VINGT-DEUXIÈME JOURNÉE.
Mardi 18 décembre 1945.
Audience de l’après-midi.
Plaise au Tribunal. Les personnes qui occupèrent ces postes dans le Cabinet régulier changèrent entre les années 1933 et 1945. Bien qu’il ne nous appartienne pas d’établir leur identité – étant donné qu’il s’agit du groupe et non des individus – signalons cependant que leurs noms figurent déjà sous les yeux du Tribunal sur le tableau consacré au Gouvernement allemand (USA-3). Comme il est intéressant pour le Tribunal de voir quelles personnes – et dix-sept d’entre elles sont parmi les accusés – occupaient un poste dans le Cabinet, un index a été préparé, donnant la liste de tous les départements et postes dont j’ai parlé, et de leurs titulaires pendant les années 1933 à 1945. Ce tableau indique également l’équivalence des titres allemands, et avec l’autorisation du Tribunal je remettrai ce tableau aux membres du Tribunal. Des exemplaires en ont déjà été déposés au Centre d’information de la Défense. Le tableau porte également des annotations, des références, permettant de vérifier des faits qui tous cependant étaient de notoriété publique pendant la période en question.
Précisons que ce tableau n’a été préparé que pour faciliter la tâche du Tribunal dans son examen des dossiers et documents. J’ai dit au début que les témoignages ont montré qu’il n’existait entre le Cabinet régulier, le Conseil de Cabinet secret et le Conseil des ministres pour la Défense du Reich, qu’une distinction artificielle. J’en veux pour preuve, tout d’abord, l’unité du personnel dans les trois subdivisions. Ainsi, le 4 février 1938, Hitler créait le Conseil du Cabinet secret. Si les membres du Tribunal veulent bien se référer à ce grand schéma, ils remarqueront sous la date 1938, une ligne rouge aboutissant au Conseil de Cabinet secret, qui fut créé cette année-là. Ce décret se trouve au Reichsgesetzblatt de 1938, partie I, page 112. Il figure dans notre dossier sous le nº PS-2031, et j’aimerais en citer une partie ; je commence par un paragraphe introductif du document PS-2031, dans la section « Lois et décrets » :
« J’ai créé un Conseil de Cabinet secret destiné à me conseiller dans les questions de politique étrangère. Le Président du Conseil de Cabinet secret sera le ministre du Reich, le baron von Neurath. Je nomme membres du Conseil de Cabinet secret : le ministre des Affaires étrangères du Reich, Joachim von Ribbentrop ; le ministre Président de Prusse, ministre de l’Air du Reich, Commandant en chef de l’Armée de l’Air et Generalfeldmarschall Hermann Göring ; l’adjoint du Führer, ministre du Reich, Rudolf Hess ; le ministre du Reich pour l’Éducation du peuple et la Propagande, le Dr Joseph Goebbels ; le ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich, le Dr Hans-Heinrich Lammers – il apparaît tout en haut, immédiatement sous Hitler – ; le Commandant en chef de l’Armée de terre, le général Walther von Brauchitsch ; le Commandant en chef de la Marine, le Grand Amiral et docteur honoris causa Raeder ; le chef du Haut Commandement de l’Armée, le général d’artillerie Wilhelm Keitel. »
On notera que chacun des membres était ou ministre du Reich, ou bien, comme c’était le cas pour les chefs de l’Armée, de la Marine et de l’OKW, qu’il avait rang et autorité de ministre du Reich.
Le 30 août 1939, Hitler créa le Conseil des ministres pour la Défense du Reich, plus connu sous le nom de Conseil des ministres (il a formé depuis 1939 ce qu’on appelle couramment le Cabinet de Guerre). Le décret a paru au Reichsgesetzblatt de 1939, partie I, page 1539. Je me réfère en ce moment au document PS-2018, à la section « Lois et Décrets », et je cite le paragraphe I :
« 1. Un Conseil des ministres pour la Défense du Reich sera formé, en tant que Comité permanent, à partir du Conseil de Défense du Reich.
« 2. Les membres permanents du Conseil des ministres pour la Défense du Reich seront : le Generalfeldmarschall Göring, président ; l’adjoint du Führer (l’accusé Hess), le commissaire général à l’Administration du Reich (qui était l’accusé Frick), le commissaire général à l’Économie (l’accusé Funk), le ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich (le Dr Lammers), le chef du Haut Commandement des Forces armées (l’accusé Keitel).
« Le président peut appeler à titre consultatif d’autres membres du Conseil de Défense du Reich et d’autres personnalités. »
On remarquera à nouveau que tous appartenaient également au Cabinet régulier, mais cette utilisation du Cabinet comme réservoir de personnel, où les collaborateurs dignes de confiance étaient sélectionnés, est particulièrement caractéristique quand nous considérons les actes des conspirateurs nazis qui n’étaient pas publiés au Reichsgesetzblatt, qui étaient cachés aux yeux du monde, et qui faisaient partie intégrante de leur complot visant à déclencher une guerre d’agression. On remarquera que le décret établissant le Conseil des ministres contient cette phrase à laquelle je viens justement de me référer :
« Un conseil des ministres pour la Défense du Reich sera formé, en tant que Comité permanent, à partir du Conseil de Défense du Reich », et au troisième paragraphe du même décret : « Le président peut appeler d’autres membres à titre consultatif… ».
Le Tribunal a déjà eu des preuves montrant la création par le Cabinet, le 4 avril 1933, de ce comité réellement secret et chargé d’élaborer des plans de guerre. J’attire l’attention du Tribunal sur le document USA-24 qui porte dans notre livre de documents la cote PS-2261. Ce document contient la loi sur la défense du Reich du 21 mai 1935, qui ne fut pas publiée. Quant au choix des membres de ce conseil, lorsqu’il fut créé, j’ai ici une copie du compte rendu de la deuxième session du Comité d’études pour la Défense du Reich, daté du 22 mai 1933 et signé par l’accusé Keitel. C’est notre document EC-177 (USA-390). La composition du Conseil de Défense du Reich se trouve à la page 3 de l’original et également à la page 3 de la traduction.
Je pensais que vous aviez l’intention de citer le document PS-2261.
Monsieur le Président, je viens de le mentionner comme étant un document déjà déposé comme preuve. Il fait partie de ces décrets du Comité de Défense du Reich qui n’ont pas été publiés, et c’est la seule raison pour laquelle j’en ai parlé.
La citation commence au sommet de la page 3 de la traduction :
« Composition du Conseil de Défense du Reich :
« Président : le Chancelier du Reich. Vice-président : le ministre de la Reichswehr. Membres permanents : le ministre de la Reichswehr, le ministre des Affaires étrangères du Reich, le ministre de l’Intérieur du Reich, le ministre des Finances du Reich, le ministre des Affaires économiques du Reich, le ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande, le ministre de l’Air du Reich, le chef d’État-Major du Commandement de l’Armée, le Chef d’État-Major du Commandement de la Marine, et selon les cas, les autres ministres du Reich, d’autres personnalités, par exemple certains grands industriels, etc. »
Tous, sauf les chefs d’État-Major du commandement de l’Armée et de la Marine, faisaient, à ce moment, partie du Cabinet régulier. La composition de ce Conseil de Défense fut modifiée en 1938. Je renvoie le Tribunal au document USA-36 (PS-2194). Il contient la loi non publiée sur la Défense du Reich, du 4 septembre 1938. Je vais citer le paragraphe 10, intitulé : « Le Conseil de Défense du Reich », qui se trouve à la page 4 de l’original. Je cite en ce moment la page 6 de la traduction anglaise, en haut de la page :
« 2. Le Führer et Chancelier du Reich est président du Conseil de Défense du Reich, son délégué permanent est le Generalfeldmarschall Göring. Il a le droit de provoquer les réunions du Conseil. Les membres permanents du Conseil sont : le ministre de l’Air et Commandant en chef des Forces aériennes, le Commandant en chef de l’Armée, le Commandant en chef de la Marine, le chef de l’OKW, l’adjoint du Führer, le ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich, le président du Conseil de Cabinet secret, le délégué à l’Administration du Reich, le délégué à l’Économie, le ministre des Affaires étrangères du Reich, le ministre de l’Intérieur du Reich, le ministre des Finances du Reich, le ministre de l’Éducation populaire et de la Propagande, le président du Comité directeur de la Reichsbank.
« Les autres ministres du Reich et les services directement subordonnés au Führer et Chancelier du Reich seront consultés en cas de nécessité ; si les circonstances l’exigent, d’autres personnalités peuvent être appelées. »
Colonel Storey, je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’indiquer les conclusions que nous devons tirer de ces documents.
Monsieur le Président, j’étais en train d’essayer de montrer la mainmise progressive sur le Cabinet du Reich par les accusés et les membres de ce groupement qui, comme vous le verrez ultérieurement, voulaient pouvoir promulguer en secret et à leur discrétion des lois et décrets, par voie de circulaires. Je me rends compte que cet exposé est un peu détaillé, mais nous nous efforçons de montrer la composition et le fonctionnement de cet organisme et nous en tirerons les conclusions plus tard.
À cette date, les Commandants en chef de l’Armée et de la Marine avaient déjà rang de ministres et étaient autorisés à prendre part aux séances du Cabinet. Je cite le Reichsgesetzblatt de 1938, partie I, page 215.
Nous désirons attirer maintenant l’attention du Tribunal sur les deux membres du Conseil de Défense qui apparaissent aussi dans le Conseil des ministres sous le même titre : le délégué à l’Administration et le délégué à l’Économie. Le premier poste fut occupé par l’accusé Frick, le dernier par l’accusé Schacht d’abord, puis par l’accusé Funk, qui signa le décret en cette qualité. Ces faits sont confirmés par l’accusé Frick dans le document USA-3 qui est le statut de l’organisation gouvernementale nazie dont on a parlé plus haut.
Ainsi que nous le montrerons ultérieurement, à ces deux postes étaient subordonnés plusieurs autres ministères, qui dépendaient d’eux dans le domaine des préparatifs militaires. Avec le chef de l’OKW, ils formaient un puissant triumvirat connu sous le nom de « Comité des Trois » ; regardez à ce propos les trois cases qui couvrent les années de 1935 à 1938. Comme le révèlent les preuves fournies, ces trois hommes ont joué un rôle primordial dans la préparation des guerres d’agression. Et les titulaires de ces postes étaient membres du Cabinet ; c’étaient les accusés Frick, Funk et Keitel.
En étudiant ce schéma, on se rend facilement compte de l’utilisation du Cabinet régulier comme centre de recrutement pour les autres organismes gouvernementaux, et de la cohésion existant entre tous les groupements mentionnés. Les points dont j’ai parlé sont illustrés par le tableau. Nous ne présentons pas ces schémas comme preuves, bien que tous les faits qui y sont rapportés aient déjà été prouvés ou doivent l’être. Le schéma montre également, à gauche de la ligne descendant vers le centre, l’évolution dans ce temps des organismes relevant du Cabinet ordinaire. Dans la case principale portant le titre « Cabinet du Reich », située directement sous Hitler, vous voyez certaines dates.
Je crois que je puis passer sur la description de ces lignes, car il me semble que tout cela est très clair.
Le Conseil des ministres pour la Défense du Reich fut créé en 1944 et Goebbels nommé délégué à là mise en œuvre de la guerre totale. Ces organismes, avec Hitler, représentaient les Corps les plus importants du nazisme. Et dans tous les cas, comme le montre le schéma, ils se composaient de personnes prises parmi les membres du Cabinet ordinaire. La flèche qui part du Conseil de Défense du Reich et qui va au Conseil des ministres pour la Défense n’a d’autre objet que d’indiquer précisément que ce dernier – et ce fait a déjà été prouvé – était issu du précédent. Dans la suite de cet exposé, nous nous référerons à nouveau au schéma et en particulier à la partie droite consacrée aux ministres.
L’unité, la cohésion, les subdivisions de la Reichsregierung et les relations étroites existant entre elles n’étaient pas le résultat de la seule unité du personnel, mais aussi des méthodes d’action. Le Cabinet ordinaire ne décidait pas seulement au cours de réunions, mais aussi au moyen de circulaires. Cette méthode, qui fut surtout employée lorsque les réunions cessèrent, consistait à distribuer, pour approbation ou désapprobation, aux autres membres du Cabinet, les projets de loi élaborés dans différents ministères. C’était le Dr Lammers, chef de la Chancellerie du Reich, qui était chargé au début de transmettre les projets de loi. J’ai ici une déclaration sous serment qu’il fit sur cette procédure et que nous versons au dossier sous le nº USA-391 (PS-2999). Elle est courte, et j’aimerais la citer en entier :
« Je soussigné Hans-Heinrich Lammers déclare sous la foi du serment : j’ai été chef de la Chancellerie du Reich du 30 janvier 1933 jusqu’à la fin de la guerre. En cette qualité, j’ai transmis à tous les membres du Cabinet du Reich des projets de lois et des décrets qui m’étaient soumis par les ministres qui en étaient les auteurs. Un certain délai était accordé pour formuler des objections, après quoi la loi était considérée comme acceptée par les divers membres du Cabinet. Cette procédure continua à être employée durant toute la guerre. Elle fut utilisée également au Conseil des ministres pour la Défense du Reich. Signé : Dr Lammers. » Déclaration faite sous la foi du serment devant le lieutenant-colonel Hinkel.
Pour illustrer le fonctionnement de cette procédure, j’ai ici un mémorandum en date du 9 août 1943, qui porte le fac-similé de la signature de l’accusé Frick et est adressé au ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich. Il est joint au mémorandum un projet de loi et une copie au carbone d’une lettre datée du 22 décembre 1943, adressée par l’accusé Rosenberg au ministre de l’Intérieur du Reich et qui contient des remarques sur le projet. Je dépose comme preuve ce document PS-1701 sous le nº USA-392, et j’attire l’attention des membres du Tribunal sur l’épaisse bordure rouge de ce document. La partie que je cite figure à la page 1 de la traduction et à la page 1 de l’original :
« Au ministre du Reich, Chef de la Chancellerie du Reich, à Berlin W. 8. Pour communication aux autres ministres du Reich. Objet : Loi sur le traitement des éléments asociaux en complément à ma lettre du 19 mars 1942. Pièces jointes : 55.
« Après refonte complète du projet de loi sur le traitement des éléments asociaux, j’envoie le nouveau projet ci-joint approuvé par le Dr Thierack, ministre de la Justice, et demande que la loi soit soumise à l’approbation des autres membres par voie de circulaires. Ci-joint le nombre nécessaire de copies. »
La même procédure fut suivie au Conseil des ministres quand ce corps fut créé. Les décrets du Conseil des ministres circulaient aussi parmi les membres du Cabinet ordinaire. J’ai ici une copie au carbone d’un mémorandum daté du 17 septembre 1939, trouvé par les Armées alliées dans les archives de la Chancellerie du Reich, adressé aux membres du Conseil des ministres et portant la griffe du Dr Lammers ; c’est le document PS-1141 (USA-393). Je cite le dernier paragraphe de la traduction anglaise, juste au-dessus de la ligne où se trouve la signature du Dr Lammers :
« Les questions soumises au Conseil des ministres pour la Défense du Reich ont jusqu’ici été portées seulement à la connaissance des membres de ce conseil. Il m’a été demandé par quelques-uns des ministres du Reich qui ne sont pas membres permanents du Conseil, de les informer des projets de textes qui sont soumis au Conseil, afin de les mettre à même de contrôler ces projets du point de vue de leurs services respectifs. Je ferai droit à cette requête, de sorte que les ministres du Reich seront à l’avenir informés des projets de décrets qui doivent être étudiés par le Conseil des ministres pour la Défense du Reich. Je demande en conséquence qu’on ajoute au dossier présenté au Conseil, 45 copies supplémentaires des projets et des additifs habituellement utilisés contenant les arguments. »
Von Stutterheim, qui fut un personnage officiel de la Chancellerie du Reich, commente cette procédure à la page 34 d’une brochure intitulée Die Reichskanzlei (Chancellerie du Reich), que je dépose comme document PS-2231…
Colonel Storey, je ne comprends pas l’importance de ce dernier document.
Ce dernier document, plaise à Votre Honneur, montre également la procédure d’approbation et d’adoption des lois par la méthode des circulaires.
Mais nous avons déjà l’affidavit du Dr Lammers.
Considérons-le comme une preuve supplémentaire, si vous le voulez.
S’il n’a qu’un caractère supplémentaire, il n’est vraiment pas nécessaire de le lire.
Bien, Monsieur le Président, je demanderai qu’il ne soit pas mentionné au procès-verbal. Je n’avais pas fait attention à ce caractère cumulatif. Miss Boyd et le commandant Kaplan viennent d’attirer mon attention sur le fait qu’il s’agit de la même procédure : je ne présenterai donc pas ce document.
J’ai déjà dit qu’à une certaine époque, le Cabinet tenait de véritables réunions. Le Conseil des ministres fit de même, mais ces membres du Cabinet, qui n’étaient pas encore membres du Conseil, assistaient également aux réunions du Conseil des ministres. Lorsqu’ils n’y participaient pas en personne, ils étaient habituellement représentés par les secrétaires d’État des ministères. Nous avons ici les minutes de six réunions du Conseil des ministres des 1er, 4, 8 et 19 septembre 1939, ainsi que des 16 octobre et 15 novembre 1939. Les originaux de ces documents ont été trouvés dans les archives de la Chancellerie du Reich. Je les dépose sous le nº PS-2852 (USA-395). Pour les buts que nous nous sommes fixés, il suffira de nous référer à quelques-unes seulement de ces minutes. J’attire l’attention du Tribunal sur la réunion tenue le 1er septembre 1939, qui fut probablement la première depuis la création de ce Conseil, le 30 août 1939. Et je lis une partie de ce document énumérant les personnalités présentes, au début de la traduction anglaise :
« Étaient présents les membres permanents du Conseil des ministres pour la Défense du Reich :
« Le Président, le Generalfeldmarschall Göring ; le délégué du Führer Hess – pour une raison inconnue, le nom de Hess est barré – ; le délégué à l’Administration du Reich, le Dr Frick ; le délégué à l’Économie, Funk ; le ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich, le Dr Lammers ; le chef du Haut Commandement des Forces armées, Keitel, représenté par le Generalmajor Thomas. »
C’étaient là les membres réguliers du Conseil. Étaient aussi présents : le ministre du Reich pour le Ravitaillement et l’Agriculture, Darré, et sept secrétaires d’État nommément désignés. Ces secrétaires d’État venaient de plusieurs ministères, ou autres autorités supérieures de l’administration du Reich ; nommons-en quelques-uns ; Körner était délégué de l’accusé Göring pour le Plan de quatre ans ; Stuckart était au ministère de l’Intérieur ; Landfried au ministère de l’Économie ; Syrup au ministère du Travail. Ces derniers postes figurent sur le schéma du Gouvernement que nous avons déjà exposé.
Une autre réunion du Conseil… Laissons cela pour l’instant. Puis viennent les noms de neuf secrétaires d’État.
Colonel Storey, ce dernier document montre simplement que certains membres du Cabinet assistaient aux conseils du Cabinet. Indique-t-il quelque chose de plus ?
Il ne montre rien de plus, mais je voulais faire remarquer qu’un Gruppenführer SS ainsi que d’autres personnes y assistaient.
Et qu’est-ce que cela prouve ?
En d’autres termes, que des subordonnés y assistaient également, comme au Conseil des ministres.
Qu’est-ce que cela prouve ?
Cela montre simplement l’enchevêtrement du Parti et des organisations subalternes et explique qu’ils se servirent de ce Cabinet du Reich pour atteindre les buts proposés et purent de toute manière, inventer toute loi qui leur convînt. Ils appelaient ces personnages subalternes, remplissant des fonctions subalternes, à participer de concert à l’adoption des décisions du Cabinet.
J’attire également l’attention de Votre Honneur sur le Conseil des ministres pour la Défense. Les réunions de Cabinet étaient en principe réservées aux ministres et, comme je voulais le dire, le SS Gruppenführer Heydrich y assista.
Il s’agissait bien là de réunions du Cabinet, cela ne fait aucun doute ?
Non, Monsieur le Président.
Aucun doute non plus sur le fait que ce Cabinet du Reich promulguait des décrets par la méthode circulaire ?
C’est exact, Monsieur le Président.
Et que ressort-il encore de ce document ?
Il montre quels en étaient les participants et comment ils grossirent les rangs du Parti pour amener des adhésions, mais je sauterai le reste des détails sur les autres personnages.
Mais nous avons déjà des preuves abondantes sur la composition de ce Cabinet du Reich.
Oui, Monsieur le Président. Je sauterai donc la suite qui se rapporte aux autres participants et je passerai à la page 23 de ce procès-verbal. Avant d’abandonner ces minutes et pour mettre en lumière l’activité de la Reichsregierung, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur certains décrets et sur les procès-verbaux des discussions de ces réunions. À la première réunion du 1er septembre 1939, quatorze décrets furent ratifiés par le Conseil. Parmi eux, j’attire l’attention du Tribunal sur le décret nº 6 qui figure à la page 2 de la traduction, et je cite…
Je ne crois pas que vous nous ayez donné le numéro.
Je vous demande pardon, Monsieur le Président, c’est le Reichsgesetzblatt, partie I, page 1681, dont nous demandons au Tribunal de prendre acte. Ce décret concernait l’organisation de l’administration et de la Police de sûreté allemande dans le Protectorat de Bohême-Moravie ; vous le trouverez dans la traduction du document PS-2852. Une autre loi fut promulguée le 19 septembre 1938, page 6 de la traduction, et je cite au bas de la page :
« Le Président du Conseil, le Generalfeldmarschall Göring a fait des commentaires sur la structure de l’administration civile dans les territoires polonais occupés. Il exprima ses intentions au sujet des mesures d’évacuation économiques dans ces territoires. Puis, furent discutées les questions de réduction de salaires, des heures de travail et les soutiens à accorder aux familles des ouvriers mobilisés. »
Suivent un certain nombre de points de discussion et je cite le paragraphe 2 du procès-verbal, page 7 :
« Le Président a ordonné que tous les membres du Conseil reçussent régulièrement du Reichsführer SS des rapports sur la situation ; puis la question de la population du futur protectorat de Pologne a été discutée, ainsi que l’installation des Juifs vivant en Allemagne. »
Pour finir, j’attire l’attention du Tribunal sur la réunion du 15 novembre 1939, page 10 de la traduction, où fut discuté, entre autres questions, le traitement des prisonniers de guerre polonais.
Ce document ne montre pas seulement selon nous l’étroite collaboration des organismes de l’État et de ceux du Parti, spécialement les fameuses SS, mais il tend à établir de plus, comme le soutient l’Acte d’accusation, que la Reichsregierung était responsable des politiques adoptées et exécutées par le Gouvernement, y compris celles qui intéressent la commission des crimes dont il est question dans l’Acte d’accusation. Mais cette collaboration n’aurait pas eu une grande signification sans le pouvoir détenu par la Reichsregierung. En dehors de Hitler, elle avait pratiquement toute la puissance qu’un gouvernement peut exercer. Le Ministère Public a déjà versé au dossier la preuve établissant comment le Cabinet de Hitler et les autres conspirateurs nazis réussirent à faire adopter par le Reichstag la « loi sur la protection du peuple et du Reich », le 24 mars 1933, dont il a déjà été question dans le document PS-2001. Cette loi attribua au Cabinet des pouvoirs législatifs allant jusqu’à modifier la loi constitutionnelle existant antérieurement ; le Ministère Public a montré comment ces pouvoirs furent maintenus même après que les membres du Cabinet eurent été changés et comment les différents États, provinces et municipalités, qui jouissaient auparavant de pouvoirs quasi autonomes, ont été transformés en de simples organismes administratifs du Gouvernement central.
Le Cabinet ordinaire sortit tout puissant de cette rapide succession d’événements. Les paroles que l’accusé Frick prononça à la fin de cette évolution sont éloquentes. Un de ses articles est reproduit dans le document PS-2380 que je dépose sous le nº USA-396. Il est tiré de l’Almanach national-socialiste (Nationalsozialistisches Jahrbuch) de 1935, et je cite la page 213 de l’original, page 1 de la traduction anglaise, deuxième paragraphe :
« Les relations entre le Reich et les États ont été établies sur une base entièrement nouvelle dans l’histoire du peuple allemand. Le Cabinet du Reich (Reichsregierung) reçoit un pouvoir illimité dont il doit faire usage pour unifier la direction et l’administration du Reich. Dorénavant, il n’y a plus qu’une seule autorité étatique : celle du Reich. Ainsi le Reich allemand est devenu un État unifié et l’administration tout entière de l’État ne s’exerce que par ordre du Reich ou en son nom. Les frontières des États ne sont plus que des délimitations administratives et techniques, mais non plus des limites de souveraineté. Avec une calme détermination, le Cabinet du Reich a réalisé pas à pas, soutenu par la confiance du peuple tout entier, le grand désir de la nation, la création de l’État unifié national-socialiste allemand. »
Colonel Storey, ce document ne me semble avoir qu’un caractère cumulatif. Vous avez montré, ainsi que d’autres représentants du Ministère Public américain, que les ministres du Reich avaient le pouvoir de faire des lois. Et il ne s’agit que de savoir si vous avez fourni des preuves de la nature criminelle du Cabinet du Reich.
Plaise à Votre Honneur. Ce document n’a été déposé que pour montrer l’activité de l’un des accusés…
C’est bien ce que je vous dis, il n’apporte rien de nouveau.
Très bien, Monsieur le Président. Il se peut que ce soit une répétition. Je vais omettre la référence suivante, qui probablement n’apporterait aucun élément nouveau, et j’en arrive…
Vous voulez parler du même document ?
Non, Monsieur le Président. C’est un autre document que je présente, le document PS-2849. C’est une citation d’un autre ouvrage qui traite probablement de la même question. Je l’omettrai également. Le suivant traite de l’octroi de pouvoirs législatifs au Conseil des ministres. À ma connaissance, il n’a pas encore été prouvé que ce Conseil avait reçu lui-même les pleins pouvoirs législatifs : c’est ce qui ressort de l’article 2 du décret du 30 août 1939, qui constitue notre document PS-2018. Le Cabinet ordinaire a continué à légiférer pendant toute la durée de la guerre.
Il est évident que la fusion du personnel du Conseil des ministres et du Cabinet ordinaire allait soulever la question de savoir quelle assemblée donnerait son nom à une loi particulière. C’est ainsi que le 14 juin 1942, le Dr Lammers, chef de la Chancellerie du Reich et membre des deux organisations, écrivit une lettre à ce sujet au délégué à l’Administration du Reich. Il n’est pas nécessaire de lire le document suivant. Il montre simplement que les deux organisations continuèrent à légiférer côte à côte et, en vérité, il n’apporte aucun élément nouveau. En plus de celles qui ont déjà été mentionnées, d’autres personnes possédaient des pouvoirs législatifs. Hitler, naturellement, avait des pouvoirs législatifs. Göring, comme délégué au Plan de quatre ans, pouvait signer des décrets qui avaient force de loi. De plus, le Cabinet déléguait son pouvoir de promulguer des lois spéciales, susceptibles de diverger du droit existant, aux délégués à l’Économie et à l’Administration et au chef de l’OKW, ces trois personnages formant ce qu’on appelait le Triumvirat. Ce Triumvirat avait donc des pouvoirs législatifs. Ceci résultait de la loi de préparation à la guerre, la loi secrète de Défense de 1938, document PS-2194 (USA-36). Ces trois personnages officiels, Frick, Funk et Keitel, étaient cependant, comme nous l’avons prouvé, membres du Conseil des ministres comme du Cabinet ordinaire. On peut dire, en reprenant les termes de l’Acte d’accusation, que la Reichsregierung possédait, dans le système gouvernemental allemand, des attributions législatives d’une très grande étendue. Et il a déjà été démontré en partie que ces pouvoirs avaient été effectivement exercés. Si je mentionne cette référence sans la citer, c’est uniquement pour faire remarquer que c’était une loi secrète et que les pouvoirs exécutifs et administratifs du Reich étaient concentrés entre les mains du Gouvernement central. C’est ce qui découle principalement de deux lois de base nazies qui avaient fait des États séparés (Länder) de simples divisions géographiques. Plaise à votre Honneur, ces lois ont été citées, et il est, je crois, inutile de les reprendre en détail.
Je passe au bas de la page 29. D’autres pas furent faits dans la voie de la centralisation. Voyons quels pouvoirs exerçait le Cabinet ordinaire. Nous avons ici une brochure publiée en 1944, rédigée par le docteur Wilhelm Stuckart, secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur du Reich, et le docteur Harry von Rosen von Hoewel, autre personnage officiel du ministère de l’Intérieur, qui portait le titre de Oberregierungsrat. Elle est intitulée Droit administratif et je la présente sous la cote PS-2959 (USA-399). Cette loi précise les pouvoirs et fonctions de tous les ministres du Cabinet ordinaire, parmi lesquels je prendrai quelques exemples qui nous montreront l’étendue du contrôle confié à la Reichsregierung. La citation commence à la page 2 de la traduction, page 66 de l’original : « Les ministres du Reich. Il y a présentement 21 ministres du Reich, à savoir… » J’aimerais préciser que mon seul but en présentant ce document est de montrer la compétence de chaque ministre et quelle était l’étendue de ses pouvoirs. Par exemple, les pouvoirs du ministre des Affaires étrangères du Reich y sont exposés en détail. Il en est de même de toutes les questions ressortant de la compétence du ministre de l’Intérieur, etc.
Colonel Storey, puis-je vous demander ce que cela a à voir avec la culpabilité du Cabinet du Reich ?
Il se peut que vous estimiez que cela n’apporte rien de nouveau, Votre Honneur, mais cela montre que tous ces accusés, et d’autres avec eux, ont formé un Cabinet, des ministères, des conseils, en sorte qu’ils pouvaient donner un semblant de légalité à tout acte qu’ils décidaient d’accomplir, qu’ils fussent ou non en session régulière, et en accord avec les directives des ministères respectifs. En d’autres termes, cela montre la domination totale qu’ils exerçaient.
Il me semble que ce fait a déjà été amplement prouvé.
Très bien, Monsieur le Président. Je sauterai donc le reste de cette loi et je passerai à la page 35 du procès-verbal, pour établir le caractère criminel et les crimes particuliers.
J’en arrive maintenant à la deuxième phase de l’administration de la preuve contre la Reichsregierung, en montrant ce qu’elle avait de typiquement criminel. Au fur et à mesure que les preuves seront déposées à l’appui de tous les points de l’exposé du Ministère Public, le Tribunal verra petit à petit leur rapport avec la Reichsregierung et la responsabilité qui s’en dégage pour cette dernière. Nous attirons l’attention du Tribunal sur les éléments primordiaux des arguments présentés en faveur de la culpabilité de ce groupe. Tout d’abord, on ne saurait trop insister sur le fait que la Reichsregierung fut l’instrument criminel du parti nazi. Dans le premier cabinet du 30 janvier 1933, trois de ses membres seulement appartenaient au Parti : Göring, Frick et Hitler. J’ai déjà montré qu’au fur et à mesure de la création de nouveaux ministères, des nazis éminents furent placés à leur tête. Le 30 janvier 1937, Hitler accepta dans le Parti les membres du Cabinet qui n’y étaient pas encore inscrits. Ce fait est signalé dans le Völkischer Beobachter, édition de l’Allemagne du Sud, au 1er février 1937 ; c’est le document PS-2964 (USA-401), paragraphes 3 et 4 de la traduction anglaise, que je cite :
« Comme première étape de la levée de l’interdiction de s’inscrire au Parti, le Führer a personnellement réglé l’enrôlement dans le Parti des membres du Cabinet qui n’y appartenaient pas encore, et il leur a offert en même temps l’insigne d’or qui en est la plus haute distinction honorifique. De plus, le Führer a donné l’insigne d’or du Parti au Generaloberst baron von Fritsch, à l’amiral Raeder, au ministre des Finances de Prusse, le professeur Popitz, et au secrétaire d’État et chef de la Chancellerie présidentielle, le docteur Meissner. Le Führer a également remis l’insigne d’or du Parti au Dr Lammers, secrétaire d’État, aux secrétaires d’État Funk, Körner et au secrétaire général d’État à l’Aviation, Milch. » II était possible de décliner l’honneur d’être membre du Parti. Un seul homme l’a fait, von EItz-Rübenach, qui était à l’époque ministre des Postes et ministre des Transports. J’ai ici une lettre originale, datée du 30 janvier 1937, de von Eltz-Rübenach à Hitler, écrite de sa propre main. Je la dépose comme preuve ; c’est le document PS-1534 (USA-402), que je cite en entier :
« Berlin, W 8, 30 janvier 1937 – Wilhelmstrasse, 79.
« Mon Führer. Je vous remercie de la confiance dont vous m’avez honoré au cours de ces quatre années et de l’honneur que vous m’avez fait en me conférant le titre de membre du Parti. Ma conscience, cependant, ne me permet pas d’accepter cette offre. Je crois aux principes d’un christianisme positif et dois rester fidèle à mon Dieu et à moi-même. Mon appartenance au Parti signifierait que je devrais accepter en silence les attaques sans cesse croissantes dirigées par des officiels du Parti contre les confessions chrétiennes et ceux qui sont restés fidèles à leurs convictions religieuses.
« Cette décision m’est pénible car jamais, au cours de mon existence, je n’ai accompli mon devoir avec plus de joie et de satisfaction que sous votre sage gouvernement. Je vous demande d’accepter ma démission. Avec mes salutations allemandes, votre dévoué :
« Signé : Baron von Eltz. »
Mais les nazis n’attendirent pas que tous les membres du Cabinet…
La démission de von Eltz fut-elle acceptée ?
Oui. Autant que je le sache, il me semble que chacun d’entre eux devint membre du Parti, sauf cet unique personnage qui déclina cette offre et dont la décision fut acceptée.
Les nazis n’attendirent pas que tous les membres du Cabinet fussent devenus membres du Parti ; peu de temps après leur arrivée au pouvoir, ils s’assurèrent rapidement une participation active au travail du Cabinet. Le 1er décembre 1933, le Cabinet promulgua une loi consacrant l’unité du Parti et de l’État : elle a été exposée précédemment et je n’ai pas l’intention de m’y arrêter plus longuement. C’est le document PS-1395.
Pourquoi von Eltz est-il présenté comme membre du Cabinet en 1938 ?
Monsieur le Président, la date 1938 indique seulement le moment de la création du Conseil secret, mais n’a aucun rapport avec la date d’entrée de l’un de ces personnages dans le Cabinet.
Oui, je comprends.
En d’autres termes, toutes ces flèches indiquent les années au cours desquelles furent créés les différents services.
Oui, je vous suis.
Pour être clair, j’ajoute que le nom de ce personnage figure sur la liste de tous les membres du Cabinet et de la Reichsregierung depuis 1933. Cette liste a été remise au Tribunal.
Jusqu’à 1937 ?
Non, Monsieur le Président ; son nom figure de 1933 à 1945. Si le Tribunal veut bien s’en souvenir, nous avons déposé une liste séparée contenant le nom du baron et indiquant quelles étaient ses fonctions, etc.
Pensez-vous que ce soit une erreur ?
Non, ce n’est pas une erreur.
Il n’a pas démissionné ?
Si, il a démissionné ; mais Votre Honneur a demandé si son nom figurait sur cette liste et j’ai déclaré que dans la liste séparée de tous les membres de la Reichsregierung entre 1933 et 1945 se trouve le nom du baron ; des références ont d’ailleurs été portées afin de faciliter la tâche du Tribunal.
J’ai ici une copie d’un décret non publié signé par Hitler et daté du 27 juillet 1934 : c’est le document D-138 (USA-403), qui figure dans la section « Lois et décrets ». Plaise au Tribunal, je le dépose comme preuve. C’est un décret de Hitler :
« Je décrète que le ministre du Reich Hess, délégué du Führer, aura qualité de ministre du Reich pour participer à l’élaboration des projets de lois dans toutes les branches de l’administration du Reich. Tout le travail législatif devra lui être envoyé au moment où les ministères du Reich intéressés le reçoivent par ailleurs. Cette prescription vaut également pour le cas où, en dehors du ministre du Reich qui a établi le projet, aucun autre se serait intéressé par ce dernier. Le ministre du Reich Hess sera habilité à commenter les projets suggérés par les experts. Cet ordre s’appliquera dans le même sens aux ordonnances législatives.
« En tant que ministre du Reich, le délégué du Führer peut envoyer comme représentants des experts choisis dans ses services. Ces experts seront accrédités pour parler en son nom aux ministres du Reich.
« Signé : Adolf Hitler. »
L’accusé Hess lui-même a quelques commentaires à faire sur son droit de participation en faveur du Parti. Je désire maintenant déposer comme preuve le document D-139 (USA-404) : c’est l’original d’une lettre signée de Rudolf Hess. Elle est datée du 9 octobre 1934, écrite sur papier à en-tête du parti national-socialiste, et adressée au ministre du Reich pour l’Éducation du peuple et la Propagande. Je cite le document en entier :
« Par décret du Führer en date du 27 juillet 1934, le droit de participer à l’élaboration des textes législatifs m’a été conféré tant pour les lois formelles que pour les ordonnances. On ne doit pas rendre ce droit illusoire en m’envoyant les projets de lois et de décrets avec un retard tel que je n’aie plus le temps matériel de m’en occuper dans les délais qui me sont impartis. Je dois signaler que, par ma participation aux affaires du Gouvernement, c’est l’opinion de la NSDAP elle-même qui est prise en considération, et que, pour la majorité des projets de loi et de décrets, je dois consulter les services compétents du Parti avant d’exprimer mon avis. C’est seulement en procédant ainsi que je pourrai répondre aux désirs exprimés par le Führer dans son décret du 27 juillet 1934. En conséquence, je prie les ministres du Reich de faire en sorte que les projets de lois et de décrets me parviennent à temps. Sinon, je me verrai obligé, à l’avenir, de refuser, immédiatement et sans examen, mon approbation à ces projets, toutes les fois où je n’aurais pas eu assez de temps pour les étudier. Heil.
« Signé : Rudolf Hess. »
Suit une note manuscrite que je cite, à partir de la page 2 de la traduction :
« Berlin, 17 octobre 1934. 1º Cette lettre semble avoir été envoyée sous la même forme à tous les ministres du Reich. En ce qui nous concerne, le décret du 27 juillet 1934 est devenu difficilement applicable. Une réponse ne semble pas opportune. 2º Archives. Par ordre. Signé “R”. »
Les pouvoirs de Hess dans l’élaboration des lois ont été étendus par la suite. J’attire l’attention du Tribunal sur le document D-140 (USA-405). C’est une lettre datée du 12 avril 1938, adressée par le Dr Lammers aux ministres du Reich ; je la dépose et j’en cite la traduction anglaise, paragraphe 3 :
« Le délégué du Führer aura aussi un droit d’intervention chaque fois que des ministres du Reich auront à donner leur accord aux lois et ordonnances législatives des États, en vertu du paragraphe 3 du premier décret sur la reconstruction du Reich, le décret du 2 février 1934 (Reichsgesetzblatt, partie I, page 81) : Dans tous les cas où les ministres du Reich sont déjà en train d’élaborer telle loi ou ordonnance législative ou ont participé à une telle préparation, le délégué du Führer reçoit les mêmes droits de ministre du Reich. Application en sera également faite aux lois et décrets de l’État autrichien.
« Signé : Dr Lammers. »
Colonel Storey, puis-je vous demander ce que ces trois documents sont censés prouver ?
Tout d’abord, Monsieur le Président, celui que je viens de présenter montre que les lois s’appliquaient dans des territoires conquis ; c’est le cas de l’Autriche. Le document précédent signé de Hess lui donnait des pouvoirs pratiquement illimités, tant dans l’élaboration des lois et ordonnances législatives que dans le domaine administratif. En outre, je crois, Monsieur le Président, que ce qu’il y a d’important, c’est cette phrase de Hess : Vous devez m’envoyer les projets assez longtemps à l’avance pour que je puisse consulter le Parti et connaître l’opinion de ses membres les plus qualifiés.
Le fait que Hess cherchait à connaître l’opinion des autres ministres est-il une preuve de culpabilité ?
Il me semble que cela fait partie du complot général et montre la domination exercée sur l’État par le Parti et en particulier par le Corps des dirigeants.
Je crois avoir déjà dit que nous en étions convaincus, et je pense parler au nom de tout le Tribunal en disant que c’est un fait suffisamment prouvé, et que nous désirons maintenant aborder la question de la culpabilité du cabinet du Reich.
Dois-je supposer, Votre Honneur, que nous n’avons pas d’autres preuves à apporter de la participation du Parti à la promulgation des lois, conformément aux déclarations de l’accusé Hess ? Il me semblait qu’il nous appartenait de prouver que le Parti et en particulier le Corps des dirigeants avait dominé le Cabinet.
Mais vous traitez maintenant du Cabinet du Reich ; je crois que le Tribunal a compris que le Cabinet du Reich avait les pleins pouvoirs pour légiférer.
Continuons, si vous le voulez bien, et essayons de montrer, si cela n’a pas été fait, que la manière dont le Parti était consulté donnait à l’activité du Cabinet un caractère criminel. J’ai encore d’autres textes de lois à citer pour corroborer ces faits, mais, si le Tribunal se juge satisfait, je ne vois pas la nécessité de le faire.
Je ne pense pas que le Tribunal s’imagine que des lois aient été faites sans consulter personne. Nous pourrions peut-être suspendre l’audience dix minutes.
Plaise au Tribunal. Lors de la suspension de l’audience, nous parlions des lois qui furent promulguées. Je ne voudrais pas présenter de preuves superflues ou inutiles. Je vais cependant me référer brièvement aux lois que j’ai l’intention de présenter.
Le Parti, Vos Honneurs s’en souviennent, s’était proposé un programme comprenant vingt-cinq points fondamentaux dont on a parlé hier et qui ont été présentés comme preuve. Ces points étaient relatifs à un certain nombre de sujets, depuis l’abrogation des Traités de Versailles et de Saint-Germain jusqu’à l’obtention d’un espace vital plus grand.
Nous nous proposons maintenant de citer au Tribunal certains des décrets et des lois élaborés par le Cabinet pour mettre à exécution ce que nous considérons comme les desseins criminels du Parti, et de montrer comment le Parti a demandé au Cabinet du Reich de donner à leur réalisation un semblant de légalité. C’est là la seule raison qui nous pousse à exposer ou à mentionner les lois adoptées dans ce but. Comme Votre Honneur l’a suggéré, je me contenterai d’énumérer quelques-unes des lois qui ont constitué la base des vingt-cinq points en question, de celles tout au moins qui en sont les plus significatives.
Dans le but d’obtenir la réalisation de ce programme, le Cabinet nazi vota par exemple les lois suivantes :
Loi du 3 février 1938 sur l’obligation de l’immatriculation, à laquelle furent astreints les citoyens allemands résidant à l’étranger (cette loi se trouve dans le Reichsgesetzblatt).
Loi du 13 mars 1938 sur la réunion de l’Autriche à l’Allemagne.
Toutes ces lois ont été promulguées par le Cabinet du Reich ?
Oui.
Bien. Allez-vous citer ces lois ?
Oui, comme illustration de mon exposé. La dernière figure au Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 237.
Loi du 21 novembre 1938 sur le retour du territoire des Sudètes au Reich : Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 1641.
Incorporation du territoire de Memel à l’Allemagne, du 23 mars 1939 : Reichsgesetzblatt 1939, partie I, page 559. En ce qui concerne le second point…
Voulez-vous m’indiquer l’endroit où sont précisés ces vingt-cinq points ? Pouvez-vous me donner la référence ?
Oui, Monsieur le Président, document PS-1708, dans le livre de documents A.
Merci.
Je crois d’ailleurs que nous nous y sommes référés hier.
Cela me suffit.
Bien, Monsieur le Président. Et maintenant, pour illustrer le point 2 qui, comme vous le savez, demandait l’abrogation des Traités de Versailles et de Saint-Germain, mentionnons les décisions suivantes du Cabinet du Reich :
Proclamation du 14 octobre 1933 au peuple allemand concernant le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations et de la Conférence du désarmement : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 730.
Loi du 16 mars 1935 sur la création de la Wehrmacht et le service militaire obligatoire : Reichsgesetzblatt 1935, partie I, pages 369 à 375.
Passons maintenant au point 4 du programme du Parti que voici :
« Seuls les individus de race allemande peuvent être citoyens. Seuls ceux qui sont de sang allemand, sans considération de religion, appartiennent à la race. Aucun Juif, par conséquent, ne peut appartenir à la race. »
Voilà le 4e point. Entre autres textes du Cabinet, ce point fut traité dans la loi du 14 juillet 1933 sur le retrait des naturalisations et la privation des droits civiques pour les gens de cette catégorie : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 480.
Loi du 7 avril 1933 interdisant aux personnes d’ascendance non aryenne, l’accès à la carrière du barreau : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 188.
Loi du 25 avril 1933, limitant le nombre d’élèves non aryens dans les écoles et les institutions supérieures : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 225.
Loi du 29 septembre 1933 excluant les personnes de sang juif des professions agricoles : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 685.
Une autre loi du 19 mars 1937 excluant les Juifs du service du travail du Reich : Reichsgesetzblatt 1937, partie I, page 325.
Loi du 6 juillet 1938 interdisant aux Juifs l’accès à six professions différentes : Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 823.
Voici maintenant le 23e point du programme : « Nous demandons que des lois punissent les mensonges politiques conscients et leur diffusion par la presse. » Voici quelques lois du Cabinet promulguées dans ce but :
Loi du 22 septembre 1933 instituant la Chambre culturelle du Reich (Reichskulturkammer) : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 661.
Loi sur les éditeurs, du 4 octobre 1933 : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 713.
Loi restreignant l’utilisation des théâtres, du 15 mai 1934 : Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 411.
Voilà quelques exemples suffisants : le cabinet ordinaire votait en fait la plupart des lois et préparait ainsi la mise à exécution du complot nazi visé par le chef d’accusation nº 1. Un grand nombre de ces lois ont déjà été citées par le Ministère Public. Toutes les lois auxquelles je vais me référer et celles auxquelles je viens de me référer ont été publiées au nom du Cabinet.
Voici un paragraphe d’introduction typique : « Le Cabinet du Reich a élaboré la loi suivante qui se trouve promulguée par la présente. » En d’autres termes, c’est indiquer que c’est une loi du Cabinet.
Cela s’applique-t-il à toutes les lois que vous nous avez présentées ?
Oui, Monsieur le Président, c’est une formule caractéristique.
À propos de l’acquisition du contrôle de l’Allemagne par les accusés, qui constitue le premier chef d’accusation, je cite les lois suivantes :
Loi du 14 juillet 1933 interdisant la formation de nouveaux partis : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 479. Je crois en avoir parlé hier.
Une autre loi du 14 juillet 1933 réglait la confiscation des biens des sociaux-démocrates et autres : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 479.
J’ai déjà parlé de la loi du 1er décembre 1933 qui réalisait l’unité du Parti et de l’État : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 1016.
Au cours du renforcement du contrôle nazi sur l’Allemagne, dès lois ont été votées, dont voici quelques-unes :
Lois du 21 mars 1933 créant des tribunaux spéciaux : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 136.
Loi du 31 mars 1933 sur l’intégration des États dans le Reich : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 153.
Voulez-vous répéter ? Loi sur… ?
Sur l’incorporation des différents États, des États particuliers dans le Grand Reich.
Voici maintenant une loi du 30 juin 1933 interdisant aux civils non aryens ou mariés à des non aryennes d’être fonctionnaires : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 433.
Loi du 24 avril 1934 créant le Tribunal du peuple : Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 341. C’est le même tribunal que nous avons vu ici sur l’écran, la semaine dernière.
Loi du 1er août 1934 sur la fusion des fonctions de président et de chancelier : Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 747. Je ne voudrais pas me référer à toutes ces lois, ni les déposer en totalité.
Loi du 18 mars 1938 prévoyant la présentation d’une liste de candidats pour les élections générales du Reich : Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 258.
La suppression par les nazis de la résistance à l’intérieur de l’Allemagne, par l’épuration des adversaires politiques et par la terreur telle qu’elle est visée au paragraphe III (D), 3 (b) du chef d’accusation nº 1, fut facilitée ou légalisée par les lois votées par le Cabinet et dont la traduction se trouve dans le livre de documents F déjà déposé. Je ne citerai que quelques-unes de ces lois, telles qu’elles sont traduites dans ce livre :
Loi du 14 juillet 1933 interdisant la création de nouveaux partis et contenant une clause pénale : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 479.
En voici une du 20 décembre…
Vous nous avez déjà parlé de cette loi.
Je crois que oui, Monsieur le Président.
Loi du 3 juillet 1934 sur les mesures urgentes de défense de l’État et légalisant le coup d’État des accusés : Reichsgesetzblatt 1934. partie I, page 529.
Loi du 20 décembre 1934 sur les actes de trahison envers l’État et le Parti et sur la protection des uniformes du Parti : Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 1269.
Voici une loi du 24 avril 1934 qui fait de la création de nouveaux partis ou du maintien de partis politiques déjà existants un acte de trahison : Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 341.
Loi du 28 juin 1935 modifiant le code pénal : Reichsgesetzblatt 1935. partie I, page 839.
Et voici la dernière que je citerai :
Loi du 16 septembre 1939 permettant de traduire devant une juridiction spéciale, dont les membres seront nommés par Hitler, toute personne acquittée par un autre tribunal : Reichsgesetzblatt 1939, partie I, page 1841.
Viennent maintenant des lois concernant la suppression des syndicats en Allemagne et qui se trouvent dans le livre de documents G. Je ne les citerai pas. Puis des lois supprimant les contrats collectifs. J’en ai déjà parlé. Je passe.
En fait, les lois infâmes de Nuremberg du 15 septembre 1935, elles-mêmes, bien que techniquement votées par le Reichstag, ont néanmoins été élaborées par le ministère de l’Intérieur. La preuve s’en trouve dans un ouvrage que le Dr Franz A. Medicus, directeur de ministère, a publié en 1940 ; c’est le document PS-2960 (USA-406). J’aimerais citer les paragraphes figurant à la page 62 de la publication originale, et dont la traduction se trouve dans notre document PS-2960. Je cite au début du premier paragraphe :
« Le travail du ministère de l’Intérieur du Reich est à la base des trois lois de Nuremberg adoptées par le Reichstag à l’occasion du Congrès du Parti, dit Congrès de la liberté.
« La loi sur la citoyenneté du Reich ainsi que la loi pour la protection du sang et de l’honneur allemand ont créé des tâches importantes pour le ministère de l’Intérieur et pas uniquement dans le domaine administratif. Il en est de même pour la loi sur le drapeau allemand qui provoqua une complète transformation dans l’usage du drapeau. »
Je citerai quelques décrets du Conseil des ministres qui fournirent également une base légale aux actes criminels et à l’attitude des conspirateurs, attitude dont le Tribunal a déjà entendu et entendra encore parler. Ce sont les lois du 5 août 1940 fixant un impôt spécial pour les ouvriers polonais en Allemagne : Reichsgesetzblatt 1940, partie I, page 1077.
Puis la loi du 4 décembre 1941 édictant des mesures pénales contre les Juifs et les Polonais des territoires occupés de l’Est : Reichsgesetzblatt 1941, partie I, page 759.
La dernière de ces lois concerne le travail des ouvriers venant de l’Est ; j’en ai parlé ce matin.
Presque immédiatement après l’arrivée de Hitler au pouvoir, le Cabinet s’occupa de fournir aux conspirateurs nazis les moyens nécessaires à la préparation des guerres d’agression. Trois des documents qui établissent ces faits ont déjà été versés au dossier : ce sont les documents EC-177, PS-2261 et PS-2194. Le document EC-177 (USA-390) est une longue copie de procès-verbaux et je m’excuse d’en parler à nouveau.
Figure-t-il dans ce livre ?
Oui, Monsieur le Président. EC-177. Je n’ai pas l’intention de le citer. Je tiens seulement à dire que ce sont là les procès-verbaux de la dernière réunion du comité du travail des experts pour la défense du Reich et qu’on y voit la signature de l’accusé Keitel.
Le document PS-2261 est une lettre en date du 24 juin 1935, transmettant une copie de la loi secrète et non publiée, dite « Loi de Défense du Reich », du 21 mai 1935, et une copie de la décision prise le même jour par le Cabinet du Reich au Conseil de la Défense du Reich. Ces lois ont déjà été citées, mais elles illustrent de manière frappante l’activité du Cabinet du Reich.
Le document PS-2194 transmet aussi une copie de la loi secrète non publiée, dite « Loi de Défense du Reich », du 4 septembre 1938.
Je passe tout de suite à la page 50, aux lois promulguées par le Conseil de Défense du Reich. Le Conseil de Défense du Reich était une création du Cabinet. Le 4 avril 1933, on décida de former ce Conseil. La décision du Cabinet, jointe au document PS-2261 (USA-24), page 4 de la traduction, paragraphe 1, prouve cette assertion. Les deux lois secrètes contenues dans le document PS-2261 et dans le document PS-2194 furent promulguées par le Cabinet, et il ne s’agissait pas là d’un groupement chargeant un groupement entièrement distinct de faire une besogne sordide. Le Cabinet lui-même mettait la main à la pâte. C’eût été difficile à réaliser avant l’arrivée au pouvoir des nazis, mais, une fois l’es nazis aux leviers de commande, les choses se précipitèrent. Je me réfère une fois de plus au document EC-177, mais je n’entreprendrai pas de le citer en entier, car un seul point apportera des éléments nouveaux. Voici la page 5 de la traduction et la page 8 de l’original se rapportant aux questions de sécurité et de secret et qui, je crois, éclaireront le caractère criminel de ces agissements. Je cite :
« La question a été posée par les ministères du Reich. Le secret de tout le travail sur la défense du Reich doit être soigneusement gardé. Le problème des communications avec l’extérieur assurées par un service spécial de courriers a été réglé par un accord entre les ministères des Postes et des Finances, le ministère de l’Intérieur de Prusse et le ministère de la Reichswehr. Principe essentiel de sécurité : aucun document ne doit être égaré, car la propagande ennemie s’en servirait ; les renseignements oraux ne peuvent être prouvés et pourront être niés par nous à Genève. C’est pourquoi le ministère de la Reichswehr a donné aux ministères du Reich et au ministère de l’Intérieur de Prusse des directives sur la sécurité. »
Je passe sur le document suivant et j’en viens maintenant à l’affidavit de l’accusé Frick à la page 60.
De quoi s’agit-il ?
C’est le document PS-2986 (USA-409), original de la déclaration sous serment faite et signée par l’accusé Frick. Je crois que l’accusé Frick résume assez bien la façon dont le travail était accompli. Voici ce texte :
« Je soussigné Wilhelm Frick, serment ayant été préalablement prêté, déclare ce qui suit : j’ai été plénipotentiaire à l’administration du Reich depuis la création de ce service jusqu’au 20 août 1943, Heinrich Himmler étant mon délégué. Avant le déclenchement de la guerre, mon travail de plénipotentiaire à l’administration du Reich consistait à préparer et à organiser différents services dans l’éventualité d’une guerre. C’est à moi qu’incombait par exemple la désignation dans les différents ministères d’agents de liaison qui devaient rester en contact avec moi. Le plénipotentiaire à l’Économie du Reich, le chef de l’OKW et moi-même en qualité de plénipotentiaire à l’administration du Reich, formions ce qu’on appelait le Triumvirat. Nous étions également membres du Conseil de Défense du Reich chargé de préparer, dans l’éventualité d’une guerre, des projets et des décrets publiés plus tard par le Conseil des ministres pour la Défense du Reich. Il aurait fallu, en cas de guerre, faire face à toutes les éventualités sans pouvoir disposer du moindre laps de temps de préparation : c’est pourquoi des mesures et des prescriptions semblables avaient été établies longtemps à l’avance et en vue d’un conflit. Tout ce qui restait à faire consistait à sortir des tiroirs les dispositions qui s’y trouvaient toutes prêtes pour le cas de guerre. Plus tard, après le déclenchement de la guerre, ces décrets furent mis en vigueur par le Conseil des ministres pour la Défense du Reich. Signé et certifié exact : Dr Wilhelm Frick. Le 19 novembre 1945. »
Résumant cette question, je dirai que le Cabinet créa, par ses propres décisions et ses propres lois, un grand organisme chargé de préparer la guerre : le Conseil de Défense du Reich, dont les membres étaient pris dans le Cabinet. À l’intérieur de ce Conseil fut créé un petit comité d’action, composé de membres du Cabinet et de certains fonctionnaires de la Défense dont la majorité était désignée par les membres du Cabinet. Pour donner de la cohésion, on plaça tous les ministères, à l’exception de ceux de l’Air, de la Propagande et des Affaires étrangères, dans des groupes dirigés respectivement par les plénipotentiaires à l’Économie et à l’administration et par le chef de l’OKW. Et tout fut organisé dans le plus grand secret. Voilà ce triumvirat.
En conclusion, plaise au Tribunal, je voudrais résumer brièvement les preuves concernant la Reichsregierung.
De 1933 à la fin de la guerre, la Reichsregierung fut l’organisme dirigeant ayant le plus d’influence, après Hitler, dans le gouvernement nazi. Trois subdivisions formaient ce qu’on a appelé « Reichsregierung » dans l’Acte d’accusation : le Cabinet régulier, le Conseil de Cabinet secret et le Conseil des ministres pour la Défense du Reich ; mais, en réalité, il n’y avait qu’une distinction artificielle entre ces trois organismes. La subdivision la plus importante était naturellement le Cabinet régulier, qu’on désignait généralement sous le nom de Reichsregierung. C’est là que se trouvaient les personnalités politiques et militaires influentes du Gouvernement nazi : dix-sept des vingt-deux accusés qui sont devant ce Tribunal faisaient partie de ce Cabinet régulier.
J’aimerais les nommer en indiquant leur situation respective dans la Reichsregierung :
Martin Bormann, chef de la Chancellerie du Parti ; Karl Dönitz, commandant en chef de la Marine ; Hans Frank, ministre du Reich sans portefeuille ; Wilhelm Frick, ministre de l’Intérieur, plénipotentiaire à l’administration du Reich ; Walter Funk, ministre de l’Économie et plénipotentiaire à l’Économie ; Hermann Göring, ministre de l’Air, grand maître des Eaux et Forêts ; Rudolf Hess, délégué du Führer ; Wilhelm Keitel, chef de l’OKW ; Constantin H. K. von Neurath, ministre des Affaires étrangères, président du Conseil de cabinet secret ; Franz von Papen, vice-chancelier ; Erich Raeder, Commandant en chef de la Marine ; Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères ; Alfred Rosenberg, ministre des territoires occupés de l’Est ; Hjalmar Schacht, ministre faisant fonction de ministre de l’Économie, ministre du Reich sans portefeuille, président de la Reichsbank, plénipotentiaire à l’Économie de guerre ; Baldur von Schirach, ministre de la Jeunesse du Reich ; Arthur Seyss-Inquart, ministre du Reich sans portefeuille ; Albert Speer, ministre des Armements et de la Production de guerre.
De ce Cabinet régulier, venaient non seulement les membres du Conseil de Cabinet secret et du Conseil des ministres pour la Défense du Reich, mais aussi les membres du comité des plans de guerre et du conseil nazi secret de la Défense du Reich. Il apparaissait nécessaire, pour réaliser le but du complot – c’est-à-dire le déclenchement d’une guerre d’agression –, de centraliser les pouvoirs dans un petit nombre de mains. C’est dans le Cabinet régulier qu’étaient pris ces individus. C’est ainsi que les plénipotentiaires à l’Économie et à l’Administration étaient aussi ministres du Cabinet régulier et également membres du Conseil de Défense du Reich, ainsi que du Conseil ministériel. Sous leur autorité étaient pratiquement groupés tous les ministres du Cabinet régulier.
Lorsque des considérations de politique étrangère exigèrent la formation d’un nouveau groupe de conseillers, on créa le Cabinet secret, dont les membres furent pris dans le cabinet ordinaire.
Le parti nazi domina la Reichsregierung par le contrôle qu’exerça sur son travail législatif le délégué du Führer Hess et, plus tard, le chef de la Chancellerie du Parti, Bormann. Le contrôle du Parti s’exerça également par le choix de chacun des membres de ces organismes et par la concentration en une seule main des diverses positions-clés du Cabinet et du Parti. Le résultat de cette fusion du Parti et de l’État fut la concentration au profit du Cabinet d’un énorme pouvoir politique. Les lois mises en vigueur par le Cabinet furent l’armature du contrôle que les conspirateurs nazis exercèrent en fait sur l’Allemagne, qui constitue le premier chef de l’Acte d’accusation et qui leur permit de commettre les crimes mentionnés aux chefs nos 1, 2, 3 et 4 de l’Acte d’accusation.
Le Cabinet édicta des lois pénales très dures, des lois discriminatoires, des lois de confiscation, en violation des principes de justice et d’humanité. Ce furent les décrets rendus par le Conseil des ministres au cours de la guerre, qui couvrirent les actes criminels des conspirateurs nazis d’un semblant de légalité ; en tant qu’instrument du Parti, le Cabinet a effectivement exécuté les points les plus importants du programme nazi et, finalement, après l’arrivée au pouvoir de Hitler, devint un groupe d’études de plans de guerre en créant, en 1933, le Conseil de Défense du Reich, et en participant activement à l’élaboration des projets et des plans préparant la guerre d’agression.
En conséquence, je demande respectueusement au Tribunal de déclarer la Reichsregierung, telle qu’elle est définie dans l’appendice D, page 82, de l’Acte d’accusation, organisation criminelle au sens de l’article 9 de la section II du Statut.
Plaise à Vos Honneurs, cet exposé est terminé ; le prochain portera sur les SA. Je ne demanderai au Tribunal que quelques minutes pour préparer matériellement nos dossiers.
Plaise au Tribunal. Je fais distribuer le livre de documents Y contenant les traductions en anglais des documents relatifs à cette question.
L’organisation dont je vais exposer le cas, pour étayer votre conviction, est la Sturmabteilung, l’organisation que le monde connaît sous le nom de « Chemises brunes » ou « Troupes d’assaut », les gangsters des premiers jours du terrorisme nazi. Ce n’est que plus tard qu’elles prirent le nom de SA que j’emploierai au cours de ma présentation. Les SA furent la première organisation créée par les nazis pour servir leurs funestes desseins et elles jouèrent un grand rôle dans la conspiration. Contrairement aux fonctions de certaines organisations, celles des SA n’étaient pas nettement définies ; c’était un organisme qui devait s’adapter à des situations très différentes dans des buts divers. Son rôle, au cours du complot, a changé de temps à autre, mais fut toujours en corrélation avec l’évolution de ce dernier, dont le but final était la suppression du Traité de Versailles et l’acquisition de territoires appartenant à d’autres nations. Si nous comparons ce complot à un puzzle dont les différentes parties s’adaptent exactement les unes aux autres, nous voyons que les SA sont une des pièces essentielles pour la constitution et la forme de l’ensemble.
Les SA prirent part au complot en tant qu’unité distincte, ayant un rôle et un caractère propres. C’est ce qui ressort du document PS-1725 qui figure dans le livre de documents et dont je demande au Tribunal de prendre acte. C’est une ordonnance de mars 1935, Reichsgesetzblatt 1935, partie I, page 502, qui déclare que les SA et certains autres organismes doivent être considérés comme composants du parti nazi. L’article 5 de cette ordonnance déclare – et c’est à la deuxième page de la traduction anglaise, tout de suite après le mot article 5 – je cite : « Les organisations affiliées peuvent avoir un caractère légal propre ».
De même, le Livre d’organisation du parti nazi appelle les SA une « entité ». Le document PS-3220 que je présente maintenant est un extrait de l’édition de 1943 du Livre d’organisation du parti nazi, page 358 de l’original. Je cite la traduction anglaise ; il y est déclaré :
« Le Führer donne une règle de conduite et indique la façon dont elle doit être appliquée. Le chef d’État-Major représente les SA comme une organisation qui se suffit à elle-même et qui dépend du Führer. »
L’exposé des preuves montrera que les SA constituèrent une entité ayant un caractère légal qui leur fut propre. Il montrera que, bien que les SA fussent composées d’individualités nombreuses et variées, celles-ci agissaient collectivement et avec cohésion comme une unité. Parmi les nombreux facteurs de cohésion, signalons la discipline commune et l’uniforme, l’unité de buts, d’objets, d’activités, de devoirs et de responsabilités et – c’est peut-être ce qui est le plus important – une même adhésion fanatique aux doctrines et à l’idéologie conçues par les conspirateurs nazis. C’est en partie démontré par le document PS-2354 qui est un extrait du Livre d’organisation du parti nazi, à la page 7 de la traduction anglaise. Il y est prouvé que l’adhésion aux SA était volontaire, mais qu’une démission était toujours possible « en cas de désaccord avec les vues des SA ou en cas d’impossibilité de remplir complètement les obligations imposées en tant que membre des SA. »
Le SA était très bien entraîné, selon la doctrine, l’attitude et l’activité qu’on attendait de lui, qu’il devait adopter et dont il devait faire montre dans la vie courante. L’uniformité d’action et l’unité de pensée en la matière étaient en partie obtenues par la publication d’un hebdomadaire qui s’appelait Der SA-Mann (Le SA). Ce périodique avait pour but de créer et de diffuser les différentes doctrines nazies adoptées par la plupart des conspirateurs. Je signale en passant que nous avons ici, sur cette table, toutes ces publications de 1934 à 1939 inclus. Cet hebdomadaire officiel, appelé Der SA-Mann, publié à Munich, se vendait dans les kiosques ; il était diffusé dans toute l’Allemagne et dans tous les pays occupés. De plus, c’était un journal d’information, donnant des comptes rendus sur l’activité de toute l’organisation SA et des différents groupements qui la composaient. J’aurai plus tard l’occasion de me référer à cette publication.
L’organisation générale et la structure des SA seront exposées au Tribunal par des documents que nous présenterons comme preuves. Vous y verrez, à l’origine des SA, quelques bandes de voyous des rues qui finirent par s’organiser en unité militaire, d’après des principes militaires, avec un entraînement militaire et des fonctions militaires aussi, avec surtout un esprit agressif, militarisé et belliqueux. L’organisation s’étendit sur tout le territoire du Reich et sur le plan vertical, les SA furent organisées en groupes et en subdivisions locales. Horizontalement, elles comprenaient des unités spécialisées, y compris des unités de cavalerie, de transmission, du génie et des services sanitaires. Je présenterai un peu plus tard un tableau synoptique de cette organisation. La coordination et la liaison entre ces différents groupes étaient assurées par le Quartier Général SA et les services d’État-Major qui se trouvaient à Munich.
J’en arrive aux relations entre les SA et la NSDAP.
Les accusations portées contre les SA sont très graves ; leur principal fondement repose sur les relations spéciales et caractéristiques de cette organisation avec le parti nazi et les principaux conspirateurs. Une association entre conspirateurs prouve de façon convaincante qu’ils ont tous participé à l’établissement d’un complot. Ce principe trouve ici une application particulière, car la liaison entre les SA et les chefs nazis fut constamment maintenue pour permettre à ces mêmes conspirateurs de faire servir les SA en vue d’un but ou d’une activité qui put leur paraître nécessaire à la réalisation des fins de leur complot.
Nous voyons ainsi que c’est Hitler lui-même qui a conçu l’idée de cette organisation et qui l’a réalisée en 1921, tout à fait au début du complot. Il est resté chef des SA pendant toute la période du complot, et a délégué ses pouvoirs de commandement à un chef d’État-Major. Dans toute l’Allemagne, en fait, Hitler était connu comme OSAF ou « Oberster SA Führer », c’est-à-dire Chef suprême des SA.
L’accusé Göring fut l’un des tout premiers membres des SA et resta en relation étroite avec elles pendant tout le complot. L’accusé Hess participa à de nombreuses batailles dans les rangs des SA ; il était chef d’un groupement SA à Munich. Les accusés Frank, Streicher, von Schirach et Sauckel étaient tous Obergruppenführer des SA, ce qui correspondait au rang de général. L’accusé Bormann était membre de l’État-Major du Haut Commandement SA.
Un fait prouve l’étroite relation existant entre les SA et les chefs du parti nazi : les membres du Corps des chefs politiques, détenteurs de la souveraineté (Hoheitsträger), pouvaient faire appel à l’aide des SA dans l’exécution du programme national-socialiste. C’est ce qui ressort du document PS-1893 que, Votre Honneur s’en souvient, j’ai déjà cité plusieurs fois, à propos de mon exposé sur le Corps des dirigeants ; à la page 11 de la traduction anglaise, ainsi que vous le verrez, il est précisé que le Hoheitsträger pouvait faire appel aux SA dans l’accomplissement des missions politiques qui rentraient dans le cadre du mouvement. Cette responsabilité des SA vis-à-vis du Parti ressort encore du document PS-2383. C’est une ordonnance réglementant l’application d’un décret de Hitler. Je la dépose maintenant sous le nº USA-410. Je cite à partir de la page 3 de la traduction anglaise, au quatrième paragraphe :
« Les formations de la NSDAP, à l’exception des SS pour lesquelles sont édictés des règlements spéciaux, sont subordonnées au détenteur de souveraineté (Hoheitsträger), dans le domaine de la politique et des tâches à accomplir. La responsabilité de la direction des unités incombe au chef d’unité. »
À propos de l’exposé sur le Corps des dirigeants, on a mentionné hier le rôle joué par les SA dans la confiscation des biens syndicaux. Les SA, en outre, ont montré leur dévotion au parti nazi en participant de diverses manières aux opérations des élections. C’est ce que démontre le document PS-2168 (USA-411), brochure qui a pour titre Le SA. Elle fait l’historique et expose l’activité générale des SA ; c’est un Sturmführer SA, nommé Bayer, qui l’a rédigée, sur l’ordre de l’État-Major SA. Je cite, à la page 4 de la traduction anglaise de cette brochure, le dernier paragraphe, à partir de la ligne 3 :
« Les SA ne se sont pas battues et n’ont pas travaillé en vain. Elles ont été en première ligne dans les combats des élections. »
Adolf Hitler, lui-même, devint, le 2 septembre 1930, Chef suprême des SA. Lui-même conduisit ses SA au cours des combats décisifs de l’année 1930, en vue des élections.
D’autres preuves de l’intervention des chefs nazis dans l’activité des SA et de l’intérêt qu’ils leur portaient se trouvent dans ces cinq volumes reliés de l’ensemble de la publication du journal SA, Der SA-Mann, des années 1934 à 1939 inclus. Je voudrais maintenant demander qu’on identifiât ces volumes, car je me référerai à chacun d’eux au cours de mon exposé. Ils porteront les numéros USA-414, 415, 416, 417, 418 ; ils possèdent, en outre, un numéro de document que je donnerai en citant la traduction anglaise. Dans tous ces volumes se trouvent des photographies apportant la preuve de la participation des chefs nazis aux activités des SA. J’aimerais en décrire quelques-unes en indiquant le numéro de la page où elles figurent. S’il plaît à Votre Honneur, voici donc un certain nombre de photographies. L’une d’entre elles, que je désirerais déposer comme preuve devant le Tribunal, figure dans l’édition de janvier 1937. C’est une photographie de Göring prise au cours des cérémonies données à l’occasion de sa nomination au poste de Obergruppenführer du régiment SA Feldherrnhalle, le 23 janvier 1937. Nous déposons la photographie et la page du journal. Si Votre Honneur désire la voir, nous pouvons la lui remettre. Voici une autre photographie de Göring à la tête du régiment SA Feldherrnhalle, à une revue du 18 septembre 1937. Elle se trouve à la page 3. L’autre photographie figurait à la page 3 de l’exemplaire du SA-Mann de janvier 1937.
J’attire votre attention sur quelques-unes des autres photographies qui sont ici. Celle-ci représente Hitler recevant Hühnlein avec cette légende : « Le Führer accueille le Korpsführer Hühnlein à l’ouverture du Salon International de l’Automobile de 1935 ». Elle se trouve dans le numéro du 23 mars 1935, page 6. Voici Himmler avec Hühnlein, Führer du NSKK, et Lutze, chef d’État-Major des SA ; cette photographie porte la mention : « Ils conduisent les soldats du national-socialisme », 15 juin 1935, page 1. Une autre photographie de Hitler, portant l’étendard des SA à une cérémonie SA, porte le titre : « Comme pendant les années de combat, le Führer, le jour du congrès de la Liberté du Parti, consacre les nouveaux régiments avec l’étendard du sang », 21 septembre 1935, page 4. Je continue. Voici encore une photographie de Göring en uniforme SA, passant en revue des troupes de choc SA : « Journée d’honneur des SA », 21 septembre 1935, page 3.
Colonel Storey, peut-on douter que Hitler et Göring aient été membres des SA ?
Non, Monsieur le Président, mais je montrais ces photographies pour prouver le caractère militaire des SA. Mais s’il n’y a aucun doute à ce sujet et si ces preuves font double emploi, je passerai au point suivant.
La tâche des SA ne fut pas terminée avec la prise du pouvoir par les nazis. Les chefs nazis restèrent en relation avec les SA, même après l’acquisition du contrôle de l’État allemand. La loi du 1er décembre 1933 sur l’unité du Parti et de l’État, que j’ai déjà mentionnée, prouve l’importance des rapports entre les SA et le Gouvernement nazi quant au contrôle de l’Allemagne. Il y a cependant un paragraphe qui n’a pas été cité et, plaise à Votre Honneur, j’aimerais attirer votre attention sur lui. C’est notre document PS-1395, dont je cite l’article 2 à la première page de la traduction anglaise :
« Le délégué du Führer et le chef d’Etat-Major des SA deviennent membres du Gouvernement du Reich, afin d’assurer une coopération étroite entre les services du Parti et des SA et les autorités publiques. »
De même, dans le document PS-2383 que j’ai déjà déposé et que je veux seulement citer brièvement, page 11, dernier paragraphe :
« Les services du Parti et de l’État doivent aider les SA à réaliser leur programme d’instruction et doivent attacher une grande valeur au port des insignes SA. »
Les nazis exercèrent à tout moment un contrôle absolu sur les SA, comme le montre la liquidation de Röhm en juin 1934. Les preuves relatives à cette question se trouvent dans le Völkischer Beobachter du 1er juillet 1934, à la page 1. Je ne les citerai pas. Röhm avait été chef d’État-Major des SA pendant plusieurs années et c’est lui qui en avait fait une organisation puissante, avec un programme et des buts bien définis. Les membres des SA devaient prêter serment de fidélité devant lui. Cependant, lorsque ses idées divergèrent de celles des chefs nazis, il fut relevé de son poste, assassiné et remplacé par Victor Lutze. Cet acte brutal put s’accomplir sans qu’il y eût la moindre révolte ou dissension dans les SA, ni de changement dans les buts et le programme de cette organisation. Les SA sont restés « l’un des éléments les plus solides du mouvement national-socialiste ». Je cite ici le document PS-2407 (USA-412), traduction anglaise du Völkischer Beobachter. C’est le dernier paragraphe de la traduction anglaise, juste au-dessous du nom « Adolf Hitler ». J’indique pour les interprètes que la citation figure dans notre texte. Je continue et je cite :
« Je souhaite que les SA deviennent un élément solide et sûr du mouvement national-socialiste. Dressées à une obéissance et à une discipline aveugles, les SA doivent aider à créer et à former le nouveau type de l’Allemand. »
L’importance prise par les SA dans le plan nazi pour l’utilisation du peuple allemand se révèle dans les explications de Hitler parues sous le titre : « La carrière de l’Allemand » dans un numéro du SA-Mann du 5 septembre 1936, page 22. C’est notre document PS-3050, déposé sous les numéros USA-414 et USA-418. Je cite le paragraphe au milieu de la page 29 de la traduction anglaise :
« …L’enfant entrera dans le Jungvolk et le jeune garçon dans la Jeunesse hitlérienne ; l’adolescent de la Jeunesse hitlérienne entrera dans les SA, les SS et les autres formations ; les hommes des SA et des SS iront un jour au service du travail et de là à l’Armée, et le soldat du peuple reviendra dans l’organisation du mouvement et du Parti, dans les SA et les SS. Ainsi, notre peuple ne pourra plus déchoir, comme il l’a fait malheureusement dans le passé. »
Nous voyons donc que pendant toute la durée du complot les SA ont été pour le parti nazi un instrument dont il pouvait toujours disposer pour réaliser ses desseins. Les SA furent créées par les conspirateurs au début du mouvement nazi. Elles furent de tout temps directement subordonnées à Adolf Hitler. Sept des accusés ont occupé des postes de chefs responsables dans cette organisation, et les SA devaient être constamment à la disposition des Hoheitsträger. Les SA ont combattu au premier rang lors des élections, et la loi elle-même assurait la coopération des services du Parti, des SA et de l’État.
C’est ce que Victor Lutze, ancien chef d’État-Major des SA, pouvait déclarer dans une brochure intitulée L’organisation et les buts des SA, document PS-2471, dont nous déposons l’original sous le nº USA-413. La citation se trouve en haut de la page 1 dans la traduction anglaise ; je vais lire en entier le premier paragraphe :
« Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous dire, pour que ma position n’ait plus rien d’équivoque, que je ne parle jamais en tant que membre des SA, mais d’abord en tant que national-socialiste. Non seulement les SA ne peuvent pas être indépendantes du mouvement national-socialiste, mais elles doivent encore en être un élément. »
J’aimerais ensuite montrer au Tribunal quelles furent les principales fonctions et activités exercées par les SA, en raison de leurs rapports avec l’État et le Parti que j’ai décrits ci-dessus, pour réaliser les buts du complot. Ces activités peuvent être logiquement classées ou divisées en quatre phases, en quatre parties distinctes. Je peux ajouter que chacune d’elles correspond à une phase particulière de la progression du complot vers les objectifs mentionnés dans l’Acte d’accusation.
La première phase est l’utilisation des SA et de leurs membres comme instrument de diffusion à travers l’Allemagne de l’idéologie et du fanatisme des nazis. L’utilisation des SA dans ce but s’est poursuivie pendant toute la période du complot, comme le prouvent, je crois, les documents présentés.
La deuxième phase correspond à la période qui a précédé la prise du pouvoir par les nazis. Au cours de cette période, les SA étaient un groupe de militants, une troupe de choc, composée de gangsters chargés de combattre par la force et la violence les opposants au Parti.
La troisième phase correspond aux années qui suivirent la prise du pouvoir par les nazis. Au cours de cette période, les SA ont participé à différentes mesures ayant pour but de consolider le contrôle du régime nazi, y compris la réalisation des programmes qu’il inspirait, tels que dissolution des syndicats, persécution de l’Église, persécution des Juifs, auxquels j’ai déjà fait allusion. Au cours de cette période, elles ont toujours été une troupe de soldats politiques, chargée de combattre par la force les membres d’autres partis politiques considérés comme hostiles ou opposés au parti nazi.
Le quatrième aspect des activités des SA consistait en leur utilisation comme moyen de mettre sur pied une Armée allemande, en violation du Traité de Versailles, et de préparer la jeunesse allemande aux guerres d’agression, tant au point de vue physique qu’au point de vue idéologique.
Je voudrais maintenant présenter sur ces quatre points des documents que je considère comme des preuves absolument évidentes.
La première phase concerne la diffusion de l’idéologie. Les SA étaient avant tout responsables de la diffusion des doctrines et idéologies qu’il fallait faire accepter à la nation pour pouvoir réaliser les desseins des nazis. Dès le début, les chefs nazis insistèrent sur l’importance de cette mission. Au cours du complot, les SA ont entrepris des missions et accepté des responsabilités nombreuses, mais sont toujours restées chargées de diffuser l’idéologie nationale-socialiste.
Je me réfère au document PS-2760 (USA-256) : c’est un passage de Mein Kampf qui figure à la page 5 de la traduction anglaise, troisième paragraphe. Je cite :
« Le principe directeur de l’instruction des Sturmabteilungen a toujours été, indépendamment de l’éducation physique, de faire de ses membres les défenseurs fanatiques de l’idée nationale-socialiste. »
Je puis ajouter que la déclaration de Hitler sur la fonction des SA devint le principe directeur des SA, qui considéraient Mein Kampf comme l’expression de leur idéologie fondamentale.
Dans le document PS-2354, extrait du Livre d’organisation du Parti, il est dit, au paragraphe 1, page 1 de la traduction anglaise :
« Éducation et formation sur les bases des doctrines et des buts du Führer, tels qu’ils sont indiqués dans Mein Kampf et dans le programme du Parti, pour toutes les étapes de notre vie et pour notre conception nationale-socialiste du monde… »
Ce même document, le Livre d’organisation du Parti, mentionne aussi la fonction des SA comme propagandistes du Parti. Je crois que le document suivant ne constituerait sur ce point que la répétition de ce que nous venons de dire. J’en arrive maintenant à un article…
Peut-être pourrions-nous lever l’audience ?
Très bien, Monsieur le Président.