TRENTIÈME JOURNÉE.
Mercredi 9 janvier 1946.
Audience de l’après-midi.
J’avais commencé, Messieurs, à traiter de l’agression contre la Tchécoslovaquie, et le Tribunal se souviendra que le document le plus révélateur à cet égard est le document PS-388 (USA-26). Ce dossier, qui est celui du « Cas Vert », contient à mon avis des preuves abondantes contre Jodl et Keitel et montre qu’ils exerçaient bien les fonctions respectives de chef du Haut Commandement des Forces armées et de chef de l’État-Major d’opérations.
Puis-je rappeler au Tribunal l’article 2 ? Je n’ai pas l’intention de lire quoi que ce soit. Je veux simplement me référer à des notes prises au cours d’une réunion qui se tint le 21 avril 1938. Le fait que Keitel et le Führer se rencontrèrent en tête-à-tête est de nature à retenir l’attention : il montre en effet l’étroitesse des relations qui existaient entre les deux hommes. Ce fut au cours de cette réunion que furent discutés les plans préliminaires de l’affaire, y compris la possibilité d’un incident, à savoir l’assassinat de l’ambassadeur d’Allemagne à Prague. L’article 5 de ce dossier, daté du 20 mai 1938, montre les plans, élaborés par Keitel, de la campagne politique et militaire menée contre la Tchécoslovaquie. L’article 11, daté du 30 mai 1938, est une directive signée de Keitel pour l’invasion de la Tchécoslovaquie, fixée au 1er octobre 1938. Beaucoup d’articles portent les initiales de Jodl, les numéros 14 et 17, pour n’en citer que deux. Peut-être, pour la bonne règle, devrais-je également citer les autres, c’est-à-dire les articles 24, 36 et 37. Il y a aussi, dans les articles 31 et 32, la directive du 27 septembre 1938 signée par Keitel, qui contient des ordres pour la mobilisation secrète. Le journal de Jodl, PS-1780, contient de nombreuses allusions à l’agression imminente, notamment aux dates du 13 mai et du 8 septembre, ainsi qu’une inscription révélatrice, en date du 11 septembre, dans le journal de Jodl, qui constitue le document PS-1780, qui déclare...
Voulez-vous nous donner la date ?
Excusez-moi, Monsieur le Président, c’est le 11 septembre 1938.
« L’après-midi, conférence avec le secrétaire d’État Hahnke, du ministère de l’Instruction publique et de la Propagande, sur les tâches d’intérêt commun les plus urgentes. Sommes convenus qu’il était particulièrement important de préparer conjointement tous les arguments nous permettant de nier nos propres violations du Droit international et d’empêcher que les ennemis ne les exploitent. »
J’insiste sur ces mots « nos propres violations du Droit international ».
Messieurs, à la suite de cette conférence, on prépara le document C-2 auquel s’est référé notre éminent Procureur Général Sir David et le Tribunal se souviendra qu’il contient dans deux colonnes symétriques les violations éventuelles du Droit international et le prétexte qu’il faudra fournir pour les justifier. On a parlé si récemment de ce document qu’il n’est pas nécessaire d’y revenir.
À mon humble avis, cette partie des débats montre de façon probante que Keitel et Jodl ont joué un rôle important, et même essentiel, dans l’agression contre la Tchécoslovaquie qui mena à l’accord de Munich. Dès que ces accords de Munich furent signés, les conspirateurs nazis, comme on l’a fait remarquer bien souvent, se mirent aussitôt à l’œuvre pour annexer le reste de la Tchécoslovaquie. À ce moment-là, Jodl disparaît pour quelque temps, parce qu’il se rend en Autriche pour y accomplir une période de commandement comme général d’artillerie ; il était général de la 44e division ; on ne peut donc retenir de charges contre lui pour la période comprise entre les accords de Munich et le 23 août 1939, date à laquelle, à la veille de l’invasion de la Pologne, il est rappelé pour reprendre ses fonctions de chef d’État-Major d’opérations de l’OKW. Quant à Keitel, moins d’un mois après Munich, le 21 octobre 1938, il contresigne l’ordre de Hitler de liquider le reste de la Tchécoslovaquie et d’occuper Memel, document C-136 (USA-104). Le 24 novembre 1938 — document C-137 (GB-33) — Keitel rédige un mémorandum sur l’occupation par surprise de Dantzig. Le 17 décembre 1938 — document C-138 (USA-105), — il signe un ordre adressé aux formations subalternes : « Préparez la liquidation de la Tchécoslovaquie ». Ces préparatifs furent faits. Le 15 mars 1939, Keitel qui, je le répète, était plus qu’un simple soldat, assiste à l’entrevue de minuit entre le Führer et Hacha, président de Tchécoslovaquie, au cours de laquelle, sous la menace que Prague serait bombardée, Hacha livra le reste de son pays aux Allemands. Je ne parlerai pas du texte des procès-verbaux qui ont été lus à maintes reprises.
Le deuxième jalon est dépassé à son tour et de nouveau j’affirme que, dans cette agression, il est clair que Keitel a joué un rôle de premier plan en tant que bras droit de Hitler et Commandant en chef de toutes les Forces armées.
Je passe maintenant à l’agression contre la Pologne ; Keitel était présent à la réunion qui eut lieu à la Chancellerie, le 23 mai 1939, L-79 (USA-27), et au cours de laquelle on déclara, et je cite ici quelques paroles devenues familières, que Dantzig n’était pas l’objet du différend ; que la Pologne devait être attaquée à la première occasion favorable ; que les bases aériennes de Hollande et de Belgique devaient être occupées ; qu’il ne fallait tenir aucun compte des déclarations de neutralité.
L’instruction pour le « Cas Blanc », c’est-à-dire pour l’invasion de la Pologne, constitue le document C-120 (a), GB-41 ; il est du 3 avril 1939. Le Tribunal se souviendra que les plans devaient être soumis à l’OKW avant le 1er mai et que les forces devaient être prêtes pour l’invasion avant le 1er septembre. Cette instruction est signée de Keitel.
Le document C-126 (GB-45) fait suite à cette première directive ; il est daté du 22 juin 1939. On y insiste sur la nécessité du camouflage et on précise : « N’inquiétez pas la population ». Ce document est signé de Keitel.
Le 17 août 1939, document PS-795 (GB-54), Keitel eut une entrevue avec l’amiral Canaris au sujet de la fourniture d’uniformes polonais à Heydrich et vous remarquerez, dans le dernier paragraphe de la note, que l’amiral Canaris s’élève contre un conflit, tandis que Keitel expose ses arguments en faveur de la guerre. Et Keitel prédit que la Grande-Bretagne n’entrera pas dans le conflit.
Ici encore, je soutiens que le rôle essentiel joué par Keitel dans la préparation de l’agression contre la Pologne est clairement établi et d’une façon absolument incontestable.
Jodl, ainsi que je l’ai dit au Tribunal, fut rappelé le 23 août, comme l’indique son journal, PS-1780, où il écrit qu’on l’a rappelé pour prendre la direction de l’État-Major d’opérations. Il note :
« Reçu l’ordre du Haut Commandement d’aller à Berlin et de prendre la direction du service des opérations de la Wehrmacht ». Et plus loin : « De 11 heures à 13 h. 30, discussion avec le chef du Haut Commandement des Forces armées ; le jour J fixé est le 26 août et l’heure H est 4 h. 30 ». Je pense que le Tribunal peut se rendre compte du rôle important joué par Jodl dans cette conspiration, par le fait qu’à la veille de la guerre on l’a rappelé à Berlin pour prendre la tête de l’État-Major d’opérations du Haut Commandement.
C’est ainsi que la Pologne fut envahie, et, avant de passer à l’agression suivante, je voudrais simplement signaler que, selon le témoignage du général Lahousen, si le Tribunal veut bien admettre ses déclarations sur ce point, Keitel et Jodl se trouvaient avec Hitler en campagne le 10 septembre 1939. C’est ce qui ressort du procès-verbal des débats (Tome II, page 444). Je ne pense pas que l’on conteste le fait que le chef du Haut Commandement et le chef de l’État-Major d’opérations se soient trouvés en campagne.
J’en arrive maintenant, Messieurs, à la Norvège et au Danemark. En ce qui concerne ces deux pays, nous voyons, d’après le document C-64 (GB-86), que le 12 décembre 1939 Keitel et Jodl assistaient tous deux à l’entretien de Hitler et de Raeder au cours duquel fut discutée l’invasion de la Norvège ; et la responsabilité directe de Keitel dans ces opérations ressort, a mon avis, du document C-63 (GB-87) dans lequel Keitel dit que « les opérations contre la Norvège s'effectueront sous ma conduite directe et personnelle. » Et il charge un service d’études de l’OKW de la réalisation de ces opérations
Les notes du Journal de Jodl, à mon avis, ne font pas moins clairement ressortir sa connaissance des faits et sa complicité (document PS-1809), il s’agit de la seconde partie de son journal. Et le Tribunal se souviendra de la note du 13 mars 1940 dans laquelle il écrit que le Führer cherchait toujours un prétexte à l’opération « Weser » C’est le 13 mars, Monsieur le Président, document PS-1809, il y est dit
« Le Führer ne donne pas encore d’ordre pour « Weser », il cherche encore un prétexte »
Puis, le 14 mars : « Le Fuhrer cherche encore un prétexte pour l’exercice « Weser » — ce qui, si je puis me permettre de faire un bref commentaire, éclaire d’un jour tragique le code de l’honneur des chefs militaires de l’Allemagne — « il cherche encore un prétexte »
Puis, Messieurs, comme nous le savons, la Norvège fut attaquée par surprise et des excuses mensongères furent données.
J’estime que les documents montrent tout aussi clairement que l’invasion des Pays-Bas et du Luxembourg fut également commandée et dirigée par Keitel avec l’aide de Jodl. Le Tribunal possède déjà une note relative a la conférence de mai sur les pays à occuper (document L-79). Le document C-62 (GB-106) contient une directive signée de Hitler, datée du 9 octobre 1939 et une autre directive signée de Keitel datée du 15 octobre, toutes deux contenant des ordres pour l’occupation de la Hollande et de la Belgique.
Le document C-10 (GB-108), date du 8 novembre, contient les ordres d’opérations donnes par Keitel à la 7 e division de parachutistes en vue d’établir un terrain d’atterrissage en plein milieu de la Hollande.
Le document PS-440 (GB-107), date du 20 novembre 1939 et signe de Keitel, est une nouvelle directive pour l’invasion de la Hollande et de la Belgique.
Le document C-72 (GB-109) comporte dix-huit lettres qui s’échelonnent du 7 novembre 1939 au 10 mai 1940, dont onze sont signées de Keitel et sept de Jodl : « Le Fuhrer recule le Jour J à cause du temps ».
Le Journal de Jodl, sur cette question, est aussi éloquent. C’est le document PS-1809 ; plusieurs notes, auxquelles il n’est peut-être pas nécessaire de me reporter à nouveau, traitent de ces opérations imminentes ; la plus importante est celle du 8 mai dont le Tribunal se souviendra peut-être : Jodl y parle « des nouvelles alarmantes de Hollande ». Il y exprime une vertueuse indignation parce que les méchants Hollandais construisent des barrages sur les routes et prennent des mesures de mobilisation.
C’est ainsi que furent envahis ces trois pays neutres et je pense que des preuves abondantes et irréfutables permettent d’affirmer que ces deux hommes furent à la tête des organisations militaires qui rendirent possibles ces invasions.
Je passe maintenant, Messieurs, à la préparation de l’agression contre la Grèce et la Yougoslavie. Le document PS-1541 (GB-117), date du 13 décembre 1940, contient l’ordre de Hitler pour « Marita », l’opération contre la Grèce ; il est signé de Hitler et une copie fut adressée à Keitel, c’est-à-dire à l’OKW.
Document PS-448 (GB-118) : le 11 janvier 1941, Keitel contresigne un ordre de Hitler pour les opérations de Grèce.
Document C-134 (GB-119), du 20 janvier 1941 : Keitel et Jodl assistent tous deux à l’entrevue qui réunit Hitler, Mussolini et consorts, et au cours de laquelle furent discutées les opérations contre la Grèce et la Yougoslavie.
Document C-59 (GB-121), du 19 février 1941 : les dates des opérations « Marita » sont indiquées par Keitel.
Document PS-1746 (GB-120), du 27 mars 1941 : conférence chez Hitler, à laquelle assistaient Keitel et Jodl. Le Führer annonça sa décision d’attaquer et de détruire la Yougoslavie ; il y déclara :
« Je suis décidé à anéantir la Yougoslavie. Je serai d’une dureté impitoyable pour effrayer les autres pays neutres ». Ces deux militaires étaient présents lorsqu’il parla.
Je soutiens, Messieurs, que la complicité de ces deux hommes se trouve amplement prouvée à l’égard de cette agression.
Je passe maintenant au plan « Barberousse », document PS-446 (USA-131), daté du 18 décembre 1940 : c’est l’ordre de Hitler pour l’opération « Barbarossa », contresigné par Keitel et Jodl. Hitler déclare, comme le Tribunal s’en souviendra, qu’il compte terrasser la Russie en une opération rapide et unique.
Document PS-872 (USA-134), du 3 février 1941 : Entretien entre Hitler, Keitel et Jodl au sujet de « Barbarossa » et « Sonnenblume », propositions relatives à l’Afrique du Nord, Hitler dit : « Quand « Barbarossa » commencera, le monde retiendra son souffle et ne dira rien ».
Puis vient le document PS-447 (USA-135), daté du 13 mars 1941, qui est un ordre d’opérations signé de Keitel et relatif à l’administration des zones qui vont être occupées ; ce document montre une fois de plus que Keitel était plus qu’un soldat ; il s’occupait de questions administratives.
Le document C-39 (USA-138), du 6 juin 1941, est l’horaire de l’opération « Barbarossa » ; il est signé de Keitel, et Jodl en reçoit la sixième copie.
Le document C-78 (USA-139), du 9 juin 1941, est l’ordre donné par Hitler à Keitel et Jodl d’assister à la conférence préliminaire à « Barbarossa » le 14 juin 1941, soit huit jours avant l’opération.
Je me permets à nouveau d’affirmer que ces faits et documents relatifs à la position des deux accusés prouvent de façon accablante qu’ils ont pris part à l’agression.
La dernière agression réside dans les moyens employés à l’égard du Japon pour l’inciter à commettre une agression contre les États-Unis d’Amérique. Nous avons sur ce point deux documents-clés et tous deux incriminent Keitel et Jodl. Le premier est le C-75 (USA-151), daté du 5 mars 1941 ; c’est un ordre de l’OKW signé de Keitel, avec une copie pour Jodl : « Le Japon doit être incité à prendre le plus rapidement possible une attitude positive ».
Le document C-152 (GB-122), du 18 mars 1941, traite de la rencontre entre Hitler, Raeder, Keitel et Jodl. Le passage le plus révélateur est celui où il est dit que le Japon doit s’emparer de Singapour.
En ce qui concerne ces actes d’agression et ces préparatifs d’agression, je soutiens, Messieurs, que les charges portées contre ces deux hommes sont accablantes. À mon avis, il est clair qu’ils ne peuvent invoquer aucun argument pour se justifier ; ils pourraient seulement prétendre qu’ils ont obéi à des ordres supérieurs. Le Statut ne leur accorde pas ce moyen de défense. Il n’est pas douteux que tous ces plans malfaisants ont germé dans le cerveau perverti de Hitler, mais celui-ci ne pouvait les réaliser seul ; il lui fallait des hommes presque aussi méchants et presque aussi dénués de scrupules que lui-même.
Je passe maintenant très rapidement à la question des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité. On a déjà établi, Messieurs, que Keitel signa les décrets « Nacht und Nebel », condamnant des personnes à être internées en Allemagne, où elles disparaissaient sans laisser de traces. C’est le document L-90 (USA-503).
Il y a encore un nouveau document que je voudrais déposer maintenant ; le colonel Telford Taylor a déjà déposé le document C-50 qui est l’ordre de Keitel en vue d’une action impitoyable dans la campagne « Barbarossa ». Ce document le complète ; c’est le C-51 (GB-162), ordre de Keitel daté du 27 juillet 1941 :
« En vertu du règlement sur les documents confidentiels, toutes les copies qui ont été faites du décret du Führer du 13 mai 1941 » — c’est le document C-50, l’ordre Barbarossa — « devront être détruites par :
« a) Tous les services jusqu’aux commandements généraux inclus » (ce qui veut dire, Messieurs, que tous les commandants de corps d’armées et autres chefs d’unités inférieurs en grade devaient détruire leurs exemplaires) ;
« b) Les commandements de groupes blindés » (ce qui signifie également que les unités des corps d’armées au-dessous du grade de commandants de corps devaient détruire les copies du décret) ;
« c) Les commandements d’armées et les services de rang égal, s’il y a un danger inévitable que ces documents tombent aux mains de personnes non autorisées. »
Ce qui veut dire que même les généraux en chef, s’ils sont directement mêlés aux opérations de guerre, doivent détruire ces documents plutôt que d’encourir le moindre risque de les voir tomber entre les mains de l’ennemi.
« La validité du décret n’est pas affectée par la destruction des copies ; en vertu du paragraphe 3, il est laissé à la responsabilité personnelle des chefs militaires que les officiers et leurs conseillers juridiques soient avisés en temps utile et que seuls soient confirmés les jugements qui correspondent aux intentions politiques du Haut Commandement. »
Ce point se rapporte aux soldats allemands, qu’on ne traduisait pas devant un conseil de guerre pour des crimes commis envers les troupes soviétiques. « Cet ordre sera détruit en même temps que les copies du décret du Führer. »
Je soutiens, Messieurs, que le vif désir manifesté par l’OKW, commandé par Keitel, de voir détruire le texte de cet ordre, que je déclare illégal et barbare, est très significatif.
Je désire maintenant déposer un autre document qui est presque le dernier du groupe, c’est le UK-20 ; vous le trouverez marqué, Monsieur le Président, à la fin du livre. Il provient du Quartier Général du Führer, le 26 mai 1943, et il dit :
« Objet : Traitement des partisans de de Gaulle qui combattent avec les Russes.
« Des aviateurs français servant dans les forces aériennes soviétiques ont été abattus sur le front de l’Est pour la première fois. Le Führer a ordonné que l’emploi des troupes françaises dans l’Armée soviétique soit combattu par les moyens les plus énergiques.
« C’est pourquoi il est ordonné que :
« 1. Les partisans de de Gaulle qui sont faits prisonniers sur le front de l’Est seront rendus au Gouvernement français pour être poursuivis, conformément aux ordres de l’OKW. »
Et je lis le paragraphe 3 :
« Des enquêtes détaillées doivent être faites le cas échéant auprès des familles des Français qui combattent pour les Russes, si ces familles résident dans la zone occupée de la France. Si l’enquête révèle que ces familles ont aidé ces hommes à s’évader de France, des mesures rigoureuses seront prises. »
Je dépose ce document sous le n° GB-163.
Je présente maintenant le document suivant, c’est le UK-57 (GB-164) qui est le dernier du livre. Il émane de I’« Ausland Abwehr » qui est, je crois, le service du contre-espionnage à l’étranger. 11 est adressé à l’OKW et daté du 4 janvier 1944. Il est intitulé : « La réaction contre le procès spectaculaire de Kharkov ». Je n’en lirai que le paragraphe 2 :
« Les documents concernant les commandos ont été réunis par le Service central de la sûreté du Reich et ont fait l’objet d’un examen approfondi. Dans cinq cas, des membres des Forces armées britanniques ont été arrêtés comme participants ; conformément à l’ordre du Führer, ils ont été fusillés. Il devait être possible de leur attribuer des violations du Droit international et de les faire condamner à mort à titre posthume par les tribunaux. Jusqu’à présent, aucune violation du Droit international n’a pu être retenue contre des membres de commandos. »
Je n’en lis pas plus et j’affirme qu’il y a là un cas très net d’assassinat et non un fait de guerre.
Les commentaires de Keitel se trouvent dans le coin supérieur gauche du document : « Il nous faut des documents qui nous permettent d’entamer une procédure semblable. Ce sont des représailles qui n’ont rien à voir avec les faits de guerre. Les justifications légales sont superflues. »
Est-ce signé au haut de la page par Keitel ?
Cet exemplaire écrit à la machine constitue l’original.
En fait, il n’y a pas de signature ?
Non.
Alors je ne vois pas le rapport avec Keitel ?
« Vermerk Chef OKW » signifie : Remarque du chef de l’OKW.
C’est le premier procès-verbal ; le second porte sur le même sujet et il est daté du 6 janvier 1944. On voit un grand K rouge en haut de la lettre, ce qui prouve que Keitel l’a eue entre les mains. Le premier paragraphe se rapporte à deux officiers qui se trouvaient alors au camp d’Eichstatt, en Bavière ; il n’est pas important car ces deux officiers sont encore vivants. On lit au second paragraphe :
« Tentative d’attaque contre le cuirassé Tirpitz.
« À la fin d’octobre 1942, un commando britannique qui était venu en Norvège à bord d’un cotre avait reçu l’ordre d’effectuer une attaque contre le cuirassé Tirpitz dans le fjord de Trondjem, au moyen d’une double torpille ; l’entreprise échoua car les deux torpilles qui étaient attachées au cotre se perdirent dans une tempête. L’équipage se composait de 6 Anglais et de 4 Norvégiens ; 3 Anglais et 4 Norvégiens furent interpellés à la frontière suédoise. Cependant, seul le marin anglais, Robert Paul Evans, né le 14 janvier 1922 à Londres, fut arrêté ; les autres purent passer en Suède.
« Evans avait sur lui un étui à revolver semblable à ceux que l’on emploie lorsqu’on porte une arme sous l’aisselle et un coup de poing américain. Un acte de violence caractérisant une violation du Droit international n’a pu être prouvé contre lui. Il avait fait des révélations très détaillées sur l’opération projetée. Conformément à l’ordre du Führer, il a été fusillé le 19 janvier 1943. »
Là également, j’affirme qu’il s’agit d’assassinat, puisque l’acte de violence constituant une violation du Droit international n’avait pas pu être prouvé.
Puis vient, Messieurs, le troisième paragraphe : « Destruction de la centrale électrique de Glomfjord.
« Le 16 septembre 1942, 10 Anglais et 2 Norvégiens débarquèrent sur la côte norvégienne vêtus de l’uniforme des troupes de montagne britanniques, fortement armés et porteurs d’explosifs de toute nature. Après avoir traversé péniblement une région montagneuse, ils firent sauter d’importantes installations de la centrale de Glomfjord, le 21 septembre 1942. Ils tuèrent la sentinelle allemande et menacèrent de chloroformer les travailleurs norvégiens s’ils résistaient ; à cet effet, les Anglais étaient munis de seringues de morphine ; plusieurs des participants ont été arrêtés pendant que les autres s’enfuyaient en Suède ; voici les noms des hommes arrêtés ; le capitaine Graeme Black, né le 9 mai 1911 à Dresde ; le capitaine Joseph Houghton, né le 13 juin 1911 à Bromborough ; l’adjudant-chef Miller Smith, né le 2 novembre 1915 à Middlesborough ; le caporal William Chudley, né le 10 mai 1922 à Exeter ; le soldat Reginald Makeham, né le 28 janvier 1914 à Ipswich ; le soldat Cyril Abram, né le 20 août 1922 à Londres ; le soldat Eric Curtis, né le 24 octobre 1921 à Londres. Ils ont été fusillés le 30 octobre 1942. »
Ici encore, rien n’indique qu’il y ait eu une violation du Droit international, étant donné que ces hommes étaient des marins anglais et qu’ils étaient en uniforme.
Paragraphe 4 : « Sabotage de navires allemands au large de Bordeaux.
« Le 12 décembre 1942, un certain nombre de navires allemands furent gravement endommagés au large de Bordeaux par des explosifs, au-dessous de la ligne de flottaison. Les mines adhérentes avaient été fixées par cinq équipes anglaises de sabotage travaillant dans des canots. Sur les dix participants, les suivants furent arrêtés quelques jours plus tard. » Suivent six noms anglais dont un Irlandais. Un lieutenant, un quartier-maître, un sergent et trois marins ; un septième soldat appelé Moffett fut retrouvé noyé ; les autres avaient probablement pu s’enfuir en Espagne.
« Les participants opérèrent deux par deux, en partant d’un sous-marin et en remontant l’embouchure de la Gironde en canot ; ils portaient un uniforme spécial vert olive. Après avoir accompli leur mission, ils coulèrent leurs canots et tentèrent de s’enfuir en Espagne en habits civils, avec l’assistance de la population française. On ne découvrit pas d’action criminelle commise au cours de l’expédition. Conformément aux ordres, on fusilla, le 23 mars 1943, tous ceux qui avaient été arrêtés. »
Keitel a paraphé ce document, qui a été lu par mon éminent collègue, Sir David Maxwell-Fyfe, il y a peu de temps. C’est le document PS-735 qui rapporte les paroles suivantes de Keitel :
« Je suis contre la procédure légale ; elle ne rend pas. »
Voulez-vous lire la page suivante ?
C’est, Messieurs, ce que j’allais faire. Page 5 :
« Quartier Général du Führer, 9 janvier 1944. Le chef de l’OKW a remis au chef adjoint, en l’espèce l’état-major d’opérations, c’est-à-dire Jodl, la lettre ci-jointe avec le rapport suivant :
« Il importe peu de prouver par des documents qu’il y a eu violation du Droit international. Ce qui compte beaucoup plus, c’est de réunir les documents qui peuvent être utilisés par la propagande pour la présentation d’un simulacre de procès. On ne prévoit donc pas de procès à proprement parler, mais simplement une présentation, en vue de la propagande, de cas d’infractions au Droit international commises par des soldats ennemis, dont on indiquera les noms, qu’il s’agisse de ceux qui ont déjà subi la peine de mort ou de ceux qui s’attendent à la subir. Le chef de l’OKW a demandé au chef du contre-espionnage à l’étranger de lui apporter la documentation voulue lors de sa prochaine visite au Quartier Général du Führer. »
Comme mon éminent ami Sir David Maxwell-Fyfe l’a exposé ce matin au Tribunal en lisant le document PS-735, Keitel a déclaré :
« Je suis contre la procédure légale, elle ne rend pas. »
On peut être d’accord avec Keitel lorsqu’on vient de lire le rapport de ce que j’affirme être le froid assassinat d’hommes braves, de soldats et de marins courageux luttant pour leur pays ; et bien que ce Procès soit une accumulation de morts et d’assassinats d’hommes courageux, il y a peu d’exemples plus tragiques que ceux dont je viens de parler.
J’ai terminé la présentation des charges qui pèsent sur Keitel et Jodl. En ce qui concerne le rôle de Jodl dans les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité, il est bien moindre que celui de Keitel, car il n’avait bien entendu pas le pouvoir de donner des ordres ou des directives, mais nous voyons qu’en tout cas, il a signé et fait circuler un ordre infâme du Führer, disant que les hommes des commandos devaient être fusillés et ne devaient nullement être traités comme des prisonniers de guerre.
J’estime que les preuves présentées contre ces deux hommes sont accablantes ; le monde civilisé réclame leur condamnation.
Et maintenant, Messieurs, M. Walter W. Brudno, de la Délégation américaine, vous présentera les charges relevées à rencontre de Rosenberg.
Plaise au Tribunal. Je voudrais, à propos de l’exposé relatif à Rosenberg, déposer le livre de documents qui constitue la pièce USA-EE. Il contient la traduction en anglais de tous les documents que je vais déposer, ainsi que la traduction en anglais des documents fournis antérieurement et auxquels je me référerai. Les documents sont rangés par séries dans l’ordre C, L, R, PS et EC et numériquement à l’intérieur de chaque série.
Le Tribunal remarquera que les quatre premières pages contiennent la liste descriptive des documents ; cette liste est une table de tous les documents intéressants directement Rosenberg, y compris ceux qui ont été fournis antérieurement et ceux que je verserai moi-même au dossier. Les documents présentés antérieurement sont accompagnés de l’indication de la page du procès-verbal et de leur numéro de dépôt. Cette liste figure dans le livre de documents qui a été mis à la disposition de la Défense. Elle rassemblera toutes les références concernant l’accusé Rosenberg qui figurent jusqu’à présent dans le procès-verbal. Je m’abstiendrai de revenir sur une grande partie des documents qui ont déjà été versés au dossier, en vue d’éviter une perte de temps.
L’Acte d’accusation (Tome I, page 74) déclare l’accusé Rosenberg coupable des crimes prévus aux quatre chefs dudit acte. Dans l’exposé que je vais faire, je montrerai, comme il est dit au premier chef d’accusation, section IV, sous-section D, que Rosenberg a joué un rôle particulièrement important en contribuant à développer et à soutenir les techniques et les doctrines de la conspiration, à créer et à favoriser des croyances et des pratiques incompatibles avec la doctrine chrétienne, à détruire l’influence de l’Église sur le peuple allemand, à appliquer un programme d’impitoyable persécution des Juifs et à remanier le système d’enseignement, afin de plier le peuple allemand à la volonté des conspirateurs et de le préparer psychologiquement à une guerre d’agression.
Je vais également montrer que Rosenberg joua un rôle important dans la préparation de l’Allemagne à la guerre d’agression en assumant la direction du commerce extérieur, comme il est dit à la sous-section E du premier chef d’accusation, et que les activités qu’il a déployées dans le domaine de la politique étrangère ont grandement contribué à la préparation des agressions qui figurent à la sous-section F de l’Acte d’accusation et des crimes contre la Paix qui figurent au second chef d’accusation.
Enfin, je montrerai la participation de Rosenberg à l’élaboration et à l’exécution des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité ainsi qu’il est spécifié au paragraphe G du premier chef d’accusation. En particulier, il a participé à l’élaboration et à la réalisation du pillage des trésors d’art dans les pays de l’Ouest, ainsi qu’aux nombreux crimes commis dans les pays de l’Est occupés auparavant par l’URSS.
La carrière politique de l’accusé Rosenberg embrasse toute l’histoire du national-socialisme et reparaît dans presque toutes les phases de la conspiration dont nous nous occupons ici. Afin d’avoir une conception pleine et entière de son influence et de son rôle dans la conspiration, il est nécessaire de passer rapidement en revue son histoire politique et d’examiner chacune de ses activités politiques dans son lien avec la trame de la conspiration qui s’étend de la naissance du Parti en 1919 à la défaite de l’Allemagne en 1945.
Il est à la fois intéressant et révélateur de remarquer que Rosenberg « inaugura le 30 novembre 1918 son activité politique par une conférence sur le problème juif ». On trouve cette déclaration à la deuxième ligne de la traduction du document PS-2886, extrait d’un ouvrage biographique intitulé : L’oeuvre d’Alfred Rosenberg. Je dépose ce livre sous le n° USA-591.
Par le document PS-3557, qui contient des extraits d’une brochure officielle intitulée : Dates de l’histoire de la NSDAP, document USA-592, nous apprenons que Rosenberg devint en janvier 1919 membre du parti allemand du travail, transformé par la suite en NSDAP, et que Hitler se joignit à Rosenberg et à ses collègues en octobre de la même année. Rosenberg fut ainsi membre du mouvement national-socialiste avant Hitler lui-même.
Je dépose maintenant le document PS-3530 (USA-593), qui est un extrait de l’ouvrage Das Deutsche Führer Lexikon pour 1934-1935. Ce document nous fournit de nouvelles indications biographiques sur Rosenberg.
« De 1921 jusqu’à maintenant, il fut rédacteur en chef du Völkischer Beobachter et rédacteur des Monatshefte nationaux-socialistes. En 1930, il devint membre du Reichstag et représentant du Parti pour la politique étrangère ; à partir d’avril 1933, il fut chef du Bureau des Affaires étrangères de la NSDAP puis fut nommé Reichsleiter ; en janvier 1934, il fut chargé par le Führer de l’instruction spirituelle et philosophique de la NSDAP, du Front du Travail allemand et de toutes les organisations affiliées. »
Le document PS-2886, que je viens de citer et de déposer sous le n° USA-591, ajoute qu’en juillet 1941 Rosenberg fut nommé ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est.
Ces données générales étant présentes à l’esprit, la première partie des preuves se rapportera à l’activité que Rosenberg déploya en sa qualité de créateur de l’idéologie officielle du national-socialisme. Les preuves que je vais présenter montreront la nature et l’étendue des principes idéologiques qu’il défendit et de l’influence qu’il eut sur l’unification de la pensée allemande, unification qui fut une partie essentielle du programme des conspirateurs pour la prise du pouvoir et la préparation des guerres d’agression.
Rosenberg écrivit abondamment et prit une part active à tous les points divers du programme national-socialiste. Le premier ouvrage qu’il publia fut : La nature, les principes fondamentaux et les buts de la NSDAP. Cette édition date de 1922. Rosenberg parla de ce livre dans un discours que nous avons entendu dans le film déjà présenté comme document USA-167. À la page 2 de la première partie du compte rendu du discours (document PS-3054), Rosenberg déclare :
« À cette époque » — c’est-à-dire pendant les premiers temps du Parti — « j’ai écrit une thèse qui, pour être courte, n’en est pas moins significative dans l’histoire de la NSDAP. » — C’est Rosenberg qui parle — « On demandait constamment quels étaient les différents points du programme de la NSDAP et comment il fallait les interpréter. C’est pourquoi j’ai écrit La nature, les principes fondamentaux et les buts de la NSDAP, ouvrage qui a établi le premier contact permanent entre Munich, les organisations locales en cours de formation et les amis de la NSDAP à l’intérieur du Reich. »
Ainsi, comme nous voyons, l’accusé Rosenberg fut le premier inspirateur et propagateur du programme du Parti. Sans vouloir embrasser tout le programme idéologique exposé par l’accusé Rosenberg dans ses différents écrits et discours, qui sont très nombreux, je voudrais présenter ici certaines de ses déclarations, destinées à illustrer la nature et la vaste portée du programme idéologique qu’il prêchait. On verra qu’il n’y avait pas un seul principe fondamental de la philosophie nazie qu’il n’exprimât avec autorité. Rosenberg est l’auteur du Mythe du XX e siècle, publié en 1930. Ce livre a déjà été déposé sous le n° USA-352 ; à la page 479, que vous trouverez à la page 2 du document PS-3553, Rosenberg écrivait sur la question raciale :
« L’essence de la révolution mondiale contemporaine consiste dans l’éveil du type racial, non seulement en Europe mais dans le monde entier. Cet éveil est la réaction organique contre les derniers restes chaotiques de l’impérialisme économique libéral, dont les victimes sont tombées par désespoir dans le piège du marxisme, bolchéviste, afin d’achever ce que la démocratie avait commencé, c’est-à-dire l’extirpation de la conscience raciale et nationale. »
Rosenberg exposa la théorie de l’espace vital, qui fut le motif essentiel, le principe directeur de la guerre d’agression déclenchée par l’Allemagne. Dans son journal, les Nationalsozialistische Monatshefte de mai 1932, que je dépose sous le n° USA-594, document PS-2777, il écrivait à la page 199 :
« Il faut comprendre que la nation allemande, si elle ne veut pas périr au sens le plus vrai du terme, a besoin de terre et d’espace, aussi bien dans son intérêt que dans celui des générations futures. Il faut prendre conscience du fait que cet espace ne peut plus être conquis en Afrique mais en Europe et avant tout à l’Est. Telles sont les deux conceptions qui doivent intégralement dominer la politique étrangère de l’Allemagne dans les siècles à venir. »
Dans le Mythe du XX e siècle, Rosenberg exprima ses idées sur le rôle de la religion dans l’État national-socialiste : on en trouvera des extraits complémentaires dans le document PS-2891. À la page 215 du Mythe, Rosenberg écrivait :
« Nous comprenons maintenant que les principes fondamentaux des Églises romaine et protestante, qui sont un christianisme négatif, ne conviennent pas à notre âme, qu’elles entravent les forces organiques des peuples dits nordiques, qu’elles doivent céder devant eux et qu’on doit les remanier conformément au christianisme germanique. Tel est le sens de la recherche religieuse d’aujourd’hui. »
À la place du christianisme traditionnel, Rosenberg chercha à implanter le culte néo-païen du sang.
Voulez-vous que nous suspendions l’audience maintenant ?
Certainement, Monsieur le Président.
J’ai une déclaration à faire à la Défense, Étant donné les requêtes qui ont été présentées au Tribunal ce matin, j’ai immédiatement ordonné, au nom du Tribunal, qu’une enquête soit faite au sujet des plaintes formulées par les avocats quant au retard apporté à la remise des comptes rendus sténographiques des débats. Il y sera remédié sur-le-champ. L’enquête a établi que les procès-verbaux d’audience jusqu’au 20 décembre inclus peuvent être complétés avant cet après-midi. Les procès-verbaux des audiences postérieures à la reprise des débats et s’étendant jusqu’au 8 janvier inclus seront distribués avant demain soir.
Par la suite, les procès-verbaux en allemand seront régulièrement distribués aux avocats moins de 48 heures après chaque audience.
Plaise au Tribunal. Au moment de la suspension d’audience, je venais de lire une citation de Rosenberg dans laquelle il exprimait ses opinions sur le christianisme. À la place du christianisme traditionnel, Rosenberg cherchait à implanter le mythe néo-païen du sang. À la page 114 du Mythe du XX e siècle, Rosenberg déclare :
« Aujourd’hui, une foi nouvelle s’éveille ; le Mythe du Sang, la croyance que le caractère divin de l’humanité en général doit être défendu par le sang. C’est la foi incarnée par la pleine conscience que le sang nordique constitue ce mystère qui a supplanté et dépassé les anciens sacrements. »
Les vues de Rosenberg à l’égard de la religion furent admises comme la seule philosophie compatible avec le national-socialisme. En 1940, l’accusé Bormann écrivit à Rosenberg — c’est le document PS-098 déjà déposé sous le n° USA-350 :
« Les Églises ne peuvent pas être conquises par un compromis entre le national-socialisme et la doctrine chrétienne, mais seulement par une idéologie nouvelle dont vous-même avez annoncé l’avènement dans vos écrits. »
Rosenberg joua un rôle actif dans l’élimination méthodique de l’influence de l’Église. L’accusé Bormann écrivait fréquemment à Rosenberg sur ce sujet pour lui fournir des renseignements sur l’action projetée contre les Églises et pour ordonner au besoin que des mesures soient prises par les services de Rosenberg. Je fais allusion à des documents présentés lors de l’exposé contre le Corps des chefs politiques, comme par exemple le document PS-070 (USA-349) qui traite de la suppression des services religieux dans les écoles, le document PS-072 (USA-357) qui traite de la confiscation des biens de l’Église, le document PS-064 (USA-359) qui traite de l’insuffisance de la documentation anti-religieuse distribuée aux soldats, le document PS-089 (USA-360) qui traite de la suppression des publications protestantes, et le document PS-122 (USA-362), qui traite de la fermeture des facultés de théologie.
Rosenberg se montrait particulièrement âpre à l’égard de ce qu’il appelait la question juive. Le 28 mars 1941, lors de l’inauguration de l’Institut d’Étude de la question juive, il indiqua l’esprit de son activité et la direction que ces études devaient prendre. J’aimerais citer un passage du document PS-2889, que je dépose sous le n° USA-595. C’est un extrait du Völkischer Beobachter du 29 mars 1941 rapportant une déclaration de Rosenberg à l’occasion de l’inauguration de l’Institut :
« Pour l’Allemagne, la question juive ne sera résolue que lorsque le dernier Juif aura quitté le territoire Grand Allemand. Puisque l’Allemagne, grâce à son sang et à son nationalisme, a brisé à jamais cette dictature juive dans toute l’Europe et a veillé à ce que l’Europe tout entière soit libérée du parasitisme juif, je crois que nous pouvons également affirmer, au nom de tous les Européens : Pour l’Europe, la question juive ne sera résolue que lorsque le dernier Juif aura quitté le continent européen. »
Nous avons déjà vu que Rosenberg ne négligeait aucune occasion de mettre ses croyances antisémites en pratique. Le Tribunal se souviendra que dans le document PS-001, déjà déposé sous le n° USA-282, à propos de l’exposé sur la persécution des Juifs, Rosenberg recommandait qu’au lieu de cent français on exécutât cent banquiers ou avocats juifs, etc. en représailles d’attentats commis contre des membres de la Wehrmacht. Cette recommandation fut faite expressément dans le but d’éveiller des sentiments antisémites. Dans le document PS-752, qui a été présenté ce matin par Sir David Maxwell-FyFe sous le n° GB-159, il est révélé que Rosenberg avait prévu un congrès antisémite pour juin 1944. Ce congrès fut ajourné par suite des événements militaires.
Dans le domaine de la politique étrangère, en plus des revendications relatives à l’espace vital, Rosenberg demanda l’annulation du Traité de Versailles et rejeta toute idée de révision de ce traité. Dans son livre La nature, les principes fondamentaux et les buts de la NSDAP, écrit en 1922, Rosenberg exprimait ses opinions sur le Traité de Versailles. Des extraits de ce livre se trouvent traduits dans le document PS-2433. Je dépose cet ouvrage sous le n° USA-596. Rosenberg déclare :
« Le national-socialisme rejette la formule populaire de révision de la Paix de Versailles, étant donné qu’une telle révision amènerait peut-être quelques réductions numériques de nos soi-disant obligations, mais le peuple allemand tout entier n’en resterait pas moins, comme avant, l’esclave des autres nations. »
II expose ensuite le deuxième point du programme du Parti :
« Nous réclamons l’égalité du peuple allemand avec les autres nations, l’annulation des Traités de paix de Versailles et de Saint- Germain. »
Comme on le démontrera ultérieurement, Rosenberg conçut l’idée de l’expansion du national-socialisme dans le monde entier et contribua activement à propager sa doctrine parmi les autres nations. Dans son livre La nature, les principes fondamentaux et les buts de la NSDAP, il déclare :
« Mais le national-socialisme persiste à croire que ses principes et son idéologie, bien qu’adoptant des méthodes de lutte différentes suivant les conditions propres aux différents peuples, serviront de directives bien au delà des frontières de l’Allemagne, dans les inévitables combats pour le pouvoir qui se livrent dans les autres pays d’Europe et d’Amérique. Il faut là encore clairement tracer une ligne de conduite et entreprendre une lutte raciale et nationale contre l’internationalisme marxiste et le système capitaliste de crédits qui sont partout les mêmes. Le national-socialisme croit qu’après la grande bataille mondiale, après l’abolition de l’époque actuelle, un jour viendra où la croix gammée figurera sur les bannières des peuples germaniques comme le symbole aryen du renouveau. »
Cette déclaration remonte à 1922. On voit ainsi que l’accusé Rosenberg exprimait d’une façon autorisée les principes sur lesquels était fondé le national-socialisme dont l’exploitation devait permettre la réalisation du complot.
L’importance du rôle joué par Rosenberg dans le programme du complot fut reconnue officiellement en 1934 par sa nomination au poste de délégué du Führer pour toute l’instruction spirituelle et philosophique et pour tout le contrôle de la NSDAP. À ce titre, ses activités furent étendues et diverses.
Je dépose maintenant comme preuve l’Annuaire national-socialiste de 1938 sous le n° USA-597. À la page 180 de ce livre, qui constitue notre document PS-3531, les fonctions de Rosenberg en tant que délégué du Führer sont ainsi décrites :
« La compétence du délégué du Führer pour toute l’instruction et l’éducation spirituelle et idéologique du mouvement national-socialiste et des organisations affiliées, y compris la Force par la Joie, s’étend à l’exécution détaillée de tout le travail d’éducation du Parti et de ses annexes. Ce service constitué par le Reichsleiter Rosenberg, a pour tâche de préparer le matériel d’éducation idéologique, de réaliser le programme d’enseignement et il est responsable de la formation des maîtres qualifiés pour ce travail d’éducation et d’instruction. »
En tant que délégué du Führer, Rosenberg contrôlait ainsi toute l’éducation et toute la formation idéologique au sein du Parti.
Rosenberg avait la conviction intime que l’avenir du national-socialisme dépendait de l’accomplissement de ses nouvelles fonctions. Je verse au dossier le document PS-3532 (USA-598). C’est un extrait d’un article de Rosenberg paru dans le numéro de mars 1934 des Lettres éducatives. À la page 9 de cette publication, Rosenberg déclare :
« Tout notre travail d’éducation, à dater d’aujourd’hui, doit être concentré pour servir cette idéologie et le résultat de ces efforts déterminera si le national-socialisme sera enterré avec notre génération de combattants ou si, comme nous le croyons, il marque vraiment le début d’une ère nouvelle. »
En sa qualité de délégué du Führer pour la formation spirituelle et idéologique, Rosenberg aidait à préparer le programme des écoles Adolf Hitler. Ces écoles, comme on s’en souvient, choisissaient les candidats les plus qualifiés dans les rangs des Jeunesses hitlériennes et les préparaient au rôle de chefs du Parti. C’étaient les écoles d’élite du national-socialisme.
Le document intitulé Documents de la politique allemande a déjà été versé au dossier sous le n° USA-365. Des traductions d’extraits de ce document se trouvent dans le document PS-3529, page 389 et il y est dit :
« Ainsi que l’a précisé le Dr Ley, chef de l’organisation du Reich, le 23 novembre 1937, à l’école de cadres (Ordensburg) de Sonthofen, ces écoles Adolf Hitler sont la première étape de la sélection d’une élite spéciale et constituent une section importante du système d’éducation national-socialiste destiné à former les futurs chefs...
« Le programme en a été établi par le Reichsleiter Rosenberg en accord avec le chef de l’organisation du Reich et le chef de la Jeunesse du Reich. »
En outre, Rosenberg exerça une influence sur la formation des membres du Parti en établissant des cours communautaires pour toutes les organisations du Parti. Le document PS-3528 est une traduction de la page 297 de l’édition de 1934 de Das Dritte Reich, que je dépose sous le n° USA-599. Il y est dit :
« Nous appuyons la demande présentée par le délégué du Führer au contrôle de toute la formation et de l’instruction spirituelles et idéologiques de la NSDAP, le membre du Parti Alfred Rosenberg, en vue d’organiser deux fois par an des cours communautaires pour toutes les organisations de la NSDAP, afin de montrer par cet effort commun l’unité idéologique et politique de la NSDAP et la fermeté de la volonté nationale-socialiste. »
Ce programme fut approuvé et soutenu par l’accusé von Schirach, par Himmler, Ley et d’autres encore.
Ne pensez-vous pas que votre exposé nous rappelle parfois des faits déjà connus ? Ne vous serait-il pas possible de résumer davantage ces preuves contre Rosenberg ?
Je vais m’y efforcer, Monsieur le Président. Cependant, bien que l’Acte d’accusation affirme — ce qui est déjà amplement prouvé — que les conspirateurs accusés se sont servis de l’instruction idéologique comme d’un instrument les ayant aidés à saisir le pouvoir et à affermir leur puissance, il semble y avoir peu de preuves en la matière qui intéressent l’accusé Rosenberg ; je dépose précisément ces documents pour montrer qu’il a joué à cet égard un rôle de premier plan. Je vais pourtant essayer de résumer ces documents dans la mesure du possible.
J’ai déjà noté près de vingt documents présentés par vous cet après-midi, qui tous traitent des théories idéologiques de Rosenberg.
Oui, Monsieur le Président. Je m’efforçais simplement de montrer l’étendue de ses activités.
Bien.
Les membres du Tribunal se rappelleront que c’est en qualité de délégué du Führer que Rosenberg créa l’Institut d’Étude de la question juive à Francfort-sur-le-Main. Cet institut, généralement connu sous le nom de « Hohe Schule, a déjà été mentionné dans l’exposé relatif au pillage des trésors d’art. Dans ses bibliothèques affluaient des livres, documents, manuscrits pratiquement volés dans tous les pays de l’Europe occupée. D’autres preuves à cet égard seront présentées par M. le Procureur Général français.
Les membres du Tribunal se souviendront également — et mention en est faite au procès-verbal (Tome IV, page 88) — que c’était en sa qualité de délégué aux problèmes idéologiques que Rosenberg dirigea l’incroyable pillage des objets d’art auquel se livra son Einsatzstab dans presque tous les pays occupés par l’Allemagne. Je renonce à résumer l’ampleur du pillage et me contenterai de renvoyer le Tribunal au document PS-1015 (b), qui a été déposé sous le n° USA-385 et au document L-188 déjà versé sous le n° USA-386. Le document PS-1015 (b) expose en détail le pillage de 21.000 objets d’art. Le document L-188 parle de celui de 71.000 maisons juives dans l’Ouest. Ce point également sera exposé plus en détail par le Ministère Public français.
L’importance de l’activité exercée par Rosenberg en sa qualité de technicien officiel de l’idéologie du parti nazi ne passait pas inaperçue. Dans le document PS-3559 que je désire déposer sous le n° USA.-600 — et qui constitue entre parenthèses la biographie de Rosenberg par Hart sous le titre Alfred Rosenberg, l’homme et son œuvre — il est dit que Rosenberg remporta, en 1937, le prix national allemand. Ce prix, comme le Tribunal s’en souviendra, constituait la réplique rageuse des nazis à l’attribution du prix Nobel à Karl von Ossietzki, interné dans un camp de concentration allemand. La citation qui accompagne l’attribution de ce prix à Rosenberg déclare :
« Par ses publications, Alfred Rosenberg a contribué, d’une façon parfaite, à établir les bases scientifiques et intuitives et à affermir la philosophie du national-socialisme. Le mouvement national-socialiste et, au delà, le peuple allemand tout entier, seront profondément heureux que le Führer ait distingué Alfred Rosenberg, l’un de ses camarades de combat les plus anciens et les plus fidèles, en lui accordant le prix national allemand. »
L’aide apportée au développement du national-socialisme par le livre de Rosenberg Le Mythe du XX e siècle, qui constitue le fond de toute sa propagande idéologique, a été appréciée dans la publication Bücherkunde de novembre 1942. Cette publication constitue notre document PS-3554. Je la dépose sous le n° USA-601. La première page contient l’éloge du Mythe du XX e siècle.
Vous nous avez déjà renvoyés à plusieurs reprises au Mythe du XX e siècle. Monsieur Brudno !
Oui, Monsieur le Président.
Nous ne voulons vraiment plus en entendre parler maintenant.
Je voudrais montrer que cet ouvrage est considéré comme l’un des piliers du mouvement et souligner également qu’il a été tiré à plus d’un million d’exemplaires.
Je crois qu’il est parfaitement clair, d’après les preuves qui nous ont déjà été présentées, que Rosenberg exprimait les doctrines idéologiques du parti nazi et je ne pense pas qu’il soit nécessaire de fournir d’autres détails supplémentaires sur ce point.
Très bien, Monsieur le Président. Si le Tribunal a pleinement constaté que les idées de Rosenberg constituaient le fondement du mouvement idéologique national-socialiste, je vais passer à un autre aspect de la question.
Vous avez déjà souligné le fait qu’il avait été nommé délégué du Führer dans ce but, n’est-ce pas ?
Oui, Monsieur le Président. Je passerai sur ce point. Je désire simplement citer encore à ce propos notre document PS-789 déjà présenté sous le n° USA-23. Ce document relate une entrevue qui eut lieu entre Hitler et ses commandants en chef, au cours de laquelle Hitler déclara : « L’édification de notre Armée n’a pu se faire qu’en liaison avec l’éducation idéologique du peuple allemand par le Parti ».
Nous estimons que Rosenberg, en formulant et en propageant l’idéologie nationale-socialiste, a joué un rôle essentiel dans le complot. Apôtre de ce néo-paganisme, interprète de la recherche de l’espace vital, prophète du mythe de la supériorité nordique et l’un des représentants les plus anciens et les plus énergiques de l’antisémitisme nazi, il contribua pour une grande part à unifier le peuple allemand derrière la croix gammée. Il donna son impulsion et son inspiration au mouvement national-socialiste. Ce sont ses doctrines qui ont causé cette exaltation, cette cristallisation du rêve nordique dans l’esprit du peuple allemand, faisant ainsi de lui un instrument docile aux mains des conspirateurs et un collaborateur dévoué dans l’exécution de leur plan criminel.
Je passe maintenant à la deuxième phase des activités criminelles de Rosenberg ; sa contribution active à la préparation à la guerre d’agression par l’activité internationale de l’APA, le bureau de politique étrangère du Parti.
Comme je l’ai indiqué précédemment, dans ma citation du Führer lexikon, document USA-593, Rosenberg devint Reichsleiter, le grade le plus élevé dans le Corps des chefs et fut nommé chef du bureau de politique étrangère du Parti en avril 1933. Le manuel d’organisation du Parti, qui constitue le document PS-2319 et a été déposé sous le n° USA-602, fait figurer parmi les fonctions de l’APA la propagande auprès de l’opinion publique étrangère, destinée à convaincre les nations étrangères que l’Allemagne nazie désirait la paix. Les activités étendues de l'APA sont indiquées à la page 14 de la traduction de ce document.
« 1. — L’APA est divisé en trois services principaux :
« A. Service des pays étrangers, avec ses sections principales :
a) Angleterre et Extrême-Orient ; b) Proche-Orient ; c) Sud-Est ; d) Nord ; e) Moyen-Orient ; f) Contrôle, personnel, etc.
« B. Service allemand des échanges universitaires.
« C. Service du commerce extérieur.
« 2. — En outre, l’APA comporte un service central destiné à la presse et un service de l’éducation. »
Les activités de presse de l’APA étaient destinées à influencer l’opinion mondiale, de façon à masquer les buts véritables des conspirateurs nazis et à faciliter ainsi la préparation de la guerre d’agression. Ces activités furent poursuivies dans des proportions ambitieuses. Je dépose le document PS-003 intitulé : Bref rapport sur l’activité de l’APA de la NSDAP. Je le présente sous le n° USA-603. Le dernier paragraphe, à la page 5 de la traduction, décrit comme suit les activités de presse :
« La section de presse de l’APA est formée de personnes qui, ensemble, connaissent toutes les langues en usage. Tous les jours elles examinent environ trois cents journaux et remettent au Führer, aux délégués du Führer et aux autres services intéressés, le résumé des tendances importantes de toute la presse mondiale... La section de presse en outre, tient à jour un compte rendu précis de l’influence des journaux et des journalistes les plus importants du monde. Bien des difficultés auraient pu être évitées au cours d’entrevues en Allemagne si on avait consulté ces archives... De même, la division de presse a pu organiser un grand nombre d’entrevues avec moi et a pu conduire quantité de journalistes étrangers amis auprès de divers représentants officiels de l’Allemagne. »
Et, plus loin :
« Hearst m’a ensuite demandé personnellement de parler souvent dans les journaux de la situation de la politique étrangère allemande. Cette année, cinq articles détaillés ont paru sous ma signature dans des journaux de Hearst dans le monde entier. Comme ces articles, ainsi que Hearst me l’a dit lui-même, présentaient des arguments bien fondés, il m’a demandé de continuer à publier des articles dans ses journaux. »
Rosenberg utilisait ainsi son bureau de politique étrangère pour influencer l’opinion mondiale en faveur du national-socialisme.
Il est intéressant de remarquer, au passage, que Rosenberg déclare, à la page 4 de ce document, que le leader antisémite roumain Cuza suivit ses conseils, car — pour reprendre les mots de Rosenberg — « il avait reconnu en moi un antisémite irréductible ». Nous reparlerons plus loin de cette affaire.
La nature et l’étendue des activités de l’APA ressortent amplement d’un seul document. C’est le document principal, auquel je vais me référer sur ce point de l’accusation contre Rosenberg. Il porte le n° PS-007 et est intitulé : « Rapport sur les activités du bureau des Affaires étrangères du Parti, de 1933 à 1943. » II est signé de Rosenberg. Certaines parties de l’annexe jointe au rapport ont déjà été versées au dossier sous le n° GB-84. L’essentiel du rapport et l’annexe 2 n’ont pas encore été mentionnés. Comme vous le verrez, le document contient rénumération des vastes activités déployées à l’étranger. Ces activités s’étendent de la pénétration économique aux menées antisémites, de l’infiltration culturelle et politique à l’instigation de la trahison. Ces activités étaient poursuivies d’un bout à l’autre du monde et s’étendaient jusqu’à des points aussi éloignés que le Moyen-Orient et le Brésil.
Bien des succès de l'APA furent réalisés grâce à l’exploitation habile de relations personnelles. En lisant le milieu du premier paragraphe, à la page 2 de la traduction, qui traite de l’activité en Hongrie, nous apprenons que :
« La première visite à l’étranger, après la prise du pouvoir, se fit par l’entremise du bureau des Affaires étrangères. Julius Gömbös, qui avait lui-même manifesté autrefois des tendances antisémites et racistes, avait accédé au poste de Premier Ministre de Hongrie. Le bureau maintenait avec lui des relations personnelles. »
L’APA essaya de renforcer l’économie de guerre en déplaçant la source des importations alimentaires vers les Balkans, comme il est précisé au paragraphe 3, page 2 de la traduction :
« Pour des raisons d’économie de guerre, le bureau recommanda de transférer les achats de matières premières des pays d’Outre-mer à des régions accessibles par la route. »
Il dit, ensuite, que l’on avait réussi à obtenir des Balkans des importations alimentaires, en particulier des fruits et des légumes, grâce à l’activité déployée par le bureau.
D’après ce rapport, les activités déployées par le bureau en Belgique, en Hollande, au Luxembourg, consistaient simplement à « observer les conditions existantes » — phrase que l’on peut interpréter très largement — « et à établir des relations de nature surtout commerciale. »
En Iran, l’APA parvint à réaliser une pénétration économique très poussée et développa en outre les relations culturelles. Je cite, au milieu du troisième paragraphe, à la page 3 :
« L’initiative du bureau qui, avec l’aide des milieux commerciaux, a mis au point des méthodes entièrement nouvelles pour la pénétration économique en Iran, s’est traduite d’une façon extraordinairement favorable par des relations commerciales réciproques. Naturellement, en Allemagne aussi, cette initiative s’est heurtée à une attitude absolument négative et rencontra la résistance des organismes gouvernementaux compétents ; il a fallu d’abord vaincre pareille attitude. En quelques années, le volume des échanges avec l’Iran avait quintuplé et, en 1939, le commerce de l’Iran avec l’Allemagne était passé au premier rang. »
Dans la dernière phrase de la page 3...
M. Brudno, auriez-vous la bonté d’expliquer au Tribunal en quoi le paragraphe que vous venez de lire se rapporte à la culpabilité de Rosenberg dans ce Procès ?
Nous pensons, Messieurs, que ces conspirateurs ont employé comme instrument du complot la pénétration économique dans les pays qu’ils jugeaient stratégiquement nécessaire de posséder dans leur sphère. Les activités déployées par Rosenberg dans le domaine du commerce extérieur ont, à notre avis, grandement contribué au développement du complot tel qu’il est défini dans l’Acte d’accusation.
Prétendriez-vous qu’il soit criminel d’essayer de stimuler le commerce avec l’étranger ?
Le fait, Messieurs, d’exprimer des opinions idéologiques ou d’encourager le commerce extérieur ne constitue pas un crime en soi, nous le reconnaissons.
Il n’est pas du tout question ici de considérations idéologiques. Il ne s’agit que de commerce.
Plus loin, Monsieur le Président, il est question d’activités culturelles.
Pour essayer d’écourter les débats, je ne parlais que du paragraphe que vous venez de citer.
Oui, je comprends, Monsieur le Président. Nous nous efforçons simplement de montrer que les Allemands ont utilisé le commerce extérieur comme une arme importante pour la réalisation du complot.
Comme je l’ai déjà dit, il ne m’est pas possible, ni à moi, ni à aucun membre du Tribunal, de présenter la cause du Ministère Public à sa place. Nous pouvons simplement avertir ses représentants lorsque nous jugeons qu’ils sortent du sujet ou qu’ils se répètent et les prier d’abréger si possible leur exposé. C’est à vous d’abréger.
Rosenberg dit ensuite — à la page 3 de la traduction — que « la neutralité actuelle de l’Afghanistan est due en grande partie à l’activité du bureau. »
Au sujet de l’Arabie, il dit :
« Le problème arabe est également devenu l’une des tâches du bureau. En dépit de la tutelle exercée par l’Angleterre sur l’Irak, le bureau a établi des rapports avec un certain nombre de personnalités marquantes du monde arabe, préparant la voie à la formation de liens étroits avec l’Allemagne. À cet égard, l’influence grandissante du Reich en Iran et en Afghanistan n’a pas manqué d’avoir des répercussions en Arabie ».
Rosenberg conclut son rapport en déclarant qu’au début de la guerre il pouvait considérer sa tâche comme terminée et il dit ensuite que « l’exploitation de nombreuses relations personnelles dans beaucoup de pays pourrait être reprise sous une autre forme ».
Je passe maintenant à l’annexe 2 du rapport que vous trouverez à la page 9 de la traduction. Cette annexe traite des activités en Roumanie. Ici, les menées de l’APA furent plus insidieuses, son intervention dans les affaires intérieures du pays plus marquée. Après avoir décrit l’échec de ce que Rosenberg appelle « un profond sentiment antisémite » provoqué par les querelles dynastiques et les luttes de parti, il explique l’influence de l’APA sur l’unification de ces éléments rivaux. Je cite à partir de la neuvième ligne de la traduction :
« Ce qui manquait, c’était la direction d’une personnalité politique. Après des tâtonnements nombreux, le bureau crut avoir trouvé une telle personnalité, l’ancien ministre et poète Octavian Goga. Il ne fut pas difficile de convaincre ce poète, déjà poussé par une inspiration instinctive que la Grande Roumanie, bien qu’elle ait dû être créée en opposition à Vienne, ne pouvait se maintenir qu’avec l’aide de Berlin. Il ne fut pas difficile non plus de faire naître en lui le désir de lier en temps opportun le destin de la Roumanie à l’avenir du Reich national-socialiste allemand. En exerçant sur lui une influence continue, le bureau réussit à pousser Octavian Goga, de même que le professeur Cuza, à fondre les différents partis sous leur direction et sur une base antisémite. Ainsi, c’est avec des forces unifiées qu’ils purent poursuivre la lutte pour la renaissance de la Roumanie, sur le plan intérieur, et son « Anschluss » avec l’Allemagne sur le plan extérieur. Grâce à l’initiative du bureau, les deux partis, qui jusqu’alors étaient connus sous des noms distincts, fusionnèrent pour former le « Parti national chrétien » sous la direction de Goga, Cuza étant président honoraire. »
L’homme de Rosenberg, Goga, était soutenu par deux partis dissidents, qui n’avaient pas adhéré à la tendance antisémite et Rosenberg déclare : « Par des intermédiaires, le bureau maintint des rapports constants avec les deux tendances ». Goga, le protégé de Rosenberg, fut nommé Premier Ministre par le roi en décembre 1937. L’influence pernicieuse de l’idéologie de Rosenberg avait obtenu un succès capital ; il déclare en effet :
« Ainsi, un deuxième gouvernement fondé sur des principes racistes et antisémites est né en Europe, dans un pays où une telle éventualité était considérée jusqu’à maintenant comme absolument impossible. »
Je ne m’étendrai pas sur les détails du chaos dans lequel la Roumanie fut plongée pendant la période suivante.
Monsieur Brudno, je pense que le Tribunal est convaincu, à moins naturellement que Rosenberg lui-même ou son avocat n’apportent des réfutations valables, que Rosenberg s’est efforcé de propager son idéologie à l’étranger. Nous n’avons plus besoin de preuves détaillées sur ce point. Nous estimons également que nous en avons suffisamment entendu sur l’activité de l’APA.
Certainement, Monsieur le Président. Si le Tribunal est satisfait, nous pouvons passer à un autre aspect de la question.
Comme je l’ai dit, cela reste subordonné aux preuves que Rosenberg pourrait fournir.
Certainement. J’aimerais simplement conclure en déclarant que l’APA fut par ses activités, comme il est indiqué dans le document PS-007, responsable au premier chef de l’adhésion à l’Axe, de la Roumanie, qui fut un maillon essentiel dans la chaîne de la stratégie allemande.
J’aimerais encore attirer l’attention du Tribunal sur les preuves déjà présentées sur l’activité de l’APA en Norvège, qui aboutit à la trahison de Quisling et de Hagelin, qui devait ultérieurement entraîner leur condamnation.
J’en viens maintenant à la dernière phase de mes explications sur Rosenberg. Nous avons vu comment il avait favorisé l’accession des Nazis au pouvoir et comment il dirigea la préparation psychologique du peuple allemand en vue de la guerre d’agression. Je présente maintenant des preuves de sa responsabilité dans l’élaboration et l’exécution de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité, perpétrés dans les vastes territoires occupés de l’Est qu’il administra pendant plus de trois ans. Ces territoires comprenaient les Pays Baltes, la Russie blanche, l’Ukraine et la partie orientale de la Pologne.
Je n’essaierai pas ici de refaire le récit des assassinats massifs, des pillages et des brutalités. Nous l’estimons suffisamment prouvé ; d’autres preuves sur ce point seront d’ailleurs présentées par le Ministère Public soviétique et le Ministère Public français. Cependant, nous prévoyons que Rosenberg soutiendra que certains de ces crimes furent commis contre sa volonté ; et, en effet, certaines preuves montrent qu’il a protesté à l’occasion, non pas pour des raisons humanitaires, mais pour des motifs d’opportunité politique. Nous nous attendons aussi à ce que Rosenberg essaie de rejeter la responsabilité de ces crimes sur d’autres organismes et d’autres accusés. Les preuves démontreront cependant qu’il a formulé lui-même cette politique impitoyable, en exécution de laquelle ces crimes furent perpétrés, et que ces crimes furent commis, pour la plupart, par des personnes et des organismes soumis à sa compétence et à son contrôle ; elles établiront également que tous les autres organismes qui participèrent à la perpétration de ces crimes furent invités par Rosenberg à collaborer à l’administration des territoires de l’Est, bien que leurs méthodes habituelles de brutalité fussent connues de tous, et que son ministère appuyât pleinement leurs activités, malgré les méthodes criminelles auxquelles ils avaient recours.
Rosenberg participa activement aux affaires des territoires de l’Est dès le 20 avril 1941, deux mois avant l’attaque allemande contre l’Union Soviétique. À cette date, Hitler le nomma Commissaire pour le contrôle central des questions relatives à la région de l’est européen. L’ordre de nomination de Hitler figure déjà intégralement au procès-verbal, sous le n° USA-143, document PS-865.
Les premiers préparatifs entrepris par Rosenberg pour accomplir sa nouvelle mission indiquent la mesure dans laquelle il contribua à réaliser les plans militaires d’agression. Ils montrent aussi que Rosenberg considérait que sa tâche exigeait au début l’aide d’une quantité d’organismes du Reich, dont il sollicita la collaboration.
Peu après sa nomination par Hitler, Rosenberg tint une série de conférences avec les représentants de divers organismes du Reich, conférences qui sont résumées dans le document PS-1039, déjà présenté sous le n° USA-146. Ce document cite les organismes suivants dont Rosenberg envisagea et sollicita la collaboration :
l’OKW, l’OKH, l’OKM, le ministère de l’Économie, le Commissariat du Plan de quatre ans, le ministère de l’Intérieur, la direction de la Jeunesse du Reich, le Front du Travail allemand, le ministère du Travail, les SS, les SA et d’autres encore.
Il y a lieu de noter que Rosenberg procéda à ces décisions en sa qualité de Commissaire aux questions de l’Est, avant l’attaque contre l’Union Soviétique, avant d’être nommé ministre des territoires occupés de l’Est et, en fait, avant que l’Allemagne n’ait eu à administrer des territoires occupés dans l’Est.
Je voudrais rappeler brièvement certaines des attitudes fondamentales adoptées par Rosenberg à l’égard de sa nouvelle mission et des directives auxquelles il allait devoir se soumettre.
Les membres du Tribunal se rappelleront que, le 29 avril 1941, dans le document PS-1024, déjà déposé sous le n° USA-278, Rosenberg déclarait que :
« Il est nécessaire d’adopter un traitement d’ensemble du problème juif, auquel il faudra trouver une solution provisoire (travail forcé pour les Juifs, création de ghettos, etc.). »
Le 8 mai 1941, il prépara des instructions pour tous les commissaires du Reich dans les territoires occupés de l’Est. Ces instructions figurent dans le document PS-1030, déjà présenté sous le n° USA-144. Le dernier paragraphe, qui n’a pas été soumis à l’attention du Tribunal, déclare ce qui suit :
Du point de vue d’une politique culturelle, le Reich allemand est en mesure d’encourager et de diriger la culture et la science nationales dans bien des domaines. Il sera nécessaire, dans certains territoires, de déraciner et de redistribuer différents groupes raciaux. »
Dans le document PS-1029, qui a déjà été versé sous le n° USA-145, Rosenberg ordonne que l’« Ostland » devienne une partie du Grand Reich allemand, par la germanisation des éléments raciaux acceptables, la colonisation des races germaniques et l’élimination des éléments indésirables.
Dans un discours prononcé le 20 juin 1941, Rosenberg, vous vous en souviendrez, déclara que la tâche de nourrir les Allemands constituait le maximum de ce que l’Allemagne demandait à l’Est ; qu’il n’y avait aucune obligation de nourrir les populations russes, que c’était là une dure nécessité qui faisait abstraction de tout sentiment ; qu’une évacuation massive serait nécessaire et que l’avenir réservait aux Russes des années très dures. Ce discours a déjà été lu devant le Tribunal ; c’est le document PS-1058 (USA-147).
Le 4 juillet 1941, avant même que Rosenberg ne devînt ministre des Territoires occupés de l’Est, un représentant de son bureau assista à une entrevue où il fut question de l’utilisation de la main d’œuvre, particulièrement celle des prisonniers de guerre soviétiques. Le document PS-1199 est un mémorandum sur cette conférence et je le dépose sous le n° USA-604. Il déclare que, parmi les participants, il y avait entre autres des représentants du délégué au Plan de quatre ans, du ministère de la Main-d’œuvre, du ministère du Ravitaillement du Reich et du bureau de Rosenberg. La première phrase déclare — et je cite :
« Après une introduction par le lieutenant-colonel Dr Krull, le lieutenant-colonel Breyer du service des prisonniers de guerre expliqua qu’en fait le Führer avait interdit que l’on amenât des prisonniers de guerre soviétiques à l’intérieur du Reich pour les y faire travailler, mais que l’on pouvait espérer que cette interdiction serait un peu assouplie par la suite ».
Le dernier paragraphe précise que :
« Le Président, résumant les résultats de la discussion, dit que tous les bureaux intéressés avaient recommandé et soutenu sans réserve la demande d’utilisation des prisonniers de guerre, en raison des besoins du Reich en main-d’œuvre. »
Le 16 juillet 1941, la veille de sa nomination au poste de ministre des territoires occupés de l’Est, Rosenberg assista, au Quartier Général du Führer, à une conférence dont le procès-verbal a été déposé comme preuve. C’est le document L-221 (USA-317). À cette époque, Hitler déclara que « la Crimée devrait être évacuée de tous les étrangers et n’être colonisée que par des Allemands ».
Il déclara, en outre, que l’Allemagne avait dans l’Est un triple objectif : premièrement, le dominer ; deuxièmement, l’administrer ; troisièmement, l’exploiter. Ainsi, le caractère de l’administration envisagée pour les territoires occupés de l’Est était déjà bien établi avant que Rosenberg n’acceptât le poste de ministre. Il connaissait ces plans et les approuvait : la persécution des Juifs, le travail forcé des prisonniers de guerre, la germanisation et l’exploitation, tels étaient les points essentiels de cette politique dont Rosenberg était au courant au moment de son entrée en fonctions.
Le 17 juillet 1941, Rosenberg fut nommé ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est. Le décret qui le nommait a déjà été déposé. C’est le document PS-1997 (USA-319).
J’aimerais maintenant examiner l’organisation et l’échelle de ces possibilités qui existaient à l’intérieur du ministère des territoires occupés de l’Est.
L’organisation du Ministère était telle que, comme nous allons le montrer, Rosenberg n’était pas un homme de paille, mais possédait l’autorité suprême et les pleins pouvoirs.
Le document PS-1056 est un traité ronéotypé intitulé : L’organisation de l’administration des territoires occupés de l’Est. Il ne porte ni date ni signature. Mais nous pouvons obtenir d’autres renseignements à son sujet en nous reportant au document EC-347, qui est le Dossier Vert de Göring, déjà déposé sous le n° USA-320.
Il est à remarquer que la Partie II, sous-section A du document EC-347, est intitulée — je cite : « Extraits des directives du ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, relatives à l’administration civile », et ensuite, entre parenthèses, « Dossier-Brun, partie 1, pages 25 à 30 ».
Les deux paragraphes suivants sont identiques aux deux paragraphes que vous trouvez au sommet de la page 9, dans la traduction du document PS-1056. Ainsi on reconnaît que le document PS-1056 est une copie ronéotypée de la partie 1 du Dossier Brun cité dans le Dossier Vert et qu’il fut publié par le ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est.
Je dépose maintenant le document PS-1056, sous le n° USA-605. Je le fais afin de montrer quelle fut, d’après les directives provenant du propre ministère de Rosenberg, l’étendue de sa compétence et d’établir qu’il était l’autorité administrative suprême dans les territoires de l’Est. Le document montrera qu’une chaîne hiérarchique continue descendait de Rosenberg aux fonctionnaires administratifs régionaux, s’étendant même jusqu’aux chefs des prisons locales. Le document montrera aussi les relations qui existaient entre le ministère de Rosenberg et les autres organismes allemands, relations qui variaient du plein contrôle exercé par Rosenberg jusqu’à une collaboration étroite rendue obligatoire par ses directives et par les ordres de Hitler. Enfin, le document montrera que les différentes sous-sections du ministère étaient appelées à remettre des rapports périodiques sur la situation dans leur zone de compétence, de sorte que les nombreux rapports d’une inconcevable brutalité que Rosenberg recevait et qui sont déjà déposés, lui étaient soumis conformément à ses ordres.
Le premier paragraphe de ce document révélateur déclare :
« Les territoires de l’Est nouvellement occupés sont soumis à l’autorité du ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est ; par ordre du Führer, il y a établi une administration civile après la suppression de l’administration militaire. Il dirige et contrôle toute l’administration de cette zone et représente la souveraineté du Reich dans les territoires occupés de l’Est. »
On peut lire, au sommet de la page 2 de la traduction :
« Un délégué du Reichsführer SS et chef de la Police allemande au ministère de l’Intérieur du Reich est attaché au ministère du Reich. »
Le paragraphe III, à la page 2 de la traduction, définit ainsi la responsabilité des commissaires du Reich, et je cite :
« Dans les commissariats du Reich, les commissaires du Reich sont responsables de toute l’administration civile, sous l’autorité suprême du ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est. Suivant les instructions du ministre du Reich, pour les territoires occupés de l’Est, le Commissaire du Reich, en sa qualité de fonctionnaire du Reich, dirige et contrôle dans son ressort toute l’administration civile. Dans le cadre de ces instructions, il agit sous sa propre responsabilité. »
Suit alors l’échelle hiérarchique des services subalternes : commissariats généraux, commissariats principaux, commissariats de district, etc.
Dans l’avant-dernier paragraphe, à la page 3 de la traduction, on précise à nouveau :
« Le chef le plus élevé des SS et de la Police est directement subordonné au Commissaire du Reich. Cependant, le chef d’État-Major a, en principe, le droit d’être informé par ses soins.
« Il faut insister sur la collaboration étroite qui doit exister entre lui-même, le chef d’État-major et les chefs des autres services principaux du commissariat du Reich, en particulier celui des affaires politiques. »
Je m’écarte un instant de ce document. Je demanderai au Tribunal de bien vouloir accorder valeur probatoire au décret signé par Rosenberg, le 17 juillet 1941, qui figure dans le Verordnungsblatt du ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est, année 1942, n° 2, pages 7 et 8.
Ce décret prévoit la création de cours martiales chargées de statuer sur les crimes commis par des non-Allemands dans l’Est. Ces cours devront être présidées par un officier de police ou par un chef SS et seront habilitées à prononcer la peine de mort ou la confiscation des biens ; leurs décisions seront sans appel. Le Commissaire général possèdera le droit de réformer toute décision. Les décisions des SS dans ces cours martiales étaient ainsi soumises à l’autorité du représentant du ministère de Rosenberg.
La position du Commissaire général est définie à la page 4 de la traduction du document PS-1056. On y déclare que :
« Le Commissaire général constitue l’autorité administrative de moyenne instance. »
Trois paragraphes plus bas, il est dit :
« Le chef des SS et de la Police attaché au Commissaire général lui est directement subordonné. Cependant, le chef d’État-Major a, en principe, le droit d’être informé par ses soins. »
Le document décrit ensuite les fonctions des diverses subdivisions du ministère en finissant par les commissaires régionaux, qui sont à la tête des districts administratifs locaux. Des unités de Police leur sont également attachées et directement subordonnées.
Très bien, Monsieur Brudno, mais vous auriez certainement pu résumer tout cela en une phrase, sans nous renvoyer à tous ces passages du document. Par exemple : Rosenberg était ministre des territoires de l’Est. Il avait sous ses ordres des commissaires du Reich et des détachements de SS, qui avaient la pleine administration, la pleine administration civile des territoires de l’Est. Si vous nous l’aviez dit ainsi, ç’eût certainement été suffisant.
Bien, Monsieur le Président ; je vais passer à un autre point en soulignant simplement que l’exploitation économique de ces territoires fut entreprise en parfaite collaboration avec le délégué au Plan de quatre ans, ainsi qu’il ressort du paragraphe 2 de la page 7 de la traduction. Il y est dit que les services d’inspection économique du délégué au Plan de quatre ans seront, en substance, absorbés par les organismes de l’administration civile, après rétablissement de celle-ci.
Je désire également attirer votre attention sur le premier paragraphe de la page 6, où il est dit :
« En dehors des organismes militaires, les différents commissaires sont les seules autorités du Reich dans les territoires occupés de l’Est. D’autres autorités du Reich ne peuvent pas être établies à côté d’eux. Ils s’occupent de toutes les questions administratives de la zone qui relèvent de leur compétence et règlent toutes les affaires qui concernent l’organisation et l’activité de l’administration, y compris celles de la Police, pour le contrôle des organisations et services locaux, et celui de la population. »
Maintenant, je passe rapidement à la deuxième section du document intitulé : « Directives concernant les méthodes de travail de l’administration civile ». Les deux premiers paragraphes de la page 9 figurent déjà dans le procès-verbal des débats comme partie du document EC-347, pièce USA-320. J’attire particulièrement l’attention du Tribunal sur la déclaration selon laquelle « les Conventions de La Haye, sur la conduite de la guerre sur terre et sur l’administration d’un pays occupé par une armée étrangère ne sont pas valables ».
Je continue, en citant le dernier paragraphe de la page 9 :
« Le règlement des cas de sabotage est confié au chef supérieur des SS et de la Police ou au chef des SS et de la Police ou aux chefs de Police d’un grade inférieur. S’il semble indiqué de prendre des mesures collectives contre la population, la décision à cet égard appartient au commissaire compétent.
« Le droit d’infliger des amendes en argent ou en nature, de même que le droit de faire saisir des otages ou exécuter des habitants du territoire dans lequel des actes de sabotage ont eu lieu, appartient exclusivement au Commissaire général, à moins que le Commissaire du Reich n’intervienne personnellement. »
J’achève la présentation de ce document en citant la première phrase, au sommet de la page 13 :
« Les commissaires de district sont responsables du contrôle de toutes les prisons, à moins d’ordres contraires du Commissaire du Reich. »
Je ne veux pas abuser des instants du Tribunal ni allonger le procès-verbal par un exposé détaillé de la manière dont Rosenberg utilisa ses pleins pouvoirs et son autorité. Certaines preuves figurent déjà au procès-verbal ; d’autres encore seront présentées par le Ministère Public soviétique, concernant l’ampleur des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité perpétrés contre les peuples des territoires occupés de l’Est.
Cependant, afin d’illustrer la façon dont Rosenberg a participé aux activités criminelles perpétrées dans la sphère de sa juridiction, j’aimerais citer brièvement quelques exemples.
J’attire l’attention du Tribunal sur le document R-135, qui a déjà été présenté sous le n° USA-289. Dans ce document, le chef de la prison de Minsk rapporte que 516 Juifs allemands et russes y ont été tués et souligne le fait que de l’or précieux a été perdu, faute d’avoir extrait les appareils dentaires des victimes avant leur exécution.
Ces faits se sont passés à la prison de Minsk qui, vous vous le rappelez d’après le document PS-1056, se trouvait sous l’autorité directe du ministère pour les territoires occupés de l’Est.
À titre d’exemple, je voudrais présenter encore le document PS-018, qui a déjà été déposé comme preuve sous le n° USA-186. J’aimerais lire au Tribunal le premier paragraphe de ce document qui ne figure pas encore au procès-verbal des débats. Il révèle que Rosenberg, écrivant à Sauckel le 21 novembre 1942, s’exprimait dans les termes suivants :
« Je vous remercie beaucoup de votre rapport sur l’exécution de la grande mission qui vous a été confiée. Je suis heureux d’apprendre qu’en accomplissant cette tâche vous avez toujours trouvé le soutien nécessaire, même de la part des autorités civiles des territoires occupés de l’Est. Quant à moi et aux fonctionnaires placés sous mes ordres, cette collaboration a été et reste évidente, d’autant plus que nous avons tous deux, depuis le début, soutenu le même point de vue sur la solution du problème de la main-d’œuvre dans l’Est. »
Jusqu’au 11 juillet 1944, le ministère Rosenberg s’occupa activement de la poursuite de ce programme de travail forcé, malgré la retraite des troupes allemandes de l’Est.
Après avoir fait cette remarque générale, Rosenberg, à la fin de ce document, proteste contre les méthodes employées. Vous n’en avez pas parlé.
C’est exact. Ces objections figurent déjà au procès-verbal des débats et je me référais simplement à ce document pour montrer que Rosenberg favorisait le recrutement du travail forcé dans l’Est et que l’administration civile de ces territoires collaborait à cette politique, malgré les méthodes employées, qui étaient bien connues de Rosenberg, comme il le dit lui-même dans cette lettre.
Messieurs, je me dois de protester ici contre le fait que le Ministère Public n’a pas lu jusqu’au bout le paragraphe 1 qu’il vient de citer. En effet, il est dit dans la phrase suivante qu’un accord était intervenu entre Sauckel et Rosenberg, stipulant que...
Vous n’avez pas dû entendre que mon collègue américain du Siège vient précisément de souligner le point sur lequel vous attirez maintenant l’attention du représentant du Ministère Public américain : il lui a fait remarquer qu’il aurait dû lire, ou tout au moins nous signaler, les autres paragraphes de ce document qui montrent que Rosenberg a protesté contre les méthodes employées.
Messieurs, je voudrais attirer votre attention sur le fait que le représentant du Ministère Public n’a cité que les deux premières phrases d’un paragraphe, alors que dans ce même paragraphe il est dit qu’un accord était intervenu entre Sauckel et Rosenberg, stipulant que les ouvriers devaient être bien traités en Allemagne et que des organisations de prévoyance seraient créées dans ce but. Mais la façon dont le Ministère Public a exposé la question donne l’impression que l’accusé Rosenberg et l’accusé Sauckel étaient d’accord pour l’utilisation sans réserve de la main-d’œuvre et pour la déportation des ouvriers de l’Est.
Ainsi que le représentant du Ministère Public américain vient de le faire remarquer, les autres passages du document ont déjà été lus et, naturellement, le document tout entier sera admis comme preuve.
Le Tribunal comprend parfaitement l’objection que vous présentez, à savoir qu’il n’est pas juste de lire un seul passage d’un document, alors que d’autres passages du même document montrent que le texte lu ne rend pas de façon exacte le sens de l’ensemble.
Messieurs, je n’ai pas essayé d’induire le Tribunal en erreur ; c’est uniquement pour épargner vos instants que je n’avais pas lu le contexte, qui figure d’ailleurs dans le procès-verbal.
Oui, je comprends. Nous allons maintenant lever l’audience.