VINGT-QUATRIÈME JOURNÉE.
Jeudi 20 décembre 1945.

Audience de l’après-midi.

COMMANDANT FARR

Au cours de son développement, du stade de simple groupe de quelque deux cents robustes gardes du corps jusqu’à celui d’organisme aux nombreuses ramifications participant à tous les domaines des activités nazies, l’organisation des SS plaça ses membres à des postes importants ; des personnages de marque vinrent aussi grossir ses rangs. Parmi les accusés touchés par nos poursuites, sept avaient rang d’officiers supérieurs dans cette organisation. Ce sont : Ribbentrop, Hess, Kaltenbrunner, Bormann, Sauckel, Neurath et Seyss-Inquart. Le rôle essentiel que l’accusé Kaltenbrunner joua dans les SS, dans le SD et dans toute la Police de sûreté sera mis en lumière par les preuves qui seront fournies après la présentation de l’exposé sur la Gestapo. En ce qui concerne les six autres accusés que je viens de nommer, je désire attirer maintenant l’attention du Tribunal sur le fait qu’ils étaient membres des SS. C’est plutôt là un renseignement qu’une preuve proprement dite. La matérialité de ce fait est établie par deux publications officielles que je vais présenter au Tribunal : la première est le livre noir : c’est la liste des membres des SS, en date du 1er décembre 1936. Ce livre contient une liste de tous les membres des SS d’après le rang qu’ils occupaient. Je le dépose sous le nº USA-474. Page 8 de cette brochure, nous trouvons à la deuxième ligne le nom Hess, Rudolf, suivi de la remarque « Par décision du Führer a le droit de porter l’uniforme de SS Obergruppenführer ».

Je dépose maintenant l’édition de 1937 de la même liste sous la cote USA-475. Si nous prenons la page 10, ligne 50, nous trouvons le nom Bormann, Martin, et, à la même ligne que ce nom, sur la page d’en face, dans la colonne portant le titre « Gruppenführer », apparaît la date 30 janvier 1937. Dans la même édition, à la page 12, ligne 56, apparaissent le nom de von Neurath, Constantin, et, à la page opposée, dans la colonne portant le titre « Gruppenführer », la date 18 septembre 1937.

L’autre publication que j’ai mentionnée est Der Grossdeutsche Reichstag, pour la quatrième législature, manuel édité par E. Kienast, Directeur ministériel du Reichstag. C’est un manuel officiel contenant des détails biographiques sur les membres du Reichstag. C’est le document PS-2381, que je dépose sous le nº USA-476. On peut y lire, page 349 : « Von Ribbentrop, Joachim, ministre des Affaires étrangères du Reich, SS Obergruppenführer ». Page 369 : « Sauckel, Fritz, Gauleiter, Reichsstatthalter de Thuringe, SS Obergruppenführer ». Page 389 : « Seyss-Inquart, Arthur, Docteur en droit, ministre du Reich, SS Obergruppenführer ».

LE PRÉSIDENT

Quelle est la date de cette publication ?

COMMANDANT FARR

Ce livre englobe la quatrième législature, qui s’étend du 10 avril 1938 jusqu’au 30 janvier 1947 ; en d’autres termes, la législature couvre ce nombre d’années. La publication est, je crois, de 1943. Je dois signaler que le grade des accusés, mentionné dans les publications de 1936 et de 1937, qui contiennent les listes des membres des SS, n’est peut-être pas le plus haut grade qu’ils aient obtenu. Ils étaient « Gruppenführer » à cette époque, mais comme le livre le démontre, ils étaient membres des SS.

Nous prétendons que les SS, ainsi qu’il est défini à l’appendice B, page 84 de l’Acte d’accusation, étaient une organisation illégale. En tant qu’organisation fondée sur le principe de la supériorité de la race et du sang allemands, elle est un exemple typique de la doctrine fondamentale nazie. Elle fut l’un des moyens par lesquels les conspirateurs acquirent le contrôle du Gouvernement allemand. L’action du SD et des SS Totenkopf Verbände dans les camps de concentration a été utilisée par les conspirateurs pour asseoir leur régime et pour terroriser leurs adversaires, comme il est spécifié au chef d’accusation nº 1. Toutes les branches des SS furent impliquées, depuis le début, dans le programme nazi d’extermination des Juifs. Au moyen de l’organisation para-militaire des Allgemeine SS, des troupes de soldats de métier des SS Verfügungstruppen et des SS Totenkopf Verbände et de l’organisme de Cinquième colonne de la Volksdeutsche Mittelstelle, les SS ont participé aux préparatifs en vue de la guerre d’agression et, par leurs unités militarisées, à la conduite des guerres d’agression à l’Est et à l’Ouest, comme il est exposé aux chefs nos 1 et 2 de l’Acte d’accusation. Au cours de ces guerres, tous les éléments des SS ont pris part aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité, dont il est fait état aux chefs nos 3 et 4 de l’Acte d’accusation : meurtres et mauvais traitements de civils dans les territoires occupés, meurtres et mauvais traitements de prisonniers de guerre, germanisation des territoires occupés.

Les preuves ont montré que les SS étaient une entreprise unique, une organisation unifiée. Quelques-unes de leurs fonctions étaient naturellement accomplies par une branche, un service ou un bureau, certaines par d’autres. Aucune branche seule, ni aucun service seul ne participa à toutes les activités. Mais toutes les branches, tous les services, tous les bureaux étaient nécessaires au fonctionnement de l’ensemble. La situation est pratiquement la même que celle des accusés individuels qui sont traduits devant ce Tribunal. Tous n’ont pas participé à chaque acte du complot, mais nous soutenons que tous ont contribué pour une part au plan criminel.

Les preuves ont également montré que les SS n’étaient pas seulement une organisation de volontaires, mais que les candidats devaient remplir les conditions les plus sévères. Il n’était pas facile de devenir membre des SS. Et c’était vrai pour toutes les branches des SS. Bien entendu, nous reconnaissons volontiers qu’au cours de la guerre, comme les besoins en effectifs augmentaient et que les pertes des Waffen SS devenaient de plus en plus lourdes, il y eut des cas où des hommes recrutés pour le service militaire obligatoire furent versés dans des unités de Waffen SS plutôt que dans la Wehrmacht, mais ces exemples furent relativement rares. La preuve des conditions de recrutement des Waffen SS en 1943, que j’ai citée hier, a montré que le fait de devenir membre de cette branche constituait un acte essentiellement volontaire et un choix aussi sévère que pour les autres branches. Sans aucun doute, quelques-uns des membres des SS ou des autres organisations accusées comme illégales dans l’Acte d’accusation pourraient prétendre que leur participation à l’organisation a été minime ou inoffensive, que la contrainte les avait amenés à donner leur adhésion, qu’ils n’étaient pas pleinement conscients des buts de cette organisation, ou qu’ils furent mentalement irresponsables après en être devenus membres. Ces allégations pourraient ou non être prises en considération si les intéressés étaient traduits devant un tribunal, mais en tout cas, il ne nous appartient pas présentement de juger en cette matière. La question dont ce Tribunal aura à décider est simplement celle de savoir si les SS étaient ou n’étaient pas une organisation illégale. Les preuves ont finalement montré quels étaient les buts et les activités des SS. Certains de ces buts sont exprimés dans des publications que j’ai citées au Tribunal. Leurs activités furent si étendues et si notoires, embrassèrent une si vaste étendue de tentatives illégales que l’illégalité de l’organisation ne pouvait être cachée. C’était un fait notoire et Himmler lui-même, en 1936, l’a admis quand il disait : « Je sais qu’il y a maintenant des gens en Allemagne qui sont saisis de nausées quand ils voient cet uniforme noir. Nous en connaissons les raisons et nous ne nous attendons pas à être aimés de beaucoup de gens ».

Nous estimons que de tout temps la fonction et le but exclusifs des SS furent d’exécuter les objectifs communs des conspirateurs accusés. Leurs activités dans l’exécution de ces fonctions entraînèrent la perpétration des crimes définis dans l’article 6 du Statut. En raison de ces buts et des moyens utilisés pour les atteindre, les SS devraient être déclarées une organisation criminelle en accord avec l’article 9 du Statut.

COLONEL STOREY

Plaise au Tribunal. L’exposé suivant sera relatif à la Gestapo, et nous ne demandons que quelques secondes pour rassembler les dossiers à présenter.

Si le Tribunal le désire, nous sommes prêts à poursuivre nos explications.

LE PRÉSIDENT

Oui.

COLONEL STOREY

Nous allons d’abord remettre au Tribunal le livre de documents marqué AA. Messieurs les Juges remarqueront qu’il est en deux volumes que je m’efforcerai d’indiquer lors de chaque citation. Les documents sont classés en documents D, documents L, documents PS, etc.

La présentation des preuves sur le caractère criminel de la Geheime Staatspolizei, ou Gestapo, comprend des preuves sur le caractère criminel du Sicherheitsdienst (SD) et sur celui des Schutzstaffeln (SS) dont a parlé le commandant Farr, un bon nombre de leurs actes criminels ayant été étroitement liés. Dans l’Acte d’accusation, le SD, comme vous le savez, est indiqué par une mention spéciale comme faisant partie des SS, parce qu’à l’origine c’était une section des SS, qui a toujours gardé son caractère d’organisation du Parti, se distinguant ainsi de la Gestapo qui était un organisme d’État. Comme les preuves le révéleront, la Gestapo et le SD furent cependant étroitement liés au cours de leur action, le SD ayant servi essentiellement d’agent d’information et la Gestapo d’organisme exécutif du système policier, établi par les nazis dans le but de combattre les ennemis politiques et idéologiques du régime nazi. En bref, je pense que nous pourrions considérer le SD comme le service de renseignements et la Gestapo comme l’organe exécutif, la première étant une organisation du Parti, la dernière, une organisation d’État, mais dont les buts se confondaient.

Premier point : La Gestapo et le SD constituèrent un système de police politique puissant et centralisé, au service du Parti, de l’État et des dirigeants nazis. La Gestapo fut d’abord créée en Prusse, le 26 avril 1933, par l’accusé Göring, avec mission d’exécuter les tâches d’une police politique avec ou au lieu et place des autorités de police ordinaire. La Gestapo reçut l’autorité d’une haute police et ne fut soumise qu’au ministre de l’Intérieur, auquel était déléguée la responsabilité de déterminer sa compétence fonctionnelle et territoriale. Ce fait est établi par la Preussische Gesetzsammlung du 26 avril 1933, page 122, qui constitue notre document PS-2104. En accord avec cette loi, et à la même date, le ministre de l’Intérieur promulgua un décret sur la réorganisation de la Police, établissant, dans chaque district gouvernemental de Prusse, un bureau de Police d’État subordonné au service de la Police secrète d’État à Berlin. Je cite comme autorité le Ministerialblatt ou journal officiel de l’administration intérieure de Prusse, 1933, page 503. C’est notre document PS-2371.

Au sujet de la formation de la Gestapo, l’accusé Göring dit dans Aufbau einer Nation de 1934, page 87, document PS-2344, et je cite la traduction anglaise d’un court paragraphe dont le Tribunal voudra bien prendre acte, à moins qu’il ne désire que je le lise en entier :

« Pendant des semaines – c’est Göring qui parle – j’ai travaillé personnellement à la réorganisation pour arriver à créer moi seul de mon propre mouvement et de ma propre initiative, le service de la Police secrète d’État. Cet instrument, qui inspire une profonde terreur aux ennemis de l’État, a puissamment contribué au fait qu’on ne peut plus parler aujourd’hui d’un danger communiste ou marxiste en Allemagne et en Prusse. »

LE PRÉSIDENT

Quelle était la date ?

COLONEL STOREY

C’était en 1934, Monsieur le Président. Le 30 novembre 1933, Göring promulgua un décret pour le ministère d’État prussien et le Chancelier du Reich, plaçant la Gestapo sous sa surveillance directe et sous sa direction. En conséquence, la Gestapo devenait une section indépendante de l’administration de l’Intérieur, directement responsable devant Göring, Premier ministre de Prusse. Ce décret donnait à la Gestapo compétence en matière d’affaires de police politique de l’administration générale et intérieure, et stipulait que les autorités de police des Länder, des Kreise et des communes devaient suivre les directives de la Gestapo. C’est ce qui ressort du recueil de lois prussiennes, 30 novembre 1933, page 413, document PS-2105.

Dans un discours prononcé à une réunion du Conseil de l’État prussien le 18 juin 1934, publié dans Hermann Göring – Discours et essais, 1939 page 102, document PS-3343, Göring dit, et je cite :

« La création de la Police secrète d’État était aussi une nécessité. Vous pouvez reconnaître l’importance attribuée par l’ordre nouveau à cet instrument de la sûreté de l’État au fait que le Premier ministre s’est réservé la direction de cette administration, car il est d’une importance capitale de pouvoir surveiller toutes les tentatives dirigées contre le nouvel État. »

Par un décret du 8 mars 1934, les services régionaux de la Police d’État furent séparés des organismes gouvernementaux locaux et devinrent des services de la Gestapo indépendants (Recueil des lois prussiennes du 8 mars 1934, page 143, document PS-2113).

Je dépose maintenant le document PS-1680 (USA-477). C’est un article intitulé : « Dix ans de Police de sûreté et de SD », publié le 1er février 1943 dans la revue la Police allemande, organe de la Police de sûreté et du SD. Je cite un paragraphe de cet article, page 2 de la traduction anglaise, document PS-1680, paragraphe 3 :

« Tandis que cette police se développait en Prusse, le Reichsführer SS, Heinrich Himmler, créa en Bavière la Police politique bavaroise ; il mit aussi sur pied et dirigea l’établissement d’une police politique dans les pays autres que la Prusse. L’unification de la police politique de tous les pays eut lieu au printemps 1934, quand le Ministerpräsident Hermann Göring nomma le Reichsführer SS Heinrich Himmler qui, entre temps, avait reçu le titre de commandant des forces de Police politique dans tous les pays, à l’exception de la Prusse, chef adjoint de la Police secrète d’État de Prusse. »

La loi prussienne sur la Police secrète d’État, en date du 10 février 1936, résume le développement atteint et détermine la position et les responsabilités de la Police secrète d’État à l’égard des règlements exécutifs publiés le même jour.

Le 10 février 1936, la loi fondamentale sur la Gestapo fut promulguée par Göring, Premier ministre de Prusse. Je me réfère au document PS-2107. Cette loi stipulait que la Police secrète d’État avait le devoir d’enquêter, à l’intérieur du territoire entier de l’État, sur toutes les forces hostiles à l’État et de les combattre. Elle déclarait que les ordres et les affaires intéressant la Police secrète d’État ne pouvaient être sujets à révision devant les Tribunaux administratifs. C’est la loi d’État prussienne publiée à la Gesetzsammlung 1936, pages 21 et 22.

À cette même date du 10 février 1936, une ordonnance d’exécution de cette loi fut édictée par Göring en sa qualité de Premier ministre de Prusse et par Frick, ministre de l’Intérieur. Ce décret prévoyait que la Gestapo avait autorité pour ordonner des mesures valables sur tout le territoire de l’État. C’est ce qu’explique le document PS-2108. La Gestapo était donc l’organisme centralisateur des informations de la police politique et devait administrer les camps de concentration. La Gestapo fut habilitée à faire des enquêtes de police dans tous les cas d’attaques dirigées contre le Parti et contre l’État. Plus tard, le 28 août 1936, une circulaire du Reichsführer SS et chef de la Police allemande stipula que, à dater du 1er octobre 1936, les forces de police politique des Länder allemands porteraient le nom de « Geheime Staatspolizei » (Police secrète d’État), et que les services régionaux continueraient à s’appeler Staatspolizei (Police d’État). On trouvera une traduction de cette loi dans le document PS-2372, Reichsministerialblatt, 1936, nº 44, page 1344.

Plus tard, le 20 septembre 1936, une circulaire de Frick, ministre de l’Intérieur, chargeait le service de la Gestapo de Berlin de contrôler l’activité des chefs de la Police politique dans tous les États d’Allemagne (Reichsministerialblatt 1936, page 1343, document L-297).

La loi du 19 mars 1937 sur les mesures financières, dans le domaine de la Police, prévoyait que les fonctionnaires de la Gestapo devaient être considérés comme fonctionnaires du Reich, et que leur traitement, outre les frais généraux de toute la Police d’État, devrait être couvert, à dater du 1er avril 1937, par le Reich. C’est ce que montre le document PS-2243, qui est une copie de la loi du 19 mars 1937, page 325.

Ainsi, par les lois et décrets ci-dessus mentionnés, la Gestapo devint un système de police politique uniformisé, opérant d’un bout à l’autre du Reich au service du Parti, de l’État et des dirigeants nazis.

Au cours de son évolution, le SD collabora de plus en plus étroitement avec la Gestapo, ainsi qu’avec la Reichskriminalpolizei, la Police criminelle du Reich, connue sous le nom de Kripo, indiquée sur la carte : Amt V. Le SD était appelé à fournir des renseignements à divers services d’État. D’après un décret du ministre de l’Intérieur du Reich, en date du 11 novembre 1938, le SD était le service d’information de l’État et du Parti, et avait comme mission spéciale d’aider la Police secrète d’État. Il avait donc une activité sur le plan national. Ces charges nécessitaient une collaboration plus étroite entre le SD et les autorités de l’Administration centrale et générale. Vous trouverez la traduction de cette loi dans notre document PS-1638.

Le Tribunal a déjà reçu des documents sur les décrets des 17 et 26 juin 1936, par lesquels Himmler fut nommé chef de la Police allemande, et Heydrich chef de la Police de sûreté et du SD. Cependant, Göring n’abandonna pas son poste de chef de la Gestapo prussienne. Ainsi, le décret du Reichsführer SS et chef de la Police allemande du 28 août 1936, qui est notre document PS-2372, fut transmis au Premier ministre de Prusse, en sa qualité de chef de la Police secrète d’État prussienne, c’est-à-dire à Göring.

Le 27 septembre 1939, Himmler, Reichsführer SS et chef de la Police allemande, signa un décret aux termes duquel les services centraux de la Gestapo et du SD ainsi que les services de la Police criminelle furent groupés dans un seul service : l’office du chef de la Police de sûreté et du SD qui devint le RSHA, ou Reichssicherheitshauptamt, que le commandant Farr a déjà mentionné devant ce Tribunal. D’après ce décret, le service du personnel et les sections administratives de chaque organisme furent groupés en Amt I et Amt II du RSHA, comme le montre le schéma. Les sections d’opération du SD devinrent le Amt III, sauf la section du contre-espionnage à l’étranger, qui prit le nom d’Amt VI. Les sections d’opération de la Gestapo devinrent l’Amt IV ; vous le verrez sur le schéma. Les sections d’opération de la Kripo devinrent l’Amt V.

Ohlendorf fut nommé chef de l’Amt III, le SD pour l’Allemagne, Müller chef de l’Amt IV (la Gestapo) et Nebe, chef de l’Amt V (la Kripo).

Le 27 septembre 1939, Heydrich, chef de la Police de sûreté et du SD, donna, en accord avec l’ordre de Himmler, des instructions stipulant que la désignation et le nom de RSHA ne seraient employés que dans les services du ministère de l’Intérieur, et que le nom et l’en-tête chef de la Police de sûreté et du SD seraient utilisés dans les rapports avec les personnes et les bureaux extérieurs. Ces instructions stipulaient que la Gestapo utiliserait la désignation de « Police secrète d’État », en vertu d’instructions particulières. C’est cet ordre qui constitue notre document L-361 (USA-478), que nous déposons maintenant. Nous prions le Tribunal de se référer au premier paragraphe du document L-361, que vous trouverez dans le premier volume. J’attire l’attention du Tribunal sur la date et sur le sujet, la fusion des Zentralämter ou bureaux centraux de la Police de sûreté et du SD. Il traite de la création des quatre sections qui « … seront réunies au RSHA en accord avec les directives qui suivent. Cette fusion n’entraîne aucun changement dans la position de ces bureaux (Ämter) à l’égard du Parti ou de l’administration locale ».

Je voudrais ajouter, s’il plaît au Tribunal, que nous considérons le RSHA comme un bureau administratif dirigeant un grand nombre de ces organisations, tandis que d’autres, y compris la Gestapo, conservaient leur indépendance en tant qu’organe exécutif. Pour illustrer ce point, souvenez-vous que, pendant la guerre, certaines divisions ou unités aériennes dépendaient d’un quartier général déterminé, mais qu’en cas d’engagement, à l’occasion d’un mouvement, et sur le plan des opérations, elles pouvaient se trouver subordonnées à une autre unité. De la même manière, le RSHA a joué en vérité le rôle de service administratif d’un grand nombre de ces organisations accusées.

La Gestapo et le SD étaient organisés suivant leurs fonctions, les adversaires qu’ils devaient combattre et les enquêtes qu’ils avaient à mener.

Je voudrais maintenant attirer l’attention du Tribunal sur ce schéma qui a déjà été déposé, je crois, sous le nº USA-53. Cette carte – je me trompe, c’est là le numéro d’identification original – montre l’ordre hiérarchique des services de Himmler, Reichsführer SS et chef de la Police allemande, à Kaltenbrunner, chef de la Police de sûreté et du SD, et de Kaltenbrunner aux divers services de la Gestapo et du SD.

Je dépose ce schéma L-219 sous le nº USA-479. La carte elle-même reproduit le document L-219. Nous en avons des reproductions photographiques et l’une d’entre elles est accrochée au mur. Ce schéma a été reconnu exact par Otto Ohlendorf, chef de l’Amt III du RSHA et par Walter Schellenberg, chef de l’Amt VI, qui l’ont authentifié. Ce schéma montre que, dans toutes les questions policières, les ordres étaient directement transmis par Himmler, Reichsführer SS et chef de la Police allemande, à Kaltenbrunner, chef de la Police de sûreté et du SD, et de ce fait aussi, chef du RSHA, le service administratif dont je viens de parler.

Le Quartier Général de Kaltenbrunner était composé de sept services ou Ämter, plus un bureau militaire. Vous voyez les sept bureaux ici. Dans la sous-section D se trouvait l’Obersturmbannführer Rauff, qui s’occupait des questions techniques, y compris des véhicules de la Sipo et du SD. Nous en reparlerons par la suite.

L’Amt III était le SD intérieur, chargé d’enquêter dans tous les domaines de la vie nationale allemande. C’était l’organisation intérieure de renseignements du système policier, et ses activités s’étendaient à toutes les zones occupées par l’Allemagne au cours de la guerre. En 1943, il comprenait quatre sections. J’aimerais les mentionner brièvement, en indiquant leurs compétences : la section A traitait des questions d’ordre législatif et constitutionnel. La section B traitait des questions nationales, y compris les minorités, la race et la santé publique. La section C s’occupait des questions culturelles, y compris la science, l’éducation, la religion, la presse, la culture populaire et l’art. La section D traitait de l’économie, y compris le ravitaillement, le commerce, l’industrie, la main-d’œuvre, l’économie coloniale et des régions occupées.

L’Amt IV, dont nous nous occupons en ce moment, constituait la Gestapo. Ce service était chargé de combattre l’opposition. En 1945, comme l’ont confirmé les deux fonctionnaires mentionnés, il comprenait six subdivisions :

1º La section A s’occupait de l’opposition, du sabotage, du service de protection, communisme, marxisme, de la réaction et du libéralisme.

2º La section B s’occupait de l’activité politique des Églises, des sectes et des Juifs, y compris celle du catholicisme, du protestantisme ou des autres confessions et de la franc-maçonnerie. Une section spéciale, la section B-4, s’occupait des affaires juives, des questions d’évacuation, des moyens de supprimer les ennemis du peuple et de l’État, et de la privation du droit de citoyenneté allemand. Le Chef du bureau était Eichmann.

3º La section C s’occupait de l’internement de protection.

4º La section D s’occupait des régions sous la domination de l’Allemagne.

5º La section E s’occupait du contre-espionnage.

6º La section F s’occupait des questions concernant les passeports et la police des étrangers.

L’Amt V qui sera mentionné sous le nom de Kripo, était chargé de la répression des crimes. La sous-section D par exemple était un institut de criminologie à l’usage de la Sipo et réglait les affaires d’identification, d’enquêtes chimiques et biologiques, et de recherches techniques.

L’Amt VI était le SD extérieur qui s’occupait essentiellement de l’espionnage politique à l’étranger. En 1944, l’Abwehr, ou contre-espionnage militaire, fut jointe à l’Amt VI en cette qualité. Le Tribunal se souviendra que le témoin Lahousen faisait partie de l’Abwehr. L’Amt VI garda son organisation régionale propre.

Enfin l’Amt VII s’occupait de recherches idéologiques chez les adversaires du régime tels que la franc-maçonnerie, le judaïsme, les églises en tant que groupes politiques, le marxisme et le libéralisme.

Il y avait à l’intérieur de l’Allemagne des bureaux régionaux du SD, de la Gestapo et de la Kripo. Vous les verrez sur le schéma en haut à droite. Les bureaux de la Gestapo et de la Kripo étaient souvent situés dans le même lieu, et étaient toujours mentionnés d’une manière collective sous le nom de Sipo. Vous voyez cette ligne sombre, elle indique le travail collectif de la Gestapo et de la Kripo (la Gestapo est la Police secrète d’État, et la Kripo la Police criminelle). Ces bureaux régionaux maintenaient tous leur autonomie et envoyaient des rapports directs à la Section du RSHA dont ils dépendaient, c’est-à-dire à la section de Kaltenbrunner. La coordination était assurée par des inspecteurs de la Police de sûreté et du SD, comme vous le voyez au sommet du schéma. Ces inspecteurs étaient, eux aussi, soumis au contrôle des Chefs suprêmes des SS et de la Police, nommés pour chaque Wehrkreis (régions militaires). Les Chefs suprêmes des SS et de la Police étaient responsables devant Himmler et contrôlaient non seulement les inspecteurs de la Police de sûreté et du SD, mais aussi les inspecteurs de la Police d’ordre et les diverses subdivisions des SS.

Dans les territoires occupés, l’organisation se développa au fur et à mesure que les armées allemandes avançaient. Des unités d’opération combinées de la Police de sûreté et du SD, connues sous le nom de Einsatzgruppen et dont vous entendrez parler plus longuement d’ici quelques instants, opéraient avec l’Armée et à l’arrière de l’Armée. Leurs officiers étaient des membres de la Gestapo, de la Kripo et du SD, et les hommes venaient de la police d’ordre et des Waffen SS. Ils opéraient en liaison avec divers groupes d’armées. Les Einsatzgruppen, qui étaient de simples détachements chargés de missions spéciales, étaient divisés en Einsatzkommandos, Sonderkommandos et Teilkommandos, qui tous remplissaient les tâches de la Police de sûreté ou du SD, avec ou immédiatement à l’arrière de l’Armée.

Après l’incorporation des territoires occupés, ces Einsatzgruppen et leurs détachements subordonnés devinrent des services communs permanents de la Police de sûreté et du SD dans des limites territoriales déterminées. Ces unités combinées étaient placées sous l’autorité de commandants de la Police de sûreté et du SD, et les services étaient divisés en sections semblables à celles du Quartier Général du RSHA.

Les commandants de la Police de sûreté et du SD dépendaient directement du Befehlshaber de la Police de sûreté et du SD, qui dépendait à son tour du chef de la Police de sûreté et du SD.

Dans les territoires occupés, les chefs suprêmes des SS et de la Police étaient soumis à un contrôle plus direct du Befehlshaber et des commandants de la Police de sûreté et du SD qu’à l’intérieur du Reich. Ils étaient habilités à donner directement des instructions, à condition qu’elles fussent en accord avec les directives du chef de la Police de sûreté et du SD qui exerçait un contrôle en dernier ressort.

Le schéma ci-dessus et les remarques qui le concernent s’appuient sur deux documents que je dépose maintenant. Ce sont les documents L-219, qui est le plan d’organisation du RSHA, du 1er octobre 1943, et le document PS-2346.

Une autre tâche importante de la Gestapo et du SD était de combattre les ennemis du régime nazi sur le plan pratique et sur le plan idéologique et de maintenir au pouvoir Hitler et les dirigeants nazis, comme il est spécifié au chef d’accusation nº 1. Les tâches et les méthodes de la Police secrète d’État ont été clairement décrites dans un article traduit dans le document PS-1956, volume 2 du livre de documents ; je dépose cet article, publié en janvier 1936 dans Das Archiv, page 1342, et je le cite. Il est à la page 1 de la traduction anglaise. Je lirai d’abord le premier, puis les troisième et quatrième paragraphes :

« Afin de réfuter les rumeurs malignes répandues à l’étranger, le Völkischer Beobachter du 22 janvier 1936 a publié un article sur l’origine, la signification et la mission de la Police secrète d’État, dans lequel il est dit, entre autres… »

Je passe ensuite au troisième paragraphe :

« La Police secrète d’État est un organisme officiel de l’administration de la Police criminelle, qui a pour tâche particulière de découvrir les crimes et les délits commis contre l’État, et particulièrement les crimes de haute trahison et de trahison. La tâche de la Police secrète d’État est de détecter ces crimes et ces délits, de s’assurer de la personne des criminels, et de les amener devant les Tribunaux. Le nombre de poursuites criminelles pour activités de haute trahison et de trahison, toujours en instance devant le Tribunal du peuple, est le résultat de ce travail. Le genre d’opérations de la Police secrète d’État le plus important après celui-ci est de combattre de façon préventive tous les dangers qui menacent l’État et les dirigeants de l’État.

« Étant donné que, depuis la révolution nationale-socialiste, toute lutte ouverte et toute opposition ouverte à l’État et aux dirigeants de l’État est interdite, une Police secrète d’État comme instrument préventif de combat contre tous les dangers menaçant l’État est indissolublement liée à l’État totalitaire national-socialiste. Les adversaires du national-socialisme n’ont pas été supprimés par l’interdiction de leur organisation et de leurs journaux, mais ils ont adopté d’autres formes de combat. Par conséquent, l’État national-socialiste doit les découvrir, les surveiller, et réduire à l’impuissance les adversaires luttant clandestinement contre lui dans des organisations illégales, dans des associations camouflées, dans des coalitions d’Allemands abusés, et même dans des organisations du Parti et de l’État, avant qu’ils n’aient réussi à mettre à exécution une action dirigée contre l’intérêt de l’État. Cette tâche de combattre par tous les moyens ses ennemis secrets incombe toujours à un État totalitaire, car les puissances ennemies de l’État, de leurs centrales, fixées à l’étranger, s’attachent toujours quelques individus qu’elles chargent d’une mission clandestine dirigée contre l’État. L’activité préventive de la Police secrète d’État consiste essentiellement en une étroite surveillance de tous les ennemis de l’État dans le territoire du Reich. Étant donné que la Police secrète d’État ne peut pas exercer, en plus de ses tâches fondamentales, cette surveillance des ennemis de l’État d’une façon suffisante, elle est aidée dans cette tâche par le Service de sûreté du Reichsführer SS, qui a été institué par le délégué du Führer en tant que service d’information politique du mouvement, et qui met une grande partie des forces du mouvement, mobilisées par ses soins, au service de la sécurité de l’État. »

« La Police secrète d’État prend les mesures de police préventives nécessaires contre les ennemis de l’État, sur la base des résultats de l’enquête. La mesure préventive la plus efficace est, sans aucun doute, le retrait de la liberté, qui s’opère sous la forme de l’internement de protection, s’il est à craindre que la libre activité des personnes intéressées puisse mettre en danger la sécurité de l’État d’une manière quelconque. L’usage de l’internement de protection est réglementé de telle manière par les directives du ministre de l’Intérieur de la Prusse et du Reich, et par une procédure de contrôle de la détention par la Police secrète d’État, que, autant que la lutte préventive contre les ennemis de l’État le permette, les garanties les plus sérieuses contre l’abus de l’internement de protection sont assurées… »

LE PRÉSIDENT

Ne pensez-vous pas, Colonel Storey, que nous en savons assez sur l’organisation de la Gestapo et sur ses buts ?

COLONEL STOREY

Je ne lirai pas la suite de ce paragraphe.

LE PRÉSIDENT

Votre réponse ne me satisfait pas. Je vous demandais si vous ne pensiez pas que nous fussions suffisamment éclairés sur l’organisation de la Gestapo ?

COLONEL STOREY

J’en ai fini avec l’organisation de la Gestapo. J’en arrivais à la question de l’internement de protection qui l’a rendue célèbre, et je vais montrer comme elle agissait et d’où elle tirait le pouvoir de procéder à des internements de protection ou prétendus tels.

LE PRÉSIDENT

Mais il me semble que ce point a déjà été prouvé plus d’une fois au cours des exposés précédents.

COLONEL STOREY

Je voulais seulement, au cas où cela n’aurait pas déjà été fait, citer une loi prouvant que cette mesure échappait à tout contrôle judiciaire. Je ne sais pas si le commandant Farr en a parlé ou non.

LE PRÉSIDENT

Qu’elle n’est pas soumise à un contrôle judiciaire ?

COLONEL STOREY

Oui, un contrôle judiciaire.

LE PRÉSIDENT

Je crois que vous en avez déjà parlé vous-même cet après-midi.

COLONEL STOREY

La citation est tirée du Reichsverwaltungsblatt de 1935, page 577, document PS-2347. Je voudrais me référer à un passage de cette loi.

La décision de la Cour suprême administrative de Prusse a posé en principe, le 2 mai 1935, que la position de la Gestapo, en tant qu’autorité spéciale de police, faisait échapper ses dispositions à la compétence de la juridiction administrative et la Cour disait qu’aux termes de ce texte, le seul recours possible consistait en un appel à l’autorité immédiatement supérieure dans l’échelle de la Gestapo.

LE PRÉSIDENT

II me semble que vous nous avez déjà dit cela à propos du document du 10 février 1936 lorsque vous avez mentionné que les décisions de la Police secrète d’État n’étaient sujettes à aucune révision de la part des juridictions d’État.

COLONEL STOREY

Je voulais éviter toute contestation sur ces questions de compétence. J’invite le Tribunal à se reporter au document PS-1852, qui exprime les mêmes principes et a déjà été déposé sous le nº USA-449, ainsi qu’au document PS-1723, qui est le décret du 1er février 1938 sur l’internement de protection et l’établissement de nouveaux règlements, et dont j’aimerais citer une seule phrase : « Afin de déjouer toute tentative des ennemis du peuple et de l’État, l’internement de protection peut être ordonné comme mesure coercitive de la Police secrète d’État, contre les personnes qui par leur attitude mettent en danger la sécurité du peuple et de l’État ». La Gestapo avait le droit exclusif de prononcer l’internement de protection, qui devait être exécuté dans les camps de concentration de l’État.

Je passe maintenant à un autre point. Le SD a créé une organisation d’agents et d’informateurs qui opérait par l’intermédiaire des divers bureaux régionaux dans tout le Reich et, plus tard, en liaison avec la Gestapo et la Police criminelle, dans toute l’étendue des territoires occupés. Le SD opérait secrètement. L’une de ses attributions consistait à marquer les bulletins de vote, afin d’identifier les personnes qui votaient « non » ou qui mettaient dans l’urne un bulletin blanc. Je dépose comme preuve le document R-142, deuxième volume ; il se trouve, je crois, à la fin du livre de documents, R-142 (USA-481). Ce document contient une lettre datée du 7 mai 1938, adressée par le SD de Kochern au SD de Coblence et concernant le plébiscite du 10 avril 1938. Cette lettre se réfère à une lettre antérieure émanant du bureau de Coblence et c’est apparemment une réponse à une demande de renseignements sur la façon dont les gens ont voté à l’occasion du plébiscite dont le scrutin était supposé secret. C’est à la page 1 du document R-142.

LE PRÉSIDENT

Colonel Storey, on me signale que cela a déjà été lu.

COLONEL STOREY

Je ne le savais pas. Excusez-moi. Dans ce cas, je me contenterai de le déposer sans le lire. En ce qui concerne l’appui donné par la Sipo et le SD au national-socialisme, je mentionne un article du 7 septembre 1942, que vous trouverez dans le document PS-3344, premier paragraphe, deuxième volume du journal officiel. Je cite :

« Dès avant la prise du pouvoir, le SD avait joué son rôle dans le succès de la révolution nationale-socialiste. Après la prise du pouvoir, la Police de sûreté et le SD ont eu la responsabilité de la sécurité intérieure du Reich et ont préparé la voie à la pleine réalisation du national-socialisme, malgré toutes les résistances. »

Quant à la responsabilité criminelle du SD et de la Gestapo, elle sera considérée en rapport avec certains crimes de guerre et certains crimes contre l’Humanité qui furent, pour la plupart, la conséquence du système de police politique centralisé, dont le développement, l’organisation et la mission ont déjà été étudiés. Dans certains cas, les crimes ont été commis en collaboration ou en liaison avec d’autres groupements ou organisations. Si nous examinons rapidement les effectifs de ces diverses organisations, j’ai quelques chiffres que j’aimerais soumettre au Tribunal. La Sipo et le SD étaient composés de la Gestapo, de la Kripo et du SD. La Gestapo était l’organisation la plus importante, avec un effectif d’environ 40.000 à 50.000 membres, en 1934-1935. C’est une erreur, c’est entre 1943 et 1945. C’était l’armée politique du Reich.

LE PRÉSIDENT

Que dites-vous ? La date était fausse ?

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président, la date exacte est de 1943 à 1945, 40.000 à 50.000.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

M. BIDDLE

Quel document lisez-vous ?

COLONEL STOREY

Le document PS-3033. C’est un affidavit de Walter Schellenberg, l’un des fonctionnaires que j’ai mentionnés tout à l’heure. S’il plaît au Tribunal je crois que nous pourrions lire entièrement cet affidavit afin qu’il figure au procès-verbal des débats. J’en ai ici la traduction anglaise (document PS-3033, USA-488).

L’organisation de la Sipo et du SD était composée de la Gestapo, de la Kripo et du SD. En 1943-1945, la Gestapo avait un effectif d’environ 40.000 à 50.000 hommes, la Kripo, un effectif d’environ 15.000 et le SD un effectif d’environ 3.000. Pour l’usage courant et même dans les ordres et les directives, le terme SD était utilisé comme abréviation des termes Sipo et SD. Dans la plupart des cas, les ordres étaient exécutés par le personnel de la Gestapo plutôt que par celui du SD ou de la Kripo. Dans les territoires occupés, les membres de la Gestapo portaient fréquemment des uniformes SS avec l’insigne SD. Les nouveaux membres de la Gestapo et du SD étaient des volontaires.

« Cette déclaration a été faite sous la foi du serment devant le lieutenant Harris, le 21 novembre 1945. »

Je crois devoir dire au Tribunal que, d’après nos informations, un grand nombre des membres de la Gestapo étaient aussi membres des SS. Nous avons des chiffres divers sur les effectifs, mais nous n’avons pas de documents faisant autorité. Certains disent que 75 % appartenaient aux SS, mais nous n’en avons pas de preuve directe.

Je dépose maintenant le document PS-2751 (USA-482). C’est un affidavit d’Alfred Helmut Naujocks, du 20 novembre 1945. Il concerne essentiellement des incidents de frontière polonais et je crois qu’il a été mentionné par le témoin Lahousen lors de sa déposition :

« Je soussigné, Alfred Helmut Naujocks, dépose ainsi qu’il suit sous la foi du serment :

« 1. J’ai été membre des SS de 1931 au 19 octobre 1944, et membre du SD depuis sa création en 1934 jusqu’en janvier 1941. J’ai servi comme membre des Waffen SS depuis février 1941 jusqu’au milieu de 1942. Par la suite, j’ai servi dans les services économiques de l’administration militaire de Belgique, de septembre 1942 à septembre 1944. Je me suis rendu aux Alliés le 19 octobre 1944.

« 2. Vers le 10 août 1939, Heydrich, le chef de la Sipo et du SD, m’a ordonné personnellement de simuler une attaque contre la station d’émission de Gleiwitz, près de la frontière polonaise, et de lui donner l’apparence d’une attaque menée par les Polonais. Heydrich m’a dit : “Il nous faut pour la presse étrangère et la propagande allemande des preuves matérielles de ces attaques polonaises”.

« Je reçus l’ordre d’aller à Gleiwitz avec cinq ou six hommes du SD et d’attendre là un ordre chiffré de Heydrich, concernant le déclenchement de l’attaque. Je devais m’emparer de la station d’émission radiophonique et la tenir assez longtemps pour permettre à un Allemand parlant polonais, qui serait mis à ma disposition, d’émettre un message en polonais. Ce message, me dit Heydrich, déclarait que l’heure de la guerre germano-polonaise avait sonné, et que les Polonais rassemblés allaient écraser toute résistance de la part des Allemands. Heydrich me dit aussi, à l’époque, qu’il s’attendait à ce que l’Allemagne déclenchât une attaque contre la Pologne dans peu de jours.

« 3. Je me rendis à Gleiwitz et attendis là quinze jours. Je demandai alors à Heydrich l’autorisation de revenir à Berlin, mais je reçus l’ordre de rester à Gleiwitz. Entre le 25 et le 31 août, j’allai voir Heinrich Müller, chef de la Gestapo, qui se trouvait alors non loin de là, à Oppeln. En ma présence, Müller discuta avec un nommé Mehlhorn, un projet d’incident de frontière ayant l’apparence d’une attaque des troupes allemandes par les soldats polonais. On devait utiliser environ une compagnie de soldats allemands. Müller déclara qu’il avait douze ou treize criminels condamnés qui seraient habillés avec des uniformes polonais et qu’on laisserait morts sur la place pour montrer qu’ils avaient été tués au cours de l’attaque. Ils devaient, dans ce but, recevoir des injections mortelles d’un médecin au service de Heydrich. Par la suite, ils recevraient aussi des blessures d’armes à feu. Après l’incident, des membres de la presse et d’autres personnes devaient être amenées sur les lieux. Un rapport de police serait alors dressé. Müller me dit qu’il avait un ordre de Heydrich lui disant de mettre l’un de ces criminels à ma disposition pour l’action de Gleiwitz. Le mot-code par lequel ces criminels étaient désignés était “conserves”.

« 5. L’incident de Gleiwitz auquel j’ai participé fut exécuté la veille au soir de l’attaque allemande contre la Pologne. Autant que je me souvienne, la guerre éclata le 1er septembre 1939. Le 31 août à midi, je reçus par téléphone, de Heydrich, le mot chiffré pour l’attaque qui devait avoir lieu à 8 heures le soir même. Heydrich dit : “Afin d’exécuter cette attaque, demandez à Müller les conserves”. Je le fis et donnai à Müller des instructions pour amener l’homme auprès de la station de radio. Je reçus cet homme et le fis étendre à l’entrée de la station. Il était vivant, mais complètement inconscient. J’essayai d’ouvrir ses yeux, je ne pus reconnaître, à son regard, s’il était vivant, mais seulement à son souffle. Je ne vis pas de blessures d’armes à feu, mais son visage était barbouillé de sang. Il était en civil.

« 6. Conformément aux ordres, nous nous sommes emparés de la station de radio, avons transmis un message de trois à quatre minutes sur un émetteur de secours, lancé quelques coups de pistolet et sommes partis.

« Cette déclaration a été faite sous la foi du serment devant le lieutenant Martin. »

La Gestapo et le SD exécutèrent des centaines de milliers de civils des pays occupés ; c’était une partie du programme nazi d’extermination des indésirables politiques et raciaux. Ces opérations furent menées par les Einsatzgruppen. Le Tribunal se souviendra de toutes les preuves apportées sur l’activité des Einsatzgruppen ou Einsatzkommandos. Je mentionne maintenant le document R-102. Je crois que le commandant Farr a parlé de ce rapport ce matin, mais je désire mentionner une brève déclaration qu’il n’a pas citée, et qui concerne le SD, les Einsatzgruppen et la Police de sûreté. Vous la trouverez à la page 4 du document R-102 :

« Pendant la période couverte par ce rapport, les points de stationnement des Einsatzgruppen, de la Police de sûreté et du SD n’ont été modifiés que dans le secteur nord. »

LE PRÉSIDENT

Quel est ce document ?

COLONEL STOREY

Le document R-102, qui a déjà été déposé comme preuve par le commandant Farr. Il se trouve dans le volume 2 vers la fin du livre. Le chef de l’Einsatzgruppe A a soumis deux rapports. Le premier rapport est le document L-180, qui a déjà été déposé comme preuve sous le nº USA-276.

LE PRÉSIDENT

Colonel Storey, ne passez pas si rapidement d’un document à l’autre, je vous prie.

COLONEL STOREY

Excusez-moi, Monsieur le Président. Document L-180, dont je désirerais citer la page 13, c’est à la page 5 de la traduction anglaise. C’est au début du premier paragraphe, vers le bas de la page.

« Étant donné l’étendue du champ des opérations et le grand nombre de tâches qui vont être accomplies par la Police de sûreté, il a été prévu, dès le début, d’obtenir la collaboration de la population digne de confiance dans la lutte contre les gens nuisibles, c’est-à-dire essentiellement contre les Juifs et les communistes. »

Et dans le même document, à la page 30 de l’original et 8 de la traduction anglaise :

« Dès le début, on devait s’attendre à ce que le problème juif ne pût être résolu à l’Est par le seul moyen des pogroms. »

LE PRÉSIDENT

Voilà qui a déjà été lu.

COLONEL STOREY

Je ne l’avais pas remarqué, Monsieur le Président ; je le passerai donc.

Je dépose maintenant, en partie seulement, le document PS-2273 (USA-487). Ce document a été saisi par les Forces soviétiques et sera utilisé de façon détaillée par nos collègues soviétiques au cours de leur exposé ; mais, avec leur consentement, je désire présenter ici une carte qui est confirmée par ce document. Nous en avons une reproduction agrandie que nous allons faire suspendre au mur et nous en fournirons des exemplaires photocopiés au Tribunal.

Plaise au Tribunal. Cette carte est confirmée par la photocopie qui est jointe au rapport original qui sera présenté ultérieurement de façon détaillée. Je désire ne citer qu’une déclaration, page 2 de la traduction anglaise, troisième paragraphe avant la fin :

« Le mouvement d’auto-défense de l’Estonie exécuté lors de l’avance des Allemands débuta par des arrestations de Juifs, mais il n’y eut pas de pogroms spontanés ; ce ne fut que par la Police de sûreté et le SD que les Juifs furent graduellement exécutés, au fur et à mesure que l’on n’en avait plus besoin pour le travail. Aujourd’hui il n’y a plus un seul Juif en Estonie. »

Ce document est un document confidentiel émanant de l’Einsatzgruppe A, qui était un groupe exécutant des missions spéciales. Cette carte, dont la photocopie est attachée à l’original allemand qui figure au mur, montre les progrès de l’extermination des Juifs dans les zones d’opération de cet Einsatzkommando. Les membres du Tribunal regarderont le haut de la carte, près de Saint-Pétersbourg ou de Leningrad, comme nous appelons maintenant cette ville. Plus bas, vous verrez l’image d’un cercueil ; il indique, aux termes du rapport, que 3.600 personnes ont été tuées. Au-dessus, à gauche, se trouve un autre cercueil dans l’un des petits États baltes, indiquant que 963 personnes ont été exécutées dans cette zone. En dessous, près de la capitale, Riga, vous remarquerez qu’il y eut 35.238 personnes tuées ; il est indiqué qu’il reste encore 2.500 personnes dans le ghetto. Vous descendez jusqu’au carré suivant, c’est-à-dire jusqu’au prochain État où est mentionnée l’exécution de 136.421 personnes. Et ensuite, dans la zone suivante près de Minsk et juste au-dessus de Minsk, vous constaterez que 41.828 Juifs ont été abattus.

LE PRÉSIDENT

Êtes-vous sûr que les 136.000 ont été exécutés ? Nous ne voyons pas de cercueil à cet endroit.

COLONEL STOREY

Ce sont, Monsieur le Président, les totaux résultant des documents, le chiffre tout en bas.

LE PRÉSIDENT

Ces photocopies diffèrent de ce que vous avez là. Dans la zone qui porte 136.421, il n’y a pas de cercueil.

COLONEL STOREY

Excusez-moi, l’exemplaire que j’ai en mains est une copie exacte et digne de confiance.

LE PRÉSIDENT

Mon exemplaire ne comporte pas de cercueil et celui de M. Biddle non plus.

COLONEL STOREY (s’adressant à un secrétaire)

Voulez-vous passer cet exemplaire au Président, je vous prie ?

LE PRÉSIDENT

Je suppose que c’est le document lui-même qui doit le montrer.

COLONEL STOREY

J’examinerai l’original et je le vérifierai. Passez-moi l’original, s’il vous plaît. Apparemment il s’agit ici d’une erreur typographique. Plaise à Votre Honneur. Voici ici 136.421 et le cercueil.

LE PRÉSIDENT

M. Parker fait remarquer que cela se trouve aussi dans le document lui-même.

COLONEL STOREY

Oui, Monsieur le Président, c’est dans le document lui-même. C’est là qu’est l’erreur. Le chiffre 128.000 dans le bas, montre qu’à cette époque il existait encore 128.000 Juifs. La traduction littérale de la légende, ainsi que je la comprends, signifie « encore existants dans la zone de Minsk ».

Je me réfère maintenant au document PS-1104, volume 2, que je dépose sous le nº USA-483.

LE PRÉSIDENT

Colonel Storey, nous avez-vous indiqué ce qu’était ce document ? Rien dans la traduction ne nous l’explique.

COLONEL STOREY

C’est un rapport de l’Einsatzgruppe A, rapport confidentiel sur l’activité dans ces zones, et cette carte y était jointe, montrant les zones intéressées.

LE PRÉSIDENT

Est-ce un groupe spécial de la Gestapo ?

COLONEL STOREY

C’est un groupe spécial organisé à partir de la Gestapo et du SD pour opérer dans cette zone ; autrement dit, c’était un Kommandogruppe. Comme je l’ai indiqué, ils organisaient ces groupes spéciaux de Kommandos pour travailler dans le secteur et immédiatement à l’arrière des armées, à mesure qu’ils affermissaient leur position dans les territoires occupés. Les membres du Tribunal entendront parler d’autres rapports, fournis par ces Einsatzgruppen, au fur et à mesure que l’exposé progressera. En d’autres termes, « Einsatz » signifie action spéciale ou groupe d’action et ces groupes étaient organisés pour couvrir certaines zones géographiques situées immédiatement à l’arrière du front.

LE PRÉSIDENT

Mais c’étaient des groupes formés d’éléments de la Gestapo ?

COLONEL STOREY

De la Gestapo et du SD.

LE PRÉSIDENT

Eh bien, c’est une partie de la Gestapo.

COLONEL STOREY

Les groupes comprenaient également quelques hommes de la Kripo.

Je passe au document PS-1104, daté du 30 octobre 1941. Il montre qu’à cette date le commissaire du territoire de Sluzk envoya un rapport au commissaire général de Minsk, dans lequel il critiquait sévèrement l’activité des Einsatzkommandos, de la Sipo et du SD qui s’adonnaient dans sa zone au massacre de la population juive de la région. Je cite la traduction anglaise, à la page 4 de ce document, au premier paragraphe après les deux points :

« Le 27 octobre au matin, à 8 heures environ, un lieutenant du 11e bataillon de police de Kovno, Lituanie, se présenta comme l’adjoint du commandant du bataillon de la Police de sûreté. Ce lieutenant expliqua que le bataillon de police avait reçu l’ordre d’effectuer, dans lès deux jours, la liquidation de tous les Juifs présents dans la ville de Sluzk. Le commandant et son bataillon composé de quatre compagnies, dont deux étaient constituées par des partisans lituaniens, étaient en marche, et l’opération devait être déclenchée immédiatement. Je répliquai au lieutenant que je devais en tout cas discuter tout d’abord cette opération avec le commandant. Une demi-heure plus tard environ, le bataillon de police arriva à Sluzk. Dès son arrivée, un entretien eut lieu avec le commandant du bataillon, conformément au désir que j’en avais exprimé. J’expliquai d’abord au commandant qu’il ne serait pas possible de pratiquer l’opération sans préparatifs préalables, car tout le monde était parti travailler et cette mesure conduirait à une terrible confusion. Il aurait été de son devoir de m’informer au moins un jour à l’avance. Puis je lui demandai de retarder cette opération d’un jour ; il rejeta cette demande en faisant remarquer qu’il devait procéder à cette opération partout et dans toutes les villes, et que deux jours seulement étaient assignés pour Sluzk. En deux jours, la ville de Sluzk devait être, par tous les moyens, nettoyée des Juifs. »

Ce rapport fut fait au commissaire du Reich pour les territoires de l’Est par le Gauleiter Heinrich Lohse à Riga. Les membres du Tribunal se souviendront qu’il a déjà été mentionné au cours de notre exposé. Je passe maintenant à la page 5, premier paragraphe. J’aimerais en citer une partie :

« Pour le reste, je dois faire remarquer, à mon profond regret, que l’exécution de l’opération confinait au sadisme. La ville elle-même offrait un spectacle d’horreur pendant le déroulement des faits. Avec une brutalité indescriptible de la part des officiers de la Police allemande, aussi bien que des partisans lituaniens, les Juifs, mais aussi parmi eux des Blancs-Ruthènes, furent traînés hors de leurs demeures et parqués. Dans toute la ville, les coups de feu crépitaient et dans différentes rues, les cadavres des Juifs fusillés s’amoncelaient. Les Blancs-Ruthènes éprouvaient les pires difficultés pour échapper à l’encerclement. Sans tenir compte du fait que les Juifs, parmi lesquels se trouvaient des artisans, étaient maltraités de façon particulièrement brutale sous les yeux des Blancs-Ruthènes, ces derniers eux-mêmes étaient également malmenés à coups de matraque de caoutchouc et de crosse de fusil. Il n’était plus question d’une action contre les Juifs. On avait plutôt l’impression d’une révolution. »

Je passe ensuite à l’avant-dernier paragraphe de cette même page. Je cite :

« En conclusion, je me vois obligé de souligner que le bataillon de police s’est livré à un pillage inouï pendant l’action, non seulement dans les demeures juives, mais également dans celles des Blancs-Ruthènes. Tout ce qui était utile, tel que chaussures, cuir, vêtements, or, et autres objets de valeur, a été pillé. D’après des déclarations de militaires, des montres ont été enlevées des bras des Juifs en public, dans la rue, et des bagues arrachées des doigts de la façon la plus brutale. Un officier d’intendance a fourni un rapport précisant qu’une jeune fille juive reçut l’ordre de la Police de fournir immédiatement 5.000 roubles pour libérer son père. On dit que cette jeune fille a couru de tous côtés pour essayer de rassembler cet argent. »

Il y a un autre paragraphe avec une référence relative au nombre de copies, à la page 3 de la traduction, sur lequel j’aimerais attirer l’attention du Tribunal. C’est le dernier paragraphe de la page 3 de la traduction ; je cite :

« Je transmets ce rapport en double exemplaire afin que l’un d’eux puisse être envoyé au ministre du Reich. La paix et l’ordre ne sauraient être maintenus en Ruthénie blanche à l’aide de méthodes de ce genre : enterrer vivantes des personnes sérieusement blessées, qui essayent de sortir de leur tombe, est une telle monstruosité qu’un tel incident doit être rapporté au Führer et au Reichsmarschall.

« L’administration civile de la Ruthénie blanche fait des efforts énergiques pour gagner la sympathie de la population à l’Allemagne, en accord avec les directives du Führer. Ces efforts ne sauraient être en harmonie avec les méthodes décrites ci-dessus. »

Ce rapport est signé par le commissaire général pour la Ruthénie blanche. Il fut envoyé au ministre du Reich pour les régions occupées, à Berlin, le 11 novembre 1941.

LE PRÉSIDENT

Qui était-ce à l’époque ?

COLONEL STOREY

Le ministre du Reich pour les régions occupées de l’Est était à ce moment-là, si je ne me trompe, l’accusé Rosenberg. Il me semble que c’est exact.

À la même date, par une lettre distincte, le commissaire général pour la Ruthénie blanche rapporte au commissaire du Reich pour les territoires de l’Est qu’il avait reçu de l’argent, des objets de valeur et autres, saisis par la police au cours de l’action de Sluzk, et dans d’autres régions ; le tout avait été déposé à la Caisse de crédit du Reich, à la disposition du commissaire du Reich. Le 21 novembre 1941, un rapport sur les incidents de Sluzk fut envoyé au conseiller personnel du délégué permanent du ministre du Reich, avec un exemplaire pour Heydrich, chef de la Police de sûreté et du SD. Vous le trouverez à la première page du document PS-1104.

Les activités des Einsatzgruppen continuèrent au cours des années 1943 et 1944, sous le contrôle de Kaltenbrunner, chef de la Police de sûreté et du SD. Étant donné la situation militaire défavorable, le programme d’extermination fut en grande partie modifié et devint un rassemblement de la main-d’œuvre, réduite en esclavage au profit de l’Allemagne.

J’invite le Tribunal à se rapporter au document PS-3012, déjà déposé sous la cote USA-190. C’est une lettre émanant de l’état-major d’un Sonderkommando, qui était une unité bien connue de l’Einsatzgruppe C. Elle est datée du 19 mars 1943. Cette lettre résume l’activité réelle et les véritables méthodes de la Gestapo et du SD. J’aimerais en citer certaines parties qui n’ont pas encore été lues, à la page 2 du document PS-3012 ; je crois que je lirai la première page, en commençant au premier paragraphe :

« La tâche de la Police de sûreté et du service de sûreté (SD) est de découvrir tous les ennemis du Reich et de les combattre dans l’intérêt de la sécurité, et surtout de garantir la sécurité de l’Armée dans les zones d’opérations. Outre l’anéantissement des adversaires actifs et avoués, il faut prendre des mesures préventives pour l’élimination des personnes qui, en raison de leurs convictions ou de leur passé, pourraient, à la faveur des circonstances, devenir des ennemis effectifs. La Police de sûreté exécute cette mission avec toute la dureté nécessaire, en accord avec les directives générales du Führer. Ces mesures énergiques sont particulièrement nécessaires dans les territoires menacés par l’activité de bandes de partisans. La compétence de la Police de sûreté dans la zone des opérations est déterminée par les décrets Barberousse. » – Le Tribunal se souvient du fameux mot-code « Barbarossa » (Barberousse), qui englobait toutes les instructions relatives à l’invasion de la Russie.

« Les mesures prises ces derniers temps par la Police de sûreté sur une vaste échelle sont, à mon avis, indispensables pour les deux raisons suivantes :

« 1. La situation du front dans mon secteur était devenue si sérieuse que la population, en partie influencée par les Hongrois et les Italiens, refluant en désordre, prenait ouvertement parti contre nous.

« 2. Les importantes opérations de partisans, qui venaient plus particulièrement de la forêt de Bryansk, en étaient une autre raison. En outre, d’autres groupes de partisans se formèrent spontanément et apparurent comme des champignons dans tous les secteurs. Les approvisionnements en armes ne constituaient manifestement aucune difficulté. C’eut été un non-sens d’observer toute cette activité sans aucune réaction. Il est évident que toutes ces mesures entraînent quelque rigueur.

« Je veux souligner l’essentiel de ces mesures rigoureuses :

« 1º Exécution des Juifs hongrois. 2º Exécution d’agronomes. 3º Exécution d’enfants. 4º Incendie total des villages. 5º Exécution au cours de tentatives d’évasion des prisonniers détenus par le SD.

« Le chef de l’Einsatzgruppe C a confirmé une fois de plus le caractère approprié des mesures prises et a exprimé sa reconnaissance pour cette action énergique.

« En considération de la situation politique actuelle, en particulier dans l’industrie des armements à l’intérieur du pays, les mesures de la Police de sûreté doivent être subordonnées, autant que possible, au recrutement de la main-d’œuvre pour l’Allemagne. Dans les délais les plus brefs, l’Ukraine doit mettre à la disposition de l’industrie d’armement, un million d’ouvriers dont 500 doivent être envoyés quotidiennement de notre territoire. »

Ce chiffre a déjà été mentionné antérieurement par M. Dodd. Je me réfère à la page suivante, au premier ordre divisé en deux paragraphes :

« 1. Le traitement spécial doit être limité à un minimum.

« 2. On n’établira pour le moment que la liste des fonctionnaires communistes, agents actifs, etc., sans les arrêter. Il n’est plus possible, par exemple, d’arrêter tous les proches parents d’un membre du parti communiste. De même, les membres du Komsomolz ne doivent être arrêtés que s’ils occupent des postes importants. »

Les paragraphes suivants, 3 et 4, ont déjà été lus :

« 5. Les comptes rendus sur les bandes de partisans de même que les opérations montées contre elles, ne sont pas modifiés par ces ordres. Cependant les actions contre ces bandes ne peuvent avoir lieu qu’avec mon approbation préalable.

« 6. Les prisons doivent rester vides en général. Nous devons nous rendre compte du fait que les Slaves interpréteront comme de la faiblesse tout traitement doux de notre part et qu’ils agiront immédiatement en conséquence. Si nous limitons provisoirement les mesures rigoureuses prises par la Police de sûreté, c’est seulement pour la raison suivante : il s’agit avant tout de recruter des travailleurs. On ne fera aucun contrôle des personnes envoyées dans le Reich. On ne délivrera aucun certificat écrit de loyauté politique ou semblables attestations. Signé : Christensen, SS Sturmbannführer, commandant. »

Je crois que le Tribunal désire lever l’audience à 4 heures. Je pourrais peut-être lire encore un autre document.

C’étaient les Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD qui s’occupaient des infâmes fourgons de la mort. Le document PS-501, déjà déposé sous le nº USA-288, se rapportait à cette opération. La lettre de Becker qui fait partie de ce document était adressée à l’Obersturmbannführer Rauff à Berlin.

J’en arrive maintenant au document L-185. Je n’ai mentionné le document PS-501 qu’en tant que référence à propos de ces fourgons. Ce sera le document L-185 (USA-484), que je présenterai comme preuve, page 7 de la traduction anglaise. On observera que le chef de l’Amt II, D du RSHA, chargé des affaires techniques, était l’Obersturmbannführer Rauff. M. Harris me signale qu’il ne s’agit que de prouver que le chef de l’Amt II D du RSHA, qui a fait ce rapport sur des questions techniques, était l’Obersturmbannführer Rauff ; il se réfère ensuite sur le même sujet au document PS-2348 (USA-485). Le document précédent n’avait pour but que d’identifier Rauff avant de présenter son affidavit, le document PS-2348, au deuxième volume. Je lis, à partir du début, cette déclaration sous serment faite le 19 octobre 1945 à Ancône (Italie). Je cite :

« Je reconnais pour authentique la lettre jointe, écrite par le Dr Becker… le 16 mai 1942, que j’ai reçue le 29 mai 1942. Le 18 octobre 1945, j’ai en effet noté en marge de cette lettre que je la reconnaissais comme telle. Je ne connais pas le nombre des fourgons de la mort qui étaient utilisés et ne saurais même en donner un chiffre approximatif. Les fourgons étaient construits par les établissements Saurer, en Allemagne ; ils se trouvent, je crois, à Berlin. D’autres usines ont aussi fabriqué de semblables fourgons. À ma connaissance, ils ne furent utilisés qu’en Russie. Pour autant que je puisse le déterminer, ils furent probablement mis en service jusqu’en 1941, et j’ai l’impression personnelle qu’ils furent utilisés jusqu’à la fin de la guerre. »

Monsieur le Président, je crains que nous n’ayons pas le temps d’aborder le document suivant…

LE PRESIDENT

Le Tribunal suspendra ses travaux jusqu’au mercredi 2 janvier.

(L’audience sera reprise le 2 janvier 1946 à 10 heures.)