VINGT-SIXIÈME JOURNÉE.
Jeudi 3 janvier 1946.
Audience du matin.
Le Tribunal voudra bien se rappeler qu’à la fin de la dernière audience, nous avons fini la lecture d’un extrait de la déposition sous serment du Gaustabsamtsleiter aux ordres du Gauleiter de Munich. Lorsque nous nous sommes arrêtés, il mentionnait la décision de Kaltenbrunner d’acheminer sur la Suisse par camions, les internés de Dachau originaires de l’Europe occidentale ; les autres devaient, à pied, rejoindre le Tyrol.
Je présente maintenant les cinq premières pages du procès-verbal de la déclaration sous serment de Gottlob Berger, chef du Service central des SS, en date du 20 septembre 1945. Vous les trouverez à la fin du livre de documents. C’est le document USA-529 qui a été traduit en allemand et mis à la disposition des accusés.
Ce document a-t-il un numéro ?
Il n’a pas de numéro PS, Votre Honneur. Il se trouve à la fin du livre de documents. Je ne désire en lire qu’une question et la réponse qui lui a été donnée ; ce sont la dernière question et la dernière réponse de la page 3 :
« Question. – En admettant, pour le besoin de la cause, que ces atrocités dont nous entendons parler soient réelles, qui, à votre avis, en est principalement responsable ?
« Réponse. – En premier lieu, le commandant ; en second lieu, Glücks, parce qu’il était en fait responsable de la direction intérieure des camps. Pour plus de précision, il faut savoir comment fonctionnait réellement le système d’information entre le commandant du camp et Glücks. Je voudrais vous donner l’exemple suivant : au cours de la nuit du 22 au 23 avril, je fus envoyé à Munich en avion. Comme j’entrais en ville, je rencontrai un groupe d’environ 120 hommes revêtus de l’uniforme des camps de concentration. Ces gens me donnèrent l’impression d’être en très mauvais état. Je demandai au gardien qui les accompagnait ce qu’il advenait de ces hommes. Il me répondit qu’ils se dirigeaient à pied vers les Alpes. Je commençai par les renvoyer à Dachau. Puis, j’écrivis une lettre au commandant pour lui dire de n’envoyer personne à pied à quelque endroit que ce fût mais, si les Alliés avançaient encore, de livrer le camp en entier. Je le fis sous ma propre responsabilité et je lui dis que je venais directement de Berlin et qu’on pouvait me joindre dans mon service à Munich. Le commandant, ou son adjoint, téléphona aux environs de midi pour me dire que cet ordre lui avait été donné par Kaltenbrunner, après que le Gauleiter de Munich et le commissaire du Reich le lui eussent demandé. » C’est le document USA-529.
Le dixième crime dont Kaltenbrunner s’est rendu coupable, en qualité de chef de la Police de sûreté et du SD, est la persécution des Juifs. Ce crime se poursuivit, bien entendu, après le 30 janvier 1943, et nous possédons déjà des preuves établissant que ces persécutions continuèrent pendant toute la guerre et s’accrurent même vers la fin. Kaltenbrunner y porta un intérêt personnel ainsi que l’indique le document PS-2519, déposé sous la cote USA-530. Ce document consiste en un mémorandum et un affidavit, et j’attire l’attention du Tribunal sur ce dernier. Je le cite :
« Je soussigné, Henri Monneray, après avoir dûment prêté serment, dépose et déclare que depuis le 12 septembre 1945, j’ai été et suis encore membre de la Délégation française pour la poursuite des criminels de l’Axe et que j’accomplis en cette qualité les devoirs de ma charge à Nuremberg (Allemagne), depuis le 12 octobre 1945.
« Dans l’accomplissement des devoirs de ma charge, sur les instructions du Procureur Général français, j’ai examiné les documents personnels des accusés… »
Est-il nécessaire de lire tout cela ? Quel est l’objet de cet affidavit ?
De montrer que ce document provient des archives personnelles de l’accusé Kaltenbrunner.
De ses archives personnelles ?
De ses archives personnelles.
Oui, et bien, vous pouvez laisser de côté ce qui ne touche pas le fond.
Très bien, Monsieur le Président. Je passe à la dernière phrase de l’affidavit :
« Le document PS-2519 sus-indiqué est celui que j’ai trouvé dans l’enveloppe contenant les papiers personnels de Kaltenbrunner. »
Je lis maintenant le mémorandum :
« Message radio adressé au Gruppenführer SS Fegelein, Quartier Général du Führer, par l’intermédiaire du Sturmbannführer SS Sansoni, à Berlin.
« Veuillez informer le Reichsführer SS et rendre compte au Führer que je me suis occupé personnellement, aujourd’hui, de toutes les mesures à prendre contre les Juifs, les internés politiques et les détenus des camps de concentration dans le Protectorat. La situation y est faite de calme, de crainte devant les succès soviétiques et d’espoir en une occupation par les ennemis de l’Ouest.
« Kaltenbrunner. »
Ce document porte-t-il une date ?
Il n’est pas daté.
Le onzième crime dont Kaltenbrunner est responsable est la persécution des Églises. Il n’est pas nécessaire de prouver que ce crime s’est poursuivi après le 30 janvier 1943, car c’était là l’un des buts fondamentaux de la Police de sûreté et du SD, ainsi qu’on l’a déjà démontré.
Tels sont les crimes dont l’accusé Kaltenbrunner doit répondre. Quant à son intention criminelle, il n’est pas besoin d’en chercher les preuves en dehors même du compte rendu des audiences de ce Tribunal. Le 1er décembre 1945, au cours de ces débats, le témoin Lahousen s’est vu demander au cours de son contre-interrogatoire : « Connaissez-vous Kaltenbrunner ? » Après avoir raconté sa rencontre avec Kaltenbrunner à Munich, le jour où un étudiant de l’Université et sa sœur furent arrêtés et exécutés pour avoir distribué des tracts dans les salles de cours, Lahousen dit, et je ne désire citer que deux phrases de la page 724 du compte rendu sténographique (Tome III, page 38) :
« Je puis aisément me rappeler ce jour. C’était la première et la dernière fois que je vis Kaltenbrunner, dont le nom m’était connu. Naturellement, Kaltenbrunner a abordé ce sujet avec Canaris, en présence de témoins qui, Dieu merci, vivent encore ; Canaris, durement secoué par ces faits, était encore sous la terrible impression de ce qui s’était passé. Kaltenbrunner en parla à Canaris en des termes que le mot cynisme ne rend que très faiblement. C’est la seule réponse que je puisse faire à cette question. »
Kaltenbrunner fut, sa vie durant, un nazi fanatique. Il fut le chef des SS en Autriche avant l’Anschluss, et joua un grand rôle dans la livraison de son pays natal aux conspirateurs nazis. En tant que chef suprême des SS et de la Police en Autriche, après l’Anschluss, il connut et contrôla les activités de la Gestapo et du SD en Autriche. Le camp de concentration de Mauthausen dépendait de lui et il le visita plusieurs fois. À l’une au moins de ces visites, il put voir fonctionner la chambre à gaz. Dans sa situation et sachant ce qu’il savait, il accepta, en janvier 1943, le poste de chef de la Police de sûreté et du SD, ces mêmes organismes qui vouaient leurs victimes à une mort semblable. Il conserva ce poste jusqu’à la fin, se faisant une situation éminente dans la Police et dans les SS, et recevant de Hitler de grandes faveurs. Comme les autres grands chefs nazis, Kaltenbrunner voulait le pouvoir ; pour l’obtenir, il pactisa avec le crime.
S’il plaît au Tribunal, nous entendrons maintenant quelques témoins dont le colonel Amen conduira l’interrogatoire.
Plaise au Tribunal. Je désire faire comparaître comme témoin à charge, M. Otto Ohlendorf.
Voulez-vous épeler, s’il vous plaît.
O-H-L-E-N-D-O-R-F, son prénom est Otto. Votre Honneur voudra bien remarquer que son nom se trouve dans le graphique placé sous la rubrique Amt III.
Voulez-vous répéter ?
Le nom du témoin figure sous la rubrique Amt III dans le tableau du RSHA, le grand carré, la troisième section en descendant.
Amt III. Oui, je vois.
Otto Ohlendorf, voulez-vous répéter ce serment après moi :
« Je jure devant Dieu, tout-puissant et omniscient, que je dirai la pure vérité, que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien. »
Voulez-vous essayer de parler lentement et de marquer une pause entre les questions et les réponses ?
Oui.
Où êtes-vous né ?
À Hohen Egelsen.
Quel âge avez-vous ?
38 ans.
Quand êtes-vous devenu membre du parti national-socialiste ?
En 1925.
Quand êtes-vous devenu membre des SA ?
Pour la première fois en 1926.
Quand êtes-vous devenu membre des SS ?
Je dois rectifier ma réponse précédente. Je croyais que vous me demandiez quand j’étais devenu membre des SS.
Quand êtes-vous devenu membre des SA ?
En 1925.
Quand êtes-vous entré au SD ?
En 1936.
Quel était votre dernier poste dans le SD ?
Chef de l’Amt III du RSHA.
Regardez le tableau qui est au mur derrière votre dos ; voulez-vous dire au Tribunal si vous le reconnaissez ?
J’ai déjà vu ce tableau. J’y ai travaillé et je le reconnais comme exact.
Dans quelle mesure avez-vous éventuellement participé à l’établissement de ce tableau ?
Ce tableau a été fait pendant mon interrogatoire.
Pour renseigner le Tribunal, le tableau dont parle le témoin est la pièce USA-493.
Je ne vous ai pas compris.
Témoin, voulez-vous dire au Tribunal si ce tableau montre de façon exacte les traits fondamentaux de l’organisation du RSHA, ainsi que la position de Kaltenbrunner, de la Gestapo et du SD dans le système policier allemand ?
Ce tableau montre bien l’organisation du RSHA ainsi que la position des services du SD, de la Police d’État et de la Police secrète.
En vous reportant, une fois encore, au tableau, veuillez indiquer votre poste dans le RSHA et dire combien de temps vous l’avez occupé.
Quelles étaient les situations respectives de Kaltenbrunner, de Müller et de Eichmann dans le RSHA ? Dites-nous le temps pendant lequel ils ont occupé ces postes.
Kaltenbrunner était chef de la Sicherheitspolizei et du SD ; comme tel, il était également chef du RSHA, terme technique désignant les services du SD et de la Sicherheitspolizei. Kaltenbrunner a occupé ce poste depuis le 30 janvier 1943 jusqu’à la fin de la guerre. Müller était le chef de l’Amt IV, la Gestapo. Lors de la création de la Gestapo, il devint chef-adjoint et, comme tel, fut nommé logiquement chef de l’Amt IV du RSHA. Il occupa ce poste jusqu’à la fin de la guerre. Eichmann avait un poste dans l’Amt IV, sous les ordres de Müller, et s’occupait du problème juif depuis 1940 environ. Pour autant que je sache, il resta aussi à ce poste jusqu’à la fin de la guerre.
Pouvez-vous nous dire pendant combien de temps vous avez continué à servir dans vos fonctions de chef de l’Amt III ?
J’ai été chef de l’Amt III de 1939 à 1945.
En regardant maintenant la rubrique « Unités mobiles auprès de l’Armée », figurant dans le coin, en bas à droite sur le tableau, veuillez expliquer au Tribunal la signification des termes Einsatzgruppe et Einsatzkommando.
L’expression Einsatzgruppe fut employée après un accord entre les chefs du RSHA, de l’OKW et de l’OKH, pour désigner l’emploi de détachements de la Sipo dans les zones d’opérations. Ce terme fut utilisé pour la première fois pendant la campagne de Pologne. L’accord avec l’OKH et l’OKW, cependant, ne se fit qu’au début de la campagne de Russie. Cet accord stipulait qu’un représentant du chef de la Sipo et du SD serait affecté aux groupes d’armées ou aux armées, et que ce fonctionnaire aurait à sa disposition des unités mobiles de la Sipo et du SD sous la forme d’une Einsatzgruppe, subdivisée en Einsatzkommandos. Les Einsatzkommandos devaient être alloués aux unités de chaque armée suivant leurs besoins, d’après les instructions données par le groupe d’armées ou par l’armée.
Savez-vous si avant la campagne contre la Russie soviétique il y eut un accord écrit entre l’OKW, l’OKH et le RSHA ?
Oui. Les Einsatzgruppen que je viens de décrire et les Einsatzkommandos ont été utilisés sur la base d’un accord écrit conclu entre l’OKW, l’OKH et le RSHA.
Comment savez-vous qu’il existait un tel accord écrit ?
J’ai été à plusieurs reprises présent aux discussions relatives aux négociations que Albrecht et Schellenberg menaient avec l’OKH et l’OKW ; en outre, j’eus moi-même entre les mains un texte écrit de cet accord, résultat de ces négociations, lorsque je pris en charge les Einsatzgruppen.
Expliquez à la Cour qui était Schellenberg ; quel poste occupait-il ?
À la fin, Schellenberg fut chef de l’Amt VI du RSHA. Au moment où il menait ces négociations – comme représentant de Heydrich – il appartenait à l’Amt I.
À quelle date environ, ces négociations ont-elles eu lieu ?
Elles ont duré plusieurs semaines. L’accord a dû se faire environ une ou deux semaines avant le début de la campagne de Russie.
Avez-vous le texte de cet accord écrit ?
Oui.
Avez-vous eu l’occasion de vous servir de cet accord écrit ?
Oui.
À plusieurs reprises ?
Oui ; à propos de toutes les questions que posaient les relations entre les Einsatzgruppen et l’Armée.
Savez-vous où se trouve aujourd’hui l’original ou une copie de cet accord ?
Non.
Veuillez expliquer au Tribunal, au mieux de vos souvenirs et de votre connaissance des faits, quelle était dans son entier la substance de cet accord écrit.
L’accord fixait d’abord la création des Einsatzgruppen ainsi que des Einsatzkommandos qui devaient opérer dans la zone d’opérations. Ce fait créa un précédent, car, jusqu’à ce moment, l’Armée avait complètement pris en charge les affaires qui devaient désormais être attribuées à la Sipo seule. Le deuxième point concernait le partage objectif des compétences.
Vous parlez trop rapidement. Que disiez-vous des attributions des Einsatzkommandos aux termes de cet accord ?
En second lieu, l’accord précisait les relations entre l’Armée et les Einsatzgruppen et Einsatzkommandos. Il stipulait que les groupes d’armées ou les armées seraient responsables des mouvements et du ravitaillement des Einsatzgruppen, mais que les ordres concernant leurs activités viendraient du chef de la Sipo et du SD.
Comprenons-nous bien. Est-il exact qu’une Einsatzgruppe devait être rattachée à chaque groupe d’armées ou à chaque armée ?
À chaque groupe d’armées devait être attachée une Einsatzgruppe. À son tour, le groupe d’armées devait détacher des Einsatzkommandos auprès de ses armées.
Était-ce le commandement de l’Armée qui devait déterminer la zone dans laquelle l’Einsatzgruppe devait opérer ?
La zone d’action de l’Einsatzgruppe était déterminée du fait que l’Einsatzgruppe était affectée spécifiquement à un groupe d’armées, et par conséquent marchait avec lui, tandis que les zones d’opérations des Einsatzkommandos étaient définies de leur côté par le groupe d’armées ou par l’Armée.
L’accord prévoyait-il aussi que le commandement de l’Armée devait fixer la période pendant laquelle ces détachements devaient opérer ?
C’était compris sous la rubrique : « Mouvements ».
Prévoyait-il également qu’il pouvait leur fixer des tâches supplémentaires à accomplir ?
Oui. Bien que les chefs de la Sipo et du SD eussent seuls le droit de leur donner des ordres quant à leurs interventions, il existait un accord général, aux termes duquel l’Armée avait aussi le droit de donner des ordres aux Einsatzgruppen, si le cours des opérations l’exigeait.
Que prévoyait cet accord sur le rattachement du commandement de l’Einsatzgruppe au commandement de l’Armée ?
Je ne peux pas me rappeler si l’accord contenait quelque chose de spécial à ce sujet. En tout cas, il y avait un agent de liaison entre le commandement de l’Armée et le SD.
Vous rappelez-vous quelque autre disposition de cet accord écrit ?
Je crois que je puis citer les clauses principales de cet accord.
Quel poste occupiez-vous sur la base de cet accord ?
De juin 1941 jusqu’à la mort de Heydrich, en juin 1942, j’ai dirigé l’Einsatzgruppe D et j’ai été le représentant du chef de la Sipo et du SD auprès de la 11e armée.
Quelle est la date de la mort de Heydrich ?
Heydrich a été blessé à la fin mai 1942 et il est mort le 4 juin 1942.
Combien de temps à l’avance avez-vous été prévenu de la campagne contre la Russie soviétique ?
Environ quatre semaines.
Combien y avait-il d’Einsatzgruppen et qui étaient leurs chefs respectifs ?
Il y avait quatre Einsatzgruppen, les groupes A, B, C, et D. Le chef de l’Einsatzgruppe A était Stahlecker ; le chef de l’Einsatzgruppe B était Nebe ; le chef de l’Einsatzgruppe C était le Dr Rasche, et plus tard, le Dr Thomas ; je fus moi-même chef de l’Einsatzgruppe D, et ultérieurement Bierkamp.
À quelle armée était rattaché le groupe D ?
Le groupe D n’était rattaché à aucun groupe d’armées, mais était rattaché directement à la 11e armée.
Où le groupe D a-t-il opéré ?
Le groupe D opérait en Ukraine du Sud.
Voulez-vous décrire avec plus de détails la nature et l’étendue de la zone dans laquelle le groupe D opéra à l’origine, en nommant les villes ou les provinces ?
La ville la plus au Nord était Czernowitz ; au Sud, la zone s’étendait jusqu’à Mogilew-Podolsk, Jampol, puis, à l’Est, Zuwalje, Czerwind, Melitopol, Mariopol, Taganrog, Rostov et la Crimée.
Quel était l’objectif final du groupe D ?
Le groupe D faisait partie, à l’origine, de la réserve prévue pour le Caucase, au service d’un groupe d’armées qui devait opérer dans le Caucase.
Quand le groupe D a-t-il commencé à opérer en Russie ?
Le groupe D a quitté Duegen le 21 juin et atteignit Pietra Namsk, en Roumanie, au bout de trois jours. Les premiers Einsatzkommandos y étaient déjà réclamés par l’Armée, et ils se sont aussitôt mis en marche vers les destinations fixées par l’Armée. L’Einsatzgruppe en entier est entrée en action au début de juillet.
Vous parlez de la 11e armée ?
Oui.
Dans quel domaine, le cas échéant, les tâches officielles des Einsatzgruppen concernaient-elles les Juifs et les commissaires communistes ?
Sur la question des Juifs et des communistes, les Einsatzgruppen et les chefs des Einsatzkommandos recevaient des instructions verbales avant leur mission.
Quelles étaient leurs instructions quant aux Juifs et aux fonctionnaires communistes ?
Dans les zones d’opérations, des Einsatzgruppen, en territoire russe, les Juifs et les Commissaires politiques soviétiques devaient être liquidés.
Quand vous dites liquidés, voulez-vous dire abattus ?
Oui, je veux dire assassinés.
Avant l’ouverture de la campagne de Russie, avez-vous assisté à une conférence à Pretz ?
Oui, ce fut une conférence au cours de laquelle les Einsatzgruppen et les Einsatzkommandos furent informés de leurs tâches et reçurent les ordres correspondants.
Qui assistait à cette conférence ?
Les chefs des Einsatzgruppen et les commandants des Einsatzkommandos ainsi que Streckenbach du RSHA qui transmettait les ordres de Heydrich et de Himmler.
Quels étaient ces ordres ?
C’étaient les ordres généraux concernant le travail de la Sipo et du SD, et en outre, l’ordre de liquidation dont je viens de parler.
Et cette conférence a eu lieu vers quelle date ?
Environ trois ou quatre jours avant la mission.
De sorte qu’avant de pénétrer en Russie soviétique, vous avez reçu, au cours de cette conférence, l’ordre d’exterminer les Juifs et les fonctionnaires communistes, en plus du travail ordinaire et professionnel de la Police de sûreté et du SD ; est-ce exact ?
Oui.
Avez-vous eu personnellement des conversations avec Himmler au sujet d’une communication qu’il aurait faite aux commandants des groupes d’armées et des armées sur cette mission ?
Oui, Himmler m’a dit qu’avant le début de la campagne de Russie, Hitler avait parlé de cette mission lors d’une conférence avec les chefs des groupes d’armées et les chefs d’armées – non, pas les chefs d’armées, mais les généraux commandants en chef – et leur avait donné l’ordre de fournir l’aide nécessaire.
Par conséquent, vous pouvez témoigner que les commandants en chef des groupes d’armées et des armées avaient eux aussi, été informés de ces ordres de liquidation des Juifs et des fonctionnaires soviétiques ?
Je ne crois pas que ce soit exact de l’exprimer sous cette forme. Ils n’avaient pas reçu d’ordre de liquidation, puisque c’était Himmler qui était chargé d’exécuter cet ordre. Mais au cours de cette liquidation dans la zone d’opérations des groupes d’armées ou des armées, ceux-ci avaient reçu l’ordre de prêter main-forte. De plus, sans ces instructions à l’Armée, les activités des Einsatzgruppen n’auraient pas été possibles.
Avez-vous eu quelque autre conversation avec Himmler au sujet de cet ordre ?
Oui. À la fin de l’été 1941. Himmler se trouvait à Nikolaïev ; il réunit les chefs et les hommes des Einsatzkommandos et leur répéta l’ordre de liquidation, en faisant remarquer que les chefs et les hommes qui prenaient part à la liquidation n’encouraient aucune responsabilité personnelle par suite de l’exécution de ces ordres. La responsabilité lui incombait à lui seul ainsi qu’au Führer.
Et vous avez entendu cela vous-même ?
Oui.
Savez-vous si cette mission de l’Einsatzgruppe était connue des commandants de groupes d’armées ?
Cet ordre et l’exécution de ces ordres étaient connus des commandants d’armées.
Comment le savez-vous ?
Par des discussions avec des membres de l’Armée et par des instructions données par elle, se rapportant à l’exécution de l’ordre.
Est-ce que la mission des Einsatzgruppen et l’accord entre l’OKW, l’OKH et le RSHA étaient connus des autres chefs du RSHA ?
Au moins quelques-uns d’entre eux les connaissaient, car certains participaient de temps en temps aux missions des Einsatzgruppen et des Einsatzkommandos. De plus, les chefs qui s’occupaient de l’organisation et des questions juridiques se rapportant aux Einsatzgruppen devaient également être au courant.
La plupart des chefs provenaient du RSHA, n’est-ce pas ?
Quels chefs ?
Les chefs des Einsatzgruppen.
Non, on ne peut pas le dire ; les chefs des Einsatzgruppen et des Einsatzkommandos provenaient d’un peu partout dans le Reich.
Savez-vous si la mission et l’accord étaient connus de Kaltenbrunner ?
Après son entrée en service, Kaltenbrunner fut obligé de s’occuper de ces questions et par conséquent, il a dû connaître de nombreux détails sur les Einsatzgruppen qui dépendaient de son propre service.
Quel était le commandant de la 11e armée ?
Le commandant de la 11e armée fut d’abord le chevalier von Schober, et plus tard von Manstein.
Pouvez-vous dire au Tribunal de quelle façon le général commandant la 11e armée dirigeait ou surveillait l’Einsatzgruppe D dans l’exercice de ses activités de liquidation ?
À Nikolaïev, la 11e armée envoya l’ordre de n’entreprendre cette liquidation que dans un rayon de 200 kilomètres autour du Quartier Général du commandant en chef.
Vous rappelez-vous quelque autre cas ?
À Simferopol, le commandant de l’Armée demanda aux Einsatzkommandos compétents de hâter la liquidation, parce que la famine était imminente et que le manque d’habitations se faisait lourdement sentir.
Savez-vous combien de personnes furent liquidées par l’Einsatzgruppe D sous votre direction ?
Dans l’année qui s’étend de juin 1941 à juin 1942, les Einsatzkommandos ont rendu compte de la liquidation d’environ 90.000 personnes.
Ce chiffre comprend-il les hommes les femmes et les enfants ?
Oui.
Sur quoi basez-vous ces chiffres ?
Sur les rapports envoyés par les Einsatzkommandos aux Einsatzgruppen.
Est-ce que ces rapports vous ont été soumis ?
Oui.
Et vous les avez vus et lus ?
Je vous demande pardon ?
Vous avez personnellement lu et vu ces rapports ?
Oui.
Et c’est sur ces rapports que vous fondez les chiffres que vous donnez au Tribunal ?
Oui.
Savez-vous ce que sont ces chiffres en comparaison du nombre de personnes liquidées par d’autres Einsatzgruppen ?
Les chiffres que j’ai vus concernant d’autres Einsatzgruppen sont considérablement plus élevés.
À quoi est-ce dû ?
Je crois que, dans les autres Einsatzgruppen, les chiffres ont été, dans une grande mesure exagérés.
Avez-vous vu, de temps à autre, des rapports de liquidations provenant d’autres Einsatzgruppen ?
Oui.
Et ces rapports indiquaient des chiffres plus importants que ceux du groupe D ; est-ce exact ?
Oui.
Avez-vous personnellement surveillé des exécutions massives de ces gens ?
J’ai assisté à deux exécutions massives, à l’occasion de mes inspections.
Voulez-vous expliquer en détail au Tribunal comment s’accomplissait une exécution massive ?
Un Einsatzkommando local essayait d’accomplir un recensement complet des Juifs dans une certaine zone par le système de l’inscription. L’inscription des Juifs était faite par les Juifs eux-mêmes.
Sous quels prétextes, le cas échéant, étaient-ils rassemblés ?
Ils étaient rassemblés sous le prétexte d’une émigration.
Veuillez continuer.
Après l’inscription, les Juifs étaient rassemblés en un certain endroit ; ils étaient ensuite menés au lieu d’exécution qui était en général un fossé de défense anti-chars ou une excavation naturelle. Les exécutions étaient faites à la manière militaire, par des pelotons avec un commandement approprié.
De quelle façon étaient-ils transportés au lieu d’exécution.
Ils étaient transportés au lieu d’exécution dans des camions, par fractions qu’on pouvait exécuter sur-le-champ. On essaya ainsi de réduire autant que possible le temps qui s’écoulait entre le moment où les victimes apprenaient ce qui allait leur arriver et l’instant même de leur exécution.
Était-ce bien là votre intention ?
Oui.
Et une fois qu’ils étaient fusillés, que faisait-on des corps ?
Ils étaient enterrés dans le fossé anti-chars ou dans l’excavation.
Comment déterminait-on, le cas échéant, si ces gens étaient réellement morts ?
Les chefs d’unités ou les commandants des pelotons avaient reçu l’ordre de veiller sur ce point et de donner eux-mêmes le coup de grâce, le cas échéant.
Et qui devait le faire ?
C’était soit le chef de l’unité lui-même, soit un homme désigné par lui à cet effet.
Dans quelle position les victimes étaient-elles fusillées ?
Debout ou à genoux.
Que faisait-on avec les objets personnels et les vêtements des personnes exécutées ?
Tout ce qui avait de la valeur était confisqué au moment de l’inscription ou du rassemblement et transmis soit directement, soit par le canal du RSHA, au ministère des Finances. Les vêtements étaient d’abord distribués à la population, mais pendant l’hiver 1941-1942, les effets furent saisis par la NSV qui en disposa.
Tous les effets personnels étaient enregistrés à ce moment-là ?
Non, seuls étaient enregistrés les objets de valeur.
Que sont devenus les habits que les victimes portaient en allant au lieu d’exécution ?
Ils étaient obligés d’enlever leurs vêtements de dessus immédiatement avant l’exécution.
Tous ?
Les vêtement de dessus, oui.
Qu’advenait-il du reste des habits qu’ils portaient ?
Les autres vêtements restaient sur les corps.
Cela vaut-il seulement pour votre groupe, ou pour les autres Einsatzgruppen ?
C’était l’ordre reçu pour mon Einsatzgruppe et je ne sais ce qui se passait dans les autres.
Comment cela se passait-il ?
Certains chefs d’unités n’employaient pas pour la liquidation la manière militaire, mais tuaient les victimes une à une en leur tirant une balle dans la nuque.
Et vous n’étiez pas d’accord avec ce procédé ?
J’étais contre ce procédé, oui.
Pour quelle raison ?
Parce que, tant pour les victimes que pour ceux qui participaient à l’exécution, c’était extrêmement pénible à supporter.
Que faisait-on des effets que les Einsatzkommandos retiraient à ces victimes ?
Tous les objets de valeur étaient envoyés à Berlin au RSHA ou au ministère des Finances. Les choses dont on pouvait se servir dans la zone d’opérations étaient utilisées immédiatement.
Qu’advenait-il par exemple de l’or et de l’argent pris aux victimes ?
On l’envoyait à Berlin, ainsi que je viens de vous le dire, au ministère des Finances.
Comment le savez-vous ?
Je me souviens que c’est ce qu’on a fait à Simferopol.
Que faisait-on des montres prises aux victimes, par exemple ?
À la demande de l’Armée, les montres étaient mises à la disposition des troupes qui étaient au Front.
Est-ce que toutes les victimes, hommes, femmes et enfants étaient exécutées de la même façon ?
Jusqu’au printemps 1942, oui. Ensuite, nous parvint un ordre de Himmler qu’à l’avenir les femmes et les enfants ne devaient être tués que dans des fourgons à gaz.
Comment les femmes et les enfants étaient-ils tués auparavant ?
De la même façon que les hommes, par fusillade.
Comment les victimes étaient-elles le cas échéant enterrées, après leur exécution ?
Les fosses étaient comblées par les commandos afin d’effacer la trace de l’exécution et nivelées ensuite par des travailleurs forcés pris dans la population.
En ce qui concerne les fourgons à gaz que vous dites avoir reçus au printemps de 1942, quels ordres vous ont été donnés pour leur utilisation ?
Ces fourgons à gaz devaient à l’avenir servir à l’exécution des femmes et des enfants.
Voulez-vous expliquer au Tribunal la construction de ces camions et leur aspect.
On ne pouvait reconnaître de l’extérieur la nature véritable de ces fourgons. Ils ressemblaient à des camions fermés et ils étaient construits de telle sorte que, lorsque le moteur était mis en marche, le gaz était dirigé à l’intérieur de la voiture, amenant la mort des occupants en 10 à 15 minutes.
Expliquez en détail comment l’un de ces fourgons était utilisé pour une exécution.
Les victimes désignées pour l’exécution étaient chargées dans les camions, que l’on conduisait au lieu d’inhumation qui était d’habitude le même que celui qu’on utilisait pour les exécutions massives. Le temps que durait le trajet suffisait pour assurer la mort des occupants.
Comment amenait-on les victimes à monter dans ces fourgons ?
On leur disait qu’elles devaient être transportées à un autre endroit.
Comment le gaz parvenait-il dans le fourgon ?
Je ne connais pas les détails techniques.
Combien de temps fallait-il normalement pour tuer les victimes ?
Environ 10 à 15 minutes et les victimes ne s’apercevaient pas de ce qui leur arrivait.
Combien de personnes pouvait-on tuer à la fois dans un de ces fourgons ?
Environ 15 à 25 personnes ; les fourgons étaient de différentes tailles.
Avez-vous reçu de temps en temps des rapports provenant de ceux qui s’occupaient de ces fourgons ?
Je n’ai pas compris la question.
Avez-vous reçu des rapports de ceux qui s’occupaient de ces fourgons ?
J’ai reçu un rapport aux termes duquel les Einsatzkommandos n’aimaient pas utiliser ces fourgons.
Pourquoi ?
Parce que l’inhumation des victimes était une lourde charge pour les membres des Einsatzkommandos.
Voulez-vous indiquer au Tribunal qui fournissait ces fourgons aux Einsatzgruppen ?
Les fourgons à gaz n’appartenaient pas au parc automobile des Einsatzgruppen ; ils étaient affectés par le RSHA à l’Einsatzgruppe, en tant qu’unité spéciale dirigée par le constructeur de ces engins.
Les fourgons étaient-ils fournis à tous les différents Einsatzgruppen ?
Je n’en suis pas certain. Je le sais seulement pour l’Einsatzgruppe D et, indirectement pour l’Einsatzgruppe C qui a lui aussi employé ce genre de fourgons.
Connaissez-vous la lettre de Becker à Rauff sur ces fourgons à gaz ?
J’ai vu cette lettre au cours de mes interrogatoires.
Plaise au Tribunal. Je me réfère au document PS-501 (USA-288) : c’est une lettre déjà déposée comme preuve, adressée par Becker à Rauff. (Au témoin.) Voulez-vous dire au Tribunal qui était Becker ?
D’après mes souvenirs, Becker était le constructeur des fourgons ; c’est lui qui était responsable de ces fourgons pour l’Einsatzgruppe D.
Qui était Rauff ?
Rauff était chef de groupe à l’Amt II du RSHA. Il s’occupait, entre autres choses, du service des transports.
Pouvez-vous reconnaître cette lettre ?
Le contenu semble correspondre à mon expérience de ces questions et doit, par conséquent être exact.
Voulez-vous regarder la lettre que vous avez devant vous et nous dire si vous pouvez l’identifier d’une façon ou d’une autre ?
L’apparence extérieure de la lettre ainsi que l’initiale « R » (Rauff) et l’allusion à Zwabel ou Fabel, qui s’occupait des transports sous les ordres de Rauff, me semblent confirmer l’authenticité de la lettre. Le contenu correspond à l’expérience que j’avais de la chose à l’époque.
Si bien que vous croyez que c’est un document authentique ?
Oui.
Voulez-vous maintenant reposer cette lettre sur la table ? Et voulez-vous, en vous référant à votre précédente déclaration, expliquer au Tribunal pourquoi vous croyez que la méthode d’exécution que vous ordonniez, c’est-à-dire la méthode militaire, était préférable à la méthode de la balle dans la nuque adoptée par les autres Einsatzgruppen ?
D’une part, il fallait que les chefs et les hommes pussent procéder aux exécutions d’une manière militaire, en obéissant à des ordres précis leur évitant de prendre des décisions personnelles. D’autre part, je n’ignorais pas que, dans les exécutions individuelles, il n’était pas possible d’éviter la brutalité par excès d’émotion, car les victimes découvraient trop tôt qu’elles devaient être exécutées et, de ce fait ne pouvaient supporter une tension nerveuse prolongée. De même, il m’apparut insupportable que chefs et hommes fussent forcés de cette façon, de tuer un grand nombre de personnes de leur propre décision.
De quelle façon déterminiez-vous les Juifs qui étaient à exécuter ?
Cela ne faisait pas partie de mes attributions. L’identification était faite par les Juifs eux-mêmes, car l’inscription des Juifs était dirigée par un conseil juif des Anciens.
Est-ce que la quantité de sang juif y jouait quelque rôle ?
Je ne peux pas me rappeler les détails, mais je crois que les demi-Juifs étaient aussi considérés comme des Juifs.
Quelles sont les organisations qui ont fourni la plupart des cadres des Einsatzgruppen et des Einsatzkommandos ?
Je n’ai pas compris la question.
Quelles sont les organisations qui ont fourni la plupart des cadres des Einsatzgruppen ?
Le personnel dirigeant fut fourni par la Police d’État, par la Kripo et dans une moindre proportion par le SD.
La Kripo ?
Oui, la Police d’État, la Police criminelle et dans une moindre proportion, le SD.
Y avait-il d’autres sources de personnel ?
Oui, la plupart des hommes employés furent fournis par les Waffen SS et l’Ordnungspolizei : La Police d’État et la Kripo fournirent la plupart des spécialistes, tandis que les troupes étaient fournies par les Waffen SS et l’Ordnungspolizei.
De quelle manière, par les Waffen SS ?
Les Waffen SS et l’Ordnungspolizei étaient censées fournir chacune une compagnie aux Einsatzgruppen.
Et l’Ordnungspolizei ?
L’Ordnungspolizei fournissait également une compagnie aux Einsatzgruppen.
Quel était l’effectif de l’Einsatzgruppe D et sa zone d’opération, en comparaison avec les autres Einsatzgruppen ?
J’estime que l’Einsatzgruppe D équivalait à la moitié ou aux deux tiers des autres Einsatzgruppen. Ce fut sujet à changement avec le temps, car certains Einsatzgruppen furent peu à peu très renforcés.
Plaise au Tribunal. J’ai d’autres questions à poser au sujet des organisations et susceptibles, je pense, d’éclairer certaines des preuves qui ont en partie été admises par le Tribunal ; mais je ne veux pas abuser des instants du Tribunal, à moins qu’il n’estime avoir encore besoin de témoignages de ce genre. Si les membres du Tribunal ont des questions à poser, je pense qu’ils pourraient interroger directement ce témoin, car il est le mieux informé de tous ceux qui seront entendus à l’audience sur ces questions d’organisations.
L’audience est suspendue pour dix minutes.
Colonel Amen, le Tribunal ne croit pas qu’il soit nécessaire d’approfondir davantage la question des organisations à ce stade des débats, mais c’est une question sur laquelle, la décision vous appartient sans aucun doute car vous connaissez la nature des faits que vous voulez établir.
Quant au Tribunal, il est d’avis dans la présente phase de laisser la question au point où nous en sommes. Cependant, il est un aspect de la déposition du témoin que le Tribunal désirerait vous voir examiner ; il s’agit de savoir si les pratiques dont il a parlé ont continué après 1942, et pour combien de temps.
(Au témoin.) Pouvez-vous dire si les méthodes de liquidation que vous avez décrites ont continué à être utilisées après 1942 et, s’il en était ainsi, pendant combien de temps ?
Je ne crois pas que l’ordre de principe ait jamais été rapporté, mais je ne puis me rappeler les détails – du moins en ce qui concerne la Russie – qui me permettraient de faire une déclaration concrète à ce sujet. La retraite commença bientôt après, de sorte que la zone d’opérations des Einsatzgruppen diminua de plus en plus. Mais je sais, cependant, que d’autres Einsatzgruppen ont été constituées avec des ordres similaires pour d’autres zones.
Votre connaissance personnelle s’étend jusqu’à quelle date ?
Je sais que la liquidation des Juifs fut interdite environ six mois avant la fin de la guerre. J’ai vu aussi un document mettant fin à la liquidation des commissaires soviétiques, mais je ne puis me rappeler la date exacte.
Savez-vous si elle a pris fin en fait ?
Je crois que oui.
Le Tribunal aimerait connaître l’effectif de votre Einsatzgruppe.
Elle se composait d’environ 500 hommes, non compris les auxiliaires qui nous furent affectés parmi les gens du pays même.
Y compris, avez-vous dit ?
Non, non compris ceux qui furent pris dans le pays même.
Connaissez-vous l’effectif qu’il pouvait y avoir dans les autres groupes ?
Je l’estime, au début, à 700 ou 800 hommes mais, comme je l’ai dit, ce chiffre s’est modifié très rapidement avec le temps, car chacune des Einsatzgruppen a recruté des effectifs ou bien a réussi à obtenir du RSHA un supplément de personnel.
Les effectifs augmentèrent, n’est-ce pas ?
Oui, les effectifs augmentèrent.
Il me reste maintenant peut-être une demi-douzaine de questions que j’aimerais poser, car je crois qu’elles pourraient éclairer le Tribunal sur certaines des preuves qui ont déjà été présentées. Je serai très bref, si le Tribunal le désire. (Au témoin.) Voulez-vous expliquer ce que signifie la différence d’épaisseur des lignes bleues de ce tableau ?
La ligne bleue épaisse entre les fonctions de Himmler, Reichsführer SS et chef de la Police, et le RSHA, doit représenter l’identité des tâches des services dirigés par les chefs de la Sicherheitspolizei et du SD. Le RSHA s’occupait à la fois de problèmes ministériels de direction et de problèmes particuliers d’exécution qui constituaient, en gros, les affaires de la Sipo et du SD. Du point de vue du droit administratif, le schéma représente une illégalité car le RSHA, en tant que tel, n’a jamais eu de validité officielle. La situation exacte de ce service devant la loi était différente de celle qui figure sur le schéma. Des organismes du Parti et de l’État, avec des pouvoirs différents, on été amalgamés et sous cette désignation de RSHA, aucune directive, aucune loi, aucun ordre ne pouvait être donné qui reposât sur une base légale. Cela tenait du fait que la Police d’État, dans l’exercice de ses fonctions, était encore soumise au ministère de l’Intérieur, tandis que le SD, malgré cet échafaudage, était un organe du Parti. De sorte que si je voulais reproduire d’une manière légalement exacte ce schéma administratif, il me faudrait, par exemple, à la place de l’Amt IV, mettre le service « Police politique » qui faisait autrefois partie du service principal de la Sicherheitspolizei. Ce service de Police politique a existé jusqu’à la fin et il était issu des services de la Police du ministère de l’Intérieur du Reich. De même, officiellement, la Police secrète d’État, le Service central de la Police secrète prussienne, le service de direction de tous les organismes de Police politique des différents pays continuèrent à exister.
Ainsi, les questions ministérielles continuèrent à être traitées sous la direction du ministre de l’Intérieur du Reich. Pour autant qu’il était nécessaire de la souligner, la compétence du ministère de l’Intérieur se manifestait par le titre « ministre de l’Intérieur du Reich » et par la référence « Pol », ancienne abréviation du département de Police du ministère de l’Intérieur, en même temps que par la référence appropriée du service compétent de l’ancien Hauptamt Sicherheitspolizei. Par exemple, la référence « Pol-S » signifiait Sicherheitspolizei, et la référence « V », Amt Verwaltung und Recht (service juridique et administratif).
L’office principal de la sécurité du Reich (RSHA) n’était donc rien d’autre qu’un terme de camouflage qui ne représentait pas exactement les conditions réelles de fait. Mais il donnait au chef de la Sipo et du SD, en raison de cette désignation collective englobant le chef du Hauptamt Sicherheitspolizei et le chef du SD Hauptamt qui exista jusqu’en 1939, la possibilité de se servir de l’une ou l’autre des en-têtes. Cela lui donnait, en même temps, la possibilité de rassembler toutes les forces qui lui étaient nécessaires et de diviser le travail sur une base pratique et efficace. Mais les services d’État de cet Amt continuèrent, en un sens, à dépendre du ministère de l’Intérieur, de même que les services du SD restaient des organismes du Parti.
Le SD Hauptamt, ou le RSHA, n’était, en la forme, qu’un service central SS, dans lequel les membres de la Sipo et du SD appartenaient aux SS. Mais les SS, c’est-à-dire Himmler, en tant que Reichsführer SS, n’accordaient officiellement à ces services d’État aucun pouvoir de donner des ordres.
Je ne suis pas certain d’avoir entièrement suivi ce que vous venez de dire. Mais avez-vous donné la raison pour laquelle vous figuriez sur le tableau, à l’Amt III, qui ne concerne que l’intérieur de l’Allemagne, alors que, suivant votre déposition, vous étiez le chef de l’Einsatzgruppe D qui opérait en dehors de l’Allemagne ?
Le fait que j’ai dirigé une Einsatzgruppe n’avait rien à voir avec ma qualité de chef de l’Amt III. J’ai commandé l’Einsatzgruppe à titre personnel et non pas en ma qualité de chef de l’Amt III : en cette qualité de chef d’une Einsatzgruppe, je me trouvai dans un poste tout à fait nouveau et j’eus à assumer des fonctions complètement différentes de celles que j’avais antérieurement.
Je comprends. Est-ce que cela veut dire que vous avez dû quitter l’Allemagne pour les régions envahies de l’Union Soviétique ?
Oui, c’est cela.
Voulez-vous maintenant expliquer ce que signifie la ligne en pointillé bleu, comparée à la ligne bleue unie du côté droit du tableau ?
La ligne unie indique une voie hiérarchique directe pour les ordres, alors que la ligne en pointillé signifie qu’en général il n’y avait pas de liaison directe.
Est-ce que le terme SD désignait à la fois la Sipo et le SD ?
Le terme SD a été utilisé de plus en plus inexactement. SD devint l’abréviation de la Sipo et du SD, alors que c’était en réalité impropre. SD indiquait seulement, à l’origine, que quelqu’un appartenait aux SS par l’intermédiaire du SD. Lorsque le service principal du SD fut dissous et s’identifia avec le RSHA, il fut évidemment question de savoir si le titre SD que portaient les hommes SS sur leur manche serait remplacé par un autre insigne ou par une nouvelle abréviation, par exemple RSHA. On n’en vint pas là car, de cette façon, le camouflage du RSHA aurait perdu de son efficacité.
Mais quand je lis, par exemple, dans un ordre du Führer, qu’en France les gens devaient être livrés au SD, c’est là un cas typique du mauvais usage de l’abréviation SD, étant donné qu’en France, il n’y avait pas de formation de ce genre. D’autre part, le SD, pour autant qu’il fonctionnait dans des services comme l’Amt III, n’avait aucun pouvoir d’exécution, mais était simplement un service de renseignements.
Brièvement, quels étaient les rapports entre les SS et la Gestapo ?
Les rapports entre les SS et la Gestapo étaient les suivants : le Reichsführer SS, en cette qualité, se chargea des tâches de la Police et chercha à établir une liaison plus étroite entre la Police et les SS, c’est-à-dire, d’une part, à employer uniquement des membres de la Police d’État capables de devenir des SS et, d’autre part, à se servir des institutions SS, par exemple l’instruction et l’entraînement de la jeune génération par les Waffen SS, de façon à fournir des recrues à la Police d’État. Cette fusion fut plus tard étendue par Himmler, lorsqu’il tenta de créer la même cohésion entre les SS et le ministère de l’Intérieur, c’est-à-dire toute l’administration intérieure.
Combien d’agents permanents et auxiliaires le SD employait-il ?
En cette occurrence non plus, on ne peut utiliser le terme SD. Il faut distinguer entre l’Amt III et l’Amt VI. L’Amt III était un service intérieur de renseignements et comptait environ 3.000 membres rétribués, hommes et femmes. Par ailleurs, le service intérieur de renseignements travaillait principalement avec des membres bénévoles, c’est-à-dire avec des hommes et des femmes qui pouvaient mettre leurs expériences professionnelles et celles de leur entourage à la disposition du service intérieur de renseignements. Je crois pouvoir fixer ce chiffre à 30.000 personnes environ.
Voulez-vous donner brièvement au Tribunal un exemple de l’acheminement d’une affaire type, par les voies indiquées sur ce tableau ?
Tout d’abord, un exemple général afin d’éclaircir la question : Himmler apprit que des saboteurs, de plus en plus nombreux, étaient parachutés en Allemagne et mettaient en danger les usines et les voies ferrées. Il en informa Kaltenbrunner, en sa qualité de chef de la Sipo, en lui disant d’attirer l’attention de ses services sur cet état de choses et de prendre des mesures assurant la capture de ces saboteurs le plus complètement et le plus rapidement possible. Kaltenbrunner chargea le chef de l’Amt IV, c’est-à-dire la Police d’État, de préparer à cet effet un ordre destiné aux services régionaux. Cet ordre fut rédigé par les services compétents de l’Amt IV et fut ou bien transmis directement par Müller aux services de la Police d’État du Reich ou, ce qui est plus probable, étant donnée l’importance de la question et la nécessité d’attirer en même temps l’attention des autres services de la Sicherheitspolizei sur cet ordre, remis à Kaltenbrunner, qui le signa et le diffusa dans les services régionaux du Reich.
Un ordre de ce genre prescrivait par exemple que les services de la Police d’État eussent à rendre compte des mesures prises, ainsi que de leurs résultats. Ces rapports revenaient par la voie hiérarchique, passaient des services régionaux aux services compétents de l’Amt IV, de là au chef de l’Amt IV, puis au chef de la Sicherheitspolizei, Kaltenbrunner, et de là au chef de la Police allemande, Himmler.
Voulez-vous maintenant nous donner un exemple déterminé d’une affaire transmise par les voies qui figurent sur ce tableau ?
Je prends l’exemple de l’arrestation des chefs des partis de gauche, après les événements du 20 juillet. Himmler transmit également cet ordre à Kaltenbrunner ; Kaltenbrunner le transmit à l’Amt IV qui établit un projet de directives appropriées, signé par Kaltenbrunner, et envoyé aux services régionaux. Les rapports des organismes subalternes suivirent la même voie hiérarchique pour parvenir au service supérieur.
Plaise au Tribunal. Le témoin est maintenant à la disposition des autres représentants du Ministère Public. Je crois savoir que le colonel Pokrovsky désire lui poser quelques questions au nom du Ministère Public soviétique.
Les déclarations du témoin sont d’une grande importance pour éclaircir certaines questions intéressant un rapport auquel la Délégation soviétique travaille en ce moment. C’est pourquoi, avec l’autorisation du Tribunal, j’aimerais poser quelques questions au témoin Ohlendorf. (Au témoin.) Témoin, vous avez dit, par deux fois, que vous avez assisté à des exécutions massives. Sur les ordres de qui avez-vous assisté à ces exécutions au cours de vos inspections ?
C’est de ma propre initiative que j’étais présent aux exécutions.
Mais vous avez dit que vous y aviez assisté en tant qu’inspecteur.
J’ai dit au cours d’une inspection.
C’était une initiative personnelle de votre part ?
Oui.
Un de vos chefs assistait-il toujours aux exécutions, à des fins d’inspection ?
Chaque fois que c’était possible, j’envoyais un membre de l’état-major de l’Einsatzgruppe pour assister aux exécutions ; mais cela n’était pas toujours faisable, puisque l’Einsatzgruppe devait opérer sur de grandes étendues.
Dans quel but envoyait-on quelqu’un aux fins d’inspection ?
Voulez-vous répéter la question ?
Dans quel but envoyait-on un inspecteur ?
Pour vérifier si mes instructions sur les méthodes d’exécution étaient suivies ou non.
Dois-je comprendre que l’inspecteur devait s’assurer que l’exécution avait bien été effectuée ?
Non, il ne serait pas exact de dire cela, mais il devait s’assurer que les conditions d’exécution que j’avais fixées étaient bien remplies.
Et quelles étaient ces conditions ?
1º Exclusion du public. 2º Exécution militaire au moyen d’un peloton d’exécution. 3º Arrivée des convois et liquidation sans heurts, de façon à éviter toute agitation inutile. 4º Surveillance des biens personnels des victimes, pour éviter le pillage.
Il peut y avoir d’autres détails qui m’échappent mais, en tout cas, tout mauvais traitement physique ou moral devait être évité par ces mesures.
Vous vouliez être certain de ce que vous considériez comme une distribution équitable de ces biens, ou bien désiriez-vous vous emparer des objets de valeur ?
Oui. (Seule la première moitié de la question précédente, posée en langue russe, fut transmise en allemand par l’interprète au témoin. Sa réponse ne se rapporte donc qu’à cette première moitié de la question.)
Vous avez parlé de mauvais traitements. Qu’entendez-vous par mauvais traitements lors des exécutions ?
Par exemple, la manière dont les exécutions étaient effectuées pouvait provoquer l’énervement et la désobéissance des victimes au point que les commandos étaient obligés de rétablir l’ordre par la force.
Qu’entendez-vous par rétablir l’ordre par la force ? Qu’entendez-vous par la « suppression de l’énervement par la force » ?
Comme je l’ai déjà dit, il fallait par exemple recourir aux coups pour exécuter la liquidation avec ordre.
Était-il absolument nécessaire de frapper les victimes ?
Je n’ai pas été témoin de cas semblables, mais j’en ai entendu parler.
Par qui ?
Par les membres d’autres commandos au cours de conversations avec eux.
Vous avez parlé de l’utilisation d’automobiles et de camions pour les exécutions ?
Oui.
Savez-vous où et avec l’aide de qui l’inventeur Becker a pu mettre son invention en pratique ?
Je me rappelle simplement que la chose a été faite par l’intermédiaire de l’Amt II du RSHA, mais je ne peux plus le dire avec certitude.
Combien de personnes furent-elles excécutées dans ces voitures ?
Je n’ai pas compris la question.
Combien de victimes ont-elles été exécutées dans ces voitures ?
Je ne peux pas donner de chiffres exacts, mais le nombre était relativement très faible, peut-être quelques centaines.
Vous avez dit que dans ces fourgons on exécutait surtout les femmes et les enfants, pour quelle raison ?
Selon un ordre formel de Himmler les femmes et les enfants ne devaient pas être soumis à la torture morale des exécutions ; de cette façon, les hommes des kommandos, qui étaient pour la plupart mariés, n’étaient pas obligés de mettre en joue des femmes et des enfants.
Quelqu’un observait-il le comportement des victimes dans ces fourgons ?
Oui, le médecin.
Savez-vous si Becker a signalé que la mort dans ces fourgons était particulièrement douloureuse ?
Non. Je n’ai été au courant des rapports de Becker pour la première fois qu’en lisant la lettre qui m’a été présentée ici et qu’il avait adressée à Rauff. Au contraire, je sais, d’après les rapports du médecin, que les victimes n’avaient pas la sensation de voir venir la mort.
Est-ce que des unités militaires, je veux dire des unités de l’armée, prenaient part à ces exécutions en masse ?
En général, non.
Et en particulier ?
Je crois me rappeler qu’à Nikolaïev et à Simferopol, un membre du Haut Commandement de l’Armée y assista en spectateur pendant un court laps de temps.
Dans quel but ?
Je n’en sais rien, probablement pour s’informer personnellement.
Dans ces villes, des unités militaires furent-elles préposées à ces exécutions ?
Officiellement, l’Armée n’affecta aucun détachement à cet effet, car elle était en principe réellement opposée à l’extermination.
Et en fait ?
Il y eut parfois ça et là quelques unités de volontaires. Néanmoins, je ne me souviens pas présentement en avoir connu dans l’Armée, mais uniquement dans certaines unités qui lui étaient rattachées (Heeresgefolge).
Vous étiez l’homme sur les ordres duquel les gens étaient envoyés à la mort. Les Juifs étaient-ils les seuls à être remis aux Einsatzgruppen pour être exécutés, ou bien des communistes – des fonctionnaires communistes comme vous les appelez dans vos instructions – étaient-ils également livrés à l’exécution, en même temps que les Juifs ?
Oui, des communistes actifs et des commissaires politiques ; le simple fait d’appartenir au parti communiste ne suffisait pas pour être persécuté ou tué.
Des enquêtes spéciales ont-elles été effectuées sur le rôle joué par certaines personnes dans le parti communiste ?
Non ; j’ai dit, au contraire, que le seul fait d’appartenir au parti communiste n’était pas en soi un facteur décisif pour persécuter un homme ou l’exécuter ; il fallait qu’il eût des fonctions politiques déterminées.
Avez-vous eu des entretiens sur les fourgons d’extermination envoyés de Berlin et sur leur utilisation ?
Je n’ai pas compris la question.
Vous est-il arrivé de discuter avec vos chefs et vos collaborateurs, sur ces fourgons automobiles qui avaient été envoyés de Berlin à vos propres Einsatzgruppen, pour procéder aux exécutions ? Vous rappelez-vous un entretien de ce genre ?
Je ne me souviens d’aucune discussion particulière.
Avez-vous été informé du fait que des membres des pelotons d’exécution responsables ne voulaient pas se servir des fourgons ?
Je savais que les Einsatzkommandos utilisaient ces fourgons.
Non. Ma pensée est tout autre. Je voulais savoir si vous aviez reçu des rapports signalant que des membres de pelotons d’exécution refusaient d’utiliser les fourgons et préféraient d’autres moyens ?
S’ils préféraient les fourgons à gaz aux pelotons d’exécution ?
Au contraire, s’ils préféraient l’exécution par les armes, à celle qui se faisait au moyen des fourgons à gaz ?
Oui. J’ai déjà dit que le fourgon à gaz…
Pourquoi préféraient-ils l’exécution par les armes à celle réalisée par les fourgons à gaz ?
Parce que, comme je vous l’ai déjà dit, de l’avis du chef des Einsatzkommandos, le déchargement des cadavres constituait une souffrance morale inutile.
Qu’entendez-vous par souffrance morale inutile ?
Pour autant que je puisse me rappeler les conditions du moment, elle provenait du spectacle qu’offraient les cadavres, en raisons probablement de l’accomplissement de certaines fonctions naturelles qui laissaient les corps dans la saleté.
Vous voulez dire que les souffrances endurées avant la mort étaient clairement visibles sur les victimes ? Vous ai-je bien compris ?
Je ne comprends pas la question, vous voulez dire pendant l’extermination dans le fourgon ?
Oui.
Je ne peux que vous répéter ce que le docteur m’a dit : les victimes n’étaient pas conscientes de la mort dans le fourgon.
Dans ce cas, votre réponse à ma question précédente, que le déchargement des cadavres faisait une impression terrible sur les membres des pelotons d’exécution, devient absolument incompréhensible.
Ainsi que je vous l’ai dit, l’impression terrible était créée par les cadavres eux-mêmes et probablement par l’état de saleté des fourgons…
Je n’ai plus d’autres questions à poser au témoin pour le moment.
Le Procureur Général français désire-t-il poser des questions au témoin ?
Non.
L’avocat de Kaltenbrunner désire-t-il contre-interroger le témoin maintenant ou plus tard ?
Peut-être pourrais-je poser quelques questions maintenant, en demandant qu’on me permette de procéder ultérieurement au contre-interrogatoire après en avoir conféré avec Kaltenbrunner.
Très bien.
(Au témoin.) Depuis combien de temps connaissez-vous Kaltenbrunner ?
Puis-je m’asseoir ?
Oui, certainement.
J’ai vu Kaltenbrunner pour la première fois lors d’un voyage de Berlin au Quartier Général de Himmler, alors que Kaltenbrunner allait être nommé chef de la Sipo et du SD ; je ne le connaissais avant que de réputation.
Vous ne le connaissiez pas ?
Non, je savais seulement qu’il existait.
Avez-vous été en rapport direct avec Kaltenbrunner, par des discussions privées ou officielles, après sa nomination comme chef du RSHA ?
Oui, bien sûr.
Connaissez-vous ses idées au sujet de la question juive, par exemple ?
Non, je ne suis pas au courant de ses idées sur cette question particulière.
Et sur la question de l’Église ?
À cet égard, il déplorait la politique anti-religieuse suivie en Allemagne. Nous étions d’accord sur le fait qu’il fallait arriver à une entente avec l’Église.
Savez-vous quelle était son attitude au sujet de la liquidation des prisonniers civils et des parachutistes, etc. ?
Non.
Savez-vous que Kaltenbrunner a fait des efforts particuliers en se servant du SD pour suppléer au manque d’esprit critique de la part de l’État-Major du Führer ?
Oui, c’était exactement le travail du SD, même avant Kaltenbrunner qui a, lui aussi, donné son appui à cette tâche.
Un peu plus lentement.
C’était le travail du SD avant même que Kaltenbrunner y fût nommé ; il a approuvé et encouragé l’orientation de ce travail.
Savez-vous, directement ou indirectement, que Kaltenbrunner n’avait pas pouvoir de donner des ordres ressortissant au domaine de l’exécution, par exemple qu’il ne pouvait pas envoyer des gens dans les camps de concentration ou les en faire sortir ? Savez-vous que toutes ces questions étaient réglées par Müller et Himmler exclusivement ?
Je pense que cette question est trop générale, trop étendue, pour qu’on y réponde de façon concrète. Il faut distinguer. Si vous me demandez si Kaltenbrunner pouvait prendre des mesures exécutoires, je dois alors vous répondre oui. Si, par contre, vous parlez de Müller et de Himmler, à l’exclusion de Kaltenbrunner, je dois vous indiquer que, d’après la constitution du RSHA, Müller était le subordonné de Kaltenbrunner et que, par conséquent, les ordres de Himmler à Müller étaient aussi des ordres adressés à Kaltenbrunner. Müller était tenu d’en informer Kaltenbrunner.
D’autre part, il est certain que, spécialement en ce qui concerne les camps de concentration, les décisions en dernier ressort visant les incarcérations et les libérations étaient dans l’ensemble, prises par Himmler. Je puis dire avec une certitude absolue – sous ce rapport l’expression « jusqu’à la dernière femme de ménage » était souvent employée – qu’Himmler se réservait les décisions en dernier ressort.
Je ne saurais dire d’une manière catégorique, si Kaltenbrunner avait ou non quelque autorité en la matière.
Avez-vous vu personnellement des ordres originaux portant la signature de Kaltenbrunner prescrivant la liquidation de troupes de saboteurs et autres ?
Non.
Savez-vous, directement ou indirectement, qu’après la mort de Heydrich, un changement intervint, pas un changement formel certes, mais que Kaltenbrunner suivit une politique plus douce ?
Je ne puis pas répondre à cette question en me basant sur une preuve concrète.
Je laisse donc cette question de côté et je vous en pose une autre : Kaltenbrunner savait-il que vous étiez Einsatzführer à l’Est ?
Oui.
Qui vous avait donné cet ordre ?
Heydrich.
Heydrich ? C’était donc avant Kaltenbrunner ?
Oui, bien entendu.
Pour l’instant, je n’ai pas d’autres questions à poser.
Témoin Ohlendorf, pouvez-vous me dire jusqu’à quel moment l’Einsatzgruppe dont vous faisiez partie a exercé ses activités ?
L’État-Major de l’Einsatzgruppe est allé avec moi jusqu’au Caucase, puis il a fait la retraite. D’après mes souvenirs, un commando de combat (Kampfkommando) en fut formé, sous le nom de « Bierkamp », et fut utilisé pour la lutte contre les partisans. Puis, d’après mes souvenirs l’Einsatzgruppe fut entièrement dissous et Bierkamp se retira dans le Gouvernement Général, emmenant avec lui un grand nombre de ses hommes.
Quelle fut votre activité après le départ de Bierkamp ?
Je crois pouvoir dire que le groupe cessa d’exister après la retraite du Caucase. Puis, il fut chargé de missions similaires à celles de l’Armée, sous le commandement immédiat du chef de la Sicherheitspolizei en Ukraine et particulièrement sous celui des chefs supérieurs des SS et de la Police en Ukraine.
En d’autres termes, les groupes n’ont fait qu’exercer leurs activités en d’autres lieux et sous un autre commandement ; c’était là toute la différence ? Les mêmes tâches que celles qui étaient remplies par l’Einsatzgruppe ont continué à l’être sur de nouveaux territoires ?
Non, il était devenu une véritable unité de combat.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Contre qui menait-il une action militaire ?
Dans le cadre des opérations dirigées contre le mouvement partisan.
Pouvez-vous me dire, d’une façon plus précise, ce qu’a fait ce groupe en fait ?
Après la retraite ?
Après le moment où vous dites que sa mission a changé et qu’il effectua des opérations contre les partisans.
Je n’ai pas moi-même d’expérience concrète sur ce sujet. Il était probablement utilisé comme groupe de reconnaissance et de combat contre les partisans.
Mais a-t-il procédé à des exécutions ?
Je ne puis plus répondre d’une façon sûre pour cette période car l’unité pénétra alors dans des territoires où ce genre d’activités était hors de question.
Dans votre déposition, vous avez dit que l’Einsatzgruppe avait pour objectif l’extermination des Juifs et des commissaires. Est-ce vrai ?
Oui.
Et dans quelle catégorie mettiez-vous les enfants ? Pour quelles raisons étaient-ils massacrés ?
L’ordre prescrivait que la population juive devait être totalement exterminée.
Y compris les enfants ?
Oui.
Tous les enfants juifs ont-ils été massacrés ?
Oui.
Mais les enfants de ceux que vous considériez comme appartenant à la catégorie des commissaires ont-ils été également tués ?
Je n’ai pas connaissance qu’on ait recherché la famille d’un commissaire soviétique.
Avez-vous envoyé quelque part des rapports sur les exécutions effectuées par ce groupe ?
Les rapports sur les exécutions furent régulièrement envoyés au RSHA.
Non. Mais vous, personnellement avez-vous envoyé des rapports sur l’anéantissement des milliers de gens que vous avez exécutés ? Avez-vous personnellement présenté un rapport quelconque ?
Les rapports de l’Einsatzkommando qui exécutait les actions parvenaient à l’Einsatzgruppe, qui les transmettait au RSHA.
À qui ?
Les rapports étaient transmis au chef de la Sipo en personne.
En personne ?
En personne, oui.
Quel était le nom de cet officier de la Police ? Pouvez-vous donner son nom ?
Heydrich, à l’époque.
Et après Heydrich ?
Je n’étais plus là à ce moment, mais c’était un ordre permanent.
Je vous demande si, après la mort de Heydrich, vous avez ou non continué à présenter des rapports ?
Après la mort de Heydrich, je n’étais plus dans l’Einsatzgruppe mais, naturellement, on continua à faire des rapports.
Savez-vous si on a continué ou non à présenter ces rapports après la mort de Heydrich ?
Oui.
L’ordre concernant l’exécution de citoyens soviétiques était-il conforme, ou non, à la politique du Gouvernement allemand ou du parti nazi ? Comprenez-vous la question ?
Oui. Mais il faut distinguer : l’ordre de liquidation venait du Führer et l’exécution en était confiée au Reichsführer SS, Himmler.
Était-ce en accord avec la politique suivie par le parti nazi et le Gouvernement allemand, ou bien en contradiction avec elle ?
Une politique se ramène à une pratique, de telle sorte qu’à cet égard c’était une politique déterminée par le Führer. Si vous me demandiez si cela s’accordait avec l’idée du national-socialisme, je vous répondrais non.
Mais je parle de la pratique.
Si j’ai bien compris, des objets de valeur étaient retirés aux victimes juives par le Conseil juif des Anciens ?
Oui.
Le Conseil juif des Anciens décidait-il aussi qui devait être exécuté ?
Non.
Comment savait-il alors qui devait être exécuté ?
Le Conseil juif des Anciens recensait les Juifs et les enregistrait ensuite individuellement.
Et quand il les recensait, leur prenait-il leurs objets de valeur ?
C’était fait de diverses façons. Si je me souviens bien, le Conseil des Anciens recevait l’ordre de rassembler les objets de valeur en même temps.
De sorte que le Conseil juif des Anciens ne connaissait pas ceux qui devaient être tués ou non ?
Oui.
L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.