VINGT-NEUVIÈME JOURNÉE.
Mardi 8 janvier 1946.
Audience du matin.
Les nazis n’oublièrent pas les autres sectes ou confessions dans leurs efforts pour supprimer la religion chrétienne en Allemagne. Ils persécutèrent les « Bibelforscher », les exégètes. On a déjà déposé comme preuve le document nº D-84 (USA-236), montrant que les membres de cette secte ont été non seulement poursuivis devant les tribunaux, mais encore arrêtés et mis dans des camps de concentration, même après l’accomplissement ou la remise des peines qui les avaient frappés. Le document PS-2928 (USA-239), compris dans le livre de documents USA-A, donne un nouveau témoignage de la persécution des « Bibelforscher ».
Je crois que vous allez un peu vite. Nous ne parlerons pas du D-84.
Je n’ai pas l’intention d’en lire des extraits, Monsieur le Président.
Alors, vous passez au PS-2928 ?
PS-2928 ; il est dans le livre de documents, Monsieur le Président.
Allez-vous en lire des extraits ?
J’allais en lire quelques lignes.
Très bien.
Ce document est une déclaration sous serment de Matthias Lex, vice-président de l’Union nationale des fabricants de chaussures. En décrivant l’expérience qu’il fit du camp de concentration de Dachau, je cite la troisième page de son affidavit, il dit :
« Je comprends parmi les prisonniers politiques les exégètes (Bibelforscher) dont j’estime le nombre à plus de 150. »
Je désire lire la dernière ligne de cette page et les quelques lignes de la page suivante :
« Les groupes suivants étaient complètement isolés : les membres de ce qu’on appelait les “compagnies disciplinaires” (Strafkompanien) qui se trouvaient pour la seconde fois en camp de concentration et, aussi après 1937, les “Bibelforscher”. Les membres des “compagnies disciplinaires” étaient des prisonniers qui avaient commis des infractions légères aux règles du camp. Les groupes suivants vivaient séparément, mais pouvaient se mêler à d’autres groupes au cours de la journée, soit pendant le travail, soit pendant qu’ils se promenaient dans le camp : les prisonniers politiques, les juifs, les asociaux, les gitans, les criminels invétérés, les homosexuels et, avant 1937, également des “Bibelforscher”. »
Je me réfère aussi au document PS-1531 qui ne figure pas dans le livre de documents. C’est la pièce USA-248 qui a déjà été déposée. C’était un ordre donné par le RSHA en 1942 pour autoriser l’emploi des méthodes du troisième degré contre les témoins de Jehovah. Il a été lu par le colonel Storey.
Je passe maintenant aux actes de répression dans les territoires annexés ou occupés. En Autriche, l’évêque Rusch, d’Innsbruck, a écrit un rapport qui illustre à merveille ce sujet. Je dépose comme preuve cette déclaration sous serment ; c’est le document PS-3278 (USA-569). C’est un rapport sur la lutte menée contre le national-socialisme par l’administration apostolique d’Innsbruck-Feldkirch, du Tyrol et du Voralberg. Dans ce rapport, l’évêque déclare ; je commence à la première page du texte anglais et de la traduction allemande :
« Après s’être emparé du pouvoir, le national-socialisme montra immédiatement sa tendance à exclure l’Église de l’activité publique. »
L’expression activité publique « Publicity » – ce dernier mot fut écrit en anglais par l’évêque – signifie évidemment la vie publique. Je continue la citation :
« À la Fête-Dieu, en 1938, la procession solennelle d’usage fut interdite. Au cours de l’été de la même année, toutes les écoles et tous les jardins d’enfants dépendant de l’Église furent dissous. Les quotidiens et les hebdomadaires de la pensée chrétienne furent également supprimés. Au cours de la même année, toutes les organisations religieuses, spécialement les organisations de jeunesse, telles que les Scouts, furent dissoutes avec interdiction d’exercer leurs activités.
« Les effets de ces interdictions ne tardèrent pas à se manifester. Le clergé s’y opposa ; il ne pouvait faire autrement. Il y eut alors une grosse vague d’arrestations de prêtres ; environ un cinquième d’entre eux furent effectivement arrêtés. Les motifs d’arrestation étaient les suivants :
« 1. La censure de la Chaire : il s’agissait des cas où les actes du Parti étaient mentionnés ou critiqués, même de la manière la plus anodine.
« 2. Le fait de s’occuper des jeunes. Une interdiction particulièrement sévère fut formulée à cet effet en novembre 1939. Les messes ou les services pour les enfants ou pour la jeunesse furent interdits. Il fut interdit de donner dans les églises des cours de religion ou de dogme, sauf pour la préparation à la première communion ou à la confirmation. L’enseignement religieux à l’école fut souvent prohibé sans raison.
« Le prêtre ne pouvait, en conscience, se plier à cette proscription publique, et c’est ce qui explique qu’un grand nombre de prêtres aient été arrêtés. Finalement, les prêtres furent arrêtés en raison de leur action charitable. Il était, par exemple, interdit de donner quoi que ce soit aux étrangers ou aux prisonniers. Un prêtre fut arrêté parce qu’il avait donné une tasse de café et du pain à deux Hollandais affamés. Cet acte charitable fut considéré comme favorisant des éléments étrangers à la race.
« En 1939 et 1940, une nouvelle activité fut inaugurée. Des couvents et des abbayes furent confisqués, dissous, et beaucoup d’églises qui leur appartenaient furent fermées. Parmi ceux-ci, deux couvents de religieuses furent supprimés : celui des sœurs dominicaines de Bludenz et celui des sœurs de l’Adoration perpétuelle à Innsbruck. Dans ce dernier, les sœurs furent traînées, une à une, hors du monastère par la Gestapo. De la même façon, les biens ecclésiastiques, tels que locaux des groupements, foyers paroissiaux et maisons de jeunes, furent saisis. Une liste de ces églises fermées, de ces couvents dissous et de ces institutions religieuses est jointe à la présente déclaration.
« Malgré toutes ces mesures, les résultats ne furent pas satisfaisants. Alors, les prêtres furent non seulement arrêtés mais également déportés dans des camps de concentration. Huit prêtres du Tyrol et du Vorarlberg furent emprisonnés et, parmi eux, le vicaire général Mgr. J. Charles Lampert. L’un est mort à la suite des mauvais traitements, les autres sont revenus. Le vicaire général Lampert fut relâché mais reçut l’ordre de séjourner à Stettin ou il fut plus tard arrêté de nouveau et exécuté en novembre 1944, après avoir été condamné à mort à huis clos. »
Jointe à ce rapport figure une liste de trois pages et demie intitulée « Listes d’églises, couvents, monastères et propriétés ecclésiastiques du Tyrol et du Vorarlberg, saisis et confisqués, et des institutions, des écoles confessionnelles, etc. dissoutes. » À moins que le Tribunal ne le demande, je ne lirai pas ces noms.
Je dépose comme preuve le document PS-3274 (USA-570), provenant du cardinal Innitzer, de Vienne, et authentifié par lui. C’est la première lettre pastorale collective des archevêques et évêques d’Autriche, après la libération, à la date du 17 octobre 1945. Je cite la première page, deuxième paragraphe des textes anglais et allemands. C’est un résumé de la campagne menée par les conspirateurs nazis en Autriche :
« Une guerre, dont l’horreur et l’épouvante dépassent tout ce qu’on a jamais vu dans l’histoire de l’Humanité, vient de se terminer. Ont pris fin également la bataille intellectuelle dont l’enjeu était la destruction du Christianisme et de l’Église chez notre peuple et la campagne de mensonges et de perfidie contre la vérité et l’amour, contre les droits divins et humains et contre le droit international. »
Je cite, plus loin, les paragraphes 4 et suivants :
« L’hostilité directe marquée à l’égard de l’Église se manifesta par une réglementation contre les ordres et les monastères, les écoles et les institutions catholiques, contre les fondations et les activités religieuses, contre les bâtiments récréatifs des centres et institutions ecclésiastiques ; privés de tout droit de se défendre, ils furent déclarés ennemis autant du peuple que de l’État et on les supprima.
« L’instruction religieuse et l’éducation des enfants et de la jeunesse furent restreintes à dessein, fréquemment même tout à fait prohibées. On encourageait par tous les moyens possibles tous les efforts hostiles déployés contre la religion et l’Église et, de ce fait, on cherchait à voler aux enfants et aux jeunes gens de notre peuple le trésor inestimable de la sainte foi et de la vraie morale, nées de l’esprit de Dieu. Malheureusement, cette tentative aboutit, dans des cas innombrables, à un préjudice durable pour la jeunesse.
« Les activités spirituelles poursuivies dans les églises et dans les maisons ecclésiastiques, dans les hôpitaux et autres institutions furent sérieusement entravées. On les rendit inefficaces dans l’Armée et dans le Service du Travail, dans l’envoi des jeunes à la campagne, même dans des familles particulières, ainsi que chez un grand nombre d’individus, pour ne pas parler de l’interdiction du ministère spirituel à l’égard de gens appartenant à d’autres nationalités ou à d’autres races.
« Que de fois le Service Divin lui-même, ainsi que les sermons, les missions, les journées de communion, les retraites, les processions, les pèlerinages furent limités, pour les raisons les plus invraisemblables, et rendus absolument impossibles ! Les publications catholiques, les journaux, les périodiques, les bulletins ecclésiastiques et les écrits religieux furent suspendus, les livres et les bibliothèques détruits. Que d’injustices ne commit-on pas par la dissolution de nombreuses sociétés catholiques, par la destruction d’importantes activités de l’Église ! Tout croyant, tout catholique et chrétien qui jouissait soi-disant de la liberté religieuse était en fait espionné, critiqué en raison de sa foi et méprisé pour son activité chrétienne. Combien de loyaux fonctionnaires, instituteurs, agents des services publics ou privés, travailleurs, hommes d’affaires, artisans et même paysans furent soumis à la contrainte et à la terreur ! Beaucoup perdirent leur situation, certains furent mis à la retraite. D’autres furent renvoyés sans pension, révoqués et privés de leur véritable activité professionnelle. Trop souvent ces personnes, qui demeuraient fidèles à leurs convictions, se voyaient l’objet de mesures discriminatoires, étaient condamnées à la famine ou torturées dans des camps de concentration. Le christianisme et l’Église furent continuellement bafoués et exposés à la haine.
« Le mouvement d’apostasie trouvait tous les encouragements possibles. On choisissait toutes les occasions pour pousser beaucoup de gens à se retirer de l’Église. »
En déterminant les responsabilités de ces actes de répression en Autriche, le Tribunal se rappellera que l’accusé von Schirach fut Gauleiter de Vienne, de 1940 à 1945.
J’en viens maintenant aux actes de répression en Tchécoslovaquie où, le Tribunal s’en souviendra, l’accusé von Neurath fut protecteur du Reich pour la Bohême et la Moravie, de 1939 à 1943, et où l’accusé Frick lui succéda. Ces actes ont été résumés dans un rapport officiel du Gouvernement tchécoslovaque. Je me réfère au document PS-998 (USA-91), déjà déposé. Ce sont des extraits, qui n’ont pas encore été lus où mentionnés, du « Rapport officiel tchécoslovaque pour la poursuite et le jugement des grands criminels de guerre allemands par le Tribunal Militaire International, établi en conformité avec l’accord des quatre Grandes Puissances, du 8 août 1945. » Puisque c’est un document ou rapport officiel du gouvernement de l’une des Nations Unies, je prie le Tribunal de lui accorder une valeur probatoire en vertu de l’article 21 du Statut, et je serais heureux d’être autorisé à le résumer plutôt qu’à le lire.
Il décrit le mauvais traitement infligé aux prêtres catholiques, dont 487 furent envoyés comme otages dans les camps de concentration, la dissolution des ordres religieux, la suppression de l’instruction religieuse dans les écoles tchèques, la suppression des revues hebdomadaires et mensuelles catholiques, la dissolution de l’organisation catholique de gymnastique qui comprenait 800.000 membres et la confiscation des biens de l’Église catholique. Il décrit l’interdiction totale de l’Église nationale tchécoslovaque, la confiscation de tous ses biens en Slovaquie et les entraves mises à son action en Bohême. Ce rapport expose les restrictions sévères apportées à la liberté de prêcher des protestants, ainsi que la persécution, l’emprisonnement et l’exécution de ministres et la suppression des organisations de jeunesse et des écoles de théologie de l’Église protestante. Il montre la subordination complète et la dissolution postérieure de l’Église orthodoxe grecque. Il établit que l’enseignement de l’Église évangélique slovaque fut transféré à l’autorité civile, et que beaucoup de professeurs appartenant à cette Église perdirent leur emploi.
Les mesures de répression adoptées par les conspirateurs nazis en Pologne contre l’Église chrétienne furent encore plus énergiques et d’une portée plus générale. Les documents du Vatican que nous allons maintenant produire décrivent les persécutions de l’Église catholique en Pologne, dans les trois zones suivantes : d’abord les territoires annexés, spécialement le Warthegau, puis le Gouvernement Général, enfin les territoires incorporés de l’Est.
Le Tribunal se souviendra que les territoires annexés comprenaient les territoires limitrophes de l’ancien Reich, principalement le Reichsgau de la Wartheland ou Warthegau, qui comprenait notamment les villes de Poznan et Lodz, et le Reichsgau de Dantzig en Prusse occidentale.
Les territoires occupés de Pologne, qui furent organisés en Gouvernement Général, comprenaient la partie de la Pologne occupée par les Forces allemandes en 1939, jusqu’à la nouvelle frontière soviétique qui fut alors adoptée. Ils comprenaient Varsovie et Cracovie. Après l’attaque des nazis contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques en juin 1941, la portion de l’ancienne Pologne située plus à l’est et qui fut alors envahie, fut comprise dans les soi-disant territoires occupés de l’Est.
Pour délimiter la responsabilité des accusés dans les persécutions survenues dans leurs zones respectives, le Tribunal se rappellera que l’accusé Frick fut le personnage officiel responsable au premier chef de la réorganisation des territoires de l’Est. L’accusé Frank fut chef du Gouvernement Général, de 1939 à 1945. L’accusé Seyss-Inquart fut gouverneur général adjoint, de 1939 à 1940 et l’accusé Rosenberg fut ministre du Reich pour les Territoires occupés de l’Est, du 17 juillet 1941 à la fin.
Je dépose maintenant comme preuve le document PS-3263 (USA-571), qui a pour titre : « Mémorandum du secrétariat d’État à l’ambassade d’Allemagne, sur la situation religieuse dans le Warthegau, 8 octobre 1942. » Ce document comporte un certificat d’authenticité du Vatican signé par le secrétaire pontifical aux Affaires ecclésiastiques extraordinaires, certificat correspondant à celui qui accompagne le document PS-3261 lu comme preuve il y a quelques minutes. À moins que le Tribunal n’en décide autrement, je pense qu’il n’est pas nécessaire de lire chacun de ces certificats qui sont tous semblables les uns aux autres. Je cite le paragraphe premier du document PS-3263 :
« Depuis longtemps déjà la situation religieuse, dans la région appelée Whartegau, donne matière à une anxiété très profonde et toujours croissante. L’épiscopat y a, en fait, été peu à peu presque complètement éliminé. Le clergé régulier et séculier a été réduit à des proportions absolument insuffisantes, car ses membres ont été pour une large part déportés et exilés ; on a interdit l’instruction des clercs ; l’éducation catholique de la jeunesse rencontre la plus forte opposition ; les religieuses ont été dispersées ; on a créé des obstacles insurmontables pour empêcher quiconque d’apporter aux gens le secours de la religion : beaucoup d’églises ont été fermées ; les institutions catholiques charitables ou intellectuelles ont été détruites ; les biens ecclésiastiques ont été confisqués. »
Le 2 mars 1943, le cardinal secrétaire d’État adressa à l’accusé von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, une note décrivant en détail la persécution des évêques, des prêtres et autres ecclésiastiques, et la suppression de l’exercice de la religion dans les provinces occupées de Pologne. Ce document est si explicite et si probant qu’il mérite d’être longuement cité. Je dépose donc, comme preuve, ce document PS-3264, sous le nº USA-572. Il a pour titre : « Note de Son Éminence le cardinal secrétaire d’État au ministre des Affaires étrangères du Reich à propos de la situation religieuse dans le Warthegau et dans les autres provinces polonaises assujetties à l’Allemagne. » Il porte un certificat d’authenticité du Vatican, analogue à celui du document PS-3261. Il est signé : « L. Card. Maglione », ce qui signifie « Luigi, cardinal Maglione ». Je cite cette note en commençant à la page 1 ; au troisième paragraphe du texte anglais ronéotypé et de la traduction allemande :
« La région où par-dessus tout la situation religieuse, par sa gravité exceptionnelle, appelle spécialement l’attention, est le territoire dénommé “Reichsgau Wartheland”.
« Six évêques résidaient dans cette région, au mois d’août 1939 ; maintenant, il n’en reste qu’un seul. En fait, l’évêque de Lodz (Litzmannstadt) et son coadjuteur furent, au cours de l’année 1941, d’abord confinés dans un petit district du diocèse, puis expulsés et exilés dans le Gouvernement Général.
« Un autre évêque, Monseigneur Michel Kozal, coadjuteur et vicaire général de Wladislavia, fut arrêté au cours de l’automne 1939, incarcéré quelque temps à la prison de la ville, puis plus tard dans une maison religieuse à Lad et, finalement, transféré au camp de concentration de Dachau.
« Comme Son Éminence, le cardinal archevêque de Gniezno et Poznan et l’évêque de Wladislavia, qui s’étaient absentés pendant la période des opérations militaires, n’ont pas obtenu l’autorisation de retourner à leurs sièges, le seul évêque qui reste maintenant dans le “Warthegau” est son Éminence Monseigneur Valentin Dymek, coadjuteur de Poznan, qui fut lui-même enfermé dans sa propre résidence, tout au moins jusqu’en novembre 1942 ».
Je passe maintenant à la page 2, quatrième paragraphe du texte anglais, cinquième paragraphe du texte allemand :
« Si le sort de Leurs Éminences les évêques a été une source d’anxiété pour le Saint-Siège, la condition d’un nombre considérable de prêtres et de religieux lui a causé et lui cause encore une aussi profonde affliction.
« Dans le territoire qu’on appelle maintenant “Warthegau”, plus de 2.000 prêtres exerçaient leur ministère avant la guerre ; ils sont maintenant réduits à un tout petit nombre.
« D’après les informations reçues de différentes sources par le Saint-Siège, nombre de membres du clergé séculier furent fusillés ou mis à mort par un autre procédé, au cours des premiers mois de l’occupation militaire, tandis que d’autres – plusieurs centaines – furent emprisonnés ou soumis à un traitement inconvenant, astreints à des tâches inappropriées à leur état et exposés au mépris et à la dérision.
« Puis, tandis qu’un grand nombre d’ecclésiastiques étaient exilés ou obligés d’une façon ou d’une autre de se réfugier dans le Gouvernement Général, beaucoup d’autres furent envoyés dans des camps de concentration. Au début du mois d’octobre 1941, les prêtres des diocèses du “Warthegau” détenus à Dachau se comptaient déjà par centaines ; cependant, leur nombre s’accrut encore considérablement au cours de ce mois, à la suite d’une intensification aiguë des mesures de police, qui aboutirent à l’emprisonnement et à la déportation d’autres centaines d’ecclésiastiques. Des “Kreise” (régions) entiers restèrent ainsi complètement privés de clergé. Dans la ville de Poznan elle-même, la charge spirituelle de plus de 200.000 catholiques ne reposait plus que sur quatre prêtres.
« Non moins pénible fut le sort réservé au clergé régulier. Beaucoup de religieux furent fusillés ou tués par d’autres procédés ; les autres furent en grande majorité jetés en prison, déportés ou expulsés.
« De la même manière, des mesures radicales furent prises contre les institutions préparant des candidats à l’état ecclésiastique. Les séminaires diocésains de Gniezno et Poznan, de Wladislavia et de Lodz furent fermés. Le séminaire de Poznan réservé à la préparation de prêtres destinés au ministère des catholiques polonais à l’étranger fut aussi fermé.
« Furent fermés également les noviciats et les maisons d’instruction des ordres religieux et des congrégations.
« Les religieuses elles-mêmes ne purent poursuivre sans vexations leurs activités charitables. Un camp de concentration spécial fut établi pour elles à Bojanowo où, vers le milieu de 1941, environ 400 sœurs se trouvèrent internées et employées à des travaux manuels. Aux représentations du Saint-Siège, transmises par la nonciature apostolique à Berlin, le ministre des Affaires étrangères répondit dans le mémorandum Pol. III 1886, du 28 septembre de la même année, qu’il n’était question que de mesure temporaire prise avec le consentement du Reichsstatthalter du Wartheland afin de suppléer au manque de logement pour les sœurs catholiques polonaises. Dans le même mémorandum on déclarait qu’il résultait de la réorganisation des institutions charitables que beaucoup de religieuses catholiques se trouvaient sans emploi.
« Mais en dépit du fait que cette mesure était présentée comme temporaire, il est certain que vers la fin de 1942 des centaines de religieuses étaient encore internées à Bojanowo. Il est établi que pendant un certain temps les religieuses furent même privées de tout secours spirituel.
« De même, en matière d’éducation et d’instruction religieuse de la jeunesse, on ne fit aucun cas dans le Warthegau des droits de l’Église catholique. Toutes les écoles furent supprimées. »
Je passe maintenant à la page 4…
Qui était ministre des Affaires étrangères du Reich au moment de l’envoi de ce document ?
C’était l’accusé von Ribbentrop.
Je passe à la page 4, au dixième paragraphe du texte anglais, et page 5, quatrième paragraphe du texte allemand :
« L’usage de la langue polonaise dans les fonctions sacrées et même dans le sacrement de pénitence fut interdit. De plus – et ceci vaut qu’on en fasse une mention spéciale, car c’est contraire au droit naturel et aux dispositions adoptées par les législations de toutes les nations –, la limite d’âge minima fut fixée à 28 ans pour les hommes et à 25 ans pour les femmes, pour la célébration du mariage entre Polonais.
« L’Action catholique fut frappée si durement que sa destruction complète en résulta. L’Institut national qui était à la tête de tout le mouvement de l’Action catholique en Pologne, fut supprimé ; de ce fait, toutes les associations filiales qui étaient florissantes, ainsi que toutes les institutions catholiques culturelles, charitables ou sociales, furent abolies. Dans tout le Warthegau, il n’y a plus de presse catholique, et pas même une librairie catholique.
« Des mesures sévères furent prises de façon réitérée à l’égard des biens ecclésiastiques. Beaucoup d’églises fermées au culte public furent affectées à des usages profanes. Même les cathédrales de Gniezno, Poznan, Wladislavia et Lodz ne furent pas épargnées. Les résidences épiscopales furent occupées, les biens immobiliers appartenant aux séminaires, aux couvents, aux musées diocésains et aux bibliothèques ainsi que les fonds des églises furent confisqués ou mis sous séquestre. »
Je passe maintenant au troisième paragraphe de la page 5, qui a deux lignes :
« Avant même qu’on ait touché aux biens ecclésiastiques, on avait supprimé les subventions du clergé. »
Je lis maintenant à la page 6 tout le quatrième paragraphe du texte anglais :
« Les règlements administratifs émanant du cabinet du Statthalter en application de l’ordonnance du 13 septembre 1941, rendirent la situation des catholiques dans cette région encore plus difficile.
« Par exemple : le 19 novembre 1941 fut publié un décret du Reichsstatthalter, d’après lequel, entre autres choses, il était stipulé qu’à dater du 13 septembre précédent, les biens des anciennes personnes morales de l’Église catholique romaine se trouveraient transférés à la “Römischen Katholischen Kirche deutscher Nationalität im Reichsgau Wartheland” dans la mesure où, à la demande des “Religionsgesellschaft” ci-dessus mentionnées, ces biens seraient reconnus par le Reichsstatthalter comme biens non polonais. En vertu de ce décret, presque tous les biens de l’Église catholique dans le Warthegau furent pratiquement perdus. »
Je passe maintenant à la page 7, deuxième paragraphe :
« Si nous passons du Warthegau aux autres territoires de l’Est, nous trouvons malheureusement là-bas aussi des actes et des mesures contre les droits de l’Église et des fidèles catholiques, qui par leur gravité et leur étendue varient d’une région à l’autre.
« Dans les provinces qui furent déclarées annexées au Reich allemand et réunies aux Gaue de Prusse Orientale, de Dantzig-Prusse occidentale et de Haute-Silésie, la situation est très semblable à celle décrite ci-dessus, que ce soit au sujet des séminaires, de l’utilisation de la langue maternelle polonaise dans les fonctions sacrées, des œuvres charitables, des associations d’action catholique, ou de la séparation des fidèles d’après leur nationalité. Là aussi, il faut déplorer la fermeture des églises au culte public, l’exil, la déportation et la mort violente de beaucoup de membres du clergé, qui fut réduit de deux tiers dans le diocèse de Culma et d’au moins un tiers dans le diocèse de Katowice, la suppression de l’instruction religieuse dans les écoles, et par-dessus tout, la suppression pratiquement complète de l’épiscopat. De fait, après que l’évêque de Culma, qui s’était absenté pendant les opérations militaires, se fût vu refuser l’autorisation de rentrer dans son diocèse, survint, en février 1941, l’expulsion de l’évêque de Plock et de son coadjuteur, qui moururent tous deux plus tard en captivité ; l’évêque, Mgr Julian Anthony Nowowiejski, vénérable octogénaire, mourut le 28 mai 1941, et son coadjuteur, Mgr Leo Wetmanski, dans un camp de transit, le 10 octobre de la même année.
« Dans le territoire appelé Gouvernement Général, de même que dans les provinces polonaises qui ont été occupées par les troupes soviétiques entre septembre 1939 et juin 1941, la situation religieuse est propre à causer au Saint-Siège une vive appréhension et de graves préoccupations. Sans s’arrêter à décrire le traitement réservé dans de nombreux cas au clergé, prêtres emprisonnés, déportés et même mis à mort, la confiscation des biens ecclésiastiques, la fermeture des églises, la suppression d’associations et de publications d’un caractère purement et simplement religieux, la fermeture des écoles secondaires et supérieures catholiques, ainsi que de l’université catholique de Lublin, qu’il suffise de rappeler deux séries de mesures exceptionnellement graves : celles qui affectent les séminaires et celles qui pèsent sur l’épiscopat.
« Quand les bâtiments des différents séminaires furent entièrement ou partiellement occupés, on eut l’intention pendant quelque temps, de novembre 1940 à février 1941, de réduire ces institutions destinées à la préparation des prêtres au nombre de deux : celles de Cracovie et de Sandomir ; puis les autres furent autorisées à rouvrir, mais seulement à condition qu’aucun nouvel étudiant n’y fût admis, ce qui en fait signifiait inévitablement la fermeture à bref délai de ces institutions. »
Je saute ici un paragraphe.
« On a fait mention plusieurs fois d’ecclésiastiques déportés ou internés dans des camps de concentration. La plus grande partie d’entre eux fut transférée dans “l’Altreich”, où leur nombre dépasse déjà un millier. »
Qu’était « l’Altreich » ?
« L’Altreich » est l’ancien Reich allemand.
Bien.
« Quand le Saint-Siège demanda qu’ils fussent libérés et qu’on leur permît d’émigrer vers les pays neutres d’Europe ou d’Amérique, en 1940, la requête fut repoussée ; on promit seulement de les réunir tous dans le camp de concentration de Dachau, de les dispenser des travaux trop pénibles et de permettre à certains de dire la messe que les autres pourraient entendre.
« Le traitement des ecclésiastiques internés à Dachau, qui, pendant un certain temps, en 1941, fut en fait quelque peu adouci, s’aggrava de nouveau vers la fin de la même année. Particulièrement pénibles furent les nouvelles qui, pendant plusieurs mois, en 1942, parvinrent de ce camp : on apprenait fréquemment le décès de prêtres et même de tout jeunes prêtres qui se trouvaient parmi eux. »
Je passe deux paragraphes.
« Les catholiques polonais n’ont pas le droit de se marier sur le territoire de “l’Altreich” ; de même, les requêtes pour l’instruction religieuse ou pour la préparation à la confession ou à la Sainte Communion des enfants de ces ouvriers sont, en principe, rejetées. »
Le sort réservé aux plaintes – même à celles du Vatican – au sujet des affaires religieuses dans les territoires envahis est révélé dans le document PS-3266 que je dépose comme preuve sous le nº USA-573. C’est une lettre du cardinal-archevêque de Breslau au secrétaire d’État pontifical, datée du 7 décembre 1942. Cette lettre qui porte un certificat d’authenticité du Vatican, analogue à ceux que nous avons déjà lus, fait porter sur la Chancellerie du Parti la responsabilité d’avoir orienté la politique et exercé l’autorité suprême en matière religieuse dans les territoires occupés. Je cite, à la première page, le premier paragraphe de cette lettre et je rappelle au Tribunal que l’accusé Bormann était à ce moment, chef de la Chancellerie du Parti, et que l’accusé Kaltenbrunner était chef du Reichssicherheitshauptamt (RSHA). Je cite le document PS-3266, en commençant à la sixième ligne :
« À propos des torts causés à l’Église, j’ai protesté contre les plus graves, non seulement à l’occasion de chaque incident particulier, mais aussi dans une protestation formelle “in globo” que j’ai soulevée à leur sujet et que j’ai envoyée, en ma qualité de porte-parole de la hiérarchie, au Chef suprême de l’État et aux ministères du Reich, le 10 décembre 1941. Nous n’avons pas reçu un seul mot de réponse.
« Votre Éminence sait très bien que la plus grande difficulté que nous rencontrons dans l’ouverture de négociations provient de l’autorité prépondérante que la Chancellerie du parti national-socialiste exerce sur la Chancellerie du Reich et sur chacun des ministères du Reich. Cette “Partei-Kanzlei” dirige la marche à suivre de l’État, tandis que les ministères et la Chancellerie du Reich sont contraints et forcés d’adapter leurs décisions à ses directives. En outre, il y a le fait que le service principal de Sécurité du Reich, appelé le “Reichssicherheitshauptamt”, jouit d’une autorité qui écarte toute action légale et tout appel. Au-dessous de lui se trouvent les services secrets de la Sécurité publique, appelés “Geheime Staatspolizei”, que l’on abrège habituellement sous le nom de Gestapo et dont il en existe un par province. Contre les décisions de ce service principal et des services secrets, il n’y a aucun appel judiciaire possible, et aucune plainte déposée aux ministères n’est suivie d’effet. Les conseillers des ministères laissent souvent entendre qu’ils n’ont pas pu faire ce qu’ils auraient souhaité à cause de l’opposition de ces services du Parti. S’agissant du pouvoir d’exécution, l’organisation appelée SS, c’est-à-dire les “Schutzstaffeln der Partei”, est en fait souveraine.
« Dans quelques affaires fondamentales et très graves, nous avons présenté nos plaintes au Führer, chef suprême du Reich. Il n’y a pas été répondu ou bien la réponse émane manifestement de la Chancellerie du Parti ci-dessus mentionnée, qui ne se considère pas comme liée par le Concordat passé avec le Saint-Siège. »
Je dépose maintenant comme preuve le document PS-3279 (USA-574). C’est un extrait du chef d’accusation nº 17 relevé contre l’accusé Hans Frank, Gouverneur Général de Pologne, intitulé « Mauvais traitements et persécutions du clergé catholique dans les provinces de l’Ouest », établi par le Gouvernement polonais aux termes de l’article 21 de l’accord des quatre Puissances du 8 août 1945. Il donne des chiffres complémentaires indiquant l’étendue de la persécution des prêtres. Je cite :
« L’extrait ci-joint qui traite des conditions générales et des résultats de la persécution, est emprunté au texte du chef d’accusation nº 17, page 5, paragraphe IV, porté par le Gouvernement polonais contre les accusés désignés à l’Acte d’accusation devant le Tribunal Militaire International ; ce chef traite des “Mauvais traitements et persécutions à l’adresse du clergé catholique dans les Provinces occidentales annexées de Pologne”. C’est une fidèle traduction anglaise de l’original en polonais. Il est présenté devant le Tribunal Militaire International, en conformité avec les termes de l’article 21 du Statut de ce Tribunal. Signé : Dr Tadeusz Cyprian, délégué adjoint polonais à la Commission des Nations Unies pour les crimes de guerre à Londres, signant au nom du Gouvernement polonais et de la Commission principale pour la recherche des crimes de guerre allemands en Pologne, dont le sceau est apposé ci-dessous. »
Je ne crois pas que vous ayez besoin de lire des certificats de ce genre.
C’est le seul que je possède, Monsieur le Président. Je cite maintenant :
« Conditions générales et résultats de la persécution :
« 11. La situation générale du clergé dans l’archidiocèse de Poznan, au début d’avril 1940, est résumée dans les termes suivants, écrits par le cardinal Hlond dans son second rapport :
« Cinq prêtres fusillés ; 27 prêtres enfermés dans des camps de concentration, au Struthof et dans d’autres camps ; 190 prêtres en prison ou en camps de concentration à Bruczkow, Chludowo, Goruszki, Kazimierz, Biskupi, Lad, Lublin et Puszczykowo ; 35 prêtres gravement malades par suite de mauvais traitements ; 122 paroisses laissées entièrement sans prêtres.
« 12. Dans le diocèse de Chelmno, 650 prêtres environ étaient installés avant la guerre, 3 % seulement d’entre eux furent autorisés à rester, les autres 97 % furent emprisonnés, exécutés ou mis en camps de concentration.
« 13. Vers janvier 1941, environ 700 prêtres avaient été tués ; 3.000 étaient en prison ou en camps de concentration. »
Je me réfère également au document PS-3268 (a) (USA-356) ; c’est un extrait d’une allocution prononcée par le pape Pie XII devant le Sacré Collège, le 2 juin 1945 ; ce document a déjà été déposé et on en a lu de larges extraits. Je n’en ferai aucune nouvelle citation. Il donne quelques chiffres très révélateurs au sujet des prêtres et des frères convers enfermés au camp de concentration de Dachau. Le Tribunal se rappellera que la lecture antérieure de ce document lui a révélé que rien qu’à Dachau, 2.000 prêtres ou ecclésiastiques ont été emprisonnés, de 1940 à 1945 ; il n’en reste qu’environ 800 : les autres étaient morts en avril 1945, y compris un évêque auxiliaire. Ce document présente un résumé frappant des principales étapes du combat mené par les conspirateurs nazis contre l’Église catholique.
Pour conclure, le Ministère Public affirme que les preuves présentées devant le Tribunal démontrent que la tentative de suppression des Églises chrétiennes en Allemagne, en Autriche, en Tchécoslovaquie et en Pologne faisait partie intégrante de la conspiration ourdie par les accusés pour éliminer l’opposition intérieure et, sous d’autres rapports, pour préparer et conduire une guerre d’agression : elle révéla la même forme de conspiration que leurs autres crimes de guerre et crimes contre l’Humanité.
Plaise au Tribunal. Avant de présenter individuellement le cas de chaque accusé, le commandant Jones, à la suite d’un accord avec nos collègues britanniques, fera un court exposé, intitulé « L’agression, idée fondamentale nazie ».
Plaise au Tribunal. La tâche m’incombe maintenant d’attirer l’attention du Tribunal sur un document qui est devenu la profession de foi de ces accusés. Je veux parler de Mein Kampf de Hitler. Il est peut-être opportun d’aborder ce sujet à cette phase des débats, juste avant que le Ministère Public ne produise devant le Tribunal les preuves relevées contre chacun des accusés sous les chefs d’accusation 1 et 2, car ce livre Mein Kampf donna aux accusés une connaissance préalable suffisante des buts illégaux du chef nazi. Ce ne fut pas seulement le testament politique de Hitler ; par adoption, il devint le leur.
On peut considérer Mein Kampf comme l’esquisse de l’agression nazie. Sa teneur et son contenu tout entiers appuient la thèse du Ministère Public, selon laquelle la poursuite par les nazis des desseins agressifs ne fut pas un simple accident consécutif à la situation politique immédiate, telle qu’elle se présenta en Europe et dans le monde, durant la période où les nazis détinrent le pouvoir. Mein Kampf établit sans équivoque que l’utilisation de la guerre d’agression pour servir leurs buts en politique étrangère faisait partie du credo même du parti nazi.
Un grand philosophe allemand a dit : « Les idées ont des mains et des pieds ». De propos délibéré, les accusés devaient faire en sorte que les idées, les doctrines et la politique de Mein Kampf constituassent désormais un article de foi important et un guide d’action pour la nation allemande, et particulièrement pour sa malléable jeunesse. Comme mes collègues américains l’ont déjà exposé devant le Tribunal, de 1933 à 1939, les idées de Mein Kampf furent l’objet d’une propagation intensive tant dans les écoles et universités d’Allemagne, que dans la Jeunesse hitlérienne, sous la direction de l’accusé Baldur von Schirach, chez les SA et SS et parmi l’ensemble du peuple allemand, par les services de l’accusé Rosenberg. Une copie de Mein Kampf était officiellement donnée à tous les nouveaux couples d’Allemands, et je présente maintenant au Tribunal un exemplaire de ce cadeau de mariage offert par les nazis aux jeunes mariés d’Allemagne ; pour les exigences du procès-verbal, ce sera la pièce GB-128. Le Tribunal verra que la dédicace apposée sur la page de garde de cet exemplaire se lit : « Au couple nouvellement uni, Friedrich Rosebrock et Else née Zum Beck, avec les meilleurs vœux pour un mariage heureux et fécond. Offert par le Conseil municipal à l’occasion de leur mariage, le 14 novembre 1940. Pour le maire, l’officier d’état-civil ». Le Tribunal verra au bas de la page qui fait face à la table des matières, que cette édition de Mein Kampf qui fut l’édition de 1940, fut tirée à 6.250.000 exemplaires. Ce fait montre l’échelle sur laquelle se fit la diffusion de ce livre. On l’avait appelé par blasphème : « La Bible du peuple allemand ». Les efforts des accusés et de leurs complices eurent pour résultat que ce livre empoisonna une génération et déforma la vision de tout un peuple. Comme le général des SS von Dem Bach Zelewsky l’indiquait hier, si vous prêchez pendant dix longues années que les peuples slaves constituent une race inférieure et que les Juifs sont des sous-hommes, il s’ensuivra logiquement qu’on acceptera comme un phénomène naturel le fait de tuer des millions de ces êtres humains. De Mein Kampf, le chemin conduit directement aux fournaises d’Auschwitz et aux chambres à gaz de Maidanek.
Je vais essayer de montrer au Tribunal en quoi consistaient les commandements de Mein Kampf, en citant des passages dont des extraits sont maintenant, je crois, sous les yeux du Tribunal. Ils sont rangés dans l’ordre dans lequel, avec la permission du Tribunal, je compte m’y référer.
Ces extraits se classent en deux catégories principales. La première renferme l’expression générale de la croyance de Hitler en la nécessité de la force comme moyen de résoudre les questions internationales. La deuxième catégorie contient les déclarations plus explicites de Hitler sur la politique à suivre par l’Allemagne. La plupart des citations de la deuxième catégorie proviennent des trois derniers chapitres, 13, 14 et 15 de la deuxième partie de Mein Kampf, dans laquelle sont exposées les vues de Hitler sur la politique étrangère. Le Tribunal comprendra la signification de ce fait, s’il consulte l’édition allemande de Mein Kampf. Il verra que la deuxième partie de Mein Kampf fut publiée pour la première fois en 1927, c’est-à-dire moins de deux ans après le Pacte de Locarno et dans les quelques mois qui suivirent l’entrée de l’Allemagne dans la Société des Nations. La date de la publication de ces passages les fait, par conséquent, considérer comme une répudiation de la politique de coopération internationale entreprise par Stresemann et comme un défi délibéré à la tentative d’instaurer, par le moyen de la Société des Nations, la règle de droit dans les relations internationales.
Je présente d’abord au Tribunal quelques citations, montrant les vues d’ensemble soutenues par Hitler, adoptées et propagées par les accusés, sur la guerre et l’agression en général. Voici la première citation, page 556 de Mein Kampf :
« Le sol sur lequel nous vivons maintenant ne fut pas un cadeau fait par le ciel à nos ancêtres. Ils ont dû le conquérir en risquant leurs vies. Ainsi, à l’avenir, notre peuple n’obtiendra pas de territoire, et par conséquent de moyens d’existence de la faveur de quelque autre peuple, mais il devra les gagner par la puissance d’une épée victorieuse. »
À la page 145, Hitler révéla son attitude personnelle vis-à-vis de la guerre. Des années de paix précédant 1914 il écrit :
« J’avais donc pris l’habitude de considérer comme un coup immérité du mauvais destin le fait d’être arrivé trop tard sur ce globe terrestre et j’étais très contrarié à l’idée que ma vie devrait se dérouler suivant un cours pacifique et ordonné. Étant enfant, j’étais tout, sauf un pacifiste, et toutes les tentatives pour m’amener à le devenir furent inutiles. » Hitler s’exprimait généralement sur la guerre en ces termes. Page 162 nous trouvons :
« En ce qui concerne le rôle joué par les sentiments humains, Moltke disait qu’en temps de guerre l’essentiel est d’obtenir une décision aussi rapidement que possible et que les méthodes de combat les plus cruelles sont en même temps les plus humaines. Quand des gens essaient de répliquer à ce raisonnement par des considérations grandiloquentes sur l’esthétique, etc., il n’y a qu’une seule réponse à donner : c’est que les questions vitales en jeu dans la lutte d’une nation pour son existence ne doivent être subordonnées à aucune considération esthétique. »
Le Ministère Public prouvera au cours de ces débats avec quelle fidélité les accusés ont suivi ces préceptes de cruauté.
Le postulat de Hitler de la loi inévitable de la lutte pour la vie s’allie au chapitre 11 du premier livre de Mein Kampf, à la doctrine de la supériorité des Aryens sur les autres races, et au droit des Allemands, en vertu de cette supériorité, de dominer et d’exploiter les autres peuples pour réaliser leurs propres fins. Tout le chapitre 11 de Mein Kampf est consacré à cette théorie de la race des seigneurs, et en vérité, nombre de discours postérieurs de Hitler, de ses adresses à ses généraux, etc., ne furent que la répétition du chapitre 11.
Si le Tribunal veut bien se reporter à l’extrait de la page 256, il pourra lire :
« S’il ne leur avait pas été possible d’utiliser les éléments des races inférieures qu’ils avaient soumises, les Aryens n’auraient jamais été à même de faire les premiers pas sur la route qui les conduisit à un stade de civilisation plus évolué, de même que, sans l’aide de certains animaux appropriés qu’ils purent apprivoiser, ils ne seraient jamais parvenus à découvrir la puissance mécanique qui leur a permis par la suite de se passer de ces animaux.
« Les membres des races inférieures constituèrent l’une des conditions préalables les plus essentielles à la création de types supérieurs de civilisation. »
Et, plus loin, dans un autre passage de Mein Kampf, à la page 344, Hitler fait application de ces idées générales à l’Allemagne :
« Si au cours de son développement historique, le peuple allemand avait joui de l’unité de l’instinct grégaire dont d’autres peuples ont tiré tant de profit, le Reich allemand serait sans doute en ce moment le maître de la terre. L’histoire du monde aurait pris un autre cours, et dans ce cas, aucun homme ne peut dire si ce que les pacifistes aveugles espèrent atteindre par des pétitions, des gémissements et des pleurs, n’aurait pu être obtenu dans cette voie : à savoir une paix qui ne serait pas fondée sur le fait de brandir des rameaux d’olivier ou sur des marchandages sordides et larmoyants de vieilles femmes pacifistes, mais une paix qui serait garantie par l’épée victorieuse d’un peuple doué de la puissance de dominer le monde et de l’administrer au service d’une civilisation supérieure. »
Dans ces extraits que je viens de citer, le Tribunal aura remarqué l’amour de Hitler pour la guerre, et son mépris pour ceux qu’il appelait les pacifistes. Le message fondamental de l’ensemble du livre, qui reparaît à chaque instant, est en premier lieu que la lutte pour l’existence nécessite l’organisation et l’usage de la force, en second lieu que l’Aryen allemand est supérieur aux autres races et a le droit de les subjuguer et de les régir, en troisième lieu que toutes les doctrines qui prêchent la solution pacifique des problèmes internationaux représentent une désastreuse faiblesse de la part de la nation qui les adopte.
Implicite dans l’ensemble de ce raisonnement se rencontre une négation catégorique et arrogante de toute possibilité d’existence de la règle de droit dans les relations internationales. C’est à la lumière des doctrines d’ensemble de Mein Kampf que j’invite le Tribunal à considérer les passages plus précis dans lesquels Hitler traite des problèmes spécifiques de la politique étrangère allemande. Les toutes premières pages du livre contiennent un remarquable aperçu d’avenir de la politique nazie. Je lis page 1, colonne 1 :
« L’Autriche allemande doit être rendue à la grande Patrie allemande ; et cela, en vérité, ne doit pas se faire pour un quelconque motif de caractère économique. Même si l’union était une question sans incidence économique, et même si elle devait être désavantageuse de ce point de vue, il faudrait cependant la réaliser. Les gens du même sang devraient être réunis dans le même Reich. Le peuple allemand n’a pas le droit de s’engager dans une politique coloniale, tant qu’il n’aura pas rassemblé tous ses enfants en un seul État. Quand le territoire du Reich comprendra tous les Allemands et se révélera incapable de leur assurer leur subsistance, à ce moment seulement pourra surgir, né des besoins du peuple, le droit moral d’acquérir des territoires étrangers. La charrue sera alors l’épée ; et les larmes de la guerre produiront le pain quotidien des générations à venir. »
Hitler, dans ce livre, déclare aussi franchement que le retour pur et simple aux frontières allemandes de 1914, serait totalement insuffisant pour ses desseins. À la page 553, il écrit :
« En ce qui concerne ce sujet, j’aimerais faire la déclaration suivante : demander le rétablissement des frontières de 1914 est une absurdité politique criante, chargée de conséquences susceptibles de faire apparaître la demande elle-même comme criminelle. Les limites du Reich telles qu’elles étaient tracées en 1914 étaient complètement illogiques parce qu’elles n’étaient pas vraiment satisfaisantes, du point de vue du rassemblement de tous les membres de la nation allemande. Elles n’étaient pas raisonnables non plus sous l’angle des exigences géographiques de la défense militaire. Elles n’étaient pas les conséquences d’un plan politique bien étudié et bien exécuté ; c’étaient des frontières temporaires établies à la suite d’une lutte politique qui n’avait pas été menée à son terme ; en vérité, elles étaient en partie le résultat hasardeux des circonstances. »
En poussant plus avant l’élaboration de la politique nazie, Hitler ne fait pas que dénoncer le Traité de Versailles ; il désire voir l’Allemagne puissance mondiale, dotée de territoires suffisants pour un futur peuple allemand, dont il ne définit pas la grandeur. Dans la citation suivante, à la page 554, on lit à la première phrase : « Pour l’avenir de la nation allemande, les frontières de 1914 n’ont aucune signification ». Et dans le troisième paragraphe le Tribunal peut voir :
« Nous, nationaux-socialistes, devons nous attacher fermement au but que nous avons fixé à notre politique étrangère, c’est-à-dire assurer au peuple allemand l’espace territorial nécessaire à son existence sur cette terre. Et ce n’est que pour une telle action, entreprise dans un tel dessein, qu’il peut être légitime aux yeux de Dieu et de notre postérité allemande de laisser encore une fois verser le sang de notre peuple ; aux yeux de Dieu, parce que nous sommes envoyés en ce monde avec la mission de lutter pour notre pain quotidien, comme des créatures à qui rien n’a été donné et qui doivent être capables d’établir et de maintenir leur position de seigneurs de la terre rien que par leur intelligence et par leur courage.
« Et cette justification doit également être faite devant notre postérité allemande, pour cette raison que pour chaque homme qui verse son sang, mille autres auront la vie assurée dans l’avenir. Le territoire sur lequel nos paysans allemands pourront un jour élever et nourrir leurs fils robustes, justifiera le sang des fils de paysans qui doit être versé aujourd’hui. Et les hommes d’État qui ont décidé ce sacrifice peuvent être persécutés par leurs contemporains, mais la postérité les absoudra pleinement d’avoir exigé cette offrande de leur peuple. »
Dans un autre passage, Hitler écrit à la page 557 :
« L’Allemagne sera une puissance mondiale ou ne sera pas. Mais pour devenir une puissance mondiale, elle a besoin d’un espace territorial qui lui donne dès aujourd’hui l’importance nécessaire, et assure l’existence de ses citoyens. »
Et finalement, il écrit :
« Nous devons régler notre position d’après les principes que j’ai déjà exposés sur la politique étrangère, c’est-à-dire en se basant sur la nécessité d’amener notre espace territorial à des proportions correspondant suffisamment au chiffre de notre population. Du passé, nous n’avons qu’une leçon à retenir, c’est que le but à poursuivre dans la conduite de notre politique doit être double : 1º L’Acquisition de territoires comme objectif de notre politique étrangère, 2º L’établissement d’un ordre nouveau et uniforme comme objectif de notre politique étrangère, en conformité avec notre doctrine du nationalisme. »
Ces passages de Mein Kampf soulèvent la question de savoir où Hitler espérait trouver un territoire étendu au-delà des frontières de l’Allemagne de 1914. La réponse de Hitler à cette question est suffisamment claire. Passant en revue l’histoire de l’Empire allemand de 1871 à 1918, il écrivait, dans un des premiers passages de Mein Kampf, à la page 132 :
« Donc, la seule possibilité qu’avait l’Allemagne de mener à bien une saine politique territoriale était d’acquérir des territoires en Europe même. Des colonies ne peuvent répondre à ce but dès l’instant qu’elles ne sont pas propices à l’installation en masse des Européens. Au XIXe siècle, il n’était plus possible d’acquérir de telles colonies par des moyens pacifiques. C’est pourquoi toute tentative d’expansion coloniale de ce genre aurait entraîné un immense conflit armé. En conséquence, il aurait été plus logique d’entreprendre ce conflit armé pour de nouveaux territoires en Europe, plutôt que de faire la guerre pour l’acquisition de possessions d’outre-mer. Une telle décision exigeait évidemment que les énergies coalisées de la nation y fussent consacrées. Une politique de ce genre, qui demande pour sa réalisation chaque parcelle d’énergie disponible de la part de chacun, ne peut être menée à bien par des demi-mesures ou d’une manière hésitante. La politique de l’Empire allemand aurait donc dû être uniquement orientée vers ce but. Aucune mesure politique n’aurait dû être prise, en vue d’une autre considération que cette tâche et les moyens de l’accomplir. L’Allemagne aurait dû avoir présent à l’esprit le fait qu’un tel but n’aurait pu être atteint que par la guerre, et la perspective d’une guerre aurait dû être envisagée avec calme, réflexion et détermination. Tout le système des alliances aurait dû être envisagé et apprécié de ce point de vue. »
Et voici maintenant la phrase capitale :
« S’il eût fallu acquérir de nouveaux territoires en Europe, c’eût été principalement aux dépens de la Russie, et de nouveau, le nouvel Empire allemand aurait repris sa marche sur la même route qui fut foulée dans le passé par les chevaliers teutoniques, mais cette fois pour obtenir un sol pour la charrue allemande et par l’épée allemande, et pour assurer ainsi le pain quotidien de la Nation. »
Hitler revint encore sur ce programme d’expansion à l’Est, à la fin de Mein Kampf. Après avoir discuté de l’insuffisance des frontières allemandes d’avant-guerre, il montre à nouveau la route de l’Est et déclare que le « Drang nach Osten », la poussée vers l’Est, doit être reprise ; et il écrit :
« En conséquence, nous, nationaux-socialistes, avons délibérément tiré un trait sur la ligne de conduite suivie par l’Allemagne d’avant-guerre en politique étrangère. Nous mettons fin à la marche perpétuelle de l’Allemagne vers le Sud et l’Ouest de l’Europe, et tournons nos regards vers les terres de l’Est. Nous mettons un point final à la politique coloniale et commerciale d’avant-guerre et nous passons à la politique territoriale de l’avenir. Mais lorsque nous parlons aujourd’hui de nouveaux territoires en Europe, il nous faut penser principalement à la Russie et aux états vassaux limitrophes. »
Hitler était assez subtil pour voir que ses plans d’agression à l’Est pouvaient être compromis par une alliance défensive entre la Russie, la France et l’Angleterre. Sa politique étrangère, telle qu’elle est esquissée dans Mein Kampf, consista à détacher l’Angleterre et l’Italie de la France et de la Russie, et de transformer l’attitude de l’Allemagne envers la France, de défensive en offensive.
La dernière citation de Mein Kampf provient de la page 570 :
« Tant que le conflit étemel entre la France et l’Allemagne ne se présentera que sous la forme d’une défense allemande contre l’attaque française, ce conflit ne pourra jamais se terminer de façon décisive, et de siècle en siècle l’Allemagne perdra ses positions l’une après l’autre. Si nous étudions les changements qui se sont produits depuis le XIIe siècle jusqu’à nos jours, à l’intérieur des frontières de langue allemande, nous ne pouvons guère espérer qu’une réussite puisse provenir de l’acceptation et du développement d’une ligne de conduite qui n’a cessé jusqu’ici de nous être préjudiciable. Ce n’est que lorsque les Allemands en auront pleinement pris conscience qu’ils cesseront de permettre à la volonté de vivre de la nation, de s’user dans une défense simplement passive et qu’ils se rassembleront pour un dernier combat décisif contre la France. Et dans cette lutte, c’est l’objectif essentiel de la nation allemande qui sera l’enjeu. Ce n’est qu’alors qu’il sera possible de mettre fin à l’éternel conflit franco-allemand qui s’est jusqu’ici révélé tellement stérile.
« Naturellement il faut présumer ici que l’Allemagne ne voit dans la suppression de la France rien de plus qu’un moyen de rendre possible à notre peuple son expansion définitive dans une autre direction. Aujourd’hui, il y a 80.000.000 d’Allemands en Europe. Et notre politique étrangère ne sera jugée comme bien conduite que lorsque après cent ans environ, il y aura 250.000.000 d’Allemands vivant sur ce continent ; non pas entassés les uns sur les autres, comme les coolies dans les usines d’un autre continent, mais en qualité de cultivateurs et d’ouvriers dont le travail constituera une assurance mutuelle pour leur existence. »
J’affirme donc, tout à fait indépendamment des preuves déjà soumises au Tribunal, que Mein Kampf, considéré conjointement avec les faits qui caractérisèrent la conduite ultérieure de l’Allemagne nazie envers les autres pays, constitue la preuve que, dès qu’ils eurent pris le pouvoir et même bien auparavant, Hitler et ses complices, les accusés actuels, s’engagèrent dans la conception et la préparation de guerres d’agression, ainsi qu’il est retenu contre eux à l’Acte d’accusation.
Les événements ont prouvé, dans le sang et la misère de millions d’hommes, de femmes et d’enfants, que Mein Kampf n’était pas un exercice littéraire susceptible d’être traité avec légèreté et indifférence, comme il le fut malheureusement avant-guerre, par ceux qu’il mettait en péril, mais que c’était l’expression d’une foi fanatique en la force et le mensonge comme instruments de la domination nazie en Europe, sinon dans le monde entier. Le Ministère Public affirme que, en acceptant et en propageant la philosophie de la jungle contenue dans Mein Kampf, les complices nazis qui sont accusés ici ont délibérément poussé notre civilisation vers le précipice de la guerre.
L’audience sera suspendue pendant dix minutes.
Plaise au Tribunal. La phase suivante des débats portera sur la présentation des imputations individuelles contre chaque accusé sous les chefs d’accusation 1 et 2. Avant de commencer, les Procureurs Généraux américain et britannique désirent, avec la permission du Tribunal, éclaircir parfaitement quatre points :
L’objet de cette partie des débats consiste à réunir au profit, d’abord, des membres du Tribunal et ensuite, des avocats intéressés, les preuves déposées contre chaque accusé, sous les chefs d’accusation 1 et 2 par les délégations américaine et britannique. Sans cela il serait à craindre que, parmi les nombreux documents déjà déposés, on laisse échapper des pièces intéressantes que le Tribunal aurait désiré consulter et auxquelles les accusés pourraient vouloir répondre. Ce qui ne veut pas dire que les charges accumulées contre ces accusés soient en aucune manière épuisées. Il reste à traiter certaines parties d’une importance capitale sur les atrocités commises, les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité. Les preuves relatives à ceux-ci seront présentées sous peu par les Délégations française et soviétique, et lorsque la documentation massive qui a trait à ces crimes aura été déposée devant le Tribunal, les Délégations française et soviétique auront toute latitude pour les imputer à chacun des accusés.
Le désir de tous les Procureurs Généraux a été de classer les preuves d’une façon aussi claire que possible sous les chefs d’accusation respectifs. Les documents déposés n’ont cependant pas été rédigés en vue de ce Procès, et par conséquent beaucoup d’entre eux traitent de crimes qui se rapportent à plus d’un chef d’accusation ; c’est pour cette seule raison qu’il existe certains chevauchements et certaines répétitions.
De même, il peut se produire qu’au cours des exposés français et soviétique, des documents se révèlent avoir trait au plan concerté ou au déclenchement des guerres d’agression ou à toute matière en relation avec les chefs d’accusation 1 et 2. Les Délégations américaine et britannique accueilleront avec plaisir tout supplément de preuve relatif à ces deux parties de l’exposé qui pourrait émaner de ces documents et seront heureuses de recevoir un tel soutien de leurs collègues français et soviétiques.
Après cette mise au point, et je suis très reconnaissant au Tribunal de m’avoir autorisé à la faire, je laisse la parole à mon ami M. Albrecht qui va commencer cette partie de l’exposé.
Au cours de son exposé sur la persécution de l’Église catholique dans les territoires de l’Est, le colonel Wheeler a cité le nom de l’accusé Rosenberg, ministre du Reich pour ces territoires occupés, et l’a déclaré responsable. Je n’ai cependant trouvé ni dans les paroles du représentant du Ministère Public, ni dans le livre de documents, une preuve qu’une telle persécution de l’Église ait eu lieu dans les territoires administrés par Rosenberg. Je désirerais plutôt attirer l’attention du Tribunal sur le document PS-1517 qui contient une note signée par Rosenberg au sujet d’un entretien traitant des problèmes de l’Est. Ce document contient la déclaration suivante faite par Rosenberg : « Le Führer accepte l’édit de tolérance de Rosenberg. »
Dois-je comprendre que vous présentez en ce moment une requête ?
Je demande au Ministère Public d’étoffer, si possible, son accusation contre Rosenberg.
Voulez-vous dire que ce document PS-1517 n’a pas encore été déposé ou que voulez-vous dire ?
À ma connaissance, ce document a déjà été produit quand a été évoquée l’opinion de Hitler selon laquelle il voulait donner une solution radicale au problème de la Crimée. Mais, dans ma présente requête, je ne m’occupe que de la déclaration du Ministère Public, aux termes de laquelle des persécutions dirigées contre l’Église auraient eu lieu dans le Gouvernement Général de Pologne, dans le Warthegau et les territoires de l’Est, ainsi que dans les régions administrées par l’accusé Rosenberg. Le Ministère Public a présenté des preuves sur les trois premiers points, mais je n’en ai point remarqué qui se rapportât au quatrième point, ni dans le livre de documents, ni dans la présentation qu’en a faite le représentant du Ministère Public.
Très bien, mais il faut que vous compreniez que le Tribunal, à cette phase des débats, n’accepte pas tout ce qui a été dit par le Ministère Public. Vous aurez toute latitude, lorsque vous présenterez la défense de l’accusé Rosenberg, de fournir tous les documents adéquats, de commenter tous ceux qui ont pu être cités par le Ministère Public et de soulever toutes les objections que vous estimerez nécessaires, mais ce n’est pas le moment de faire état de tels arguments. Nous en sommes encore à l’exposé du Ministère Public, et vous aurez toute possibilité de parler ultérieurement. Comprenez-vous ?
Je prie alors le Tribunal de considérer mon intervention comme une simple déclaration.
C’est entendu ; mais il n’est pas opportun qu’un avocat intervienne par des déclarations de ce genre, sinon chaque avocat pourrait à tout moment en faire autant. C’est pourquoi nous vous demandons de réserver ces déclarations pour le moment où vous aurez à répondre à l’exposé du Ministère Public.
Plaise au Tribunal. J’ai été chargé par le Procureur Général américain, de dégager sur la base des preuves déjà admises et des documents supplémentaires qui seront déposés, la responsabilité individuelle de certains de ces accusés, pour les crimes visés aux chefs d’accusation nos 1 et 2.
Lorsque ces accusés décidèrent d’abandonner tout ce qui avait été reconnu bon dans la vie allemande et se lancèrent dans l’entreprise de réalisation des buts du Parti, nous affirmons qu’ils savaient bien ce que représentait le national-socialisme. Ils avaient connaissance du programme affiché du parti nazi et de ses méthodes. Le programme officiel de la NSDAP, avec ses vingt-cinq points, était de notoriété publique. Annoncé et publié à travers le monde en 1920, il fut édité, réédité et cité tout au cours de ces années. Les nazis ne firent pas mystère de leurs intentions de faire du programme du Parti la loi fondamentale de l’État allemand, comme ils ne firent en général aucun mystère d’aucune de leurs intentions. « Mein Kampf », produit du cerveau perverti du Führer, était à la portée de tous. Il y avait aussi les écrits et discours prolixes de nombre d’autres chefs qui s’élevèrent à des situations éminentes et dont certains ne se trouvent pas aujourd’hui au banc des accusés. Hitler lui-même avait proclamé que les nazis utiliseraient la force, si c’était nécessaire, pour atteindre leurs buts.
Parmi ces conspirateurs, certains, tels les accusés Hess, Rosenberg et Göring, s’étaient associés à Hitler dès le début même de la conspiration. Ces hommes faisaient partie du cercle des initiateurs du complot. Ce sont eux qui, par la suite, imposèrent le rythme et façonnèrent le moule pour l’avenir. Mais il y eut aussi d’autres conspirateurs, (la majorité des accusés de ce box se trouve dans cette catégorie) qui, volontairement, entrèrent plus tard dans le complot.
On peut peut-être dire, de ces hommes, qu’ils sont cruels, insensibles ou inhumains ; on ne peut certainement pas les accuser de lourdeur ou de stupidité. Ils connaissent et avaient eu l’occasion d’observer les manifestations de la violence nazie et des méthodes nazies à mesure que s’étendait l’ombre de la croix gammée. Ils connaissaient la nature de la voie dans laquelle ils s’engageaient. C’est pourquoi il faut présumer qu’ils ont eu le désir d’adhérer (ainsi qu’ils le firent) volontairement et nous affirmons donc qu’on ne peut valablement prétendre qu’ils n’ont pas pénétré les yeux ouverts et sciemment dans le courant du complot, au moment où il prenait de la vitesse et se transformait en un torrent impétueux.
Le Tribunal a déjà jugé recevables de nombreuses preuves des actes patents de ces accusés aussi bien que de ceux de leurs complices. Nous ne nous efforcerons pas ici de présenter une énumération complète de tous les crimes conçus ou dirigés par ces accusés, pour lesquels ils doivent supporter, à n’en pas douter, une entière responsabilité. Le monde en sait déjà, sur le compte des forfaits perpétrés par ces hommes et leurs complices, plus que le Ministère Public ne pourrait espérer établir en restant dans les limites raisonnables du temps et de la patience humaine. Nous nous efforcerons ici d’attirer simplement l’attention sur des actes significatifs de la conduite criminelle de chacun des conspirateurs.
Nous pensons qu’il y a avantage à préciser, et nous nous proposons de le faire avec la permission du Tribunal, dans quelle mesure ces accusés ont fini par se trouver atteints par les graves accusations portées contre eux. Pour beaucoup de ces conspirateurs, la liste de leurs crimes sera en rapport avec plusieurs des catégories de crimes décrits aux chefs d’accusation nos 1 et 2. Nous réunirons ensemble ces divers fils et nous établirons, comme je l’ai dit, la trame de la preuve d’ensemble des faits reprochés à chacun des accusés dans le cadre du chef d’accusation nº 1.
Au nom des États-Unis, je commencerai ainsi à montrer la place que certains de ces accusés ont tenue dans le large flot du plan concerté ou complot, pour mener une guerre d’agression et dans quelle mesure leur responsabilité individuelle se trouve engagée pour les actes accomplis dans la réalisation de ce complot.
Tout d’abord, nous mentionnons feu l’accusé Robert Ley qui, en recourant au suicide, a échappé à tout châtiment pour sa participation à la conspiration. Nous mentionnons ensuite Gustav Krupp von Bohlen und Halbach, dont la cause a été disjointe de cette procédure. Il faut néanmoins noter que des documents ont été et seront présentés à l’appui des allégations de l’Acte d’accusation qui mettent en cause Ley et Krupp comme conspirateurs et co-auteurs des crimes dont les autres accusés doivent aussi supporter la responsabilité.
Il nous faut considérer ensuite le cas de l’accusé Fritz Sauckel. L’accusation contre Sauckel a été complètement établie et étayée par une abondance de preuves accablantes par mon éminent collègue, Mr Dodd, dans son exposé sur la question du travail forcé. Nous affirmons qu’il n’est besoin de rien ajouter à l’accusation contre Sauckel pour démontrer la place éminente qu’il a tenue dans le complot.
Prenons ensuite l’accusé Albert Speer. Comme son complice Sauckel, Speer a activement participé à l’élaboration du complot, et une grande partie de son activité a été présentée par M. Dodd dans son exposé sur le travail forcé. Mais, contrairement à Sauckel, l’activité criminelle de Speer dépassa considérablement le domaine du travail forcé. Il fut l’un des cerveaux clefs du plan de pillage et de la spoliation systématique des territoires envahis par la machine de guerre allemande. Les documents prouvant la participation de Speer aux pratiques de spoliation dans les pays de l’Europe occidentale aussi bien que dans les territoires occupés de l’Est, seront présentés ultérieurement par nos éminents collègues, le Procureur Général soviétique et le Procureur Général français, à propos des autres chefs d’accusation. Il ne s’agit ici que de l’exposé des preuves de la participation de Speer au complot.
Cependant, il existe une pièce supplémentaire que je voudrais déposer maintenant comme preuve. Nous l’avons reçue il y a quelques jours seulement, du Centre de Documentation ministériel de Cassel : c’est un dossier concernant l’accusé Speer, conservé dans les services du Reichsführer SS. Je dépose ce dossier comme pièce USA-575. C’est notre document PS-3568. Je vais extraire de ce dossier la lettre datée du 25 juillet 1942 et lire à partir du deuxième paragraphe :
« Le ministre du Reich Speer a été enrôlé comme SS dans l’état-major particulier du Reichsführer SS sous le matricule SS 46.104, avec effet à dater du 20 juillet 1942, par ordre du Reichsführer SS. »
Je crois que c’est tout ce que j’ai à lire dans cette lettre. Mais j’aimerais attirer l’attention du Tribunal sur le document annexe qui est un questionnaire au début duquel on rapporte qu’Albert Speer a appartenu aux SS depuis l’automne de 1932 et que son numéro de membre du Parti était 474.481.
Je mentionne maintenant l’accusé Ernst Kaltenbrunner, dont les charges ont été complètement présentées au cours de l’exposé sur la Gestapo et le SD en tant qu’organisations criminelles. Nous affirmons qu’aucune documentation supplémentaire n’est nécessaire pour prouver combien cet ennemi de sa propre patrie, l’Autriche, avait été entraîné par le courant de la conspiration.
Nous passons ensuite au cas du conspirateur qui est peut-être le plus important de ceux dont la cause est portée devant ce Tribunal : le nazi nº 2, le nazi qui venait juste après le Führer lui-même, le nazi qui, à certains égards, était encore plus dangereux que le Führer et les autres chefs du Parti. Nous affirmons qu’il était plus dangereux parce que, contrairement à beaucoup d’éminents nazis, comme Hitler, qui étaient moralement et socialement en marge de la société avant le succès du parti nazi en 1933, il était de notoriété publique que ce conspirateur descendait d’une famille bien assise qui avait dans le passé fourni des officiers à l’armée, et de hauts fonctionnaires au pays. De plus, il était doué d’un extérieur distingué, de manières prévenantes, d’une certaine affabilité. Mais tous ces aspects de son caractère n’étaient que tromperie, car ils contribuaient à dissimuler le cœur d’acier de cet individu, son esprit vindicatif, sa cruauté, sa soif de parade, des grandeurs et du pouvoir. Cet homme était aussi des plus dangereux parce que les traits extérieurs sur lesquels j’ai attiré l’attention et qu’il a jusqu’à un certain point manifestés ici en présence du Tribunal, lui furent utiles pour tromper les représentants des États étrangers qui, en ce qui les concernait, s’efforçaient d’apprendre de lui les véritables intentions de l’État nazi, qui, en faisant fi maintes fois de ses engagements internationaux, avait si gravement troublé la tranquillité du monde depuis 1933.
Et je crois que le procès-verbal pourrait montrer comment, au cours des premières audiences de ce Procès, c’est-à-dire avant que la nature des documents exposés comme preuves par le Ministère Public n’apparut trop sinistre et presque incroyable, certains aspects de la bonhomie de ce conspirateur, son éternel sourire et ses manières engageantes se manifestaient quotidiennement dans cette salle. Il était courant de le voir approuver devant tout le monde, d’un aimable hochement de tête, l’exactitude des déclarations des procureurs ou le contenu des documents qu’ils déposaient, ou secouer la tête d’un air désapprobateur lorsqu’il n’était pas d’accord.
Je ne crois pas que cela intéresse le Tribunal, Mr Albrecht.
Avec la permission du Tribunal, je passerai donc au fond de l’exposé et je mentionnerai un certain nombre de faits déjà établis par les documents déposés. Avec la permission du Tribunal, je ne me référerai pas, à moins qu’il ne le désire, aux numéros de dépôt ou aux citations de la plupart des preuves anciennes auxquelles je ferai allusion. Elles figurent toutes dans le dossier d’audience qui a déjà été distribué.
À la fin de ce récit, dans lequel nous avons tiré de l’ensemble des charges déjà exposées, les principaux fils qui montrent la complicité de l’accusé Göring, nous déposerons comme preuve un certain nombre de documents supplémentaires que nous croyons nécessaires pour établir la participation et la responsabilité de Göring dans certaines phases du complot.
J’aurais déjà dû dire, s’il plaît à Vos Honneurs, que l’on a distribué, et que vous avez maintenant devant vous, trois volumes de livres de documents (portant les lettres DD) anciens et nouveaux, ayant trait à la responsabilité individuelle de cet accusé.
Nous traiterons tout d’abord de la responsabilité individuelle de ce conspirateur dans les crimes contre la paix. Ces crimes comprennent la participation de Göring à la conquête et à l’affermissement du pouvoir en Allemagne, la préparation économique et militaire de la guerre et le déclenchement d’une guerre d’agression.
Pendant plus de deux décades, les activités de Göring s’étendirent à presque toutes les phases du complot. Il fut l’un des conspirateurs associés à Hitler dès le tout premier début. Membre du Parti depuis 1922, il participa au Putsch de Munich en novembre 1923, à la tête des SA, organisation nazie qui, comme on l’a montré, était spécialisée dans l’emploi de la violence. Göring s’enfuit après le Putsch, afin d’échapper à l’arrestation. À son retour, il devint plus qu’un chef d’émeutiers. Il fut nommé premier conseiller politique de Hitler. On peut se faire une idée du personnage d’après une pièce déjà déposée, la biographie officielle de Göring par Gritzbach, dans laquelle sont relatés ses rapports avec le gouvernement Brüning, ses tentatives pour rompre la barrière qui entourait le Président von Hindenburg, et le coup d’audace auquel il se livra en sa qualité de Président du Reichstag, en septembre 1932 pour obtenir un vote de défiance contre le gouvernement von Papen, juste avant la dissolution du Reichstag.
Les écrits de Göring le dépeignent comme n’étant pas le dernier à s’attribuer le mérite de ses efforts pour faire progresser la cause du Parti. Hitler lui a également rendu pleinement justice ; et Göring s’est vanté qu’aucun titre ni aucune décoration ne pût le rendre plus fier que le surnom que lui donnait le peuple allemand, et je cite : « Le plus fidèle paladin de notre Führer ». Cette courte citation est tirée de notre document PS-2324 (USA-233).
Avec l’accession des nazis au pouvoir en janvier 1933, Göring devint ministre de l’Intérieur en exercice et Premier Ministre de Prusse. En ces qualités, il se mit rapidement à établir en Prusse un régime de terreur destiné à supprimer toute opposition au programme nazi. Son principal instrument fut, à cet effet, la Police prussienne qui resta sous sa compétence jusqu’en 1936. Dès février 1933, il ordonna à toutes les forces de Police d’accorder un soutien sans réserve aux organisations para-militaires appuyant le nouveau gouvernement, telles que les SA et les SS, et d’écraser tous les opposants politiques en se servant d’armes à feu, s’il était nécessaire, et sans souci des conséquences. Le Tribunal accordera une valeur probatoire aux directives des 10 et 17 février 1933, qui sont citées à la page 7 de notre exposé et qui font partie de cette collection de décrets connue sous le nom de Ministerialblatt für die Preussische Innere Verwaltung de 1933.
Göring a reconnu fréquemment et avec orgueil sa responsabilité personnelle dans les crimes commis en exécution d’ordres de ce genre ; je rappelle les mots qu’il prononça devant des milliers de ses compatriotes allemands :
« … chaque balle qui sort maintenant du canon d’un pistolet de police est ma balle. Si vous appelez cela un meurtre, c’est moi alors qui suis le meurtrier ; j’ai ordonné tout cela ; j’y apporte mon soutien. J’assume cette responsabilité et je n’en ai pas peur. »
Plaise au Tribunal. Cette citation provient de notre document PS-2324, déjà déposé sous le numéro USA-233.
Peu de temps après être devenu Premier Ministre de Prusse, Göring commença à développer la Gestapo ou Police secrète d’État ; les détails concernant cette organisation de terreur ont été donnés au Tribunal par mon éminent collègue, le colonel Storey. Dès le 26 avril 1933, Göring signa la première loi établissant officiellement la Gestapo en Prusse, et, par un décret qu’il signa, il se nomma Premier Ministre, chef de la Police secrète d’État prussienne.
Sans aucun doute, Göring fut un conspirateur actif. Il était impatient d’affermir la puissance du Parti à l’intérieur. Déjà au printemps 1933, les camps de concentration furent établis en Prusse. Des hommes et des femmes, soi-disant marxistes ou autres opposants politiques, arrêtés par la Gestapo, furent jetés sans jugement dans des camps de concentration. Göring disait : « Contre les ennemis de l’État, il faut agir sans pitié ». Cette déclaration figure dans notre document PS-2324, déjà déposé sous le numéro USA-233.
L’étendue du terrorisme politique sous sa direction fut presque illimitée. Un coup d’œil jeté sur quelques-unes des instructions de police qu’il donna dans les premiers temps montrera jusqu’à quel point et avec quelle application toutes les voix dissidentes furent réduites au silence. Je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire à certains des décrets appartenant à la collection que j’ai mentionnée il y a peu de temps sous le titre : Ministerialblatt für die Preussische Innere Verwaltung ; nous avons cité des décrets aux pages 9 et 10 de notre dossier. Ils comprennent une instruction du 22 juin 1933 qui enjoignait à tous les fonctionnaires de surveiller les déclarations des employés de l’État et de dénoncer à l’accusé Göring ceux qui faisaient des critiques. Le fait de renoncer à faire de tels rapports devait être considéré comme la preuve d’une attitude hostile. Puis vient l’instruction du 23 juin 1933 qui supprimait toutes les activités du parti social-démocrate, y compris les réunions et la presse du parti, et ordonnait la confiscation de ses biens. Puis la directive du 30 juin 1933 qui ordonnait aux autorités de la Gestapo de rendre compte aux délégués du travail de l’attitude politique des travailleurs. Puis la directive du 15 janvier 1934 qui ordonnait à la Gestapo et à la Police des frontières de garder les traces des émigrés, et en particulier des émigrés politiques et des Juifs résidant dans les pays avoisinants, de les arrêter et de les mettre dans des camps de concentration s’ils revenaient en Allemagne.
La cruauté inhérente à Göring est illustrée d’autre part par un épisode sanglant bien connu. Après l’élimination des forces de l’opposition, les nazis jugèrent nécessaire de liquider les non-conformistes dans leurs propres rangs. Ils y parvinrent par ce que l’on appelle maintenant la purge Röhm, du 30 juin 1934. L’accusé Frick, l’un des principaux conspirateurs spontanés déclara à cet égard dans une déposition sous serment que, parmi les gens qui furent assassinés, beaucoup n’avaient rien à voir avec la révolte intérieure des SA « mais n’étaient pas très aimés ».
Le rôle joué par Göring dans cette affaire sordide fut décrit moins de deux semaines après l’événement, par Hitler, dans un discours au Reichstag ; je voudrais déposer comme preuve sous le numéro USA-576 notre document PS-3442 qui contient le discours prononcé par Hitler le 13 juillet 1934 au Reichstag. Il est publié dans Das Archiv, volume 4, page 505. Je cite :
« Pendant ce temps, le Premier Ministre Göring avait déjà reçu mes instructions d’avoir à prendre immédiatement en cas d’épuration, des mesures analogues à Berlin et en Prusse. Avec une poigne de fer, il écrasa l’attaque dirigée contre le national-socialisme avant qu’elle ait pu se développer. »
Avec l’accession des nazis au pouvoir, Göring assuma ainsi immédiatement un certain nombre des fonctions parmi les plus hautes et les plus influentes dans le Reich. Les preuves déjà fournies sur la composition et les pouvoirs du Cabinet du Reich et des services dirigés par Göring montrent qu’il a été, en fait, l’agent exécutif le plus important de l’État nazi.
Membre du Reichstag depuis 1928, il en fut nommé président en 1932 ; il fut membre du Cabinet depuis le début en qualité de ministre du Reich sans portefeuille. Peu de temps après il reçut le portefeuille de ministre de l’Air du Reich. Lorsque, au cours de l’une des premières réunions, le Cabinet discuta la question de la loi des pleins pouvoirs qui, comme son nom l’indique, donnait au Cabinet les pleins pouvoirs législatifs, il suggéra que la majorité des deux tiers exigée pourrait être obtenue simplement en refusant l’admission des députés sociaux-démocrates. Je dépose comme preuve la pièce USA-578 (PS-2962), qui contient le procès-verbal de cette réunion. Comme le Tribunal voudra bien le remarquer, cette réunion se tint le 15 mars 1933 ; y assistaient, outre l’accusé Göring, les accusés von Papen, von Neurath, Frick et Funk. Je lis à la page 6 de ce document :
« Le ministre du Reich Göring exprima sa conviction que la loi des pleins pouvoirs serait votée à la majorité requise des deux tiers. Peut-être la majorité pourrait-elle être obtenue en bannissant de la salle quelques sociaux-démocrates. Peut-être même le Parti social-démocrate s’abstiendrait-il de voter sur la loi des pleins pouvoirs. »
En 1935, lorsque la Luftwaffe secrète se démasqua, Göring en devint le Commandant en chef. Il fit partie, comme membre et délégué du Führer, du Conseil de défense du Reich, établi par la loi secrète du 21 mai 1933. Le but de ce conseil était, comme l’accusé Frick l’a déclaré, dans un affidavit déjà déposé, et que je cite : « … d’arrêter les dispositions et règlements en cas de guerre destinés à être plus tard publiés par le Conseil des ministres pour la Défense du Reich. »
Son ascension vers ces responsabilités toujours plus grandes semblait illimitée. En 1936, Göring fut nommé directeur du Plan de quatre ans, ce qui lui valut d’obtenir les pleins pouvoirs législatifs et administratifs sur toute la vie économique allemande. En 1938, il devint membre du Conseil de Cabinet secret établi pour agir comme « une commission consultative pour la direction de la politique étrangère ».
Le Conseil des ministres pour la Défense du Reich, créé en 1939, prit en charge pratiquement toutes les attributions législatives du Cabinet qui n’avaient pas été entièrement réservées, et Göring en devint le président.
Ses services efficaces et impitoyables furent reconnus par Hitler, en 1939, lorsqu’il désigna Göring comme son successeur, comme héritier présomptif de « l’Ordre nouveau ».
En avril 1936, Göring fut chargé de la coordination du marché des matières premières et du commerce extérieur et habilité à diriger toutes les activités de l’État et du Parti dans ce domaine. J’en fournis pour preuve la pièce PS-2837 (USA-577), qui est un extrait de Das Dritte Reich de Rühle. J’en cite le paragraphe 4 d’un extrait qui est tiré d’un décret signé par Hitler et rédigé comme suit :
« Le ministre Président, général Göring, prendra les mesures nécessaires à l’accomplissement des tâches qui lui ont été confiées ; il a autorité pour promulguer des décrets et des règlements généraux d’administration. Dans ce but, il est autorisé à envoyer des questionnaires et des instructions à toutes les autorités, y compris les plus hautes autorités du Reich et tous les services du Parti, ses formations et organisations affiliées. »
En cette qualité, Göring réunissait le ministre de la Guerre, l’accusé Schacht en sa qualité de ministre de l’Économie et de président de la Reichsbank, et le ministre des Finances du Reich et de l’État de Prusse, pour discuter les problèmes interministériels ayant trait à la mobilisation militaire. À l’une des réunions de ce groupe, le 12 mai 1936, lorsqu’il fut question du prix excessif des produits synthétiques de remplacement des matières premières, Göring décida :
« Si nous avons la guerre demain, il faut que nous nous servions de produits de remplacement. L’argent ne jouera alors aucun rôle. S’il en est ainsi, nous devons être prêts à en créer les conditions préalables dès le temps de paix. »
Quelques jours plus tard, le 27 mai 1936, au cours d’une réunion du même groupe, Göring s’opposa à toute limitation dictée par une politique financière orthodoxe. Il déclara : « Toutes les mesures doivent être considérées du point de vue de la certitude d’une guerre ».
Le fameux Plan de quatre ans fut promulgué par Hitler au Congrès du Parti de 1936 à Nuremberg. Nanti des pleins pouvoirs, Göring en fut chargé et devint responsable de ce programme qui était destiné à réaliser l’autarcie. En outre, Göring déclara en 1936 que son premier devoir, en sa qualité de directeur du Plan, « était de mettre en quatre ans, toute l’économie sur un pied de guerre ». Je désirerais déposer comme preuve sous le numéro USA-579, le document EC-408, afin de pouvoir attirer l’attention du Tribunal sur le mémorandum, daté du 30 décembre 1936, émanant de la division de Défense de la Wehrmacht et intitulé « Mémorandum sur le Plan de quatre ans et la préparation de l’économie de guerre » ; au paragraphe 3 de la traduction, ou à la page 2, au milieu du troisième paragraphe de l’original allemand, se trouve la déclaration enregistrée dans ce mémorandum aux termes de laquelle :
« Le ministre Président, général Göring, a été nommé en qualité de commissaire au Plan de quatre ans, par ordre du Führer, Chancelier du Reich, promulgué le 18 octobre 1936.
« Le ministre Président, général Göring, a pour mission dans le cadre de l’économie de guerre, de mettre en quatre ans toute l’économie sur le pied de guerre. »
La pièce que je viens de lire est intéressante en raison d’un autre document sur lequel on vient d’attirer l’attention du Ministère Public. C’est une note de dossier, datée du 2 décembre 1936, écrite à la main, portant l’en-tête du « Premier Ministre Président, général Göring » ; elle est de l’écriture du colonel Bodenschatz, chef d’État-Major de Göring. Je dépose ce mémorandum sous le numéro USA-580. C’est notre document PS-3474 ; j’attire l’attention du Tribunal sur le fait qu’il est daté du 2 décembre 1936. Il s’agit là d’une conférence à laquelle furent apparemment conviés tous les principaux généraux et officiers de l’Aviation, de l’Aviation allemande bien entendu. Outre l’accusé Göring, il y avait là le général Milch, le général Kesselring, Rudel, Stumpf, Christiansen, et tous les grands chefs de l’Aviation. Je lis :
« La presse mondiale, agitée à cause du débarquement de 5.000 volontaires allemands en Espagne. Plainte officielle de la Grande-Bretagne ; elle se met en rapport avec la France.
« L’Italie propose que l’Allemagne et l’Italie envoient chacune une division d’infanterie en Espagne. Cependant, il est nécessaire que l’Italie, spécialement intéressée comme puissance méditerranéenne, fasse d’abord une déclaration politique. On ne peut s’attendre à une décision que dans quelques jours.
« La situation générale est très sérieuse. La Russie veut la guerre. L’Angleterre réarme rapidement. Les ordres sont donc : à partir d’aujourd’hui « höchste Einsatzbereitschaft… » – le traducteur n’a sans doute pas jugé convenable de traduire ces mots qui veulent dire le plus haut degré de préparation – « … sans faire aucun cas des difficultés financières. Göring en prend toute la responsabilité.
« La paix, jusqu’en 1941, est désirable. Cependant, nous ne pouvons pas savoir s’il y aura auparavant des complications. Nous sommes déjà en état de guerre. La seule différence c’est qu’on n’a pas encore tiré de coups de feu. »
Il serait peut-être temps de suspendre.