VINGT-QUATRIÈME JOURNÉE.
Jeudi 20 décembre 1945.

Audience du matin.

COMMANDANT FARR

Plaise au Tribunal. Hier, au moment où l’audience a été levée, nous parlions du nombre des SS susceptibles d’être impliqués dans l’application du programme des camps de concentration. Rien ne montre mieux que le programme des camps de concentration à quel point cette organisation formait un tout.

Le WVHA, l’un des services du Commandement suprême, avait en mains l’administration et le contrôle de ce programme et s’occupait des victimes dès leur entrée dans les camps. Il fut assisté des unités de SS « Tête-de-mort » qui fournissaient le personnel de garde de ces camps, puis des « Allgemeine SS » qui en assumèrent la charge pendant la guerre.

Le RSHA jouait un rôle dans le programme des camps de concentration – instrument policier des SS – car c’est le RSHA qui opérait les arrestations et faisait envoyer les victimes dans les camps. C’est ainsi, comme on peut le voir sur le tableau, que le SD, état-major personnel et premier service du Commandement suprême, était une sorte de service directeur de toute l’organisation qui, évidemment, contrôlait le travail des services subordonnés.

Aussi, lorsque la question se pose de savoir combien de SS ont été mêlés au programme des camps de concentration, je ne crois pas qu’il soit possible d’y répondre. Vous pouvez déterminer le chiffre des effectifs des unités de SS « Tête-de-mort » qui fournissaient primitivement les détachements de garde. Vous pouvez estimer le nombre des personnes appartenant aux « Allgemeine SS », mais dire exactement quel pourcentage de l’organisation totale s’occupait de ce programme est une chose que je me sens moi-même incapable de faire. Je venais de faire remarquer…

LE PRÉSIDENT

Pouvez-vous dire si l’état-major des camps de concentration se composait exclusivement de membres de l’une ou l’autre catégorie de SS ?

COMMANDANT FARR

Par état-major, vous voulez dire, je pense, la garde et le personnel du camp. C’est une chose impossible à déterminer. Par exemple, ce furent primitivement les unités de SS « Tête-de-mort » qui fournirent tout le personnel de la garde. Par la suite, cette fonction fut assumée par des membres des « Allgemeine SS ».

LE PRÉSIDENT

Ce sont deux catégories de SS ?

COMMANDANT FARR

Oui, toutes deux. Quant aux commandants de camp, par exemple, tous les officiers SS de haut rang étaient normalement membres des « Allgemeine SS », si bien que, sans aucun doute, ce personnel était recruté dans cette catégorie. Il n’est certainement pas invraisemblable que certains membres de la « Waffen SS » aient été appelés à garder certains camps. Je ne pense pas qu’il soit possible d’exclure une quelconque catégorie de SS de la participation à ce programme.

LE PRÉSIDENT

Ce n’était pas exactement ce que je voulais dire. Je voulais dire : pouvez-vous prétendre que le personnel de l’état-major des camps de concentration fût recruté exclusivement dans l’une ou l’autre catégorie de SS ?

COMMANDANT FARR

Je ne crois pas pouvoir l’affirmer. Je crois pouvoir dire…

LE PRÉSIDENT

Y avait-il une autre organisation qui fournissait le personnel de l’état-major des camps de concentration et laquelle ?

COMMANDANT FARR

Vous voulez dire une organisation autre que les SS ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

COMMANDANT FARR

Je n’en connais aucune.

LE PRÉSIDENT

Dans ce cas, la réponse à ma première question serait oui ?

COMMANDANT FARR

Je pensais que Votre Honneur voulait parler d’une catégorie des SS qui eût été seule impliquée dans cette affaire. Les SS, autant que je le sache, sont la seule organisation qui ait joué un rôle dans le système des camps de concentration, si ce n’est tout à la fin de la guerre où je pense, comme le colonel Storey l’a dit hier, que certains membres des SA furent également employés comme personnel de garde des camps de concentration.

M. BIDDLE

Connaissez-vous le chiffre total des effectifs à la fin de la guerre ?

COMMANDANT FARR

De toutes les SS ?

M. BIDDLE

Oui.

COMMANDANT FARR

C’est une chose qu’il faudrait évaluer. J’ai cité hier au Tribunal le chiffre donné par d’Alquen des effectifs des « Allgemeine SS » en 1939. Il disait qu’il y avait alors environ 240.000 hommes dans les « Allgemeine SS ». Il y avait à l’époque environ 4 régiments de SS « Tête-de-mort », plusieurs autres régiments des « Verfügungstruppe », quelques milliers d’hommes dans le SD, de sorte qu’on peut dire qu’en 1939, les SS comptaient 250.000 à 300.000 membres. Lorsque la guerre éclata, on constitua les « Waffen SS » qui furent composées tout d’abord de quelques régiments de « Verfügungstruppe », pour atteindre 31 divisions à la fin de la guerre, ce qui signifierait qu’en 1945, les « Waffen SS » groupaient dans les 400.000 à 500.000 hommes. Je pense que les 400.000 à 500.000 hommes des « Waffen SS » doivent être ajoutés aux effectifs des « Allgemeine SS » qui étaient soumis au service militaire obligatoire dans la Wehrmacht. Par conséquent, si je devais fournir une estimation, je dirais que ce chiffre de 750.000 représente probablement le chiffre maximum du personnel enrôlé dans les SS depuis le commencement, mais ce n’est qu’un calcul approximatif.

M. BIDDLE

Ainsi vous n’avez pas de statistiques indiquant combien d’entre eux étaient civils, employés de bureau, sténographes, militaires, etc. ?

COMMANDANT FARR

Non, quand nous disons membres des SS, nous ne parlons pas des sténographes qui travaillaient dans les bureaux, qui d’ailleurs n’étaient pas membres des SS. Par membres des SS, nous entendons les personnes qui avaient prêté serment et qui figuraient sur la liste des membres à titre soit de membres des « Allgemeine SS », soit des unités de SS « Tête-de-mort » ou des « Waffen SS ». J’incline à penser que le chiffre 750.000 que j’ai donné comprend les membres des SS « Allgemeine SS », « Totenkopf Verbände » et « Waffen SS ».

Je faisais remarquer la transmission du contrôle des camps de concentration au WVHA, en 1942, transmission qui coïncide avec un changement dans la raison d’être fondamentale de ces camps qui, jusqu’alors, n’avaient servi qu’à interner des individus pour des raisons politiques ou des raisons de sécurité. À partir de ce moment, la raison d’être essentielle de ces camps fut de fournir de la main-d’œuvre et je vais maintenant indiquer au Tribunal les organes d’exécution des SS qui s’occupaient du rabattage de cette main-d’œuvre.

Le Tribunal a déjà eu connaissance d’un ordre émis en 1942, peu après la transmission au WVHA du pouvoir de contrôle sur les camps de concentration, enjoignant à la Police de sûreté de fournir immédiatement 35.000 prisonniers aptes à travailler dans les camps. C’est notre document PS-1063, déjà déposé sous le numéro US-219. Ces 35.000 prisonniers n’étaient naturellement qu’un début. Les SS pouvaient prendre dans les mailles de leurs filets une quantité beaucoup plus considérable d’esclaves. Je dépose comme preuve une copie au papier carbone d’une instruction adressée à tous les services du Commandement suprême SS par l’État-Major de campagne de Himmler, le 5 août 1943. Ce document porte le numéro PS-744. Je le dépose sous le numéro USA-455. Cette instruction figure à la page 2 de la traduction. C’est l’application d’un ordre signé par l’accusé Keitel, enjoignant d’envoyer aux travaux forcés tous les hommes pris dans les combats de guérilla à l’Est. Les directives de Keitel figurent à la page 1 de la traduction. Je lirai seulement l’instruction de Himmler figurant à la page 2 de la traduction. Le Tribunal remarquera qu’elle a été adressée à tous les principaux bureaux du Commandement suprême. Voici la liste des destinataires :

« 1. Chef de l’État-Major personnel du Reichsführer SS ; 2. Office principal des SS ; 3. Service principal de la sûreté du Reich ; 4. Service principal pour la race et l’émigration ; 5. Service principal de Police ; 6. Bureau principal économique et administratif SS ; 7. Bureau principal du personnel SS ; 8. Tribunal de l’Office principal SS ; 9. Commandement suprême des SS Quartier Général des “Waffen SS” ; 10. Quartiers généraux d’État-Major du commissaire du Reich pour l’affirmation de la race allemande ; 11. Service central des Allemands de race ; 12. Service du SS Obergruppenführer Heissmeyer ; 13. Chef des unités combattant les guérillas. »

Je signale au Tribunal que chacun des services principaux figurant sur le tableau a reçu cette instruction. Les autres adresses sont celles des chefs des SS et de la Police dans les différents secteurs.

Je continue à lire le texte de cette instruction :

« Au nº 4 de l’ordre ci-dessus mentionné, j’ordonne que toutes les jeunes internées capables de travailler, soient envoyées au travail en Allemagne par l’entremise des services du commissaire du Reich, Sauckel. Les enfants et les vieillards doivent être rassemblés et employés dans des camps de femmes et d’enfants que j’ai fait installer dans des propriétés ou à la limite des régions évacuées. »

En avril 1944, on demanda aux SS de fournir encore plus de main-d’œuvre ; il fallait cette fois-ci 100.000 Juifs de Hongrie. Le Tribunal se souvient du procès-verbal d’une discussion entre l’accusé Speer et Hitler, les 6 et 7 avril 1944, qui se trouvait dans notre document R-124, à la page 36. Il a été lu devant le Tribunal et déposé comme preuve sous le numéro USA-179. Speer y fait allusion à la déclaration de Hitler selon laquelle il voulait faire appel au Reichsführer SS pour obtenir 100.000 Juifs hongrois.

La dernière source de main-d’œuvre n’avait pas encore été exploitée. À celle des Juifs et déportés, hommes, femmes et enfants, s’ajouta la puissance de travail des prisonniers de guerre. C’est grâce aux SS, que les conspirateurs purent tirer de ces prisonniers tout le travail dont ils étaient encore capables.

Je me réfère à une déclaration de l’accusé Speer qui figure dans notre document R-124 à la page 13 de la traduction. Ce document a déjà été déposé sous le numéro USA-179. On trouvera cette déclaration au dernier paragraphe de la page 7 de l’original, page 13, avant-dernier paragraphe, dans notre document R-124, au deuxième volume du livre de documents. Je cite :

« Speer. – Nous devons arriver aussitôt que possible à un accord avec le Reichsführer SS pour que les prisonniers de guerre qu’il reçoit soient mis à notre disposition. Le Reichsführer SS reçoit de 30.000 à 40.000 hommes par mois. »

Pour assurer le contrôle des SS sur la main-d’œuvre des prisonniers de guerre, Hitler nomma, le 25 septembre 1944, le Reichsführer SS chef de tous les camps de prisonniers de guerre. Je dépose comme preuve la lettre faisant connaître sa nomination ; c’est notre document PS-058 (USA-456). Elle se trouve dans le premier volume du livre de documents. C’est une circulaire émanant du chef de la Chancellerie du Parti, en date du 30 septembre 1944, et signée « M. Bormann ». Je cite à partir du premier paragraphe de cette lettre :

« 1. Le Führer a ordonné, à la date du 25 septembre 1944 : “La garde de tous les prisonniers de guerre et internés, ainsi que des camps de prisonniers et des établissements surveillés, sera transmise au commandant de l’Armée de réserve à partir du 1er octobre 1944”. »

Passant au deuxième paragraphe de cette lettre, je vais lire les deux sous-paragraphes a et c :

« 2. Le Reichsführer SS a ordonné :

« a) En ma qualité de commandant de l’Armée de réserve, je charge des questions des prisonniers de guerre Gottlob Berger, SS Obergruppenführer et général des Waffen SS, chef de l’État-Major du Volksturm. »

Je passe maintenant au paragraphe c :

« c) La mobilisation de la main-d’œuvre des prisonniers de guerre sera organisée par l’actuel service de la mobilisation de la main-d’œuvre, en étroite liaison avec le SS Obergruppenführer Berger et le SS Obergruppenführer Pohl. Le renforcement de la sécurité dans le domaine des prisonniers de guerre sera confié au SS Obergruppenführer Berger et au Chef de la Police de sûreté, le SS Obergruppenführer Dr Kaltenbrunner. »

Les SS finirent ainsi par assumer la direction et le contrôle des camps de prisonniers de guerre.

Les résultats obtenus grâce à la main-d’œuvre des camps de concentration SS furent si remarquables qu’en 1944 l’accusé Göring fit appel à Himmler pour obtenir une plus grande quantité de détenus pour l’industrie aéronautique. Le Tribunal se souvient de la dépêche qu’il adressa à Himmler : c’est le document PS-1584, 1re partie, qui a été lu par M. Dodd et déposé sous le numéro USA-221. Permettez-moi de présenter maintenant la réponse de Himmler à cette dépêche. C’est notre document PS-1584, 3e partie : la lettre se trouve à la page 2. Je la dépose comme preuve sous le numéro USA-457. Je cite le début de cette lettre :

« Monsieur le Maréchal. Comme suite à mon message télétypé du 18 février 1944, je vous transmets ci-joint une étude sur l’emploi des prisonniers dans l’industrie aéronautique. Cette étude montre qu’il y a actuellement 36.000 prisonniers qui travaillent pour la Luftwaffe. On envisage de porter ce nombre à 90.000. Le plan de production est discuté, élaboré et mis en application par le ministère de l’Air du Reich et le Chef de mon bureau principal économique et administratif, le SS Obergruppenführer et général des Waffen SS Pohl. Nous mettons à votre service toutes les forces dont nous disposons. Toutefois, mon principal bureau économique et administratif n’a pas rempli toute sa tâche lorsqu’il a livré les prisonniers à l’industrie aéronautique, car le SS Obergruppenführer Pohl et ses adjoints sont chargés d’obtenir la vitesse de travail requise, par une surveillance et un contrôle constants des groupes de travail (kommandos), et ils exercent par conséquent une certaine influence sur la production. Sur ce point, je voudrais faire remarquer qu’en accroissant notre responsabilité par une accélération générale du rythme du travail, on peut certainement s’attendre à de meilleurs résultats. »

Je passe maintenant aux deux derniers paragraphes de cette lettre qui se trouvent à la page suivante dans la traduction :

« Le déplacement des usines de constructions aéronautiques dans des installations souterraines rend nécessaire l’emploi d’environ 100.000 prisonniers supplémentaires. Les plans établis sur la base de votre lettre du 14 février 1944 sont déjà en cours d’exécution. Je continuerai, Monsieur le Maréchal, à vous tenir informé de ces questions. »

Je voudrais incidemment attirer votre attention sur le fait que le SS Obergruppenführer Pohl, chef du WVHA, était également général dans les Waffen SS, ce qui démontre qu’il est difficile de caractériser les fonctions dans les SS.

Notre document PS-1166, que j’ai déposé hier sous le nº USA-458, montre dans quelle mesure le nombre des prisonniers employés s’accrut grâce aux efforts des SS. Ce document est un rapport du bureau du groupe D du WVHA, en date du 15 août 1944. Je vais en lire la première page :

« Conformément à l’appel téléphonique mentionné plus haut, je vous adresse ci-joint un rapport sur les effectifs de prisonniers au 1er août 1944 et sur ceux des nouveaux arrivages annoncés, ainsi que le rapport sur l’habillement au 15 août 1944.

« Les effectifs au 1er août 1944 se composent de :

« a) Prisonniers du sexe masculin — 379.167

« b) Prisonniers du sexe féminin — 145.119

« De plus, nous avons eu les arrivages suivants :

« 1º Provenant de l’application du programme de Hongrie (action anti-juive) — 90.000

« 2º De Lodz (Litzmannstadt), prison de police et ghetto — 60.000

« 3º Polonais du Gouvernement Général — 15.000

« 4º Condamnés de droit commun des territoires de l’Est — 10.000

« 5º Anciens officiers polonais — 17.000

« 6º De Varsovie (Polonais) — 400.000

« 7º Suite des arrivages français : approximativement 15.000 à 20.000

« La plupart des prisonniers sont déjà acheminés. Ils seront réceptionnés dans les camps de concentration d’ici quelques jours. »

Ce recrutement intensif de main-d’œuvre a gêné dans une certaine mesure le programme d’extermination de certaines classes d’individus entrepris par le WVHA dans les camps. Je dépose la photocopie d’une lettre du WVHA en date du 27 avril 1943, document PS-1933 (USA-459). Cette lettre est adressée à un certain nombre de chefs de camps de concentration. Elle est signée par Gluecks, SS Brigadeführer et Generalmajor dans les Waffen SS. Je lis cette lettre :

« Le Reichsführer SS et Chef de la Police allemande a décidé, après consultation, qu’à l’avenir seuls les prisonniers atteints de maladies mentales pourront être choisis pour l’action 14-F-13 par les commissions médicales qui en sont chargées.

« Tous les autres prisonniers incapables de travailler (tuberculeux, impotents contraints de garder le lit, etc.) doivent être laissés par principe en dehors de cette action. On donnera aux prisonniers qui gardent le lit, un travail qui sera adapté à leurs possibilités et qu’ils feront au lit. L’ordre du Reichsführer SS doit être strictement observé à l’avenir. Il n’y a donc pas lieu de présenter des demandes de combustible à cet effet. »

On n’explique pas ici ce qu’est l’action « 14-F-13 », mais on voit très bien ce que cela signifie. Tous les individus même alités ou infirmes, quelle que fût leur condition physique, dont on pouvait tirer le plus minime travail, devaient être laissés en dehors de cette action. Seuls devaient la subir les fous dont on ne pouvait rien attendre. Quelle pouvait être cette action ? C’est parfaitement clair. Cette action, c’était l’extermination.

Les SS réussirent dans une certaine mesure à atteindre leurs deux buts : augmenter la production et éliminer les individus indésirables. Le Tribunal se souvient de l’accord intervenu entre le ministre de la Justice Thierack et Himmler, le 18 septembre 1942. C’est notre document PS-654, qui a été déposé par M. Dodd sous le nº USA-218. Je ne veux pas le citer encore une fois, mais je rappellerai au Tribunal qu’aux termes de cet accord, les éléments antisociaux, après avoir purgé leur peine, étaient livrés au Reichsführer qui s’employait à les faire travailler à mort. Les conditions de travail dans les camps étaient bien calculées pour que mort s’ensuivît. Elles étaient réglementées par le WVHA. Pour montrer comment fonctionnait ce WVHA, j’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-2189, que je dépose comme preuve sous le nº USA-460. C’est un ordre donné aux commandants des camps de concentration le 11 août 1942, portant la signature en fac-similé – cette indication ne figure pas sur la traduction mais seulement sur l’original – de Gluecks, SS Brigadeführer et général des Waffen SS, chef du Bureau du Groupe D du WVHA. C’est le document PS-2189. Je vous lis le texte de cette lettre :

« Le Reichsführer SS et chef de la Police allemande a ordonné que les châtiments corporels soient administrés dans les camps de femmes par des prisonniers, sous la surveillance prévue. En accord avec cet ordre, le chef de l’Office principal économique et administratif des SS, le SS Obergruppenführer et général des Waffen SS Pohl, a ordonné que, dès maintenant, les châtiments corporels soient également administrés par des prisonniers dans les camps d’hommes. Il est défendu de faire administrer des châtiments corporels aux prisonniers allemands par des prisonniers étrangers. »

Même après leur mort, les prisonniers ne pouvaient échapper au WVHA. Je cite le document PS-2199, lettre adressée aux commandants des camps de concentration, en date du 12 septembre 1942, signée par le chef du Bureau central du Groupe D du WVHA, le SS Obersturmbannführer Liebehenschel. Je le dépose sous le nº USA-461. Je vais lire le texte de cette directive, à la page 1 de la traduction du document PS-2199. Je cite :

« Selon une communication du chef de la Police de sûreté et du SD et conformément à un rapport du chef de la Police de sûreté et du SD à Prague, des urnes contenant les cendres de Tchèques et de Juifs décédés ont été envoyées à leurs cimetières respectifs, dans le Protectorat, pour y être ensevelies.

« En raison des incidents auxquels cette pratique a donné lieu dans les Protectorats (manifestations, apposition de mentions désobligeantes pour le Reich sur les urnes des internés décédés placées dans les chapelles des cimetières des communautés locales, pèlerinages aux tombes des décédés, etc.), la remise des urnes contenant les cendres de nationaux du Protectorat et de Juifs est dorénavant interdite. Les urnes seront conservées dans les camps de concentration. En cas de doute sur la conservation de ces urnes, des instructions verbales seront données par nos services. »

Les SS considéraient les internés des camps de concentration comme leur propriété personnelle qu’ils pouvaient utiliser pour en tirer profit. Le Tribunal se souvient que, dès 1942, l’accusé Speer reconnaissait que les SS étaient poussés par l’appât du gain quand il suggéra à Hitler que les SS pourraient recevoir une part de l’équipement de guerre fabriqué dans les camps de concentration, au prorata des heures de travail des internés. Je me réfère à notre document R-124, à la page 36, qui a déjà été déposé par M. Dodd sous le nº USA-179. Le Führer accepta qu’une part de 3 à 5 % fût accordée aux commandants SS. Himmler lui-même reconnut franchement son intention de tirer profit des camps de concentration pour les besoins des SS dans son discours aux officiers de la Leibstandarte SS « Adolf Hitler » ; c’est notre document USA-304. Le passage en question se trouve en haut de la page 3 dans la traduction anglaise et à la page 10 du document original en allemand, sept lignes avant la fin de la page. Le passage commence comme suit :

« Le programme de construction d’habitations, qui est la première condition pour un établissement social et sain des SS ainsi que de tout le Führerkorps, ne peut être poursuivi que si j’obtiens l’argent nécessaire. Personne ne me donnera cet argent. Il faut le gagner et on le gagnera en forçant ce rebut de l’humanité, ces prisonniers et criminels professionnels, à fournir un travail positif. L’homme qui garde des prisonniers a un travail tout aussi dur que le soldat à l’exercice. Celui qui fait ce travail et qui est en contact avec ces gens absolument négatifs apprendra tout ce qui est nécessaire en trois ou quatre mois. Nous le verrons bien. En temps de paix, je formerai des bataillons de garde qui ne seront employés que pendant trois mois pour combattre ces êtres inférieurs ; ce ne sera pas une garde ennuyeuse mais, si les officiers savent s’y prendre, ce sera le meilleur enseignement sur les races et les êtres inférieurs. Cette activité est nécessaire premièrement, comme je l’ai dit, pour éliminer du peuple allemand ces êtres négatifs ; deuxièmement, pour les exploiter encore une fois au profit de la grande communauté du peuple, en leur faisant casser des cailloux et cuire des briques pour que le Führer puisse reprendre ses grandes constructions ; troisièmement, pour placer cet argent, gagné rationnellement par ce moyen, dans des maisons, des terrains et des bâtiments, pour que nos hommes puissent avoir des maisons dans lesquelles ils élèveront de grandes familles et beaucoup d’enfants. Voilà aussi qui est nécessaire, car c’est par ce sang de la race allemande des seigneurs que nous tiendrons ou que nous mourrons, et si ce bon sang ne se reproduit pas, nous ne pourrons régner sur le monde. »

Il faut encore mentionner un dernier aspect du contrôle SS sur les camps de concentration : c’est la direction du programme d’expériences biologiques sur des êtres humains qui furent réalisées dans ces camps. Il y a quelques jours, un autre tribunal militaire a jugé quelques individus qui avaient participé à ces expériences à Dachau.

LE PRÉSIDENT

Le document que vous venez de lire n’a-t-il pas de date ?

COMMANDANT FARR

Non. Il ne semble pas avoir de date dans la traduction anglaise. Le document original porte l’annotation : « Discours prononcé en avril 1943 ».

Des preuves détaillées relatives à ce programme d’expériences seront présentées à une phase ultérieure de ce Procès. Mon intention n’est pas de m’occuper de la nature de ces expériences : je vais seulement montrer qu’elles résultaient d’ordres donnés par les SS et que les SS ont joué un rôle essentiel dans l’exécution de ces ordres.

L’origine de ce programme semble avoir été la demande adressée par le Dr Sigmund Rascher à Himmler pour obtenir l’autorisation d’utiliser des internés des camps de concentration, en vue d’effectuer ses expériences sur des êtres humains, en corrélation avec les recherches qu’il faisait pour la Luftwaffe. Je me réfère au document PS-1602, photocopie d’une lettre du 15 mai 1941, adressée au Reichsführer SS et signée : « S. Rascher ». Je le dépose sous le nº USA-454. Je vais lire le deuxième paragraphe de la traduction (quatrième paragraphe dans l’original) :

« Pour l’instant, j’ai été désigné pour faire un cours d’instruction médicale au Luftgaukommando VII à Munich. La plupart de ces conférences portent sur les recherches sur les vols à haute altitude (déterminées par le plafond légèrement supérieur des avions de combat anglais). J’ai constaté avec regret qu’aucune expérience sur du matériel humain n’avait pu encore être mise sur pied chez nous, du fait que les essais sont très dangereux et qu’il ne se présente aucun volontaire. Je pose de ce fait très sérieusement la question : y a-t-il possibilité d’obtenir de vous que soient mis à notre disposition deux ou trois criminels de profession ? Les expériences seraient conduites à la “Bodenständige Prüfstelle für Höhenforschung der Luftwaffe” à Munich. Ces essais, au cours desquels, comme il va de soi, les sujets d’expériences peuvent trouver la mort, seraient poursuivis avec ma collaboration. Ils sont absolument indispensables aux expériences sur les vols à haute altitude et ne peuvent être poursuivis comme il avait été tenté jusque-là, sur des singes, qui ont des réactions tout à fait différentes.

« J’ai eu une conversation strictement confidentielle avec le représentant du médecin-chef de la Luftwaffe, qui poursuit ces expériences. Il pense, comme moi, que les problèmes en question ne peuvent être résolus que sur le terrain des expériences sur l’homme. Des faibles d’esprit peuvent également être utilisés comme sujets d’expérience. »

Le Dr Rascher reçut bientôt des SS l’assurance qu’on lui permettrait d’utiliser pour ses expériences des internés des camps de concentration. Je me réfère à notre document PS-1582 ; c’est une lettre datée du 22 mai 1941 et adressée au Dr Rascher ; elle porte le cachet de l’État-Major personnel du Reichsführer SS et les initiales « K.Br. », initiales du SS Sturmbannführer Karl Brandt. Je dépose ce document sous le nº USA-462. Je cite les deux premiers paragraphes de cette lettre :

« Cher Dr Rascher. Peu avant de s’envoler pour Oslo, le Reichsführer SS m’a remis votre lettre du 15 mai 1941 pour que j’y réponde partiellement. Je puis vous dire que nous serons naturellement très heureux de mettre à votre disposition des prisonniers pour les recherches sur les vols à haute altitude. J’ai fait savoir au chef de la Police de sûreté que le Reichsführer SS avait donné son assentiment et lui ai demandé que le fonctionnaire intéressé se mît en relation avec vous. »

Les expériences de haute altitude furent poursuivies par Rascher et, en mai 1942, le Generalfeldmarschall Milch, au nom de la Luftwaffe, remercia les SS pour l’aide qu’ils avaient apportée à ces expériences. Je me réfère à notre document PS-343, qui se trouve au volume I du livre de documents. Je le dépose sous le nº 463. C’est une lettre du 20 mai 1942, adressée au SS Obergruppenführer Wolff et signée E. Milch. Cette lettre figure à la page 2 de la traduction et à la page 1 du document original allemand :

« Mon cher Wolff, – le texte allemand porte “Liebes Wölffchen !”

« En réponse à votre télégramme du 12 mai, notre inspecteur sanitaire m’a fait savoir que les expériences de haute altitude poursuivies par les SS et la Luftwaffe à Dachau sont terminées. Il n’y a, semble-t-il, aucune raison de poursuivre ces expériences. Néanmoins il serait important de réaliser des expériences d’un autre genre, sur les périls en haute mer. Tout a été préparé par un accord direct avec les bureaux intéressés. Le médecin-commandant Weltz sera chargé de l’exécution et le médecin-capitaine Rascher sera mis en disponibilité jusqu’à nouvel ordre, tout en conservant ses fonctions dans le service sanitaire de la Luftwaffe.

« Il ne semble pas nécessaire de modifier ces mesures, et l’on considère qu’il n’est pas urgent, pour le moment, de donner à ces travaux une plus grande extension. La chambre de basse pression ne sera pas nécessaire pour les expériences à basse température. Elle est requise d’urgence ailleurs et par conséquent ne peut rester plus longtemps à Dachau. J’adresse les remerciements tout particuliers du commandant en chef de la Luftwaffe aux SS pour leur large coopération.

« Avec mes meilleurs vœux et en bonne camaraderie. Heil Hitler ! Toujours à vous.

« Signé : E. Milch. »

LE PRÉSIDENT

Commandant Farr, vous devriez peut-être lire la lettre qui se trouve à la page précédente. Elle peut donner lieu à un commentaire.

COMMANDANT FARR

La lettre de la page précédente datée du 31 août 1942 est adressée par le Generalfeldmarschall Milch au Reichsführer SS. Je la lis :

« Cher Monsieur Himmler. Je vous remercie beaucoup de votre lettre du 25 août. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les rapports du Dr Rascher et du Dr Romberg. J’ai été informé des expériences en cours. Je demanderai bientôt à ces deux messieurs de venir faire devant mes hommes une conférence avec projections cinématographiques. Dans l’espoir qu’il me sera bientôt possible de vous rencontrer à ma prochaine visite au Quartier Général, je vous adresse mes meilleures amitiés. Heil Hitler ! Votre E. Milch. »

Une fois ces expériences de haute altitude terminées, le Dr Rascher fit des expériences sur les méthodes à employer pour réchauffer des gens qui avaient été soumis à un froid extrême. Je cite notre document PS-1618, compte rendu des expériences de refroidissement intense qui eurent lieu à Dachau le 15 août 1942. Ce compte rendu, signé par le Dr Rascher, est déposé comme preuve sous le nº USA-464. Je n’en lirai que quelques phrases, à partir du premier paragraphe.

« Processus de l’expérience. Les sujets d’expérience (VP) étaient mis dans l’eau vêtus d’un uniforme de vol complet, tenue d’été ou d’hiver et avec le casque d’aviateur. Une bouée de sauvetage en caoutchouc ou en kapok les empêchait de couler. Ces expériences furent poursuivies à des températures variant de 2,5 à 12 degrés. Dans une série d’expériences, l’occiput (le bulbe rachidien) était au-dessus de l’eau, tandis que dans d’autres séries d’expériences, l’occiput (le bulbe) et la partie postérieure de la boîte crânienne étaient immergés. Les appareils électriques ont donné les températures suivantes : 26,4 degrés à l’estomac et 26,5 degrés au rectum. La mort ne se produisait que lorsque le bulbe et l’arrière de la tête étaient aussi refroidis. Les autopsies pratiquées ont révélé une grande quantité de sang non coagulé, allant jusqu’à un demi-litre, dans la boîte crânienne. Le cœur montrait invariablement une extrême dilatation du ventricule droit. Aussitôt que la température atteignait 28°, les sujets d’expériences (VP) mouraient invariablement, en dépit de tous les efforts faits pour les ranimer. »

Je passe maintenant au dernier paragraphe du compte rendu :

« En essayant de sauver les sujets soumis à des expériences de refroidissement, on s’est aperçu qu’un réchauffement rapide était toujours préférable au réchauffement lent, car, lorsque les sujets étaient retirés de l’eau froide, la température du corps continuait à descendre rapidement. Je crois que pour cette raison nous pouvons renoncer aux essais de réchauffement des sujets par la chaleur animale. Le réchauffement par la chaleur animale – corps d’animaux ou de femmes – serait beaucoup trop lent. »

Bien que Rascher fût opposé à l’idée du réchauffement des corps refroidis par des corps de femmes, comme étant un réchauffement trop lent, on mit malgré tout à sa disposition les moyens de poursuivre ces expériences. Je me réfère à notre document PS-1583, photocopie d’une lettre du Reichsführer SS Himmler au général Pohl et datée du 16 novembre 1942. Je le dépose sous le nº USA-465. Je vais lire les deux premiers paragraphes de cette lettre :

« Mon cher Pohl. J’ai été frappé, au cours de ma visite à Dachau, le 13 novembre 1942, par les expériences poursuivies pour sauver la vie des gens exposés dans la glace, la neige ou l’eau, et qui doivent être sauvés par toutes les méthodes et tous les moyens possibles. J’avais ordonné que des femmes propres à être soumises à ces expériences fussent réservées dans le camp de concentration pour ces expériences de “réchauffement” des corps refroidis. Quatre filles ont été choisies ; elles étaient dans le camp de concentration à cause de leurs mœurs licencieuses, et parce que, en tant que prostituées, elles constituaient un danger de contamination. »

Je crois qu’il ne m’est pas nécessaire de lire la suite du paragraphe, dans laquelle il exprime son mécontentement qu’une prostituée allemande soit utilisée à ces fins.

Pour que Rascher puisse poursuivre ses expériences, Himmler prit les mesures nécessaires pour qu’il fût muté aux Waffen SS. Je dépose comme preuve notre document PS-1617 ; c’est une lettre du Reichsführer SS, adressée à son « cher camarade Milch » – le Generalfeldmarschall Milch – et datée de novembre 1942. Je dépose ce document sous le nº USA-466. Je vais lire les deux premiers paragraphes de cette lettre (document PS-1617) :

« Mon cher camarade Milch. Vous vous souvenez que, par l’intermédiaire du SS Obergruppenführer Wolff, j’ai particulièrement attiré votre attention sur les travaux d’un SS Führer, le Dr Rascher, qui est médecin dans l’aviation, actuellement en congé. Ses recherches sur le comportement de l’organisme humain à haute altitude, ainsi que les réactions des corps humains au refroidissement prolongé dans l’eau et autres problèmes du même genre, qui sont d’une importance vitale, en particulier pour l’aviation, peuvent être poursuivies chez nous avec efficacité, car je prends personnellement la responsabilité de fournir pour ces expériences des individus asociaux et des criminels qui ne méritent que la mort, et qui seront pris dans les camps de concentration. »

Je passe les quatre paragraphes suivants, dans lesquels Himmler parle des difficultés qui sont soulevées par ces expériences, les milieux médicaux chrétiens s’y opposant, et j’en viens au dernier paragraphe de la première page de la traduction (septième paragraphe de la lettre) :

« Je vous demande de vous priver du Dr Rascher, médecin-capitaine de réserve, et de le muter aux Waffen SS. J’aurai ainsi toute la responsabilité de la poursuite des expériences dans ce domaine et je ne manquerai pas de mettre à la disposition de la Luftwaffe les résultats obtenus, dont nous n’utilisons, dans les SS, que ce qui concerne les accidents causés à l’Est par le froid. Néanmoins, à ce sujet, je suggère qu’on prenne, pour établir la liaison entre vous-même et Wolff, un médecin non chrétien qui devrait être à la fois un savant honorable et un homme sans curiosité intellectuelle exagérée, et qui pourrait être tenu au courant du résultat des expériences. Ce médecin devrait être en bons rapports avec les autorités administratives, pour que les résultats soient vraiment pris en considération. Je crois que la solution qui consiste à transférer le Dr Rascher aux SS, pour qu’il poursuive ses expériences sous ma responsabilité et sous mes ordres, est vraiment la meilleure. Ces expériences ne doivent pas être arrêtées ; nous devons cela à nos hommes. Si le Dr Rascher restait dans l’aviation, cela entraînerait certainement beaucoup d’ennuis ; il me faudrait vous donner une série de détails déplaisants par suite de l’arrogance et de la suffisance dont a fait preuve, dans son poste à Dachau, le professeur Dr Holzloehner qui, bien que sous mes ordres, a fait des observations à mon sujet au SS Standartenführer Sievers. Pour nous éviter à tous les deux cet ennui, je suggère encore une fois que le Dr Rascher soit muté aux Waffen SS le plus rapidement possible. »

LE PRÉSIDENT

Cette lettre est-elle de Himmler ?

COMMANDANT FARR

Oui, Monsieur le Président.

Or les expériences de Rascher étaient loin d’être les seules auxquelles s’intéressaient les SS. Sans essayer même de tracer un schéma du programme expérimental dans toute son étendue, je donnerai une autre illustration de ce genre d’activité des SS. Je me réfère à notre document L-103, compte rendu préparé par le chef du département de l’Hygiène au service médical général des SS et de la Police, et daté du 12 septembre 1944. Je le dépose sous le nº USA-467. Je voudrais, au passage, vous faire remarquer que le service médical des SS et de la Police se trouve dans les services de l’État-Major, comme on peut le voir à la seconde case à droite de la ligne descendant de l’État-Major personnel.

Je vais lire quelques paragraphes de ce document, qui est un compte rendu préparé par le chef du département de l’Hygiène du service médical général des SS et de la Police, et signé par le SS Oberführer Dr. Mrugowsky. Il relate des expériences faites avec des balles empoisonnées. Je cite à partir du premier paragraphe :

« Le 11 septembre 1944, en présence du SS Sturmbannführer Dr Ding, du Dr Widmann et du soussigné, furent réalisées des expériences avec des balles au nitrate d’aconitine sur cinq condamnés à mort. Le calibre des balles était de 7,65 mm et elles étaient remplies de poison en cristaux. Chaque sujet reçut un coup dans la partie supérieure de la cuisse gauche, alors qu’il était couché. Pour deux d’entre eux, les balles traversèrent nettement la partie supérieure de la cuisse. Même plus tard, on ne releva aucune trace de poison. On rejeta ces deux sujets. »

Je ne lis pas les phrases suivantes et je passe au deuxième paragraphe de ce compte rendu :

« Les symptômes des trois condamnés étaient étonnamment identiques. D’abord, aucune observation spéciale. Après 20 ou 25 minutes, troubles des nerfs moteurs avec léger écoulement de salive, mais les deux phénomènes cessent bientôt. Après 40 ou 44 minutes, l’écoulement de salive reprend plus fort. Les sujets empoisonnés avalent fréquemment, puis l’écoulement de salive devient tellement important que les sujets ne peuvent plus l’avaler. Une salive écumante sort de leur bouche. Puis ils éprouvent une sensation d’étranglement et de vomissement. »

Les trois paragraphes suivants décrivent d’une manière froidement scientifique les réactions des mourants. La description continue encore ; je vais citer les deux paragraphes avant la conclusion ; c’est le dernier paragraphe de la page 1 dans la traduction, le sixième paragraphe du rapport :

« Ils ont en même temps de violentes nausées. L’un des sujets empoisonnés essaye en vain de vomir. Pour y réussir, il enfonce dans sa bouche quatre doigts jusqu’à l’articulation principale. Malgré tout, il ne peut vomir. Son visage devient tout rouge. Les deux autres sujets étaient très pâles dès le début, mais les autres symptômes sont identiques. Plus tard, les troubles moteurs s’amplifient à un tel point que les sujets se jettent à terre et se relèvent, roulent les yeux et font des mouvements désordonnés des bras et des mains. À la fin, ces troubles cessent, les pupilles s’agrandissent au maximum et les condamnés restent tranquilles. On observe, sur un des sujets, une crampe du masséter et une perte d’urine. La mort est intervenue 121, 123 et 129 minutes après la blessure. »

Le fait que des médecins SS se soient prêtés à de telles expériences n’était pas accidentel. C’était conforme à l’idéologie et à la philosophie raciales qui, d’après les propres termes de Himmler, considéraient les êtres humains comme des poux et des déchets. Mais le facteur le plus important était que les SS seuls avaient la possibilité de se procurer le matériel humain nécessaire. Ce matériel était fourni par l’intermédiaire du WVHA. Je me réfère à notre document PS-1751, lettre du chef du service du groupe D du WVHA, datée du 12 mai 1944. Je le dépose sous le nº USA-468. Je cite cette lettre, qui se trouve à la dernière page du document original :

« Il y a lieu d’attirer l’attention sur le fait que, dans chaque cas, il faut demander ici une autorisation pour obtenir l’attribution de prisonniers en vue d’expériences. Il faut indiquer, dans cette demande, le matricule du prisonnier, le régime de détention et, pour les prisonniers aryens, l’état civil exact, le numéro d’enregistrement à l’Office principal de Sécurité du Reich et la raison de la détention dans le camp de concentration.

« En conséquence, j’interdis formellement d’affecter sans autorisation des prisonniers à des expériences. »

La traduction indique que la signature est illisible, mais, d’après l’original, ce doit être celle de Glücks, étant donné qu’il était le chef du groupe D du WVHA. C’est parce qu’il comptait sur la fourniture d’un semblable matériel que le ministère des Finances acceptait de financer le programme d’expériences des SS. Je dépose comme preuve une série de lettres échangées entre le ministère des Finances, le Conseil des recherches du Reich et le service médical général des SS et de la Police. C’est notre document PS-002 que je dépose sous le nº USA-469. La première lettre que je vais citer figure à la page 4 de ce document PS-002 ; elle émane de la Commission exécutive du Conseil des recherches du Reich, et est adressée au service médical général des SS et de la Police. Elle est datée du 19 février 1943. Je cite les trois premiers paragraphes de cette lettre :

« Le ministre des Finances du Reich m’a dit que vous demandiez 53 postes de direction pour votre service, entre autres pour un nouvel institut de recherches.

« Ayant, en sa qualité de président du Conseil des recherches du Reich pris sous sa responsabilité toutes les recherches allemandes, le Reichsmarschall du Grand Reich a donné, en particulier, les directives suivantes : pour la réalisation des importantes expériences scientifiques d’intérêt militaire, utiliser au maximum le personnel et les équipements existants, afin d’éviter un gaspillage des efforts.

« La question de la fondation de nouveaux instituts ne se pose que dans la mesure où n’existent pas d’établissements de cette nature spécialisés dans les recherches importantes entraînées par la guerre. »

Je passe sur le reste de cette lettre.

Le chef du Service médical général des SS et de la Police répondit à cette lettre le 26 février 1943. Cette réponse se trouve à la page 2 de la traduction anglaise. C’est une lettre du chef du service médical des SS et de la Police, au chef de la Commission exécutive du Conseil des recherches du Reich datée du 26 février 1943. J’en cite les trois premiers paragraphes :

« Monsieur le Directeur,

« Comme suite à votre lettre du 19 février 1943, je suis en mesure de vous donner aujourd’hui la réponse suivante : l’affectation de 53 postes de direction dans mon service, sur laquelle porte votre mémorandum était un véritable projet de paix.

« Les instituts spéciaux des SS, auxquels est destinée une partie de ces affectations, auront pour tâche d’établir et de rendre accessible à tous les domaines de la recherche scientifique les conditions d’expérience particulièrement favorables qui ne sont à la disposition que des seuls SS ».

Je passe les deux paragraphes suivants et continue :

« Je me mets à votre disposition à n’importe quel moment pour discuter les buts de recherches particuliers dans le cadre de l’activité des SS, que j’aimerais poursuivre après la guerre sur l’invitation du Reichsführer SS. »

Il y eut une entrevue entre le chef du service médical et Mentzel, qui avait écrit la lettre originale et le 25 mars 1943, Mentzel écrivit au ministre des Finances du Reich la lettre qui figure à la page 1 de la traduction. C’est une lettre du président du Conseil des recherches du Reich, chef de la Commission exécutive au ministère des Finances du Reich, en date du 25 mars 1943 ; elle commence :

« En ce qui concerne votre lettre du 19 décembre » – suit la référence de cette lettre – « à laquelle je vous ai donné une réponse préliminaire le 19 février, je prends finalement la position suivante :

« Le chef du service médical général des SS et de la Police m’a dit, au cours d’un entretien privé, que les demandes d’ordonnancement dont il s’occupait étaient principalement destinées au secteur purement militaire des Waffen SS. Ayant été établies sur une plus petite échelle, afin de permettre l’élargissement du champ d’action de la recherche scientifique, elles portent exclusivement sur les expériences qui ne peuvent être réalisées qu’avec le matériel humain fourni par les prisonniers, lequel n’est accessible qu’aux Waffen SS, et ne doivent par conséquent dépendre d’aucun autre service. Je ne puis donc élever d’objections pour le compte du Conseil des recherches du Reich contre les demandes d’ordonnancement du Service médical général des SS et de la Police. »

La lettre est signée : « Mentzel, directeur. »

C’est parce que les SS avaient la possibilité de fournir le matériel pour ce programme d’expériences qu’ils se chargèrent des recherches dans ce domaine.

LE PRÉSIDENT

La lettre de la page 4 signifie-t-elle que l’accusé Göring était président du Conseil des recherches du Reich ?

COMMANDANT FARR

Page 4 dans la traduction ? Je pense que oui. Cette lettre indique que Göring avait établi un règlement selon lequel il ne devait pas y avoir, pendant la guerre, deux organisations différentes s’occupant des recherches. Le Conseil des recherches dont le ministère des Finances avait sollicité l’opinion, avait donc demandé au service médical général pourquoi il voulait poursuivre ce programme d’expériences.

LE PRÉSIDENT

Je vous demandais seulement si le Président du Conseil des recherches du Reich était l’accusé Göring ?

COMMANDANT FARR

C’est ce que dit la lettre. Je crois qu’il l’était en effet.

LE PRÉSIDENT

Que signifient alors les mots « Président du Conseil des recherches du Reich » à la page 1. Est-ce que cela veut dire que la lettre était adressée à l’accusé Göring ?

COMMANDANT FARR

Non, l’en-tête porte : « Le Président du Conseil des recherches du Reich » et la lettre provient d’un département de ce conseil, à savoir le chef de la commission exécutive. La lettre était adressée au ministre des Finances du Reich.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

COMMANDANT FARR

J’ai terminé la présentation de l’exposé sur les camps de concentration.

LE PRÉSIDENT

Nous pouvons maintenant suspendre l’audience pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
LE PRÉSIDENT

Il faut que j’indique dès maintenant que le Tribunal lèvera aujourd’hui l’audience à 16 heures.

COMMANDANT FARR

Par son activité dans les camps de concentration, l’organisation des SS accomplissait une partie de sa mission qui était de sauvegarder la sécurité du régime nazi. Mais il ne faut pas oublier un autre aspect spécial de cette mission. Le Tribunal se souvient de la définition donnée par Himmler de cette tâche – définition que j’ai déjà citée – empêcher une révolution des êtres inférieurs judéo-bolcheviques, en d’autres termes, participer au programme nazi de persécution et d’extermination des Juifs.

Il me serait inutile de mentionner encore une fois en détail les preuves relatives à ce programme, que le Tribunal a déjà entendues il y a un ou deux jours lorsqu’elles furent exposées par le commandant Walsh. Mais je désire attirer l’attention du Tribunal sur quelques documents qui montrent comment le programme intéressait tous les organismes et tous les éléments des SS.

La philosophie raciale des SS, dont j’ai parlé au début de cet exposé, faisait de cette organisation l’agent d’exécution naturel de tous les genres de mesures antisémites. La position des SS sur la question juive fut exposée publiquement dans le journal des SS Das Schwarze Korps du 8 août 1940, par son rédacteur en chef Gunter d’Alquen. Cette déclaration a déjà été lue et déposée sous le nº USA-269. C’est notre document PS-2668. Je ne relirai pas ce texte dans lequel d’Alquen déclare que la question juive ne sera pas réglée avant la déportation du dernier Juif et que la paix allemande attendue par l’Europe doit être une paix sans Juifs.

La solution de la question juive par des démonstrations « spontanées » en Allemagne, après le meurtre de vom Rath, en novembre 1938, a déjà été exposée devant le Tribunal. Toutes les branches des SS étaient appelées à y jouer un rôle. Je me réfère au message par télétype que le SS Gruppenführer Heydrich, chef de la Police de sûreté et du SD, lança le 10 novembre 1938. C’est notre document PS-3051. Des extraits de cette lettre ont déjà été lus et déposés sous le nº USA-240. Je désire cependant en lire un paragraphe qui n’a pas encore été mentionné, c’est le quatrième paragraphe de la page 2 de la traduction. Je cite :

« La direction des mesures prises par la Police de sûreté, à propos des manifestations anti-juives est confiée aux organismes de la police d’État – c’est-à-dire la Gestapo – dans la mesure où les inspecteurs de la Police de sûreté ne donnent pas leurs propres directives. L’exécution des mesures de la Police de sûreté pourra être confiée aux fonctionnaires de la Police criminelle, aux membres du SD, des Verfügungstruppen et des Allgemeine SS. »

Avec le déclenchement de la guerre et la marche des armées nazies à travers l’Europe, les SS participèrent à cette solution de la question juive dans tous les pays d’Europe. Cette « solution » n’était rien d’autre que l’extermination. La plupart des massacres furent camouflés sous le nom d’actions « contre les partisans » ou « contre les guérillas », et c’est ainsi que non seulement des Juifs, mais des citoyens soviétiques, polonais ou appartenant à d’autres nationalités de l’Europe orientale en furent les victimes.

Je traiterai d’ici quelques instants de cette activité, mais pour le moment, je voudrais mentionner quelques actions strictement limitées aux Juifs. C’est, par exemple, l’extermination en masse des Juifs dans des fourgons à gaz que décrit notre document PS-501, déjà déposé par le commandant Walsh sous le nº USA-288. Je ne pense pas que ce document figure dans le livre de documents, car je n’ai pas l’intention d’en lire des extraits, mais je désire simplement faire remarquer que ces fourgons, comme il ressort de ces lettres, étaient utilisés par la Police de sûreté et le SD, sous la direction du RSHA. Pour prendre un autre exemple, voici le rapport intitulé « solution de la question juive en Galicie », document L-18, préparé par le SS Gruppenführer et Generalleutnant de la Police, Katzmann et adressé au SS Obergruppenführer et général de la Police, Krüger. Ce rapport a déjà été déposé au dossier sous le nº USA-277. Le Tribunal se souvient que la solution qui consistait à évacuer et à exterminer tous les Juifs de Galicie et à confisquer leurs biens, fut mise à exécution sous la direction énergique des chefs des SS et de la Police, avec l’aide d’unités de Police SS. Je désirerais attirer l’attention sur trois points de ce rapport qui n’ont pas encore été mentionnés. Le premier est le texte commentant une photographie qui figure à la page 3 de la traduction, et à la page 3 (a) du rapport original. C’est le premier point de la page 3 de la traduction. Je cite :

« Les SS manifestèrent leur joie lorsqu’en 1942, le Reichsführer SS en personne visita quelques camps le long de la Rollbahn. »

Le deuxième est un bilan qui figure à la page 11 de la traduction, page 17 du rapport. Je lis :

« 3. Sommes versées à la caisse des SS : a) camps : 6.867.251,00 zlotys ; b) usines d’armement : 6.556.513,69 zlotys ; total : 13.423.764,69 zlotys.

« D’autres versements à la caisse des SS ont été faits chaque mois. »

Le troisième point que je désire vous signaler est exposé dans les deux derniers paragraphes du rapport, page 20 de la traduction et page 64 de l’original :

« Malgré la très lourde tâche imposée à chaque officier de police SS au cours de ces actions, le moral des hommes est resté excellent et admirable du premier au dernier jour. Ce n’est que grâce au sens du devoir de chaque chef et de chaque homme que nous avons réussi à nous débarrasser de cette peste en un si court délai. »

Le dernier exemple de la participation des SS à l’extermination des Juifs sur lequel je désire attirer l’attention du Tribunal est le rapport infâme du SS Brigadeführer et Generalmajor de la Police Stroop sur la destruction du ghetto de Varsovie. C’est notre document PS-1061. Ce rapport a déjà été déposé par le commandant Walsh sous le nº USA-275, et le Tribunal a déclaré qu’il l’admettait en entier comme preuve, sans qu’il soit nécessaire de le lire intégralement.

Je n’en lirai donc pas d’autres passages, mais je désire cependant souligner particulièrement deux parties qui donnent la composition des forces qui participèrent à cette épouvantable opération. À la page 1 de la traduction, figure un tableau des détachements utilisés.

LE PRÉSIDENT

Est-il ici ?

COMMANDANT FARR

C’est notre document PS-1061. Je voudrais attirer votre attention sur ce tableau des effectifs utilisés dans cette action, qui indique le nombre approximatif des officiers et des hommes de chaque détachement employés chaque jour. On peut observer que parmi les unités intéressées se trouvaient l’État-Major du chef des SS et de la Police, deux bataillons de Waffen SS, deux bataillons du 22e régiment de Police SS et des membres de la Police de sûreté. Le rôle joué par les Waffen SS leur valut des éloges particuliers de la part de l’auteur du rapport. Le Tribunal se souvient du passage cité par le commandant Walsh dans lequel il était question de l’allant des hommes des Waffen SS, de la Police et de la Wehrmacht ; l’auteur y déclarait : « Quand on pense que la majeure partie des Waffen SS n’avaient subi qu’un entraînement de trois ou quatre semaines avant le début de cette action, on doit admirer sans réserve la hardiesse, le courage et le dévouement dont ils firent preuve au cours de cette action. »

Le Tribunal a déjà entendu avec quelle fierté Himmler se glorifiait du rôle joué par les SS dans l’extermination des Juifs. C’est ce qui ressort de son discours de Posen, notre document PS-1919, qui a déjà été lu au cours de la présentation de l’exposé sur les camps de concentration et qui figure au procès-verbal des débats. Le passage auquel je me réfère se trouve au milieu de la page 4 de la traduction et à la page 66 de l’original. Étant donné que ce passage a déjà été lu, il ne m’est pas nécessaire de le citer à nouveau ; cependant, je désire faire remarquer au Tribunal le passage où Himmler déclare que seuls les SS étaient capables d’exécuter ce programme d’extermination des Juifs et que leur participation à ce programme constituait dans leur histoire, une page de gloire qui ne saurait jamais être suffisamment appréciée.

Je passe maintenant à la manière dont les SS ont participé au programme des guerres d’agression des conspirateurs et à leur responsabilité dans les crimes contre la Paix mentionnés dans l’Acte d’accusation. Depuis leur création, les SS ont toujours fourni une très importante contribution aux préparatifs d’agression des conspirateurs. Premièrement, elles formaient l’une des organisations para-militaires destinées à camoufler la reconstitution d’une armée en violation du Traité de Versailles. Deuxièmement, par les organisations SS affiliées dans les autres pays et par quelques services de leur Commandement suprême, les SS favorisèrent les mouvements de la Cinquième colonne à l’étranger et préparèrent la voie à l’agression. Troisièmement, par leurs unités militarisées, elles participèrent aux opérations d’agression qui suivirent.

Le Tribunal vient d’entendre l’exposé des preuves contre les SA, qui démontrent que, de 1933 à 1938, les SA furent militarisées et n’étaient en fait rien d’autre qu’une armée camouflée. Quelques-unes de ces preuves sont également valables pour les SS. Le caractère para-militaire des Allgemeine SS est manifeste. J’ai déjà décrit le caractère militaire de leur structure, la discipline militaire exigée de leurs membres, et les mesures prises pour enrôler dans leurs rangs les jeunes gens en âge de faire leur service militaire. En plus de cette armée volontaire, les SS créèrent, dès 1933, des unités de soldats de métier complètement armées. C’étaient la SS Verfügungstruppe et les détachements « Têtes-de-mort », dont j’ai déjà abondamment parlé.

Tout en faisant des SS une force militaire à l’intérieur de l’Allemagne, les conspirateurs les utilisaient aussi dans d’autres pays pour y poser les jalons d’une agression. Les preuves relatives aux préparatifs de la conquête de l’Autriche, présentées par M. Alderman, montrent le rôle joué par la SS Standarte 89 dans le meurtre de Dollfuss, et décrivent la plaque commémorative qui fut apposée comme tribut aux SS qui participèrent à cet assassinat. Je me réfère aux documents USA-59 et USA-60, nos documents L-273 et PS-2968 qui ont déjà été présentés par M. Alderman. Le Tribunal se souvient des événements de la nuit du 11 mars 1938, où les SS pénétrèrent dans Vienne et occupèrent tous les bâtiments gouvernementaux et tous les postes importants de la ville ; l’histoire en est exposée dans le document PS-812 (USA-61), rapport du Gauleiter Rainer qui a déjà été déposé comme preuve par M. Alderman, et dans le document PS-2949 (USA-76), rapport de la conversation téléphonique entre l’accusé Göring et Dombrowski, qui figure au procès-verbal des débats (Tome II, page 415).

La même tactique fut adoptée en Tchécoslovaquie. Les corps francs de Henlein jouèrent dans ce pays le rôle de Cinquième colonne qu’avaient joué en Autriche les SS autrichiens ; on les en récompensa en les plaçant sous la juridiction du Reichsführer SS, en septembre 1938. Je me réfère à notre document PS-388, qui a été déposé par M. Alderman sous le nº USA-26 (Tome III, page 96).

Les passages qui nous intéressent, sont les points 37 et 38 du dossier dit dossier Schmundt. En outre, le point 36 de ce dossier, que M. Alderman a lu pour qu’il figure au procès-verbal, montre que les SS avaient leurs propres détachements armés, quatre bataillons de « Totenkopf Verbände » qui opérèrent effectivement en Tchécoslovaquie avant la signature du pacte de Munich. Les préparatifs des SS pour l’agression en Tchécoslovaquie ne se limitèrent pas aux forces militaires. L’un des services du Commandement suprême des SS, la Volksdeutsche Mittelstelle, représenté sur le schéma par la troisième case à partir du sommet et à l’extrême droite, était le centre de l’activité de la Cinquième colonne. Le Tribunal se souviendra de l’entrevue secrète entre Hitler et Henlein de mars 1938, relatée dans les notes du ministère des Affaires étrangères allemand, document USA-95, au cours de laquelle fut fixée la ligne de conduite du Parti allemand des Sudètes. La Volksdeutsche Mittelstelle était représentée à cette réunion par le professeur Haushofer et par le SS Obergruppenführer Lorenz. Et quand le ministère des Affaires étrangères, en août 1938, accorda d’autres subsides au Parti allemand des Sudètes de Henlein, le mémorandum qui recommandait de fournir ces nouveaux subsides contenait une note marginale significative : « La Volksdeutsche Mittelstelle devra être informée. »

Je me réfère au document PS-3059 (USA-96) qui a été lu par M. Alderman et qui figure au procès-verbal (Tome III, page 85). Quand vint enfin l’heure de l’action, les SS étaient prêtes. Je cite un extrait de l’Annuaire national-socialiste de 1940, qui constitue notre document PS-2164 (USA-255), page 1, paragraphe 2 de la traduction, page 365 de l’original, paragraphe 3 :

« Quand commença l’entrée dans les provinces libérées des Sudètes, en ce jour mémorable du 1er octobre 1938, les Verfügungstruppe, comme les Totenkopf Verbände, se trouvaient en tête. »

Je saute la seconde partie du paragraphe et continue au paragraphe suivant :

« Le 15 mars 1939, on utilisa les SS d’une manière semblable, pour le rétablissement de l’ordre en Tchécoslovaquie qui s’écroulait. Cette opération se termina par la fondation du Protectorat de Bohême-Moravie. Une semaine plus tard seulement, le 22 mars 1939, Memel revint également au Reich en vertu d’un accord avec la Lituanie. Ce furent encore les SS, et ici surtout les SS de Prusse Orientale, qui jouèrent un rôle éminent dans la libération de ce territoire. »

Au cours du dernier acte du déclenchement de la guerre – l’attaque contre la Pologne en septembre 1939 – les SS jouèrent le rôle de metteurs en scène : le Tribunal se souviendra de la déposition à l’audience d’Erwin Lahousen sur l’attaque simulée de la station de radio de Gleiwitz par des Allemands revêtus d’uniformes polonais, opération mentionnée par Lahousen comme l’une des plus mystérieuses qu’ait exécutée l’Abwehr. Décrivant la tâche qui lui incombait, en l’occurrence rassembler des uniformes et des équipements polonais, il déclara au procès-verbal (Tome II, page 448) :

« Ces pièces d’équipement devaient être préparées ; un jour, un homme des SS ou du SD – le terme se trouve dans le journal officiel de guerre de cette unité – vint les chercher. »

La guerre éclata et les « Waffen SS » reprirent leur place à l’avant-garde des forces attaquantes. Pendant la guerre, on se servit beaucoup des SS, non seulement en raison de leur valeur en tant que troupes de combat, mais aussi pour certaines qualités propres à cette organisation. Je considère maintenant quelques-unes des tâches qui furent confiées aux SS au cours de la guerre, tâches qui comprennent la préparation de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité, tels qu’ils sont décrits dans l’Acte d’accusation.

Le Tribunal a déjà reçu comme preuve notre document PS-447, déposé sous le nº USA-135. C’est une directive donnée par l’accusé Keitel le 13 mars 1941, concernant certains préparatifs réalisés trois mois avant l’attaque contre la Russie. Le paragraphe 2, b de cette directive, qui a déjà été lu pour qu’il figure au procès-verbal des débats, stipulait que, dans la zone d’opérations, le Reichsführer SS serait chargé de tâches spéciales pour préparer l’administration politique, tâches résultant de la lutte qui s’engagerait entre deux systèmes politiques opposés.

L’une des mesures prises par le Reichsführer SS pour exécuter ces « tâches spéciales » fut la formation et l’utilisation de « détachements anti-partisans ». Ces mesures furent présentées par Himmler dans son discours de Posen, document PS-1919, page 3, paragraphe 5 de la traduction, page 57 de l’original, dernier paragraphe. Je lirai ces deux paragraphes dans lesquels il parle des détachements anti-partisans :

« Entre-temps, j’ai créé également le poste de chef des détachements destinés à combattre les partisans. Notre camarade le SS Obergruppenführer von dem Bach est nommé chef de ces unités. Je considère qu’il est nécessaire pour le Reichsführer SS d’avoir pleine autorité dans la conduite de cette lutte, car je suis convaincu que nous sommes les plus capables de mener contre notre ennemi cette opération qui présente un caractère politique certain. Dans la mesure où des unités qui avaient été équipées et constituées en vue de cette action ne nous ont pas été retirées pour boucher des brèches sur le front, nos forces ont obtenu un plein succès.

« Il est à remarquer qu’en constituant ces détachements en divisions, corps d’armée et armée, nous avons atteint pour les SS un échelon supérieur, le commandement d’une armée ou d’un groupe d’armées, selon le nom que vous voudrez bien lui donner. »

Ce que les SS ont fait de ces divisions, corps d’armée et armée, formés de ces détachements de lutte contre les partisans, les rapports présentés sur l’activité de ces détachements l’illustrent bien. Je dépose comme preuve le rapport nº 6 sur la situation et l’activité des forces d’opérations de la Police de sûreté et du SD en URSS, pendant la période du 1er au 31 octobre 1941. C’est notre document R-102, que vous trouverez au volume II du livre de documents (document USA-470). Ce rapport montre que cette soi-disant « activité anti-partisane » n’était rien d’autre que le terme désignant l’extermination des personnes soupçonnées d’être politiquement indésirables et des Juifs. Il donne une description soigneusement détaillée de cette extermination. La section I énumère les lieux de stationnement des différentes unités d’opérations et la section II leurs activités. La dernière section est divisée en plusieurs parties, chacune traitant d’une région géographique différente : territoire de la Baltique, Ruthénie blanche et Ukraine.

Pour chaque zone, le rapport des activités est classé sous trois rubriques : a) Activités partisanes et répression ; b) Arrestation et exécution de communistes et de fonctionnaires ; c) Juifs. Je ne lirai que quelques paragraphes caractéristiques pris à peu près au hasard. Je cite d’abord, pour montrer les unités engagées, les deuxième et troisième paragraphes de la page 4 de la traduction, qui se trouvent à la page 1 de l’original :

« Les lieux de stationnement actuels sont : Einsatzgruppe A : depuis le 7 octobre 1941, Krasnowardeisk ; Einsatzgruppe B : reste à Smolensk ; Einsatzgruppe C : depuis le 27 septembre 1941, à Kiew ; Einsatzgruppe D : depuis le 27 septembre 1941, à Nikolaïew.

« Les commandos d’intervention et commandos spéciaux (Einsatz et Sonderkommandos) qui sont rattachés à ces Einsatzgruppen progressent avec les troupes dans les secteurs qui leur ont été assignés. »

Je vais lire maintenant un passage de la section intitulée « Territoire de la Baltique » au paragraphe « Juifs », qui commence au premier paragraphe de la page 5 de la traduction, page 8, deuxième paragraphe de l’original :

« Les Juifs mâles de plus de 16 ans furent exécutés, à l’exception des médecins et des vieillards. Cette opération continue encore en partie. Quand elle sera achevée, il ne restera que 500 femmes et enfants juifs dans les territoires de l’Est. »

Je saute maintenant à la subdivision « Activité partisane et répression » de la section intitulée « Ruthénie blanche ». Le paragraphe que je vais lire est à la page 6, paragraphe 5 dans la traduction, page 11, paragraphe 1 dans l’original.

« À Wultschina, huit jeunes gens furent arrêtés comme partisans et fusillés. C’étaient des pensionnaires d’un foyer d’enfants. Ils avaient ramassé des armes qu’ils cachaient dans les bois. Les recherches permirent de découvrirent trois mitrailleuses lourdes, quinze fusils, plusieurs milliers de balles, plusieurs grenades à main et plusieurs paquets de gaz Ebrit.

« b) Arrestation et exécution de communistes, de fonctionnaires et de criminels. Une plus grande part de l’activité de la Police de sûreté fut consacrée à la lutte contre les communistes et les criminels. Un commando spécial a exécuté, au cours de la période couverte par ce rapport, 63 fonctionnaires, agents du NKGB et agitateurs. »

Le paragraphe relatif à l’arrestation et à l’exécution de communistes, fonctionnaires et criminels en Ruthénie blanche se termine comme suit ; je lis page 6 dans la traduction, paragraphe 14 ; page 12 de l’original, paragraphe 5 :

« Les liquidations pour la période couverte par ce rapport atteignent un total de 37.180 personnes. »

Je voudrais enfin citer dans la section « Ukraine » un passage de la subdivision « Juifs ». Il se trouve au paragraphe 10 de la page 8 de la traduction, page 18 de l’original, avant-dernier paragraphe :

« À Jitomir, 3.145 Juifs ont dû être fusillés, l’expérience ayant prouvé qu’ils devaient être considérés comme les agents de transmission de la propagande bolchevique et comme des saboteurs. »

Ce rapport, le Tribunal s’en souviendra, traite de l’activité de quatre unités spéciales : A, B, C et D. Le rapport détaillé des activités de l’Einsatzgruppe A jusqu’au 15 octobre 1941, constitue notre document L-180. Il a déjà été déposé comme preuve sous le nº USA-276 et on en a lu quelques paragraphes. Il sera encore mentionné dans l’exposé des charges contre la Gestapo. Je voudrais seulement en citer deux paragraphes, qui montrent la grande diversité des éléments SS composant ces détachements spéciaux. Je voudrais faire remarquer qu’à ce rapport soigneusement relié, que le Tribunal a déjà vu, est joint un dépliant qui donne un tableau du personnel engagé dans cette action. Je citerai tout à l’heure les différents éléments de ces formations, dont la liste figure sur ce tableau. Mais je lirai tout d’abord la page 5 de la traduction, quatrième paragraphe…

LE PRÉSIDENT

Est-ce que ce livre que vous venez de déposer se rapporte à l’extermination des Juifs en Galicie ?

COMMANDANT FARR

C’est le rapport de l’Einsatzgruppe A, l’un des détachements spéciaux anti-partisans, qui opéra dans les États Baltes en 1941.

Le passage que je vais lire figure à la page 5 de la traduction, paragraphe 4, et à la page 12 de l’original, premier paragraphe :

« De la situation générale telle qu’elle est décrite, il résulte toujours que les Einsatzgruppen composés de membres de la Gestapo (police secrète d’État), de la Kripo (police criminelle), et du SD (service de Sécurité) sont surtout engagés en Lituanie, Lettonie, Estonie et Ruthénie blanche et, dans une moindre mesure, devant Saint-Pétersbourg, tandis que les forces de la Police d’ordre et des Waffen SS sont engagées surtout devant Saint-Pétersbourg, pour empêcher le reflux des populations civiles, les unes et les autres ayant un commandement autonome. Il est d’autant plus facile d’exécuter ces mesures que les commandos d’intervention en Lituanie, Lettonie et Estonie ont à leur disposition des forces de police indigène, dont l’annexe I indique la répartition, et que jusqu’à maintenant 150 détachements de renfort lettons ont été envoyés en Ruthénie blanche.

« La répartition des chefs de la Police de sûreté et du SD pour les différentes phases se trouve à l’annexe 2, l’avance et la répartition des groupes et commandos d’intervention à l’annexe 3. Il faut encore mentionner que les chefs qui servent dans les Waffen SS et la Police d’ordre en qualité de réservistes ont manifesté le désir de rester ultérieurement dans l’organisation de la Police de sûreté et du SD. »

Je cite maintenant un extrait de l’annexe 1 a, que j’ai déjà mentionné, qui donne la constitution de ce groupe. Ce passage se trouve à la page 14 de la traduction. C’est le tableau que j’ai indiqué au Tribunal il y a un instant ; la traduction contient simplement la liste des éléments :

« Effectif total de l’Einsatzgruppe A : 990, se détaillant comme suit :

« Waffen SS — 340 — 34,4 %

« Chauffeurs — 172 — 17,4 %

« Administration — 18 — 1,8 %

« Service de sécurité (SD) — 35 — 3,5 %

« Police criminelle — 41 — 4,l %

« Police d’État (Stapo) — 89 — 9 %

« Police auxiliaire — 87 — 8,8 %

« Police d’ordre — 133 — 13,4 %

« Auxiliaires féminins — 13 — 1,3 %

« Interprètes — 51 — 5,1 %

« Télétypistes — 3 — 0,3 %

« Opérateurs radio — 8 — 0,8 % »

Le Tribunal remarquera que paraissent dans cette liste les Waffen SS, le SD, la police criminelle, la Gestapo et la police ordinaire qui tous faisaient partie des SS ou en dépendaient. Nous pouvons mentionner un dernier rapport sur l’activité anti-partisane. C’est un rapport du commissaire général de Ruthénie blanche au ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est. C’est notre document R-135 qui, je crois, figure dans le livre de documents sous le nº PS-1475 ; on a réuni ces deux documents. Il a déjà été déposé sous le nº USA-289 par le commandant Walsh qui a lu, pour qu’elle figure au procès-verbal de ces débats, la lettre du commissaire du Reich pour les territoires de l’Est transmettant le rapport en question. Cette lettre figure à la page 1 de la traduction. Je désire lire un ou deux paragraphes du rapport proprement dit, qui se trouve à la page 3 de la traduction. Il traite des résultats de l’opération de police « Cottbus ». Je cite le premier paragraphe :

« Le SS Brigadeführer et Generalmajor de la Police, von Gottberg fait savoir que l’opération “Cottbus” a eu, durant la période mentionnée, les résultats suivants :

« Morts ennemis — 4.500

« Morts suspects d’appartenir à des bandes de partisans — 5.000

« Morts allemands — 59 »

Je pense qu’il n’est pas nécessaire de continuer à lire cette liste. Je passe donc au quatrième paragraphe du rapport :

« Les chiffres mentionnés ci-dessus indiquent qu’on doit s’attendre ici encore à un sérieux anéantissement de la population. Si, sur 4.500 morts ennemis, on ne récupère que 492 fusils, la différence prouve qu’il se trouve parmi les morts beaucoup de paysans de la région. Le bataillon Dirlewanger en particulier, a la réputation d’avoir anéanti beaucoup de vies humaines. Parmi les 5.000 individus soupçonnés d’appartenir à des bandes, il y avait beaucoup de femmes et d’enfants.

« Sur ordre du chef des opérations contre les partisans, le SS Obergruppenführer von dem Bach, des unités de milice ont également participé à l’opération. »

Je m’en tiens là. Le Tribunal se souviendra que le SS Obergruppenführer von dem Bach est cité par Himmler dans son discours de Posen, où il l’appelle « notre camarade » et qu’il avait été chargé par celui-ci de la lutte contre les partisans.

Les activités dont je viens de parler étaient des activités conjuguées dans lesquelles étaient engagés la Gestapo, la police d’ordre, les Waffen SS et les régiments de police SS, mais ces unités étaient aussi utilisées séparément pour l’exécution de missions de ce genre. Je dépose comme preuve sous le nº USA-471 une lettre du chef de commandement des Waffen SS ; c’est notre document PS-1972. C’est une lettre du chef du commandement des Waffen SS au Reichsführer SS, en date du 14 octobre 1941 ; objet : « Rapport supplémentaire sur les mesures d’exception appliquées à la population civile. » Je vais la lire :

« Rapport sur l’utilisation des Waffen SS dans le protectorat de Bohême-Moravie dans les mesures d’exception appliquées à la population civile :

« Tous les bataillons de Waffen SS seront amenés par roulement dans le protectorat de Bohême-Moravie pour exécuter les fusillades et contrôler les pendaisons.

« Il y a eu jusqu’à présent : à Prague, 99 fusillés et 21 pendus ; à Brno, 54 fusillés et 17 pendus, soit au total 191 exécutions dont 16 de Juifs.

« Un rapport détaillé sur les autres mesures prises ainsi que sur la conduite des Führer, des Unterführer et des hommes, vous sera adressé après la levée des mesures d’exception. »

Il n’est pas surprenant que les unités des Waffen SS et les groupements qui venaient d’être employés pour des opérations d’extermination et pour l’exécution de civils se soient trouvés violer les lois de la guerre dans des opérations militaires normales. Je dépose comme preuve un rapport complémentaire de la juridiction d’instruction du Grand Quartier Général du corps expéditionnaire allié, relatif à l’exécution de prisonniers de guerre alliés par la 12e SS Panzer Division en Normandie, France, entre les 7 et 21 juin 1944. Ce rapport constitue notre document PS-2997 (USA-472). Des extraits de ce rapport, constitués par le procès-verbal officiel de la procédure de la commission d’instruction et l’exposé de ses conclusions, se trouvent dans le livre de documents sous ce numéro. Ils ont été traduits en allemand. En vertu de l’article 21 du Statut, le Tribunal est invité à accorder force probante aux documents apportés par les commissions instituées dans les différents pays alliés, pour enquêter sur les crimes de guerre, ainsi qu’aux procès-verbaux et conclusions des tribunaux militaires ou autres de l’une quelconque des nations unies. Ce rapport tombe sous le coup de ces dispositions. En conséquence, sans avoir besoin de lire des extraits de ce document, je vais résumer les conclusions de cette commission d’instruction, qui se trouvent aux pages 8, 9 et 10 du document. La commission a conclu qu’il y eut en Normandie, entre le 7 et le 17 juin 1944, sept cas de violation des lois de la guerre…

LE PRÉSIDENT

À quelle page ?

COMMANDANT FARR

Je ne cite pas, je fais un résumé du contenu des pages 8 à 10.

Il y eut donc sept cas de violation des lois de la guerre, comprenant l’exécution de 64 prisonniers de guerre alliés, désarmés et en uniforme, dont plusieurs blessés, et dont aucun ne résista ou essaya de s’échapper ; les auteurs étaient des membres de la 12e SS Panzer Division, dite « Hitler Jugend Division » (division des Jeunesses hitlériennes). Les soldats de la 15e compagnie du 25e régiment de Panzer-Grenadier de cette division avaient reçu l’ordre secret de ne pas faire de prisonniers et d’exécuter les prisonniers après les avoir interrogés. Des ordres similaires avaient été donnés au 3e bataillon du 26e régiment de Panzer-Grenadier de cette division et au 12e bataillon SS de pionniers de reconnaissance. Il en fallait indiscutablement conclure qu’il était entendu dans toute la division que cette mesure consistant à ne pas faire de quartier et à exécuter les prisonniers après interrogatoire était officiellement approuvée.

D’autres combattants subirent un sort semblable entre les mains d’autres unités SS. Je mentionne l’exécution d’aviateurs alliés, de commandos et de soldats parachutés et de prisonniers de guerre évadés qui étaient remis au SD pour être exécutés. Des preuves de ces faits seront présentées dans l’exposé contre la Gestapo. Les SS s’en prirent d’une manière particulière aux combattants qui avaient été faits prisonniers. Dans l’exposé contre la Gestapo, nous apporterons des preuves contre des commandos dont la mission dans les camps de prisonniers de guerre était de choisir les internés qui devaient subir ce que les nazis appelaient par euphémisme le « traitement spécial ». En fin de compte, le contrôle total des prisonniers de guerre fut confié au Reichsführer SS. J’ai présenté comme preuve ce matin notre document PS-058, qui donnait à Himmler la direction de tous les camps de prisonniers de guerre.

Il nous reste à mentionner la phase finale mais essentielle de la conspiration dans laquelle les SS jouèrent un rôle éminent. La colonisation définitive des territoires conquis, la destruction de leur vie nationale et l’extension permanente des frontières allemandes étaient les buts fondamentaux du plan des conspirateurs. Le Tribunal a déjà reçu, il y a un ou deux jours, des preuves relatives aux procédés employés pour atteindre ces objectifs : évacuation forcée et déportation des habitants des régions conquises, confiscation de leurs biens, dénationalisation et rééducation des personnes de sang allemand, colonisation des territoires conquis par les Allemands.

Il était logique que l’organisation de SS se chargeât d’établir et de réaliser ce programme. J’ai déjà lu, pour qu’elles figurent au procès-verbal, les nombreuses déclarations de Himmler sur le rôle des SS, qui s’efforçaient de jouer les aristocrates de l’Europe nouvelle. Il mit ces théories en pratique lorsqu’il fut nommé, le 7 octobre 1939, commissaire du Reich pour l’affirmation de la race allemande. Le décret qui le nomme constitue notre document PS-686, qui a déjà été déposé sous le nº USA-305. Je n’ai donc pas besoin de le lire à nouveau.

Pour l’élaboration et l’exécution des plans d’application de ce programme d’évacuation et de déportation, on créa un nouveau département au Commandement suprême des SS : le service principal d’état-major du commissaire du Reich pour l’affirmation de la race allemande. Il est représenté sur le schéma par la quatrième case à partir du sommet, à l’extrême droite. Les fonctions de ce service sont exposées dans l’Organisationsbuch der NSDAP de 1943, document PS-2640, déjà déposé sous le nº USA-323. Je vais lire l’exposé des fonctions de ce service, page 3 de la traduction, dernier paragraphe et page 421 de l’original :

« C’est à l’office principal de direction du commissaire du Reich pour l’affirmation de la race allemande que sont confiés, à l’intérieur du Reich et dans tous les territoires soumis à l’autorité du Reich, l’élaboration de tous les plans de colonisation et de reconstruction, ainsi que le règlement de toutes les questions administratives et économiques posées par la colonisation et, en particulier, la répartition de main-d’œuvre dans ce but. »

Le programme de colonisation avait deux objectifs principaux : premièrement, la destruction des peuples conquis, par l’extermination, la déportation et la confiscation de leurs biens ; deuxièmement, l’installation d’Allemands de race sur les terres nouvellement acquises.

Les actions d’extermination menées par les SS, au sujet desquelles je viens de présenter des preuves, ont contribué à débarrasser les territoires conquis des individus considérés comme dangereux pour le plan nazi. Mais il était impossible de liquider tous les indésirables. Les déportations en masse réalisaient le double but de fournir de la main-d’œuvre et de libérer la terre pour les colons allemands.

Je viens de montrer comment les services SS participèrent à l’envoi de déportés dans les camps de concentration.

Le programme d’évacuation et de déportation nécessitait l’utilisation de nouveaux services de déportation. Je cite un extrait de notre document PS-2163 constitué par l’annuaire national-socialiste de 1941, (USA-444) ; le passage en question figure à la page 3, paragraphe 5 de la traduction et à la page 195 de l’original. Je cite :

« Depuis quelque temps déjà, le Reichsführer SS a à sa disposition un service placé sous la direction du SS Obergruppenführer Lorenz, le service central des Allemands de race (Volksdeutsche Mittelstelle, VM) qui a pour tâche de régler les questions concernant les Allemands de race et de se procurer les moyens nécessaires.

« À côté du VM a été créé le centre d’immigration (Einwandererzentralstelle, EWZ) auprès du chef de la Police de sûreté et du Service de sécurité des SS (sous la direction du SS Sturmbannführer Dr Sandberger) et le Service de colonisation du commissaire du Reich qui, en collaboration avec la NSV (Entraide nationale-socialiste) et la Reichsbahn (compagnie des chemins de fer du Reich) prirent en charge l’émigration des Allemands de race. »

Je dépose également l’affidavit d’Otto Hoffmann, SS Obergruppenführer et général des Waffen SS et de la Police, notre document L-49, sous le nº USA-473. Hoffmann a été, jusqu’en 1943, chef du Bureau central pour la race et la colonisation dans le commandement suprême des SS. Ce témoignage a été recueilli à Freising (Allemagne), le 4 août 1945. J’en lirai le paragraphe 2 :

« Le pouvoir exécutif, en d’autres termes l’exécution des opérations dites actions de colonisation, c’est-à-dire l’évacuation des Polonais et des Juifs et de tous les colons qui n’étaient pas de race allemande dans un territoire polonais destiné à la germanisation, fut confiée au chef du RSHA (Heydrich et plus tard Kaltenbrunner, à partir de la fin de 1942). Le chef du RSHA contrôlait et dirigeait le Centre d’immigration qui classait les Allemands de l’étranger retournant en Allemagne et leur donnait des fermes qu’il avait rendus libres, et ce en accord avec l’office principal de direction du Reichsführer SS. »

D’autres organismes SS étaient également impliqués dans ce programme de déportation. Le Tribunal a déjà reçu comme preuve notre document PS-1352 sous le nº USA-176. C’est un rapport relatant la confiscation d’entreprises agricoles polonaises, daté du 22 mai 1940 et signé « Kusche ». Quelques passages de ce document, relatifs à la confiscation des entreprises agricoles polonaises et à la déportation en Allemagne des propriétaires terriens polonais ont déjà été lus pour qu’ils figurent au procès-verbal. Je n’en lirai qu’un paragraphe, qui montre que des SS sont impliqués dans cette action. Il figure à la page 2 de la traduction, premier paragraphe, et page 10, paragraphe 2 de l’original. Ce rapport s’exprime ainsi sur la déportation des fermiers polonais :

« Les moyens de transport jusqu’au chemin de fer peuvent être fournis : 1. Par les entreprises de la Compagnie agricole pour l’exploitation des territoires de l’Est allemand. 2. Par l’école des Unterführer SS de Lublinitz et par le camp de concentration d’Auschwitz. Ces deux derniers services fourniront également les détachements de SS nécessaires pour le jour de la confiscation, etc. »

Dans quelle mesure presque tous les services du Commandement suprême des SS étaient impliqués dans ce programme d’évacuation, c’est ce que met en évidence le procès-verbal d’une réunion du 4 août 1942 traitant de la déportation des Alsaciens. C’est notre document R-114, qui a déjà été déposé comme preuve sous le nº USA-314. Je lirai simplement la liste des personnes et des services représentés à cette réunion, puisque l’essentiel du rapport a déjà été lu en partie devant le Tribunal. Je commence au début du document R-114, page 1 :

« Réunion du 4 août 1942.

« Objet : Instructions générales pour le traitement des Alsaciens déportés.

« Présents : SS Hauptsturmführer Dr Stier ; SS Hauptsturmführer Petri ; R. R. Hofmann ; Dr Scherler ; SS Untersturmführer Förster – ces noms sont suivis de la mention “Office principal de direction” – SS Obersturmführer Dr Hinrichs, chef de l’Office des biens fonciers et de l’état-major de colonisation à Strasbourg ; SS Sturmbannführer Brückner, Office central des Allemands de race (Volksdeutsche Mittelstelle) ; SS Hauptsturmführer Hummitsch, Office central de sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt) ; SS Untersturmführer Dr Sieder, Service principal pour la race et la colonisation (RUS Hauptamt) ; Dr Labes, DUT. »

Non seulement les SS anéantissaient ou déportaient les peuples conquis et confisquaient leurs biens, mais encore repeuplaient les régions annexées avec de soi-disant Allemands de race. Tous les Allemands cependant n’étaient pas considérés comme des colons sûrs. Ceux qui ne l’étaient pas étaient renvoyés en Allemagne pour regermanisation et rééducation suivant les normes nazies.

Un exemple typique du destin de ces Allemands est exposé dans notre document R-112, qui a déjà été déposé sous le nº USA-309. C’est un décret du commissaire du Reich pour l’affirmation de la race allemande. Ce décret, comme le Tribunal s’en souviendra, concerne le traitement à appliquer aux Allemands « polonisés ». Aux termes de ce décret, deux catégories de SS étaient chargées du programme de regermanisation, les chefs supérieurs des SS et de la Police ainsi que la Gestapo.

Je ne pense pas qu’il me soit nécessaire de citer ce rapport, puisqu’on en a déjà lu des passages qui figurent au procès-verbal des débats. Je désire me référer en particulier à la section III, page 7 de la traduction, et à la section IV de ce décret qui se trouve à la même page, et qui toutes deux indiquent que les chefs supérieurs des SS et de la Police ainsi que la Gestapo étaient responsables de ce programme de regermanisation.

D’autres organismes SS participèrent aussi à la dernière phase de l’évolution, la réinstallation dans les territoires conquis d’Allemands racialement et politiquement désirables. Je cite encore dans notre document PS-2163, l’Annuaire national-socialiste de 1941 (USA-444), le passage qui figure à la page 3 de la traduction, paragraphe 7, page 195 de l’original :

« Beaucoup de SS, chefs et hommes de troupe, aidèrent de leurs efforts infatigables à l’exécution de cette migration systématique de peuples dont il n’y a pas d’exemple dans l’Histoire.

« Il s’est présenté de nombreuses difficultés administratives et conflits d’autorité qui cependant furent immédiatement surmontés grâce à un procédé de travail non bureaucratique garanti avant tout par l’emploi des chefs SS.

« La procédure employée, appelée “Durchschleusung” (éclusage), qui prenait normalement de trois à quatre heures, faisait passer le colon par huit à neuf services qui se succédaient dans l’ordre suivant : service d’enregistrement, fichier, service d’identification et de photographie, service des propriétés, puis examens biologique, héréditaire et sanitaire ; ce dernier examen était confié à des médecins et au personnel sanitaire des SS et de l’Armée. Les secteurs SS Alpenland, nord-ouest, Baltique, Fulda-Werra, sud et sud-est, l’office principal SS, le NPEA (Institution d’éducation politique et nationale) de Vienne, et l’école de cavalerie SS de Hambourg, fournissaient la plupart des Führer et Unterführer SS qui s’occupaient de cette colonisation. »

Je saute les trois paragraphes suivants et passe aux conclusions de cet annuaire, relatives à la participation des SS au plan de colonisation :

« La colonisation, l’établissement et la prise en charge de cette paysannerie nouvellement créée dans les territoires libérés de l’Est sera dans l’avenir l’un des devoirs les plus élevés des SS. »

LE PRÉSIDENT

Il me semble qu’il est temps de suspendre l’audience jusqu’à 2 heures.

COMMANDANT FARR

Oui, Monsieur le Président.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)