VINGT ET UNIÈME JOURNÉE.
Lundi 17 décembre 1945.
Audience du matin.
J’ai quatre déclarations à faire au nom du Tribunal. Je vais en donner lecture et elles seront affichées au Centre d’information de la Défense, en allemand, aussitôt que possible.
Voici la première déclaration : l’attention du Tribunal a été attirée sur des publications de la presse, qui semblent être des interviews de certains des accusés, publiées par l’intermédiaire de leurs avocats. Le Tribunal considère comme nécessaire de déclarer avec insistance que c’est une façon de procéder qui ne peut durer et qui ne durera pas. Aussi les avocats sont-ils avertis qu’ils devront faire preuve de la plus grande conscience professionnelle dans ce domaine et ne pas utiliser l’occasion qui leur est fournie de conférer librement avec leurs clients pour agir comme intermédiaires entre les accusés et la presse ; ils doivent agir avec la plus grande discrétion professionnelle, lorsqu’ils font des déclarations en leur propre nom.
Le Tribunal considère que, dans un procès de cette nature, qui intéresse l’opinion publique du monde entier, il est extrêmement important que tous ceux qui y prennent part, à quelque titre que ce soit, soient conscients de leur responsabilité et veillent à ce que rien ne soit fait qui puisse s’écarter de la conduite normale des débats.
La presse mondiale rend un très grand service en donnant publicité aux débats du Tribunal, et le Tribunal pense qu’il peut faire appel à la coopération de tous les intéressés pour éviter tout ce qui pourrait s’opposer au cours impartial de la justice.
La seconde déclaration est la suivante : Le Tribunal comprend que les avocats nommés aux termes de l’article 9 du Statut ne savent pas s’ils ont été désignés pour représenter les groupes et les organisations déclarés criminels dans l’Acte d’accusation, ou bien pour représenter individuellement les accusés qui ont demandé à être entendus selon ce même article.
Le Tribunal déclare que les avocats représentent les groupes et les organisations accusés et non pas des individus. Comme le Tribunal l’a déjà dit, les avocats auront le droit de faire comparaître comme témoins des particuliers qui en auront adressé la requête, ils pourront aussi faire comparaître toute personne dont la présence pourra être ordonnée par le Tribunal. Les demandes de comparution des témoins, quels qu’ils soient, seront faites de la manière habituelle. Les dépositions de ces témoins et les arguments des avocats devront se limiter aux faits de nature à établir le caractère criminel du groupe ou de l’organisation. Les avocats ne seront pas autorisés à faire état de moyens de preuve ou à discuter de questions concernant la responsabilité individuelle des requérants, sauf dans le cas où ils pourraient porter sur le caractère criminel des organisations. Les avocats auront le droit, autant que possible, de communiquer avec les auteurs de ces requêtes, afin de désigner les témoins qu’ils ont l’intention de faire comparaître.
Troisième déclaration : le Procureur Général américain a déposé une requête devant le Tribunal, aux fins de modifier la procédure établissant que seules les parties de documents lues devant le Tribunal seraient admises comme preuves. Afin d’assurer dans la mesure du possible au Tribunal, au Ministère Public et à la Défense, la possibilité d’avoir devant eux tous les témoignages produits au cours de ce Procès, le Tribunal, après avoir attentivement considéré cette requête, ordonne que tout document pourra être déposé devant le Tribunal. Cependant le Tribunal n’admettra comme preuve que : 1º Les documents ou parties de documents lus à l’audience. 2º Les documents ou parties de documents cités à l’audience, à condition qu’ils aient été traduits dans les langues respectives des membres du Tribunal et qu’un nombre suffisant d’exemplaires en allemand ait été déposé au Centre d’information à l’usage de la Défense. Cette règle ne s’applique pas aux documents que le Tribunal tiendra pour acquis en application de l’Article 21 du Statut. Le Ministère Public et les accusés auront la possibilité de lire ces documents ou de s’y référer sans les lire.
Les exposés écrits et livres de documents seront remis au Tribunal et, s’il en existe assez d’exemplaires, déposés pour les avocats au Centre de documentation. Ces documents devront, autant que possible, être remis avant leur présentation au Tribunal. Afin de permettre aux interprètes et aux traducteurs d’en faire la traduction en temps utile, nous suggérons que tout document soit remis à ces services cinq jours au moins avant d’être déposé comme preuve.
Voici la quatrième décision : le Tribunal a examiné un certain nombre de demandes de comparution de témoins ; certaines d’entre elles ont été acceptées, dans la mesure où elles se rapportaient aux faits à prouver, d’autres ont été rejetées. Dans certains cas, des instructions ont été données pour que les témoins soient avisés, c’est-à-dire que, si le lieu de leur résidence est connu, ils ont été invités à se tenir prêts à venir témoigner, au cas où il sera fait droit à leur requête.
Le Tribunal désire assurer aux accusés la présence de ces témoins, s’ils sont importants et utiles à leur défense ; cependant, afin d’éviter que les débats soient prolongés inutilement, il est clair que les témoins dont la déposition serait étrangère au sujet ou ferait double emploi avec une précédente ne seront pas cités. À la fin de l’exposé du Ministère Public, le Tribunal entendra les requêtes des avocats relatives à ceux des témoins dont les demandes ont été acceptées ou qui ont été avisés et qu’ils jugent nécessaire de faire comparaître. À ce moment, le Tribunal entendra les requêtes relatives aux témoins dont les demandes ont été refusées, au cas où il apparaîtrait alors au Tribunal que la déposition de ces témoins est d’importance et apporte des éléments nouveaux.
L’avocat de l’un quelconque des accusés pourra interroger tout autre accusé sur toute question qui n’apparaîtra pas hors du sujet et demander son témoignage sur ce point. Si ce dernier accusé prend la parole comme témoin à décharge dans sa propre cause, ce droit ne pourra être exercé qu’à la fin de son témoignage.
Si un même témoin est cité par plusieurs accusés, il ne sera interrogé qu’une seule fois. Les avocats auront la faculté, au nom de leurs clients, de lui poser toute question.
C’est tout. Je donne la parole au Ministère Public américain.
Plaise au Tribunal, nous reprenons la présentation des preuves sur les plans des conspirateurs en vue de la germanisation et de la spoliation.
Le sujet général sur lequel nous nous proposons maintenant d’apporter des preuves est le plan des conspirateurs en vue de spolier et de germaniser l’Union Soviétique.
Comme l’a montré M. Alderman, l’invasion de l’Union Soviétique fut l’aboutissement de plans méticuleusement établis par les conspirateurs. Nous désirons en ce moment apporter les preuves des plans établis par les conspirateurs pour l’exploitation et la germanisation de l’Union Soviétique après la conquête qu’ils s’étaient proposée. Le Procureur Général soviétique montrera ce que l’exécution de ces plans signifiait de souffrances et de misères humaines. Nous ferons remarquer que les quelques pièces que nous avons l’intention de présenter maintenant démontreront les points suivants :
I. – Les conspirateurs projetaient d’envoyer en Allemagne tout le ravitaillement et toutes les matières premières du Sud et du Sud-Est de l’Union Soviétique qui dépassaient les besoins des forces d’invasion nazies et le strict minimum nécessaire aux besoins vitaux des habitants de ces régions productrices de matières premières destinées à être envoyées en Allemagne. Cette région alimentait auparavant la région nord de l’Union Soviétique, que les conspirateurs appelaient la zone forestière. Cette dernière région comprenait quelques-unes des zones industrielles les plus importantes de l’Union Soviétique, y compris Moscou et Leningrad.
II. – Ils projetaient délibérément et systématiquement de faire mourir de faim des millions de Russes, et ceci de la façon suivante :
a) Comme il est indiqué au paragraphe 1, les produits du Sud et du Sud-Est de l’Union Soviétique, qui d’ordinaire étaient envoyés dans les régions industrielles du Nord, devaient être expédiés de force en Allemagne. De plus, tout le bétail des régions industrielles devait être saisi pour l’usage de la Wehrmacht et de la population civile allemande. Il devait inévitablement en résulter que la population des régions du Nord serait réduite à mourir de faim.
b) Ils établirent l’ordre de priorité suivant, selon lequel serait alloué le ravitaillement produit par les Russes : 1º les troupes combattantes ; 2º le reste des troupes cantonnées dans les territoires ennemis ; 3º les troupes cantonnées en Allemagne ; 4º la population civile allemande ; et enfin 5º la population des pays occupés.
De cette façon, même les Russes qui habitaient la région de l’Ukraine riche en réserves alimentaires qui n’étaient pas indispensables à la production de la machine de guerre allemande, devaient être systématiquement affamés.
III. – Ils projetaient la destruction définitive de toute industrie dans la région nord de l’Union Soviétique, afin que le reste de la population russe dépendît complètement de l’Allemagne pour ses biens de consommation.
IV. – Ils projetaient d’incorporer une partie de la Galicie et tous les pays Baltes à l’Allemagne, et de transformer la Crimée et la région située au nord de la Crimée, le territoire de la Volga, ainsi que le district de Bakou, en colonies allemandes.
Je passe maintenant aux moyens de preuve qui étayent ces affirmations.
Je verse d’abord au dossier le document EC-472, USA-315. Ce document a pour but particulier de montrer quels étaient le statut et les fonctions de l’État-Major économique Est, groupe La. La pièce que nous déposerons ensuite comme preuve a été préparée par cette organisation. Le document EC-472 est une directive établie par le service de l’accusé Göring pour « la direction de l’économie dans les territoires nouvellement occupés de l’Est ». C’est la seconde édition, et elle est datée de juillet 1941, à Berlin. La première édition a été manifestement publiée peu avant juillet 1941. Ce document a été trouvé parmi les dossiers saisis dans les archives de l’OKW à Fechenheim.
Cette directive de l’accusé Göring instituait l’État-Major exécutif économique de l’Est qui était directement responsable vis-à-vis de lui, et créait au-dessous de cet organisme l’État-Major économique Est. L’État-Major économique Est était à son tour subdivisé en quatre groupes : le chef de l’État-Major économique, le groupe La, le groupe W et le groupe M. Je cite maintenant, à la page 2, les lignes 7 à 9 du texte anglais et dans le texte allemand, page 7, les lignes 7 à 9 :
« Groupe La, attributions : ravitaillement et agriculture, répartition de tous les produits agricoles, fourniture du ravitaillement des troupes en coopération avec les services compétents de l’Armée. »
Je dépose comme preuve le document EC-126 (USA-316). C’est un rapport daté du 23 mai 1941, c’est-à-dire antérieur à l’invasion de l’Union Soviétique. Il a été trouvé dans les dossiers saisis à l’OKW et porte le titre suivant : « Directives de politique économique pour l’organisation économique à l’Est, Groupe Agricole ». Il a été préparé par l’État-Major économique Est, groupe La, le groupe agricole, qui, comme le montre le document présenté il y a un moment, constituait une partie importante de l’organisation instituée par l’accusé Göring pour l’établissement des plans d’administration économique de la Russie. Ce qui est souligné dans le texte anglais l’est également dans le document original. Le document commence par un exposé des faits ayant trait à la production agricole dans l’Union Soviétique. Il expose que l’excédent de céréales de la Russie est déterminé par le niveau de la consommation domestique et que ce fait constitue la base sur laquelle les auteurs du plan doivent établir leurs prévisions et leur politique économique. Je cite maintenant les paragraphes 6 et 7 de la page 2 du texte anglais. Dans le texte allemand ce sont les trois dernières lignes de la page 3 et les cinq premières lignes de la page 4. Je cite :
« Les territoires excédentaires sont situés dans la région des terres noires, (c’est-à-dire dans le Sud et le Sud-Est) et dans le Caucase. Les régions déficitaires sont principalement localisées dans la zone forestière du Nord. Par conséquent l’isolement de la région des terres noires doit, dans tous les cas, mettre à notre disposition dans ces régions un excédent plus ou moins important. Les conséquences en seront la cessation du ravitaillement de toute la zone forestière, y compris les centres industriels importants de Moscou et Leningrad. »
Je citerai maintenant les onze dernières lignes de la page 2 et toute la page 3 du texte anglais. Le texte allemand commence au milieu de la ligne 6, page 5, et continue jusqu’à la ligne 29 de la page 6. Je cite :
« Ceci – la cessation du ravitaillement – signifie que :
« 1. Toute l’industrie de la région déficitaire et particulièrement les industries de transformation des régions industrielles de Moscou et de Leningrad, ainsi que les régions industrielles de l’Oural, devront être abandonnées. On peut penser que ces régions absorbent aujourd’hui annuellement environ 5 à 10.000.000 de tonnes de ravitaillement en provenance de la zone de production.
« 2. Le district pétrolifère de Transcaucasie devra être excepté de ces mesures, bien qu’il soit déficitaire. Cette source de pétrole, de coton, de manganèse, de cuivre, de soie et de thé, doit continuer à être alimentée en toutes circonstances, pour des raisons politiques et économiques particulières.
« 3. Aucune autre exception en vue de préserver une région ou une entreprise industrielle quelconque de la zone déficitaire ne doit être faite.
« 4. L’industrie ne peut être maintenue que si elle est localisée dans la région excédentaire. Ceci s’applique particulièrement, à part les régions pétrolifères du Caucase mentionnées plus haut, aux industries lourdes du bassin du Donetz (Ukraine). Seul l’avenir montrera jusqu’à quel point il sera possible de maintenir la totalité de ces industries, et en particulier les industries ukrainiennes de transformation, après le retrait de l’excédent nécessaire à l’Allemagne.
« De cette situation, qui a reçu l’approbation des autorités supérieures, étant donné qu’elle est en accord avec les tendances politiques (protection des Petits Russiens, protection du Caucase, des provinces Baltes, de la Russie Blanche, au préjudice des Grands Russiens), résultent les conséquences suivantes :
« Iº pour la zone forestière :
« a) La production de la zone forestière (région déficitaire) sera “naturalisée”, conformément aux événements de la guerre mondiale, et aux tendances communistes nées de la guerre, etc. C’est-à-dire que l’agriculture devra, dans cette région, passer à l’état d’économie domestique fermée. Il s’ensuit que la culture de produits destinés à la vente, tels que le lin et le chanvre en particulier, devra cesser, et que les terrains qui y étaient consacrés serviront à l’alimentation du producteur (en grains, pommes de terre). De plus, l’arrêt des livraisons de fourrage à cette région y entraînera l’effondrement de la production laitière et de l’élevage des porcs.
« b) L’Allemagne n’est pas intéressée au maintien de la capacité de production de ces territoires, sauf en ce qui concerne le ravitaillement des troupes qui y sont stationnées. La population, comme autrefois, travaillera la terre pour sa propre subsistance. Il est inutile de compter sur des excédents de céréales ou d’autres produits. Ce n’est qu’après bien des années que la production extensive de ces régions pourrait être intensifiée jusqu’à produire d’une manière véritablement excédentaire. La population de ces régions, et en particulier la population urbaine, sera exposée à une extrême disette ; il sera donc nécessaire de la transférer dans les vastes territoires de Sibérie. Étant donné qu’il ne peut pas s’agir de transports par fer, cela aussi sera très difficile à réaliser.
« c) Dans cette situation, l’Allemagne ne tirera des avantages substantiels de ces territoires qu’en intervenant rapidement et en une seule fois ; ainsi, il sera absolument nécessaire de mettre toute la récolte de lin à la disposition des besoins allemands, et non seulement les fibres, mais aussi les graines oléagineuses.
« Il sera nécessaire aussi de diriger vers la consommation allemande le bétail qui manque de fourrage de provenance directe, c’est-à-dire qu’il faudra saisir le bétail immédiatement et le mettre à la disposition des troupes, non seulement pour le moment, mais pour une longue période et aussi pour l’exportation en Allemagne. Étant donné que le ravitaillement en fourrage sera coupé, l’élevage des porcs et du bétail de cette région sera nécessairement en déclin dans un proche avenir. S’ils ne sont pas saisis au plus tôt par les Allemands, ils seront abattus par la population pour son propre usage, sans que l’Allemagne en tire aucun avantage. »
Je termine ici cette citation. La suivante est tirée du premier paragraphe de la page 4 du texte anglais. Le texte allemand commence à la page 7, par les deux derniers mots de la ligne 26 jusqu’au début de la ligne 31 :
« Le Führer a demandé que le niveau du rationnement de la viande puisse à nouveau être relevé à l’automne. Ce but ne peut être atteint que par d’importants prélèvements sur le cheptel russe, en particulier dans les régions dont la situation est favorable aux transports vers l’Allemagne. »
Votre Honneur, j’omets ici, dans l’intérêt de la rapidité des débats, certains passages de ce document que j’avais eu l’intention de citer. Je passe maintenant à la ligne 29 de la page 4 du texte anglais commençant par les mots soulignés « à l’avenir », jusqu’à la ligne 48. Dans le texte allemand, page 8, 3 lignes à partir de la fin, jusqu’à la ligne 17 de la page 9 :
« À l’avenir, la Russie du Sud devra se tourner vers l’Europe. Cependant, ses excédents alimentaires ne pourront être payés que si elle achète ses biens de consommation industriels en Allemagne ou en Europe. La concurrence de la zone forestière russe doit donc être abolie.
« Il résulte de ce qui vient d’être dit que l’administration allemande de ces territoires devra tenter d’atténuer les conséquences d’une famine qui sera inévitable et d’accélérer le retour aux conditions agricoles primitives. On pourrait essayer d’intensifier la culture dans ces régions en augmentant l’étendue des terrains plantés de pommes de terre ou d’autres produits importants et de rendement élevé. Cependant, ces mesures n’empêcheront pas la famine. Des dizaines de millions d’habitants de cette région y seront en excédent, et devront, soit mourir, soit émigrer en Sibérie. Toutes tentatives pour sauver ces populations de la mort par la faim, en important des excédents de la région des terres noires, seraient faites aux dépens du ravitaillement de l’Europe. Elles réduiraient les capacités d’endurance de l’Allemagne dans la guerre et mineraient la puissance de résistance au blocus de l’Allemagne et de l’Europe. Cela ne doit faire aucun doute pour personne. »
Je cite maintenant les lignes 18 à 30 de la page 5 du texte anglais ; lignes 1 à 11, page 12 du texte allemand :
« I. Ravitaillement de l’Armée. – La situation alimentaire de l’Allemagne au cours de la troisième année de guerre exige impérativement que la Wehrmacht, pour tout son ravitaillement, ne vive pas sur le territoire de la Grande Allemagne ou sur celui des régions incorporées ou amies dont ce territoire reçoit des importations. Ce but minimum, le ravitaillement de la Wehrmacht par le territoire ennemi au cours de la troisième année, et éventuellement au cours des années suivantes, doit être atteint à n’importe quel prix. Cela signifie qu’un tiers de la Wehrmacht doit être ravitaillé entièrement par les livraisons de la France à l’armée d’occupation et les deux tiers qui restent (et même un peu plus, étant donné l’importance actuelle de la Wehrmacht) par les territoires de l’Est, et ce sans aucune exception. »
Je cite maintenant les neuf dernières lignes de la page 8 du texte anglais ; le texte allemand se trouve page 18, lignes 15 à 22 :
« Ainsi, il ne faut en aucun cas chercher à maintenir l’état de choses existant, mais ce qui importe c’est de se détourner délibérément de la situation actuelle et d’introduire l’économie alimentaire russe dans le cadre européen. Ce fait aura inévitablement pour résultat la disparition de l’industrie ainsi que d’une grande partie des habitants de ce qui constituait jusqu’à présent les régions de déficit alimentaire. »
Il est à peine possible de traduire par des mots la sévérité et la cruauté de cette alternative.
La citation suivante comprend les dix premières lignes de la page 9 du texte anglais ; texte allemand, page 19, lignes 11 à 20 :
« Notre problème ne consiste pas à remplacer une production alimentaire intensive en Europe par l’incorporation de nouveaux espaces à l’Est, mais à remplacer les importations d’outre-mer par des importations en provenance de l’Est. La tâche est double :
« 1. Nous devons utiliser les territoires de l’Est pour combler notre déficit alimentaire durant et après la guerre. Cela signifie que nous ne devons pas craindre d’effectuer dans l’Est des prélèvements importants de produits. C’est, du point de vue européen, bien plus acceptable qu’un prélèvement sur la richesse essentielle de l’agriculture européenne. »
Enfin je cite le reste de la page 9, jusqu’à la fin de l’avant-dernier paragraphe du texte anglais ; le texte allemand se trouve aux lignes 24 à 31, page 19 :
« 2. Dans l’ordre futur, les régions de production alimentaire de l’Est devront constituer un complément alimentaire permanent et substantiel pour l’Europe, grâce à l’intensification des cultures et aux rendements plus élevés qui en résulteront.
« La première tâche doit être accomplie à n’importe quel prix, même en abaissant impitoyablement la consommation domestique russe, ce qui exige une discrimination entre les zones de consommation et les zones de production. »
Ce document, messieurs, révèle l’existence d’un plan concerté pour l’assassinat par la famine de millions de gens innocents. Il révèle la préméditation d’un programme de meurtres à une échelle si importante qu’aucune imagination humaine ne pouvait le concevoir. Le commandant Elwyn Jones, de la Délégation britannique, montrera plus tard que ce plan était en effet l’aboutissement logique des objectifs généraux clairement énoncés par Adolf Hitler dans Mein Kampf. Chacun de ces accusés était pleinement conscient de ces objectifs généraux quand il a commis les actes qui lui sont reprochés.
Je dépose maintenant comme preuve un document qui n’est pas moins accablant que celui que je viens de citer ; il porte le numéro L-221 (USA-317). C’est le mémorandum très secret, en date du 16 juillet 1941, d’une conférence au Quartier Général du Führer concernant la guerre à l’Est. Il semble avoir été élaboré par l’accusé Bormann dont les initiales figurent au haut de la page 1. Il a été saisi par le service américain de contre-espionnage. Le texte du mémorandum indique qu’à cette conférence assistaient Hitler, Lammers, les accusés Göring, Keitel, Rosenberg et Bormann.
Ce document est particulièrement important, en raison de la lumière qu’il jette sur les plans des conspirateurs pour la germanisation des régions conquises de l’Union Soviétique. Il est important aussi parce qu’il révèle le caractère absolument frauduleux de tout le programme de la propagande nazie. Il montre comment les conspirateurs ont cherché à tromper le monde entier, comment, alors qu’ils prétendaient poursuivre une fin, ils avaient justement pour but la fin opposée.
Je cite d’abord la page 1 du texte anglais, en commençant à la ligne 14 de la page 1, jusqu’à la ligne 22 de la page 2 ; le texte allemand se trouve à la page 1 : il commence au dernier paragraphe et continue jusqu’à la ligne 19 de la page 3. Je cite :
« Il serait maintenant essentiel que nous ne donnions à nos buts aucune publicité devant le monde ; cela n’est d’ailleurs pas nécessaire, mais le principal est que nous sachions ce que nous voulons. Nous ne devons en aucune manière rendre notre tâche plus difficile, en faisant des déclarations superflues. De telles déclarations seraient superflues, parce que nous pouvons faire n’importe quoi, là où nous disposons de la force ; quant à ce qui dépasse les limites de notre pouvoir, nous ne serions de toute façon pas capables de le faire.
« Pour motiver aux yeux du monde les mesures que nous prenons, nous devons invoquer des raisons tactiques. Nous devons agir ici exactement de la même façon que dans le cas de la Norvège, de la Hollande, du Danemark et de la Belgique. Dans ces cas aussi, nous n’avons pas révélé nos buts et il n’est que sage de continuer de la même façon.
« C’est pourquoi nous insisterons encore sur le fait que nous avons été forcés d’occuper, d’administrer et de défendre une région déterminée. Il était de l’intérêt des habitants que nous leur assurions l’ordre, le ravitaillement, les transports, etc. D’où les mesures prises. Personne ne pourra entrevoir que cela constitue le début du règlement final. Cela ne doit pas nous empêcher de prendre toutes les mesures nécessaires : fusiller, déporter, etc., et nous les prendrons.
« Mais nous ne voulons pas faire de quiconque notre ennemi d’une façon prématurée et inutile. C’est pourquoi nous agirons comme si nous voulions seulement exercer un mandat. Mais nous devons en même temps ne pas perdre de vue que nous n’abandonnerons jamais ces pays. Notre conduite devra par conséquent être la suivante : 1º Ne rien faire qui puisse entraver le règlement final, mais le préparer en secret. 2º Insister sur le fait que nous sommes les libérateurs. En particulier, la Crimée doit être évacuée par tous les étrangers et colonisée uniquement par des Allemands. De même, l’ancienne partie autrichienne de la Galicie deviendra un territoire du Reich. Nos relations actuelles avec la Roumanie sont bonnes, mais personne ne sait ce qu’elles seront dans l’avenir. Nous devons considérer ce fait et il nous faut déterminer nos frontières en conséquence. Il ne faut pas dépendre de la bonne volonté des autres peuples. Nos relations futures avec la Roumanie devront être établies d’après ce principe.
« En principe, nous avons donc à envisager la tâche de découper le gâteau géant selon nos besoins, afin de pouvoir dominer, puis administrer, enfin exploiter.
« Les Russes ont maintenant donné l’ordre de mener une guerre de partisans derrière notre front. Cette guerre de partisans a, elle aussi, quelques avantages pour nous ; elle nous permet d’éliminer tous ceux qui s’opposent à nous.
« Principes : Jamais plus il ne doit être possible de créer une puissance militaire à l’ouest de l’Oural, même si nous devions faire la guerre pendant cent ans pour atteindre ce but. Tous les successeurs du Führer devront savoir qu’il n’y a de sécurité pour le Reich que s’il n’existe pas de forces militaires étrangères à l’ouest de l’Oural ; c’est l’Allemagne qui assume la protection de cette région contre tout danger possible. Notre principe d’airain est et doit rester le suivant : ne jamais permettre à personne, sinon aux Allemands de porter des armes. » Je cite maintenant à la page 3, les lignes 19 à 31 du texte anglais ; dans le texte allemand, les treize dernières lignes de la page 5 :
« Le Führer insiste sur le point que tous les pays baltes devront être incorporés à l’Allemagne. De même, la Crimée, y compris un important hinterland situé au nord de la Crimée, devra devenir territoire du Reich ; l’hinterland devra être aussi étendu que possible. Rosenberg fait des objections à ce projet en raison des Ukrainiens qui vivent sur ce territoire. Je signale incidemment que j’ai remarqué à plusieurs reprises que Rosenberg a un faible pour les Ukrainiens ; c’est ainsi qu’il désire agrandir l’ancienne Ukraine d’une façon considérable. »
On peut, entre parenthèses, remarquer à ce sujet que c’est là le seul point du programme ébauché par Hitler au cours de cette réunion, auquel Rosenberg ait opposé des objections. Je reviens à une citation :
« Le Führer insiste d’autre part, sur le fait que la colonie de la Volga, elle aussi, devra devenir territoire du Reich, ainsi que le district de Bakou ; ce dernier devra devenir une concession allemande (colonie militaire). »
Ainsi, le programme esquissé par les conspirateurs au cours de la réunion du 16 juillet 1941, prévoyait l’incorporation illégale à l’Allemagne d’une partie de la Galicie et de tous les pays baltes, ainsi que la conversion illégale de la Crimée et des régions situées au nord de la Crimée, du territoire de la Volga et du district de Bakou en colonies allemandes.
Pour continuer à souligner ce point, j’attirerai l’attention du Tribunal sur le document PS-1029, déjà présenté par M. Alderman sous la cote USA-145. Ce document n’a pas été inclus dans notre livre de documents, mais il a déjà été lu par M. Alderman et consigné au procès-verbal (tome III, page 367) ; ce document est intitulé : « Instructions pour un commissaire du Reich dans l’Ostland ».
Quel document citez-vous ?
Monsieur le Président, cette pièce n’est pas dans le livre de documents, mais elle figure au procès-verbal. Dans le texte allemand, dont nous avons ici l’original, vous la trouverez aux pages 2 et 3 :
« La tâche d’un commissaire du Reich pour l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Russie Blanche – le dernier terme est ajouté au crayon – devra consister à entreprendre la réalisation d’un protectorat allemand, puis à transformer la région en une partie du Reich grand allemand, en germanisant les éléments raciaux qui s’y prêtent, en colonisant ceux de race allemande et en bannissant tout élément indésirable. La mer Baltique doit devenir une mer intérieure allemande sous le contrôle de la Grande Allemagne. »
Je dépose maintenant comme preuve le document EC-3 (USA-318), qui a également été trouvé dans les dossiers de l’OKW saisis à Fechenheim. Ce document donne la preuve directe du fait que nous avons mentionné plus haut, à savoir que, même dans les régions d’excédents alimentaires des territoires occupés de l’Ukraine, les conspirateurs projetaient d’allouer le ravitaillement sur une base qui ne laissait pratiquement rien aux personnes qui ne travaillaient pas à la production obligatoire pour les besoins de la machine de guerre allemande. Ce document, de même que le document EC-126 déposé il y a quelques instants et certains autres que nous soumettrons, devrait être lu à la lumière des dispositions explicites de l’article 52 de la Convention de La Haye de 1907, selon lesquelles les réquisitions de services et réquisitions en nature ne seront pas exigées des municipalités ou des habitants, sauf pour les besoins des armées d’occupation.
Je cite d’abord à la page 3, les lignes 21 à 23 du texte anglais du document EC-3, dans le texte allemand, page 13, lignes 1 à 3. Le document que je vais citer est un mémorandum très secret daté du 16 septembre 1941, relatant une réunion de personnalités militaires allemandes, présidée par l’accusé Göring. C’est à la page 3, Monsieur le Président, lignes 21 à 23 du document EC-3. Ce mémorandum a été signé par le général Nagel, officier de liaison entre l’office du Plan de quatre ans de l’accusé Göring et l’OKW. Je cite :
« Au cours de cette réunion qui avait pour objet une meilleure exploitation des territoires occupés, en faveur de l’économie alimentaire allemande, le Reichsmarschall Göring a attiré l’attention sur les points suivants : »
Je cite maintenant les deux premiers paragraphes de la page 4 du texte anglais ; le texte allemand se trouve page 13, paragraphes 3 et 4 :
« Il est évident qu’il est nécessaire d’établir une échelle d’allocations alimentaires. En premier lieu viennent les troupes combattantes, puis le reste des troupes stationnées en territoire ennemi, puis les troupes stationnées en Allemagne. Les rations sont allouées en conséquence. Puis vient le ravitaillement de la population civile allemande, enfin seulement celui de la population des territoires occupés. »
Je vais citer une autre partie de ce document, qui commence à la page 1 du texte anglais ; c’est un mémorandum daté du 25 novembre 1941, relatif aux principes généraux de la politique économique dans les territoires nouvellement occupés de l’Est, tels qu’ils avaient été établis au cours d’une conférence tenue à Berlin le 8 novembre 1941. Ce mémorandum a été lui aussi rédigé par le général Nagel sur le papier à en-tête de l’État-Major de liaison de l’OKW, service économique des armements, avec le Reichsmarschall Göring. Je cite à partir de la ligne 13 jusqu’à la fin de la page 1 du texte anglais.
Le document dont vous allez lire une partie ne fait-il pas double emploi avec le document EC-126 que vous venez de lire, au sujet des directives de politique économique ?
Il apporte des preuves nouvelles, Monsieur le Président, sur les plans des conjurés en vue de l’exploitation des territoires occupés de l’Est. Je puis ne pas en donner lecture, si vous le désirez.
Il semble ne rien ajouter.
Très bien, Monsieur le Président. Je passerai donc au point suivant.
Le 17 juillet 1941, Hitler et l’accusé Keitel promulguèrent un décret nommant l’accusé Rosenberg ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est. C’était le lendemain de la réunion au Quartier Général du Führer, mentionnée au document L-221 que nous avons déjà cité.
Le décret nommant Rosenberg ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est se trouve dans le document PS-1997 (USA-319) que je dépose comme preuve. Je cite les articles 2 et 4, à la page 1 de ce décret ; le texte allemand se trouve aux pages 27 et 28, articles 2 et 4 :
« L’administration civile dans les territoires nouvellement occupés de l’Est, là où ces territoires ne sont pas compris dans l’administration des territoires limitrophes au Reich ou au Gouvernement Général, est du ressort du ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est. Je nomme le Reichsleiter Alfred Rosenberg, ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est. Il résidera à Berlin. »
Les opinions de l’accusé Rosenberg correspondaient bien à cette tâche qui faisait de lui l’un des principaux réalisateurs des plans des conjurés en Union Soviétique. Ces opinions ont été clairement exprimées dans un discours du 20 juin 1940 et sont exposées dans le document PS-1058 (USA-147). J’attire l’attention du Tribunal sur les trois premières phrases du texte anglais. Le texte allemand commence à la cinquième ligne avant la fin de la page 8 et continue jusqu’à la ligne 2 de la page 9. L’accusé Rosenberg déclare dans ce discours et je cite :
« Le ravitaillement du peuple allemand se trouve sans aucun doute cette année en tête de la liste des prétentions allemandes sur l’Est ; les territoires du Sud et le Caucase du Nord devront servir à rétablir l’équilibre en vue du ravitaillement du peuple allemand. Il n’y a absolument aucune raison pour que nous soyons obligés de nourrir le peuple russe avec les produits de ces territoires excédentaires. Nous savons que c’est une dure nécessité, qui exclut tout sentiment. »
Je dépose maintenant comme preuve le document EC-347 (USA-320). Ce document a également été saisi dans les dossiers de l’OKW. Il contient une série de directives données par l’accusé Rosenberg en sa qualité de ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est.
Je cite en entier les deux premiers paragraphes de la page 1. Le texte allemand se trouve page 39, paragraphes 4 et 5. Dans ces directives, l’accusé Rosenberg déclare :
« Le premier devoir de l’administration civile dans les territoires occupés de l’Est, consiste à représenter les intérêts du Reich. Ce principe fondamental doit influer sur toutes les mesures et sur toutes les considérations. S’il est vrai que les territoires occupés pourront à l’avenir avoir leur vie propre, sous une forme qui n’est pas encore déterminée, ils n’en demeurent pas moins une partie de l’espace vital grand allemand et doivent toujours être gouvernés selon ce principe fondamental. Les dispositions de la Convention de La Haye sur la guerre sur terre, relatives à l’administration d’un pays occupé par une puissance belligérante étrangère, ne sont pas applicables, étant donné que l’URSS doit être considérée comme dissoute et que, par conséquent, le Reich a l’obligation d’exercer toutes les fonctions gouvernementales et autres prérogatives de souveraineté dans l’intérêt des habitants du pays. Par conséquent, toutes les mesures que l’administration allemande estime nécessaires et convenables à l’exécution de cette tâche sont autorisées. »
Ce passage n’a-t-il pas déjà été lu ?
Pas à ma connaissance, Monsieur le Président.
Très bien.
La déclaration de l’accusé Rosenberg, suivant laquelle la Convention de La Haye n’est pas applicable à l’Union Soviétique, implique qu’il reconnaît que l’activité des conspirateurs en Union Soviétique constitue une violation flagrante de ces conventions de La Haye. Cette déclaration indique que les conspirateurs méprisaient totalement les principes du droit international.
M. Dodd a déjà déposé comme preuve le document PS-294 sous le numéro USA-185, à l’occasion de l’exposé sur le travail forcé. Ce document est un mémorandum très secret, daté du 25 octobre 1942, trouvé dans les archives de l’accusé Rosenberg. Il a été rédigé par Bräutigam qui était une haute personnalité du ministère de Rosenberg pour les territoires occupés de l’Est. J’aimerais citer deux autres passages de ce document. Je citerai, à la page 1 du texte anglais, la totalité du premier paragraphe, lignes 17 à 20. Le texte allemand se trouve à la page 1 ; je citerai la totalité du premier paragraphe, lignes 22 à 25.
« À l’Est, l’Allemagne mène une triple guerre : une guerre pour la destruction du bolchévisme, une guerre pour la destruction du grand Empire russe, et une guerre pour l’acquisition de colonies dans des buts de colonisation et d’exploitation économique…
« Avec l’instinct particulier aux peuples orientaux, l’homme primitif a vite trouvé lui aussi, que pour l’Allemagne le slogan “libération du bolchévisme” n’était qu’un prétexte pour réduire en esclavage selon ses méthodes propres, les Slaves de l’Est. »
Voilà qui termine pour le moment la liste des preuves concernant l’Union Soviétique que nous avions l’intention de présenter. Comme je l’ai mentionné au début de mon exposé, ces pièces ne révèlent pas tous les plans des conspirateurs relatifs aux pays occupés, mais nous pensons qu’elles donnent l’image d’une méthode impitoyable de germanisation et de destruction.
Pour conclure, nous désirons déposer comme preuve deux documents qui prouvent l’aide que les industriels et les financiers allemands donnèrent à Himmler dans son programme impitoyable de germanisation, d’exploitation, d’oppression et de destruction.
Je dépose d’abord comme preuve le document EC-454 (USA-321), qui a été trouvé dans les caves de la banque Stein à Cologne, parmi les dossiers du banquier baron Kurt von Schröder, par une équipe mixte britannique et américaine, commandée par le Colonel Kellam du côté britannique et par le capitaine Roth du côté américain. C’est la copie carbone d’une lettre de von Schröder à Himmler, datée du 27 août 1943, portant les initiales de von Schröder. Je la cite dans sa totalité :
« Mon très honoré Reichsführer, c’est avec une grande joie que j’apprends votre nomination au poste de ministre du Reich à l’Intérieur, et je prends la liberté de vous adresser mes plus sincères félicitations pour votre nouveau poste.
« Une main forte est actuellement nécessaire pour diriger ce ministère et de tous côtés, mais particulièrement parmi vos amis, on se réjouit que le Führer vous ait chargé de cette tâche. Soyez sûr que nous ferons en tout temps tout ce qui est en notre pouvoir pour vous aider de toutes les façons possibles. Je suis heureux de vous informer à cette occasion que vos amis ont, cette année encore, mis à votre disposition une somme légèrement supérieure à un million de Reichsmark, destinée aux dépenses spéciales. Une liste exacte de ceux qui y ont contribué vous sera envoyée sous peu.
« Encore tous mes meilleurs vœux, ainsi que ceux de ma famille. Je reste, en vieille loyauté et estime, Heil Hitler, Sincèrement votre. »
Je dépose maintenant comme preuve, et ce sera la dernière, le document EC-453 (USA-322), qui a également été trouvé à la banque de Stein de Cologne par l’équipe anglo-américaine déjà mentionnée. C’est la copie carbone d’une lettre de von Schröder à Himmler, datée du 21 septembre 1943, portant les initiales de von Schröder et accompagnée de la liste des donateurs…
Sur quoi vous basez-vous, Capitaine Harris, pour prétendre que l’une ou l’autre de ces deux lettres puisse être utilisée comme preuve dans cette affaire ?
Messieurs les Juges, lorsque la requête aux fins d’ajournement fut adressée par Gustav Krupp au Tribunal, le Procureur Général britannique a déclaré que, au cas où le Tribunal déciderait que Krupp fût renvoyé des fins de la poursuite, les preuves du rôle que ledit Krupp, sa raison sociale et d’autres industriels avaient joué dans la préparation et la conduite de la guerre seraient néanmoins exposées au Tribunal, comme constituant une partie du complot général dans lequel ces accusés sont impliqués, ainsi que divers autres personnages qui ne sont pas actuellement présents devant nous.
Les preuves que nous apportons en ce moment, Messieurs les Juges, sont précisément du type indiqué par Sir Hartley Shaw-cross. Ces preuves montrent l’étendue et la portée du complot visé à l’Acte d’accusation. Elles montrent l’appui apporté à l’un des principaux conspirateurs, qui était à l’avant-garde du programme de pillage illégal de la propriété publique et privée et de germanisation d’une grande partie du monde, et nous estimons qu’elles sont de poids dans ce débat. Puis-je continuer ?
Oui.
Je cite le texte intégral de la dernière lettre, EC-453 :
« Mon très honoré Reichsführer, je vous remercie beaucoup de votre aimable lettre du 14 courant qui m’a causé un grand plaisir. Je vous envoie ci-joint une liste indiquant le total des fonds mis à votre disposition par vos amis pour cette année ; ces fonds s’élèvent à 1.100.000 Reichsmark. Nous sommes très heureux de vous rendre ce service pour vos affaires spéciales et de pouvoir vous apporter quelque assistance dans le domaine de plus en plus étendu des tâches qui vous sont assignées. Avec mes meilleurs vœux, mon cher Reichsführer, je vous conserve toute ma loyauté et mon respect. Heil Hitler. Très sincèrement votre… »
J’avais l’intention, Monsieur le Président, de citer les noms des donateurs, mais je m’en dispenserai si vous estimez que ce n’est pas nécessaire.
Je crois que cela ne ferait qu’allonger les débats.
Très bien, Monsieur le Président ; je suis extrêmement reconnaissant au Tribunal de l’attention qu’il a bien voulu m’accorder.
Colonel Storey ?
Le Tribunal désire-t-il poursuivre les débats avant la suspension d’audience ?
Non, peut-être vaudrait-il mieux suspendre l’audience pendant 10 minutes.
Plaise au Tribunal. Le reste de l’exposé de cette semaine sera consacré aux organisations criminelles. Nous présenterons d’abord le Corps des dirigeants. Nous exposerons certains des crimes marquants commis contre les Églises, les Juifs, les syndicats, ainsi que l’activité de l’Einsatzstab Rosenberg dans le pillage des trésors artistiques.
Au moment de déposer les preuves établissant la criminalité du Corps des chefs du parti nazi, il y a lieu de revenir sur la théorie adoptée par le Ministère Public à ce sujet. Cette théorie est la suivante : le parti nazi était le centre même du plan commun ou complot, visé au chef nº 1 de l’Acte d’accusation, complot qui envisageait et comportait le fait de commettre des crimes contre la Paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité, tels qu’ils sont définis et dénoncés par le Statut.
Le Corps des chefs, d’après les preuves recueillies, était responsable de la conception, de la mise en application et du contrôle des mesures criminelles prises par le parti nazi pour réaliser les buts du complot. Plus encore, les membres du Corps des chefs politiques eux-mêmes ont, comme nous le montrerons, participé activement à l’exécution de mesures illégales dans l’intérêt du complot. À la lumière des preuves qui seront soumises à ce Tribunal, le Corps des dirigeants peut être défini avec justesse comme étant le cerveau, l’épine dorsale et le bras directeur du parti nazi. Ses responsabilités sont plus considérables et plus étendues que celles de l’armée des adhérents qu’il dirigea et conduisit à l’assaut des peuples pacifiques du monde. Par conséquent, au vu des moyens de preuve soumis à ce propos qui feront l’objet d’un exposé, le Ministère Public demande au Tribunal de déclarer que le Corps des dirigeants du parti nazi est un groupe ou une organisation criminelle, au sens des termes de l’article 9 du Statut.
Je voudrais maintenant soumettre au Tribunal le livre de documents qui viendra à l’appui de mon exposé, sous la référence USA-V. Ce livre de documents a été remis au Tribunal au cours de la suspension d’audience. Chaque document est indiqué par un index et chaque passage cité est annoté au crayon rouge, afin de simplifier la tâche du Tribunal. En outre, nous avons remis deux documents qui ont déjà été déposés comme preuves : un exemplaire agrandi et plus détaillé de ce tableau que le Tribunal a devant les yeux, et un autre tableau sous forme de photocopie, concernant le Corps des chefs ; ces deux documents seront cotés par la suite.
Je vais maintenant procéder à la présentation des preuves relatives à la composition, aux fonctions, aux responsabilités et aux pouvoirs du Corps des chefs du parti nazi. Tout d’abord qu’était le Corps des chefs…
À la suite de la dernière audience, j’ai reçu une déclaration de Justice Jackson contenant des propositions sur la production des preuves et sur le moment où seraient discutées certaines questions qui peuvent se poser. Je ne comprends pas le but de ces propositions ; aussi je me réserve de revenir sur ces points en temps utile, si je l’estime nécessaire.
Bien entendu. Les avocats auront l’entière possibilité de présenter leurs arguments pour répondre à ceux présentés par le Ministère Public. Si j’ai bien compris ce qu’a dit M. Justice Jackson vendredi, il proposait que les preuves concernant les organisations criminelles fussent présentées d’abord, et que la discussion eût lieu ensuite. Les avocats des organisations auront, comme je l’ai déclaré ce matin, la possibilité de présenter des preuves en réponse à celles déposées par le Ministère Public, et ils auront également la possibilité de présenter tous les arguments qui leur sembleront bons, en face des preuves et des arguments présentés par le Ministère Public.
Tout d’abord, qu’était le Corps des chefs du parti nazi ? De qui se composait-il ? Quelles étaient son importance et l’étendue de ses activités ?
Si l’on considère la composition et la structure de l’organisation du Corps des chefs, il serait bon que le Tribunal se référât au document PS-2903 qui constitue le tableau affiché au mur et qui a été présenté par M. Albrecht au début du Procès. Pour compléter ce tableau, je dépose comme preuve le document PS-2833 (USA-22) qui est un schéma du Corps des chefs du parti nazi, reproduit à la page 9 d’une revue publiée par l’Office principal de l’Éducation du parti nazi et intitulée Das Gesicht der Partei (le visage du Parti). C’est cette petite photocopie que vous avez entre les mains. Par la suite, nous pensons en suspendre au mur un exemplaire agrandi.
Ces tableaux et les pièces qui suivront établissent que le Corps des chefs embrassait la totalité des fonctionnaires du parti nazi. Il comprenait le Führer au sommet, les Reichsleiter sur la ligne horizontale et les titulaires des postes officiels du Reich immédiatement au-dessous, les cinq catégories de chefs qui avaient une compétence territoriale et qui étaient appelés « Hoheitsträger » ou détenteurs de souveraineté. Ils sont indiqués en rouge ou dans des cases entourées de rouge au bas du tableau. Ils allaient des quelque 40 Gauleiter chargés de la direction de territoires importants, en passant par les chefs politiques intermédiaires, Kreisleiter, Ortsgruppenleiter, Zellenleiter, jusqu’aux Blockleiter qui étaient chargés de s’occuper de 40 ou 60 foyers, et enfin aux fonctionnaires qui peuvent être définis comme les officiers d’État-Major rattachés à chacun des cinq échelons de Hoheitsträger.
Organisés sur une base hiérarchique et sous la forme pyramidale, ainsi qu’il apparaît sur le tableau que le Tribunal a entre les mains, les principaux chefs politiques sont, en partant de l’échelon le plus élevé :
Le Führer, au sommet ; le Reichsleiter tel que je l’ai décrit, avec les titulaires des offices principaux ; le Gauleiter, chef d’un Gau, et ses officiers d’État-Major ; le Kreisleiter, chef d’un Kreis, et ses officiers d’État-Major ; l’Ortsgruppenleiter, chef d’un groupe local, avec ses officiers d’État-Major ; le Zellenleiter chef de cellule, avec ses officiers d’État-Major ; enfin, le Blockleiter, chef de bloc, avec ses officiers d’État-Major.
Je dépose maintenant comme preuve le document PS-1893 (USA-323). Plaise au Tribunal. C’est le livre d’organisation de la NSDAP ou parti national-socialiste. Il a été édité par feu l’accusé Dr Robert Ley, chef de l’organisation de la NSDAP ; c’est l’édition de 1943. Une partie importante des preuves qui doivent être apportées quant à la composition du Corps des chefs du parti nazi, sera tirée de ce manuel de l’organisation nazie et j’en citerai des extraits par la suite. Sans demander à chaque reprise au Tribunal de tenir ce document pour acquis, j’admettrai, en l’absence de questions, que cela va de soi. La traduction anglaise à laquelle nous nous référons, constitue le document PS-1893.
Je vais présenter les preuves relatives à la composition et aux pouvoirs de la Reichsleitung ou Corps des chefs, qui comprenait les Reichsleiter ou chefs du parti nazi, qui sont représentés sur la ligne horizontale au sommet du tableau, les Hauptämter ou offices principaux et les Ämter ou offices.
Les Reichsleiter du Parti étaient avec Hitler, les fonctionnaires les plus importants dans la hiérarchie du Parti. Tous les Reichsleiter titulaires d’offices et d’offices principaux au sein de la Reichsleitung étaient nommés par Hitler et étaient directement responsables devant lui.
Je cite le premier paragraphe de la page 4 du document PS-1893 :
« Le Führer nomme les chefs politiques ci-après :
« Les Reichsleiter et tous les chefs politiques, y compris les chefs des associations féminines, à l’intérieur de la Reichsleitung. »
Le fait significatif qui doit être bien compris, c’est que la Reichsleitung assurait une coordination parfaite entre les rouages du Parti et ceux de l’État. Le manuel du Parti formule ce fait dans les termes suivants : je cite la quatrième phrase du paragraphe 3 de la page 20 de ce document. Le numéro de la page se trouve au bas, page 20. C’est une très courte citation. Je cite :
« C’est dans la Reichsleitung que se mêlent les artères de l’organisation du peuple allemand et de l’État allemand. »
Plaise au Tribunal. Il y a dans cette partie de votre livre une légère différence de traduction.
Un moment, je vous prie. Cela commence par : « C’est dans la Reichsleitung que se confondent les fibres de l’organisation du peuple allemand et de l’État allemand. » Est-ce cela ?
Oui, Monsieur le Président, c’est cela. Ma traduction dit que ce sont les artères de l’organisation du peuple allemand et de l’État allemand qui se mêlent. Pour établir que les Reichsleiter du Corps des chefs constituaient la coalition la plus puissante des maîtres politiques de l’Allemagne nazie, il suffit de citer leurs noms. La liste des Reichsleiter que je vais maintenant déposer comme preuve comprend les accusés ci-après, actuellement traduits devant ce Tribunal : Rosenberg, von Schirach, Frick, Bormann, Hans Frank, ainsi que feu l’accusé Ley.
Les preuves qui seront déposées montreront que l’accusé Rosenberg était le chef d’une organisation qui portait son nom, l’Einsatzstab Rosenberg qui n’est pas portée sur le tableau, Monsieur le Président. Cette organisation exécuta un immense programme de pillage et de vol des trésors artistiques dans toute l’Europe occupée.
Les preuves établiront d’autre part qu’en sa qualité de représentant du Führer pour le contrôle de l’idéologie et de l’éducation nazies, Rosenberg participa à une campagne agressive destinée à miner l’autorité des Églises chrétiennes et à remplacer le christianisme par une Église nationale allemande, fondée sur une combinaison d’irrationalisme, de théories pseudo-scientifiques, de mysticisme et du culte douteux de l’État racial. Nous montrerons d’autre part que feu l’accusé Ley, agissant comme agent de Hitler et du Corps des chefs, dirigea l’attaque nazie contre les syndicats ouvriers indépendants d’Allemagne et qu’avant de se détruire lui-même, il détruisit un mouvement ouvrier libre et indépendant, rempart de la société républicaine, pour le remplacer par une organisation nazie, le Front du Travail allemand, ou DAF, et qu’il employa cette organisation comme moyen d’exploitation des forces ouvrières allemandes, dans l’intérêt du complot et en vue d’inculquer l’idéologie nazie aux ouvriers allemands.
Nous montrerons que l’accusé Frick participa à la promulgation de nombreuses lois destinées à favoriser les différentes phases du complot. L’accusé Frick partage la responsabilité des graves dommages causés par les hauts fonctionnaires du Corps des chefs à l’idée de la souveraineté de la loi, à la suite de ses efforts tendant à donner l’apparence du droit et de la légalité formelle à une quantité considérable de lois nazies, promulguées en violation des droits de l’Humanité, telle, par exemple, la législation discriminatoire dont le but était d’avilir, de stigmatiser et d’éliminer les Juifs de l’Allemagne et de l’Europe occupée.
Bien que l’accusé Bormann ne soit pas en personne au banc des accusés, les preuves de sa responsabilité dans la direction du complot nazi et l’aide qu’il lui a apportée se trouvent ici même, et abondent dans tout notre dossier. En sa qualité de chef de la Chancellerie du Parti, placé immédiatement au-dessous de Hitler, l’accusé Bormann fut un facteur extrêmement important de la direction des activités du Corps des chefs. Comme nous le prouverons, un décret du 16 janvier 1942 prescrivait que la participation du Parti à tout travail législatif important, à toutes les nominations et promotions aux postes gouvernementaux était du ressort exclusif de Bormann. Il participa à l’élaboration de toutes les lois et de tous les décrets promulgués par les autorités du Reich et donna son approbation aux lois et décrets des autorités subalternes.
Je me réfère maintenant au document PS-2474 (USA-324), dont la traduction anglaise contient, à la page 170, une liste des Reichsleiter de la NSDAP. Ce livre a été publié par l’accusé Robert Ley, Reichsleiter pour l’organisation du Parti. Les noms des quinze Reichsleiter en fonction en 1943 figurent aux pages 1 et 2 du document PS-2473. Avec l’assentiment du Tribunal, je ne lirai pas tous les noms, mais j’attirerai l’attention sur certains d’entre eux :
Martin Bormann, Chef de la Chancellerie du Parti.
Puis, je passe à :
Wilhelm Frick, Chef du groupe national-socialiste du Reichstag. Il figure sur le grand tableau à la seconde case à partir de la droite ;
Joseph Goebbels, Chef de la Propagande de la NSDAP, figurant sur la même ligne ;
Heinrich Himmler, Reichsführer SS, délégué de la NSDAP pour toutes les questions concernant le germanisme ;
Robert Ley, Chef de l’organisation de la NSDAP et chef du Front du Travail allemand ;
Victor Lutze, Chef de l’État-Major des SA ;
Alfred Rosenberg, Représentant du Führer pour le contrôle des activités intellectuelles et idéologiques et pour l’éducation de la NSDAP ;
Baldur von Schirach, Reichsleiter pour l’éducation de la jeunesse de la NSDAP ;
et enfin,
Franz Schwarz, Trésorier du parti national-socialiste.
L’une des principales fonctions des Reichsleiter, que nous pourrions appeler « Directeurs », consistait à assumer la responsabilité de la mise à exécution des tâches et missions qui leur étaient assignées par le Führer ou par le chef de la Chancellerie du Parti, l’accusé Martin Bormann. Les Reichsleiter étaient chargés, d’autre part, de veiller à ce que la politique du Parti fût appliquée dans toutes les sphères subalternes du Reich. Les Reichsleiter étaient également responsables du recrutement permanent de nouveaux chefs pour le Parti.
En ce qui concerne les fonctions et les responsabilités des Reichsleiter, je cite maintenant la page 20 de la traduction anglaise du document PS-1893 :
« La NSDAP représente la conception politique, la conscience politique et la volonté politique de la nation allemande. Conception politique, conscience politique et volonté politique se trouvent incarnées dans la personne du Führer. Sur la base de ses directives et conformément au programme de la NSDAP, les organes de la Reichsleitung déterminent les buts politiques du peuple allemand. C’est dans la Reichsleitung que se confondent les artères de l’organisation du peuple allemand et de l’État allemand. Il appartient aux différents organes de la Reichsleitung de maintenir un contact aussi étroit que possible avec la vie de la nation, par l’intermédiaire de leurs ramifications dans les Gaue…
« La structure de la Reichsleitung est telle que la voie qui conduit du plus petit bureau du Parti au sommet révèle les faiblesses et les changements les plus légers dans l’état d’esprit du peuple…
« La Reichsleitung a pour autre tâche essentielle d’assurer un choix judicieux des chefs. La Reichsleitung a le devoir de veiller à ce qu’il y ait pour toutes les circonstances de la vie, des chefs qui soient fermement attachés à l’idéologie nationale-socialiste et encouragent sa propagation avec toute l’énergie dont ils disposent…
« La tâche suprême du chef de l’organisation du Reich est de conserver au Führer l’épée bien aiguisée du Parti. »
La domination exercée sur le Gouvernement allemand par les principaux membres du Corps des chefs fut facilitée par un décret circulaire du ministère de la Justice du Reich, en date du 17 février 1934, qui établissait l’égalité entre les services supérieurs de la Reichsleitung du Corps des chefs et les autorités supérieures du Gouvernement allemand. Il est expressément prescrit dans ce décret que : « … les fonctions suprêmes de la Direction du Parti doivent être assimilées aux autorités suprêmes du gouvernement. » Le manuel du Parti définissait le contrôle exercé sur les rouages du gouvernement par le Corps des chefs comme « la pénétration de l’appareil de l’État par la volonté politique du Parti. »
Nous montrerons à un stade ultérieur des débats que le Corps des chefs du parti nazi dominait incontestablement l’État et le Gouvernement allemands. Le contrôle du Gouvernement allemand par le Corps des chefs était facilité par la réunion dans la personne des mêmes chefs nazis, des hautes fonctions au sein de la Reichsleitung et des fonctions correspondantes au sein de l’appareil gouvernemental. Ainsi, comme le montre le document PS-2903, Goebbels était le Reichsleiter chargé de la propagande du Parti, mais il était également ministre et chargé de la propagande et de l’orientation populaire. Himmler, qui était Reichsführer SS, détenait au sein de la Reichsleitung les fonctions de chef de l’Office principal pour le germanisme. En même temps, il était au gouvernement commissaire du Reich pour l’affirmation de la race allemande et chef gouvernemental du système de police allemand. Comme nous le montrerons plus tard, cette réunion dans la personne des mêmes chefs nazis des hautes fonctions du corps des chefs et des hauts postes administratifs, facilita considérablement les plans de ce Corps en vue d’établir sa domination et son contrôle sur l’État et le Gouvernement allemands.
En plus des Reichsleiter, la Direction du Parti comprenait environ onze offices principaux ou Hauptämter et environ quatre offices ou Ämter. Comme le montre ce document, les offices principaux du Parti comprenaient les organismes centraux du personnel, de l’éducation, de la technique, dirigés par l’accusé Speer, du germanisme dirigé par Himmler, des fonctionnaires civils, de la politique communale et ainsi de suite. Les Offices ou Ämter du Parti au sein de la Reichsleitung comprenaient l’Office de politique extérieure, dirigé par l’accusé Rosenberg, qui, comme les preuves le montreront, participa activement à l’élaboration des plans pour le déclenchement de la guerre d’agression contre la Norvège, l’Office de politique coloniale, l’Office de la généalogie, et l’Office de politique raciale.
Comme le montre le tableau du Corps des chefs que le Tribunal a sous les yeux, certains des offices principaux et Offices de la Reichsleitung réapparaissaient au sein de la Gauleitung et de la Kreisleitung. Il est ainsi démontré que les Reichsleiter et les titulaires des offices principaux et des Offices de la Reichsleitung exerçaient, par la voie hiérarchique des services qui leur étaient subordonnés aux échelons régionaux inférieurs, un contrôle total sur les différents secteurs de la vie nationale de l’Allemagne.
Je passerai maintenant aux Gauleiter. Comme on peut le voir sur le schéma de l’organisation du parti nazi actuellement devant le Tribunal (USA-2), l’Allemagne était, pour les besoins du Parti, divisée en régions administratives, les Gaue. Ces Gaue étaient eux-mêmes subdivisés en Kreise (cercles), Ortsgruppen (groupes locaux), Zellen (cellules) et Blocks (blocs). Chaque Gau était dirigé par un Gauleiter qui était le chef politique du Gau. Chaque Gauleiter était nommé par Hitler, et responsable devant lui. Je cite la page 18 du document PS-1893, livre d’organisation de la NSDAP :
« Le Gau représente la réunion d’un certain nombre de Kreise du Parti. Le Gauleiter est directement subordonné au Führer… Le Gauleiter porte devant le Führer la responsabilité totale de la délégation de souveraineté qui lui est faite. Les droits, les devoirs et la compétence du Gauleiter découlent au premier chef de la mission qui lui est assignée par le Führer et, en outre, de directives particulières. »
La responsabilité et les fonctions du Gauleiter et de ses officiers d’État-Major ou de ses fonctionnaires étaient essentiellement d’ordre politique, c’est-à-dire, qu’il devait assurer l’autorité du parti nazi sur son territoire, coordonner les activités du Parti et de tous les organismes affiliés ou contrôlés, et d’accroître d’une manière générale l’influence du Parti sur le peuple et la vie de son Gau. Au début de la guerre, lorsqu’il devint indispensable de coordonner les différentes phases de l’effort de guerre allemand, les Gauleiter reçurent d’importantes charges supplémentaires. Le conseil ministériel de la Défense du Reich, qui constituait une sorte d’état-major général pour la défense civile et la mobilisation de l’économie de guerre allemande, désigna par un décret du 1er septembre 1939, paru au Reichsgesetzblatt 1939, partie 1, page 1565, environ 16 Gauleiter comme commissaires à la Défense du Reich. Je demande au Tribunal de tenir ce texte pour acquis. Plus tard, sous le choc des revers militaires accumulés et sous la pression d’une économie de guerre de plus en plus précaire, les Gaue prirent en charge des fonctions administratives de plus en plus importantes. Les Gaue du Parti devinrent les unités de base pour la Défense du Reich et chaque Gauleiter devint commissaire à la Défense du Reich par un décret du Conseil ministériel pour la Défense du Reich, en date du 16 novembre 1942, paru au Reichsgesetzblatt 1942, partie 1, page 649, dont je demande au Tribunal de prendre acte. Au cours de la guerre, des fonctions supplémentaires furent confiées aux Gauleiter, si bien qu’à la fin, à l’exception de certaines questions spéciales, telles que les affaires de police, presque toutes les phases de l’économie de guerre allemande étaient coordonnées et contrôlées par eux. À titre d’exemple, l’autorité régionale sur le contrôle des prix fut attribuée aux Gauleiter en leur qualité de commissaires à la Défense du Reich, de même que l’administration du logement en leur qualité de commissaires au logement des Gaue. Vers la fin de la guerre, les Gauleiter furent même chargés de fonctions de caractère militaire ou para-militaire ; ils furent nommés commandants du Volkssturm de leur région et on leur confia d’autres tâches importantes, telles que l’évacuation de la population civile devant les armées alliées, ainsi que l’exécution des mesures en vue de la destruction des installations vitales.
La structure et l’organisation des Gaue du Parti étaient en substance répétées aux échelons inférieurs des organisations du Parti, telles que les Kreise, Ortsgruppen, Zellen et Blocks. Chacune de ces unités était dirigée par un chef politique qui, soumis au Führerprinzip et aux ordres des chefs politiques supérieurs, était souverain dans sa sphère. Le Corps des dirigeants du parti nazi était, en fait, une « hiérarchie descendante de Césars ». Chacun des échelons inférieurs du Parti, tels que les Kreise, Ortsgruppen, etc., était organisé en offices ou Ämter traitant des différentes activités spécialisées du Parti. Mais le nombre de ces départements ou offices diminuait au fur et à mesure que l’on descendait dans la hiérarchie des unités du Parti, de sorte que, alors que toutes ou presque toutes les fonctions du Gau (telles que celles d’adjoint, de chef de Cabinet, de chef de l’organisation, de chef des écoles, de chef de la Propagande, de chef du bureau de Presse, de trésorier, de juge au Tribunal du Parti, d’inspecteur, etc.), se retrouvaient dans les bureaux du Kreis, les Ortsgruppen en avaient un nombre inférieur et les Zellen et Blocks moins encore.
Le Kreisleiter était nommé et révoqué par Hitler, sur la proposition du Gauleiter, et était directement subordonné au Gauleiter dans la hiérarchie du Parti. Le Kreis comprenait normalement un seul district. Le Kreisleiter avait en général à l’intérieur du Kreis une situation, des pouvoirs et des prérogatives semblables à ceux qui étaient dévolus au Gauleiter dans le Gau. Dans les villes, ils constituaient le noyau même de la puissance et de l’organisation du Parti. Je cite encore un extrait de la page 17 de la traduction anglaise du document PS-1893 :
« Le Kreisleiter porte devant le Gauleiter, dans la limite de sa souveraineté, la responsabilité pour tout ce qui concerne l’éducation et la formation politique et idéologique des chefs politiques et des membres du Parti, ainsi que de la population en général. »
L’Ortsgruppenleiter était le chef de groupe local. Le domaine de l’Ortsgruppenleiter comprenait une ou plusieurs communes ou, dans les villes, un certain quartier. L’Ortsgruppe était composée d’un groupement de blocs et de cellules, selon les conditions locales, et comprenait jusqu’à 1.500 foyers. L’Ortsgruppenleiter disposait également d’un cabinet de fonctionnaires qui l’assistaient dans les diverses activités du Parti. Tous les autres chefs politiques compris dans son domaine de responsabilités étaient subordonnés à l’Ortsgruppenleiter et placés sous sa direction. À titre d’exemple, les chefs des différentes organisations affiliées au Parti, telles que le Front du Travail allemand, les organisations nazies de juristes, d’étudiants et de fonctionnaires, étaient toutes, dans son territoire, subordonnées à l’Ortsgruppenleiter. Conformément au Führerprinzip, les Ortsgruppenleiter ou chefs des groupements locaux étaient nommés par le Gauleiter et directement subordonnés au Kreisleiter.
En ce qui concerne les Ortsgruppenleiter, le manuel du Parti prescrit ce qui suit ; je cite les pages 16 et 17 du document PS-1893 :
« En sa qualité de Hoheitsträger (détenteur de souveraineté), il exprime toutes les volontés du Parti ; il est responsable de la direction politique et idéologique et de l’organisation à l’intérieur de sa zone de souveraineté.
« L’Ortsgruppenleiter porte la responsabilité totale des résultats politiques de toutes les mesures prises par les bureaux et organisations du Parti et par les associations affiliées.
« L’Ortsgruppenleiter a le droit de protester auprès du Kreisleiter contre toutes les mesures contraires aux intérêts généraux du Parti, tout en sauvegardant vis-à-vis de l’opinion publique les apparences de l’unité politique. »
Le Zellenleiter était responsable de quatre à huit blocs. Il était le supérieur immédiat du Blockleiter, et exerçait sur lui son contrôle. Conformément au manuel du Parti, sa mission et ses responsabilités correspondaient aux missions du Blockleiter. Je citerai simplement une ligne, au dernier paragraphe de la page 15 de ce même document : « Les missions des chefs de cellules correspondent dans leur esprit aux missions des chefs de blocs ».
Le Blockleiter était le seul fonctionnaire du Parti dont la situation lui permît d’être en contact constant avec le peuple allemand. Le bloc représentait l’unité inférieure dans l’organisation pyramidale du Parti. Le bloc du Parti comprenait 40 à 60 foyers ; il était considéré par le Parti, comme le point de mire vers lequel devait se concentrer sa propagande. Je cite, aux pages 13 et 14 du texte anglais de ce même document :
« Le foyer est la communauté fondamentale sur laquelle est construit le système du bloc et de la cellule. Le foyer constitue le rassemblement organisé de tous les citoyens réunis dans un appartement, y compris les pensionnaires, les domestiques, etc. Le Blockleiter est compétent pour tous les événements relatifs au Parti qui se déroulent dans son secteur et il est entièrement responsable devant le Zellenleiter. »
De même que les autres chefs politiques, le Blockleiter était chargé d’élaborer, de propager et de développer, dans le secteur dont il était responsable, une attitude de réceptivité de la part de la population à l’égard de la politique du Parti nazi. Le Blockleiter avait également le devoir formel d’espionner la population. Je cite aux pages 14 et 15 de ce même document :
« II est du devoir du Blockleiter de découvrir les individus propageant des rumeurs nuisibles et d’en référer à l’Ortsgruppe, afin que ces faits puissent être rapportés aux autorités compétentes de l’État.
« Le Blockleiter ne doit pas seulement être le prédicateur et le défenseur de l’idéologie nationale-socialiste auprès des membres de la Nation et du Parti dont il a la charge sur le plan politique, mais il doit encore s’appliquer à obtenir la collaboration pratique des membres du Parti appartenant à son bloc… Le Blockleiter rappellera constamment aux membres du Parti leurs devoirs particuliers à l’égard du peuple et de l’État… Le Blockleiter tient un état des foyers…
« Le Blockleiter effectuera verbalement son travail officiel ; il ne recevra et ne transmettra que des messages oraux. La correspondance écrite ne sera utilisée que dans les cas de nécessité absolue… Le Blockleiter dirigera la propagande nationale-socialiste de bouche à oreille. Il éveillera peu à peu la compréhension des éléments éternellement mécontents à propos des dispositions des lois du Gouvernement national-socialiste qui ne sont souvent que mal comprises ou mal interprétées… Il n’est pas nécessaire qu’il s’associe, pour faire preuve d’esprit de solidarité, aux plaintes ou aux réclamations concernant centaines insuffisances parfois évidentes… La condition nécessaire pour garder la confiance de tout le peuple est de maintenir le secret le plus absolu en toutes matières. »
Nous montrerons qu’il existait en Allemagne environ un demi-million de Blockleiter. Bien que ce chiffre puisse paraître considérable, il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que ces fonctionnaires faisaient partie du Corps des chefs du parti nazi. Du fait qu’ils avaient été placés à la base de la pyramide du Parti et non pas au sommet où se trouvaient les Reichsleiter, ils se trouvaient par là même disséminés en grand nombre à travers la population civile allemande.
Je pense, Colonel Storey, qu’il serait utile pour le Tribunal que vous puissiez nous dire, au moment qui vous paraîtra opportun, combien de membres environ comprenait chacun de ces échelons.
C’est le point suivant de mon exposé, Monsieur le Président.
Très bien.
Il est douteux que l’Allemand moyen ait jamais vu la physionomie de Heinrich Himmler, mais l’homme de la rue, en Allemagne nazie, ne pouvait éviter une promiscuité gênante avec le Blockleiter de son quartier. De même que c’est l’agent du coin plutôt que le magistrat suprême d’un pays qui symbolise la loi pour l’homme moyen, de même les Blockleiter représentaient pour le peuple allemand l’État policier de Hitler. En fait, comme nous le montrent les moyens de preuve, les Blockleiter étaient de petits Führer qui exerçaient un pouvoir réel sur les civils de leur quartier. Afin de mettre en lumière l’autorité que possédait le Blockleiter pour exercer une pression ou des menaces sur la population civile, je cite le document PS-2833 qui est un extrait de la page 7 de la revue intitulée Le Visage du Parti. Ce n’est qu’une citation de quelques lignes :
« Les conseils, et quelquefois une forme plus rude de redressement, pourront être utilisés si la conduite fautive d’un individu lui fait tort à lui-même et, par là, à la communauté. »
Avant de passer aux chiffres, j’aimerais parler des Hoheitsträger.
Il me semble qu’il serait temps de suspendre l’audience.
Oui, Monsieur le Président.
Jusqu’à 2 heures.