VINGT-NEUVIÈME JOURNÉE.
Mardi 8 janvier 1946.
Audience de l’après-midi.
Plaise au Tribunal. Deux conférences importantes, auxquelles le Ministère Public a déjà fait allusion, montrent clairement comment l’accusé Göring a inspiré et dirigé la préparation de l’économie allemande en vue de la guerre d’agression. Le 8 juillet 1938, il s’adressa à un certain nombre de grands constructeurs d’avions allemands et établit les bases d’une vaste augmentation de la production d’avions. Il déclara que la guerre contre la Tchécoslovaquie était imminente et ajouta avec satisfaction que l’aviation allemande était déjà supérieure en qualité et en quantité à l’aviation anglaise. « … Si l’Allemagne gagne la guerre, elle sera la plus grande puissance du monde ; elle dominera le marché mondial, et deviendra une nation riche. Pour atteindre ce but, il faut en accepter les risques… » Cette citation, plaise au Tribunal, est extraite du document R-140 (USA-160).
Quelques semaines après l’accord de Munich, le 14 octobre 1938, au cours d’une autre conférence tenue dans le bureau de Göring, celui-ci déclara que Hitler lui avait donné des instructions pour organiser un programme d’armement gigantesque, à côté duquel tout ce que l’on avait fait auparavant était insignifiant. Il indiqua qu’il avait reçu l’ordre de construire aussi vite que possible une aviation cinq fois plus forte, d’augmenter la cadence du réarmement de l’Armée et de la Marine et de faire porter le principal effort sur les armements offensifs, en particulier sur l’artillerie lourde et les chars lourds ; il proposa un programme précis d’exécution. Voilà un bref résumé du document USA-123, déjà déposé sous le nº PS-1301.
En tant que Ministre de l’Air du Reich et Commandant en chef de l’Aviation allemande, Göring devait mettre la Luftwaffe à même de faire face aux exigences de la guerre. Dès le 10 mars 1935, dans une interview accordée au correspondant du Daily Mail de Londres, il laissa tomber le masque et déclara sans ambages qu’il était en train de mettre sur pied une véritable aviation militaire.
Deux mois plus tard, dans un discours prononcé devant un millier d’officiers d’aviation, il s’exprima de façon encore plus audacieuse. Je dépose comme preuve le document PS-3441 (USA-437) constitué par les « Reden und Aufsätze » de Göring. En voici un extrait tiré de la page 242 qui n’a pas encore été lu à l’audience :
« Je le répète : j’ai l’intention de créer une Luftwaffe qui, au moment voulu, fondra sur l’adversaire comme un chœur de vengeance. L’ennemi doit avoir l’impression qu’il est perdu avant même d’avoir combattu. »
La même année, le 16 mars 1935, il signa la loi sur la conscription qui instituait le service militaire obligatoire. C’était un véritable acte de défi de la part de l’Allemagne nazie et une violation du traité de Versailles. Le Tribunal accordera une valeur probatoire à ce texte, document PS-1654 ; je ne lirai pas d’extraits de cette loi portant organisation de l’Armée ; elle est citée au Reichsgesetzblatt 1935, partie I, page 369.
Ainsi que le démontre l’affidavit de l’ambassadeur Messersmith qui a déjà été déposé, les déclarations de Göring pendant cette période, ne laissaient subsister aucun doute dans l’esprit des diplomates alliés sur le fait que l’Allemagne était engagée dans une mobilisation totale de sa force aérienne en vue d’une guerre imminente.
Göring fut en fait le pivot de la préparation de l’Allemagne en vue d’une agression militaire. Dans le développement économique de l’Allemagne également, il détint les positions-clefs au cours de la période d’avant-guerre. Bien qu’il n’ait eu aucun poste officiel dans le domaine des Affaires étrangères, l’histoire rapporte qu’en qualité de nazi nº 2, il joua un rôle prépondérant dans chacune des principales étapes de l’agression nazie entre 1937 et 1941.
Dans l’affaire d’Autriche, Göring fut l’instigateur et le metteur en scène de la tragi-comédie diplomatique qui se déroula en face d’un monde atterré mais muet.
Le Tribunal connaît la complicité de Göring dans l’agression contre l’Autriche. Cependant des documents supplémentaires viennent de nous parvenir, qui démontrent non seulement que Göring y participa activement, mais qu’il fut peut-être directement responsable de l’Anschluss. Je déposerai d’abord le premier de ces documents, PS-3473, sous le nº USA-581. Je ne le lirai pas, messieurs, mais je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur la lettre que Keppler, agent de Göring, a adressée à ce dernier. Elle est datée du 6 janvier 1938. Le contexte laisse supposer que Göring s’occupa de l’affaire d’Autriche dès 1937. Les preuves précédentes ne le faisaient entrer en scène que beaucoup plus tard. Le Ministère Public attache à ce dernier document une grande importance car il démontre que l’accusé Seyss-Inquart avait reçu mandat de Göring pour exécuter les ordres des conspirateurs nazis à Vienne. Le document lui-même sera lu et discuté dans l’exposé des responsabilités personnelles de l’accusé Seyss-Inquart. Je ne discuterai pas plus longtemps sur ce point.
Le second document que je désire présenter est notre document PS-3472 (USA-582). Il semblerait démontrer que les conspirateurs essayèrent de créer l’impression que l’Anschluss, lorsqu’il eut lieu, fut accompli par des moyens « légaux ». L’ordre fut apparemment donné aux membres de la NSDAP en Autriche, de ne pas intervenir dans cette affaire afin de permettre à cette machination diabolique d’être menée à bien par les services officiels du Reich, c’est-à-dire par l’intermédiaire de l’accusé Göring et sans doute, de l’accusé Von Papen qui devaient entrer en rapport avec des personnages officiels autrichiens.
Je cite un extrait de ce document :
« Hier, on m’a appris que le Landesleiter Leopold » – j’ouvre une parenthèse pour préciser que le Landesleiter est le titre du chef de la communauté nazie en Autriche – « a commencé aussi de son côté des négociations avec le Chancelier Schuschnigg. Là-dessus, j’ai demandé au ministère des Affaires étrangères de rechercher l’exactitude de cette information et, au cas où elle serait vraie, de s’arranger pour que de telles négociations n’aient pas lieu, car elles ne feraient que gêner le déroulement des autres négociations.
« Je viens juste d’être informé par le ministère des Affaires étrangères qu’il a reçu de l’ambassade à Vienne un rapport confirmant ces faits. J’aimerais donc savoir s’il ne serait pas plus indiqué d’interdire au Landesleiter Leopold et aux autres membres de la direction du pays de négocier avec le Chancelier Schuschnigg ainsi qu’avec n’importe quelle autre autorité gouvernementale autrichienne, au sujet de l’exécution du Traité du 11 juillet 1936, avant d’avoir préalablement pris contact avec les autorités responsables du Reich et en accord avec elles. »
Je voudrais maintenant attirer l’attention du Tribunal sur la note qui figure dans cette lettre. Elle est écrite au crayon bleu et, bien que le traducteur n’ait pas indiqué l’initiale qui se trouve au-dessous de cette note, c’est un grand « G » ; et je ne doute pas que cette note ait été écrite par l’accusé Göring. La voici :
« Entendu, le ministre Hess ou Bormann sont les mieux placés pour donner cet ordre ; donc Keppler devra leur téléphoner ! »
Puis-je attirer votre attention sur le côté droit du haut de la page, il s’y trouve une note au crayon, « transmis à Keppler le 11 février 1938, par mademoiselle Ernst » et c’est signé « G » ? Mais il s’agit là comme nous en sommes certains, de l’initiale du nom de mademoiselle Grundmann qui était l’une des secrétaires de Göring.
Le troisième document que je dépose sous le nº USA-583, est notre document PS-3471. La première lettre qu’il contient est écrite par le même Keppler au même Bodenschatz dont on a parié il y a peu de temps et qui est maintenant général. Si le Tribunal m’y autorise, je ne lirai pas ce document, mais je le résumerai brièvement. Cette lettre et les pièces qui l’accompagnent montrent que Leopold, le Landesleiter nazi en Autriche, ne semble pas avoir été d’une complète docilité aux ordres donnés par Berlin et a préparé l’Anschluss de la manière qu’il entendait. La deuxième pièce jointe à cette lettre, adressée à Keppler qui, semble-t-il, était Obergruppenführer dans les SS, montre que même des nazis haut placés voulaient remplacer Leopold par un certain commandant Klaussner ; et je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur la caractéristique suivante : dans la marge gauche de la lettre proprement dite, il y a quelques annotations écrites avec ce crayon d’un rouge particulier employé en plusieurs occasions par Göring ; ce qui semble montrer que celui-ci avait personnellement vu ces documents et que le général Bodenschatz lui en avait parlé. En tout cas, ces lettres démontrent une fois de plus que Göring fut l’un des principaux conspirateurs dans l’affaire autrichienne.
Lorsque le 11 mars 1938, sonna enfin l’heure de l’Anschluss, Göring détenait tous les leviers de commande. Au cours de l’après-midi et de la soirée de ce même jour, il dirigea par téléphone l’action de l’accusé Seyss-Inquart et des autres conspirateurs nazis à Vienne. Les extraits intéressants de cette conversation téléphonique ont été, on s’en souviendra, lus au cours de l’exposé.
On se rappellera que, tôt dans la même soirée du 11 mars, il dicta à l’accusé Seyss-Inquart le télégramme que ce dernier devait envoyer à Berlin pour demander au Gouvernement nazi l’envoi de troupes allemandes destinées à « prévenir l’effusion de sang ». Deux jours plus tard, il pouvait appeler au téléphone l’accusé Ribbentrop à Londres, lui raconter allègrement son succès et lui dire que « cette histoire selon laquelle nous aurions donné un ultimatum n’est qu’un sot commérage. »
Je signale que le passage auquel je viens de faire allusion figure dans le procès-verbal (Tome II, page 422). Dans l’attaque contre la Tchécoslovaquie, Göring joua aussi un rôle important. En mars 1938, au moment de l’Anschluss, il avait assuré solennellement le ministre tchécoslovaque à Berlin, que l’évolution de la situation en Autriche n’aurait en aucune façon d’influence défavorable sur les relations entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie et il avait mis l’accent sur les efforts constants et sincères déployés par l’Allemagne pour améliorer ces relations. À cette occasion, Göring avait employé l’expression : « Ich gebe Ihnen mein Ehrenwort » (je vous donne ma parole d’honneur), expression qui a déjà été citée au procès-verbal (Tome III, page 47).
D’un autre côté, dans un discours déjà mentionné qu’il adressa le 8 juillet 1938 aux constructeurs allemands d’avions, il précisa ses vues personnelles sur ce sujet ; elles pouvaient difficilement s’accorder avec les déclarations publiques et solennelles qu’il avait faites auparavant.
Le 14 octobre 1938, peu de temps après l’accord de Munich, au cours d’une conférence tenue au ministère de l’Air, Göring déclara que les pays des Sudètes devaient être exploités par tous les moyens et qu’il comptait sur une assimilation industrielle complète de la Tchécoslovaquie. Pendant ce temps, comme le montrent les preuves déjà déposées, il trompait dans le même dessein les représentants du Gouvernement fantoche de Slovaquie.
L’année suivante, lorsque le rapt de la Tchécoslovaquie fut achevé, Göring explique franchement quelles avaient été dans cette affaire les véritables intentions de l’Allemagne. Il déclara que si la Bohême et la Moravie avaient été incorporées dans l’Économie allemande, c’était entre autres raisons, pour que l’industrie de ces pays vînt augmenter le potentiel de guerre de l’Allemagne.
Göring participa également de façon prépondérante aux crimes contre la Paix qui furent commis plus tard. En tant que successeur désigné de Hitler, chef des Forces aériennes et tsar de l’Économie de la Grande Allemagne, il participa à tous les préparatifs des opérations militaires des Forces nazies à l’Est et à l’Ouest.
Dans l’affaire polonaise, par exemple, ce fut Göring qui, le 31 janvier 1935, assura le Gouvernement polonais, par l’intermédiaire du Comte Czembek – comme le révèle le Livre Blanc polonais pour lequel je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire – « que la Pologne ne devrait pas avoir la moindre crainte de voir l’alliance germano-polonaise cesser du fait de l’Allemagne ». Cependant quatre ans plus tard, Göring participait à l’élaboration du plan d’invasion du territoire polonais.
Au sujet de l’attaque contre l’Union Soviétique, les documents déjà déposés prouvent que les plans d’exploitation sans merci du territoire soviétique furent faits plusieurs mois avant l’ouverture des hostilités. La responsabilité des méfaits de cette armée de spoliateurs dont la mission était « de saisir les matières premières et de mettre la main sur tous les groupes industriels importants », incomba à Göring.
Mais ces exemples précis ne sont que l’illustration de l’action de Göring dans le domaine de la guerre d’agression. Aux pages 20, 21 et 22 de notre dossier d’audience, figure une liste en aucune façon limitative de documents déjà déposés par le Ministère Public et qui démontrent que Göring connaissait le programme de guerre nazi et participa sans interruption à son exécution.
Nous passons maintenant à la responsabilité de Göring dans l’élaboration et dans l’exécution des plans de travail forcé, de déportation et d’asservissement des habitants des territoires occupés, d’emploi des prisonniers de guerre dans l’industrie de guerre, du pillage des œuvres d’art, ainsi que de la germanisation et de la spoliation des pays envahis par les nazis.
Des preuves déjà déposées, ont exposé en détail le programme de travail forcé des conspirateurs nazis et en ont fait ressortir ses deux buts, qui sont tous deux criminels. Le premier était de satisfaire aux besoins de main-d’œuvre de la machine de guerre nazie en forçant les habitants des pays occupés à travailler en Allemagne. Le second était de détruire ou d’affaiblir les peuples des territoires occupés. On a montré que des millions de travailleurs étrangers furent envoyés en Allemagne, pour la plupart par la contrainte et généralement par l’usage de la force ; que ces ouvriers furent brutalement forcés de travailler dans des conditions de dégradation indescriptibles ; et que, souvent, on les employa dans des usines et des industries qui se consacraient exclusivement à la production de munitions de guerre.
Göring fut constamment impliqué dans le programme de travail forcé. Le recrutement et la répartition de la main-d’œuvre et la détermination des conditions de travail relevaient de sa compétence en tant que directeur du Plan de quatre ans et, dès le début, une partie des services du Plan de quatre ans fut affectée à ce travail. Je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire à notre document PS-1862, ordonnance pour l’exécution du Plan de quatre ans, datée du 18 octobre 1936, qui figure au Reichsgesetzblatt 1936, partie I, page 887 ; avec l’autorisation du Tribunal, je ne la lirai pas.
Peu de temps après l’effondrement de la Pologne, Göring entreprit d’asservir un grand nombre de Polonais. Le 25 janvier 1940, l’accusé Frank, Gouverneur Général de Pologne, fit sur les instructions de Göring un rapport à ce dernier sur « la fourniture et le transport vers le Reich d’au moins 1.000.000 de travailleurs agricoles et industriels, hommes et femmes, parmi lesquels au moins 750.000 travailleurs agricoles, dont au minimum 50 pour cent doivent être des femmes afin de garantir la production agricole du Reich et de remplacer les travailleurs de l’industrie manquant dans le Reich. » Cette citation est tirée de notre document PS-1375 (USA-172).
Le fait que ces ordres réclamant un nombre aussi énorme d’ouvriers émanent de l’accusé Göring est clairement souligné par les déclarations figurant dans le journal de l’accusé Frank, à la date du 10 mai 1940, document déjà déposé.
Quant à la dureté du traitement qu’on fit subir à ces ouvriers lorsqu’ils parvinrent en Allemagne, l’accusé Göring en est également responsable. Le 8 mars 1940, en tant que directeur du Plan de quatre ans et président du Conseil des ministres pour la Défense du Reich, il émit un ordre intitulé : « Traitement des travailleurs civils, hommes et femmes de nationalité polonaise employés dans le Reich. » Je me réfère au document R-148. Je ne le déposerai pas maintenant, si le Tribunal m’y autorise, car il sera déposé par le Ministère Public soviétique un peu plus tard.
Le 29 janvier 1942, la Section d’emploi de la main-d’œuvre du Service du Plan de quatre ans publia une circulaire signée par le Dr Mansfeld, délégué général à l’emploi de la main-d’œuvre dans les services du Plan de quatre ans, adressée à diverses autorités civiles et militaires dans les territoires occupés, pour expliquer que : « toutes les méthodes, quelles qu’elles soient, doivent être employées » pour obliger les ouvriers à venir en Allemagne. Je ne lirai pas ce document, s’il plaît au Tribunal, mais je voudrais déposer, sous le nº USA-585, le document PS-1183. C’est une circulaire du commissaire au Plan de quatre ans, datée du 29 janvier 1942.
On a déjà montré, que le 21 mars 1942 Hitler promulgua un décret nommant l’accusé Sauckel plénipotentiaire général à la main-d’œuvre, lui enjoignant d’accomplir sa mission dans le cadre du Plan de quatre ans et le rendant directement responsable devant Göring, chef du Plan de quatre ans.
Le 27 mars 1942, l’accusé Göring publia son important décret d’attributions en exécution du décret du Führer du 21 mars 1942. Le Tribunal a déjà accordé une valeur probatoire à ce décret qui est notre document PS-1666.
Puisque l’accusé Sauckel agissait dans le cadre du Plan de quatre ans, l’accusé Göring porte l’entière responsabilité des crimes de guerre commis par Sauckel en tant que Directeur général de la main-d’œuvre. Ces crimes ont fait l’objet de nos exposés sur le travail forcé et sur l’emploi illégal des prisonniers de guerre.
Il fut aussi prouvé au cours de ces exposés, que les conspirateurs nazis ordonnèrent aux prisonniers de guerre de travailler dans des conditions dangereuses ainsi qu’à la fabrication et au transport d’armes et munitions de guerre, en violation des lois de la guerre et des articles 31 et 32 de la Convention de Genève du 27 juillet 1929 sur les prisonniers de guerre. L’accusé Göring a joué un rôle dans l’accomplissement de tous ces crimes.
Lors d’une réunion du 7 novembre 1941, dont le sujet était l’emploi de citoyens de l’Union Soviétique et parmi eux des prisonniers de guerre, il ressort, d’un mémorandum signé par Körner, qui était secrétaire d’État près de l’accusé Göring, directeur du Plan de quatre ans, que celui-ci donna certaines instructions impitoyables concernant l’emploi des citoyens soviétiques, prisonniers de guerre, ou travailleurs libres. Je me réfère à notre document PS-1193 que je ne déposerai pas maintenant ; le Ministère Public soviétique le fera ultérieurement.
Il ressort d’une série de notes très secrètes sur les directives générales données par Göring au cours de la même conférence du 7 novembre 1941, et qui ont déjà été déposées devant le Tribunal, que :
1º Sur un total de 5 millions de prisonniers de guerre, 2 millions étaient employés dans des industries de guerre.
2º II valait mieux employer des prisonniers de guerre que des travailleurs étrangers inaptes.
3º Des Polonais, des Hollandais, etc., devraient être pris, s’il était nécessaire, comme prisonniers de guerre et employés comme tels si l’on ne pouvait obtenir d’eux un travail librement consenti par contrat.
Ces faits, s’il plaît au Tribunal, ressortent de notre document PS-1206 qui a été présenté comme preuve sous le nº USA-215.
Dans une lettre secrète déjà déposée du ministre du Travail du Reich aux Présidents des services régionaux de l’office de Placement, il est ordonné sur l’ordre personnel du Maréchal du Reich, l’accusé Göring, de prendre 100.000 hommes parmi les prisonniers de guerre français qui ne sont pas encore employés dans l’industrie d’armement et de les affecter à l’industrie d’armement aérien ; les trous ainsi causés dans les disponibilités de main-d’œuvre doivent être comblés par des prisonniers de guerre soviétiques.
On a déjà fourni des preuves montrant le programme organisé et systématique établi par les conspirateurs nazis pour l’appauvrissement culturel de tous les pays d’Europe. La participation constante de l’accusé Göring à ces activités a été établie.
En octobre 1939, l’accusé Göring ordonne au Dr Mühlmann d’entreprendre immédiatement la « mise en sécurité » de tous les objets d’art polonais. Dans son affidavit déjà déposé, le Dr Mühlmann déclare qu’il fut délégué spécial du Gouverneur Général de Pologne, l’accusé Frank, pour la sauvegarde des objets d’art dans le Gouvernement Général, d’octobre 1939 à septembre 1943, et que l’accusé Göring, en sa qualité de Président du Conseil de Défense du Reich, lui avait attribué cette tâche.
Mühlmann confirme aussi que la politique officielle de l’accusé Frank était de mettre sous séquestre tous les objets d’art d’importance, appartenant aux établissements publics polonais, à des collections privées et à l’Église ; ces objets d’art furent, en fait, confisqués.
Il ressort aussi d’un rapport que le Dr Mühlmann rédigea le 16 juillet 1943 sur ses propres activités, qu’en une seule fois, trente et une esquisses de valeur d’Albrecht Dürer furent enlevées d’une collection polonaise et remises directement à l’accusé Göring qui les emporta au Quartier Général du Führer.
Le rôle joué par Göring dans le pillage d’oeuvres d’art effectué par l’Einsatzstab-Rosenberg a été démontré. Nous nous référons à notre document PS-141 (USA-368), ordre daté du 5 novembre 1940, qui a déjà été lu à l’audience, dans lequel Göring charge le chef de l’administration militaire à Paris et l’Einsatzstab-Rosenberg de disposer des objets d’art apportés au Louvre dans l’ordre de priorité suivant :
« 1. Les objets d’art au sujet desquels le Führer s’est réservé la décision.
« 2. Les objets d’art servant à compléter la collection du Maréchal du Reich.
« 3. Les objets d’art et stocks de livres dont l’emploi semble utile à l’établissement de l’École Supérieure (Hohe Schule) et aux tâches de la compétence du Reichsleiter Rosenberg.
« 4. Les objets d’art destinés aux musées allemands… »
Étant donné la priorité accordée par l’ordre ci-dessus à la propre collection de l’accusé, il n’est pas surprenant de voir Göring apporter son aide aux opérations de l’Einsatzstab-Rosenberg. Il a été établi que, le 1er mai 1941, Göring émit un ordre suivi de sa propre signature et adressé à tous les services du Parti, de l’État et de la Wehrmacht, leur demandant de donner toute l’aide et l’assistance possible au chef d’État-Major du Reichsleiter Rosenberg.
En mai 1942, l’accusé Göring pouvait se vanter de l’aide qu’il avait apportée au travail de l’Einsatzstab-Rosenberg. Dans notre document PS-1015 (i), qui a été lu à l’audience (procès-verbal d’audience, tome IV, page 93) il assure l’accusé Rosenberg qu’il soutiendra personnellement le travail de l’Einsatzstab partout où ce semble possible et il attribue à l’assistance qu’il a pu donner à l’Einsatzstab la saisie d’un aussi grand nombre d’objets d’art.
De ce fait, la responsabilité de l’accusé Göring dans le pillage d’œuvres d’art effectué en fait par l’Einsatzstab-Rosenberg, semble clairement établie.
Les détails de l’exécution de la politique de germanisation et de spoliation dans les pays de l’Ouest et de l’Est occupés par les armées allemandes seront fournis plus tard par les délégations française et soviétique. La responsabilité de l’accusé Göring en qualité de Directeur du Plan de quatre ans, de Président du Conseil des ministres pour la Défense du Reich, et en vertu d’autres titres, sera plus amplement démontrée par ces preuves.
Les projets des conspirateurs nazis à l’égard de la Pologne ont été dévoilés par des documents déjà déposés. Les nazis se proposaient d’incorporer les quatre provinces occidentales de la Pologne au Reich allemand. Dans les autres régions polonaises occupées, ils instituèrent le Gouvernement Général. On a démontré que les nazis projetaient de germaniser sans pitié les soi-disant territoires incorporés, en déportant les intellectuels polonais, les Juifs et les éléments dissidents vers le Gouvernement Général en vue d’une élimination éventuelle, en confisquant les biens polonais, en envoyant ceux qu’ils avaient ainsi privés de leurs biens travailler en Allemagne et en implantant des colons allemands. Ils projetèrent délibérément d’exploiter le peuple et les ressources naturelles du territoire formant le Gouvernement Général en prenant tout ce dont ils avaient besoin pour renforcer la machine de guerre nazie, appauvrissant ainsi cette région et la réduisant à la vassalité.
L’accusé Göring, ainsi que Hitler, Lammers et les accusés Frick et Hess, signèrent le décret du 8 octobre 1939, incorporant certaines parties du territoire polonais au Reich.
Agissant en vertu du décret ci-dessus, Göring, en tant que directeur du Plan de quatre ans, signa le 30 octobre 1939, un ordre sur l’application du Plan de quatre ans dans les territoires de l’est.
Dans ses instructions datées du 19 octobre 1939 (document EC-410, USA-298), Göring déclare que le régime économique des différentes régions administratives sera différent selon qu’il s’agit d’une région qui peut politiquement être rattachée au Reich ou au Gouvernement Général qui, lui, selon toute probabilité n’en fera jamais partie.
Il poursuit en disant :
« Dans les territoires mentionnés en premier lieu, il faudra viser au redressement et au développement de l’économie, à la sauvegarde de toutes leurs possibilités et réserves de production, de même qu’à une incorporation complète et rapide dans le système économique Grand Allemand. D’autre part, il faut emporter, des territoires du Gouvernement général, toutes les matières premières, les matériaux de démolition, les machines, etc., susceptibles de servir à l’économie de guerre allemande. Les entreprises qui ne sont pas absolument nécessaires pour assurer la maigre subsistance indispensable à la vie élémentaire de la population doivent être transférées en Allemagne à moins qu’un tel transfert ne demande un temps déraisonnablement long et qu’il soit plus pratique d’exploiter sur place ces entreprises, en leur donnant à exécuter des commandes allemandes. »
Dans les documents ci-dessus, apparaît clairement la complicité de l’accusé Göring dans les plans d’exploitation sans merci de la Pologne. Mais on peut aussi reconnaître sa main derrière les autres projets nazis à l’égard de la Pologne. Par exemple, ce fut l’accusé Göring qui signa, avec Hitler et l’accusé Keitel, le décret secret du 7 octobre 1939 chargeant Himmler de l’exécution du programme de germanisation. Ce décret secret a été lu à l’audience et figure au procès-verbal (Tome III, page 585).
Himmler, l’accusé Frank et d’autres ont indiqué eux-mêmes dans ces documents ce que cette nomination signifiait au juste de souffrances humaines et de dégradation.
Ce fut encore l’accusé Göring qui, en vertu de ses pouvoirs de directeur du Plan de quatre ans promulgua le 17 septembre 1940 un décret sur la confiscation dans les territoires incorporés de l’Est. Ce décret s’appliquait aux « biens des citoyens de l’ex-État polonais sur le territoire du Reich Grand Allemand, y compris les territoires incorporés de l’Est. » Je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire à notre document PS-1665, qui est un « Ordre concernant le régime de la propriété des nationaux de l’ex-État polonais, » Reichsgesetzblatt 1940, partie I, page 1270. Je lis des passages de ce document :
« Article premier : 1º Les biens appartenant aux nationaux de l’ex-État polonais et situés dans le Reich Grand Allemand, dans les territoires annexés de l’est, sont confisqués. Ils seront administrés par un commissaire et mis sous séquestre, en accord avec les règlements suivants. »
Je passe maintenant à l’article 2 :
« 1º La confiscation est obligatoire dans le cas des biens appartenant : a) aux Juifs, b) aux personnes qui se sont enfuies ou qui se sont absentées pour une longue durée.
« 2º La confiscation peut être appliquée, a) si les biens sont nécessaires à l’intérêt commun, spécialement pour des raisons de défense nationale ou pour l’affermissement du germanisme ; b) si les propriétaires ou autres ayants droit ont immigré à l’intérieur des frontières du Reich allemand après le 1er octobre 1918. »
Je saute maintenant à l’article 9, première partie :
« 1º Les biens sous séquestre peuvent être confisqués en faveur du Reich par les services compétents… si l’intérêt public, spécialement la défense du Reich ou l’affermissement du germanisme le requièrent. »
Des preuves ont déjà été déposées par le Ministère Public américain qui établissent dans quelle mesure le pillage du territoire et des ressources soviétiques et le traitement barbare infligé aux citoyens soviétiques furent le résultat de plans établis depuis longtemps et soigneusement élaborés par les nazis avant qu’ils n’aient déclenché leur guerre d’agression contre l’Union Soviétique. Les nazis projetèrent de détruire le potentiel industriel des régions du Nord occupées par leurs armées et de prendre en charge le ravitaillement du Sud et du Sud-Est, qui normalement était excédentaire, de telle façon que la population de la région du Nord fût inévitablement réduite à la famine par le détournement vers le Reich allemand, de cet excédent de ressources alimentaires. On a également démontré que les nazis projetaient d’incorporer la Galicie et tous les Pays Baltes à l’Allemagne et de transformer la Crimée, une partie du territoire située au Nord de celle-ci, le territoire de la Volga et le district environnant Bakou en colonies allemandes.
Vers le 29 avril 1941, environ deux mois avant l’invasion de l’Union Soviétique, Hitler avait chargé l’accusé Göring de la direction suprême de l’administration économique dans la zone d’opérations et dans les zones sous contrôle politique. Il semble, en outre, que Göring avait formé un État-Major économique et des corps subsidiaires chargés d’exécuter cette tâche.
La forme de cette organisation créée par Göring et les attributions de ses diverses sections ressortent plus clairement d’une série d’instructions « pour la direction de l’économie dans les territoires nouvellement occupés » publiées par Göring en tant que Maréchal du Reich en juin 1941. Ces instructions sont contenues dans l’important Dossier Vert qui, chose curieuse, fut imprimé par la Wehrmacht. D’après les termes mêmes de ces instructions, « les ordres du Maréchal du Reich sont applicables à tout le domaine économique, y compris le ravitaillement et l’agriculture. Ils doivent être exécutés par les services économiques subordonnés… »
Un état-major économique de l’Est fut chargé de l’exécution des ordres que lui transmettait l’autorité supérieure. Une subdivision de cet état-major, la section agricole, était investie des fonctions suivantes : « ravitaillement et agriculture, économie de tous les produits agricoles, fourniture de réserves à l’Armée en coopération avec les Groupes d’armées intéressés ». Des extraits du Dossier Vert ont déjà été acceptés comme preuve sous le nº USA-315, mais je veux déposer maintenant sans les lire, quelques extraits supplémentaires à l’appui des faits que je viens de relater. Je voudrais déposer, sous le nº USA-587, notre document PS-1743. C’est une autre copie du Dossier Vert que je veux verser aux débats pour montrer au Tribunal que ces instructions furent publiées pour la première fois en juin 1941. Le document EC-472, déjà déposé sous le nº USA-315, était une édition révisée qui fut publiée en juillet 1941. En d’autres termes, le plan économique d’invasion était prêt lorsque la Wehrmacht envahit effectivement l’Union Soviétique le 22 juin 1941.
Ainsi qu’il ressort des instructions ci-dessus, ce fut une subdivision de l’organisation économique établie par l’accusé Göring, la section agricole de l’état-major économique de l’Est, qui émit, le 23 mai 1941, une série d’instructions pour l’exploitation de l’agriculture soviétique. On se rappellera que ces directives prévoyaient l’abandon de toute industrie dans les régions déficitaires en produits alimentaires, avec quelques exceptions, et l’attribution aux besoins allemands de la nourriture des régions excédentaires, même au prix de la mort par inanition de millions de gens. Ces directives ont déjà été lues à l’audience et figurent au procès-verbal (Tome IV, page 11).
Le procès-verbal d’une réunion au Grand Quartier Général de Hitler, le 16 juillet 1941, conservé par l’accusé Bormann, a également été lu en partie à l’audience. C’est à cette réunion que Hitler déclara que les nazis avaient l’intention de ne jamais abandonner les pays alors occupés par leurs armées ; bien que le reste du monde dût être abusé sur ce point, cela cependant « ne doit pas nous empêcher de prendre toutes les mesures nécessaires – fusillades, déportations, etc. – et nous les prendrons ». Cette citation, Monsieur le Président, est extraite de notre document L-221 (USA-317). Hitler discuta ensuite de la transformation de la Crimée et d’autres régions de l’Union Soviétique en colonies allemandes. L’accusé Göring était présent à cette conférence et y participa.
Comme dernier exemple, il ressort d’un mémorandum, daté du 16 septembre 1941, qui est notre document USA-318, que Göring présida une réunion de fonctionnaires militaires allemands au sujet d’une exploitation des territoires occupés plus rationnelle pour l’économie alimentaire allemande. En discutant cette question, l’accusé Göring déclare :
« Dans les territoires occupés, en principe, seuls les gens qui travaillent pour nous doivent recevoir une ration de nourriture suffisante. Même si l’on voulait nourrir tous les autres habitants, cela nous serait impossible dans les zones nouvellement occupées de l’Est. Il est par conséquent mauvais de débloquer des réserves de nourriture à cet effet, si ce doit être aux dépens de l’Armée et si de ce fait des envois de fournitures doivent être faits d’Allemagne. »
Nous affirmons que les documents ci-dessus établissent la participation de l’accusé Göring au complot nazi qui entraîna la perpétration de crimes de guerre innombrables dans les territoires occupés.
Je passe maintenant à la préparation par Göring des actes inhumains commis contre les populations civiles avant et pendant la guerre et à sa participation à de tels actes. On a démontré que peu après être devenu Premier Ministre de Prusse en 1933, Göring créa dans l’État prussien la Gestapo, qui devint le modèle de cet instrument de terreur lorsqu’il fut étendu au reste de l’Allemagne. Des camps de concentration furent établis en Prusse, au printemps de 1933, sous son gouvernement, et ces camps furent placés sous la responsabilité de la Gestapo dont il était le chef.
Dans quelle mesure Göring et les autres conspirateurs nazis employèrent ces organismes comme instruments de leurs crimes, c’est ce qui ressort déjà des preuves déposées. En 1936, Himmler devint chef de la Police allemande. Désormais Göring put consacrer son attention principalement à la création de l’aviation allemande et à la préparation économique de la nation en vue d’une guerre d’agression. Cependant, il continua de s’occuper de ces organismes qu’il avait créés. Un exemple en est donné par notre document PS-1584 (I), déjà déposé sous le nº USA-221 ; c’est un télétype envoyé par Göring à Himmler dans lequel il demandait à ce dernier de mettre à sa disposition un nombre de détenus des camps de concentration aussi élevé que possible, car le développement de la guerre aérienne rendait nécessaire l’installation d’usines souterraines. Dans sa réponse, Himmler prévint Göring, par télétype, qu’une étude sur l’emploi des prisonniers dans l’industrie d’aviation révélait que 36.000 d’entre eux étaient employés pour les besoins des forces aériennes et que l’on envisageait de porter ce chiffre à 90.000.
Des documents ont déjà été déposés sur des expériences médicales exécutées sur des êtres humains au camp de concentration de Dachau ; le rôle joué par le Feldmarschall Milch, secrétaire d’État et adjoint de l’accusé Göring au ministère de l’Air est pleinement mis en lumière par des lettres de Milch au général Wolff, le 20 mai 1942, et à Himmler en août 1942 ; ces deux lettres, document PS-343, ont été lues à l’audience et figurent au procès verbal (Tome IV, pages 211-212).
Enfin, je passe à la participation de Göring à l’élimination de tous les membres de la race juive de la vie économique de l’Allemagne et à l’extermination de tous les Juifs sur le continent européen.
En 1935, l’accusé Göring, en qualité de Président du Reichstag, fit un discours exhortant cette assemblée à voter les infâmes lois raciales de Nuremberg. Je dépose, sous le nº USA-588, notre document PS-3458, qui est un extrait de Das Dritte Reich de Rühle, page 257. Göring disait :
« Dieu a créé les races. Il n’a pas voulu l’égalité et, par conséquent, nous repoussons énergiquement toute tentative faite pour falsifier le concept de la pureté de la race en le remplaçant par celui de l’égalité raciale. Nous savons par expérience ce que signifie la vie d’un peuple en conformité avec les lois d’une égalité qui est étrangère à son espèce et contraire à la nature. Car cette égalité n’existe pas. Nous n’avons jamais reconnu une telle idée et, par conséquent, nous devons la rejeter aussi de nos lois, c’est une question de principe et nous devons reconnaître cette pureté de la race que la nature et la Providence nous ont accordée. »
Pour montrer encore cette attitude officielle, révélée le 26 mars 1938 dans un discours à Vienne, je dépose, sous le nº USA-437, notre document PS-3460 qui commence page 348. Göring déclare :
« Je vais m’adresser à la cité de Vienne en des termes très graves. On ne peut plus dire que cette ville soit une cité allemande car il y a tant de Juifs qui y vivent, et là où vivent 300.000 Juifs on ne peut plus parler de ville allemande.
« Vienne doit redevenir allemande car elle a un grand rôle à jouer au service de l’Allemagne dans la marche de l’Est – et cela, dans le domaine culturel comme dans le domaine économique. Ni dans l’un, ni dans l’autre nous ne pouvons tolérer de Juifs.
« Il ne faut pas, cependant, entreprendre cette tâche par des interventions inopportunes et des mesures stupides ; c’est avec soin et systématiquement qu’il faut la mener à bien. En tant que commissaire au Plan de quatre ans, je charge le Reichsstatthalter en Autriche, conjointement avec le plénipotentiaire du Reich, de considérer la question et de prendre toutes mesures utiles pour la réorientation de l’économie juive, c’est-à-dire pour l’aryanisation de la vie économique et commerciale ; je les charge d’exécuter cette mission en conformité avec nos lois, légalement mais inexorablement. »
Dans le cadre de la préparation économique à la guerre d’agression ; les conspirateurs nazis commencèrent alors l’élimination complète des Juifs de la vie économique ; c’était le préambule de leur anéantissement. L’accusé Göring, chef du Plan de quatre ans, s’occupa activement de cette phase de la persécution.
La première étape de sa campagne fut le décret du 26 avril 1938, imposant l’enregistrement de tous les biens juifs. Göring et l’accusé Frick signèrent tous les deux ce texte. Il a déjà été déposé. Que le Tribunal m’excuse, je voudrais qu’il accorde une valeur probatoire à ce décret qui est notre document PS-1406, cité au Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 414.
Puis, armés des renseignements ainsi obtenus, les conspirateurs nazis se trouvèrent tout à fait préparés à franchir la nouvelle étape. Le meurtre de vom Rath, secrétaire de la Légation allemande à Paris, le 9 novembre 1938, fut le prétexte à de nombreuses émeutes « spontanées », qui comprirent le pillage et l’incendie de nombreuses synagogues, maisons et boutiques juives ; l’ensemble fut organisé et surveillé avec soin par les conspirateurs nazis. L’accusé Göring fut pleinement informé des mesures prises. Les ordres télétypés du 10 novembre 1938, donnés par Heydrich sont déjà déposés et ont été lus au procès-verbal, (Tome III, page 508). Une lettre que Heydrich écrivit à Göring le lendemain, a également été lue. C’est notre document PS-3058 (USA-508). Dans cette lettre, Heydrich raconte brièvement les émeutes soi-disant spontanées qui se sont produites. Il rapporte, le lendemain de l’émeute, que d’après les rapports officiels de la Police du district, il pouvait établir que 815 boutiques avaient été détruites, 171 maisons d’habitations incendiées ou démolies et que tout cela n’indiquait qu’une fraction des dommages réellement causés, tout au moins par le feu. Il disait aussi que :
« À cause de la nécessité pressante de rendre compte, les rapports reçus jusqu’à maintenant sont entièrement limités à des déclarations générales, telles que “plusieurs” ou “presque toutes les boutiques détruites”. Par conséquent, déclare Heydrich, les chiffres donnés doivent avoir été considérablement dépassés.
« 191 synagogues furent incendiées et 76 autres complètement détruites. En outre, 11 salles paroissiales, chapelles de cimetières et constructions similaires furent incendiées et 3 autres complètement détruites…
« 20.000 Juifs furent arrêtés… On compte 36 morts et 36 personnes sérieusement blessées.
« Immédiatement après ces émeutes soi-disant spontanées du 9 novembre, Göring présida une réunion au ministère de l’Air du Reich, consacrée à la question juive, et à laquelle assistèrent aussi l’accusé Funk et d’autres conspirateurs. Le compte rendu sténographique de cette réunion est un document extraordinaire, dont la lecture n’est pas agréable. C’est notre document PS-1816 déjà déposé sous le nº USA-261. Je voudrais en lire certains passages qui n’ont pas encore été lus à l’audience. Je lis en haut de la première page, les deux premiers paragraphes de la page 1 de l’original allemand. C’est Göring qui parle :
« Messieurs, la réunion d’aujourd’hui est d’une nature décisive. J’ai reçu une lettre, écrite sur l’ordre du Führer, par Bormann, chef d’État-Major de l’adjoint du Führer, exigeant que la question juive soit maintenant, une fois pour toutes, traitée avec coordination et résolue d’une façon ou d’une autre. Et, hier encore, le Führer m’a ordonné, par téléphone, de coordonner les mesures d’ensemble en la matière.
« Puisque le problème est principalement un problème économique, c’est sous l’angle économique qu’il faut l’attaquer. Naturellement, un certain nombre de mesures législatives devront être prises, qui sont du domaine du ministre de la Justice et du ministre de l’Intérieur, et certaines mesures de propagande seront remises aux soins des services du ministre de la Propagande. Le ministre des Finances et le ministre de l’Économie s’occuperont des problèmes qui relèvent de leurs départements respectifs. »
Des mesures précises furent alors discutées dans le but d’effectuer l’aryanisation du commerce juif. Un représentant des compagnies allemandes d’assurances fut appelé pour faciliter la solution des difficultés nées du fait que la plupart des magasins et biens juifs détruits dans les émeutes étaient parfois en réalité, réassurés par des compagnies étrangères. Tous les membres présents furent d’accord qu’il serait maladroit d’élaborer une loi qui aurait pour effet de permettre aux compagnies d’assurances étrangères d’échapper à leurs obligations. L’accusé Göring suggéra alors une solution caractéristique ; et je passe à la page 10. C’est dans le texte allemand la totalité du troisième paragraphe de la page 3/11. Göring disait :
« Non, l’idée ne me vient même pas de rembourser l’argent aux compagnies d’assurances. Les compagnies sont responsables. Non, l’argent appartient à l’État. C’est très clair. Ce serait vraiment faire un cadeau aux compagnies d’assurances. En voilà une belle réclamation. Elles rempliront leurs obligations ; vous pouvez en être sûr. »
Il est superflu de citer d’autres extraits de la discussion étendue au cours de laquelle furent débattues toutes les phases de la persécution des Juifs. Il suffit de souligner, que, le même jour, l’accusé Göring, sous sa propre signature, promulgua trois décrets mettant en vigueur les décisions les plus importantes de cette réunion. Aux termes du premier de ces décrets, une amende collective d’un milliard de Reichsmark fut imposée à tous les Juifs allemands. Je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire à ce décret, qui est notre document PS-1412 qui figure au Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 1579.
Le deuxième décret, intitulé « Décret d’élimination des Juifs de la vie économique allemande », excluait les Juifs du commerce et de l’artisanat. Je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire à ce décret qui est notre document PS-2875, mentionné au Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 1580.
Le troisième décret, intitulé « Décret sur les mesures d’urbanisme à appliquer aux magasins juifs » concernait la question d’assurance soulevée dans la réunion du matin et stipulait que l’indemnité aux Juifs pour les pertes diverses qu’ils avaient subies devait être versée à l’État. Je demande également au Tribunal d’accorder une valeur probatoire à ce décret. C’est notre document PS-2694 qui figure au Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 1581.
Peut-être pourrions-nous suspendre l’audience pendant 10 minutes.
Monsieur Albrecht, le Tribunal pense que ces méthodes, qui, en fait, nous ont déjà été soumises, pourraient être présentées d’une façon plus sommaire que celle que vous avez utilisée. S’il vous était possible d’abréger vos développements en résumant plus que vous ne le faites, vous épargneriez utilement le temps du Tribunal.
Monsieur le Président, j’en ai pratiquement terminé avec la question que je traitais et je pense qu’elle ne prendra pas plus de cinq à dix minutes.
Très bien, mais je dois dire que la même observation s’applique aux questions à venir.
Plaise au Tribunal. Les documents auxquels je faisais allusion avant la suspension d’audience ne constituent, à notre avis, que des exemples du rôle énergique que Göring joua à ce moment dans l’expulsion des Juifs de la vie économique. Deux autres documents me semblent présenter un intérêt sur ce point.
Je voudrais déposer comme preuve, sous le nº USA-589, notre document PS-069 qui est une lettre circulaire datée du 17 janvier 1939 et signée par l’accusé Bormann. Elle diffuse des instructions de l’accusé Göring au sujet de certaines discriminations qui doivent être observées dans le logement des Juifs. Je me contenterai de la résumer, Monsieur le Président, car je n’ai pas l’intention de lire quoi que ce soit de ce document.
Le deuxième est notre document PS-1208 que je dépose sous le nº USA-590. C’est un ordre donné par l’accusé Göring en qualité de commissaire au Plan de quatre ans, daté du 10 décembre 1938, prescrivant la manière selon laquelle doit être entreprise l’exploitation des biens juifs et avertissant que tous les profits résultant de l’élimination des Juifs de la vie économique devaient aller au Reich.
Il n’est pas besoin, je crois, d’en lire des extraits ; je souhaite cependant attirer l’attention du Tribunal sur le fait que la lettre de Göring est adressée à tous les principaux organismes du Reich, à tous les chefs politiques et dirigeants des organisations affiliées au Parti, à tous les Gauleiter, à tous les Reichsstatthalter (gouverneurs), et aux différentes autorités locales des pays allemands et de leurs services. Au fur et à mesure que les armées allemandes pénétraient dans d’autres pays, les lois anti-juives étaient étendues, souvent dans une forme plus sévère, aux territoires occupés. Beaucoup de décrets ne furent pas signés par l’accusé Göring lui-même, mais furent pris sur la base de décrets signés par lui.
Néanmoins, en sa qualité de commissaire au Plan de quatre ans ou de Président du Conseil des ministres pour la Défense du Reich, l’accusé Göring signa un certain nombre de décrets contre les Juifs pour les territoires occupés y compris les décrets énumérés aux pages 47 et 48 de notre dossier d’audience, dont je demande au Tribunal de bien vouloir prendre acte.
Pendant les dernières années de la guerre, le programme établi par les conspirateurs nazis pour l’anéantissement complet de tous les Juifs en Europe atteignit le summum de la violence. Bien que l’exécution de ce programme anti-juif ait été conduite par les SS et la Police de sûreté, l’accusé Göring est resté mêlé jusqu’à la fin aux efforts déployés pour obtenir une « solution » nazie du problème juif.
Le 31 juillet 1941, il écrivit une lettre au conspirateur Heydrich ; c’est le dernier document sur lequel je désire attirer l’attention du Tribunal. Il constitue un couronnement adéquat de notre exposé sur cet accusé. Il n’est pas besoin de faire un effort d’imagination pour comprendre la raison pour laquelle elle fut adressée au fameux Heydrich, prédécesseur de l’accusé Kaltenbrunner. Ce document est notre document PS-710 qui a déjà été déclaré recevable sous le nº USA-509, au cours de notre exposé sur la Gestapo. Bien qu’elle ait déjà été lue à l’audience, j’aimerais, avec la permission du Tribunal, conclure mon exposé par la lecture de cette lettre. Göring écrit à Heydrich :
« Pour compléter la mission qui vous a été assignée le 24 janvier 1939, et qui était d’obtenir, par un accroissement de l’émigration où des expulsions, une solution du problème juif aussi avantageuse que possible, je vous charge par la présente de faire tous les préparatifs nécessaires d’organisation pratique, pour parvenir à une solution complète de la question juive dans la sphère d’influence allemande en Europe. Là où d’autres organismes gouvernementaux sont intéressés, ils doivent coopérer avec vous.
« Je vous charge en outre de m’envoyer sous peu un plan complet des mesures positives d’organisation matérielle nécessaires à la réalisation de la solution désirée de la question juive. »
L’exposé fait au Tribunal sur la responsabilité individuelle de l’accusé Göring ne prétendait être simplement qu’une illustration de la masse des documents qui révèle le rôle prépondérant joué par ce conspirateur dans chaque phase du complot nazi. C’est pourquoi nous affirmons que sa responsabilité pour les crimes dont il est accusé aux chefs d’accusation 1 et 2 a été établie.
Plaise au Tribunal. J’en ai terminé avec l’exposé de la responsabilité de l’accusé Göring. Conformément à l’accord intervenu avec la Délégation britannique, Sir David Maxwell-Fyfe traitera maintenant de la responsabilité individuelle de l’accusé von Ribbentrop.
Plaise au Tribunal. Si le Tribunal veut bien regarder l’appendice A de l’Acte d’accusation à la page 28 du texte anglais (Tome I, page 73), il trouvera l’exposé relatif à cet accusé, et il observera que les charges qui le concernent se classent en trois sections.
Après avoir énuméré les postes qu’il occupa, l’appendice A de l’Acte d’accusation poursuit en disant que l’accusé Ribbentrop profita des postes énumérés ci-dessus, de son influence personnelle et de ses relations d’étroite amitié avec le Führer de manière à favoriser l’accession au pouvoir des conspirateurs nazis telle qu’elle est relatée au chef d’accusation nº 1 et à contribuer à la préparation de la guerre dont il est parlé dans ce même chef d’accusation.
Dans la seconde section, il est dit qu’il prit part à l’établissement du plan politique et à la préparation par les conspirateurs nazis des guerres d’agression et des guerres menées en violation des traités, accords et engagements internationaux, comme il est exposé aux chefs d’accusation nº 1 et 2. Conformément au « Führerprinzip », il participa à l’exécution des plans de politique étrangère des conspirateurs nazis mentionnés au chef d’accusation nº 1 et assuma la responsabilité de leur exécution.
Puis vient la troisième section : il autorisa et dirigea, en y participant, les crimes de guerre énoncés au chef d’accusation nº 3 et les crimes contre l’Humanité énoncés au chef d’accusation nº 4, et spécialement les crimes contre les personnes et les biens en territoires occupés.
J’espère qu’il pourrait être utile au Tribunal de suivre l’ordre de ces obligations, comme dans l’Acte d’accusation, car c’est au fur et à mesure que nous avons réuni les preuves relatives à chacune d’elles ; j’entreprends donc d’abord de traiter de l’allégation selon laquelle cet accusé favorisa l’accès au pouvoir des conspirateurs nazis.
Le Tribunal sait que l’accusé occupa différents postes dont la liste est donnée par sa propre déclaration sous serment, qui a déjà été déposée comme pièce USA-5, document PS-2829. Et je crois qu’il conviendrait d’expliquer très brièvement les différents postes et fonctions de l’accusé, qui sont mentionnés dans cette liste. On verra d’après celle-ci qu’il devint membre du parti nazi en 1932, mais, selon la déclaration semi-officielle qui figure dans Das Archiv, il avait commencé à travailler pour ce Parti avant cette époque. Cette déclaration semi-officielle poursuit en disant qu’il réussit à étendre ses relations d’affaires aux cercles politiques, après être rentré au service du Parti en 1930. Au moment du combat final qui se livra dans le Reich pour la conquête du pouvoir, Ribbentrop joua un rôle important, sinon manifestement évident, en ménageant les rencontres décisives entre les représentants du Président du Reich et les chefs du Parti, rencontres qui préparèrent l’accession des nazis au pouvoir le 30 janvier 1933. Ces rencontres, de même que celles entre Hitler et von Papen, eurent lieu dans la maison de Ribbentrop, à Berlin-Dahlem.
L’accusé était par conséquent présent et agissant au commencement de la période suivante, celle de l’affermissement des nazis au pouvoir. Pendant un certain temps, il fut conseiller du Parti pour les questions de politique étrangère. Son titre fut d’abord celui de conseiller du Führer en matière de politique étrangère et il devint ensuite représentant du parti nazi en matière de politique étrangère à l’État-Major de l’adjoint du Führer. Son entrée au Reichstag suivit, en novembre 1933, puis son entrée dans les organisations du Parti ; il devint Oberführer dans les SS, et fut ensuite promu au grade de Gruppenführer, puis d’Obergruppenführer. Il obtint ensuite des postes gouvernementaux officiels.
Le 24 avril 1934, il fut nommé délégué du Gouvernement allemand pour les questions de désarmement. C’était après le départ de l’Allemagne de la conférence du Désarmement. En cette qualité, il visita les capitales étrangères ; on lui donna alors le titre plus important et certainement plus impressionnant d’ambassadeur extraordinaire en mission spéciale, et ce fut en cette qualité qu’il négocia l’accord naval anglo-allemand de 1935.
En 1936, après que le Gouvernement nazi eut réoccupé la Rhénanie, en violation des traités de Versailles et de Locarno, l’affaire fut portée devant le Conseil de la Société des Nations, et l’accusé prit la parole au Conseil pour défendre l’action de l’Allemagne. Il occupa un nouveau poste le 11 août 1936, lorsqu’il fut nommé ambassadeur à Londres. Il y resta pendant une période d’environ dix-huit mois. Et l’activité qu’il déploya dans ce domaine, bien qu’elle ait son propre intérêt, n’a pas grand rapport avec les questions maintenant soumises au Tribunal. Mais en sa qualité d’ambassadeur extraordinaire en mission spéciale – titre qu’il conserva encore pendant cette période – il signa le premier Pacte anti-Komintern avec le Japon en novembre 1936, ainsi que le pacte additionnel aux termes duquel l’Italie s’y joignit en 1937.
Enfin, toujours en ce qui concerne cette partie de l’exposé, l’accusé fut nommé ministre des Affaires étrangères, en février 1938, en remplacement de l’accusé von Neurath, et devint en même temps membre du Conseil de Cabinet secret, établi par un décret de Hitler de la même date. Voilà qui nous mène à la période où il occupa le poste de ministre des Affaires étrangères ; l’activité qu’il déploya en cette qualité sera traitée en détail ultérieurement.
Je renvoie le Tribunal, sans en lire davantage, parce que je l’ai déjà résumé, à l’extrait de Das Archiv, constituant le document D-472, que je dépose maintenant sous le nº GB-130 ; je le renvoie aussi à l’extrait de l’annuaire des SS qui contient l’examen de la généalogie des chefs SS, que je dépose sous le nº GB-131. Encore une fois, je n’importunerai pas le Tribunal avec des détails. Ce document révèle son grade, que j’ai déjà mentionné. Il n’y est pas question de grade à titre honoraire. Cet annuaire lui attribue simplement le grade de Gruppenführer et, évidemment, il donne son ascendance d’une façon détaillée afin de se conformer à la loi réglementant la matière. Il mentionne l’adoption qu’il fit de la particule « von » mais les preuves concernant l’accusé doivent maintenant porter sur des questions plus sérieuses que des controverses stériles avec l’Almanach de Gotha.
Le seul document nouveau que je déposerai devant le Tribunal dans cette partie de l’exposé est la pièce GB-129, document PS-1337, qui dépeint la création du Conseil de Cabinet secret, et la nomination du ministre des Affaires étrangères. Telles sont les activités de l’accusé dans la première partie de sa carrière ; selon la thèse du Ministère Public, elles montrent très clairement qu’il appuya volontairement, délibérément, intentionnellement, l’accession par la force des nazis au pouvoir, et qu’il les aida dans les premières étapes de leur acquisition du contrôle de l’État allemand.
Je passe maintenant à la seconde allégation contenue dans l’Acte d’accusation ; cet accusé prit part à l’établissement du plan politique et à la préparation par les conspirateurs nazis de guerres d’agression et de guerres menées en violation des traités, accords et engagements internationaux. Là encore, il pourrait être utile au Tribunal que je prenne ces points très brièvement dans l’ordre des agressions successives, et que j’établisse les éléments constitutifs des qualifications que nous formulons, en indiquant les références aux questions déjà présentées au Tribunal, et en me bornant à renvoyer le Tribunal à tout document nouveau que je pourrais présenter maintenant.
Le premier de ces éléments est constitué par l’Anschluss avec l’Autriche. À ce sujet le Tribunal se rappellera que l’accusé Ribbentrop assistait à une réunion à Berchtesgaden, le 12 février 1938, au cours de laquelle Hitler et von Papen rencontrèrent le chancelier autrichien von Schuschnigg et son ministre des Affaires étrangères, Guido Schmidt. Le Tribunal trouvera le communiqué officiel de cette réunion dans le document PS-2461, que je dépose sous le nº GB-132. Le Tribunal trouvera de même, je crois, un compte rendu intégral de l’entrevue dans le document PS-1780 (USA-72) qui est le journal de l’accusé Jodl ; les passages intéressants sont ceux des 11 et 12 février 1938. Ils sont extrêmement courts, et je demanderai au Tribunal de bien vouloir me permettre de les lire. Ils appuient très clairement la thèse du Ministère Public en montrant la pression à laquelle fut soumise le chancelier Schuschnigg au cours de cette entrevue. C’est au bas de la première page du livre de documents ; c’est le document PS-1780. Le 11 février, l’accusé Jodl écrit :
« Dans la soirée du 12 février, le général K » – lisez Keitel – « avec les généraux von Reichenau et Sperrle à Obersalzberg. Schuschnigg, ainsi que R. G. Schmidt, sont encore soumis à la plus forte pression politique et militaire. À 23 heures, Schuschnigg signe le protocole.
« 13 février : dans l’après-midi, le général Keitel nous demande, à l’amiral C » – lisez Canaris – « et à moi-même, de venir dans son appartement ; il nous déclare que l’ordre du Führer est de maintenir jusqu’au 15 la pression militaire en simulant une action militaire. Des projets sont établis pour ces manœuvres de feinte et soumis par téléphone au Führer pour approbation.
« 14 février : À 2 h. 40 arrive l’accord du Führer. Canaris part pour Munich au service de l’Abwehr VII et met en action les différentes mesures.
« Leur effet est rapide et puissant. En Autriche, on crée l’impression que l’Allemagne est en train d’entreprendre de sérieux préparatifs militaires. »
Il est assez intéressant, après avoir lu les déclarations sans ambages de l’accusé Jodl, de considérer la pâle rédaction du communiqué officiel que j’ai également déposé. C’est le compte rendu de la réunion avec Schuschnigg que le Ministère Public a soumis au Tribunal.
Que le Tribunal veuille bien ne pas tenir compte d’une allégation qui figure dans l’exposé écrit, selon laquelle cet accusé aurait rendu visite à Mussolini avant l’Anschluss, comme l’a déclaré à cette époque un membre de ses bureaux. Un autre de ses subordonnés a déclaré que ce fait était inexact. Par conséquent je préférerais que le Tribunal l’écartât.
Le point suivant, qui ne prête pas à discussion, est la conversation téléphonique qui eut lieu entre l’accusé Göring et l’accusé Ribbentrop le 13 mars 1938, alors que celui-ci était encore à Londres. Le Tribunal se souviendra que cette question a été traitée complètement par mon ami, M. Alderman. Il s’agissait de ce que le Ministère Public estime être une déclaration complètement fausse, à savoir qu’il n’y eut pas d’ultimatum. Les circonstances de cet ultimatum ont été expliquées par les conversations téléphoniques antérieures avec l’accusé Göring à Vienne. Celui-ci transmit alors sa déclaration à l’accusé Ribbentrop à Londres afin qu’il pût propager dans les cercles politiques de Londres la version selon laquelle il n’y aurait pas eu d’ultimatum. C’est ce qui ressort de la conversation téléphonique qui constitue le document PS-2949 (USA-76) et, je le répète, ce point est entièrement traité au compte rendu sténographique des débats (Tome II, page 422).
La troisième action à laquelle cet accusé prit part se produisit après son retour de Londres. Bien qu’il eût été nommé ministre des Affaires étrangères en février, il était retourné à Londres pour liquider ses affaires à l’ambassade et il était encore à Londres après la réalisation effective de l’Anschluss ; cependant, son nom figure parmi ceux des signataires de la loi faisant de l’Autriche une province du Reich allemand. C’est le document PS-2307, que je dépose maintenant comme pièce GB-133, avec une référence au Reichsgesetzblatt. Tels furent les actes commis par l’accusé à l’égard de l’Autriche.
Nous passons maintenant au cas de la Tchécoslovaquie, qui vous fournit un exemple presque parfait du travail d’agression et des méthodes variées qu’il comporte. Là encore, c’est le plus brièvement possible que je rappellerai au Tribunal les points essentiels. Il y a d’abord la question de la création de troubles à l’intérieur du pays contre lequel on se prépare à agir.
L’accusé, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, avait pour mission de soulever les Allemands des Sudètes sous la direction de Henlein ; les contacts entre le ministère des Affaires étrangères et Henlein sont révélés dans les documents USA-93, 94, 95 et 96. Ce sont les documents PS-3060, PS-2789, PS-2788 et PS-3059. Ils ont tous été lus par mon ami M. Alderman, mais je me contente de signaler au Tribunal en quoi consiste leur objet : orienter le mouvement allemand des Sudètes dans un sens conforme aux vues du Gouvernement du Reich.
L’accusé Ribbentrop assista ensuite, le 28 mai 1938, à l’entrevue au cours de laquelle Hitler donna les instructions nécessaires pour préparer l’attaque contre la Tchécoslovaquie. Ce point a déjà été traité (compte rendu des débats, Tome III, page 51). Je désire déposer devant le Tribunal le document PS-2360 ; c’est le compte rendu d’un discours de Hitler publié dans le Völkischer Beobachter ; et, si le Tribunal veut bien le consulter, il verra qu’il porte une date utile à établir dans l’agression contre la Tchécoslovaquie, car c’est précisément celle du jour où Hitler a décidé, en termes propres, qu’une agression aurait lieu contre ce pays. L’extrait que j’en tire est très court et, si le Tribunal veut bien regarder le bas de la page 1, colonnes 5 et 6, il pourra lire ce passage important :
« En raison de cette insupportable provocation, encore aggravée par une politique d’infâme persécution et de terreur dirigée contre ceux de nos compatriotes allemands qui se trouvent là-bas, je viens de prendre la décision de donner au problème des Allemands des Sudètes une solution définitive et radicale. »
C’était en janvier 1939. Il continue en disant :
« Le 28 mai… j’ai donné l’ordre que les préparatifs d’action militaire entrepris contre cet État soient terminés pour le 2 octobre… »
Le point important est celui-ci : le 28 mai est la date à laquelle furent donnés les ordres sur le « Fall Grün » pour la Tchécoslovaquie, ces ordres devaient être appliqués de façon à aboutir à sa réalisation complète au commencement d’octobre. Voici la seconde étape : Établir bien à l’avance les plans d’agression. La troisième étape consiste à s’assurer que les États voisins ne soient pas en mesure de causer des ennuis.
C’est ainsi que nous apprenons que le 18 juin 1938, l’accusé eut une conversation avec l’ambassadeur italien Attolico au cours de laquelle on discuta de l’attaque contre la Tchécoslovaquie. C’est le document PS-2800 (USA-85). Et il y eut encore des discussions ultérieures qui sont rapportées dans les documents PS-2791 et PS-2792 (USA-86 et USA-87).
Je pense qu’il me suffira de dire au Tribunal que le contenu de ces documents révéla qu’on fit comprendre clairement au Gouvernement italien que le Gouvernement allemand allait entreprendre une action contre la Tchécoslovaquie.
L’autre pays intéressé était la Hongrie, car ce pays avait des ambitions territoriales sur certaines parties de la République tchécoslovaque.
Les 23 et 25 août, l’accusé assista et participa lui-même à des discussions avec les hommes politiques hongrois Imredy et Kania ; le texte de ces discussions se trouve dans les documents PS-2796 et PS-2797 (USA-88 et 89).
L’accusé s’efforça d’obtenir des promesses d’appui de la part de la Hongrie ; le Gouvernement hongrois n’était pas alors très favorable à l’idée de se lancer dans une action, bien qu’il manifestât sa sympathie. C’est ce qui ressort des documents que j’ai mentionnés. Mais, à moins que le Tribunal ne le désire, je ne lirai pas ces documents que j’ai ainsi résumés.
J’ai déjà mentionné qu’il y avait eu des contacts avec les Allemands des Sudètes. C’était là le vieux grief qu’il fallait exploiter. Mais la prochaine étape consistait à se procurer un grief actuel et à fomenter des troubles, de préférence à la source même. Et c’est ainsi que, entre le 16 et le 24 septembre, nous voyons le ministère des Affaires étrangères allemand, dont l’accusé était le chef, susciter des troubles à Prague ; cela ressort très clairement des documents PS-2858, PS-2855, PS-2854, PS-2853 et PS-2856 (USA 97 à 101). Je les ai lus dans l’ordre chronologique. Le Tribunal aurait intérêt à les consulter. En suivant le dernier document que nous venons de considérer, en commençant par le PS-2858, vous verrez les événements. Je rappelle au Tribunal le document daté du 19 septembre adressé par le ministère des Affaires étrangères à l’Ambassade allemande à Prague.
« Prière d’informer le député Kundt, à la requête de Conrad Henlein, d’entrer immédiatement en contact avec les Slovaques et de les pousser à formuler le jour suivant leurs revendications en matière d’autonomie. »
Et les autres traitent des arrestations et des mesures qui seraient prises contre les Tchèques en Allemagne afin de rendre la situation plus tendue.
Voilà comment l’accusé a contribué à la crise qui précéda Munich. Puis, le Tribunal s’en souviendra, l’accord de Munich fut signé le 29 septembre 1938. C’est la pièce GB-23 (document TC-23) que j’ai déjà lue au Tribunal.
Je ne ferai ensuite que rappeler au Tribunal un document intéressant qui montre la nature des ordres d’action et des conseils que la Wehrmacht attendait du ministère des Affaires étrangères.
Vous avez, portant la date du 1er octobre, le document C-2, déposé sous le nº USA-90 ; c’est un long document qui présente une variété presque infinie de violations du droit international susceptibles de se produire ou de s’être produites du fait de l’action entreprise contre la Tchécoslovaquie ; sur chacun de ces points, on demande l’opinion du ministère des Affaires étrangères. On resta évidemment dans le domaine de l’hypothèse puisqu’aucune guerre ne s’ensuivit.
Nous en arrivons ensuite, Messieurs, à la deuxième étape de la conquête de la Tchécoslovaquie : après avoir obtenu les Sudètes, il fallait arriver à une crise en Tchécoslovaquie qui fournirait un prétexte à prendre le reste. Le Tribunal se rappellera l’importance de ce point parce que c’est la première fois que le Gouvernement allemand trahit sa promesse de ne pas aller au-delà du sang allemand.
À cet égard encore, l’accusé se montra actif. Le 13 mars, comme les événements évoluaient vers leur paroxysme, il envoya un télégramme au ministre allemand à Prague, qui était sous ses ordres, pour lui dire de « prendre ses dispositions pour ne pas être disponible au cas où le Gouvernement tchèque voudrait entrer en contact avec lui dans les jours à venir ». C’est le document PS-2815 (USA-116).
Au même moment, l’accusé rencontra une délégation de Slovaques pro-nazis à Berlin. Au cours d’une entrevue avec Hitler, à laquelle il assistait, Tiso, l’un des chefs des Slovaques pro-nazis, reçut l’ordre de proclamer l’indépendance de l’État slovaque, afin d’aider à la désintégration de la Tchécoslovaquie. C’est ce qui ressort du document PS-2802 (USA-117), et le Tribunal pourrait utilement le comparer avec le compte rendu d’une réunion antérieure à laquelle participa un autre Slovaque, Tuka, un mois auparavant ; ce compte rendu figure dans le document PS-2790 déposé sous le nº USA-110. Ainsi, une fois encore, l’accusé prêtait son concours à la création de troubles intérieurs.
Puis, le lendemain, 14 mars 1939, Hacha, Président de Tchécoslovaquie, fut appelé à Berlin. L’accusé assistait à la rencontre, et le Tribunal se souviendra des pressions et des menaces habituelles qui eurent pour résultat que le vieux Président confia l’État tchécoslovaque à Hitler. Le Tribunal trouvera ce sujet traité au procès-verbal (Tome III, page 169) ; la pièce qui s’y rapporte est le document PS-2798 (USA-118), constitué par le compte rendu de l’entretien entre Hitler et Hacha auquel assistait l’accusé. La question est également traitée dans le document PS-3061 (USA-126), qui est le rapport du Gouvernement tchécoslovaque.
Telle fut la fin de la partie tchèque de la Tchécoslovaquie. La semaine suivante, l’accusé signa avec la Slovaquie un traité que je dépose maintenant. C’est le document PS-1439 que je dépose sous le nº GB-135. La partie importante en est l’article 2, aux termes duquel le Gouvernement allemand se voyait conférer le droit de construire des postes et installations militaires et d’y entretenir des garnisons à l’intérieur de la Tchécoslovaquie. À nouveau, je ne compte pas le lire entièrement, mais j’espère que le Tribunal m’arrêtera s’il désire que certains de ces documents soient lus au lieu d’être résumés.
De cette manière, après avoir complètement supprimé la Bohême et la Moravie en tant qu’États indépendants, l’accusé avait obtenu, grâce aux dispositions de ce traité, le contrôle militaire de la Slovaquie.
Avant de passer à la Pologne, il y a un point d’importance secondaire concernant la Baltique du nord, que je désire soumettre au Tribunal car son intérêt consiste à montrer que l’accusé ne pouvait pas s’empêcher d’intervenir dans les affaires intérieures des autres pays, même lorsqu’il ne s’agissait que d’affaires insignifiantes. Le Tribunal se rappellera que, le 3 avril 1939, ainsi qu’il ressort du document GB-4, TC-53 (a), l’Allemagne avait occupé le territoire de Memel. On aurait pu croire que du côté des États baltes la situation était satisfaisante ; mais si le Tribunal veut bien se reporter au document PS-2953, que je dépose sous le nº GB-136, et au document PS-2952, que je dépose sous le nº GB-137, il verra que l’accusé agissait en rapports étroits avec feu le conspirateur Heydrich, pour susciter des troubles en Lituanie par l’intermédiaire d’un groupe de pro-nazis appelés les « chevaliers de Waldemar ». Le document PS-2953 montre que Heydrich transmettait à l’accusé Ribbentrop une demande de secours financiers pour les…
Allez-vous lire le document PS-2953 ?
Oui, Votre Honneur. C’est celui que j’allais lire. C’est une lettre de Heydrich à l’accusé Ribbentrop ; on lit :
« Cher camarade du Parti von Ribbentrop,
« Veuillez trouver ci-joint un nouveau rapport sur les “Chevaliers de Waldemar”. Comme il est déjà dit dans le précédent rapport, les “Chevaliers de Waldemar” demandent encore l’appui du Reich. Je vous demande donc d’examiner la question du soutien financier qui est à nouveau posée par les “Chevaliers de Waldemar” à la page 4, paragraphe 2 du rapport ci-joint, et de prendre à ce sujet une décision définitive.
« À mon avis, cette demande de soutien financier de la part des “Chevaliers de Waldemar” pourrait être acceptée. Il ne faudrait pas, cependant, en aucune circonstance, effectuer de livraisons d’armes. »
Le document qui vient ensuite, PS-2952, est un rapport plus détaillé qui se termine par une phrase écrite, à la main : « J’accepte de petits versements réguliers, c’est-à-dire de 1000 à 3000 marks par trimestre. » Je crois que le W représente la signature du secrétaire d’État.
Si j’ai cité cette lettre, c’est pour montrer cette intrusion singulière dans les affaires de pays relativement peu importants.
Nous passons maintenant à l’agression contre la Pologne ; là encore, cette matière a été exposée d’une façon détaillée au Tribunal par mon ami le colonel Griffith-Jones, mais il pourrait également être utile que je classe simplement les différentes périodes afin que le Tribunal les ait présentes à l’esprit. La première est celle qu’on peut appeler la période de Munich, qui va jusqu’à la fin de septembre 1938 ; à ce moment, il n’y avait pas assez de bonnes paroles pour la Pologne. Le Tribunal s’en souviendra. Les documents importants qui illustrent cet aspect de l’affaire sont le document PS-2357 (GB-30) constitué par le discours de Hitler au Reichstag, le 20 février 1938, puis le document TC-76 (GB-31), qui est le mémorandum secret du ministère des Affaires étrangères du 26 août 1938, et le document TC-73, nº 40 (GB-27). TC-73 représente le numéro du Livre Blanc polonais et 40 le numéro du document dans le livre. C’est un extrait de la conversation entre l’ambassadeur de Pologne, M. Lipski, et l’accusé. Le dernier de ce groupe est le document TC-73, nº 42, le discours prononcé par Hitler au Sportpalast le 26 septembre 1938 dans lequel il déclara que c’était la fin de ses revendications territoriales en Europe et exprima une affection presque violente pour les Polonais.
La phase suivante se place entre Munich et la prise de Prague ; et, dans cette phase – une partie des agressions allemandes contre la Tchécoslovaquie étant accomplie et d’autres restant à entreprendre – il y a un léger changement, mais l’atmosphère reste cordiale. Cela commence par une conversation entre l’accusé et M. Lipski, rapportée dans le document TC-73, nº 44 (GB-27).
Au cours de cette conversation, l’accusé formule des suggestions très pacifiques pour le règlement de la question de Dantzig. La réponse polonaise est contenue dans le document GB-28 (TC-73-45).
Vous n’en avez pas donné la date, n’est-ce pas ?
Le premier document est du 24 octobre 1938 ; la réponse polonaise, qui déclare que le retour de Dantzig au Reich est inacceptable mais propose un accord bilatéral, est du 31 octobre 1938. Le Tribunal se rappellera qu’entre ces dates, d’après le document C-137 (GB-33), daté du 21 octobre, le Gouvernement allemand avait fait ses plans pour occuper Dantzig par surprise. Mais, malgré cela, deux mois plus tard encore, le 5 janvier 1939, alors que la prise de Prague n’avait pas encore eu lieu, Hitler proposait au ministre des Affaires étrangères polonais, M. Beck, une nouvelle solution. Elle est contenue dans le document TC-73, nº 48 (GB-34), compte rendu de l’entrevue de Hitler et de Beck, le 5 janvier 1939.
C’est alors que l’accusé vit M. Beck le lendemain et lui dit qu’il n’y aurait aucune solution violente du problème de Dantzig, mais qu’au contraire, des relations amicales s’établiraient. C’est ce qui ressort du document TC-73, nº 49 (GB-35). Non content de cela, l’accusé se rendit à Varsovie le 25 janvier et, si l’on en croit le compte rendu de son discours qui se trouve dans le document PS-2530 (GB-36), il parla du progrès continuel et de la consolidation des relations amicales ; et ces déclarations furent couronnées par le discours de Hitler au Reichstag, le 30 janvier 1939, qui est dans le même ton ; ce discours est rapporté dans le document TC-73, nº 57 (GB-37). Telle fut la seconde phase. On y parle de la question de Dantzig en termes mielleux et ce, naturellement, parce que la prise de Prague n’avait pas été réalisée.
On doit se rappeler ensuite, lorsqu’on en vient à l’été, la réunion tenue à la chancellerie du Reich le 23 mai 1939, et relatée dans le document L-79 (USA-27). On l’a lu souvent au Tribunal, et je n’en rappellerai qu’un seul point : c’est le document dans lequel Hitler explique clairement et déclare selon ses propres termes que Dantzig n’a rien à voir avec la vraie question polonaise. S’il s’occupe de la Pologne, c’est parce qu’il veut de l’espace vital à l’Est. Il résulte de cette partie du document, qui fut si souvent lue au Tribunal, que Dantzig ne fut qu’un prétexte.
Il est important d’avoir présent à l’esprit, s’il m’est permis de le suggérer respectueusement, le fait que cette réunion se place le 23 mai 1939 ; en effet il existe dans l’introduction au journal du Comte Ciano, qui fut déposé sous le nº USA-166, document PS-2897, une confirmation éclatante de cette attitude de l’accusé Ribbentrop qui avait fait sien le point de vue de Hitler. Je ne crois pas que cette partie du journal, cette introduction, ait été lue auparavant. C’est le nº PS-2897 qui vient immédiatement après le nº L-79 qui est le « Petit Schmundt », juste après le document d’Obersalzberg. Elle figure au dossier d’audience si le Tribunal désire l’y suivre. Le comte Ciano déclare :
« … Au cours de l’été de 1939, l’Allemagne éleva ses revendications envers la Pologne, bien entendu sans que nous en ayons connaissance ; Ribbentrop même avait en fait plusieurs fois démenti à notre ambassadeur que l’Allemagne eût aucune intention de porter le différend jusqu’à ses extrêmes limites. Malgré ce démenti, je restai sceptique ; je voulus m’en rendre compte moi-même et le 11 août, je me rendis à Salzbourg. Ce fut dans sa résidence à Fuschl que Ribbentrop m’informa, avant de passer à table, de la décision de déclencher le feu d’artifice, tout comme il m’aurait prévenu de la moins importante et de la plus commune des questions administratives. “Eh bien, Ribbentrop”, lui demandai-je, tandis que nous marchions dans le jardin, “que voulez-vous ? le Corridor ou Dantzig ?” – “Plus maintenant” – et, me regardant fixement de ses yeux froids de mannequin du Musée Grévin : “Nous voulons la guerre”. »
Je rappelle au Tribunal combien ce fait corrobore étroitement la déclaration que Hitler avait faite au cours de l’entrevue qui eut lieu à la Chancellerie le 23 mai, suivant laquelle il n’était plus question de Dantzig et du Corridor, mais de la guerre, pour obtenir l’espace vital à l’Est.
Je rappelle ensuite au Tribunal, sans faire de citation, que le « Fall Weiss » pour les opérations contre la Pologne est daté des 3 et 11 avril 1939, ce qui démontre avec certitude que les préparatifs étaient déjà en cours.
Il y a aussi une autre référence au journal du comte Ciano qui n’a pas encore été faite et qui éclaircit complètement cette question. Si le Tribunal veut bien l’accepter telle qu’elle figure dans le dossier d’audience, je lirai cette citation, puisqu’elle ne l’a pas été auparavant :
« J’ai réuni les comptes rendus de mes conversations avec Ribbentrop et Hitler ; je ne ferai que noter quelques impressions générales : Ribbentrop est évasif chaque fois que je lui demande des détails sur la prochaine action allemande. Il n’a pas la conscience tranquille. Il a menti trop souvent sur les intentions allemandes à l’égard de la Pologne pour ne pas se sentir embarrassé de ce qu’il doit me dire maintenant et de ce qu’il est en train de préparer.
« Sa volonté de combattre est inflexible. Il rejette toute solution qui pourrait satisfaire l’Allemagne et empêcher le conflit. Je suis certain que, même si l’on donnait aux Allemands tout ce qu’ils demandent, ils attaqueraient quand même, parce qu’ils sont possédés du démon de la destruction.
« Notre conversation prend quelquefois un tour dramatique. Je n’hésite pas à lui dire ce que je pense de la façon la plus brutale. Mais cela ne l’ébranle pas du tout. Je suis à même de comprendre le peu de poids que mon point de vue a dans l’opinion allemande.
« L’atmosphère est glaciale. Et le froid qu’il y a entre nous se répercute sur ceux qui nous suivent. Pendant le dîner nous n’échangeons pas un mot. Nous nous méfions l’un de l’autre. Mais moi au moins j’ai la conscience pure. Lui, non. »
Quelques autres défauts qu’ait pu avoir le Comte Ciano, aucun document ne peut donner une appréciation plus juste de la situation que ce diagnostic sur la situation pendant l’été de 1939.
Nous passons ensuite à la phase suivante du plan allemand ; c’est une pression intense pour obtenir Dantzig, qui s’exerça immédiatement après qu’on en eût fini le 15 mars avec la Tchécoslovaquie. On a démontré combien cet événement suivit de près la prise de Prague. Les premières revendications violentes furent présentées le 21 mars, ainsi que le montre le document TC-73, nº 61 (GB-38). Et la situation évolua comme le colonel Griffith-Jones l’a expliqué au Tribunal.
Nous passons alors aux derniers jours de l’avant-guerre et un incident intéressant nous est fourni par le fait que M. von Dirksen, ambassadeur allemand à la Cour de Saint-James, revint de Londres le 18 août 1939 ; je dépose l’extrait d’un interrogatoire de l’accusé Ribbentrop qui constitue le document D-490. Je le dépose sous le nº GB-138.
Je n’ai pas l’intention de le lire au Tribunal parce qu’on peut le résumer de la façon suivante : l’accusé Ribbentrop ne se souvenait absolument pas d’avoir jamais vu l’ambassadeur allemand à la Cour de Saint-James après son retour. Il pensait qu’il s’en serait souvenu, s’il l’avait vu, et considérait comme certain de ne pas l’avoir vu. Et c’est bien là le point capital : alors qu’il était de notoriété publique que la guerre avec la Pologne entraînerait la guerre avec l’Angleterre et la France, il simula l’indifférence, soit parce qu’il ne portait pas assez d’intérêt à l’opinion de Londres pour prendre la peine de voir son ambassadeur, soit, ainsi qu’il préfère le suggérer, parce qu’il avait nommé à Londres un diplomate de carrière si faible et si ordinaire que son opinion n’était prise en considération ni par lui-même ni par Hitler. Dans tous les cas, il était complètement indifférent à tout ce que son ambassadeur aurait pu avoir à lui dire sur l’opinion de Londres ou sur la possibilité de la guerre. Et j’ai conscience de parler avec une grande modération lorsque je dis que, dans les derniers jours qui précédèrent le 1er septembre 1939, cet accusé fit tout ce qu’il put pour éviter le maintien de la paix avec la Pologne et pour prévenir tout ce qui aurait pu entraver l’encouragement à la guerre ; nous savons qu’il la désirait. Il le fit, sachant parfaitement que la guerre avec la Pologne entraînerait la guerre avec la Grande-Bretagne et la France. Tous les détails sur ce sujet ont été fournis par le colonel Griffith-Jones. Je n’y reviendrai donc point, mais, pour la commodité du Tribunal, je renvoie au compte rendu sténographique des débats (Tome III, page 221) ; d’autre part, M. Lipski a résumé tous ces événements dans son rapport du 10 octobre 1939 qui est le document TC-73, nº 147 (GB-27). Tels sont les actes de l’accusé dans l’affaire polonaise. J’ai le plaisir d’informer le Tribunal qu’à l’égard des autres pays ils sont beaucoup plus brefs qu’à l’égard de la Pologne.
Je passe maintenant à la Norvège et au Danemark. Je rappelle au Tribunal, s’il désire en prendre connaissance, le fait que, le 31 mai 1939, l’accusé Ribbentrop, au nom de l’Allemagne, signa un pacte de non-agression avec le Danemark, aux termes duquel :
« Le Reich allemand et le royaume de Danemark n’auront recours à la guerre en aucun cas et ne feront pas usage de la force l’un contre l’autre sous quelque forme que ce soit. » C’est le document TC-24 (GB-77). Et, pour préciser la date, le Tribunal se rappellera que le 7 avril 1940, les Forces allemandes envahirent le Danemark et, qu’en même temps, elles envahirent la Norvège.
À l’égard de la Norvège, il y a trois documents qui montrent que l’accusé était parfaitement au courant des premiers préparatifs effectués en vue de cet acte d’agression. Le Tribunal se souviendra que mon ami, le commandant Elwyn Jones, a indiqué en détail les relations qui existaient entre Quisling et l’accusé Rosenberg. Mais, dans cette affaire, Rosenberg demanda aussi l’aide de l’accusé Ribbentrop ; si le Tribunal veut bien passer au document PS-957, que je dépose sous le nº GB-139, il verra le premier des documents qui établissent que cet accusé a été mêlé aux premières activités de Quisling.
Ce premier document, PS-957, est une lettre de l’accusé Rosenberg à Ribbentrop ; elle commence ainsi :
« Cher camarade du Parti von Ribbentrop,
« Le camarade du Parti Scheidt est revenu et a fait un rapport détaillé au conseiller privé von Grundherr, qui vous en parlera. Nous étions convenus l’autre jour, qu’une somme de 200.000 à 300.000 Reichsmark serait rendue immédiatement disponible pour l’objet en question. Il se révèle maintenant… d’après les déclarations de Grundherr, que le deuxième versement ne sera disponible que dans huit jours. Mais comme il est nécessaire que Scheidt reparte immédiatement, je vous demande de faire en sorte que ce second versement lui soit remis immédiatement. Au cas d’une absence plus longue… les relations avec nos représentants seraient également rompues, ce qui, dans les circonstances présentes, serait très défavorable.
« Par conséquent, je crois qu’il est de l’intérêt de tous que le camarade du Parti Scheidt reparte immédiatement. »
C’était le 24 février.
Le document suivant PS-004 est un rapport de Rosenberg à Hitler et, si le Tribunal veut bien passer à la page 4 – il s’agit des activités de Quisling – il trouvera que ce passage suffit à montrer que l’accusé fut en relation avec elles.
C’est un rapport de Rosenberg à Hitler.
« En plus du soutien financier qui a été payé par le Reich en monnaie étrangère, on avait promis à Quisling, à titre d’aide complémentaire, un envoi de marchandises dont la Norvège avait un besoin urgent, telles que du charbon et du sucre. Ces envois devaient être effectués sous le couvert d’une nouvelle compagnie de commerce prête à être fondée en Allemagne ou par l’intermédiaire de firmes déjà existantes spécialement choisies, tandis que Hagelin devait agir comme consignataire en Norvège. Hagelin avait déjà conféré avec les ministres intéressés du Gouvernement Nygaardsvold, tels que, par exemple, le ministre du Ravitaillement et du Commerce et il avait obtenu l’autorisation pour l’importation du charbon. En même temps, les transports de charbon devaient peut-être servir à apporter les moyens techniques nécessaires pour lancer l’action politique de Quisling à Oslo avec l’aide allemande. Le plan de Quisling était d’envoyer en Allemagne un certain nombre d’hommes triés sur le volet et particulièrement sûrs pour leur faire subir une courte période d’entraînement militaire dans un camp complètement isolé. Ils devaient ensuite être répartis comme interprètes et techniciens de la topographie du pays entre les troupes spéciales allemandes qui devaient être amenées à Oslo sur les péniches à charbon, pour entreprendre une action politique. Ainsi, Quisling projetait de mettre la main sur ses principaux adversaires en Norvège, y compris le Roi, et d’étouffer dans l’œuf toute résistance militaire. Immédiatement à la suite de cette action politique et sur requête officielle de Quisling au Gouvernement du Reich allemand, l’occupation militaire de la Norvège devait avoir lieu. Tous les préparatifs militaires devaient être achevés au préalable. Bien que ce plan contînt le gros avantage de la surprise, il impliquait aussi un grand nombre de dangers qui pouvaient causer son échec. C’est pour cette raison qu’il reçut un accueil peu enthousiaste, bien qu’au même moment, on ne le désapprouvât pas du côté des Norvégiens.
« En février, après une entrevue avec le maréchal Göring, le Reichsleiter Rosenberg n’informa le directeur ministériel du Plan de quatre ans, Wohltat, que de son intention de préparer des envois de charbon pour la Norvège, destinés à l’homme de confiance nommé Hagelin. D’autres détails furent discutés au cours d’une entrevue entre le secrétaire Wohltat, le directeur de cabinet Schickedanz et Hagelin. Comme Wohltat ne recevait pas d’autres instructions du maréchal, le ministre des Affaires étrangères, von Ribbentrop, – après s’être entretenu avec le Reichsleiter Rosenberg – consentit à effectuer ces envois par l’intermédiaire de ses services. Sur la base d’un rapport du Reichsleiter Rosenberg au Führer, il fut aussi convenu de payer à Quisling par le truchement de Scheidt 10.000 livres anglaises par mois pendant trois mois à partir du 15 mars, pour l’aider dans son travail. »
Cette somme fut payée par l’intermédiaire de Scheidt qui a été mentionné plus haut.
L’autre document, D-629, est une lettre de l’accusé Keitel à l’accusé Ribbentrop, datée du 3 avril 1940. Je n’importunerai le Tribunal qu’avec le premier paragraphe. L’accusé Keitel déclare :
« Cher Monsieur von Ribbentrop,
« L’occupation militaire du Danemark et de la Norvège a été, sur l’ordre du Führer, longuement préparée par le Haut Commandement de la Wehrmacht. Le Haut Commandement de la Wehrmacht a donc eu amplement le temps de s’occuper de toutes les questions ayant trait à l’exécution de cette opération. Le temps mis à votre disposition pour la préparation politique de cette opération est au contraire beaucoup plus court. Je crois donc agir en conformité avec vos vues en vous transmettant ci-inclus, non seulement ces désirs de la Wehrmacht, qui devraient être comblés par les Gouvernements d’Oslo, de Copenhague et de Stockolm pour des raisons purement militaires, mais aussi une série de requêtes qui, évidemment, ne concernent la Wehrmacht qu’indirectement mais qui sont de la plus haute importance pour l’accomplissement de sa tâche. »
Il continue alors en demandant au ministère des Affaires étrangères d’entrer en contact avec certains commandants en chef. La raison importante pour laquelle j’ai lu cette lettre au Tribunal, pour la première fois, je crois, c’est que nous voyons ici l’accusé Keitel affirmer très clairement que l’occupation militaire du Danemark et de la Norvège a été longuement préparée. Ce point est intéressant lorsqu’on considère la carrière officielle de Ribbentrop qui est contenue dans les archives et constitue le document D-472. Je n’en cite qu’une phrase, simplement pour faire ressortir le contraste intéressant :
« Avec l’occupation du Danemark et de la Norvège, le 9 avril 1940, quelques heures seulement avant le débarquement des troupes britanniques sur ces territoires, la bataille commença contre les puissances occidentales. »
II continue en parlant de la Hollande et de la Belgique.
C’est très clair : il importe peu de savoir qui était au courant ou qui ignorait : l’accusé Ribbentrop a trempé jusqu’au cou dans les complots de Quisling ; et on lui avait clairement dit une semaine avant l’invasion que la Wehrmacht et l’accusé Keitel avaient longuement préparé cet acte d’agression déterminé.
Je crois, Monsieur le Président, que ce sont vraiment là tous les documents qui concernent l’agression contre la Norvège, parce que, en cette matière encore, l’ensemble des faits a été complètement exposé par mon ami le commandant Elwyn Jones.
Nous allons suspendre l’audience.