VINGT-HUITIÈME JOURNÉE.
Lundi 7 janvier 1946.
Audience de l’après-midi.
Monsieur le Président, voulez-vous faire prêter serment au témoin ?
Comment s’appelle-t-il ?
Erich von dem Bach Zelewski.
Comment vous appelez-vous ?
Erich von dem Bach Zelewski.
Voulez-vous prononcer le serment suivant : « Je jure devant Dieu tout-puissant et omniscient de dire la vérité, de ne celer ni n’ajouter rien. »
Puis-je rappeler au témoin qu’il doit parler très lentement, et qu’il doit répondre aussi brièvement que possible, m’entendez-vous ? Étiez-vous membre des SS ?
Oui.
Quel fut votre dernier grade dans les SS ?
SS Obergruppenführer et général des Waffen SS.
Avez-vous servi pendant la guerre de 1914-1918 ?
Oui, j’ai été au front de 1914 à 1918 ; je fus blessé deux fois ; je reçus la Croix de fer de 1re et de 2e classes.
Êtes-vous resté dans l’Armée après la fin de la dernière guerre ?
Oui, je suis resté dans l’Armée des 100.000 hommes.
Et pendant combien de temps êtes-vous resté dans l’Armée ?
Jusqu’en 1924, année où je fus démobilisé.
Vos activités militaires se sont-elles arrêtées à ce moment-là ?
Non, j’ai été chef de bataillon dans les gardes-frontières et, ensuite, jusqu’à la campagne de Pologne, j’ai fait mes périodes dans la Wehrmacht.
Avez-vous adhéré au parti nazi ?
Oui.
En quelle année ?
En 1930.
À quelle organisation du Parti ?
Aux Allgemeine SS.
Quelles furent vos activités dans les SS avant le déclenchement de la guerre ?
Avec les Allgemeine SS et les gardes-frontières SS, j’ai été dans les régions de Schneidemühl et de Francfort-sur-l’Oder et, après 1934, j’ai été Oberabschnittsführer en Prusse Orientale, puis en Silésie.
Étiez-vous membre du Reichstag pendant cette période ?
Oui, j’ai été député au Reichstag de 1932 jusqu’à la fin.
Avez-vous joué un rôle actif pendant cette guerre avant la campagne contre l’Union Soviétique ?
Non, jusqu’à la campagne de Russie, je n’ai pas pris part aux opérations.
Quel était votre grade au début de la guerre ?
Au début de la guerre, j’étais SS Gruppenführer et Generalleutnant.
Quand avez-vous eu de l’avancement ?
Le 9 novembre 1941 je fus nommé SS Obergruppenführer et général des Waffen SS.
Quel fut votre poste après le début de la campagne contre l’Union Soviétique ?
Voulez-vous répéter la question je vous prie, elle n’était pas très claire ?
Quelle était votre fonction au début de la guerre contre l’Union Soviétique ?
Au début de la campagne de Russie, j’étais chef supérieur des SS et de la Police du secteur central du front Est, dans la zone des arrières du groupe d’armées du Centre.
Y avait-il un fonctionnaire SS semblable à l’arrière de la zone d’opérations de chaque groupe d’armées ?
Oui, dans chaque groupe d’armées Nord, Centre et Sud, il y avait un chef supérieur des SS et de la Police.
Quel était le Commandant en chef du groupe d’armées du Centre ?
Le Commandant en chef du groupe d’armées du Centre était, au début, le Generalfeldmarschall von Bock et, plus tard, le Generalfeldmarschall Kluge.
Quel était le commandant de la Wehrmacht dans la zone arrière du groupe d’armées du Centre ?
Le général d’infanterie von Schenkendorff.
Était-il directement sous les ordres du Commandant en chef du groupe d’armées ?
Oui.
Quel était votre supérieur immédiat dans les SS ?
Heinrich Himmler.
Quel était votre supérieur immédiat dans la zone arrière du groupe d’armées ?
Le général von Schenkendorff.
Quelle était votre tâche essentielle, en tant que chef des SS et de la Police en Russie centrale ?
Mon activité principale consistait à combattre les partisans.
Étiez-vous au courant, d’une façon générale, des opérations de ce qu’on a appelé les Einsatzgruppen du SD ?
Oui.
Est-ce que ces détachements jouèrent un rôle important dans les opérations exécutées sur une grande échelle contre les Russes ?
Non.
Quelle était la tâche essentielle des Einsatzgruppen ?
La tâche principale des Einsatzgruppen de la Sicherheitspolizei était d’éliminer les Juifs, les Tziganes et les commissaires politiques.
Quelles furent alors les troupes utilisées dans les grandes opérations contre les partisans ?
Des unités de Waffen SS, de l’Ordnungspolizei et, surtout, des unités de la Wehrmacht furent engagées contre les partisans.
Veuillez nous décrire la nature de ces détachements de l’armée régulière qui étaient utilisés pour les opérations contre les partisans.
Ces unités de la Wehrmacht se composaient de divisions de sécurité engagées dans la zone arrière du front. En outre, il y avait ce qu’on appelait les unités de protection (Landesschützen Bataillonen), éléments indépendants placés sous les ordres des Commandants en chef de la Wehrmacht ; en outre, il y avait aussi des formations de la Wehrmacht, utilisées pour la défense de certaines installations telles que voies de chemins de fer, terrains d’aviation et autres objectifs militaires. Et, à partir de 1942 ou 1943, il y eut les « Unités d’alarme », qui étaient formées d’unités provenant de la zone des arrières, de formations des étapes.
Jusqu’à quelle date êtes-vous resté chef des SS et de la Police en Russie centrale ?
J’ai été chef supérieur des SS et de la Police pour la Russie centrale jusqu’à la fin de l’année 1942, compte tenu de certaines interruptions, quand j’étais au front, et d’une longue maladie qui a duré environ six mois jusqu’à la fin de 1942 où je fus alors nommé chef des unités destinées à combattre les bandes.
Est-ce que ce poste de chef des unités anti-partisanes fut créé spécialement pour vous ?
Oui.
À qui étiez-vous directement subordonné, en cette nouvelle qualité ?
À Heinrich Himmler.
Est-ce que vos fonctions, dans ce nouveau poste, étaient limitées à un secteur particulier du front de l’Est ?
Non, ma tâche s’étendait sur toute la zone Est.
Quelle était la nature générale de vos fonctions comme chef des unités anti-partisanes ?
En premier lieu, j’ai dû créer, au Quartier Général de Himmler, un bureau central auquel étaient adressés tous les renseignements sur les partisans, ces rapports étant étudiés et ensuite transmis aux services compétents.
Au cours de vos activités, avez-vous conféré avec les commandants de groupes d’armées et d’armées sur le front Est ?
Avec les chefs des groupes d’armées, mais pas avec les chefs d’armées ; avec les commandants en chef de la Wehrmacht également.
Avez-vous conseillé ces chefs et ces commandants sur les méthodes à employer pour combattre les partisans ?
Oui.
Pouvez-vous nommer certains commandants en chef avec lesquels vous avez conféré personnellement ?
Je cite de mémoire, sans vous donner une liste complète : le général de cavalerie Bremer, chef de la Wehrmacht dans les provinces baltes ; le Generalfeldmarschall Küchler, Commandant en chef du groupe d’armées Nord ; les Commandants en chef du groupe d’armées du Centre Kluge et, plus tard, Busch ; le Commandant en chef en Ukraine, le général d’aviation Kitzinger ; le Generalfeldmarschall Freiherr von Weichs, Commandant en chef en Serbie, à Belgrade ; et le général Kugler, Commandant en chef de la Wehrmacht dans le secteur de Trieste.
Dans quelles proportions les troupes de la Wehrmacht étaient-elles utilisées dans les opérations contre les partisans, comparées aux effectifs policiers et aux troupes SS ?
Étant donné que les effectifs de la Police et des SS étaient très restreints, on combattit les partisans surtout avec des unités de la Wehrmacht.
Est-ce que les troupes anti-partisanes étaient généralement commandées par des officiers de la Wehrmacht ou par des officiers SS ?
Cela variait avec le territoire. Dans les zones d’opérations, c’était presque toujours des officiers de la Wehrmacht. Cependant, il existait des ordres aux termes desquels c’était l’unité qui fournissait l’effectif le plus important pour l’opération envisagée, que ce soit la Wehrmacht, les Waffen SS ou la Police, qui devait également fournir les chefs responsables.
Est-ce que les chefs militaires suprêmes donnèrent des directives pour que les opérations contre les partisans fussent menées avec sévérité ?
Oui.
Est-ce que les autorités militaires suprêmes donnèrent des instructions détaillées sur les méthodes à utiliser dans les opérations contre les partisans ?
Non.
Quels furent les résultats, dans les territoires occupés, de ce manque de directives précises des échelons supérieurs ?
Ce manque d’ordres précis engendra un état d’anarchie complète dans toutes les opérations contre les partisans.
D’après vous, est-ce que les mesures prises dans les opérations contre les partisans étaient beaucoup plus sévères que les circonstances paraissaient l’exiger, ou non ?
Étant donné qu’il n’y avait pas d’ordres précis et que les commandants d’échelons inférieurs étaient forcés d’agir d’une façon autonome, la conduite des opérations variait suivant le caractère du chef et selon la qualité de ses troupes. Je crois que les actions, non seulement allaient parfois à l’encontre du but visé, mais souvent dépassaient le but assigné.
Est-ce que ces mesures ont eu pour résultat le massacre inutile d’un grand nombre d’indigènes appartenant à la population civile ?
Oui.
Avez-vous envoyé des rapports au sujet de ces mesures excessives aux commandants des groupes d’armées et autres officiers de la Wehrmacht avec lesquels vous étiez en liaison ?
Cet état de choses était généralement connu ; il n’y avait pas besoin de faire des rapports à ce sujet, chaque opération faisait immédiatement l’objet d’un compte rendu qui était connu de tous les chefs responsables.
Y eut-il des mesures efficaces prises par les autorités militaires suprêmes ou par les commandants des groupes d’armées pour arrêter ces excès ?
Je me rappelle particulièrement que le général von Schenkendorff fit, en la matière, d’innombrables rapports et les discuta avec moi ; nous les avons ensuite transmis par la voie hiérarchique aux autorités intéressées.
Ces rapports du général von Schenkendorff eurent-ils quelque effet ?
Non.
Pourquoi ?
Le quartier-maître général Wagner a sans doute essayé d’amener un changement en demandant qu’on impose aux troupes une surveillance plus stricte, mais il n’y parvint pas.
Est-ce qu’un ordre fut promulgué par les autorités suprêmes, indiquant que les soldats allemands qui avaient perpétré des délits contre la population civile ne devaient pas être punis par les tribunaux militaires ?
Oui, d’après moi, cet ordre empêcha la conduite régulière des opérations, car on ne peut instruire la troupe que si l’on dispose de pouvoirs disciplinaires suffisants et de la juridiction indispensable pour freiner les excès.
Quelles décorations avez-vous eues pendant la guerre ?
J’ai reçu, au cours de cette guerre, la Croix de Fer de 1re et de 2e classes, avec palmes, la Croix d’or allemande et la Croix de Chevalier de la Croix de Fer.
Monsieur le Président, j’en ai terminé avec ce témoin.
Est-ce que le Ministère Public soviétique désire interroger le témoin ?
Avec votre autorisation, je désirerai poser quelques questions. (Au témoin.) Quelles sont les forces de Police et de SS que vous aviez à votre disposition en 1941 et en 1942, quand vous étiez le chef principal de la Police et des SS, à l’arrière du groupe d’armées du Centre ?
J’avais sous mes ordres, en 1941, un régiment de police de l’Ordnungspolizei et, occasionnellement, par période de deux ou trois mois, une brigade de cavalerie de SS.
Aviez-vous sous vos ordres l’Einsatzgruppe B, qui était commandé par Nebe ?
Non.
Avez-vous reçu des rapports de Nebe ou non ?
Pas directement, mais je me suis arrangé pour les recevoir.
Que savez-vous à propos des activités de l’Einsatzgruppe B ?
L’Einsatzgruppe B se trouvait à Smolensk et opérait exactement de la même façon que les autres Einsatzgruppen ; on entendait dire partout, dans les conversations, que les Juifs étaient rassemblés et mis dans des ghettos.
Avez-vous fait des rapports aux commandants des groupes d’opérations sur les activités de l’Einsatzgruppe B ?
J’ai demandé des renseignements sur les activités de ce groupe directement à Schenkendorff, au Quartier Général du groupe d’armées du Centre.
Que savez-vous à propos de l’ordre du commandant de la 6e armée, le général Reichenau, au sujet du mouvement des partisans ?
Veuillez avoir la bonté de répéter le nom. S’agit-il du général von Reichenau ?
Oui.
Oui, je suis au courant de cela. Je pense que c’était en 1941, mais ce fut peut-être en 1942 ; un ordre du général von Reichenau fut envoyé à tous les commandants en chef de la Wehrmacht, envisageant les mesures à prendre contre les Juifs et les partisans.
En 1943, ou plus tard, avez-vous eu sous votre commandement des unités ou des sections spécialement choisies pour combattre le mouvement partisan ?
En 1943, comme chef des unités combattant les partisans, je n’avais pas l’autorité pour donner des ordres directs, car j’étais à la tête du service central, mais j’ai conduit quand même quelques opérations, chaque fois que les compétences de deux commandants en chef se chevauchaient à la limite de leur zone.
Savez-vous quelque chose sur une brigade qui aurait été composée de braconniers, de contrebandiers et de détenus libérés ?
Lorsque toutes les troupes vraiment instruites pour la lutte contre les partisans furent retirées, à la fin de 1941 ou au début de 1942, on forma, pour cette lutte, un bataillon sous les ordres de Dirlewanger, dans le groupe d’armées du Centre ; ce bataillon s’accrut graduellement de quelques réserves, jusqu’au point de devenir un régiment et, plus tard, une brigade. Cette brigade Dirlewanger se composait, pour la plus grande partie, d’anciens repris de justice, appelés officiellement braconniers, bien qu’elle comprît aussi de réels criminels qui avaient commis des vols, des meurtres, etc.
Comment expliquez-vous que le commandement de l’armée allemande ait aussi volontiers augmenté ses forces en y ajoutant des criminels, et les ait ensuite employés contre les partisans ?
Je pense qu’il y eut un rapport étroit entre le discours de Heinrich Himmler, au commencement de 1941, avant la campagne contre la Russie, quand il déclara à Weselsburg, que le but de cette campagne était de diminuer la population slave de 30.000.000 d’individus, et la tentative d’accomplir ce dessein en se servant de troupes de qualité si inférieure.
Est-ce exact, alors, de dire que les hommes choisis par les commandants en chef pour combattre les partisans, avaient fait l’objet d’une sélection approfondie ? Avaient-ils reçu des instructions précises sur le traitement de la population et le combat contre les partisans ? Je fais allusion maintenant à l’extermination de la population, officiellement proposée et approuvée.
Oui, je crois que ce dessein fut un facteur décisif dans le choix de certains chefs et de certaines formations.
Par quels moyens et selon quelles mesures, des unités de la Wehrmacht ont-elles été amenées au combat contre les partisans ? Étaient-elles soumises à un mode de recrutement spécial ou étaient-elles employées selon un plan particulier ?
Je crois qu’au fond il n’y avait pas de plan absolument défini ou établi. Ce qu’on appelait des opérations de grande envergure était préparé, projeté et exécuté par le Quartier Général. La lutte contre les partisans était, la plupart du temps, de nature spontanée, puisque chaque chef subalterne devait tenir les partisans à l’écart de sa propre zone, ce qui l’obligeait à agir selon sa propre initiative.
Vous nous avez indiqué que, dans beaucoup de cas, c’étaient des généraux et des officiers de la Wehrmacht qui conduisaient personnellement les opérations contre les partisans. Pouvez-vous nous indiquer quelques faits concrets et les noms de quelques généraux et officiers ?
Je ne comprends pas tout à fait le sens de la question ; le nom des commandants ?…
Vous nous avez dit que certaines opérations de la campagne contre les partisans étaient dirigées par des officiers et des généraux de la Wehrmacht. Je voudrais donc que vous nous donniez quelques-uns des noms de ces officiers et généraux.
Oui, j’en ai déjà mentionné quelques-uns. En outre, je me rappelle le Generalmajor Hartmann, en Russie Centrale. Une certaine opération de grande envergure contre les partisans a été conduite par lui personnellement ou tout au moins dirigée par lui de son Quartier Général. Je me souviens aussi du Generaloberst Reinhardt, dont la zone arrière renfermait des groupes importants de partisans. J’ajouterai qu’il n’y avait pas un seul général dans la zone des arrières qui n’eût pas participé à la lutte contre les partisans. Je ne peux naturellement pas me souvenir de tous les noms, mais si je les entendais citer, je pourrais vous dire s’ils ont pris part à cette lutte ou non.
Pourriez-vous nous dire quelle opération a été entreprise par le général Ackmann ?
Non, je ne me souviens pas de cela.
N’y eut-il pas d’ordres généraux relatifs aux prisonniers de guerre, au mouvement partisan ou à la population civile ?
Malheureusement, il n’y eut pas la moindre instruction disant clairement comment il fallait traiter les partisans ou la population. C’est justement ce dont je me plaignais, à savoir qu’aucune directive n’avait été donnée sur le traitement des partisans, ni même pour nous indiquer qui devait être considéré comme tel. Chaque fois qu’il se passait quelque chose et qu’on attaquait la Wehrmacht, nous n’avions jamais d’ordres précis disant quelles mesures de représailles nous devions prendre.
Dois-je comprendre qu’en l’absence d’ordres directs les chefs avaient carte blanche, le droit de traiter n’importe qui de partisan et d’agir en conséquence ?
Les chefs pouvaient certainement et étaient même obligés d’agir indépendamment. Il n’était pas possible de faire faire un contrôle précis dans chacun des cas, mais l’activité de toutes les troupes employées était toujours bien connue du Haut Commandement, car les rapports individuels des troupes renfermaient tous les détails sur les représailles entreprises contre les partisans, c’est-à-dire que ces rapports devaient soigneusement énumérer le nombre de partisans tombés au combat, le nombre de fusillés et de suspects fusillés, le nombre d’armes capturées, aussi bien que les pertes de nos propres troupes. Ainsi, chaque chef pouvait se rendre compte clairement des résultats pratiques de chaque opération.
Cela veut dire que chaque commandant décidait lui-même s’il y avait lieu de soupçonner un homme et de l’exécuter ?
Oui.
Connaissez-vous un ordre quelconque préconisant de prendre des otages et de brûler des villages, en représailles de l’aide fournie par la population aux partisans ?
Non, je ne crois pas qu’il y eut jamais d’ordres écrits à cet effet et c’est précisément ce manque d’ordres que je déplorais. On aurait dû fixer le nombre exact d’exécutions permises en représailles du meurtre d’un soldat allemand, ou de dix soldats allemands.
Dois-je comprendre que, s’il y eut des villages brûlés en représailles de l’aide donnée aux partisans, ces ordres étaient dus à la propre initiative des commandants ?
Oui, ces décisions étaient prises par les commandants de leur propre initiative. D’ailleurs, leurs supérieurs ne pouvaient rien là contre, car des ordres provenant des autorités suprêmes déclaraient nettement que si quelque excès que ce soit était commis envers la population civile, il n’y avait aucune mesure disciplinaire ou judiciaire à prendre.
Peut-on admettre qu’il en était de même pour les prises d’otages ?
Je crois que la question des otages n’a pas été soulevée du tout dans la lutte contre les partisans. Le système des otages était plus courant à l’Ouest ; en tout cas, le terme otage n’était pas utilisé dans la lutte contre les partisans.
Savez-vous quelque chose au sujet de l’enlèvement par la force et de la déportation en Allemagne de mineurs de 14 à 18 ans ?
Je ne me souviens pas exactement des âges, mais quand je fus préposé à la tête des opérations contre les partisans, j’ai accueilli avec satisfaction l’ordre qui fut diffusé, à la suite de mes protestations, interdisant aux troupes des représailles massives et décrétant qu’à l’avenir les partisans prisonniers et les suspects ne devaient plus être fusillés, mais seraient emmenés dans le Reich par l’organisation Sauckel, afin d’y être mis au travail.
Si j’ai bien compris votre réponse à l’une des questions qui vous ont été posées par mon collègue américain, vous avez dit que la lutte contre les mouvements de partisans était un prétexte pour exterminer les populations juive et slave ?
Oui.
Est-ce que le commandement de la Wehrmacht connaissait les méthodes de combat employées pour lutter contre les mouvements de partisans et pour anéantir la population juive ?
Les méthodes étaient généralement connues, et bien entendu des chefs militaires. Je ne sais naturellement pas s’ils étaient au courant du plan mentionné par Himmler.
Avez-vous personnellement participé à des réunions avec des généraux de la Wehrmacht, où l’on aurait nettement et clairement discuté des méthodes à utiliser contre les partisans ?
Les méthodes en elles-mêmes furent discutées en détail, mais on n’a jamais établi, au cours de ces discussions, le nombre de personnes à fusiller. C’est une conclusion erronée.
Vous avez dit que les Allemands avaient l’intention d’anéantir la population slave dans le but de réduire le nombre des Slaves à 30.000.000 ? D’où avez-vous pris ce chiffre et cet ordre ?
Je ne dis pas de réduire la population à 30.000.000, mais de 30.000.000. Himmler le mentionna dans son discours de Weselsburg.
Soutenez-vous qu’en fait toutes les mesures mises à exécution par les chefs allemands et par la Wehrmacht dans les territoires russes occupés tendaient à réduire de 30.000.000 le nombre des Slaves et des Juifs ?
Le sens de votre question n’est pas très clair. La Wehrmacht savait-elle que la population slave devait être réduite de 30.000.000 ? Voulez-vous, je vous prie, répéter la question ? Elle n’était pas claire.
J’ai demandé : pouvez-vous exactement et sincèrement confirmer que les mesures qui furent prises par le commandement de la Wehrmacht, dans les territoires occupés et administrés par l’Allemagne, avaient pour objet de réduire le nombre de Slaves et de Juifs de 30.000.000 ? Comprenez-vous ma phrase maintenant ?
Je suis d’avis que ces méthodes auraient certainement conduit à l’extermination de 30.000.000 d’individus, si elles avaient été poursuivies et si la situation ne s’était pas complètement modifiée du fait du déroulement ultérieur des événements.
Je n’ai plus de questions à poser au témoin.
La Défense désire-t-elle poser des questions au témoin ?
Témoin, vous avez dit que vous aviez été le chef de la lutte contre les partisans ?
Chef des Unités de combat contre les partisans.
Si de telles conditions de désordre existaient réellement, pourquoi n’avez-vous pas changé de système ?
Parce qu’on ne m’a jamais donné l’autorité nécessaire pour le faire.
Comment cela ?
Parce qu’on ne m’a jamais donné l’autorité nécessaire. Je ne pouvais pas commander, je n’avais pas de pouvoirs disciplinaires et je n’avais pas d’autorité en matière judiciaire.
Avez-vous alors rendu compte à vos chefs de ces circonstances ?
Chaque jour ; j’avais en permanence un personnel près de Himmler.
Avez-vous fait des propositions en vue d’un changement ?
Constamment.
Pourquoi ces changements n’ont-ils jamais été réalisés ?
Je pense m’être déjà exprimé très clairement sur ce point : je crois parce qu’on ne voulait pas de ces changements.
Comme vous nous l’avez dit, vous mettiez aussi vos chefs au courant du nombre de morts, de blessés ou de prisonniers ennemis, après chaque opération. Dites-moi quel était à peu près le chiffre des prisonniers par rapport à celui des morts chez l’adversaire ?
Cela différait selon les cas. Je ne peux pas généraliser, mais c’est un fait que le chiffre des prisonniers était de beaucoup supérieur à celui des morts.
Les prisonniers étaient plus nombreux que les tués ?
Oui, mais seulement au cours des années qui suivirent l’ordre permettant de faire des prisonniers.
Vous dites qu’au début le système était plus sévère et ensuite qu’il s’atténua ?
Oui, le système fut un peu adouci dans ce sens que nous reçûmes alors des ordres précis indiquant où les prisonniers devaient être livrés et à qui ils devaient être livrés. Au début, nous n’avions aucun ordre à ce sujet.
Pouvez-vous me citer des ordres que vous avez reçus des autorités militaires ayant trait à la destruction de millions de Slaves ?
J’ai déjà répondu à cette question en disant qu’il n’existait aucun ordre écrit à cet effet.
Savez-vous si les rapports, que vous faisiez à Himmler au sujet des opérations que vous exécutiez, ont été soumis au Führer par Himmler directement ?
Puis-je répondre à cette question d’une façon plus détaillée ? Tout d’abord, j’avais en permanence un personnel près de Himmler ; mon chef d’État-Major y était toujours pendant que j’étais au front. Il y avait constamment des échanges de rapports entre les services de la Wehrmacht OKW et OKH et mon État-Major. Il n’arrivait pas toujours que les rapports sur l’activité des partisans me fussent directement envoyés, car il y avait des zones d’opérations dans lesquelles la voie hiérarchique passait par l’OKH ; ce qui signifie que la Wehrmacht me soumettait autant de rapports que je lui en fournissais. Ceux-ci étaient en fait recueillis par mon État-Major et remis quotidiennement à Himmler, qui les transmettait plus loin.
À qui les transmettait-il ?
Les chefs de la Wehrmacht m’ont confirmé ici, depuis ma captivité, que ces rapports étaient présentés au cours des conférences d’État-Major sur la situation.
Y avait-il des Juifs dans les groupes de partisans ?
Il est indéniable que les Juifs faisaient partie de certains groupes de partisans, et leur nombre était en rapport avec l’importance de la population juive.
Seulement dans certains groupes ? N’était-ce pas plutôt une exception ?
Certainement, c’était une exception.
C’est pourquoi je ne comprends pas très bien comment les mesures prises contre les partisans devaient avoir pour but l’extermination des Juifs.
Je n’ai pas dit cela. Nous parlions tout à l’heure des Einsatzgruppen de la Sicherheitspolizei.
Ah ! je vois, c’est autre chose. Voulez-vous me dire ce que vous savez sur le régiment Dirlewanger ?
C’est la brigade Dirlewanger, que j’ai décrite en détail tout à l’heure à M. le représentant des Ministères Publics.
Oui. A-t-elle jamais été sous vos ordres ?
Oui, en 1941.
Était-ce une formation de l’Armée ou des SS ?
Non, ce n’était pas une formation des Waffen SS ; mais elle était ravitaillée par les Allgemeine SS, en l’espèce par l’Amt Berger.
Pouvez-vous me dire qui assistait au discours de Himmler à Weselsburg ?
Environ douze SS Gruppenführer étaient présents. Je peux vous les nommer, si vous le désirez.
Vous voulez dire des groupes de…
Des Gruppenführer SS.
Étaient-ce des officiers de la Wehrmacht ?
Non.
Je vous remercie.
Le 18 août 1935, étiez-vous présent à Königsberg, quand Schacht, ancien président de la Reichsbank, fit un discours à la Foire d’Orient ?
Oui.
Quelle était votre situation à ce moment-là ?
J’étais Oberabschnittsführer.
C’est en cette qualité que vous étiez présent à ce discours ?
Oui, comme Oberabschnittsführer des SS.
Et vous avez quitté brusquement la salle, au milieu du discours, en signe de protestation ?
Oui, au milieu du discours, j’ai quitté la salle.
C’était une protestation ?
Oui.
Vous n’approuviez donc pas le discours ?
Ce n’était pas à cause du discours, mais pour protester.
Pour protester contre la teneur du discours ?
Non.
Alors pourquoi avez-vous protesté ?
On sait très bien qu’en Prusse orientale j’ai mené contre le Gauleiter Koch une lutte acharnée qui a conduit à sa mise en disponibilité. J’étais si violemment opposé à Koch que je ne comprenais pas pourquoi le Reichsminister Schacht, qui, Dieu sait, ne partageait pas les idées de Koch, se donnait tant de mal dans ce discours pour faire des compliments à un homme que je savais être corrompu.
Était-ce alors une protestation contre l’attitude de Schacht ou contre celle de Koch ?
Je crois que Schacht savait que c’était une protestation contre Koch. De toute façon, je le lui ai expliqué par la suite, et nous nous sommes finalement mis d’accord par personnes interposées.
Je comprends. Merci.
Témoin, vous avez dit qu’une modification était intervenue au sujet du traitement des partisans. Vous avez dit qu’on avait donné des ordres pour qu’ils soient mis à la disposition du Service du Travail. De qui venaient ces ordres ?
Je ne puis pas vous l’indiquer exactement. Je sais seulement que Sauckel lui-même a fait une tournée dans la zone de l’Est ainsi que de longs discours, disant qu’il valait mieux que les partisans faits prisonniers fussent mis à la disposition du Service du Travail par les soins de son organisation.
J’ai demandé d’où venait cet ordre ? Venait-il de Himmler ou, ainsi que vous l’avez dit, de l’organisation de Sauckel ?
Non, l’organisation de Sauckel ne pouvait évidemment jamais émettre d’ordres se rapportant à la lutte contre les partisans. Je suppose que c’est l’organisation Sauckel qui a suggéré les ordres, mais ils vinrent certainement de Himmler ou de l’OKW.
Que savez-vous de l’organisation Sauckel ? Où existait-elle ?
Je ne sais que ce que tout le monde savait, qu’elle existait dans le but de fournir de la main-d’œuvre à l’Allemagne, pour l’industrie de l’armement.
Vous parliez d’une organisation mais vous ne saviez rien sur celle-ci, n’est-ce pas ?
Non, je ne voulais pas le dire dans le sens où vous le prenez : une grande organisation indépendante. Mais il est évident qu’un homme qui était responsable de toute la main-d’œuvre devait avoir à sa disposition une certaine organisation. Je vous prie de m’excuser, j’ai fait erreur.
Alors, vous ne savez pas que Sauckel n’avait aucun pouvoir exécutif et ne disposait en rien d’un instrument administratif personnel ?
Non, je ne le savais pas.
Je demande l’attention des avocats. Je dois rappeler : à moins que les avocats et les témoins parlent lentement et fassent les pauses voulues entre les questions et les réponses, qu’il est impossible que les interprètes réussissent à traduire correctement. Le seul résultat est que les questions et les réponses ne sont pas comprises par le Tribunal ; les avocats ne profitent pas non plus du contenu véritable des réponses qui sont faites à leurs questions, et tout ce que vous croyez gagner par la rapidité dans le contre-interrogatoire, vous le perdez par l’insuffisance de la traduction. Je le répète : je vous demande de vous arrêter à la fin de vos phrases et à la fin de vos questions, afin de donner aux interprètes un temps suffisant pour achever la traduction.
Témoin, vous avez dit qu’à partir de 1942 vous étiez chef des unités chargées de la répression des partisans ; vous avez donc, en cette qualité, été chargé de combattre les bandes à l’Est.
Oui, c’est exact, à l’Est.
Vous nous avez dit qu’il n’avait pas été indiqué clairement ce qu’il fallait comprendre par le terme partisans, que cette acception de « partisans » fut toujours très vague. Est-ce bien cela ?
Dans son esprit oui. À mon avis, il y a une différence à faire entre les partisans et ceux soupçonnés de l’être. La troupe ne comprenait pas toujours cette différence. Un partisan était un adversaire soigneusement choisi et entraîné et qui était très bien armé. J’ai toujours attaché beaucoup d’importance à cette définition qui est claire et particulièrement concrète. On ne doit pas dire sans distinction que tous les gens qui, postés dans un bois, dans une maison ou dans un village ouvrent le feu, sont des partisans. Voici pourquoi les partisans avaient l’habitude de disparaître rapidement après une opération réussie, car ils comptaient sur l’élément de surprise, inhérent à leur méthode de combat.
Si les troupes employées à combattre les partisans n’étaient pas spécialement entraînées et ne possédaient pas la notion exacte de partisans, elles concluaient aisément, du seul fait qu’on avait ouvert le feu sur elles d’un village, que tous les habitants étaient des partisans. À mon avis, seul pouvait être considéré comme tel, le prisonnier trouvé l’arme à la main. Celui qui n’a pas d’arme ne peut pas être pris pour un partisan.
Qu’avez-vous fait pratiquement pour éclaircir la définition du partisan ?
Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, depuis 1941, avant même que je ne sois chef de la répression des partisans, non seulement moi mais également le général von Schenkendorff, avons remis continuellement nombre de notes proposant des méthodes pour combattre ces bandes. Dans le secteur du Centre en Russie par exemple, nous avons organisé des écoles pour la lutte contre les partisans où les troupes devaient être entraînées selon ces méthodes. Schenkendorff et moi avons, en commun, élaboré une série d’instructions pour le combat contre les partisans, mais elles n’ont jamais été publiées. Mon état-major, aussitôt après ma désignation comme chef des troupes combattant contre les partisans, c’est-à-dire au début de 1943, a immédiatement repris son travail et a mis au point une nouvelle série d’instructions pour mener cette lutte ; mais cela a duré des mois avant que cette instruction soit enfin publiée, c’est-à-dire dans l’année 1944, quand il était déjà trop tard.
Qui a publié ces instructions ?
Ces instructions ont été régulièrement publiées par la Wehrmacht, comme instructions régulières de la Wehrmacht.
Elles furent publiées par la Wehrmacht ?
Elles sortirent en 1944.
Que contenaient-elles ?
Elles s’appelaient : Instructions pour le combat contre les partisans.
Que contenaient ces instructions ?
Elles comprenaient tout ce qui avait trait à la lutte contre les partisans, la reconnaissance et les différences de détails tactiques pour les opérations sur petite, moyenne et grande échelle.
Puisque ces instructions ne parurent pas avant 1944 et que vous aviez la direction de la lutte contre les partisans pour tous les territoires de l’Est, n’était-il pas de votre devoir de montrer à vos troupes la façon dont elles devaient se comporter ?
D’abord, comme je l’ai déjà dit, je n’avais pas autorité pour donner des ordres. Je ne pouvais donc faire que des propositions ; ensuite, il n’a jamais été organisé réellement de formations anti-partisanes proprement dites ; cette désignation ne représentait rien. N’importe quelle formation, quelle que soit son importance, pouvait se voir assigner la lutte contre les partisans, au moment nécessaire. C’est une erreur de dire que j’avais à ma disposition des troupes spécifiquement destinées à combattre les partisans. De plus – et je voudrais insister sur ce fait – le document qui me nommait chef des formations anti-partisanes spécifiait que les opérations seraient commandées soit par l’officier SS ou de Police du grade le plus élevé, soit par le Commandant en chef compétent appartenant à la Wehrmacht. Aux termes de cette directive, je n’avais que la qualité d’inspecteur, malgré mes demandes réitérées d’être habilité à donner des ordres.
Je ne comprends pas très bien.
Parlez lentement et marquez un arrêt entre vos phrases.
Comme général des Waffen SS, vous deviez pourtant pouvoir donner des ordres ?
Je n’avais ce pouvoir que lorsque je conduisais une opération moi-même.
Mais vous aviez été nommé à ce poste pour combattre les partisans. Vous aviez donc des formations pour atteindre ce but ?
Non, je n’avais pas de formations.
Avec quoi combattiez-vous donc les bandes de partisans ?
Dans chacun des cas, j’allais voir le Commandant en chef intéressé, je discutais avec lui le problème en jeu, et je demandais que l’on mît les troupes nécessaires à ma disposition, quand, comme c’était le cas souvent, l’OKW ou l’OKH ne me les fournissait pas directement.
Vous demandiez des troupes quand vous n’en aviez pas à votre disposition. Mais alors, ces troupes qui vous étaient attribuées étaient bien sous vos ordres ?
Non, mais seulement lorsque je dirigeais l’opération ; sinon c’était soit le général de la Wehrmacht intéressé ou sur le territoire de l’administration civile, le chef de la Police ou des SS le plus élevé en grade, qui commandait. Dans l’ordre qui me nommait chef des unités anti-partisanes, il était dit expressément que je ne pouvais demander le commandement d’une opération que lorsque les autorités des chefs de la Police ou des SS les plus hauts placés ou bien de deux commandants en chef de la Wehrmacht empiétaient l’une sur l’autre, si bien qu’il ne pouvait être question que d’un commandement supérieur pour aplanir les conflits d’autorités.
Avez-vous jamais conduit une opération vous-même ?
Oui, j’ai conduit moi-même une opération en 1943.
De quelle manière ?
Cette opération eut lieu à l’automne de 1943, dans le secteur de Idrizz Polotsk. Je suis d’abord allé en avion voir le général Krebs, chef du groupe d’armées du Centre, et pour discuter de l’entreprise avec lui. Ensuite, je suis allé voir le groupe d’armées du Nord pour m’entretenir de la même chose avec le generalfeldmarschall Küchler. Le generalfeldmarschall Küchler avait concentré toutes les troupes des SS, de la Police ou de la Wehrmacht des zones arrière, en un soi-disant corps placé sous le commandement de Jäckel. Le groupe d’armées du Centre prit une mesure analogue et un corps fut également formé sous le commandement de l’officier de la Police et des SS le plus haut en grade dans ce groupe d’armées. Ils étaient tous deux sous mes ordres et le colonel von Mellenthin de l’OKH me fut assigné comme officier de liaison. J’ai ensuite dirigé moi-même l’opération. Entre temps, le front avait été percé à la faveur d’un temps brumeux et j’ai pris moi-même la décision de combattre l’Armée rouge là où elle avait percé. Et c’est ainsi que mes unités parvinrent en première ligne.
Vous disiez tout à l’heure que vous aviez eu la Croix de Chevalier. Est-ce pour cette opération seule que vous avez reçu cette décoration ?
Non, comme je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, j’ai servi dès 1941, sur le front. À maintes reprises, j’ai fait partie d’unités combattantes. Devant Moscou en 1941, en 1942, à Velikieluki, puis à Koebel, puis à Varsovie lors de l’insurrection et à partir de 1944, j’ai commandé un corps SS.
Ne saviez-vous pas que vous étiez particulièrement loué et apprécié par Hitler et Himmler en raison principalement de votre lutte impitoyable et efficace contre les partisans ?
Non, je n’ai jamais eu de décorations pour avoir combattu les partisans, mais je les ai toutes reçues en commençant par la Croix de Fer de 2e classe avec palmes, dans la Wehrmacht pour mes services au front. Je puis volontiers vous citer des noms.
La brigade Dirlewanger était une brigade SS, n’est-ce pas ?
La brigade Dirlewanger n’appartenait pas aux Waffen SS. C’était une organisation qui pouvait tout au plus être considérée comme faisant partie des Allgemeine SS, car en matière d’approvisionnement et pour tout ce qui s’y rattache elle ne dépendait pas des Waffen SS, mais de l’Amt Berger.
Le commandant de la brigade Dirlewanger appartenait-il aux SS ?
Oui.
N’avez-vous pas proposé vous-même de grouper des criminels et de les mettre en ligne centre les partisans ?
Non.
Témoin, savez-vous que le Gouvernement civil de la Ruthénie blanche a souvent protesté contre la façon de combattre les partisans ?
Oui.
L’administration civile était placée sous les ordres du commissaire du Reich, et le commissaire du Reich était placé sous les ordres de Rosenberg, ministre des territoires de l’Est occupés. Est-ce exact ?
Oui .
Témoin, si je vous ai bien compris, vous vous êtes opposé à la façon de combattre les partisans qui touchaient dans les opérations de nombreux innocents, et vous avez désapprouvé l’existence de la brigade Dirlewanger, ainsi que le discours du Reichsführer SS Himmler ?
Oui.
Comment pouviez-vous alors, en toute conscience, demeurer chef ou inspecteur des unités anti-partisanes et chef des Einsatzgruppen ?
Je n’ai jamais été chef des Einsatzgruppen.
La question ne nous était pas encore parvenue par la voix de l’interprète que vous aviez déjà commencé à répondre. Vous devez faire de plus longues pauses entre les questions et les réponses.
Comment pouviez-vous en toute conscience demeurer inspecteur des forces combattant les partisans à l’Est ?
Non seulement ma conscience me le permettait, mais j’ai même revendiqué ce poste car je voyais, en 1941 et 1942, avec le général Schenkendorff, que les choses ne pouvaient pas continuer ainsi ; et le général Schenkendorff, mon supérieur direct, m’a proposé pour ce poste.
Vous saviez, cependant, que vous n’obtiendriez rien avec vos propositions ?
Non, je ne pouvais pas le savoir. Ce dont je me rends compte et ce que je reconnais aujourd’hui, il m’était impossible de le savoir à ce moment-là.
De toute façon, vous n’avez rien obtenu ?
Je ne le crois pas ; je suis plutôt d’avis que, s’il y en avait eu un autre à ma place, de plus grands malheurs se seraient produits.
Croyez-vous que le discours de Himmler, dans lequel il exigeait que 30.000.000 de Slaves fussent exterminés, n’exprimait que son opinion personnelle ou estimez-vous qu’il était en accord avec la conception idéologique nationale-socialiste ?
Je suis aujourd’hui d’avis que c’était la suite logique de notre idéologie.
Aujourd’hui ?
Aujourd’hui.
Mais autrefois quelle était votre opinion ?
Il est dur pour un Allemand de lutter jusqu’à cette conviction. Il m’a fallu beaucoup de temps pour y parvenir.
Alors comment se fait-il que le témoin Ohlendorf qui a comparu ici même il y a quelques jours ait reconnu que, grâce à une Einsatzgruppe il aurait massacré 90.000 hommes, et qu’il ait informé le Tribunal que cela ne correspondait pas à l’idéologie nationale-socialiste ?
Personnellement, je suis d’un autre avis. Si, pendant des années, on prêche la doctrine que la race slave est une race inférieure et que les Juifs ne sont même pas des êtres humains, une telle explosion est inévitable.
Malgré cela, le fait demeure que vous aviez une conscience, quelle qu’ait pu être alors votre conception de la vie ?
Aujourd’hui encore et c’est pourquoi je suis ici.
Professeur Dr Exner, avez-vous l’intention d’interroger le témoin au nom d’un autre accusé ?
Je voudrais poser deux ou trois questions, que mon client m’a soumises pendant la suspension d’audience, et qu’il considère comme importantes.
Vous avez déjà interrogé le témoin, n’est-ce pas ?
Oui, mais j’ai maintenant trois nouvelles questions à poser. Nous n’avons pas pu nous préparer à ce contre-interrogatoire.
Très bien, continuez.
Témoin, vous avez dit qu’en 1944 circulait une instruction sur la lutte contre les partisans. Pendant la suspension d’audience, je viens de trouver dans les documents qui ont été soumis par le Ministère Public sous le nº PS-1786 une instruction pour le combat contre les bandes de partisans en date du 27 novembre 1942. La connaissez-vous ?
Non.
Elle doit pourtant exister, puisqu’elle est mentionnée dans ces documents.
Je ne la connais pas.
Connaissez-vous une instruction russe à l’usage des partisans ?
Oui, elle existait.
Pouvez-vous nous renseigner à ce sujet ? Quelles méthodes de combat y prescrivait-on ?
Je ne me la rappelle plus.
Savez-vous où l’on peut se procurer cette instruction ?
Non.
Je vous remercie.
Un instant. Savez-vous combien de militaires de la Wehrmacht ont été utilisés, à un moment quelconque, dans cette activité anti-partisane ? Quel fut le nombre maximum des effectifs employés ?
De grandes opérations exigeaient un effectif d’une division ou plus ; je crois que le plus grand nombre de troupes engagées pour une seule opération se chiffrait peut-être à trois divisions.
Je fais allusion à toutes les forces utilisées sur le front de l’Est, à un moment donné, dans cette activité anti-partisane.
Je ne peux pas répondre, parce que ces troupes n’ont jamais toutes été sous mes ordres au même moment ; des opérations diverses avaient lieu simultanément, sur une large, moyenne et petite échelle. Chaque jour, je recevais des rapports sur ces opérations.
Savez-vous combien d’Einsatzgruppen furent exactement utilisés ?
J’en connais trois : un pour chaque groupe d’armées.
(Au colonel Taylor.) Vous ne désirez pas poser d’autres questions au témoin ?
Non, Monsieur le Président.
Alors le témoin peut se retirer.
Plaise au Tribunal. J’en ai terminé avec les preuves relatives aux chefs 3 et 4 de l’Acte d’accusation. Je n’ai que quelques mots à ajouter, en conclusion générale. Je demande au Tribunal de se souvenir que le Haut Commandement allemand n’est pas une chose éphémère, la création d’une dizaine d’années de troubles, ou une école de pensée et une tradition maintenant anéanties et complètement discréditées. Le Haut Commandement et la tradition militaire allemande ont naguère remporté la victoire et survécu à la défaite. Ils ont connu le triomphe et le désastre, ils y ont survécu avec une singulière persistance. Un homme d’État américain et diplomate éminent, M. Sumner Welles, a écrit et je cite de son livre, L’heure de la décision, page 261, que : « L’autorité à laquelle le peuple allemand a si souvent et si désastreusement répondu, n’était pas en réalité l’Empereur d’hier ou le Hitler d’aujourd’hui, mais l’État-Major général allemand. Que son souverain apparent soit le Kaiser, Hindenburg ou Adolf Hitler, la loyauté continue de la masse de la population est acquise à cette force militaire contrôlée et guidée par l’État-Major général allemand. »
Voilà qui je pense souligne l’importance historique de la décision que ce Tribunal est appelée à prendre. Mais, en ce moment, nous ne traduisons pas l’État-Major général allemand devant le Tribunal de l’Histoire, nous l’accusons spécifiquement de crimes contre le Droit international, contre les exigences de la conscience de l’Humanité, telles qu’elles sont exprimées dans le Statut qui dirige ce Tribunal.
Le tableau que nous avons vu est celui d’un groupe d’hommes dotés d’une grande puissance pour le bien ou pour le mal, et qui ont choisi le mal ; qui, délibérément, ont entrepris d’armer l’Allemagne jusqu’à ce que la volonté allemande pût être imposée au reste du monde, et qui, avec joie, se sont unis aux forces les plus mauvaises qui aient agi en Allemagne. « Hitler a produit les résultats que nous désirions tous vivement » nous disent Blomberg et Blaskowitz. C’est manifestement la vérité.
La réciproque n’en est pas moins évidente : les chefs militaires ont fourni à Hitler les moyens et la puissance qui lui étaient nécessaires, ne serait-ce que pour survivre, sans parler de l’accomplissement de ses intentions qui nous semblaient si ridiculement impossibles en 1932, et si effroyablement proches en 1942.
J’ai dit que le militarisme allemand était inepte aussi bien qu’obstiné. Quelque impuissant qu’eût été Hitler sans eux, il a réussi à les dominer. Les généraux et les nazis étaient alliés en 1933. Mais il ne suffisait pas que les généraux fussent ses alliés volontaires, Hitler les voulait, de façon permanente et totale, soumis à son contrôle. Dépourvus d’habileté politique et de principes, les généraux manquaient de caractère et de sens moral suffisants pour résister. Le jour de la mort du président Hindenburg, en août 1934, les officiers allemands ont prononcé un nouveau serment. Le serment précédent avait été prêté à la patrie, celui-là était prêté à un homme : Adolf Hitler. Plus tard, l’emblème nazi fit partie de leur uniforme, et le drapeau nazi devint leur étendard. Par un processus habile d’infiltration dans les positions-clefs, Hitler s’empara de toute la machine militaire.
Sans aucun doute, nous entendrons ces généraux nous demander ce qu’ils auraient bien pu faire. Ils nous diront qu’ils étaient impuissants, qu’ils devaient protéger leur carrière, leur famille, leur vie, et que pour cela ils devaient suivre les décisions de Hitler. Ce devint sans aucun doute la vérité ; mais ces généraux ont été un facteur essentiel dans l’accès de Hitler au pouvoir total, et ils ont été complices de ses buts criminels d’agression. Il est toujours difficile et dangereux de se retirer d’un complot criminel. On n’a jamais admis qu’un conspirateur pût demander grâce en prétendant que ses compagnons dans le complot menaçaient de lui nuire, s’il se retirait de ce complot. À bien des égards, le spectacle que l’État-Major général et le Haut Commandement allemand nous offrent aujourd’hui est le plus dégradant de tous les groupes ou organisations accusés devant ce Tribunal. Ils sont porteurs d’une tradition qui n’est pas dénuée de valeur ou d’honneur, et ils émergent de cette guerre marqués des stigmates du crime et de l’impuissance. Attirés par la politique militariste et agressive des nazis, les généraux allemands se sont trouvés entraînés dans des aventures dont ils n’avaient pas prévu l’envergure. Les crimes auxquels presque tous ont participé volontairement et en les approuvant ont engendré d’autres crimes auxquels ils participèrent encore, d’une part parce qu’ils étaient impuissants à changer la politique du Gouvernement nazi, d’autre part parce qu’ils devaient continuer à collaborer pour sauver leur propre existence. Après avoir accepté cette collaboration, l’État-Major général et le groupe du Haut Commandement ont projeté et exécuté une foule d’actes d’agression qui transformèrent l’Europe en un charnier, et ils ont toléré l’emploi par les Forces armées de méthodes odieuses et atrocement réalisées, de méthodes de terreur, de pillage et de massacre généralisés.
Il n’est permis à personne de dire qu’ils pourront se cacher derrière l’uniforme militaire ou trouver un asile en plaidant qu’ils appartenaient à une carrière qu’ils ont à jamais souillée par leurs actions.
Plaise au Tribunal. Le colonel Wheeler va maintenant procéder à la présentation de quelques documents supplémentaires relatifs à la persécution des Églises.
Monsieur le Président, les preuves que je vais verser aux débats comprennent d’une part, des preuves complémentaires concernant la suppression des Églises à l’intérieur de l’Allemagne, Églises évangéliques, catholiques et Bibelforscher ou exégètes ; d’autre part, des preuves d’actes de suppression dans les territoires annexés et occupés, Autriche, Tchécoslovaquie et Pologne. Une bonne partie de ces preuves provient des archives officielles du Vatican.
Je soumets maintenant au Tribunal l’exposé supplémentaire américain « H », sur « la suppression des Églises chrétiennes en Allemagne et dans les territoires occupés », et le livre supplémentaire de documents « H » qui contient une traduction anglaise de tous les documents mentionnés dans cet exposé écrit ou qui seront cités au cours de mes explications. Je m’attacherai d’abord à apporter les preuves supplémentaires sur la suppression des Églises en Allemagne.
Hitler annonça en mars 1933, une distinction dans sa politique entre la politique et la morale d’une part, et la religion d’autre part. Je verse au dossier le document PS-3387 (USA-566). C’est un discours prononcé par Hitler au Reichstag le 23 mars 1933, publié dans le Völkischer Beobachter, du 24 mars 1933, page 1, colonne 5 du journal allemand. Je cite :
« Le Gouvernement, tout en étant décidé à opérer l’épuration politique et morale dans notre vie publique, crée et assure les conditions nécessaires à une véritable vie religieuse. Le Gouvernement voit dans les deux confessions chrétiennes, les facteurs les plus importants de la survivance de notre peuple. Il respectera les accords conclus entre elles et les États. Il compte, cependant, que sa tâche rencontrera de la compréhension. Le Gouvernement traitera toutes les autres confessions avec une objectivité et une justice égales. Toutefois, il n’acceptera jamais que le fait d’appartenir à une certaine confession ou à une certaine race, soit une autorisation de se livrer à des actes répréhensibles. Le Gouvernement mettra tous ses soins à réaliser une entente harmonieuse entre l’Église et l’État. »
À l’égard des Églises évangéliques, les conspirateurs nazis opérèrent d’abord avec précaution et avec une apparence de légalité. Ils instituèrent une nouvelle constitution de l’Église évangélique allemande, qui introduisait l’innovation d’un évêque unique du Reich luthérien, assurant toutes les fonctions administratives des anciens organismes des Églises. Je mentionne le document PS-3433. C’est un décret concernant la constitution de l’Église évangélique allemande, daté du 14 juillet 1933, publié au Reichsgesetzblatt 1933, partie 1, page 471, que je demande au Tribunal de bien vouloir admettre comme preuve.
Il est trop connu pour qu’il soit besoin d’en apporter des preuves supplémentaires, que le nouvel évêque du Reich, Müller, était aux ordres de ses maîtres nazis. L’une de ses premières démarches consista à faire rentrer l’Association de la jeunesse évangélique dans la Jeunesse hitlérienne, sous les ordres de l’accusé von Schirach, en décembre 1933. J’en verse comme preuve le document PS-1458 (a), déjà versé au dossier comme partie du livre de documents « D ». C’est un extrait du livre de von Schirach : La Jeunesse hitlérienne : ses idées et sa formation.
En 1935, il était devenu évident que quelque chose de plus que la persuasion de l’évêque du Reich était nécessaire. Les conspirateurs nazis promulguèrent en conséquence, quantité de textes de Droit public qui, sous des titres à l’apparence innocente, établissaient un contrôle de plus en plus serré de l’État sur les affaires des Églises évangéliques. Nous demandons au Tribunal d’admettre comme preuve ces lois publiées au Reichsgesetzblatt. Elles peuvent être résumées comme suit :
Document PS-3434 : loi sur la procédure de décision dans les affaires juridiques de l’Église évangélique, datée du 26 juin 1935, signée par Hitler et par Frick, publiée au Reichsgesetzblatt 1935, partie 1, page 774. Elle donnait à l’accusé Frick, ministre de l’Intérieur du Reich, le droit exclusif de décider de la validité de mesures prises depuis le 1er mai 1933, par les Églises évangéliques des États ou l’Église évangélique allemande, si la question se posait dans une instance civile.
Document PS-3435 : première ordonnance pour l’exécution de la loi sur la procédure de décision dans les affaires juridiques de l’Église évangélique, datée du 3 juillet 1935, publiée au Reichsgesetzblatt 1935, partie 1, page 851. Elle complétait la loi précédente en instituant un comité de décision, composé de trois membres nommés par le ministre de l’Intérieur du Reich.
Document PS-3466 : décret fixant les compétences du Reich et de la Prusse dans les affaires de l’Église, daté du 16 juillet 1935, signé par Hitler, publié au Reichsgesetzblatt 1935, partie 1, page 1029. Il transférait Kerrl, ministre du Reich sans portefeuille, aux affaires de l’Église, relevant jusque-là des ministres de l’Intérieur du Reich et de la Prusse et du ministre de l’Éducation nationale et de la Formation de la population.
Le document PS-3436 : loi sur la sauvegarde de l’Église évangélique allemande, datée du 24 septembre 1935, publiée au Reichsgesetzblatt 1935, partie 1, page 1178, signée par Hitler et par le ministre des affaires de l’Église, le Dr Kerrl. Elle donnait au ministre du Reich des affaires de l’Église le pouvoir de signer des ordonnances ayant force de loi.
Le document PS-3437 : cinquième décret pour l’exécution de la loi sur la sauvegarde de l’Église évangélique allemande, daté du 2 décembre 1935, publié au Reichsgesetzblatt 1935, partie 1, page 1370. Il interdisait aux organes de direction de l’Église évangélique de nommer des pasteurs, d’engager des assistants cléricaux, d’examiner et d’ordonner des candidats dans les églises des États ; il interdisait les visites, la publication des bans, la collecte et l’administration des redevances et taxes de l’Église.
Cette série de lois atteignit son apogée, le 26 juin 1937, dans le quinzième décret, pour l’exécution de la loi sur la sécurité de l’Église évangélique allemande, daté du 25 juin 1937, publié au Reichsgesetzblatt 1937, partie 1, page 697 ; c’est le document PS-3439. Par cette loi, Kerrl, Reichsminister pour les affaires de l’Église, établissait une section financière pour contrôler l’administration des propriétés d’Église, le budget, l’utilisation des fonds et pour régler les pensions et salaires officiels destinés au clergé et aux employés. Bien avant leur entrée en guerre, les conspirateurs nazis avaient ainsi sous leur joug les Églises évangéliques, physiquement et administrativement, sinon spirituellement.
Contre l’Église catholique, avec son organisation internationale, les conspirateurs nazis lancèrent à nouveau une attaque des plus vigoureuses et des plus systématiques, couverte d’abord cependant par un voile de coopération et de légalité. Un concordat signé par l’accusé von Papen, l’un des plus éminents chefs catholiques d’Allemagne, fut conclu entre le Gouvernement du Reich et le Vatican, le 20 juillet 1933. Il a été publié au Reichsgesetzblatt 1933, partie II, pages 679 à 690. C’est le document PS-3280 (a) que je demande au Tribunal d’admettre comme preuve. Je cite l’article premier :
« Le Reich allemand garantit la liberté de confession et la pratique publique de la religion catholique. Il reconnaît le droit de l’Église catholique, dans les limites des lois qui sont applicables à tous, de diriger, de régler ses propres affaires, d’une manière indépendante, et dans le cadre de sa compétence, de publier des lois et des ordonnances applicables à ses membres. »
Les autres articles se rapportent à des faits bien connus et n’ont pas besoin, à mon avis, d’être lus pour le procès-verbal des débats ; ils formulent des principes de base, tels que la liberté de la presse catholique, de l’éducation catholique et des organisations charitables, professionnelles, et autres de l’Église catholique. La proposition du Concordat venait du Reich et non du Vatican. Je mentionne le document PS-3268 (USA-356) constitué par des extraits d’une allocution du Pape Pie XII au Sacré Collège, le 2 juin 1945. Il a déjà été versé au dossier. Je cite à partir de la page 1 de l’extrait anglais ronéotypé et à la page 1 de la traduction allemande ce paragraphe 3, qui n’a pas encore été lu :
« Au printemps de 1933, le Gouvernement allemand demanda au Saint-Siège de conclure un Concordat avec le Reich. »
Le cardinal Pacelli qui est devenu le Pape Pie XII, négocia et signa le Concordat au nom du Vatican, après avoir en sa qualité de cardinal, été nonce du Pape en Allemagne, pendant douze ans. Les dirigeants catholiques confiants dans les assurances nazies, particulièrement dans le discours de Hitler du 23 mars 1933, déjà cité (PS-3387), mirent fin à leur opposition antérieure à l’adhésion des catholiques au parti national-socialiste. Je verse au dossier le document PS-3389 (USA-566). C’est une lettre pastorale, datée du 23 mars 1933, de l’évêque de Cologne et je cite le Völkischer Beobachter du 29 mars 1933, page 2, colonnes 2 et 3 :
« Le cardinal Schulte, archevêque de Cologne, fait part au diocèse de Cologne de la déclaration de la Conférence des évêques à Fulda : “Les évêques des diocèses de l’Allemagne, dans leur désir justifié de conserver la pureté de la foi catholique et de protéger les titres et les droits inattaquables de l’Église catholique, ont adopté, pour des raisons profondes, au cours des années précédentes, une attitude d’opposition à l’égard du mouvement national-socialiste, par des interdits et des avertissements qui devaient valoir aussi longtemps et aussi sûrement que ces raisons restaient valides. Nous devons maintenant reconnaître, que des déclarations officielles et solennelles ont été faites par le représentant le plus élevé du Gouvernement du Reich qui est en même temps le chef responsable de ce mouvement, et qui reconnaissent l’inviolabilité des enseignements de la foi catholique, des tâches et des droits immuables de l’Église catholique et qui assurent que la pleine valeur des pactes légaux conclus entre les divers États allemands et l’Église sera rétablie.
« “Sans supprimer la condamnation de certaines erreurs religieuses et morales prononcée autrefois, l’épiscopat croit cependant que ces avertissements n’auront pas lieu d’être considérés comme indispensables à l’avenir.” »
Le parti du centre catholique, cédant à ces assurances et à cette pression, fut dissous le 5 juillet 1933. Je mentionne le document PS-2403, déjà versé au dossier comme faisant partie du livre de documents B : c’est un extrait des Documents de la Politique allemande, publication officielle nazie, volume I, que le Tribunal peut admettre comme preuve. Je cite les cinq dernières lignes de la page 1 de la traduction anglaise, page 55 du texte original allemand qui déclare :
« Les partis catholiques allemands eux aussi, que l’on supposait extrêmement solides, ont dû s’incliner devant la loi de l’Ordre nouveau. Le 4 juillet 1933, le Parti populaire bavarois (document 27) et le 5 juillet 1933, le Parti du centre (document 29), publièrent l’annonce de leur dissolution. »
Malgré ces preuves de foi et de collaboration ou de soumission de la part des catholiques, les conspirateurs nazis commencèrent presque immédiatement une série de violations du Concordat. J’offre comme preuve le document PS-3476 (USA-567), l’Encyclique « Mit Brennender Sorge » signée le 14 mars 1937 par le Pape Pie XI et dont je demande au Tribunal de considérer la preuve comme acquise. Je cite une page de l’extrait anglais.
Est-ce 3476 ou 3466 ?
3476.
Je crois que nous ne l’avons pas.
C’est peut-être une erreur, Monsieur le Président, car le numéro du document 3563 a été modifié. La partie en langue anglaise figure, messieurs, dans le livre de documents sous le nº PS-3280.
3280 ?
La difficulté provient du fait que l’original allemand nous est parvenu après que la traduction en eût été faite d’après une autre source.
PS-3280 (a) ?
3280 sans (a). Ce ne sont que quelques phrases.
Oh oui, je vois.
Vous les trouverez au deuxième paragraphe de la page 2 de l’original allemand, versé actuellement au dossier, et qui circulait secrètement à Fulda, d’après des copies parvenues de Rome en Allemagne en contrebande. Il a été lu du haut de toutes les chaires d’Allemagne avec des accents de défi :
« … Cela divulgue des intrigues qui, depuis le début, ne visent à rien d’autre qu’à une guerre d’extermination. Dans le champ où nous avons semé cette Paix difficile, d’autres, comme les ennemis de l’Écriture Sainte, ont déposé les germes de la suspicion, de la discorde, de la haine, de la calomnie, et d’une hostilité de principe, secrète et ouverte, au Christ et à Son Église, nourrie de mille sources différentes et utilisant tous les moyens possibles. Sur eux et sur eux seuls, ainsi que sur leurs protecteurs cachés ou déclarés, repose la responsabilité du fait que l’on voit maintenant à l’horizon allemand, non pas l’arc-en-ciel de la paix, mais les lourds nuages des guerres destructrices de la religion. Quiconque ayant le sens de la vérité dans l’esprit et l’ombre d’un sentiment de justice au cœur, doit admettre que, dans les années difficiles et lourdes d’événements qui suivirent le Concordat, chaque parole et chaque action de notre part a été guidée par la loyauté vis-à-vis des termes de l’accord ; mais il sera aussi obligé de reconnaître, avec surprise et un dégoût profonds, que la loi non écrite de l’autre partie a conduit à une déformation arbitraire de l’accord, à une entorse frauduleuse à l’esprit des accords et finalement à une violation plus ou moins ouverte de ces accords, dix jours à peine après la signature du Concordat… »
Il n’y a rien de tout cela dans notre livre.
Ce n’est pas dans votre livre ?
Pas ce que vous venez de lire. Le premier paragraphe jusqu’aux mots « guerres destructrices de religion ». Le reste n’y est pas.
Je crois qu’il y a eu une erreur aujourd’hui, Monsieur le Président. Il existe une seconde copie du 3280, qui contient le deuxième paragraphe. Je la ferai substituer dès la fin de l’audience.
Très bien.
Le Ministère Public américain a déclaré tout à l’heure qu’une partie des documents qui sont actuellement présentés comme preuve dans les questions d’opposition aux Églises, a été mise à la disposition du Tribunal par le Vatican. L’accusé Hans Frank me fait parvenir certaines questions que je désire soumettre au Tribunal ; les voici :
1. Le Vatican a-t-il déclaré adhérer au Statut du Tribunal Militaire International ?
2. Le Vatican a-t-il livré les documents en qualité de membre du Ministère Public ?
3. Le Vatican, agissant en cette dernière qualité, a-t-il fait siens les principes de ces débats ?
L’accusé Hans Frank ajoute, comme explication, que l’avenir de son adhésion à l’Église catholique dépend des réponses qui seront faites à ces questions.
II faut que le Tribunal comprenne clairement votre objection. Votre première question est : « Est-ce que le Vatican a adhéré au Statut ». Est-ce exact ?
Parfaitement.
Quelle est votre deuxième question ?
Est-ce que le Vatican a mis les documents qui sont ici à la disposition du Tribunal, en tant que membre du Ministère Public ?
Et la troisième ?
La troisième question s’adresse au Ministère Public : Le Vatican, en tant que membre du Ministère Public, a-t-il fait siens les principes qui règlent ces débats ?
Le Tribunal estime que les observations qui viennent de lui être soumises au nom de l’accusé Frank sont toutes hors de sa compétence et que toute requête qu’elles visaient à soutenir doit être repoussée. La parole est au Ministère Public.
Je verse maintenant au dossier le premier d’une série de documents que le Vatican a extraits pour le Ministère Public de ses propres archives et qui démontrent de façon concluante les actes de suppression de l’Église à l’intérieur de l’Allemagne. C’est le document PS-3261 (USA-568) ; c’est une note verbale du secrétaire d’État de Sa Sainteté le Pape à l’ambassade d’Allemagne, datée du 18 janvier 1942. Je lis le certificat qui accompagne ce document :
« Le Vatican, 13 novembre 1945. Je soussigné, Domenico Tardini, secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires, certifie par la présente que le document ci-joint, consistant en neuf pages imprimées et intitulé : « Notes verbales du secrétariat d’État de Sa Sainteté à l’ambassade d’Allemagne, 18 janvier 1942 », pages 3 à 11, est une traduction fidèle et correcte de l’italien en anglais, d’une copie dactylographiée d’un document actuellement en possession du secrétariat d’État de Sa Sainteté, et dont l’original a été envoyé à l’ambassade d’Allemagne.
« Signé : Domenico Tardini. »
Vous trouverez ce document dans le livre de documents : c’est une copie ronéotypée de ce même document imprimé reçu du Vatican. Nous n’avions pas assez de documents imprimés pour les mettre dans le livre de documents. Je cite à la page 2 du texte ronéotypé anglais de cette note verbale, aux paragraphes 3 et 4, les déclarations du secrétaire d’État du Pape :
« Les mesures et les actes qui violent gravement les droits de l’Église et qui sont contraires, non seulement au Concordat existant, mais aux principes du Droit international, ratifié par la deuxième Conférence de La Haye… »
Est-ce que vous lisez le paragraphe 3 ?
Oui, Monsieur le Président, page 2, paragraphe 3, commencé au milieu du paragraphe, à la septième ligne.
Il est très difficile pour nous de le trouver si vous ne le dites pas, car vous commencez au milieu du paragraphe.
« … sont souvent, et c’est beaucoup plus grave, en opposition avec les principes de base eux-mêmes de la Loi divine naturelle et positive. »
Le paragraphe suivant précise ces mesures. Je cite :
« Qu’il suffise de rappeler à cet effet, entre autres choses, la transformation des écoles d’État catholiques élémentaires, en écoles sans dénomination confessionnelle ; la fermeture permanente ou temporaire de quantité de séminaires secondaires et de beaucoup de séminaires principaux, ainsi que de certaines facultés de théologie ; la suppression de presque toutes les écoles privées et de nombreuses pensions et collèges catholiques ; la répudiation, décidée unilatéralement, d’obligations financières que l’État, les municipalités, etc. avaient contractées envers l’Église ; les difficultés croissantes suscitées aux activités des Ordres et Congrégations religieuses, dans le domaine spirituel, culturel et social ; et par-dessus tout la suppression des abbayes, des monastères, des couvents et des édifices religieux, en si grande quantité, qu’on est amené à conclure à une intention délibérée de rendre impossible l’existence même des Ordres et Congrégations en Allemagne. »
Les nazis ne négligèrent pas les autres sectes ou confessions, dans leurs efforts pour supprimer la religion chrétienne en Allemagne. Ils persécutèrent les Bibelforscher ou exégètes…
Peut-être vaudrait-il mieux suspendre jusqu’à demain matin, puisque vous allez passer à une autre confession.