VINGT-CINQUIÈME JOURNÉE.
Mercredi 2 janvier 1946.
Audience du matin.
La parole est au Ministère Public américain.
Plaise au Tribunal. Lorsque le 20 décembre vous avez levé l’audience, Monsieur le Président, nous présentions le cas de la Gestapo. Nous avions parlé de l’utilisation de fourgons à gaz par les Einsatzgruppen dans les territoires occupés de l’Est et nous en avions presque terminé avec cette partie de notre exposé. Vous vous souvenez qu’il avait été question des fourgons de la mort construits par les usines Saurer. En conclusion, je voudrais attirer votre attention sur un télégramme inclus dans le document PS-501. Il n’est pas nécessaire de vous le lire. Il démontre clairement que les fourgons de la mort utilisés par ces Einsatzgruppen étaient du même type que ceux sortis de ces usines.
Le dernier document concernant les Einsatzgruppen dans les territoires occupés de l’Est est le document PS-2992, qui figure dans le deuxième volume du livre de documents. C’est une déclaration sous serment de Hermann Gräbe, actuellement employé à Francfort par le Gouvernement américain. Elle a été faite à Wiesbaden PS-2992 (USA-494). Je vous en présente des extraits. Le témoin Hermann Gräbe dirigeait une entreprise de construction en Ukraine et il a été témoin oculaire d’un pogrom dirigé contre les Juifs à Rovno, le 13 juillet 1942. Je me réfère à la partie de cette déposition qui se trouve page 5 de la traduction anglaise, tout au début :
« De septembre 1941 à janvier 1944, j’ai été directeur et ingénieur en chef de la succursale de Sdolbunov, Ukraine, de l’entreprise de construction Josef Jung à Solingen. Je devais visiter les chantiers de cette maison et il en existait notamment à Rovno en Ukraine. Au cours de la nuit du 13 juillet 1942, tous les Juifs du ghetto de Rovno, soit environ 5.000 personnes, furent anéantis. J’ai été témoin de la destruction de ce ghetto et je peux dire comment ce pogrom fut conduit, aussi bien au cours de la nuit que le lendemain matin. Voici ce qui eut lieu : j’employais au chantier de Rovno, à côté de Polonais, d’Allemands et d’Ukrainiens, environ 100 Juifs venus de Sdolbunov, Ostrog et Mysotch. Ces hommes habitaient un bâtiment au 5 Bahnhofstrasse, à l’intérieur du ghetto, et leurs femmes y étaient aussi logées, dans une maison au coin de la Deutsche Strasse, nº 98.
« Le samedi 11 juillet 1942, mon contremaître, Fritz Einsporn, me signala une rumeur suivant laquelle, le lundi suivant, tous les Juifs de Rovno seraient tués. Bien que la majorité des Juifs que j’utilisais à Rovno ne fussent pas de cette ville, je craignais toutefois qu’ils ne fussent compris dans ce pogrom et je demandais à Fritz Einspom de diriger tous les Juifs de notre entreprise, hommes et femmes, sur Sdolbunov, à environ 12 kilomètres de Rovno. Ce qui fut fait. Le doyen des Juifs de Rovno apprenant que mes ouvriers avaient été évacués, alla voir l’officier commandant la Sipo et le SD de Rovno, le SS Sturmbannführer Dr Pütz, dès le samedi après-midi, pour savoir à quoi s’en tenir sur ces rumeurs qui semblaient confirmées par le départ des Juifs de notre entreprise.
« Le Dr Pütz affirma que ces rumeurs étaient mensongères et fit arrêter le personnel polonais de mon entreprise à Rovno. Einsporn évita l’arrestation en s’échappant de Sdolbunov. Quand j’eus connaissance de cet incident, je donnai à tous les Juifs ayant quitté Rovno l’ordre d’y reprendre le travail le lundi 13 juillet 1942. Le lundi matin, j’allai moi-même rendre visite au Dr Pütz pour connaître la vérité sur ces rumeurs de pogrom et pour obtenir des renseignements sur l’arrestation du personnel de bureau polonais. Le Dr Pütz me répondit qu’aucun pogrom n’était projeté. Cela serait d’ailleurs insensé, car les usines et la Reichsbahn perdraient ainsi de précieux ouvriers. Une heure plus tard, je fus convoqué par le commissaire de la zone de Rovno. Son représentant, le Stabsleiter Ordensjunker Beck, me posa les questions que m’avait posées le SD. J’expliquai que j’avais renvoyé ces Juifs chez eux en vue d’un épouillage urgent, ce qui lui parut plausible. Il ajouta en me faisant promettre de n’en parler à personne, qu’un pogrom aurait bien lieu le soir du lundi 13 juillet 1942.
« Après une longue discussion, je réussis à le persuader de me donner l’autorisation d’emmener mes ouvriers juifs à Sdolbunov, mais seulement après la fin du pogrom. La protection de leurs maisons contre les milices ukrainiennes et les SS pendant la nuit serait mon affaire. Pour authentifier ses dires, il me donna une lettre déclarant que les employés juifs de J. Jung n’étaient pas compris dans le pogrom. »
Voici l’original de ce document, que j’ai ici entre les mains et que je passe à l’interprète afin qu’il le lise. C’est un papier à en-tête du commissaire du district de Rovno. Il est daté du 13 juillet 1942 et signé de sa main. J’en donne lecture :
« Le commissaire du district de Rovno. – Secret. – Établissements Jung à Rovno.
« Les ouvriers juifs utilisés dans votre entreprise ne seront pas touchés par le pogrom (Aktion) » – si je comprends bien, cela signifie « Action » – « vous devez les transférer sur leur nouveau lieu de travail, le mercredi 15 juillet 1942 au plus tard. Le commissaire de district, par délégation, Beck. »
Le document porte le cachet officiel du commissaire de district de Rovno.
Puis vient dans la déposition le passage suivant, à la page 5 ou 6, je crois. Je désirerais en lire un autre paragraphe, après la note originale ci-jointe.
« Le soir même, je partis pour Rovno, et j’allai avec Fritz Einsporn me poster devant la maison de la Bahnhofstrasse, où logeaient les ouvriers juifs de mon entreprise. Peu après 22 heures, le ghetto fut encerclé par un important détachement de SS et environ trois fois plus de miliciens ukrainiens ; des projecteurs à arc, installés tout autour et à l’intérieur du ghetto, furent allumés ; des détachements de quatre à six SS ou miliciens entrèrent ou tout au moins essayèrent d’entrer dans les maisons. Quand les portes et les fenêtres étaient fermées et que les habitants ne répondaient pas aux cris et aux coups frappés aux portes, les SS et les miliciens forçaient ces portes avec des madriers et des leviers et entraient dans les maisons. Les occupants de ces maisons étaient chassés dans la rue dans l’état où ils étaient, habillés ou sortant de leur lit.
« Comme ces Juifs refusaient la plupart du temps de quitter les maisons et se défendaient, la milice et les SS employèrent alors la force et réussirent à les en faire sortir, les malmenant à coups de fouet, à coups de pied, à coups de crosse. Souvent, ils chassaient les occupants des maisons avec tant de hâte que des enfants y restaient. Des femmes criaient à leurs enfants de venir les rejoindre, tandis que les enfants appelaient leurs parents. Tout cela n’empêchait pas les SS de chasser ces gens devant eux, au pas de course, tout en les frappant, jusqu’au train de marchandises qui les attendait. Tous les wagons du train furent remplis. On entendait sans interruption des hurlements de femmes et d’enfants, le crépitement des coups de fusil et le bruit des fouets. Plusieurs familles s’étant barricadées dans des bâtiments dont on ne pouvait forcer les portes par les moyens ordinaires, les Allemands se servirent alors de grenades à main. Le ghetto se trouvant près de la voie ferrée passant à Rovno, des jeunes gens essayèrent de se sauver en traversant les voies, et, après cela, une petite rivière. Ce secteur n’était pas illuminé, mais les SS l’éclairèrent alors à l’aide de fusées. Toute la nuit ces gens, battus, traqués, défilèrent le long des rues illuminées, des femmes portant des enfants morts entre leurs bras, des enfants tirant jusqu’au train leurs parents morts, les traînant par les bras et par les jambes. Sans arrêt, on entendait des cris : “Ouvrez, ouvrez !” »
Je ne poursuivrai pas la lecture de cette déposition qui est très longue. Il me faudrait citer aussi une deuxième déclaration, mais je voulais surtout attirer l’attention sur le fait que l’exemption a été signée par le commissaire de district lui-même et que les SS et le SD ont participé à cette opération.
Vous pourriez peut-être lire le restant de la page.
Très bien, Monsieur le Président. Je l’avais éliminé pour éviter des répétitions :
« Vers six heures du matin, j’ai quitté les parages quelques instants, laissant sur place Fritz Einsporn et quelques autres ouvriers allemands revenus prendre la garde. Je croyais qu’il n’y avait plus grand danger et que je pouvais m’absenter. Mais peu de temps après mon départ, la milice ukrainienne se fraya un chemin jusqu’au 5 Bahnhofstrasse, en sortit sept Juifs et les conduisit vers un point de rassemblement à l’extérieur du ghetto. À mon retour, je pus empêcher qu’on fît sortir d’autres Juifs de cette maison. J’allai au point de rassemblement afin de sauver les sept hommes. Je vis en chemin des douzaines de cadavres des deux sexes et de tous les âges dans les rues. Les portes de maisons étaient ouvertes, les fenêtres enfoncées et des habits, chaussures, bas, vestes chapeaux, manteaux, etc., jonchaient le sol. Je vis un petit enfant de moins d’un an, la tête fracassée, gisant au coin d’une maison. Du sang et de la cervelle maculaient le mur de la maison et le sol, tout autour de l’enfant qui n’était vêtu que d’une simple chemise. Le commandant, SS Sturmbannführer Dr Pütz allait de long en large, surveillant une colonne de 80 à 100 Juifs accroupis par terre. Il avait à la main un lourd fouet à chiens. J’allai le voir pour lui montrer l’autorisation du Stabsleiter Beck et lui demandai de me rendre les sept hommes que j’avais reconnus parmi les Juifs accroupis. Pütz entra dans une violente colère quand il apprit la concession faite par Beck, et rien ne put le persuader de me rendre les sept ouvriers. D’un geste circulaire, il me montra la place, et me déclara que ceux qui étaient là ne s’en iraient plus. Malgré sa colère contre Beck, il m’ordonna d’évacuer les gens du 5 Bahnhofstrasse hors de Rovno, avant 8 heures du matin, dernière limite.
« Juste après avoir quitté le Dr Pütz, je rencontrai une voiture ukrainienne à deux chevaux où s’empilaient des cadavres ; la voiture se dirigeait vers le train de marchandises. On voyait des bras et des jambes raidis dépasser les ridelles. J’emmenai les 74 Juifs qui étaient restés enfermés dans la maison et les conduisis à Sdolbunov.
« Plusieurs jours après le 13 juillet, le commissaire du district de Sdolbunov, Georg Marschall, convoqua tous les directeurs d’usines, inspecteurs des chemins de fer et chefs de l’organisation Todt de sa zone et leur annonça que les entreprises devaient prendre leurs dispositions, car dans peu de temps les Juifs devaient être déportés. Il parla du pogrom de Rovno : tous les Juifs avaient été “liquidés” c’est-à-dire fusillés, près de Kostopol. »
Ce document est signé et certifié à la date du 10 novembre 1945.
Quelle est la nationalité de Gräbe ?
Il est allemand. Il travaille maintenant pour le Gouvernement militaire américain à Francfort.
Monsieur le Président, il existe une autre déposition relative au même sujet qui fait partie du même document et que je ne lirai pas. Elle concerne l’exécution de personnes dans une autre région et rapporte des faits semblables. Elle fait partie du même document, mais elle ferait double emploi avec ce que j’ai déjà cité.
Je passe maintenant au point suivant. La Gestapo et le SD dépêchaient des unités spéciales dans les camps de prisonniers de guerre : elles étaient chargées de trier les gens jugés indésirables, tant au point de vue racial que politique, et de les exécuter. Le programme ordonnant l’exécution massive de certaines catégories de civils jugés indésirables au point de vue racial ou politique fut donc aussi appliqué à des prisonniers de guerre en provenance du front de l’Est.
J’attire l’attention du Tribunal sur le témoignage du général Lahousen, en date du 30 novembre 1945, relatant une conférence qui eut lieu pendant l’été de 1941, peu après le début de l’offensive contre l’Union Soviétique. Lahousen était présent en personne à cette conférence et je tiens à souligner ce fait, car plus tard nous aurons à considérer un deuxième document relatif à cette conférence. Y étaient également présents le général Reinecke, le colonel Breuer et Müller, le chef de la Gestapo. Au cours de cette conférence, on discuta de la suppression des fonctionnaires soviétiques et des communistes prisonniers. Les exécutions seraient effectuées par des Einsatzkommandos de la Sipo et du SD.
Lahousen rapporte que Müller, chef de la Gestapo, insista pour que l’on réalisât complètement ce programme. Il accorda que, pour ne pas blesser la sensibilité des troupes allemandes, ces exécutions ne fussent pas effectuées en leur présence. Müller fit aussi certaines concessions quant au choix des personnes à supprimer. Mais, d’après Lahousen, cette sélection était entièrement laissée à l’arbitraire des chefs de ces unités de triage. Je me réfère au procès-verbal des débats (Tome II, page 455).
Je présente maintenant le document PS-502 (USA-486). C’est une directive de la Gestapo en date du 17 juillet 1941. Vous vous souviendrez que Lahousen a déclaré que cette conférence avait eu lieu pendant l’été de 1941. Elle est destinée aux chefs de la Sipo et du SD des camps et stipule, en partie, ce qui suit. Je lis la première page de la traduction anglaise. Si le Tribunal le permet, notre collègue du Ministère Public soviétique présentera la plus grande partie de ce document. J’en lirai juste assez pour que vous vous rendiez compte de la responsabilité de la Gestapo. Il commence ainsi :
« Les commandos recevront leurs nouvelles affectations, selon l’accord conclu entre le chef de la Sipo et du SD et l’OKW le 16 juillet 1941 (voir annexe I). En vertu de pouvoirs spéciaux, les commandos seront indépendants dans leur travail, mais resteront néanmoins soumis aux règlements généraux de chaque camp. Bien entendu les commandos resteront en contact étroit avec le commandant du camp, et son officier de renseignement. Les commandos auront pour mission de surveiller du point de vue politique tous les internés du camp et de déterminer le traitement ultérieur de certains éléments, c’est-à-dire :
« a) Tous les éléments indésirables au point de vue politique, criminel ou autres.
« b) Toutes les personnes qui peuvent être employées à la reconstruction des territoires occupés. »
Je passe au début du quatrième paragraphe :
« Les commandos devront, autant que possible, savoir profiter, dès maintenant et par la suite, de l’expérience acquise par les commandants de camp dans l’observation des détenus et au cours des interrogatoires.
« De plus, les commandos devront chercher à trouver dès le début, parmi les prisonniers, des éléments paraissant sûrs, qu’ils soient communistes ou non, afin de les utiliser comme indicateurs à l’intérieur du camp et, si besoin est, plus tard dans les territoires occupés.
« En utilisant de tels indicateurs et en tirant parti des moindres occasions, on doit réussir petit à petit à découvrir parmi les prisonniers tous les éléments à éliminer. Les commandos devront, dans chaque cas, en questionnant brièvement les détenus ainsi repérés, puis, si cela est nécessaire, d’autres détenus, décider définitivement des mesures à prendre. Les renseignements fournis par le seul indicateur ne peuvent pas être suffisants pour déclarer un interné suspect. Ses dires doivent être confirmés chaque fois que cela est possible. »
Je passe au troisième paragraphe de la page 2 de la traduction anglaise. Je cite :
« Les exécutions ne doivent pas avoir lieu dans le camp ou environs immédiats du camp. Dans les camps du Gouvernement Général, situés à proximité de la frontière, les prisonniers qui doivent subir le traitement spécial doivent, autant que possible, être conduits en territoire anciennement soviétique. »
Et, au cinquième paragraphe :
« En ce qui concerne les exécutions, le déplacement éventuel de personnes de confiance ou l’envoi d’agents de renseignements des Einsatzgruppen dans les territoires occupés, chaque chef de commando devra se mettre au préalable en rapport avec le chef du bureau ou du bureau directeur de la Police d’État le plus proche, avec le commandant de l’unité de la Sipo et du SD, et avec le chef de l’Einsatzgruppe intéressée dans les territoires occupés. »
La preuve que les personnes triées par la Gestapo dans les camps de prisonniers étaient exécutées figure au document PS-1165 que je n’ai pas l’intention de lire puisqu’il a déjà été présenté précédemment sous le nº USA-244. Il montre que les éléments triés étaient exécutés.
La première page de ce document, que je résume, est une lettre du chef du camp de concentration de Gross-Rosen, en date du 23 octobre 1941, et adressée à Müller, chef de la Gestapo, confirmant leur conversation et donnant les noms de vingt prisonniers de guerre soviétiques exécutés le jour précédent.
La seconde page – je me réfère toujours au document 1165 sans le lire car il a déjà été cité – expose les directives adressées par Müller, le 9 novembre 1941, à tous les bureaux de la Gestapo, par lesquelles il ordonnait que tous les prisonniers de guerre malades fussent exclus des convois à destination des camps de liquidation, car 5 à 10 % de ceux-ci arrivaient dans les camps déjà morts ou à moitié morts.
Je présente maintenant le document PS-2542 (USA-489) (deuxième volume du livre de documents). C’est un affidavit de Kurt Lindow, ancien fonctionnaire de la Gestapo, établi le 30 septembre 1945, à Oberursel en Allemagne, au cours d’une enquête militaire officielle menée par l’Armée américaine. Je cite le début de ce document :
« 1. J’étais “Kriminaldirektor” à la section IV du RSHA ». – j’attire, Monsieur le Président, votre attention sur le schéma du mur : il était « Kriminaldirektor » à la section IV et chef de la sous-section IV A 1 – « de la mi-42 jusqu’à la mi-44, avec le grade de SS Sturmbannführer.
« 2. Entre 1941 et l’été 1943, fut adjoint à la sous-section IV - A1 » (ce service ne figure pas sur le schéma, mais on en a déjà parlé ici) « un service spécial qui avait pour chef le Regierungsoberinspektor, plus tard Regierungsamtmann et SS Hauptsturmführer Franz Königshaus. C’est dans ce service qu’on traitait les questions relatives aux prisonniers de guerre. J’ai appris de ce service que des instructions avaient été données par le Reichsführer Himmler en 1941 et 1942 ordonnant l’exécution des commissaires politiques soviétiques et des soldats juifs. Autant que je sache, les listes de prisonniers à exécuter étaient établies dans les différents camps. Königshaus préparait alors les ordres d’exécution et les soumettait au chef de la section IV, Müller, le chef de la Gestapo, pour signature. Ces ordres étaient établis en double exemplaire, dont l’un allait au service qui avait établi la demande et le deuxième au camp de concentration qui avait à procéder à l’exécution. Les prisonniers visés étaient d’abord officiellement libérés, puis transférés au camp de concentration pour exécution.
« 3. Königshaus, en tant que spécialiste, m’était personnellement subordonné, et cela depuis le milieu de 1942 jusqu’au début de 1943, et travaillait en ce qui concernait le service directement avec le chef du groupe IV A le Regierungsdirektor Panzinger. Au début de 1943, ce service fut dissous et rattaché au groupe IV B. Les questions regardant les prisonniers de guerre russes ont dû alors être traitées par le groupe IV B 2 a, dirigé par le Regierungsrat et SS Sturmbannführer Hans-Helmuth Wolf.
« 4. Il existait dans les camps de prisonniers du front de l’Est de petites équipes nommées “Einsatzkommandos” dont les chefs étaient des membres subalternes de la Gestapo. Ces équipes étaient détachées auprès des commandants de camp et avaient pour mission de trier, conformément aux ordres reçus et de signaler à la Gestapo, les prisonniers de guerre à exécuter. »
Je ne lirai pas la suite de cette déposition. Passons maintenant à un autre sujet.
Les prisonniers de guerre évadés, qui étaient repris, étaient envoyés par la Gestapo et le SD dans des camps de concentration et exécutés. Le Tribunal se rappellera le document PS-1650 déjà présenté ici, qui contenait un ordre du chef de la Sipo et du SD aux bureaux régionaux de la Gestapo, suivant lequel certains officiers évadés des camps devaient, une fois repris, être transférés au camp de concentration de Mauthausen. Il s’agit de l’action connue sous le nom de « Kugel », ce qui, comme le Tribunal s’en souviendra veut dire « balle », et du « Kugelerlass », le fameux décret déjà mentionné ici. Pendant le transfert, les prisonniers devaient être enchaînés. Les officiers de la Gestapo n’étaient astreints qu’à un rapport semi-annuel, ne donnant que le nombre des prisonniers envoyés à Mauthausen.
Le 27 juillet 1944, un ordre, émanant du commandement du Wehrkreis VI réglementa le traitement des prisonniers de guerre. Il s’agit du document PS-1514, du deuxième volume de documents, que je dépose sous le nº USA-491. Ce document stipule que certains prisonniers de guerre ne devaient plus être considérés comme tels et devaient être remis à la Gestapo. Je cite la première page :
« Objet : Remise de certains prisonniers de guerre à la Police secrète d’État. Ci-joint dispositions exécutoires 1.
« La remise à la Gestapo sera faite suivant la réglementation résumée ci-dessous :
« 1. – a) Conformément aux dispositions exécutoires 2 et 3, le chef de camp devra livrer à la Police secrète d’État tout prisonnier de guerre soviétique coupable d’actes répréhensibles – après l’avoir dépossédé de son statut de prisonnier de guerre – s’il considère que ses pouvoirs en matière disciplinaire ne lui permettent pas de punir l’individu comme il convient. Il ne sera pas fait de rapport.
« b) Tout prisonnier de guerre soviétique repris après tentative d’évasion devra tout d’abord être conduit au service de police le plus proche afin d’établir s’il n’a pas commis quelque acte répréhensible au cours de son évasion. Le retrait du statut de prisonnier de guerre sera fait sur la demande du service de police en question (section A 6 de la disposition exécutoire 4 résumant les dispositions relatives aux prisonniers repris après évasion ou refusant de travailler).
« c) Tout officier soviétique repris après évasion sera livré à la Gestapo après retrait du statut de prisonnier de guerre (sections A 1 de la disposition exécutoire 4).
« d) Tout officier soviétique prisonnier de guerre refusant de travailler ou ayant une attitude provocante et exerçant par là une influence pernicieuse sur les prisonniers soviétiques désireux de travailler, devra être remis par le Stalag responsable au service le plus proche de la Police d’État, après retrait du statut du prisonnier de guerre (sections C 1 des dispositions exécutoires 4 et 5).
« e) Tout soldat soviétique prisonnier de guerre refusant de travailler, faisant figure de meneur ou ayant une attitude provocante et exerçant par là une influence pernicieuse sur les prisonniers désireux de travailler, devra être remis au service de la Police d’État le plus proche après retrait du statut de prisonnier de guerre (section C 2 de la disposition exécutoire 4).
« f) Tout prisonnier de guerre soviétique, homme de troupe ou officier, qui, pour ses opinions politiques, a été trié par un Einsatzkommando de la Sipo et du SD, sera remis par le chef de camp à cet Einsatzkommando, sur la demande de ce dernier et ne sera plus considéré comme prisonnier de guerre (disposition exécutoire 6).
« g) Les prisonniers de guerre polonais, quand des actes de sabotage pourront leur être imputés, devront être remis au service de la Police d’État le plus proche et ne seront plus considérés comme prisonniers de guerre. La décision est prise par le chef de camp. Il ne sera pas fait de rapport (disposition exécutoire 7).
« 2. Il n’est pas nécessaire d’envoyer au Commandement militaire du Wehrkreis VI, service des prisonniers de guerre, un rapport sur la remise à la Gestapo des prisonniers de guerre ou sur le retrait du statut de prisonnier visés au paragraphe 1.
« 3. Tout prisonnier de guerre, quelle que soit sa nationalité, devra être obligatoirement remis à la Police secrète d’État et ne plus être considéré comme prisonnier de guerre, si un ordre spécial de l’OKW ou du Commandement du Wehrkreis VI, service des prisonniers de guerre, le requiert.
« Les prisonniers de guerre soupçonnés d’appartenir à des organisations illégales ou à des mouvements de résistance devront être remis à la Gestapo aux fins d’interrogatoire. Ils resteront prisonniers de guerre et devront être traités comme tels. Leur prise en charge par la Gestapo et la perte du statut de prisonnier de guerre n’auront lieu que sur ordre de l’OKW ou du service des prisonniers de guerre du Commandement du Wehrkreis VI.
« En ce qui concerne les prisonniers de guerre français et belges et les internés militaires italiens, la remise à la Gestapo aux fins d’interrogatoire est subordonnée à l’autorisation (téléphonique le cas échéant) du Commandement du Wehrkreis VI, section des prisonniers de guerre. »
Ce décret porte le nom de « Kugelerlass ». Les prisonniers de guerre envoyés au camp de concentration de Mauthausen en application de ce décret étaient exécutés.
Je présente à l’appui de cette affirmation le document PS-2285 (USA-490), du deuxième volume. C’est une déclaration sous serment du lieutenant-colonel Guivante de Saint-Gast et du lieutenant Jean Veith, tous deux de l’armée française. Elle a été faite le 13 mai 1945 au cours d’une enquête officielle de l’armée américaine. On y apprend que le lieutenant-colonel de Saint-Gast fut interné à Mauthausen, du 18 mars 1944 au 22 avril 1945 et le lieutenant Veith du 22 avril 1943 au 22 avril 1945. Je citerai le troisième paragraphe de la première page de cette déposition :
« Il y avait différentes façons de traiter les prisonniers à Mauthausen, parmi lesquelles celle décrite par le décret “Kugel”. Lorsque les transports arrivaient, les prisonniers relevant de la catégorie “K” n’étaient pas enregistrés, ne recevaient aucun matricule et leurs noms restaient inconnus, si ce n’est des fonctionnaires de la “politische Abteilung”. Le lieutenant Veith eut l’occasion d’entendre, à l’arrivée d’un transport, la conversation suivante entre l’Untersturmführer Streitwieser et le chef de convoi : “Combien de prisonniers ? – Quinze dont deux ‘K’. – Bon, cela fait treize.” –.
« Ces prisonniers “K” étaient aussitôt dirigés sur la prison. On leur retirait leurs vêtements et on les menait aux “salles de douches”. La salle de douches, située dans les caves de la prison, à proximité du four crématoire, était spécialement conçue pour l’exécution de prisonniers soit par balle, soit par asphyxie. On utilisait à cet effet une toise tout à fait spéciale. Le prisonnier était placé sous cette toise qui automatiquement lui lâchait une balle dans la nuque dès qu’elle atteignait le sommet du crâne.
« Lorsqu’un arrivage de prisonniers “K” était trop important, au lieu de perdre du temps à les “mesurer” on les exterminait par asphyxie au moyen de gaz envoyé dans les salles de douches par les canalisations d’eau. »
Je vais maintenant traiter un autre point : la Gestapo s’est rendue responsable de la création et de la gestion des camps de concentration et de l’envoi d’indésirables raciaux et politiques dans des camps de concentration ou d’extermination pour le travail forcé et l’extermination.
Le Tribunal a déjà pris connaissance de documents prouvant la responsabilité de la Gestapo dans la gestion des camps de concentration et dans l’internement de protection dans les camps de concentration de l’État. Et c’est bien la Gestapo qui donnait aussi l’ordre de créer de nouveaux camps de concentration, de transformer encore des camps de prisonniers en camps de concentration ou d’extermination, des camps de travail en camps de concentration, de créer des sections spéciales pour les internées femmes, etc.
C’est le chef de la Sipo et du SD qui décidait de la répartition des prisonniers dans les divers camps de concentration, suivant la gravité de l’accusation portée contre chacun et les chances qu’on pouvait avoir de le « réformer » du point de vue nazi. Je citerai à l’appui les documents PS-1063 (a) et PS-1063 (b), 2e volume USA-492. Les camps de concentration étaient classés en catégorie I, II et III : la catégorie 1 était destinée aux infractions les moins graves, la catégorie III concernant les prisonniers les plus compromis. Le document PS-1063 (a), porte la signature de Heydrich et est daté du 2 janvier 1941. Je cite, à partir du mot « Objet » au début du document :
« Objet : Classification des camps de concentration.
« Le Reichsführer SS, chef de la Police allemande donne son approbation à la répartition des camps de concentration en catégories tenant compte de la personnalité de chaque prisonnier, ainsi que du danger qu’il peut constituer pour l’État. Les camps de concentration seront donc classés comme suit :
« Catégorie I : pour tous les détenus coupables de délits mineurs, et susceptibles d’amendement, ainsi que pour les cas spéciaux et les internements en cellule : camps de Dachau, Sachsenhausen, Auschwitz I (ce dernier camp fait aussi partie de la catégorie II).
« Catégorie I a pour les détenus âgés encore aptes au travail, pouvant être utilisés dans les jardins à herbes médicinales : camp de Dachau.
« Catégorie II : pour les détenus gravement compromis, mais qui peuvent encore être rééduqués et amendés : camps de Buchenwald, Flossenbürg, Neuengamme, Auschwitz II.
« Catégorie III : pour les détenus très gravement compromis, ainsi que pour tous ceux ayant déjà été emprisonnés pour des actes criminels et les asociaux, c’est-à-dire pour les prisonniers difficilement amendables : camp de Mauthausen. »
J’attire l’attention du Tribunal sur le fait que nous avons déjà appris que Mauthausen était le camp où avait lieu la liquidation « K ».
Le chef de la Sipo et du SD décidait de la durée de l’internement. Pendant la guerre, on n’apprenait pas aux détenus la durée de leur internement. On leur annonçait seulement qu’ils étaient emprisonnés « jusqu’à nouvel ordre ». C’est ce que montre le document PS-1531, qui a déjà été présenté ici sous le nº USA-248. Je rappelle ce document pour montrer que le chef de la Sipo et du SD avait le droit de décider de la durée de l’internement des prisonniers.
Chaque service local de la Gestapo, chargé des arrestations tenait un registre appelé « Haftbuch » (registre des détentions). On trouvait inscrit sur ce registre le nom des personnes arrêtées, en, plus des renseignements personnels, des motifs de l’arrestation et des dispositions prises. Chaque fois que l’État-Major de la Gestapo à Berlin donnait l’ordre de transférer une personne récemment arrêtée dans un camp de concentration, une mention spéciale était portée à cet effet sur le « Haftbuch ». Je présente à l’appui de ces affirmations l’original d’un de ces registres qui porte le nº L-358 (USA-495). Ce registre fut saisi par la troisième armée américaine au cours de sa progression, plus précisément par des unités « T », le 22 avril 1945, près de Bad Sulza. C’est l’original du « Haftbuch » de la Gestapo de Tomaszow en Pologne, où figurent les noms des personnes arrêtées, le motif de leur arrestation et toutes les dispositions prises, pendant la période du 1er juin 1943 au 20 décembre 1944. Sur ce registre figurent les noms d’environ 3.500 personnes. Environ 2.200 d’entre elles furent arrêtées pour avoir appartenu à des mouvements de résistance ou à des unités de partisans. C’est un livre volumineux, et je vais demander qu’on vous le présente afin que vous puissiez l’examiner : il était trop gros pour pouvoir être photographié. Considérons au hasard l’une de ses pages : je vais vous lire ce que les différentes colonnes indiquent. Il y a une double série de colonnes : j’irai de la gauche à la droite. La première colonne indique simplement le matricule du détenu. La suivante porte son nom, la troisième indique des renseignements de famille et la religion de l’intéressé. La quatrième son domicile. Vient la cinquième colonne : elle précise la date et l’auteur de l’arrestation. La colonne suivante précise le lieu de l’arrestation ; le motif de l’arrestation se trouve à la colonne suivante. À la huitième colonne figure un autre numéro, qui est apparemment un matricule, sans doute celui de la prise en charge du prisonnier ; l’avant-dernière colonne indique les dispositions prises et la dernière colonne est réservée aux observations.
Devant certains des 3.500 noms figurant sur ce livre, vous remarquerez des traits rouges. Il s’agit apparemment de gens qui ont été fusillés. Leur nombre s’élève à 325, dont 35 seulement après jugement. 950 personnes figurant sur cette liste ont été transférées dans des camps de concentration et 155 envoyées dans le Reich pour le travail obligatoire. D’après ce registre, le même sort fut réservé à des personnes arrêtées pour des motifs entièrement différents, par exemple des communistes, des Juifs, des otages, et des personnes arrêtées en représailles. Un grand nombre de personnes furent arrêtées au cours d’opérations de police et le motif de leur arrestation n’est pas indiqué.
J’attire d’autre part votre attention sur les entrées 286, 287 et 288 (matricules de la première colonne). Ces personnes ont été arrêtées « als Juden », en tant que Juifs. Vous remarquerez aussi le trait rouge. Elles ont donc été condamnées à mort pour cette raison.
J’attire maintenant votre attention sur le document L-215 déjà présenté ici sous le nº USA-243. Je n’ai pas l’intention de le lire, à moins que vous ne le désiriez, Monsieur le Président. Il est constitué par les dossiers originaux de 25 Luxembourgeois, mis en internement de protection pour être envoyés dans des camps de concentration. Je citerai néanmoins une phrase de ce document :
« D’après les conclusions de la Police d’État, son attitude met en danger l’existence et la sécurité du peuple et de l’État. »
Il semble donc que ç’ait été là, dans chaque cas, une raison suffisante pour procéder à l’exécution de ces 25 Luxembourgeois.
Vous avez dit « exécution », Colonel Storey ?
Excusez-moi, ils ont été envoyés dans des camps de concentration.
Oui. Nous n’avons pas de preuve qu’ils aient été exécutés ?
Non, Monsieur le Président. Ils ont été envoyés dans des camps de concentration. Nous trouvons dans le même dossier la formule par laquelle l’État-Major de la Gestapo de Berlin était averti de l’arrivée des condamnés dans les divers camps de concentration.
Voici un autre document, déjà présenté sous le nº USA-279 : c’est le document PS-1472 du deuxième volume ; je ne m’y réfère que pour en introduire un autre, qui va suivre. Il s’agit d’un télégramme du 16 décembre 1942 dans lequel Müller rapporte que la Gestapo pouvait fournir 45.000 Juifs pour l’accroissement de la main-d’œuvre des camps de concentration. Le document PS-1063 (d) qui a déjà été présenté sous le nº USA-219, traite du même sujet. C’est une directive de Müller aux commandants et aux inspecteurs de la Sipo et du SD, ainsi qu’aux chefs des services régionaux de la Gestapo, dans laquelle il annonce que Himmler a ordonné le 14 décembre 1942 d’interner un minimum de 35.000 personnes aptes au travail dans les camps de concentration avant la fin janvier.
Je présente maintenant sur le même sujet le document L-41 (USA-496) du premier volume de documents. Ce document est constitué par une autre directive de Müller, en date du 23 mars 1943, complétant les directives du 17 décembre 1942 auxquelles j’ai déjà fait allusion, et déclarant que ces mesures doivent être prises avant le 30 avril 1943. J’aimerais citer le deuxième paragraphe de la troisième page de ce document :
« On devra néanmoins veiller à ce que seuls des détenus aptes au travail y compris les adolescents soient transférés dans les camps de concentration, conformément aux directives données, sinon les camps de concentration seraient surpeuplés, ce qui irait à l’encontre de nos buts. »
Toujours sur le même sujet, je présente le document PS-701 (USA-497). C’est une lettre, en date du 1er avril 1943, du ministre de la Justice aux procureurs généraux et au commissaire du ministre de la Justice du Reich pour les établissements pénitentiaires de l’Emsland. Je cite :
« Objet : Élargissement des Polonais et des Juifs des établissements pénitentiaires dépendant du ministère de la Justice. Instructions également valables pour les autres établissements pénitentiaires.
« I. Conformément aux nouvelles directives pour l’application du paragraphe 2 de l’article 1 du décret du 11 Juin 1940, figurant au Reichsgesetzblatt partie 1, page 877 – Annexe I au décret du 27 janvier 1943, – annexe I-III A 2, 2629, l’office principal de la Sécurité du Reich a décrété en date du 11 mars 1943 (II A 2 nº 100/43-176) :
« a) Tout Juif libéré d’un établissement pénitentiaire devra en application du paragraphe VI de la directive, être remis au bureau principal de la Police d’État de la région où est situé l’établissement pénitentiaire et interné à vie dans les camps de concentration d’Auschwitz ou de Lublin, conformément aux règlements sur l’internement de protection.
« Ce règlement est également applicable aux Juifs qui doivent être libérés à l’expiration d’une peine privative de liberté.
« b) Tout Polonais libéré d’un établissement pénitentiaire devra, en application du paragraphe VI de la directive, être remis au bureau principal de la Police d’État de la région où est situé l’établissement pénitentiaire et interné pour la durée de la guerre dans un camp de concentration, conformément aux règlements sur l’internement de protection.
« Ce règlement est également applicable aux Polonais qui doivent être libérés à l’expiration d’une peine privative de liberté de plus de six mois.
« Suivant le vœu du RSHA, je demande qu’à l’avenir :
« a) tout Juif devant être libéré ;
« b) tout Polonais devant être libéré à l’expiration d’une peine privative de liberté de plus de six mois, soit signalé au bureau principal de la Police d’État de la région, pour internement ultérieur, afin d’être mis, avant l’expiration de sa peine à la disposition de ce service. »
Le dernier paragraphe déclare que cette ordonnance remplace celle précédemment promulguée prévoyant le retour de tous les détenus polonais condamnés dans les territoires annexés de l’Est et purgeant leur peine dans l’ancien Reich.
Abordons maintenant un autre sujet : la Gestapo et le SD ont coopéré à la déportation de citoyens des pays occupés dans le cadre du service du Travail obligatoire dont ils assurèrent la discipline.
Je n’ai pas l’intention de répéter ce qui a déjà été dit ici du travail obligatoire. Mais de nombreux documents attestent clairement l’importance du rôle joué par la Gestapo et le SD dans le rassemblement des déportés du travail obligatoire à transférer dans le Reich. Des passages significatifs figurent notamment dans deux ou trois documents qui ont déjà été présentés ici. Je voudrais les citer car ils montrent bien le rôle que la Gestapo et le SD ont joué à cette occasion, le document L-61 (USA-177) entre autres. Il figure au livre de documents et je ne ferai que le résumer. C’est une lettre, en date du 26 novembre 1942, de Fritz Sauckel, déclarant qu’il avait été avisé par le chef de la Sipo et du SD le 26 octobre 1942, que l’évacuation des Polonais de la région de Lublin commencerait en novembre en vue de l’installation dans cette région de sujets de race allemande. Les Polonais évacués à la suite de cette mesure étaient à interner dans les camps de travail, dans la mesure où il s’agissait de criminels ou d’asociaux.
Le Tribunal se rappellera aussi une lettre de Christensen, document PS-3012 (USA-190). Cette lettre suggère que le programme de massacres en masse, poursuivi au cours de l’année 1943 par les « Einsatzgruppen » à l’Est doit être modifié afin de permettre la récupération de centaines de milliers de travailleurs pour l’industrie d’armement. Il s’agit du document PS-3012 qui a déjà été présenté ici sous le nº USA-190. Le cas échéant on pourrait faire usage de la force. Les prisonniers devaient être libérés et employés comme travailleurs forcés. Quand des villages seraient incendiés, la population entière serait mise à la disposition des commissaires au travail.
La responsabilité directe de la Gestapo dans ce domaine est clairement démontrée par le document PS-1573 que je présente sous le nº USA-498. C’est un ordre secret signé par Müller lui-même et adressé aux bureaux régionaux de la Gestapo le 18 juin 1941. Je le cite depuis le début :
« À tous les bureaux et bureaux principaux de la Police d’État. À l’attention du SS Sturmbannführer Nosske ou de son représentant à Aix-la-Chapelle.
« Objet : Mesures à prendre contre les travailleurs civils et les émigrants venus des territoires russes et contre tous les travailleurs étrangers. Référence : Néant.
« Afin d’empêcher tout départ vers l’Est, sans autorisation ou sans motif, d’émigrants et de travailleurs civils russes, ukrainiens, blancs-ruthènes, cosaques, et caucasiens en provenance du territoire du Reich et afin d’empêcher toute tentative de sabotage de la production allemande par la main-d’œuvre de l’Est, je décide ce qui suit :
« 1. Les directeurs des services locaux des organisations russes, ukrainiennes, blancs-ruthènes, et caucasiennes ainsi que les comités de secours et les membres dirigeants des organisations d’émigrés russes, ukrainiens, blancs-ruthènes, cosaques et caucasiens doivent être immédiatement informés qu’ils ne peuvent jusqu’à nouvel ordre quitter leur domicile ou leur lieu de travail sans autorisation de la Police de sûreté. Ils devront également être invités à faire respecter ces mesures par le personnel qui dépend d’eux. Ils devront être rendus attentifs au fait que l’abandon sans autorisation du lieu de séjour ou de travail sera sanctionné par l’arrestation des délinquants. Je vous demande de vous assurer, journellement si possible, de la présence des directeurs des services locaux, sous des prétextes divers.
« 2. Les émigrants et travailleurs de race étrangère présumés coupables ou suspects d’avoir fait parvenir des informations à l’URSS devront être arrêtés si la situation semble l’exiger. Toutes dispositions sont à prendre en vue des arrestations, qui ne devront néanmoins être effectuées qu’après réception du mot de passe “Fremdvölker” par télégramme urgent. »
Croyez-vous qu’il soit nécessaire de lire la fin du document.
Non, je ne le crois pas, Monsieur le Président.
L’audience est suspendue pour dix minutes.
Plaise au Tribunal. Je désire présenter maintenant le document PS-3360 (USA-499) que vous trouverez dans le deuxième volume. Avant de le remettre au traducteur, j’aimerais le présenter au Tribunal. C’est l’original d’un télégramme envoyé à la Gestapo de Nuremberg. Il a été découvert par le lieutenant Stevens du CIC, en Allemagne près de Hersbruck. Le Tribunal remarquera qu’une partie de ce document est brûlée. Il a été trouvé enterré avec d’autres documents, eux aussi en partie brûlés. Voici le télégramme : il émane de la Police secrète d’État, service de la police d’État de Nuremberg-Fürth et porte la date du 12 février 1944. Je cite :
« RSHA IV F 1-45/44 – Inspecteur régional des frontières – Urgent – à soumettre immédiatement.
« Traitement des travailleurs de l’Est repris après évasion. Par ordre du RFSS, les travailleurs des régions de l’Est repris après évasion devront sans exception être envoyés dans des camps de concentration. Cet ordre est immédiatement applicable. Afin qu’il en soit rendu compte au RFSS, je vous prie de signaler par télétype à la section IV D (travailleurs étrangers) le 10 mars prochain, le nombre de travailleurs de l’Est, hommes et femmes, qui ont été envoyés dans les camps de concentration, d’aujourd’hui au 10 mars 1944. »
Par ces méthodes, la Gestapo et le SD maintenaient le contrôle sur les travailleurs forcés déportés à l’intérieur du Reich.
Le sujet que je désire maintenant traiter est l’exécution par la Gestapo de commandos et de troupes parachutées et la protection donnée à des civils ayant lynché des aviateurs alliés.
Le 4 août 1942, Keitel émit un ordre stipulant que la Gestapo et le SD devenaient responsables des mesures à prendre contre les parachutistes isolés ou les petits groupes de parachutistes chargés de missions spéciales. Pour le prouver, je dépose le document PS-553 (USA-500). J’en lis la première page de la traduction anglaise, première partie du troisième paragraphe :
« Chaque fois que des parachutistes isolés seront faits prisonniers par des membres de la Wehrmacht, ils seront, après rapport à l’officier de l’Abwehr intéressé, livrés sans retard au service le plus proche de la Sipo et du SD. »
Plaise au Tribunal. Permettez-moi une légère digression : le colonel Taylor présentera quelques-uns des ordres émanant du Haut Commandement nazi. Celui dont je viens de parler en est un, et il en est un autre aussi qu’il se propose de commenter plus longuement. Mon intention, en le présentant, est de montrer le rôle joué par la Gestapo et le SD à son propos.
Cet ordre dont je désire faire état fait l’objet du document PS-498 (USA-501) que vous trouverez au premier volume de documents. C’est le fameux ordre sur les commandos, signé par Adolf Hitler lui-même en date du 18 octobre 1942. Il n’en a été établi que douze exemplaires ; celui-ci porte la signature personnelle de Adolf Hitler. Une copie en fut envoyée au Reichsführer SS, chef de la Police allemande. J’en viendrai tout de suite au passage auquel je désire faire allusion, sans le lire intégralement. Il stipule en gros que tous les commandos, qu’ils portent l’uniforme ou non, et même désarmés, doivent être exterminés jusqu’au dernier homme. Je vais donc en lire le paragraphe 4, qui indique le rôle joué par le SD :
« Toutes les fois que des éléments isolés de ces commandos, tels que saboteurs, agents, etc. tomberont entre les mains de la Wehrmacht, – par l’intermédiaire de la Police des territoires occupés par exemple – ils devront immédiatement être remis au SD. »
Un autre de ces ordres fait l’objet du document PS-526 (USA-502), auquel je voudrais faire allusion. Ce document traite du débarquement en Norvège de quelques prétendus saboteurs. Il est daté du 10 mai 1943 et porte la mention « Très secret ». J’en cite le premier paragraphe, qui rapporte le sort réservé à un équipage :
« Le 30 mars 1943, à Toftefjord (70 degrés de latitude) une vedette ennemie a été signalée. Elle a été sabordée par l’ennemi. Équipage : 2 morts, 10 prisonniers. » Voilà pour l’équipage. Et en bas de cet ordre, troisième phrase à partir du bas de la page :
« Ordre du Führer exécuté par le SD. »
Nous avons déjà présenté le document R-110 (USA-333). Il s’agit d’un ordre de Himmler, en date du 10 août 1943, à la Police de sûreté. Cet ordre précise qu’il n’appartient pas à la Police d’intervenir dans les rixes entre la population allemande et les aviateurs terroristes anglo-américains accidentés. Il a été signé personnellement par Himmler, dont voici la signature. Il a déjà été présenté ici, mais je désirais le signaler encore une fois à l’attention du Tribunal.
Nous allons maintenant traiter de la déportation en Allemagne par la Gestapo et le SD de civils des territoires occupés en vue d’y être jugés et de purger leur peine en secret. C’est le fameux décret « Nacht und Nebel » daté du 7 septembre 1941 et signé de Hitler. Ce décret n’a pas encore jusqu’ici été présenté au Tribunal. Je me réfère au document L-90. Vous le trouverez dans le premier volume sous le nº USA-503. D’après ce décret, les personnes s’étant rendues coupables de crimes contre le Reich ou les Forces d’occupation devaient, sauf lorsque la sentence de mort était certaine, être secrètement transférées en Allemagne, puis remises à la Police de sûreté et au SD pour jugement et châtiment en Allemagne même. J’ai là l’original, que je lirai en commençant à la première page de la traduction. Il a été écrit sur papier à en-tête du Reichsführer SS et chef de la Police allemande.
« Munich, 4 février 1942.
« Sujet : Répression des actes punissables commis à l’égard du Reich ou des Forces d’occupation.
« I. Les dispositions suivantes, publiées le 12 décembre 1941 par le chef du Haut Commandement de la Wehrmacht, sont portées à la connaissance des intéressés :
« 1º Le chef du Haut Commandement de la Wehrmacht : Après mûre réflexion, le Führer a décidé de modifier les mesures de répression applicables aux personnes coupables d’attaques contre le Reich et les Forces d’occupation. Le Führer pense qu’en cette matière, l’emprisonnement, même la réclusion à vie, sont interprétées comme un signe de faiblesse. Seules la peine de mort et des mesures laissant la famille et les populations dans l’incertitude sur le sort du criminel peuvent constituer des moyens d’intimidation d’un effet réel et durable. La déportation en Allemagne sert ce dessein. Les instructions ci-jointes concernant les poursuites répondent aux vues du Führer. Elles ont été examinées et approuvées par lui.
« Signé : Keitel. »
Suivent quelques-unes des directives et quelques explications. C’est un long document avec annexes et nous passons maintenant au bas de la page 4 de la traduction anglaise :
« Dans la mesure où des actes punissables du genre indiqué au paragraphe 1 tombent sous la juridiction des SS et de la Police, il faut agir dans le sens indiqué. »
En corrélation avec le même document, page 20 de la deuxième partie de la traduction anglaise, figure une lettre secrète adressée à l’Abwehr. Je cite cette lettre, datée du 2 février 1942, à partir de sa deuxième page :
« Sont envoyés ci-joints :
« I. Un décret du Führer et Commandant suprême de la Wehrmacht en date du 7 décembre 1941.
« 2. Un décret d’application du même jour.
« 3. Une lettre du chef du Haut Commandement de la Wehrmacht en date du 12 décembre 1941.
« Ce décret introduit une innovation fondamentale. Le Führer, Commandant suprême de la Wehrmacht, a ordonné que les actes punissables du genre mentionné commis par des civils dans des territoires occupés, ne soient sanctionnés par les conseils de guerre compétents dans les territoires occupés que : a) si la peine de mort est prononcée, b) si la sentence est rendue dans les 8 jours suivant l’arrestation.
« C’est seulement si ces deux conditions peuvent être remplies que le Führer et Commandant suprême de la Wehrmacht attend des poursuites pénales dans les territoires occupés l’effet intimidant nécessaire. Dans les autres cas, à l’avenir, les coupables seront transférés secrètement en Allemagne et c’est en Allemagne que les poursuites pénales continueront. L’effet d’intimidation de cette mesure réside en ce que : a) les prisonniers disparaîtront sans laisser de traces, b) aucun renseignement ne sera donné quant à leur résidence ou leur sort. »
Je saute le paragraphe suivant et je lis :
« Si le conseil de guerre compétent ou le commandement militaire estiment qu’il est impossible de se prononcer immédiatement sur place et que les coupables doivent donc être transférés en Allemagne, les services de l’Abwehr le signalent directement au RSHA à Berlin, S.W.II, Prinz Albrechtstrasse 7, par l’intermédiaire du Dr Fischer, directeur de la Police criminelle, en indiquant le nombre exact des détenus des groupes solidaires suivant les divers cas. Les cas isolés que le Commandement militaire tiendrait vivement à voir juger par un Tribunal militaire doivent être signalés au RSHA. Une copie intégrale du rapport doit être envoyée au service du contre-espionnage à l’étranger, section Abwehr III.
« Le RSHA déterminera, compte tenu des possibilités, quel service de la Police d’État prendra en charge les détenus. Ce service se mettra alors en relation avec la section compétente de l’Abwehr et fixera avec elle les détails du transfert, si, en particulier, il est effectué par la Police secrète de campagne, la Feldgendarmerie ou la Gestapo elle-même. Ils détermineront également ensemble la manière et le lieu de la remise des dossiers. »
Après l’arrivée de ces civils en Allemagne, aucune information les concernant ne devait parvenir à leurs pays ou à leurs familles.
Je présente maintenant le document PS-668 (USA-504). C’est une lettre du chef de la Sipo et du SD datée du 24 juin 1942. Je cite à partir de la première page de la traduction anglaise :
« Le but des directives du Führer et Chef suprême de la Wehrmacht, en date du 7 décembre 1941 et relatives à la répression des actes criminels dirigés contre le Reich ou les Forces armées d’occupation » – il s’agit de l’ordre que je viens de présenter – « est de faire régner, afin d’effrayer familles et amis, l’incertitude sur le sort réservé aux prisonniers déportés dans le Reich. Ce but serait compromis si les familles étaient, par exemple, averties en cas de décès. Il n’est pas possible, pour les mêmes raisons, de remettre aux familles, à fin d’inhumation en pays d’origine, les corps des morts. De plus, leurs tombes pourraient devenir le théâtre de manifestations. En conséquence, je propose que les règles suivantes soient observées lors de tout décès :
« a) N’avertir en aucun cas la famille ;
« b) Enterrer le corps sur place, en Allemagne ;
« c) Ne pas dévoiler, tout au moins pendant un temps, l’emplacement de la sépulture. »
Nous passons maintenant à un autre aspect de l’activité de la Gestapo et du SD. Dans les territoires occupés, la Gestapo et le SD arrêtaient, traduisaient en justice et punissaient d’après une procédure spéciale et des méthodes sommaires. J’en donne pour preuve le document PS-674 (USA-505). Dans certaines circonstances, en territoire occupé, la Gestapo arrêtait, plaçait en détention préventive et exécutait des civils. Et même alors que des tribunaux étaient compétents pour de tels cas, la Gestapo agissait d’après sa propre procédure, sans tenir compte de la procédure pénale normale.
J’en donne pour preuve le document PS-674 (USA-505), lettre du Procureur Général de Katowice, le 3 décembre 1941, au ministre de la Justice du Reich, service du Conseiller Stadermann ou de son adjoint à Berlin. L’objet de la lettre est le suivant : « Exécutions par la Police et accélération de la procédure pénale ». Je cite cette lettre depuis le début :
« Il y a environ trois semaines, six meneurs (parmi lesquels des Allemands de race) furent pendus à Tarnowitz par la Police sans que la Justice en ait eu connaissance, à la suite de la découverte à Tarnowitz d’une organisation de traîtres comprenant 350 membres. Des exécutions semblables avaient déjà eu lieu dans le district de Bielitz, sans que le Parquet en eût été informé. Le 2 décembre 1941, le chef de la Police d’État à Katowice, le conseiller Mildner, rapporta oralement au soussigné qu’il avait, avec l’autorisation du Reichsführer SS, ordonné comme nécessaire l’exécution immédiate des criminels par pendaison publique sur les lieux du crime. De telles mesures d’intimidation seraient, ajoutait-il, poursuivies jusqu’à ce que les criminels et les éléments activement anti-allemands des territoires occupés de l’Est soient annihilés, ou jusqu’à ce que l’on ait, par exemple, pris du côté des Tribunaux des mesures sommaires qui aient le même effet de terreur. En conséquence, six autres chefs d’une organisation polonaise du district de Sosnowitz, coupables de haute trahison, ont été aujourd’hui pendus publiquement à titre d’exemple.
« Contre ce procédé, les soussignés, ont formulé de graves objections. En dehors du fait que de telles mesures sont ainsi retirées, à la compétence des Tribunaux réguliers et sont contraires aux lois encore en vigueur, on ne peut, à notre avis, reconnaître juridiquement un cas de nécessité permettant à la Police une action exceptionnelle.
« Dans la mesure où la juridiction pénale entre en ligne de compte dans le cadre de la compétence existante, elle est tout à fait en mesure de répondre à la nécessité d’une action pénale immédiate sous la forme d’une activité juridique spéciale (création de ce qu’on appelle un tribunal spécial ultra-rapide). Les poursuites, l’accusation et l’audience principale peuvent être accélérées de telle sorte que trois jours seulement s’écoulent entre le moment où le dossier est remis au Parquet et l’exécution du condamné, à supposer que la procédure du recours en grâce soit simplifiée et que la décision finale puisse être obtenue, si nécessaire, par téléphone. C’est ce que les soussignés ont expliqué hier au chef de la Police d’État de Katowice.
« Nous ne pouvons croire que l’exécution par la Police de criminels, et surtout de criminels allemands, puisse avoir plus de portée, car le sens de la justice de beaucoup d’Allemands se trouve ainsi ébranlé. Tout au contraire, ces mesures pourraient, à la longue, malgré leur indéniable effet d’intimidation, soulever encore plus de désordre dans les esprits, ce qui va à l’encontre de la pacification recherchée. Ces considérations ne concernent cependant pas une Cour martiale qui aurait à juger des Polonais et des Juifs. »
Je renvoie maintenant au document PS-654 (USA-218), qui a déjà été présenté. Comme il se rapporte au même sujet, je voudrais le résumer très brièvement. Il dit que, le 18 septembre 1942, Thierack, ministre de la Justice du Reich, et Himmler, convinrent que les éléments anti-sociaux devraient être remis à ce dernier pour être anéantis. Le document PS-654 prévoit une procédure criminelle spéciale que la Police aurait à appliquer aux Juifs, Polonais, Tziganes, Russes, Ukrainiens, qu’on ne voulait plus traduire devant les juridictions criminelles normales. Je renvoie encore à ce document parce qu’il se rapporte à notre sujet.
Il est un autre document que je ne désire pas lire mais simplement signaler au Tribunal : c’est un ordre du 5 novembre 1942 prévenant du RSHA, document L-316 (USA-346). Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’en parler longuement sauf pour constater que ce texte prescrit la procédure dans le dernier alinéa, peu avant la signature :
« Il en résulte que l’application des lois pénales aux personnes de race étrangère passera des mains du pouvoir judiciaire à celles de la Police. »
C’est ce passage qui établit la responsabilité de la Police en l’occurrence ; aussi n’ai-je plus rien à dire sur ce document.
J’en viens maintenant au fait que la Gestapo et le SD exécutaient des personnes ou les enfermaient dans des camps de concentration pour des crimes soi-disant commis par leurs parents. À cet égard, je désire présenter le document L-37 que vous trouverez dans le premier volume sous le nº USA-506. C’est une lettre datée du 19 juillet 1944 (j’attire l’attention du Tribunal sur cette date de 1944), envoyée par le commandant de la Sipo et du SD pour le district de Radom au Bureau des Affaires étrangères de Tomaszow. Je signale entre parenthèses que le volumineux livre d’écrou que nous avons présenté ici renferme un grand nombre de cas, intéressant le district de Radom et le Tribunal se souviendra qu’il s’agit d’une liste de personnes dépendant du district de Tomaszow.
Le sujet de cette lettre porte sur la « responsabilité collective des membres des familles d’assassins et de saboteurs ». Je lis ce qui suit le mot « précédents » :
« Le chef des SS et de la Police d’État a publié le 28 juin 1944 l’ordre suivant :
« L’insécurité dans le Gouvernement Général s’est aggravée au cours des neuf derniers mois à un tel point que dorénavant les moyens les plus radicaux et les mesures les plus dures doivent être adoptés contre les assassins et saboteurs étrangers. Le Reichsführer SS, d’accord avec le Gouverneur Général, a ordonné que, dans tous les cas d’assassinats ou de tentatives d’assassinats de sujets allemands, dans tous les cas aussi de sabotage d’installations importantes, on exécute non seulement les criminels capturés mais aussi tous leurs parents adultes du sexe masculin. Les parents féminins de plus de 16 ans seront internés dans des camps de concentration. Si le ou les criminels ne peuvent être arrêtés, il faut naturellement s’assurer avec certitude de leurs noms et adresses. Il faut considérer par exemple comme membres mâles d’une famille : le père, les fils (s’ils sont âgés de plus de 16 ans), les frères, beaux-frères, cousins et oncles du criminel. Pour les femmes, même chose.
« Ces dispositions établissent intentionnellement la responsabilité collective de tous les hommes et de toutes les femmes de la famille du criminel et elles frappent de la façon la plus sensible le cercle familial du criminel politique. Cette pratique a donné, déjà à la fin de 1939, les meilleurs résultats dans les territoires de l’Est nouvellement occupés, spécialement dans le district de la Warthe. Dès que ces nouvelles méthodes de lutte contre les assassins et les saboteurs parviendront à la connaissance des populations occupées – ceci par la propagande orale – les femmes des familles des résistants ou des partisans exerceront, c’est un fait d’expérience, une influence préventive. »
La Gestapo et le SD se livraient aussi à des interrogatoires du troisième degré sur la personne de prisonniers de guerre. Je me réfère ici au document PS-1531 (USA-248). Ce document contient un ordre du 12 juin 1942 signé de Müller, qui autorise l’utilisation des méthodes du troisième degré au cours des interrogatoires, lorsqu’une enquête préliminaire laisse supposer que le prisonnier peut donner des informations importantes sur certains faits, tels que les activités clandestines. Mais on ne devait pas cependant extorquer au prisonnier des aveux concernant ses crimes personnels. Je vais citer l’alinéa 2, à la page 2 de la traduction anglaise.
« Dans ces conditions, le troisième degré ne peut être employé que contre des communistes, marxistes, Bibelforscher, saboteurs, terroristes, membres de la résistance, agents parachutés, éléments asociaux, fainéants ou réfractaires au travail, polonais et soviétiques. Dans tout autre cas, ma permission doit être préalablement obtenue. »
Je passe ensuite au point 4, à la fin :
« Le troisième degré peut, suivant les circonstances, consister entre autres en restrictions alimentaires (pain et eau), repos sur la dure, cellules sans lumière, privation de sommeil, exercices épuisants, bastonnade (pour plus de 20 coups, avis d’un médecin). »
Le 24 février 1944, le commandant de la Sipo et du SD pour le district de Radom publia un ordre émanant du chef de la Sipo et du SD à Cracovie. Il s’agit du document L-89 (USA-507) du premier volume. Cet ordre se conformait strictement à celui que je viens de lire. J’en cite l’alinéa qui suit la liste des services intéressés figurant à la page 1.
« Étant donné la variété des méthodes utilisées jusqu’à présent au cours des interrogatoires plus sévères, afin d’éviter des excès et pour prévenir des poursuites judiciaires quelconques contre les fonctionnaires, le chef de la Sipo et du SD à Cracovie, s’appuyant sur les dispositions en vigueur dans le Reich pour la Sipo, ordonne ce qui suit pour le Gouvernement Général : … »
Suivent les instructions ; l’importance du document réside dans ce qu’il prouve qu’en 1944 encore les interrogatoires du troisième degré étaient toujours pratiqués par la Gestapo.
Nous en venons maintenant à la participation de la Gestapo et du SD aux persécutions antisémites. Les documents prouvent que ces services étaient des plus actifs dans ce domaine. Je ne reviendrai sur les documents déjà présentés que pour mentionner le rôle joué dans ce domaine par ces organisations.
La responsabilité de la Gestapo et du SD dans l’élaboration du programme d’extermination massive des Juifs par les Einsatzgruppen de la Sipo et du SD dans des camps d’extermination, a déjà été examinée. Je ne retiendrai l’attention du Tribunal que sur le document PS-2615, qui a déjà été présenté, mais dans lequel un certain Eichmann précise le nombre des Juifs exécutés. J’attire l’attention du Tribunal sur le fait qu’Eichmann, qui a donné ce chiffre, était le chef de la section B4 de la Gestapo. Cette section traitait les affaires juives, y compris les plans d’évacuation, les moyens de supprimer les ennemis du peuple et de l’État et la privation des droits de citoyen allemand.
La Gestapo était également responsable de l’application des lois d’exception déjà présentées au Tribunal. Je voudrais maintenant attirer l’attention du Tribunal sur le document PS-3058 (USA-508). C’est un document encadré de rouge, signé par Heydrich lui-même et adressé à l’accusé Göring, le 11 novembre 1938. Avant de le transmettre aux interprètes, vous remarquerez qu’à ce texte est jointe une annexe signalant que la question a été soumise à l’accusé Göring. Il s’agit d’un rapport sur la participation de la Gestapo aux démonstrations antisémites de l’automne 1938 dont vous vous souvenez certainement. Le rapport personnel de Heydrich au Generalfeldmarschall Göring est daté du 11 novembre 1938 ; les documents antérieurs montrent que cette activité se situe juste avant l’ordre d’extermination des Juifs.
« L’étendue des dommages causés aux Juifs, boutiques et maisons d’habitations, ne peut pas encore être évaluée. D’après les chiffres indiqués dans les rapports : 815 magasins furent détruits, 29 bazars incendiés ou autrement détruits, 171 maisons d’habitation incendiées ou détruites. Mais ces chiffres n’indiquent qu’une fraction des incendies. Étant donné l’urgence des rapports reçus jusqu’à présent, ceux-ci s’en tiennent à des constatations générales telles que “de nombreuses” ou “la plupart des boutiques détruites”. Les chiffres donnés doivent avoir été de beaucoup dépassés.
« 191 synagogues furent incendiées et 76 autres complètement démolies. En outre, 11 bâtiments paroissiaux, chapelles de cimetières et édifices similaires ont été incendiés, trois autres complètement détruits. 20.000 Juifs environ furent arrêtés, ainsi que sept aryens et trois étrangers, ces derniers pour leur propre sécurité. 36 morts ont été signalés : les blessés graves sont au nombre de 36. Tous ces morts et blessés sont Juifs. Un Juif est aussi disparu. On signale parmi les Juifs tués un ressortissant polonais et deux autres parmi les blessés. »
Je désire attirer spécialement l’attention du Tribunal sur la notice jointe au document :
« Le Generalfeldmarschall – il s’agit de Goring – a été mis au courant de l’affaire. Aucune sanction ne doit être prise. Par ordre. Le 15 novembre 1938. Signé : Illisible. »
Heydrich fut chargé par l’accusé Göring de la réalisation de l’ensemble de la question juive. Nous présentons maintenant le document PS-710 (USA-509). C’est un ordre daté du 31 juillet 1941. Il est rédigé sur papier à en-tête du Reichsmarschall du Grand Reich, commissaire au Plan de quatre ans, président du Conseil des ministres pour la Défense nationale. Il est daté de Berlin, 31 juillet 1941, et adressé au chef de la Sipo et du SD, le SS Gruppenführer Heydrich.
« Pour compléter la tâche qui vous a été confiée le 24 janvier 1939 visant à une solution du problème juif aussi satisfaisante que possible, par émigration ou évacuation, je vous charge par la présente de procéder à tous les préparatifs nécessités par l’organisation matérielle et pratique des mesures à prendre pour arriver à une solution complète de la question juive dans la zone d’influence allemande en Europe. Chaque fois que d’autres services gouvernementaux seront intéressés à la question, ils collaboreront avec vous.
« Je vous charge, en outre, de m’adresser dans un proche avenir le plan général d’organisation matérielle et pratique permettant d’aboutir à la solution définitive de la question juive.
« Signé : Göring. »
Le Tribunal a déjà reçu la documentation prouvant la véritable nature de la solution définitive du problème conçue par Heydrich. Sous ses ordres et ceux de l’accusé Kaltenbrunner, la Police de sécurité et le SD réalisèrent ce programme d’asservissement et d’exécutions massives.
Je désire enfin prouver que la Gestapo et le SD furent les agents principaux de la persécution des Églises. Les preuves de la persécution des Églises ont été fournies au Tribunal. Dans cette lutte, la Gestapo et le SD jouèrent un rôle secret, mais des plus importants. La section C 2 du SD s’occupait de l’éducation et de la vie religieuse, la section B I de la Gestapo du catholicisme politique, la section B 2 du protestantisme politique et la section B 3 des autres Églises et de la franc-maçonnerie. L’Église était l’un des ennemis de l’État nazi et c’était une tâche propre à la Gestapo que de la combattre. Elle limitait l’activité des Églises, prononçait la dissolution d’organisations religieuses et internait des prêtres préventivement.
Je désire présenter le document PS-1815 (USA-510). Il groupe les originaux d’un ensemble d’archives assez considérable. Aussi je n’en désire citer que quelques pièces, une série de documents du service de la Gestapo, à Aix-la-Chapelle. Ils dévoilent que le but de la Gestapo, dans sa lutte contre les Églises, était leur destruction. Je prends la première page de la traduction anglaise au début. Le document est daté du 12 mai 1941 à Berlin et provient de la section IV B 1 du RSHA à Berlin. Il est adressé à tous les bureaux principaux de la Police d’État, pour information aux SD Leitabschnitte « et aux inspecteurs de la Sipo et du SD ». Le sujet porte sur le « traitement des Églises politiques » :
« Le chef du RSHA a décidé, avec effet immédiat, que le traitement des Églises politiques, qui jusqu’à présent incombait aux SD Abschnitte et à la Police d’État serait dorénavant entièrement assumé par cette dernière. »
Le document se réfère ensuite au plan de travail du RSHA, en date du 1er mars 1941.
« Outre la lutte contre l’opposition, les bureaux de la Police d’État assumeront aussi tout le service des informations à l’égard de cette opposition. Afin que les bureaux de la Police d’État soient à même d’accomplir cette tâche, le chef de la Sipo et du SD a ordonné que les spécialistes en matière religieuse jusqu’ici employés dans les départements du SD soient temporairement placés aux postes correspondants de la Police d’État et s’occupent du service d’informations dans ce domaine. Sur l’ordre du Chef du RSHA et après accord avec les chefs de sections I, II, III, les spécialistes en matière religieuse mentionnés dans la liste ci-jointe seront… »
Pensez-vous qu’il soit nécessaire de nous communiquer tous les détails ?
Non, je ne le pense pas. Mais si le Tribunal le désire, je parlerai encore d’une directive définissant les méthodes à employer dans la lutte contre les Églises.
Un peu plus tard, les 22 et 23 septembre 1941, une conférence réunit dans la salle de conférences du RSHA à Berlin tous les spécialistes de la Gestapo. Des notes furent prises pendant la conférence et notre document les renferme. Le plan d’action établi contre les Églises s’y trouve dévoilé. Je lirai simplement les conclusions, conclusions très brèves de ces spécialistes.
« Chacun de vous doit se mettre au travail de tout son cœur et avec un fanatisme total. Si une erreur ou deux devaient être commises dans l’exécution de votre travail, cela ne devra pas vous décourager. Des erreurs, tout le monde en commet. L’essentiel est de ne pas cesser de s’opposer à l’ennemi avec détermination et volonté “et de prendre des initiatives efficaces”. »
L’ennemi dont il s’agit, c’est l’Église ; le dernier point que je désirais relever dans ce document se trouve à la page 8 de la traduction anglaise. Il précise le but immédiat et le but final. Page 8 de la traduction anglaise :
« But immédiat : l’Église ne doit pas regagner un seul pouce de terrain perdu.
« But final : destruction des Églises confessionnelles, après réunion par le service de contre-espionnage des Églises de toute une documentation à publier en temps voulu, prouvant que les Églises se livraient à des activités de haute trahison pendant que l’Allemagne luttait pour son existence. »
Plaise au Tribunal. Voilà qui termine l’exposé documentaire à l’appui des accusations portées contre la Gestapo et le SD. En étroit rapport avec ces accusations, le lieutenant Whitney Harris présentera, immédiatement après l’interruption d’audience, les charges qui pèsent sur Kaltenbrunner, représentant de ces organisations. Un ou deux témoins viendront aussi déposer sur lesdites organisations et sur le rôle joué par Kaltenbrunner.
Je voudrais conclure ainsi :
La preuve est faite que la Gestapo fut créée en Prusse par l’accusé Göring, en avril 1933, dans le but bien défini d’être l’organisme de police chargé d’anéantir tous les ennemis, même idéologiques, du parti nazi. Ensuite il est prouvé que la Gestapo, tant en Prusse que dans les autres États allemands, mit à exécution un programme de terreur contre tous ceux qu’elle estimait dangereux pour la domination des conspirateurs nazis sur le peuple allemand. Ses méthodes furent extrêmement dures. Elle travailla en dehors de la loi et elle envoya ses victimes dans les camps de concentration. Le mot « Gestapo » devint le symbole du régime de violence et de terreur, régime nazi.
Dans les coulisses, le SD opérait, lui, secrètement. Son vaste réseau d’agents de renseignements espionnait le peuple allemand jusque dans sa vie quotidienne, dans la rue, dans les magasins et même à l’intérieur de l’enceinte sacrée des églises. La remarque la plus anodine pouvait amener un citoyen allemand devant la Gestapo, qui décidait sans appel de son destin et de sa liberté sans souci de la loi. Dans ce régime où la tyrannie de quelques hommes remplaçait le règne de la loi, la Gestapo était le principal instrument d’oppression. La Gestapo et le SD jouèrent un rôle important dans presque toutes les entreprises criminelles des nazis. Leurs inventions, sans parler des innombrables cas de tortures et des cruautés perpétrées pour asservir l’Allemagne aux conspirateurs nazis, sont dignes d’une imagination diabolique.
La Gestapo et le SD suscitèrent les incidents de frontière qui servirent de prétextes à Hitler pour attaquer la Pologne. Ils attaquèrent et assassinèrent des centaines de milliers d’hommes sans défense, de femmes et d’enfants, par l’intermédiaire de ces infâmes Einsatzgruppen. Ils firent sortir des camps de prisonniers de guerre pour les assassiner, des Juifs, des chefs politiques et des hommes de science. Ils envoyèrent dans des camps de concentration les prisonniers de guerre évadés pour les y faire abattre. Ils mirent sur pied plusieurs catégories de camps de concentration où ils obligèrent à travailler des milliers de personnes et les anéantirent. Ils vidèrent l’Europe de ses Juifs et sont responsables de la mort de centaines de milliers d’entre eux dans les camps d’extermination. Ils rassemblèrent de force des centaines de milliers de travailleurs dans les pays occupés, les envoyèrent travailler en Allemagne, parquèrent ces nouveaux esclaves dans des camps de travailleurs sous prétexte de rééducation. Ils anéantirent les commandos et exécutèrent les parachutistes faits prisonniers, protégèrent les civils qui lynchaient les aviateurs alliés. Ils transférèrent en Allemagne des civils des pays occupés pour y être jugés secrètement et y purger leur peine. Ils arrêtèrent, jugèrent et punirent des ressortissants des pays occupés d’après une procédure criminelle spéciale. Les jugements étaient partiaux et les méthodes employées sommaires. Ils assassinèrent ou envoyèrent dans des camps de concentration les parents des personnes qui avaient soi-disant commis des crimes. Ils ordonnèrent le meurtre de prisonniers de la Sipo et du SD afin d’empêcher qu’ils ne fussent libérés par les armées alliées. Ils participèrent à la saisie et aux spoliations de biens publics et privés. Ils furent les principaux acteurs de la persécution des Juifs et des Églises.
Dans tous ces cas, la Gestapo opéra comme une organisation étroitement centralisée et surveillée par son État-Major de Berlin. Des rapports étaient envoyés à Berlin et toutes les décisions importantes émanaient de Berlin. Les bureaux régionaux ne jouissaient que d’un droit limité d’envoyer les gens dans des camps de concentration. Sauf pour un bref internement, tous les dossiers devaient être soumis à Berlin pour approbation.
La Gestapo était organisée sur une base fonctionnelle. Chacune de ses sections s’occupait de groupements et d’institutions différents contre lesquels elle commettait les crimes atroces que j’ai déjà mentionnés. En perpétrant ces crimes, chaque section agissait pour la Gestapo tout entière, chacune exécutant une part de l’entreprise criminelle ordonnée en bloc par Berlin. Donc la Gestapo doit être tenue en tant qu’organisation pour responsable des crimes que chacune de ses sections a perpétrés.
Le SD, de tout temps, fit partie des SS. Ses crimes font donc partie intégrante de ceux des SS.
Quant à la Gestapo, nous estimons que c’était une organisation au sens où l’entend l’article 9 du Statut, que les accusés Göring et Kaltenbrunner ont commis les crimes tombant sous l’article 6 du Statut en tant que membres ou chefs de ladite Gestapo, et que cette organisation a pris part activement à la conspiration qui a permis les crimes définis à l’article 6 du Statut.
Pour terminer, j’ai ici entre les mains une brochure publiée en l’honneur de l’infâme Heydrich qui fut chef de la Police de sûreté et du SD. J’en extrais le passage suivant d’un discours qu’il prononça en 1941 à l’occasion du Jour de la Police allemande et je demande au Tribunal de bien vouloir en prendre acte.
« La Police secrète d’État, la Police criminelle et le SD sont encore entourés d’une atmosphère secrètement mystérieuse de roman politico-policier. Si chez nous, ce mélange de crainte et d’appréhension est tempéré par le sentiment certain de sécurité dû à leur présence, à l’étranger, la brutalité, l’inhumanité, côtoyant le sadisme et la cruauté, sont attribués aux hommes de cette profession. »
Voilà les termes dans lesquels s’exprimait Heydrich qui était chef de ces organisations.
Votre Honneur veut-il que je poursuive ?
Je viens d’apprendre que l’audience de cet après-midi sera consacrée à l’accusé Kaltenbrunner et je crois à propos de présenter dès maintenant, avant la suspension, une requête de mon client. La voici : il demande qu’on ne procède pas, en son absence, aux débats le concernant. Kaltenbrunner n’a pu jusqu’ici assister qu’à un petit nombre d’audiences. Sa maladie en est seule la cause, maladie grave à mon avis, car seule une affection d’une nature sérieuse est susceptible, dans un procès de cette importance, d’entraîner et de justifier la non-comparution d’un accusé. Je ne possède aucun rapport d’examen médical sur son état présent, mais je doute que Kaltenbrunner puisse à l’avenir prendre part aux débats. Quoi qu’il en soit, ma requête tendant à l’ajournement des débats, en ce qui le concerne, n’est en rien contraire à l’article 12 du Statut, qui stipule que si un accusé vivant ne peut être traduit en personne devant le Tribunal, les débats se dérouleront contre lui par défaut. Cette clause se justifie en particulier dans le cas d’individus en fuite, où l’accusé est jugé par défaut. Mais Kaltenbrunner est incarcéré ici même. Il ne cherche pas à se soustraire à la justice et ne désire rien moins que de pouvoir se justifier devant les accusations portées contre lui. Or, il serait difficilement compatible avec la justice de mener des débats contre un accusé dont l’absence ne peut lui être imputée. L’article 12 du Statut le mentionne expressément. Je trouverais cette procédure d’autant plus regrettable que Kaltenbrunner n’aurait eu nullement la possibilité de me communiquer, en tant que son défenseur, des renseignements précieux. De plus, il ne connaît pas exactement l’accusation portée contre lui ; l’Acte d’accusation ne lui a été signifié que peu avant la suspension de Noël. Enfin, il n’est pas besoin de remarquer combien la tâche de la Défense serait rendue difficile, pour ne pas dire impossible, par une continuation des débats.
Le Tribunal examinera la requête de l’accusé Kaltenbrunner et fera connaître sa décision dans un proche avenir. L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.
Pourrais-je faire une remarque à propos de la question qui nous occupe ?
Oui, certainement.
L’accusation portée contre Kaltenbrunner découle du rôle joué par lui dans les organisations nazies et nous pensions, pour la rapidité des débats, que son cas devait être évoqué en même temps que celui de ces organisations. S’il ne l’est pas en ce moment, il le sera d’ici quelques jours, au début de la semaine prochaine, au moment des exposés individuels contre chaque accusé. Or l’avocat de Kaltenbrunner a précisé que ce dernier ne pourrait se présenter ici avant quelque temps. C’est pourquoi je tenais à faire cette déclaration.
Très bien.