Statut, et de ma connaissance du problème qu’il était destiné à traiter, j’estime devoir poser les problèmes de droit ici soulevés.

La preuve, toutefois, sera administrée par les avocats qui se sont spécialisés dans la recherche documentaire portant sur un chef d’accusation particulier et limité. La discussion fragmentaire serait par conséquent désordonnée, pleine de répétitions, incomplète, mal présentée et peu propre à éclairer le Tribunal. Une présentation soigneuse des arguments des deux parties s’impose.

Nous demandons donc dans ces conditions, dont nous pensons qu’elles protègent les droits de chacun et qu’elles permettent à la Défense, en même temps qu’à nous, de mieux présenter leur argumentation parce qu’il y aura le temps de les préparer, de donner au Tribunal aussi vite que possible, la semaine prochaine et avec le minimum d’interruptions, les preuves afférentes aux charges contre les organisations.

LE PRÉSIDENT

M. Justice Jackson, avez-vous déjà communiqué cela aux avocats par écrit ?

M. JUSTICE JACKSON

Non, je ne l’ai pas communiqué, à moins que la transmission n’ait été faite au centre de documentation depuis midi.

LE PRÉSIDENT

Peut-être serait-il souhaitable que vous établissiez par écrit ce que vous nous avez dit, en ce qui concerne les objections aux preuves, afin que les avocats puissent tout à fait les saisir ?

M. JUSTICE JACKSON

Je suis prêt à le faire et à distribuer des exemplaires en nombre suffisant pour les membres du Tribunal et de la défense.

LE PRÉSIDENT

Oui.

M. BÖHM

Docteur Georg Böhm, représentant des membres des SA, qui ont demandé à être entendus devant ce Tribunal.

Je n’ai compris qu’en partie l’exposé de Justice Jackson. En tant qu’avocat, je n’ai personne pour m’informer, en aucun cas, je ne puis me déclarer d’accord pour répondre au cours du Procès à des déclarations que je ne comprends pas ou qui me sont communiquées d’une façon telle que je ne suis pas capable de me renseigner exactement :

Je désirerai d’abord recevoir en langue allemande les déclarations que le Ministère Public a faites concernant la suite du Procès, de façon à me permettre d’y répondre. Je ne représente pas seulement une personne dans ce Procès, mais des millions d’hommes qui, après ce Procès, viendront me trouver pour me faire des reproches, peut-être justifiés. Ma responsabilité autant que celle de mes confrères, représentant des organisations, est immense.

Je voudrais donc demander que, par principe, tout ce qui sera présenté dans ce Procès, me soit remis en langue allemande, parce que je ne suis pas en mesure de faire traduire en allemand, d’un jour à l’autre, des volumes entiers de documents qui pourraient m’être remis dans l’original allemand. C’est une question qui me donne bien des difficultés ainsi qu’à beaucoup de mes confrères, et la marche de ce Procès est extrêmement difficile à suivre pour nous.

Des débats qui viennent de s’écouler, je n’ai pu tirer que très peu de chose à la charge des organisations qui sont mises en accusation. Puisque néanmoins, suivant les déclarations d’aujourd’hui, les preuves contre les organisations doivent être présentées prochainement, j’aimerais vous demander si je dois assurer la défense de ces organisations, de faire en sorte que la procédure nous soit intelligible et que, du point de vue juridique, nous puissions assurer dignement la défense de nos clients.

LE PRÉSIDENT

Comme vous le savez, ou comme on vous l’a dit, seules les parties des documents qui sont lues devant le Tribunal, sont retenues comme preuves et vous les entendez en allemand grâce à vos écouteurs. Vous savez aussi qu’il y a deux copies de ces documents dans votre centre de documentation, et ces deux copies sont en allemand. Telle a été la procédure jusqu’à maintenant.

Afin de satisfaire aux désirs légitimes des avocats allemands, la proposition que M. Justice Jackson vient de faire est très simple. Telle que je la comprends, elle est la suivante :

Que la question de la criminalité de ces organisations ne sera pas discutée avant que la preuve n’en soit fournie, que le Ministère Public américain fournira d’abord cette preuve, et qu’il espère en fournir la plus grande part avant le congé de Noël, mais que les avocats de la Défense auront la faculté à tout moment jusqu’à la fin de l’exposé des charges américain, de s’opposer à n’importe quelle partie des preuves contre ces organisations criminelles N’est-ce pas clair ?

M. BÖHM

Oui, c’est clair.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous une objection à formuler ?

M. BÖHM

Oui, la procédure qui a été proposée est bien claire, mais je pense qu’elle est tout à fait insuffisante ; je n’ai pas encore trouvé le moyen d’utiliser un de ces deux exemplaires dans le bureau 54, un de ces deux exemplaires qui « doivent » s’y trouver, peut-être est-ce parce que deux exemplaires ne peuvent suffire à 25 avocats ; en particulier cela ne peut guère suffire si ces exemplaires en langue allemande arrivent le matin à 10 h. 30 au bureau 54, alors que les débats ont déjà commencé depuis 10 heures. Cela ne suffirait pas non plus si ces deux exemplaires pour 25 avocats arrivaient la veille, car il n’est pas possible que dans un laps de temps aussi court, tous ces Messieurs puissent avoir accès à ces deux exemplaires. Je demande donc, – je ne sais comment le Ministère Public pourra le faire, – que l’on fasse en sorte que nous soyons en état de connaître à temps et j’insiste encore une fois, en langue allemande, tout ce que le Ministère Public désire utiliser, de façon à ce que notre travail puisse également éclairer le Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Ce que vous venez de dire est une objection générale à la procédure qui a été suivie jusqu’à présent, et n’a rien à voir avec la procédure que M. Justice Jackson vient de proposer en ce qui concerne ces organisations. Voici ce qu’il suggérait : en ce qui concerne les objections juridiques aux charges criminelles ou à la nature criminelle de ces organisations, qu’elles soient retardées jusqu’à ce que les preuves soient fournies et que le droit de la Défense, soit de faire des objections à n’importe quel moment, ou plutôt de retarder ces objections jusqu’à production entière des preuves, – ce que l’on espère avoir terminé ou presque au moment de Noël – que ce droit de la Défense soit sauvegardé.

En ce qui concerne la procédure générale, ce que vous dites peut être pris en considération par le Tribunal.

En ce qui concerne la question particulière, à savoir la procédure proposée par M. Justice Jackson, avez-vous une objection à présenter ?

M. BÖHM

Je n’ai d’objection à faire que lorsque par cette procédure – et là je maintiens toutes mes réserves et droits dans l’intérêt de mes nombreux clients – je suis empêché d’une manière quelconque, de représenter leurs intérêts.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal est au courant de cela, mais il ne semble pas qu’il y ait un rapport avec le fait de savoir si les arguments juridiques doivent être retardés après la présentation des preuves. Que vous ayez des millions de gens à représenter, cela n’a rien à faire avec la question de savoir si l’argumentation aura lieu avant, au milieu, ou après la présentation des preuves. Ce que je vous demande, c’est si vous avez quelque objection à faire à ce que les arguments de droit prennent place, après la présentation des preuves.

M. BÖHM

Je n’ai pas d’objection à formuler à ces propositions, pour autant que la défense que j’assure ne s’en trouve pas gênée.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 17 décembre 1945 à 10 heures.)