VINGT-DEUXIÈME JOURNÉE.
Mardi 18 décembre 1945.

Audience du matin.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. Avant la levée de l’audience, hier soir, Votre Honneur avait formulé une ou deux questions au sujet des documents PS-3051 et PS-3063. Je crois pouvoir donner une réponse qui aidera le Tribunal. Le Tribunal se souvient du document PS-3051. Je crois qu’il serait utile de s’y référer tout de suite.

LE PRÉSIDENT

Oui.

COLONEL STOREY

Votre Honneur avait demandé hier après-midi ce que ce document avait à voir avec le SD et les SS et de quelle manière le Parti était mis en cause. J’aimerais citer le paragraphe 1, page 2 du texte anglais, qui répond à cette question.

Je cite :

« Les chefs de la Police d’État ou leurs adjoints doivent, dès la réception de ce télétype, se mettre en communication téléphonique avec les chefs politiques (Gauleitung ou Kreisleitung) – qui ont pouvoir de juridiction dans leurs districts et doivent préparer une entrevue avec les inspecteurs compétents ou avec les chefs de la Police d’ordre – pour mettre sur pied la manifestation prévue. Au cours de ces discussions, les chefs politiques doivent être informés que la police allemande a reçu du Reichsführer SS et chef de la Police les instructions suivantes, au vu desquelles les chefs politiques prendront leurs propres mesures. »

Voilà ce qui concerne la préparation des manifestations anti-juives.

Je me réfère maintenant au document PS-3063 qui suit immédiatement le premier.

LE PRÉSIDENT

Bien.

COLONEL STOREY

Si le Tribunal s’en souvient, c’était un rapport du Président de la Cour suprême de Justice, Buch à l’accusé Göring, concernant le châtiment des auteurs des soulèvements des 9 et 10 novembre 1938.

J’aimerais citer les parties signées de Göring. Je crois que c’est à la deuxième page de la traduction anglaise.

« Berlin, 22 février 1939.

« Cher Camarade Buch,

« Je vous remercie de m’avoir transmis les rapports de votre Cour spéciale au sujet de la procédure concernant les excès commis à l’occasion des manifestations anti-juives des 9 et 10 novembre 1938. J’en ai pris connaissance. Heil Hitler. Bien à vous. Göring. »

Si nous passons, Votre Honneur, à la page nº 1 qui suit immédiatement dans la traduction anglaise, je pense que les deux paragraphes suivants répondront à la question de Votre Honneur. Je cite :

« Le soir du 9 novembre 1938, le Docteur Goebbels, chef de la Propagande du Reich, membre du Parti, au cours d’une soirée qu’il donnait au vieil Hôtel de Ville de Munich, mit les dirigeants du Parti au courant des manifestations anti-juives qui s’étaient déroulées dans les Gaue de Kurhessen et de Magdeburg-Anhalt, manifestations au cours desquelles des boutiques juives avaient été pillées et des synagogues incendiées. Il ajouta que le Führer, sur sa suggestion à lui, Goebbels, avait décidé que le Parti ne devait pas préparer et organiser de telles manifestations, mais qu’il ne devait pas non plus les décourager, si elles avaient lieu spontanément.

« À une autre occasion, le 10 novembre 1938, le membre du Parti, Goebbels, exprima son avis à ce sujet dans un télétype. »

LE PRÉSIDENT

Que veut dire « De 12 h. 30 à 1 heure » ?

COLONEL STOREY

C’était l’heure du message télétypé. Puis-je continuer, Votre Honneur ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

COLONEL STOREY

« Il est vraisemblable que tous les membres du Parti présents comprirent, d’après les instructions générales du Reichsleiter, que si le Parti ne devait pas officiellement apparaître comme le responsable de ces manifestations, il devait, en réalité, les organiser et les exécuter. Des instructions à ce sujet furent téléphonées immédiatement aux bureaux des différents Gaue (bien avant la première transmission du télétype) par un grand nombre des membres du Parti présents. »

Vos Honneurs m’ont demandé hier après-midi quel avait été le rôle des chefs de blocks. Le Tribunal se souvient que, dans les instructions concernant les Blockleiter, il est précisé que ces instructions seront reçues et transmises oralement, et que jamais on n’utilisera d’instructions écrites, sauf en des cas exceptionnels. C’est pourquoi je dis que ce que je viens de citer indique clairement que le Parti était en fait à l’origine de ces fameuses manifestations antisémites des 9 et 10 novembre 1938.

Pour en revenir au texte d’hier après-midi, le Corps des dirigeants du parti nazi participa à la confiscation des biens d’Église et des biens religieux. Je dépose le document PS-072 sous le nº USA-357. C’est une lettre datée du 19 avril 1941 du Reichsleiter Bormann au Reichsleiter Rosenberg. Cette lettre montre quelle fut la participation du Gauleiter dans les mesures de confiscation des biens religieux. Je cite maintenant le dernier paragraphe, page 1 de la traduction anglaise du document PS-072, qui est ainsi conçu :

« Les bibliothèques et objets d’art confisqués dans les monastères doivent rester pour le moment dans ces monastères, si les Gauleiter n’en ont pas décidé autrement. »

Le 21 février 1940, le chef de la Police de sûreté et du SD, Heydrich, écrivit une lettre au Reichsführer SS Himmler, proposant que certaines églises et monastères énumérés soient réquisitionnés pour y loger de soi-disant « Allemands de race ». Le Tribunal sait quelle était la position de Himmler. Après avoir fait remarquer que, pour des raisons politiques, la confiscation rapide des biens religieux n’était pas faisable à l’époque, Heydrich suggéra que l’on pouvait obtenir le même résultat par des mesures nuancées menant à la confiscation totale.

Je dépose comme preuve le document R-101 (a). C’est l’un des derniers de ceux que Votre Honneur a devant lui, USA-358. Plaise à Votre Honneur, plusieurs de ces documents portent le chiffre R-101 et, en bas, vous remarquerez les lettres a, b, c. Celui dont je parle est le document R-101 (a). Je cite les cinq premiers paragraphes de la page 2 de la traduction anglaise :

« Vous trouverez ci-joint une liste de biens d’Église qui pourraient être mis à la disposition de personnes de race allemande. Cette liste, que je vous demande de me renvoyer, est complétée par la correspondance et les documents photographiques ayant trait à la question. Pour des raisons politiques, la confiscation sans indemnité de tous les biens de l’Église et des ordres religieux ne serait guère possible pour le moment. L’expropriation avec indemnité ou échange contre d’autres terres doit être encore moins envisagée. On suggère de donner aux autorités religieuses l’ordre d’évacuer le monastère en question, afin d’y héberger des personnes de race allemande, et de s’établir dans d’autres monastères moins occupés. » En marge de ce paragraphe est écrite au crayon la mention « Très bien ». « L’expropriation totale pourrait ainsi se faire peu à peu. »

Le 5 avril 1940, le chef SS de la Police de sûreté envoya au « Commissaire du Reich pour la défense de la race allemande » une lettre contenant une copie de la lettre de Heydrich à Himmler du 21 février 1940 proposant la confiscation des biens de l’Église. La lettre du 5 avril 1940 est jointe au document R-101 (a) que nous venons de déposer et j’en cite la seconde phrase du premier paragraphe, page 1 de la traduction anglaise :

« Le Reichsführer SS est d’accord avec les propositions faites dans la lettre ci-jointe et a ordonné que les chefs de la Police de sûreté et du SD et votre Bureau règlent cette question en commun. »

Je présente maintenant le document R-101 (c), USA-358. C’est une lettre datée du 30 juillet 1941, adressée par un SS Standartenführer, dont la signature est illisible, au chef des SS du Reich. La lettre fournit d’autres preuves de la participation des Gauleiter à la confiscation des biens d’Église. Je cite les trois premiers paragraphes de la traduction anglaise de ce document R-101 (c), au bas de la page.

« Conformément au rapport du 30 mai 1941, ce service considère qu’il est de son devoir d’attirer l’attention du Reichsführer sur l’évolution actuelle de la saisie et de la confiscation des biens d’Église dans les pays incorporés de l’Est. Dès que les lois du Reich sur l’expropriation entrèrent en vigueur, le Gouverneur et Gauleiter du Reich dans le Wartheland a confisqué les immeubles appartenant aux Églises pour s’en servir comme maisons d’habitation et a versé aux comptes bloqués une indemnité correspondant à la valeur des biens confisqués. En outre, la société à responsabilité limitée pour l’exploitation agricole de l’Est allemand annonce que, dans le Warthegau, tous les immeubles appartenant aux Églises sont revendiqués par l’administration locale du Gau. »

Je présente ensuite le document R-101 (d) qui suit immédiatement et qui a déjà été déposé sous le nº USA-358. C’est une lettre en date du 30 mars 1942, écrite par le Chef du Bureau principal de l’État-Major à Himmler, et traitant de la confiscation des biens de l’Église. Elle montre la participation active de la Chancellerie du Parti à la confiscation des biens religieux.

Dans cette lettre, le chef du Bureau principal de l’État-Major rapporte à Himmler l’habitude qu’ont les SS de supprimer tout versement de loyer aux monastères et aux autres établissements religieux dont la propriété a été saisie. La lettre discute une proposition faite par le ministre de l’Intérieur du Reich avec la participation évidente de la Chancellerie du Parti, suivant laquelle les établissements religieux toucheraient des sommes équivalentes aux charges hypothécaires courantes, sans réaliser aucun bénéfice. Le rédacteur de cette lettre suggère ensuite de ne pas effectuer ces versements directement aux établissements religieux, mais plutôt aux créanciers de ces établissements. Je cite maintenant la quatrième phrase, page 3 du document, aux termes de laquelle « un tel arrangement serait conforme à l’idée fondamentale du règlement établi préalablement par la Chancellerie du Parti et le ministre de l’Intérieur du Reich. »

De 1933 à 1944, le ministre de l’Intérieur du Reich fut l’accusé Frick.

Le Corps des dirigeants du parti nazi a participé à la suppression des publications religieuses et s’est opposé à l’enseignement libre. Dans une lettre datée du 27 septembre 1940, le Reichsleiter et Délégué du Führer, Bormann, transmit à l’accusé Rosenberg une photocopie d’une lettre du Gauleiter Florian, datée du 23 septembre 1940, désapprouvant entièrement, comme contraire à l’idéologie nazie, un pamphlet religieux intitulé : « L’esprit et l’âme du soldat », écrit par le Generalmajor von Rabenau. Je dépose le document PS-064 sous le nº USA-359. C’est une lettre originale signée de Rosenberg. Elle contient la lettre de l’accusé Bormann à Rosenberg du 27 septembre 1940, transmettant la lettre du 23 septembre 1940 du Gauleiter à l’accusé Hess, dans laquelle le Gauleiter demande d’urgence l’interdiction des écrits religieux du Général von Rabenau. Dans sa lettre, le Gauleiter Florian relate une conversation qu’il eut avec le Général von Rabenau, à l’issue d’une conférence faite par le général devant un groupe de jeunes officiers de l’Armée, à Aix-la-Chapelle. Cette conversation met en lumière l’attitude hostile du corps des dirigeants envers les Églises chrétiennes. Je cite, deuxième phrase du paragraphe 2, page 2 de la lettre du Gauleiter à l’accusé Hess, passage qui figure à la page 2 de la traduction anglaise, au second paragraphe :

« Après avoir affirmé la nécessité des Églises, Rabenau, très sûr de lui, me dit : “Cher Gauleiter, le Parti accumule erreur sur erreur dans cette question religieuse. Obtenez-moi du Führer les pouvoirs nécessaires et je garantis que, dans quelques mois, j’aurai fait la paix pour toujours avec les Églises.” Après cet exemple d’ignorance monstrueuse, j’abandonnai la conversation.

« Cher camarade de Parti Hess ! À la lecture de la brochure de Rabenau, “L’esprit et l’âme du soldat”, j’ai revécu cet incident. Dans cette brochure, Rabenau affirme la nécessité de l’Église d’une façon franche et claire, bien que prudente et circonspecte. À la page 28, il écrit : “On pourrait y donner d’autres exemples montrant qu’un soldat peut difficilement vivre en ce monde sans songer au monde à venir”. Étant donné que, dans le domaine religieux, Rabenau raisonne faussement, je considère son activité en tant qu’éducateur comme dangereuse ; j’estime que ses écrits éducatifs ne doivent plus continuer à paraître et que la section de publication de la NSDAP peut et doit renoncer à sa collaboration. Les Églises et les doctrines qu’elles propagent constituent un danger contre lequel on doit lutter sans trêve. »

La Chancellerie du Parti partageait l’hostilité du Gauleiter envers les églises chrétiennes ; c’est ce que nous révèlent les instructions de l’accusé Bormann à l’accusé Rosenberg, instructions données dans une lettre où il demande à Rosenberg de faire le nécessaire pour qu’il soit donné suite à la proposition du Gauleiter, visant à interdire les écrits du général von Rabenau. Je dépose maintenant comme preuve le document PS-089 sous le nº USA-360. C’est une lettre de Bormann, adjoint du Führer, à Rosenberg, en date du 8 mars 1940, contenant une copie de la lettre qu’il écrivait le même jour au Reichsleiter Amann. Amann était Reichsleiter pour la Presse et chef de la société de publication du Parti ; il était donc un des dirigeants du corps des chefs politiques. Dans cette lettre à Amann, Bormann exprime son mécontentement du fait que seulement 10 % des 3.000 périodiques protestants paraissant en Allemagne aient cessé de paraître pour de soi-disant raisons « d’économie de papier ». Bormann informe le Reichsleiter Amann que « la distribution de papier pour de telles publications a été interdite. »

Je verse ce document au dossier et je cite le paragraphe 2 de la lettre de Bormann à Amann qui figure à la page 1, paragraphe 2, de la traduction anglaise :

« Je vous demande d’urgence de veiller à ce que, lors d’une nouvelle répartition de papier, les écrits d’ordre confessionnel qui, comme l’expérience le montre, contribuent fort peu à affermir la résistance du peuple contre l’ennemi extérieur, soient assujettis à des restrictions encore plus sévères au profit de publications de plus grande valeur, tant au point de vue politique qu’au point de vue idéologique. »

Je dépose ensuite le document PS-101 sous le nº USA-361. C’est encore une lettre de l’accusé Bormann au Reichsleiter Rosenberg, datée du 17 janvier 1940, déclarant que le Parti est hostile à l’envoi de publications religieuses aux membres des Forces armées allemandes. Les soldats des Nations Unies acceptent presque tous avec respect le postulat qu’il n’y a pas d’athées en première ligne. Mais ce document exprime un avis opposé. Je cite à partir de la page 1 du texte anglais :

« Presque toutes les régions (c’est-à-dire les Gaue), m’informent régulièrement que les prêtres des deux confessions accordent leur ministère spirituel aux membres des Forces armées. Ce ministère se manifeste spécialement par l’envoi de publications provenant des autorités religieuses des différents groupements auxquels appartiennent les soldats. Ces publications sont, pour la plupart, très habilement rédigées. J’ai déjà dit fréquemment que les soldats lisaient ces brochures et qu’elles exerçaient une certaine influence sur leur moral. J’ai essayé d’en restreindre la production et la diffusion en avertissant le Feldmarschall, le Haut Commandement des Forces armées et le Reichsleiter Amann, membre du Parti. Le résultat de ces efforts reste insuffisant.

« Ainsi que le Reichsleiter Amann me l’a fréquemment rapporté, la réduction de ces publications par le rationnement du papier n’a pas donné de résultats, parce que le papier peut être acheté sur le marché libre. Si l’on veut combattre efficacement l’influence de l’Église sur l’Armée, il faut diffuser dans le plus bref délai un grand nombre de bonnes publications contrôlées par le Parti. À la dernière réunion des Gauleiter, on a fait remarquer que beaucoup de ces brochures n’étaient pas encore prêtes. J’affirme la nécessité de transmettre le plus tôt possible à tous les services du Parti et aux Ortsgruppenleiter une liste de publications de ce genre qui doivent être expédiées à nos soldats par les Ortsgruppen… »

Le Corps des dirigeants participa aussi à des mesures aboutissant à la fermeture et à la dissolution des facultés de théologie et autres institutions religieuses. Je dépose maintenant à l’appui le document PS-122 (USA-362). C’est encore une lettre de l’accusé Bormann à l’accusé Rosenberg, en sa qualité de représentant du Führer pour le contrôle de l’enseignement et de l’éducation politique dans la NSDAP.

Cette lettre est datée du 17 avril 1939 et elle transmet à Rosenberg la photocopie d’un plan suggéré par le Ministre du Reich pour la Science, l’Instruction et l’Éducation populaire, concernant la fusion et la fermeture éventuelle de certaines facultés de théologie. Dans sa lettre, l’accusé Bormann demandait au Reichsleiter Rosenberg de s’informer et de prendre de rapides mesures pour la fermeture des institutions religieuses en question. Je cite maintenant l’avant-dernier paragraphe de la page 2 du texte anglais, qui résume ce plan de fermeture des institutions religieuses :

« En résumé, ce plan prévoit, en plus de la fermeture des facultés de théologie d’Innsbruck, de Salzbourg et de Munich, qui a déjà été réalisée, et du transfert de la faculté de Gratz à Vienne, ce qui supprime déjà quatre facultés catholiques :

« a) La fermeture de trois autres facultés de théologie catholiques ou écoles supérieures ainsi que quatre facultés évangéliques pendant le semestre d’hiver 1939-1940 ;

« b) La fermeture d’une autre faculté catholique et de trois autres facultés évangéliques dans un proche avenir. »

D’après les documents précédents, on peut conclure de façon absolue que le Corps des dirigeants du parti nazi partage la responsabilité des mesures de suppression des églises chrétiennes et de persécution du clergé chrétien, tant en Allemagne que dans les territoires européens occupés par l’Allemagne. Les preuves que je viens d’apporter, de même que celles qui ont été présentées par le Ministère Public, prouvent que les dirigeants politiques, du Reichsleiter au Gauleiter, ont participé, dans la mesure de leurs moyens, à ce programme anti-religieux. Nous soulignons l’importance de la nomination de l’accusé Rosenberg, anti-chrétien notoire, au poste de Délégué du Führer à l’éducation spirituelle et philosophique dans le parti nazi. C’étaient précisément ces fonctions qui lui donnaient rang dans la Reichsleitung, État-Major général du Parti, qui comprenait tous les Reichsleiter. Mais il ne suffit pas de constater que des ennemis de la religion chrétienne, tels que l’accusé Rosenberg et l’accusé Bormann, occupaient des postes importants dans le Corps des dirigeants. Il faut, en outre, savoir que leurs ordres étaient transmis du haut en bas de l’échelle hiérarchique du Corps des dirigeants et entraînaient la participation de tous ses membres à des actes qui avaient pour but de miner l’influence de l’Église chrétienne.

Dans le document D-75 qui, je crois, a déjà été déposé (je n’en citerai qu’une ligne) l’accusé Bormann déclare : « Le nazisme et le christianisme sont deux doctrines inconciliables ». Jamais cet accusé n’a exprimé une idée aussi juste ; il se trompait seulement dans ses prévisions sur celle qui devait disparaître.

Je passe à la responsabilité du Corps des dirigeants du parti nazi dans l’abolissement des syndicats libres et l’imposition d’un contrôle par les conspirateurs nazis de la capacité de production de la nation allemande.

Les témoignages concernant la responsabilité des conspirateurs nazis dans la suppression des syndicats indépendants ont déjà été fournis dans le livre de documents USA-G, qui contient la documentation sur cette question. Les preuves que je vais présenter brièvement concernent la responsabilité du Corps des dirigeants dans la suppression des syndicats indépendants et dans le contrôle exercé sur la capacité de production de la nation allemande.

Peu de temps après leur arrivée au pouvoir, les membres éminents du Corps des dirigeants participèrent à la suppression et à la dissolution des syndicats indépendants d’Allemagne. L’accusé Robert Ley, en sa qualité de chef de l’organisation du Reich et de Reichsleiter, reçut de Hitler, à la mi-avril 1939, l’ordre de prendre des mesures dans ce sens. Je passe maintenant au document PS-392 (USA-326) et je cite, au début de la page 1 de la traduction anglaise :

« Le 2 mai 1933, l’action coordonnée contre les syndicats commença. La plus grande partie de l’action était dirigée contre la fédération générale des syndicats allemands (ADGB) et contre la fédération générale indépendante des fonctionnaires allemands (AFA-Bund). Tout ce qui dépendait des syndicats libres fut laissé à la discrétion du Gauleiter. Les Gauleiter sont responsables de l’exécution de l’action de coordination dans les zones qui dépendent d’eux. Les membres des cellules d’usines du parti national-socialiste doivent soutenir cette action… Le Gauleiter doit poursuivre ces mesures sur la base d’un accord total avec les dirigeants des cellules d’usines du Gau. Dans le Reich, les points suivants devront être occupés : Les directions des syndicats… ». Puis suit une liste de bureaux : j’ai déjà indiqué plus haut les gens qui devaient être internés. Voici la clause suivante :

« On ne passera à l’exécution qu’avec l’autorisation du Gauleiter… Il est bien entendu que cette action doit être menée d’une façon disciplinée et ferme. Les Gauleiter sont responsables à cet égard. Ils doivent diriger fermement cette action. Heil Hitler.

« Signé : Dr Robert Ley. »

L’ordre de l’accusé Ley pour la dissolution des syndicats indépendants fut exécuté comme prévu. Dans toute l’Allemagne, les syndicats furent dissous et les locaux appartenant aux syndicats occupés par les SA. Le 2 mai 1933, le service officiel de presse de la NSDAP rapporta que l’organisation des cellules d’usines nazies, NSBO, avait « éliminé l’ancienne direction des syndicats libres et repris leur direction. »

Je dépose maintenant le document PS-2224 (USA-364). C’est un extrait des pages 1 et 2 de l’édition du 2 mai 1933 de l’agence de Presse du parti national-socialiste. Je lis le paragraphe 5, page 1 du texte anglais.

« Le national-socialisme qui, aujourd’hui, a assumé la direction de la classe ouvrière allemande, ne peut plus garder la responsabilité de laisser les hommes et les femmes de la classe ouvrière allemande, membres de l’organisation syndicale allemande, la plus grande organisation corporative du monde, aux mains de gens qui ne connaissent pas la patrie qui s’appelle l’Allemagne. C’est pour cela que l’organisation des cellules d’usines nationales-socialistes a repris la direction des syndicats. La NSBO a éliminé l’ancienne direction de la fédération générale des syndicats allemands et de la fédération générale indépendante des employés… Le 2 mai 1933, l’organisation des cellules d’usines nationales-socialistes NSBO a repris la direction de tous les syndicats ; tous les immeubles appartenant aux syndicats ont été occupés et les affaires relatives aux finances et au personnel de l’organisation soumises au contrôle le plus sévère. »

Comme le montre ce document, l’attaque contre les syndicats indépendants fut dirigée par l’accusé Ley, en qualité de Reichsleiter chargé de l’organisation du Parti, assisté des Gauleiter et des formations du Parti, et elle impliquait la saisie des fonds et des biens des syndicats. À ce propos, je dépose le document PS-1678 (USA-365). Ce document est un compte rendu d’un discours prononcé par le Reichsleiter Ley, le 11 septembre 1937, à la cinquième session annuelle du Front allemand du Travail. Dans ce discours, Ley confirme cyniquement la confiscation des biens syndicaux. Je cite le paragraphe 4, page 1 de la traduction anglaise :

« J’ai dit un jour au Führer : “Mon Führer, je suis aujourd’hui bien près de la prison, car je suis toujours le mandataire responsable des camarades Leipart et Imbusch et, s’ils devaient un jour me demander de leur rendre leur argent, on découvrirait que je l’ai dépensé, en constructions ou autrement. Mais ils ne retrouveront plus jamais leur bien dans l’état où ils me l’ont donné ; c’est pourquoi je serais condamné.” Le Führer rit, et fit la remarque qu’apparemment je ne m’en portais pas plus mal. C’était très difficile pour nous tous. Aujourd’hui nous en rions… »

La mise en application du plan de suppression des syndicats libres par les conspirateurs nazis fut avancée par la promulgation, le 19 mai 1933, d’une loi qui abolissait les ententes, les contrats collectifs entre ouvriers et patrons, et les remplaçait par un contrôle des conditions de travail exercé par des commissaires au Travail nommés par Hitler. Je mentionne le document PS-405 qui est le texte de cette loi (Reichsgesetzblatt 1933, I, page 285). Après avoir prévu la nomination par Hitler des commissaires au Travail, cette loi prévoit, et je cite, texte anglais, section 2 de ce document :

« Jusqu’à l’établissement d’une nouvelle charte du Travail, les commissaires régleront les conditions d’établissement des contrats de travail. Ce système est obligatoire et remplace le système basé sur les contrats collectifs entre ouvriers et patrons, indépendants ou syndiqués. »

Ayant dissous les syndicats indépendants et supprimé les contrats de travail collectifs, les conspirateurs nazis assurèrent la nazification de l’industrie. Je me réfère au document PS-1861, qui est le texte de la loi du 20 janvier 1934 (Reichsgesetzblatt 1934, I, page 45). Cette loi avait pour titre : « Loi réglementant le travail national », et instituait le Führerprinzip dans toutes les entreprises industrielles. D’après cette loi (section I, paragraphe I), le chef d’entreprise est le guide de l’exploitation et les ouvriers le suivent. Je cite section I, paragraphe 2 de la première page du document PS-1861 :

« Le chef de l’usine prend les décisions pour les ouvriers et travailleurs dans tous les domaines réglementés par cette loi. Il est responsable du bien-être des employés et travailleurs. Les employés et travailleurs lui doivent fidélité selon les principes de la communauté de l’usine. »

Les syndicats ayant été dissous et le Führerprinzip devant maintenant présider aux rapports entre administration et travail, les membres du Corps des dirigeants politiques prirent alors des mesures destinées à remplacer les unions et les syndicats indépendants par le Front allemand du Travail (DAF), organisation affiliée au Parti. Le jour même où les conspirateurs nazis commencèrent la dissolution des syndicats libres, le 2 mai 1933, ils proclamèrent publiquement la formation d’un front unique des travailleurs allemands dont Hitler devint président d’honneur au cours du congrès ouvrier du 10 mai 1933. Je cite l’avant-dernier paragraphe, page 2 du document PS-2224. C’est un communiqué de l’agence de presse du parti nazi :

« L’agence de presse du parti national-socialiste a été informée qu’un grand congrès ouvrier aurait lieu le mercredi 10 mai, à la Chambre Haute de Prusse à Berlin. Le Front unifié des ouvriers allemands y sera formé. Adolf Hitler sera sollicité pour en être le président d’honneur. »

Les conspirateurs nazis employèrent le DAF, le Front allemand du Travail, comme instrument de propagande pour répandre l’idéologie nazie parmi ses millions d’adhérents forcés. Le contrôle du Corps des dirigeants sur le Front du Travail était assuré non seulement par la désignation du Reichsleiter de l’organisation du Parti, Ley, comme chef du DAF, mais encore par l’emploi d’un grand nombre de chefs politiques chargés d’imposer et de propager l’idéologie nazie parmi les adhérents. Je cite maintenant le document PS-2271 (USA-328), qui est le livre de l’organisation du Parti, dont j’ai déjà parlé hier, pages 185 à 187. Je cite le premier paragraphe de la première page de la traduction anglaise :

« L’organisation des cellules d’usines nationales-socialistes (NSBO) est constituée par une union des chefs politiques du NSDAP au sein du Front allemand du Travail.

« La NSBO fournit les cadres chargés de l’organisation du Front allemand du Travail.

« Les charges et les responsabilités qui incombaient à la NSBO ont été transmises au Front allemand du Travail.

« Les chefs politiques qui sont passés de la NSBO au Front allemand du Travail, garantissent l’éducation idéologique du DAF selon l’esprit national-socialiste. »

Maintenant, plaise à Votre Honneur, outre les preuves déjà déposées, le Ministère Public estime qu’une autre preuve du crime réside dans le fait que le Corps des dirigeants de la NSDAP est responsable du pillage des trésors d’art par l’« Einsatzstab Rosenberg ». Le sens de « Einsatzstab » est « État-Major spécial » et je crois que le mot « Einsatz » signifie « mettre quelque chose en œuvre ». Il s’agissait donc d’un personnel chargé de missions spéciales.

Ce sujet qui s’écarte un instant du texte a été préparé en liaison avec la question du pillage des trésors artistiques en général. Je vais passer maintenant au livre de documents concernant le pillage des œuvres d’art, car c’est de cette brochure que je désire tirer mes citations. C’est le livre de documents W. J’ajouterai que l’exposé, qui sera très bref, a été traduit dans les quatre langues et, comme je l’ai compris, le colonel Dostert remettra à tous les intéressés le texte dans la langue qui leur est propre. Pour être clair, je dois par ailleurs préciser qu’il y a, au début, une référence au pillage des trésors artistiques dans la partie occupée de la Pologne, ce qui n’a pas trait directement à ce sujet, mais se rapporte à la conspiration générale. J’estime, vu le temps qui m’est accordé, que nous pourrions en faire suivre la présentation, car elle sera très courte.

Plaise au Tribunal. Les points de l’Acte d’accusation qui doivent être prouvés dans cet exposé sont ceux qui traitent du pillage des biens publics et privés sous le chef d’accusation nº 1 : plan concerté ou complot. Il n’est pas dans mes intentions d’examiner toutes les phases du pillage organisé auquel se sont livrés les Allemands. Je voudrais plutôt attirer l’attention du Tribunal et du monde sur le vaste programme systématique élaboré par les accusés pour appauvrir chaque pays d’Europe et pour enrichir l’Allemagne de ce fait. J’insisterai spécialement sur l’activité de l’Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg et sur la responsabilité qui est partagée par les accusés Rosenberg, Göring et Keitel et par les organisations incriminées : Haut Commandement, État-Major, Gestapo, SD et SS.

Avant de parler du pillage des trésors culturels par l’Einsatzstab Rosenberg, je voudrais mentionner brièvement les pillages exécutés de façon indépendante dans le Gouvernement Général de la Pologne occupée, sur l’ordre de Göring et sous le contrôle du Gouverneur Général, l’accusé Frank. En octobre 1939, Göring donna de vive voix à un certain Dr Mühlmann, l’ordre de s’assurer immédiatement de tous les trésors artistiques polonais. Le Dr Mühlmann lui-même en témoigne dans le document PS-3042, que vous trouverez dans le livre de documents sous la cote USA-375.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que ces documents figurent dans le livre « W » ?

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Je voulais vous demander si les documents dans le livre « W » sont placés dans l’ordre des documents PS.

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président. Le premier se trouve à la première page. Je m’excuse, le 3042 se trouve à la fin du livre de documents.

LE PRÉSIDENT

Je l’ai. Je vous posais la question de façon générale.

COLONEL STOREY

Ils se suivent. J’aimerais déposer cette déclaration sous serment et la citer en entier. Elle fut rédigée en Autriche. Kajetan Mühlmann déclare sous la foi du serment :

« J’étais membre de la NSDAP depuis le 1er avril 1938. Je fus nommé général de brigade (Oberführer) dans les SS. Je n’ai jamais été un nazi illégal. J’ai été représentant spécial du Gouverneur Général de Pologne, Hans Frank, et chargé de la surveillance des trésors artistiques du Gouvernement Général, d’octobre 1939 à septembre 1943. Göring m’avait conféré ces fonctions en sa qualité de Président du Comité de Défense du Reich.

« J’affirme que la politique officielle du Gouverneur Général Hans Frank fut de prendre sous sa garde tous les trésors artistiques polonais qui appartenaient aux institutions publiques polonaises, aux collections privées et à l’Église. J’affirme que les trésors d’art furent en fait confisqués, et il est clair qu’ils ne devaient pas rester en Pologne en cas de victoire allemande, mais seraient allés rejoindre les trésors artistiques allemands. Signé et certifié sous la foi du serment : Dr Mühlmann. »

Le 15 novembre 1939, Frank prit un décret qui fut publié officiellement dans les Lois du Gouvernement Général, document PS-1773 (USA-376), E. 800, article I, section I ; il ne figure pas dans le livre de documents. C’est une brève citation dont nous demandons au Tribunal de prendre acte. Je cite :

« Tous les biens mobiliers et immobiliers de l’ancien État de Pologne… seront séquestrés afin d’assurer la sauvegarde de tous les biens publics. »

Dans un autre décret du 16 décembre 1939, E. 845, dans la même publication, Frank décidait que tous les objets d’art, propriété du Gouvernement Général, seraient saisis en vue de l’exécution des tâches d’intérêt public, dans la mesure où ils n’auraient pas été saisis en vertu du décret du 15 novembre. Le décret stipulait que, outre les collections et objets d’art appartenant à l’État polonais, les collections privées non saisies par le Commissaire spécial ainsi que toutes les propriétés artistiques des églises, seraient considérées comme biens publics. Le 24 septembre 1940, Frank décréta que tous les biens saisis sur la base du décret du 15 novembre 1939 deviendraient propriété du Gouvernement Général. Ce décret se trouve aussi sous la référence E. 810 dans cette même publication.

Il m’est impossible de donner au Tribunal un tableau complet de ce vaste programme visant à appauvrir la Pologne dans le domaine artistique et exécuté conformément à ces directives. Je ne peux pas non plus entreprendre d’énumérer les quelque cinq cents chefs-d’œuvre catalogués dans le document PS-1233 (USA-377), ni les quelques centaines d’autres du document PS-1709 (USA-378). Le document PS-1233 que je tiens en main est un catalogue bien relié et superbement imprimé, dans lequel l’accusé Frank énumère fièrement et décrit les principales œuvres d’art qu’il a volées au profit du Reich. Ce volume fut saisi par le Service des Beaux-Arts et des Archives de la 3e armée américaine au domicile de Frank à Munich. La page d’introduction indique avec quelle perfection le Gouvernement Général dépouilla la Pologne de ses trésors artistiques. C’est ce que rapporte le document PS-1233.

LE PRÉSIDENT

Pourriez-vous nous faire tenir ce document ?

COLONEL STOREY

Je cite maintenant la page d’introduction dans la traduction anglaise au premier paragraphe. J’indique à titre d’information que ce livre énumère les principaux trésors artistiques. Je cite quelques passages de l’introduction :

« Sur la base du décret du 16 décembre 1939 du Gouverneur Général pour les territoires polonais occupés, le Délégué spécial pour la sauvegarde des biens artistiques et culturels réussit, en six mois, à s’emparer de presque tous les objets d’art du pays, à une seule exception près : la série des Gobelins flamands du château de Cracovie. D’après les dernières informations, elle se trouve actuellement en France, de sorte qu’il sera possible de s’en emparer ultérieurement. »

En feuilletant ce catalogue, nous voyons énumérées des peintures de maîtres allemands, italiens, hollandais, français et espagnols, des livres illustrés, des miniatures hindoues et persanes, des gravures sur bois, et le fameux autel sculpté à la main Veit-Stoss (exécuté à Nuremberg et acheté pour la Pologne), des objets d’art en or et en argent, des objets anciens en cristal, en verre et en porcelaine, des tapisseries, des armes anciennes, des pièces de monnaie, des médailles rares. Ces objets, comme l’indique le catalogue, ont une origine à la fois publique et privée ; ils viennent des musées nationaux de Cracovie et de Varsovie, des cathédrales de Varsovie, de Lublin, de nombreuses églises, monastères, bibliothèques universitaires, ainsi que d’un grand nombre de collections particulières appartenant à la noblesse polonaise.

Je désire maintenant déposer le catalogue portant notre numéro PS-1233 dont je viens de faire état comme moyen de preuve ainsi que le rapport très complet portant le numéro PS-1709. Ce rapport contient, en plus de l’énumération de 521 objets de première importance décrits dans le catalogue, une liste de centaines d’autres objets qui, bien que d’égale valeur artistique, étaient considérés par les Allemands comme de second ordre, du point de vue du Reich.

Il est intéressant de noter la peine que prit l’accusé Frank pour dissimuler son but réel, en saisissant ces œuvres d’art. Sur la couverture même du catalogue, on lit que les objets énumérés étaient mis en sûreté. Chose assez bizarre, on trouvait nécessaire, pour les mettre en sûreté, de transporter certains de ces objets à Berlin, et de les déposer dans les immeubles du Délégué spécial ou dans un coffre de la Deutsche Reichsbank, ainsi qu’il est indiqué à la page 80 du document PS-1709 (USA-378). Les objets indiqués comme ayant été transportés à Berlin sont énumérés dans le catalogue des objets mis en sûreté avec des numéros : 4, 17, 27, 35, etc. Trente et une œuvres de grande valeur et universellement connues d’Albert Dürer, enlevées à la collection de Lubomirski à Lemberg (Lvov), furent mises en sûreté de la même façon. À la page 69 de ce rapport, le docteur Mühlmann déclare avoir personnellement remis ces croquis à Göring qui les porta au Führer, à son Quartier Général. De nombreux objets d’art, tableaux, tapisseries, argenterie et vaisselle furent également mis en sûreté par Frank, qui les fit remettre par son représentant spécial à un architecte, en vue de meubler le château de Cracovie et celui de Kressendorf, résidences du Gouverneur Général Frank. Frank estimait sans doute que ces objets, qui servaient à orner sa table et à éblouir ses invités, étaient plus à l’abri entre ses mains qu’entre celles de leurs légitimes propriétaires.

Il n’y a cependant aucun doute que, pratiquement, tous les biens artistiques de la Pologne aient été saisis par l’Allemagne, et qu’en cas de victoire allemande, ils n’auraient jamais été restitués. Le docteur Mühlmann, qui fait autorité en matière d’art, dirigea pendant quatre ans le programme de saisie. Il avait reçu de Frank pouvoir de prendre des décrets applicables dans tout le pays et il a expliqué en termes non équivoques les buts de ce programme dans la déposition signée que j’ai déjà mentionnée.

Voilà ce qui concerne la Pologne.

Je désire maintenant attirer l’attention du Tribunal sur l’activité de l’Einsatzstab Rosenberg, organisme chargé d’étudier et de diriger le pillage des trésors artistiques de presque toute l’Europe. Pour se rendre pleinement compte de l’étendue de ce programme de pillage, il faut savoir que l’Europe est un véritable musée contenant presque toute la production artistique et littéraire de deux mille années de civilisation occidentale et qu’elle fut pillée par une horde de vandales expédiant dans le Reich des trésors qui sont notre héritage commun et ne devaient servir qu’à accroître le plaisir et la science des seuls Allemands. Unique dans l’Histoire, ce programme de pillage dépasse l’imagination et constitue un défi à la vraisemblance. Les documents que je vais présenter maintenant donneront une preuve indéniable tant de l’application de cette politique de pillage des pays occupés que du vol d’objets d’art qui sont les fruits de siècles de culture et de dévotion à la science. Je me permettrai une courte digression pour déclarer que nous n’avons pas l’intention de présenter tous les documents, car nos collègues soviétiques et français en feront une analyse détaillée au cours de leur exposé sur les crimes de guerre.

Je verse maintenant au dossier le document PS-136 (USA-367) ; c’est un ordre de Hitler, daté du 29 janvier 1940, qui déclencha sur tout le continent l’exécution de ce programme de confiscation des trésors artistiques. J’attire l’attention de Messieurs les Juges sur l’original de ce document. Il est signé par Adolf Hitler et l’on y reconnaît bien sa manière arrogante. Je le lis en entier, il est très court :

« La “Hohe Schule” doit devenir un centre de recherches philosophiques et pédagogiques nationales-socialistes. Ce centre sera institué après la fin de la guerre. J’ordonne que les préparatifs entrepris soient poursuivis par le Reichsleiter Alfred Rosenberg, spécialement en ce qui concerne la fondation d’une bibliothèque. Tous les services du Parti et de l’État sont invités à coopérer avec lui dans l’exécution de cette mission. »

Bien que l’ordre ci-dessus ne mentionnât pas spécialement la saisie des œuvres d’art, le programme de saisie fut étendu, le 5 novembre 1940, au-delà de ce qu’on avait prévu, afin de pouvoir y englober les collections d’art juives. Je verse au dossier le document PS-141 (USA-368), qui est la copie certifiée conforme d’un ordre signé Göring, daté du 5 novembre 1940, dans lequel l’accusé Göring précise – je cite :

« En suivant les instructions données jusqu’ici pour la mise en sûreté par l’administration militaire de Paris et l’Einsatzstab Rosenberg des objets d’art appartenant à des Juifs… les objets d’art amenés au Louvre seront classés comme suit :

« 1. Objets d’art sur la destination desquels le Führer se réserve de prendre une décision.

« 2. Objets d’art servant à compléter la collection du Reichsmarschall.

« 3. Objets d’art et stocks de livres qui semblent indispensables à la création de la Hohe Schule et dont l’utilisation dépend du Reichsleiter Rosenberg.

« 4. Objets d’art susceptibles d’être envoyés dans les musées allemands… »

Donc, dès le début de 1940, onze mois après la mise sur pied du programme pour la fondation d’une bibliothèque de recherches philosophiques, le projet primitif avait été élargi jusqu’à englober non seulement les œuvres d’art nécessaires aux recherches scientifiques, mais aussi celles que se réservaient personnellement le Führer et Göring, et celles qui devraient rejoindre les collections des musées allemands.

Poussés par leur rêve perfide de domination du continent, les conspirateurs nazis ne pouvaient se contenter d’exploiter les richesses culturelles de la France, et ils étendirent rapidement leur activité à d’autres pays occupés. Je dépose maintenant le document PS-137 (USA-379). C’est une copie d’un ordre signé par l’accusé Keitel, en date du 5 juillet 1940. Je désire lire cet ordre intégralement.

« Au Commandant en chef de l’Armée de terre. Au chef des Forces armées dans les Pays-Bas.

« Le Reichsleiter Rosenberg a suggéré au Führer :

« 1. De faire des recherches dans les bibliothèques et archives nationales où se trouvent des documents utiles à l’Allemagne.

« 2. De fouiller les sièges ecclésiastiques et les loges afin d’y découvrir et de confisquer les ouvrages anti-allemands qui pourraient s’y trouver.

« Le Führer a ordonné qu’il soit donné suite à cette proposition et que la Gestapo, aidée par les archivistes du Reichsleiter Rosenberg, soit chargée des recherches. Le chef de la Police de sûreté, le SS Gruppenführer Heydrich, a été informé de cet ordre et se mettra en rapport avec les chefs militaires compétents en vue de son exécution.

« Ces mesures s’appliquent à la Belgique, au Luxembourg et aux régions françaises occupées par nos troupes.

« Prière d’en informer les services subordonnés.

« Le chef du Haut Commandement de l’Armée. Signé : Keitel. »

Des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et de la France, l’activité de l’Einsatzstab s’étendit finalement aussi à la Norvège et au Danemark, et je dépose maintenant le document PS-159 (USA-380) qui est la copie d’un ordre signé par Utikal, chef de l’Einsatzstab. Cet ordre est daté du 6 juin 1944 et prévoit l’envoi d’une mission spéciale de l’Einsatzstab en Norvège et au Danemark.

Tandis que l’Armée allemande avançait à l’Est, l’Einsatzstab la suivait pour saisir les œuvres d’art ainsi mises à sa disposition, et son activité s’étendit aux territoires occupés de l’Est, y compris les États Baltes et l’Ukraine, la Hongrie et la Grèce. Je dépose le document PS-153 (USA-381). C’est la copie certifiée conforme d’une lettre de Rosenberg au Commissaire du Reich pour l’Est et au Commissaire du Reich pour l’Ukraine, datée du 27 avril 1942. Son objet est le suivant : « Création d’une unité centrale pour la saisie et la mise à l’abri des objets d’art des territoires occupés de l’Est. » Dans le dernier paragraphe de ce document, on lit :

« À côté des Commissaires du Reich, une section spéciale a été créée pour un temps limité dans le cadre du Département II (département politique). Elle est chargée de la saisie et de la mise à l’abri des objets de valeur culturelle. Ce service est placé sous le contrôle du chef du groupe principal de l’Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg pour les territoires occupés. »

LE PRÉSIDENT

Nous pourrions suspendre pendant une dizaine de minutes.

(L’audience est suspendue.)
COLONEL STOREY

Cette activité commença en Hongrie, ainsi que l’indique le document PS-158 (USA-382), que je verse comme preuve. C’est la copie d’un message portant le paraphe d’Utikal, chef d’État-Major de Rosenberg. Le premier paragraphe de ce document déclare :

« L’Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg pour les territoires occupés a envoyé en Hongrie, sous la direction du Stabseinsatzführer Dr Zeiss, habilité à cet effet par l’ordre de service nº 187, un Sonderkommando chargé de remplir la mission de l’Einsatzstab, telle qu’elle est définie par le décret du Führer du 1er mars 1942. »

Je verse maintenant au dossier le document PS-171 (USA-383). C’est un rapport non daté sur la « Bibliothèque de documentation sur la question juive ». En voici le cinquième paragraphe : « Les plus importantes collections de livres de la “Bibliothèque de documentation sur la question juive” sont les suivantes… » Le neuvième paragraphe de la liste qui suit mentionne « la collection de livres des communautés juives en Grèce (environ 10.000 volumes) ».

Il était naturel qu’une opération conduite sur une aussi grande échelle et s’étendant à la France, à la Belgique et aux Pays-Bas, au Luxembourg, à la Norvège, au Danemark, aux territoires occupés de l’Est, aux États Baltes, à l’Ukraine, à la Hongrie, à la Grèce, demandât l’assistance d’une multitude d’autres organisations. Plusieurs d’entre elles ayant participé au pillage figurent parmi les organisations accusées. L’ordre de Hitler du 1er mars 1942, que je verse au dossier, demandait au Haut Commandement de la Wehrmacht d’y participer, document PS-149 (USA-369). Il est signé de la main de Hitler et réaffirme la nécessité du point de vue militaire d’un combat idéologique contre les ennemis du national-socialisme. Il confirme, en outre, les pouvoirs de l’Einsatzstab Rosenberg pour les perquisitions et les saisies en vue de la documentation nécessaire à la « Hohe Schule ». Il est dit, au paragraphe 5 :

« Les mesures d’exécution concernant la coopération avec la Wehrmacht sont prises par le chef de l’OKW, avec le consentement du Reichsleiter Rosenberg. »

Puisque j’en suis à ce document, j’aimerais en lire d’autres extraits. J’attire votre attention sur sa distribution. Il fut envoyé à tous les services de l’Armée, du Parti et de l’État. Je poursuis sa lecture :

« Les Juifs, les francs-maçons et autres ennemis du national-socialisme sont responsables de la guerre actuellement dirigée contre le Reich. Combattre ces puissances sur le plan idéologique est une nécessité militaire. Je demande donc au Reichsleiter Rosenberg de poursuivre cette lutte en collaboration avec le chef de l’OKW. Son État-Major spécial pour les territoires occupés est autorisé à sonder bibliothèques, archives, loges et institutions culturelles de toutes sortes, en vue de confisquer toute la documentation dont la NSDAP a besoin pour les recherches scientifiques de la “Hohe Schule”, ainsi que les objets d’art et les biens sans maître ou appartenant à des Juifs ou à des individus dont l’origine n’est pas admise par les nazis. »

Je cite le dernier passage :

« Dans les territoires de l’Est placés sous l’administration allemande, les mesures nécessaires seront prises par le Reichsleiter Rosenberg, en sa qualité de ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est.

« Signé : Adolf Hitler. »

LE PRÉSIDENT

Colonel Storey, je crois que le Tribunal trouverait préférable et plus rapide de lire en entier le document que d’en lire un extrait, puis d’y revenir plus tard.

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président. Puis-je expliquer pourquoi ? Je voulais seulement m’en tenir à ce qui concerne le Corps des dirigeants. Il était cité à deux reprises, mais je ne l’ai pas fait remarquer au moment où j’ai commencé.

LE PRÉSIDENT

C’est ce que je suis en train de dire. Il me semble qu’il est plus facile de suivre le document, afin de pouvoir dire en même temps toutes les citations plutôt que de lire une phrase, puis de revenir à une autre phrase et ensuite de parler d’un autre document. Vous est-il possible de le faire ?

COLONEL STOREY

J’essaierai de le faire.

LE PRÉSIDENT

Merci.

COLONEL STOREY

La coopération des SS et du SD ressort d’une lettre de Rosenberg à Bormann, datée du 23 avril 1941. C’est le document PS-071 (USA-371) que je verse maintenant au dossier.

Je cite à partir de la cinquième phrase du premier paragraphe :

« Il va de soi que les confiscations ne seront pas faites par les autorités régionales (Gauleitung), mais que le SD et la Police s’en chargeront. »

Plus bas, dans le même paragraphe, Rosenberg déclare :

« Il m’a été communiqué par écrit, par un Gauleiter, que la Service principal de la Sécurité du Reich (RSHA) avait réclamé à la bibliothèque d’un monastère réquisitionné le Manuel catholique, Albertus Magnus, une édition des Pères de l’Église, une “Histoire de la Papauté” par L. V. Pastor, et d’autres ouvrages. »

Le second et dernier paragraphe de cette lettre déclare :

« J’aimerais faire remarquer, à ce sujet, que cette affaire a déjà été menée à bien de notre côté de la manière la plus loyale, avec le Service de Sécurité (SD). »

L’accusé Göring mit une diligence toute spéciale à faciliter la tâche de l’Einsatzstab de Rosenberg et on le comprend aisément quand on apprend que les « objets d’art destinés à la collection du Reichsmarschall (il s’agit de Göring) devaient avoir priorité, immédiatement après les exigences du Führer lui-même ». Le 1er mai 1941, Göring a donné à tous les services du Parti, de l’État et de la Wehrmacht un ordre que je verse maintenant au dossier sous le nº PS-1117 (USA-384). C’est un original portant la signature de Göring. Cet ordre commandait à tous les services du Parti, de l’État et de la Wehrmacht (je cite) :

« …de fournir toute aide et assistance possibles au chef d’État-Major de l’Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg… Les personnes ci-dessus mentionnées sont invitées à me rendre compte de leur travail et particulièrement de toutes les difficultés qui pourraient se présenter. »

Le 30 mai 1942, Göring s’attribuait une grande part du succès de l’Einsatzstab. Je verse au dossier une reproduction photographique d’une lettre de Göring à Rosenberg, portant la signature de Göring, sous la cote PS-1015 (i) (USA-385). En voici le dernier paragraphe :

« D’autre part, j’aide personnellement le travail de l’Einsatzstab, partout où je peux le faire, et une grande partie des biens culturels saisis ont pu l’être grâce à l’assistance qu’ont pu prêter mes services à l’Einsatzstab. »

Si j’ai mis à l’épreuve la patience du Tribunal par de nombreux détails sur l’origine, le développement et le mode d’opération de cette organisation de pillage des objets d’art, c’est parce que je sens qu’il me sera impossible de vous donner une idée exacte de l’ampleur du pillage qui a été accompli et qui était nécessaire pour permettre aux accusés d’amasser en Allemagne, dans des proportions ahurissantes, des trésors culturels de toute nature.

Aucun objet de valeur n’était à l’abri des griffes de l’Einsatzstab. Grâce à la grande expérience qu’il avait acquise au cours du pillage organisé de tout un continent, il lui fut facile de se procurer des objets autres que des objets d’art. Ainsi, quand Rosenberg eut besoin de meubler les bureaux de l’Administration des territoires de l’Est, son Einsatzstab fut mis en action pour confisquer les biens des immeubles juifs de l’Ouest. Le document L-188 (USA-386), que je dépose comme preuve, est un rapport soumis par le Directeur des services de Rosenberg pour l’Ouest, opérant pour le ministère des territoires occupés de l’Est. Je désirerais citer une assez longue partie de ce document et j’attire l’attention du Tribunal sur le troisième paragraphe de la page 3 de la traduction :

« L’Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg a été chargé d’exécuter cette tâche » – c’est-à-dire la saisie des biens artistiques. – « De plus, à l’instigation du Directeur de la section spéciale de l’Einsatzstab à l’Ouest, il avait été demandé au Reichsleiter de s’emparer de l’ameublement des immeubles abandonnés par leurs propriétaires juifs et de l’expédier au ministre des territoires occupés de l’Est qui les utiliserait dans ses territoires de l’Est. »

Voici le dernier paragraphe de cette même page :

« Tout d’abord, les meubles et les biens confisqués ont été expédiés à l’administration des territoires occupés de l’Est. Puis, comme les raids terroristes sur les villes allemandes commençaient alors et que les sinistrés allemands avaient priorité sur les gens de l’Est, le ministre du Reich et Reichsleiter Rosenberg obtint un nouvel ordre du Führer d’après lequel l’ameublement, etc., obtenu par l’action “M” devait être mis à la disposition des sinistrés par bombardement à l’intérieur de l’Allemagne. »

Le rapport continue par une description des méthodes efficaces employées pour piller les maisons juives de l’Ouest (en haut de la page 4 de la traduction) :

« La confiscation des biens juifs s’est opérée comme suit : de soi-disant préposés à la confiscation allaient s’informer de maison en maison, là où l’on n’avait pas sous la main la liste des adresses des Juifs qui étaient partis ou qui avaient fui comme ce fut le cas à Paris, pour recueillir des renseignements concernant les appartements juifs abandonnés. Ils dressèrent des inventaires de ces maisons et mirent les scellés. À Paris seulement, environ vingt préposés à la confiscation opérèrent dans plus de 38.000 foyers. Le transport de leur contenu fut opéré avec toutes les voitures disponibles du parc de l’Union des Entrepreneurs parisiens de déménagements qui, par jour, devait fournir jusqu’à 150 camions et de 1.200 à 1.500 ouvriers français. »

Plaise à Votre Honneur. J’omets à dessein le reste des détails de ce rapport parce que nos collègues français les donneront par la suite.

Il semble impossible que ce pillage ait pu s’opérer sur une plus vaste échelle. Mais je dois me référer à une autre déclaration car, bien que la saisie ait touché plus de 71.000 maisons, que l’envoi dans le Reich ait demandé plus de 26.000 wagons et que ce ne soit donc en aucune façon une opération de petite importance, ces chiffres sont peu de chose en comparaison des quantités de trésors artistiques et d’ouvrages pillés, dont l’inestimable valeur ressort du document que je vais maintenant présenter. Je veux parler des livres reliés en cuir, dont quelques-uns sont ici, en face de moi, et auxquels il a déjà été fait allusion dans l’exposé introductif. Ces trente-neuf volumes devant moi contiennent des reproductions photographiques des œuvres d’art confisquées par l’Einsatzstab. Ils ont été préparés par les membres de l’État-Major de Rosenberg et portent tous le nº PS-2522 (USA-388). Je les dépose maintenant comme preuve. Je vous fais remettre huit de ces livres, si bien que chacun de vous en aura un. Ils sont tous différents, mais vous pourrez voir un exemple de cet inventaire. J’attire votre attention sur la page de garde à l’intérieur, qui porte, la plupart du temps, un inventaire en allemand du contenu du livre. Puis, vous avez des photographies de chacune des œuvres en question, protégées par un papier de soie. Trente-neuf de ces livres ont été saisis au moment où nos armées pénétrèrent dans le sud de l’Allemagne.

LE PRÉSIDENT

Sait-on quelque chose à propos des œuvres figurant dans ces livres ?

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président, j’en ferai une description plus tard. Je crois que chacune est identifiée, en plus de l’inventaire.

LE PRÉSIDENT

Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je voulais demander si les objets, les tableaux, etc., avaient été retrouvés.

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président. Nous les avons retrouvés pour la plupart cachés dans un souterrain, dans le sud de la Bavière, je crois. C’est notre personnel qui a mis la main sur ces volumes, en coopération avec l’élément de l’Armée américaine qui a rassemblé ces œuvres d’art et se trouve en train de les réexpédier maintenant à leurs véritables propriétaires. C’est ainsi que ces catalogues sont tombés entre nos mains. J’aimerais en parler pendant que Votre Honneur sera en train de les regarder. Voici les totaux donnés par le document PS-1015 (b) de notre livre de documents. Tout étant rassemblé, je ne pense pas qu’il vous soit utile de suivre sur le document. Vos Honneurs peuvent continuer d’examiner ces catalogues :

« Jusqu’au 15 juillet 1944, 21.903 œuvres d’art ont été scientifiquement inventoriées, dont :

« 5281 peintures, pastels, aquarelles et dessins, 684 miniatures, peintures sur verre et sur émail, livres et manuscrits, 583 œuvres en matière plastique, terre cuite, médaillons et plaques, 2.477 articles d’ameublement ayant une valeur historique, 583 textiles (gobelins, tapis, broderies, étoffes coptes), 5.825 objets décoratifs (porcelaines, bronzes, faïences, majoliques, céramiques, joyaux, monnaies, objets en pierres précieuses), 1.286 œuvres d’art de l’Asie orientale (bronzes, œuvres en matière plastique, porcelaines, peintures, paravents et armes), 259 œuvres d’art de l’antiquité (sculptures, bronzes, vases, bijoux, coupes, pierres taillées et terres cuites). »

Cette simple énumération des 21.903 œuvres d’art saisies ne donne pas une juste idée de leur valeur ; je continue la lecture du document : « La valeur artistique de ces œuvres d’art ne peut être exprimée en chiffres. » Le fait que ces objets ont un caractère tellement unique ne peut permettre aucune évaluation. Ces volumes ne constituent pas une énumération complète de tout ce qui a été pris. Ils donnent tout au plus des reproductions de 2.500 objets saisis. Imaginez que, si ce catalogue avait été terminé, au lieu de trente-neuf volumes, nous en aurions de 350 à 400. En d’autres termes, si ce catalogue avait été préparé sous forme d’inventaire comme ces trente-neuf volumes, il en aurait fallu de 350 à 400.

Nous avions pensé projeter sur l’écran quelques-unes de ces reproductions. Mais avant de le faire, ce qui mettra un point final à notre exposé, j’aimerais attirer votre attention sur le document PS-015 (USA-387). C’est la copie d’une lettre écrite par Rosenberg à Hitler pour son anniversaire, le 16 avril 1943. À cette occasion, Rosenberg présenta des albums, des photos, des tableaux saisis par l’Einsatzstab. Je suppose, bien que nous n’en ayons aucune preuve formelle, que certains avaient été réservés pour cette occasion. Dans le dernier paragraphe de cette lettre, Rosenberg déclare :

« Je vous demande, mon Führer, de me permettre, au cours de ma prochaine audience, de vous rendre compte de vive voix de toute l’étendue de cette action de saisie des œuvres d’art. Je vous prie d’accepter, comme base de ce futur compte rendu verbal, un court rapport provisoire sur le progrès et l’étendue de l’action de saisie, ainsi que trois exemplaires des catalogues qui mentionnent une partie de la collection que vous possédez. Dès qu’ils seront terminés, je vous remettrai les autres catalogues auxquels on travaille actuellement. »

Rosenberg termine par ce touchant tribut au goût esthétique du Führer – goût qu’il satisfaisait aux dépens de tout un continent – et je cite :

« Je prendrai la liberté, pendant cette audience que j’ai sollicitée, de vous offrir, mon Führer, vingt autres albums de peintures, espérant que les courts instants que vous consacrez aux choses artistiques qui vous sont si chères jetteront dans votre vie vénérable un rayon de beauté et de joie. »

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous lire tout le passage que vous avez commencé cinq lignes plus haut, commençant par les mots : « Ces photographies… »

COLONEL STOREY

« Ces photographies ont été ajoutées aux cinquante-trois œuvres d’art les plus précieuses qui ont été affectées il y a quelque temps à votre collection. Cet album ne donne qu’une faible idée de la valeur et du pourcentage des œuvres d’art saisies en France par mes services et mises en sécurité dans le Reich. »

S’il plaît au Tribunal, j’aimerais faire projeter sur l’écran quelques photographies. Ces photographies que nous allons vous montrer proviennent d’un seul de ces volumes. Les autres vues ont été extraites de différents volumes consacrés à des cas spéciaux, par exemple, la tapisserie des Gobelins que vous allez voir dans un instant est simplement une des photographies extraites d’un volume entier en relatant l’histoire. Chacun des volumes d’où sont tirés ces tableaux représente approximativement le dixième du nombre total des volumes qui seraient nécessaires pour reproduire tous les objets effectivement volés par l’Einsatzstab. Nous allons vous montrer quelques-unes de ces photographies.

(Projection sur l’écran de reproductions d’œuvres d’art).

Cette première image est un « Portrait de femme », dû au peintre italien Palma Vecchio. La photographie suivante est un « Portrait de femme », par le peintre espagnol Velasquez. Ce tableau est le « Portrait de Lady Spencer », par le peintre anglais sir Joshua Reynolds. Voici une toile du peintre français Watteau. Cette peinture représentant « Les Trois Grâces » par Rubens. Voici un « Portrait de vieille femme » par le fameux peintre Rembrandt. Ce tableau représente une jeune femme ; il est du peintre hollandais Van Dyck. Voici des modèles de joyaux du XVIe siècle, décorés de perles, d’or et d’émail. Voici une tapisserie des Gobelins, du XVIIe siècle. Voici une peinture japonaise extraite du catalogue consacré à l’Art en Asie orientale. Voici un exemple de célèbre porcelaine chinoise. Voici un bureau Louis XIV incrusté d’argent. Cette dernière image représente une partie d’un autel d’argent du XVe ou XVIe siècle, de style espagnol. Ce sera la dernière projection.

J’attire votre attention, une fois encore, sur le fait que chacune des photographies que vous venez de voir n’est qu’une partie d’un grand nombre, reproduites dans ce catalogue en trente-neuf volumes qui est lui-même incomplet. Il n’est donc pas étonnant que, pour le Führer, le fait de s’occuper de ces objets d’art qui lui étaient si chers ait projeté un rayon de beauté et de joie sur sa vie vénérable. Je doute qu’aucun musée du monde, que ce soit le Métropolitain à New York, le British Museum à Londres, le Louvre à Paris, la Galerie Tretiakov à Moscou, puisse présenter un tel catalogue. En fait, le total de leurs collections respectives serait certainement inférieur à celui amassé par la seule Allemagne aux dépens des autres nations d’Europe. Jamais dans l’Histoire une collection aussi importante n’a été accumulée avec si peu de scrupules.

Il est cependant réconfortant de savoir que les Armées alliées victorieuses ont récupéré presque tous ces trésors, qui étaient cachés principalement dans des mines de sel, des tunnels et des châteaux isolés ; des organismes gouvernementaux spécialisés sont en train de rendre ces inestimables œuvres d’art à leurs légitimes propriétaires.

Je passe maintenant au document PS-154, qui est une lettre du 5 juillet 1942 adressée par le Dr Lammers, ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich, aux autorités supérieures du Reich et aux services directement subordonnés au Führer. Cette lettre réitère et complète l’ordre du Führer qui a déjà été déposé comme preuve ; il explique que le Führer a conféré à l’État-Major de Rosenberg le droit de faire des visites domiciliaires dans le but de mettre la main sur des objets de valeur culturelle, et cela en raison de la fonction occupée par le Reichsleiter Rosenberg, chargé par le Führer de la coordination de la doctrine et de l’éducation idéologique au sein du Parti. Le Tribunal se souviendra que Rosenberg occupait, en raison de ce service, une position dans le Gouvernement du Reich ou dans le Corps des dirigeants du Parti. Je dépose sous le nº USA-370, le document qui fait état de cette adresse envoyée aux autorités supérieures du Reich et aux services directement subordonnés au Führer.

Dans une lettre adressée à l’accusé Bormann, datée du 23 avril 1941, l’accusé Rosenberg a protesté contre la confiscation arbitraire par le SD de livres appartenant aux monastères, aux bibliothèques et autres institutions et a proposé que les réclamations du SD et de ses représentants, en ce qui concerne les confiscations, fussent soumises à l’arbitrage des Gauleiter. Cette lettre a déjà été présentée sous le nº PS-071. Je cite l’avant-dernière phrase, au bas de la page 1 de la traduction anglaise ; excusez-moi, messieurs, c’est l’autre livre.

LE PRÉSIDENT

Vous avez déjà cité ce document PS-071 ce matin.

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président, et je n’en parlerai pas maintenant, car il faut se référer à l’autre livre de documents.

En définitive, à la suite de cet exposé, je soutiens que ces preuves démontrent que les accusés et complices, Rosenberg et Bormann, agissant en tant que chefs politiques du parti nazi ou membres de ce parti, ont pris part à la conspiration ou au plan concerté constituant le chef d’accusation nº 1, et ont commis des actes rentrant dans cette catégorie de crimes. C’est pourquoi nous soutenons : 1º Que le Corps des dirigeants du parti nazi est un groupement ou une organisation dans le sens où ces termes sont employés dans l’article 9 du Statut ; 2º Que Rosenberg et Bormann ont commis les crimes définis dans l’article 6 du Statut, et cela en tant que membres du Corps des dirigeants politiques du parti nazi.

Le but premier et essentiel du Corps des dirigeants du parti nazi fut toujours la direction et la conduite à bonne fin de la conspiration qu’ils avaient élaborée, au cours de laquelle ont été commis tous les crimes énumérés à l’article 6 du Statut.

J’aimerais attirer maintenant l’attention du Tribunal sur un tableau qui, je crois, a été commenté au début par le commandant Wallis. Il provient d’une publication intitulée Le visage du Parti. Ce tableau souligne mieux que je ne peux le dire le contrôle total du Parti sur la vie de chaque Allemand. Il commençait à l’âge de 10 ans, comme vous le voyez au bas, et poursuivait bien plus tard. De 10 à 14 ans, les jeunes Allemands appartenaient au Jungvolk. Puis vous apercevez sur la droite, l’école Adolf Hitler réservée aux adolescents âgés de 12 à 18 ans et la Jeunesse hitlérienne (Hitler-Jugend) de 15 à 18 ans. Puis les SA, le NSKK et le NSFK pour les jeunes de 19 à 20 ans. Venait alors le Service du Travail que vous voyez sur la gauche du tableau, puis de nouveau les SA, SS, NSKK, NSFK et enfin la Wehrmacht. Nous atteignons ainsi la case supérieure gauche où figurent les dirigeants politiques de la NSDAP. Chaque bâtiment, tout en haut, doit représenter, autant que je le sache, les écoles de cadres de la NSDAP. En dernier lieu, tout à fait en haut, les chefs politiques du peuple allemand. Voilà la dernière preuve qui met un terme à mon exposé sur le Corps des dirigeants.

Mes explications suivantes, qui seront brèves, porteront sur le Cabinet du Reich, la Reichsregierung.

Si vous le permettez, le colonel Seay m’a fait remarquer un point que je me contente de vous rappeler, afin qu’il figure au procès-verbal. Dans l’un de nos documents précédents, PS-090 (USA-372), qui figure dans l’autre livre de documents, se trouve une déclaration établissant de façon très nette que les dépenses de l’Einsatzstab Rosenberg étaient couvertes par le parti nazi.

Plaise au Tribunal. Je vais présenter maintenant le livre de documents X qui a déjà été remis à Vos Honneurs, ainsi qu’un tableau préparé par les services du colonel Dostert, traduit en différentes langues et représentant la Reichsregierung. Vous devez en avoir des exemplaires. J’ai là un exemplaire en allemand que je serais heureux de présenter à l’avocat spécialement intéressé par ce cas. Je ne sais pas quel avocat…

LE PRÉSIDENT

Le défenseur du Cabinet du Reich ?

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président. Je voudrais préciser aussi que nous avons examiné les procès-verbaux aux archives ce matin et qu’il ne figure qu’une seule lettre d’intervention pour le Cabinet du Reich ; c’était une lettre de l’accusé Keitel.

Nous allons parler maintenant de la Reichsregierung. M. Albrecht a déjà parlé de ce groupement en commentant les institutions du Reich. Il sera cependant nécessaire, pour être plus clair, de répéter brièvement ce qu’il a dit, et nous nous en excusons.

La Reichsregierung, c’est le Cabinet du Reich. Contrairement à beaucoup d’autres groupements mentionnés dans l’Acte d’accusation, il ne fut pas spécialement créé par le parti nazi pour réaliser ses desseins répréhensibles. La Reichsregierung, qu’on appelle communément le Cabinet, avait, avant l’arrivée au pouvoir des nazis, une place dans l’histoire politique et constitutionnelle du pays. À l’image d’autres cabinets ou d’autres gouvernements à constitution bien définie, le pouvoir exécutif était concentré dans ses mains. Les conspirateurs nazis ne s’en rendirent que trop bien compte. Ils réalisèrent rapidement que le seul moyen de contrôler totalement l’État était de saisir, d’utiliser et de ne plus abandonner les leviers de commande et c’est ce qu’ils firent. Sous le régime nazi, la Reichsregierung devint peu à peu un agent très actif du parti nazi fonctionnant en relation étroite avec le Parti lui-même. Elle se gangrena de plus en plus vite, à la suite de l’occupation de ses postes par des membres du Parti. Beaucoup d’entre eux, seize pour être exact, sont aujourd’hui devant vous sur le banc des accusés. Il n’y eut aucun projet, plan ou dessein, aussi vil et inhumain fût-il, qui ne fût couvert d’un semblant de légalité par la Reichsregierung nazie. C’est pour cela que nous demandons au Tribunal, après examen des preuves, de déclarer criminelle la Reichsregierung, telle qu’elle est définie dans le Statut.

Nous diviserons les preuves en deux catégories. Dans la première, nous ferons entrer celles se rapportant à la composition du Cabinet du Reich sous le régime nazi, en définissant aussi brièvement que possible ses fonctions et ses pouvoirs. Dans la seconde, celles qui établissent la culpabilité de ce groupement et motivent, nous l’espérons, sa condamnation.

Littéralement, Reichsregierung veut dire gouvernement du Reich. En fait, on entend plutôt par ce terme le Cabinet ordinaire du Reich. Dans l’Acte d’accusation, on entend par Reichsregierung non seulement les membres du Cabinet ordinaire du Reich, mais aussi les membres du Conseil des ministres pour la Défense du Reich et du Conseil secret du Cabinet. Néanmoins, l’acception vraiment importante est, comme nous le verrons, le Cabinet ordinaire. Entre celui-ci et les deux autres, la distinction n’était qu’artificielle. Il y avait, en fait, unité de personnel, de fonctions, d’objets et de buts, ce qui ne suppose aucune séparation théorique. D’après l’Acte d’accusation, le terme « Cabinet ordinaire » comprend l’ensemble des ministres du Reich, c’est-à-dire les chefs des différents départements du Gouvernement central, les ministres du Reich sans portefeuille, les ministres d’État faisant fonction de ministres du Reich et d’autres hauts fonctionnaires assistant aux réunions ministérielles. Je puis dire ici que, dans l’ensemble, quarante-huit personnes occupèrent des fonctions dans le Cabinet ordinaire. Dix-sept d’entre elles sont parmi les accusés, Bormann étant en fuite. Sur les trente et une qui restent, nous croyons que huit sont mortes. Dans le Cabinet ordinaire se trouvaient les principaux chefs nazis, tous hommes de confiance. Puis, quand furent créées de nouvelles organisations gouvernementales, soit par Hitler, soit par le Cabinet lui-même, elles furent placées sous la dépendance du Cabinet ordinaire.

En 1933, à la formation du premier Cabinet Hitler, le 30 janvier, dix ministères pouvaient être considérés comme départements du Gouvernement central. J’ai ici une copie du compte rendu de la première réunion de ce Cabinet. On l’a trouvée dans les archives de la Chancellerie du Reich et elle porte la signature d’un conseiller ministériel, un certain Weinstein, qui aurait été, d’après ce compte rendu, chargé de la rédaction du procès-verbal. Ce document figure déjà au livre de documents B, mais vous pouvez vous référer à la page 4 de la traduction du document 351, qui fait partie de ce livre de documents et contient une liste des membres présents.

LE PRÉSIDENT

PS-351 ?

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président, PS-351 (USA-389). Les dix ministres en question sont les suivants : l’accusé von Neurath, ministre des Affaires étrangères du Reich ; le ministre de l’Intérieur Frick ; le ministre des Finances von Krosigk ; le ministre de l’Économie du Reich et ministre du Reich pour le Ravitaillement et l’Agriculture, Dr Hugenberg ; Seldte, ministre du Travail du Reich ; le ministre de la Justice, – aucun nom ne figure ici, deux jours plus tard, Gürtner fut nommé à ce poste – ; von Blomberg, ministre de la Défense nationale ; von Eltz-Rübenach, ministre des Transports et des Postes du Reich.

De plus, l’accusé Göring y figure en qualité de ministre du Reich – il n’avait pas de portefeuille à ce moment-là – et de commissaire du Reich pour l’Aviation. Le Dr Gereke était commissaire du Reich au recrutement de la main-d’œuvre. Deux secrétaires d’État étaient présents : le Dr Lammers, de la Chancellerie du Reich, et le Dr Meissner, de la Chancellerie de la Présidence du Reich.

LE PRÉSIDENT

Dans l’exemplaire que j’ai sous les yeux, l’accusé Göring figure comme ministre de l’Air du Reich.

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président. Il figure comme ministre du Reich et comme commissaire du Reich pour l’Aviation.

LE PRÉSIDENT

Je vois ; j’étais en train de lire aux deux premières pages du document et vous, à partir de la page 4, je crois ?

COLONEL STOREY

Oui.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

COLONEL STOREY

Je sais qu’un ministère fut créé plus tard, mais à ce moment Göring était commissaire du Reich pour l’Aviation. Étaient également présents l’accusé Funk, en tant que chef de la Presse du Reich, et l’accusé von Papen, vice-chancelier et commissaire du Reich pour l’État de Prusse.

Peu de temps après, de nouveaux ministères ou organismes furent créés à la tête desquels furent placés des nazis. Le 13 mars 1933 fut créé le ministère de la Propagande et de l’Éducation populaire. Vous trouverez le décret en question dans le Reichsgesetzblatt de 1933, partie I, page 104. C’est notre document PS-2029. Je suppose que le Tribunal prendra acte des lois et des décrets mentionnés précédemment. Feu Goebbels fut nommé ministre de la Propagande du Reich. Le 5 Mai 1933, le ministère de l’Air (document PS-2089, Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 241). Le 1er Mai 1934, le ministère de l’Éducation nationale (Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 365, document PS-2078). Le 16 juillet 1935, le ministère des Cultes (Reichsgesetzblatt 1935, partie I, page 1029, document PS-2090). Göring devint ministre de l’Air ; Bernhard Rust, Gauleiter du Hanovre du Sud, fut nommé ministre de l’Éducation, et Hans Kerrl, ministre des Cultes.

Deux ministères furent créés après le déclenchement de la guerre : le 17 mars 1940, le ministère de l’Armement et des Munitions (Reichsgesetzblatt, 1940, partie I, page 513, document PS-2091). Feu le Dr Todt, haut fonctionnaire du Parti, fut nommé à ce poste ; l’accusé Speer lui succéda. Le nom de ce département fut changé en 1943, en celui de « Armement et Production de Guerre » (Reichsgesetzblatt 1943, partie I, page 529, document PS-2092). Le 17 juillet 1941, au moment où la mainmise sur les territoires de l’Est s’accentua, on créa le ministère des territoires occupés de l’Est. Rosenberg fut nommé chef de ce département ; le décret de nomination a déjà été déposé sous le nº USA-319.

Entre 1933 et 1945, un ministère disparut peu à peu : celui de la Défense, connu en dernier lieu sous le nom de ministère de la Guerre. Cette suppression eut lieu le 4 février 1938, quand Hitler prit le commandement de la Wehrmacht ; au même moment, il crée le chef du Haut Commandement des Forces armées ou, en d’autres termes, le Chef de l’OKW. Ce fut l’accusé Keitel. Le décret opérant ce changement fut publié au Reichsgesetzblatt de 1938, partie I, page 111 ; c’est notre document PS-1915. J’aimerais citer un court extrait de ce décret. Je commence au bas du deuxième paragraphe :

« II – le chef du Haut Commandement des Forces armées – a rang de ministre du Reich. En même temps, le Haut Commandement des Forces armées prend la responsabilité des affaires du ministère de la Guerre et, par mon ordre, le chef du Haut Commandement des Forces armées exerce l’autorité appartenant autrefois au ministre de la Guerre du Reich. »

Il faut noter un autre changement dans la composition du Cabinet au cours de ces années. Le poste de vice-chancelier n’a jamais été réoccupé depuis le départ de l’accusé von Papen, le 30 juillet 1934.

En plus des chefs des départements que j’ai cités, le Cabinet régulier comprenait aussi des ministres du Reich sans portefeuille. Parmi eux se trouvaient les accusés Hans Frank, Seyss-Inquart, Schacht, après qu’il eût abandonné le ministère de l’Économie, von Neurath, après qu’il eût été remplacé au ministère des Affaires étrangères. Il y avait aussi d’autres postes faisant partie intégrante du Cabinet. C’étaient ceux du représentant du Führer, l’accusé Hess, puis de son successeur ; du chef de la Chancellerie du Parti, l’accusé Martin Bormann, du chef d’État-Major des SA, Ernst Röhm, pendant les sept mois qui ont précédé son assassinat, du chef de la Chancellerie du Reich, Lammers, et, comme nous l’avons déjà mentionné, du chef de l’OKW, l’accusé Keitel. Ces hommes avaient droit soit au titre, soit aux prérogatives de ministres du Reich. J’ai déjà donné lecture d’extraits du texte législatif nommant le chef de l’OKW et fixant son rôle dans les affaires gouvernementales. Nous mettrons bientôt en lumière le rôle important joué par les accusés Hess et Bormann ; celui du chef de la Chancellerie du Reich, Lammers, apparaîtra également de lui-même. Mais il y avait encore d’autres postes : ceux des ministres d’État faisant fonctions de ministres du Reich. Deux personnages seulement rentrent dans cette catégorie, le chef de la Chancellerie présidentielle, Otto Meissner, et le ministre d’État pour le Protectorat de Bohême-Moravie, Karl Hermann Frank. De plus, l’Acte d’accusation comprend dans les membres du Cabinet régulier d’autres fonctionnaires « habilités à prendre part aux réunions de ce Cabinet ». De nombreux organismes gouvernementaux furent créés par les nazis entre 1933 et 1945, mais ils avaient ceci de particulier que, dans la plupart des cas, ces postes nouveaux furent confiés à des personnes ayant le droit de participer aux réunions du Cabinet. La liste en est longue, mais significative. Ainsi, étaient autorisés à participer aux réunions du Cabinet les Commandants en chef de l’Armée et de la Marine, le Directeur général des Forêts du Reich, l’Inspecteur général des Eaux et de l’Énergie, l’Inspecteur général des Routes allemandes, le chef du Travail du Reich, le chef de la Jeunesse allemande, le chef du département de l’Étranger au ministère des Affaires étrangères, le Reichsführer SS et chef de la Police allemande au ministère de l’Intérieur du Reich, le ministre des Finances de Prusse et le chef de la Presse du Reich.

Tels étaient les postes et une partie du personnel du Cabinet ordinaire. Ces postes étaient si notoirement connus que le Tribunal peut les admettre comme un fait acquis ; d’ailleurs, nous les rencontrons tous dans l’ouvrage intitulé Organisation du Gouvernement du Reich qui a été certifié par l’accusé Frick et qui figure au dossier sous la cote USA-3, document déposé par M. Albrecht le deuxième jour des débats. On peut aussi les trouver dans les lois et décrets publiés dans le Reichsgesetzblatt, dans les notes parues dans la publication semi-officielle mensuelle Das Archiv, qui était éditée par un fonctionnaire du ministère de l’Éducation populaire et de la Propagande. Tout cela fait partie des documents susceptibles d’être acceptés par le Tribunal.

Les personnes qui occupaient ces postes dans le Cabinet régulier changèrent entre les années 1933 et 1945.

Votre Honneur veut-il qu’on lève l’audience à 12 h. 45 ?

LE PRÉSIDENT

Oui, ce serait peut-être préférable.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)