TRENTE ET UNIÈME JOURNÉE.
Jeudi 10 janvier 1946.

Audience du matin.

M. BRUDNO

Plaise au Tribunal. J’avais terminé hier la présentation des preuves sur la responsabilité et les pouvoirs de Rosenberg dans les territoires occupés de l’Est, et j’étais sur le point de conclure mon exposé avec quatre exemples assez brefs sur la manière dont s’exerçait son autorité. J’en étais, Monsieur le Président, au troisième exemple qui concernait la participation de Rosenberg au programme du travail forcé. Je voudrais conclure en me reportant au document PS-199 (USA-606). C’est une lettre adressée par Alfred Meyer, adjoint de Rosenberg, à Sauckel le 11 juillet 1944. Vous remarquerez que cette fois, Messieurs, c’est le ministère de Rosenberg qui pousse à l’action. Je vais citer la première partie de cette lettre  :

« Le service central de la main-d’œuvre de guerre qui se trouvait jusque là à Minsk doit continuer, en toutes circonstances, à mobiliser les jeunes Blancs Ruthènes et Russes, aux fins d’utilisation militaire dans le Reich. Ce service a, en outre, pour mission de transporter dans le Reich les jeunes garçons de 10 à 14 ans. »

Mon troisième exemple traite de la façon dont Rosenberg exerçait les pouvoirs qui lui étaient conférés par la loi et je demande au Tribunal de considérer comme acquise la preuve du décret signé par Lohse, Commissaire du Reich pour les territoires de l’Est. Ce décret a été publié dans le Verordnungsblatt du Commissaire du Reich pour les territoires de l’Est, en 1942, numéro 38, pages 158 et 159. Ce décret stipule la confiscation de tous les biens de la population juive des territoires de l’Est, y compris les revendications des biens des Juifs entre les mains de tiers. La confiscation avait effet rétroactif à dater de l’occupation du territoire par les troupes allemandes. Ce décret général fut publié par le subordonné immédiat de Rosenberg et nous pouvons présumer que Rosenberg le connaissait et l’approuvait.

J’en viens maintenant à mon dernier exemple. Il est tiré du document PS-327, déjà présenté sous le n° USA-338. C’est une copie d’une lettre secrète de Rosenberg à Bormann, en date du 17 octobre 1944. Elle donne une idée très claire des activités de Rosenberg dans l’exploitation économique des territoires occupés de l’Est. Je désire citer le premier paragraphe de la première page, il ne figure pas encore au procès-verbal des débats  :

« Afin de ne pas retarder la liquidation des sociétés soumises à mon contrôle, je désire souligner que les sociétés intéressées ne sont pas des firmes privées mais des entreprises industrielles du Reich et que les mesures prises à leur égard, de même qu’à l’égard des organismes gouvernementaux, sont réservées aux autorités suprêmes du Reich. Je contrôle les sociétés suivantes... »

Suit une liste de neuf sociétés, une société commerciale, une société pour le développement agricole, une société de ravitaillement, une société de produits pharmaceutiques et cinq entreprises bancaires. À la page 3 de la traduction, paragraphe 1 a, la mission de la compagnie commerciale est censée être « le rassemblement de tous les produits agricoles de même que le transport et la vente commerciale de ces produits (la livraison à la Wehrmacht et au Reich) ».

J’attire maintenant l’attention du Tribunal sur le paragraphe 5 de la même page, qui décrit ainsi l’activité de ces compagnies  :

« Pendant cette période, la Z. O. » — c’est-à-dire la Société centrale de commerce — a rassemblé avec ses filiales 9.200.000 tonnes de céréales et 622.000 tonnes de viande ; 950.000 tonnes de graines de lin ; 208.000 tonnes de beurre ; 400.000 tonnes de sucre ; 2.500.000 tonnes de fourrage ; 3.200.000 tonnes de pommes de terre ; 141.000 tonnes de semences ; 1.200.000 tonnes d’autres produits agricoles et 1.075.000.000 œufs.

« Le transport s’effectua par les moyens suivants  : 1.418.000 wagons de transport et 472.000 tonneaux. »

Pour conclure, nous estimons que les preuves ont révélé que l’accusé Rosenberg a joué un rôle de premier plan dans l’accession au pouvoir du parti nazi, en modelant la pensée allemande pour favoriser les ambitions des conspirateurs. Il a joué un rôle éminent dans la propagation de l’idéologie et de l’intrigue en encourageant la trahison dans les pays étrangers, afin de frayer un chemin aux guerres d’agression. Il a donc une responsabilité entière dans les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité qui furent perpétrés dans les territoires de l’Est occupés et qui seront exposés plus longuement par le Procureur soviétique.

Voilà qui termine la présentation des charges relevées à l'encontre de l’accusé Rosenberg. L’exposé suivant portera sur celles qui pèsent sur l’accusé Frank ; le lieutenant-colonel Baldwin le présentera.

LIEUTENANT-COLONEL WILLIAM H. BALDWIN (substitut du Procureur Général américain)

Plaise au Tribunal. Nous allons nous occuper maintenant de la responsabilité individuelle de l’accusé Frank. Conformément au désir déjà exprimé par le Tribunal, je condenserai mes explications au maximum et je suis prêt à accepter toute suggestion touchant à la longueur ou à la méthode de cet exposé.

Je dois d’abord reconnaître tout ce que je dois à l’aide inestimable de Mlle Harnet Zetterberg, de notre service juridique et à celle du Dr Piotrowski, de la Délégation polonaise. Le Dr Piotrowski et la Délégation polonaise se sont naturellement tout particulièrement intéresses à l’accusé Frank.

Les aspects de la complicité criminelle de l’accusé Frank, se rapportant au premier chef d’accusation ont déjà été présentés devant ce Tribunal à diverses occasions. II reste, cependant, certains points nouveaux, soit dans leur présentation, soit dans leur développement, qui concernent cet accusé en tant qu’individu, et qui compléteront la partie américaine du réquisitoire contre Hans Frank. Nos collègues soviétiques traiteront des lourdes charges qui pèsent contre l’accusé Frank dans leur expose sur les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité à l’Est. Nous voulons simplement aborder les preuves qui, comme nous le pensons, révèlent de façon irréfutable que Frank a été un rouage essentiel de l’organisme qui a conçu, encouragé et exécute le plan concerté ou complot nazi.

Des documents se rapportant à ce sujet ont été rassemblés dans un livre de documents portant les lettres « FF. » On m’informe que ce livre, de même que les exposes d’audience, ont été remis aux membres du Tribunal

Au cours de cet exposé, on se référera souvent à ce qu’on appelle le « Journal de Frank », sur lequel on a déjà appelé l’attention du Tribunal. Il me semble opportun de mentionner brièvement ici le contenu et les sources de ce document. C’est une série de trente-huit volumes environ qui se trouvent pour la plupart devant le Tribunal, et qui donnent le détail des activités de l’accusé Frank depuis 1939 jusqu’à la fin de la guerre, en sa qualité de Gouverneur Général de la Pologne occupée. C’est, en bref, un procès-verbal des activités de chaque jour, heure par heure, rendez-vous par rendez-vous, conférence par conférence, discours par discours, et, en vérité, croyons-nous, crime par crime. Tous ces volumes, sauf les derniers, sont élégamment reliés. Tous ceux qui traitent des conférences de Frank et de ses subordonnés au Gouvernement Général portent, sur une page précédant le procès-verbal de la conférence proprement dite, les noms des participants inscrits de la propre main de l’accusé. Il est incroyable pour une conscience normale, qu’une histoire aussi nette d’assassinats massifs, de famines et d’extermination ait pu être établie par le responsable de ces actes, en personne. Mais le Tribunal sait bien maintenant que les dirigeants nazis aimaient à appuyer leurs exploits de documents minutieux, comme le prouvent les mémoires de Rosenberg sur le pillage des objets d’art et les albums sur l’extermination des Juifs dans le ghetto de Varsovie.

La série complète du journal de Frank a été trouvée en Bavière, à Neuhaus, près de Schliersee, le 18 mai 1945, par la 7e armée américaine. Elle a été transférée au Centre de documentation de la 7e armée à Heidelberg, d’où elle fut envoyée, vers le 20 septembre 1945, aux services du Ministère Public américain à Nuremberg. Elle se trouve intégralement devant le Tribunal, et nous estimons que l’accent de ces livres est maintenant celui d’un réquisitoire plutôt que celui d’un récit orgueilleux.

Il est indéniable que l’accusé a détenu une position de premier plan dans le parti nazi et dans le Gouvernement allemand. Nous estimons même qu’il serait injuste envers lui de sous-estimer son importance dans la hiérarchie nazie et le Troisième Reich. Au même titre que les autres accusés, c’était un homme en vue et d’une grande influence ; la liste des postes qu’il a occupés a déjà été remise au Tribunal. C’est une déposition sous serment signée par l’accusé Frank et portant le numéro USA-7. Ce document contient l’énumération de onze postes importants détenus par Frank dans le Parti et dans le Gouvernement et confirme toute l’influence et le rôle qu’il a exercés et dont je viens de parler, surtout depuis que le Tribunal est désormais suffisamment renseigné sur les activités criminelles des organisations et formations nazies.

Les intrigues de Frank se divisent logiquement en deux périodes. Dans la première, de 1920 à 1939, il était, de son propre aveu, le principal juriste nazi, bien que, entre parenthèses, le terme de juriste perde son sens honorable avec la qualification de nazi. Durant l’autre période qui s’étend d’octobre 1939 à la fin de la guerre, il a été Gouverneur Général de la Pologne occupée. Bien qu’à ce dernier titre, il soit essentiellement connu pour ses persécutions et pour l’exécution du complot, le Ministère Public américain n’en estime pas moins que la participation de l’accusé Frank, en sa qualité de premier juriste nazi, à l’accession des nazis au pouvoir, ne doit pas être passée sous silence. À ce point de vue, je traiterai d’abord de l’aide apportée par l’accusé Frank à la réalisation du programme des conspirateurs dans le domaine du droit, de sa connaissance des buts criminels de ce programme et de la part active qu’il prit à sa réalisation.

L’accusé Frank a décrit lui-même son rôle dans la lutte nazie pour la prise du pouvoir, dans les dernières remarques qu’il dicta à sa secrétaire dans son journal du 28 août 1942 ; elles constituent notre document PS-2333 (x) ; elles se trouvent, Messieurs, à la page 54 du livre de documents. Les numéros des pages du livre de documents sont marqués dans le coin supérieur droit, au crayon de couleur bleu ou rouge. Je dépose maintenant l’original de ce document sous la cote USA-607 ; dans le texte allemand, ces extraits apparaissent à la partie III du volume de 1942 du journal, aux pages 968, 969 et 983  :

« Depuis 1920, j’ai continuellement consacré mon activité à la NSDAP. En tant que national-socialiste, J’ai participé aux événements de 1923, à l’occasion desquels j’ai été décoré de l’Ordre du Sang. Mon activité importante dans le mouvement commença véritablement après la résurrection du mouvement en 1925. Je suis devenu par intermittence d’abord et par la suite presque exclusivement, le conseiller juridique du Führer et de la direction de la NSDAP pour tout le Reich J’étais ainsi le représentant des intérêts légaux du Troisième Reich grandissant, tant au point de vue idéologique qu’au point de vue pratique »

Frank continue en disant

« Je vis l’apogée de ce travail au procès militaire de Leipzig, au cours duquel J’ai réussi à obtenir que le Führer prononçât le fameux serment de légalité. Ce fut une occasion pour donner au mouvement une base légale, lui permettant de se développer heureusement.

« En reconnaissance de ce succès, le Führer m’a nommé, en 1926, chef de la Ligue Juridique nationale-socialiste ; en 1929, chef du service Juridique de la direction de la NSDAP ; en mars 1933, ministre de la Justice de Bavière et la même année, Commissaire du Reich a la Justice ; en 1934, president de l’académie allemande de Droit, que J’ai fondée ; et en décembre 1934, ministre du Reich sans portefeuille. En 1939, J’ai été finalement nommé Gouverneur General des territoires occupes de Pologne.

« J’ai été, Je suis et Je resterai le Juriste incarnant la période de combat du national-socialisme.

« Je me proclame, maintenant et pour toujours, national-socialiste et disciple fidèle du Führer, Adolf Hitler, que J’ai servi depuis 1919. »

En vérité, il est significatif et digne d’être mentionné devant le Tribunal...

LE PRÉSIDENT

Est-ce là un extrait de son journal ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que les mots « Présents : Dr Hans Frank et autres » sont de sa main ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Oui, Monsieur le Président. Avant chacun de ces extraits, s’il s’agissait d’une conférence, les membres du Gouvernement Général présents ou ayant pris la parole étaient généralement indiques.

LE PRÉSIDENT

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Il est significatif et opportun de mentionner ici que l’accusé Frank a reconnu la responsabilité qui lui incombe dans le soi-disant serment de légalité au procès de Leipzig. Au cours de ce procès, en 1930, trois officiers furent assez curieusement accusés de complot de haute trahison. L’accusation se basait sur le fait que les accusés, en leur qualité de membres de l’Armée allemande, avaient essayé de former des cellules nationales-socialistes, et d’exercer sur l’Armée allemande une influence telle qu’en cas de putsch national-socialiste, l’Armée n’aurait pas ouvert le feu contre les nationaux-socialistes, et serait demeurée passive. Les trois officiers furent déclarés coupables et condamnés à dix-huit mois d’emprisonnement. À ce procès cependant, Hitler comparut comme témoin ; au cours des débats, il déclara sous la foi du serment que le terme de « révolution » utilisé par lui voulait simplement dire « révolution spirituelle en Allemagne » et que l’expression « les têtes rouleraient dans le sable » signifiait simplement qu’il en serait ainsi à la suite de l’application de la procédure légale des tribunaux d’État, si le national-socialisme s’emparait du pouvoir. C’était là ce soi-disant « serment de légalité », ce mensonge que l’accusé Frank a fourni à son Führer pour camoufler le complot et qu’il a considéré, au moins en 1942, comme le point culminant de ses efforts.

En tant que « juriste incarnant la période de combat nationale-socialiste » et dans ses diverses attributions juridiques énumérées dans cette déposition sous serment, l’accusé Frank fut, entre 1933 et 1939, le politicien le plus éminent dans le domaine des théories juridiques allemandes. Il fonda par exemple l’académie allemande de Droit en 1934 et jusqu’en 1942 il fut président de ce corps constitué, jadis puissant. Les statuts définissant les fonctions de cette académie lui conféraient des pouvoirs étendus pour provoquer et coordonner la politique juridique. Ces statuts se trouvent dans la traduction à la page 5 du livre de documents ; ils constituent notre document PS-1391. Ils sont publiés également dans le Reichsgesetzblatt de 1934, partie I, page 605. Nous demandons au Tribunal d’en considérer la preuve comme acquise. Je cite brièvement ce décret  :

« La mission de l’académie allemande de Droit est de favoriser le rajeunissement du Droit en Allemagne. En liaison étroite avec les organismes législatifs compétents, elle encouragera la réalisation du programme national-socialiste dans le domaine du Droit. Cette mission sera remplie par des méthodes scientifiques nettement définies. En particulier elle comprend tout d’abord  : 1° L’établissement, la suggestion, la critique, et la présentation de projets de loi ; 2° Une collaboration pour rajeunir et unifier la formation de la science du Droit et des sciences politiques; 3° La rédaction et le soutien de publications juridiques; 4° Une aide financière pour des travaux de recherche dans les domaines particuliers du Droit et de l’Économie politique. »

M. BIDDLE

Allez-vous lire tout cela ? Nous voulons bien le tenir pour acquis.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Parmi les premières tâches que l’accusé Frank se promettait d’exécuter dans le domaine du Droit, se trouvent l’unification de l’État allemand, l’encouragement à une législation raciale et l’élimination des organisations politiques, à l’exclusion du parti nazi. Dans un discours radiodiffusé du 20 mars 1934, il annonça les succès remportés dans ce domaine. La traduction anglaise partielle de ce discours constitue le document PS-2536, page 64 du livre de documents. Le texte original de ce discours se trouve dans les Dokumente der Deutschen Politik, volume II (première édition), pages 294 à 298. Dans le texte allemand, les extraits que je citerai figurent aux pages 296 et 298, et je demande au Tribunal de leur accorder une valeur probatoire.

« La première tâche consista à établir l’unité de tout ce qui était allemand. Ce fut un succès historique et politique remarquable pour notre Führer que de réussir à éliminer la souveraineté de ces divers états allemands. Après mille ans d’interruption, nous avons enfin à nouveau maintenant un État allemand unifié à tous égards. Le monde ne pourra plus établir de calculs au détriment du peuple allemand, en comptant sur l’esprit de résistance inhérent aux petits États qui n’ont été édifiés que sur une base égoïste et uniquement en vue de leur intérêt particulier. C’est une chose à jamais révolue. »

Je passe maintenant au second extrait  : « Le second principe fondamental du Reich hitlérien est la législation raciale. Les nationaux-socialistes ont été les premiers, dans toute l’histoire du Droit humain, à élever le concept de la race au rang de concept juridique. La nation allemande, unifiée racialement et nationalement, sera à l’avenir protégée légalement contre toute désintégration de la race allemande. »

Je passe maintenant au sixième principe  : « Le sixième principe fondamental est l’élimination légale des organisations qui, à l’intérieur de l’État, pendant la période de la reconstruction du peuple et du Reich, ont jadis été à même de placer leurs buts égoïstes au-dessus du bien commun de la nation. Cette élimination a eu lieu d’une façon entièrement légale. Ce n’est pas l’expression d’une tendance despotique, mais la conséquence légale nécessaire, le résultat d’une politique manifeste des quatorze années de lutte de la NSDAP.

« En accord avec cette volonté juridique d’unification dans tous les domaines » — continue Frank — « des efforts particuliers sont faits depuis des mois, en vue de la grande réforme du système juridique complet de l’État allemand. En tant que chef des juristes allemands, je suis convaincu qu’avec l’aide de toutes les couches sociales du peuple allemand, nous serons capables de construire l’État constitutionnel d’Adolf Hitler dans tous les domaines, si bien que personne au monde, à aucun moment, ne sera à même d’attaquer cet État dans ce qui touche à ses lois. »

Dans son discours à l’occasion de la Journée des professeurs d’Université du Reich, membres de la Ligue des Juristes nationaux-socialistes, le 3 novembre 1936, l’accusé Frank expliqua à l’assemblée des professeurs la question de l’élimination des Juifs du domaine du Droit, en accord avec le plan nazi. La traduction d’un passage de ce discours constitue notre document PS-2536, page 62 du livre de documents. Le texte officiel est également publié dans les Dokumente der Deutschen Politik, volume IV, pages 225 à 230, et je demande au Tribunal de lui accorder une valeur probatoire. Il traite, en résumé...

LE PRÉSIDENT

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que vous le lisiez ; je crois que nous avons déjà eu des textes semblables.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Comme chef des juristes nazis, l’accusé Frank a accepté, approuvé et favorisé le système des camps de concentration et celui des arrestations sans mandat. Apparemment, il n’a mis aucune hésitation à déformer sa conscience professionnelle, si jamais il en eût une, pour faire plier les cadres légaux allemands au service des buts nazis. Il explique cette régression criminelle de la civilisation qu’étaient les camps de concentration dans un article sur la législation et la jurisprudence dans le Troisième Reich, publié en 1936, dans la Revue de l’académie allemande de Droit, dont il était naturellement le rédacteur en chef. La traduction d’une partie de cet article constitue notre document PS-2533, page 61 du livre de documents. Le texte officiel allemand se trouve également dans la Zeitschrift der Akademie für Deutsches Recht de 1936, page 141, et je demande au Tribunal de lui accorder une valeur probatoire. Puisque l’extrait est bref, je me permettrai de le lire. Frank dit  :

« On ne cesse dans le monde de nous adresser des reproches à propos des camps de concentration. On nous demande  : « Pourquoi procédez-vous à des arrestations sans mandat d’arrêt ? » Que l’on se mette dans la situation de notre nation. Souvenons-nous que le monde immense et intact du bolchévisme ne peut oublier que nous avons rendu sa victoire finale impossible pour lui en Europe, ici même, sur notre sol allemand. »

On peut voir par conséquent, que, exactement comme les autres accusés, qui ont mobilisé des ressources militaires, économiques et diplomatiques en vue d’une guerre d’agression, l’accusé Frank, dans le domaine de la politique juridique, a mis au point la machine juridique allemande en vue d’une guerre d’agression. Cette guerre d’agression, comme il l’a expliqué en 1942 aux chefs politiques de la NSDAP de Galicie, au cours d’une réunion de masse à Lemberg, — et je cite maintenant le Journal de Frank, document PS-2233 (s), à la page 50 du livre de documents, dont l’original a été déposé comme preuve sous le n° USA-607 — a eu pour but « d’élargir l’espace vital de notre peuple d’une manière naturelle ».

Les déformations et les perversions de la loi allemande, que l’accusé Frank inventa pour le compte du Parti, lui donnaient — à lui, sinon, au monde — une satisfaction énorme. Il le signale à la toute puissante académie allemande de Droit, en novembre 1939, un mois après être devenu Gouverneur Général de la Pologne occupée. La traduction partielle de ce discours constitue notre document PS-3445, page 73 du livre de documents. Le texte officiel du discours apparaît dans le Deutsches Recht 1939, deuxième volume, semaine du 23 au 30 décembre 1939, et commence à la page 2121. Je demande au Tribunal de lui accorder valeur probatoire et de m’autoriser à en lire de brefs extraits. Frank déclare  :

« C’est avec fierté que nous constatons aujourd’hui que les principes juridiques que nous avions établis au début n’ont pas à être modifiés en raison de la guerre. Car le principe, qui veut que le Droit soit ce qui profite au peuple et que ce qui lui nuit soit mauvais, principe que nous avons placé à la base de notre tâche juridique et qui a établi que le concept de la communauté du peuple était le seul support de la valeur du Droit, domine aussi l’ordre social de notre temps. »

Si ce sentiment a une résonance familière, c’est parce que c’est la réaffirmation d’un commandement du Parti adapté et énoncé par le juriste du Parti, pour exprimer la conception du Droit du Parti. Je fais allusion naturellement au commandement du Parti que vous trouverez au procès-verbal des débats (Tome IV, page 46) dans l’exposé concernant le Corps des chefs du Parti ; ce commandement déclarait et je cite  : « Le Droit est ce qui sert le mouvement et partant l’Allemagne ».

C’est pourquoi le Ministère Public estime que l’accusé Frank est conjointement responsable de tous ces actes cruels de discrimination, de tous ces règlements par lesquels les nazis ont écrasé les minorités allemandes, ont consolidé leur contrôle sur l’État allemand et l’ont préparé au déclenchement à brève échéance de la guerre d’agression.

D’après nous, peu nous importe que la signature de ce juriste n’apparaisse pas au bas de chaque décret. Nous avons donné des preuves suffisantes de sa culpabilité à cet égard. Le procès-verbal en contient maintenant assez — et je fais allusion aux décrets cités par le commandant Walsh au cours de son exposé sur la persécution des Juifs et par le colonel Storey dans son exposé sur le Cabinet du Reich — pour faire la preuve du type et des conséquences de ces décrets, dont nous tenons l’accusé Frank pour responsable. En suivant cette théorie, Messieurs, nous arrivons maintenant aux conclusions que l’accusé Frank lui-même a tirées pour nous.

Je passe maintenant à cette seconde période bien connue de la vie officielle de l’accusé Frank, au cours de laquelle, pendant cinq ans, il s’est employé, en sa qualité d’agent principal du Parti et du Gouvernement, à l’élimination d’un peuple entier. Il a été nommé Gouverneur Général des territoires occupés de Pologne par un décret signé de celui qui était alors son Führer, le 12 octobre 1939. Ce décret définissait l’étendue des pouvoirs exécutifs de Frank ; vous le trouverez dans notre document PS-2537 à la page 66 du livre de documents. Je demande au Tribunal de lui accorder une valeur probatoire, étant donné que le texte allemand figure au Reichsgesetzblatt 1939, partie I, page 2077. Ce décret déclare simplement que le Dr Frank est nommé Gouverneur Général des territoires occupés de Pologne, le Dr Seyss-Inquart, Gouverneur Général adjoint, et que « le Gouverneur Général sera directement responsable devant moi », c’est-à-dire Hitler, signataire du décret.

Alors qu’une partie du monde était tentée d’admirer, dans les premiers jours, l’efficacité apparente de l’administration nazie, nous savons maintenant qu’elle était souvent criblée de jalousies mesquines d’hommes médiocres qui détenaient une parcelle d’autorité, et de conflits de compétence. Aucune difficulté de ce genre, cependant, n’existait pour l’accusé Frank, car bien qu’il fût parfois menacé d’une certaine division de son autorité, il insista pour qu’on lui accordât et il obtint la faveur d’une autorité suprême dans les territoires du Gouvernement Général. Deux références à son journal de 1940 à 1942, sont seules nécessaires pour montrer le caractère absolu de sa direction et de son autorité. Au cours d’une réunion des chefs du Gouvernement Général à la Bergakademie, le 9 mars 1940, l’accusé Frank précisa sa fonction de Gouverneur Général et ses remarques figurent dans son journal et dans notre document PS-2233 (m), à la page 42 du livre de documents.

L’original est déposé sous le n° USA-173. Le texte allemand, dont les extraits sont cités, figure au volume 2 des réunions des chefs de service de 1939-1940, aux pages 5, 6, 7 et 8. Frank dit  :

« Une chose est certaine  : l’autorité du Gouverneur Général, représentant de la volonté du Führer et de la volonté du Reich dans ces territoires, est assurément puissante et je n’ai jamais laissé douter que je n’en tolérerai pas d’abus. Je l’ai fait savoir à maintes reprises à tous les bureaux de Berlin, surtout après que le Feldmarschall Göring, le 12 février 1940 eût interdit à Karin Hall, à toutes les autorités administratives du Reich, y compris la Police et même la Wehrmacht, d’intervenir en quoi que ce soit dans les questions de service du Gouvernement Général... »

Il continue en disant  :

« Il n’y a aucune autorité ici, dans le Gouvernement Général, qui soit supérieure en grade, en influence et en pouvoir à celle du Gouverneur Général. La Wehrmacht elle-même ne possède à cet égard aucune fonction gouvernementale ou officielle quelconque ; elle n’a que de simples fonctions de sécurité et des tâches militaires générales, elle n’a aucun pouvoir politique. Cela vaut également pour la Police et les SS. Il n’y a pas ici d’État dans l’État, mais nous sommes les représentants du Führer et du Reich. »

Plus tard, en 1942, au cours d’une conférence des chefs politiques de la NSDAP du district de Cracovie, le 18 mars, l’accusé Frank expliqua encore les relations entre son administration et le Reichsführer SS Himmler. Ses remarques figurent dans son journal et dans notre document PS-2233 (r) à la page 48 du livre de documents. Je dépose l’original sous le n° USA-608. Dans le texte allemand, l’extrait que je m’apprête à citer figure aux pages 185 et 186 du volume 18 du journal pour l’année 1942, partie I. Je cite  :

« Comme vous le savez » — dit Frank — « je suis fanatique quant à l’unité de l’administration... Il est par conséquent clair que le chef suprême des SS et de la Police doit m’être subordonné, que la Police doit faire partie du Gouvernement, que le chef de la Police et des SS dans les districts doit être subordonné au Gouverneur, et que le chef du district exerce son autorité sur la gendarmerie de son district. Le Reichsführer SS l’a reconnu dans l’accord écrit où tous ces points ont été mentionnés mot pour mot et signés. Il est également pleinement évident que nous ne pouvons pas installer ici une boutique fermée, qui serait administrée à la manière traditionnelle des petits États. »

M. BIDDLE

Pensez-vous que toute cette lecture soit nécessaire ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Ce point semble important au Ministère Public américain, étant donné qu’il s’agit là d’un extrait du journal qui montre que deux ans plus tard encore, Frank se considérait comme l’autorité suprême du Gouvernement Général. C’est un point que nous estimons important, votre Honneur. Puis-je continuer ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

« Il serait ridicule par exemple, de notre part, d’édifier ici une Police de sûreté qui nous soit propre, contre nos Polonais du pays, quand nous savons que les Polonais de Prusse occidentale, de Posnanie, du Wartheland et de Silésie ont un seul et unique mouvement de résistance. Le Reichsführer SS, chef de la Police allemande, doit donc être à même d’exécuter, à l’aide de ses organismes, les mesures de police exigées par les intérêts du Reich dans son ensemble. Il faudra cependant que les mesures adoptées me soient d’abord soumises ; elles ne seront exécutées qu’avec mon consentement. Dans le Gouvernement Général, la Police constitue la force armée, c’est pourquoi le chef des organisations de Police a été appelé par mes soins au sein du Gouvernement Général. Il est subordonné à moi-même ou à mon adjoint, en qualité de secrétaire d’État à la Sûreté. »

Il est bon de signaler maintenant que l’homme qui occupait le poste de secrétaire d’État à la Sûreté dans le Gouvernement Général était Krüger, chef suprême des SS et de la Police de Frank...

LE PRÉSIDENT

Lirez-vous la page suivante ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Si le Tribunal le permet, je reviendrai plus tard à cet extrait.

LE PRÉSIDENT

Dans le même document ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Oui, il me semble préférable de le présenter plus tard.

Le Tribunal se souvient peut-être que les rapports sur l’extermination des Juifs dans le ghetto de Varsovie ont été adressés, au printemps de 1943, par le chef SS Stroop, qui dirigea de façon directe l’opération, à ce même Krüger qui était encore à l’époque l’un des deux membres les plus influents du cabinet de Frank, en tant que secrétaire d’État à la Sûreté.

Il était inévitable que le grand complot ou plan concerté se composât d’une foule de plans plus restreints, chacun se rapportant à une sphère particulière d’activités. Ces plans, qui ne diffèrent du plan principal que par leur étendue, sont des projets en vue d’une action particulière dérivant d’une ligne politique maîtresse. La Pologne occupée n’était pas une exception à cette règle. Le plan d’administration de la Pologne était contenu dans le mémorandum très secret en date du 20 octobre 1939, d’une conférence entre Hitler et le chef de l’OKW, l’accusé Keitel, sur « les futures relations de la Pologne et de l’Allemagne ». Ce rapport porte les initiales du général Warlimont. Il constitue notre document PS-864 que vous trouverez à la page 3 de notre livre de documents ; je le dépose sous le n° USA-609.

S’il plaît au Tribunal, je citerai simplement les paragraphes 1, 3, 4 et 6  :

« 1. La Wehrmacht accueillera favorablement la possibilité de se décharger des questions administratives en Pologne. En principe, il ne saurait y avoir deux administrations.

« 3. L’administration n’a pas pour mission de transformer la Pologne en une province modèle ou en un État modèle d’après l’ordre allemand, ou d’organiser de façon saine son économie et ses finances. Il faut empêcher que l’intelligenzia polonaise devienne une classe dirigeante. Le niveau d’existence du pays doit rester très bas. Nous voulons simplement en tirer des ressources en main-d’œuvre. On doit se servir des Polonais pour l’administration du pays. La formation de groupes politiques nationaux ne peut cependant pas être autorisée.

« 4. L’administration doit travailler sous sa propre responsabilité et ne doit pas dépendre de Berlin. Nous ne voulons pas faire là-bas ce que nous faisons dans le Reich. La responsabilité ne repose pas sur les ministères de Berlin, puisqu’il ne s’agit en rien de l’unité administrative allemande.

« L’accomplissement de cette tâche a pour condition une âpre lutte raciale, qui ne laissera place à aucune restriction légale. Les méthodes seront incompatibles avec les principes que nous acceptons par ailleurs.

« Le Gouverneur Général doit accorder à la nation polonaise les seules conditions de subsistance indispensables et maintenir le fondement de la sécurité militaire.

« 6. Toutes tendances à la consolidation des conditions en Pologne doivent être supprimées  : « l’économie polonaise » doit se développer. Le gouvernement du territoire doit nous permettre de purifier aussi le territoire du Reich en éliminant les Juifs et des Polonais. Collaboration avec les nouvelles provinces du Reich (en Posnanie, Prusse occidentale), simplement dans le but de recolonisation (voir mission Himmler).

« But  : Habileté et sévérité doivent être les maximes de cette lutte raciale, afin de nous épargner la nécessité d’un nouveau règlement avec ce pays sur le champ de bataille. »

L’accusé Frank fut choisi pour exécuter ce programme. Il en connaissait les buts, les approuvait, et exécuta ce plan avec zèle.

Le Tribunal a déjà été invité à se reporter au document USA-297, procès-verbal de ces débats (Tome III, page 579); dans ce document, l’accusé Frank exposait la mission que son Führer lui avait assignée et suivant laquelle il avait l’intention d’administrer la Pologne. Ce plan envisageait, en bref, l’exploitation sans scrupules et la déportation de toutes les ressources et de tous les travailleurs, la réduction de toute l’économie polonaise au minimum absolument indispensable à la subsistance de la population, et la fermeture de toutes les écoles.

Il n’existe pas d’exposé plus cynique que celui que Frank a fait dans ce rapport quand il déclare  : « La Pologne sera traitée comme une colonie ; les Polonais seront les esclaves du grand Empire mondial allemand. »

En décembre 1940, Frank rappela encore à ses chefs de service que la tâche d’administrer la Pologne entraînerait en fait une âpre lutte raciale qui ne laisserait place à aucune restriction légale. Je mentionne notre document PS-2233 (o) que vous trouverez à la page 45 du livre de documents. C’est un extrait du journal de Frank. Je dépose l’original sous le n° USA-173. Dans les textes allemands, l’extrait à citer figure au volume du journal intitulé « les réunions des chefs de service 1939-1940 », à la page 12 et à la page 13. Je cite  :

« Dans ce pays doit régner un commandement sévère et résolu. Le Polonais doit sentir que nous ne lui édifions pas ici un État légal, mais qu’il ne subsiste pour lui qu’un seul devoir, travailler et bien se conduire. Il est clair que des difficultés en naîtront parfois, mais vous devez, dans votre propre intérêt, veiller à ce que toutes les mesures soient impitoyablement exécutées, afin de rester maîtres de la situation. Vous pouvez compter sur moi de façon absolue à cet égard. »

Vis-à-vis des Polonais et des Ukrainiens, l’attitude de l’accusé Frank était claire  : on devait leur permettre de travailler comme des esclaves pour l’économie allemande aussi longtemps que les nécessités de guerre l’imposeraient. Une fois la guerre gagnée, cet intérêt cynique lui-même disparaîtrait. Je me réfère à un discours prononcé devant les chefs politiques allemands à Cracovie, le 12 janvier 1944. Il figure dans le journal de Frank et c’est le document PS-2233 (bb). Il est à la page 60 du livre de documents. Je le dépose sous le n° USA-295. Dans le journal, le texte allemand se trouve dans le volume broché qui couvre la période du 1er janvier au 28 février 1944. À la date du 14 janvier 1944, à la page 24  : « Une fois la guerre gagnée », dit Frank à ses chefs de service et nous avons ici un exemple classique d’une déclaration d’une brutalité inouïe  :

« Une fois la guerre gagnée, on pourra, à mon avis, faire de la chair à pâté de tous les Polonais, Ukrainiens, et autres qui courent ici à droite et à gauche. Peu importe ce qui leur arrivera ! »

En accord avec le programme raciste des conspirateurs nazis, l’accusé Frank précise très clairement dans son journal que l’extermination totale des Juifs était l’un des objectifs qui lui tenaient le plus à cœur. Dans le document USA-271, Frank déclare en 1940, dans son journal, qu’il ne pouvait pas éliminer toute la vermine et tous les Juifs en l’espace d’une année. Il note dans son journal pour l’année 1942, document USA-281, qu’un programme de rations de famine, condamnant en fait 1.200.000 Juifs à mourir de faim ne doit être mentionné qu’en passant. Dans le document USA-295, il confie, lors d’une conférence de presse secrète, qu’en 1944 — et c’est encore un extrait de son journal — il ne restait peut-être que 100.000 juifs dans le Gouvernement Général.

Ces faits, Messieurs, sont tirés du journal même de l’homme. Nous ne faisons rien de plus ici que d’en noter les résultats. L’autorité suprême d’un certain territoire reconnaît qu’au cours d’une période de quatre ans, 3.400.000 personnes de cette zone ont été exterminées, conformément à la politique officielle et pour le seul crime d’être né Juif. Aucune parole ne pourrait révéler, ne pourrait traduire les agonies, les souffrances qu’impliquent nécessairement ces simples faits.

C’était là la politique nazie  : la population des territoires occupés devait endurer la terreur, l’oppression, l’appauvrissement et la famine. L’accusé Frank réussit si bien à cet égard, qu’il fut obligé de signaler à son Führer en 1943, qu’en fait, les Polonais ne considéraient pas le Gouvernement Général avec affection. Ce rapport à Hitler était un résumé des trois ans et demi d’administration de l’accusé Frank. Ce rapport, mieux que toute autre chose, montre les conditions qui existaient alors et qui résultaient des efforts concertés de ces accusés. Le rapport est contenu dans notre document PS-437, à la page 2 du livre de documents. Je dépose maintenant l’original sous le n° USA-610 ; dans le texte allemand, l’extrait à citer figure aux pages 10 et 11 de ce rapport adressé par Frank à Hitler, le 19 juin 1943, à propos de la situation en Pologne. Je cite  :

« Au cours des années écoulées, une série de mesures ou de conséquences de la domination allemande ont amené une aggravation sensible de l’attitude du peuple polonais tout entier à l’égard du Gouvernement Général. Ces mesures ont affecté soit certaines professions en particulier, soit la population tout entière et souvent aussi, avec une sévérité écrasante, la destinée des individus. »

Il continue  : « Appartiennent entre autres à ces mesures  : 1° Le ravitaillement tout à fait insuffisant de la population, et surtout des classes laborieuses dans les villes, dont la majorité des habitants travaille au profit des Allemands. Jusqu’à la guerre de 1939, son ravitaillement, bien que peu varié, était suffisant, et en général assuré grâce au surplus de la production agricole de l’ancien État polonais, et en dépit de la négligence de l’ancienne direction politique.

2° La confiscation d’une grande partie des domaines polonais, l’expropriation sans compensation et le transfert des paysans polonais des terrains de manœuvre et des zones de colonisation allemande.

3° Les saisies et confiscations dans le domaine des industries, du commerce, et de la propriété privée.

4° Les arrestations en masse et exécutions en masse, par la police allemande, en application du système de la responsabilité collective.

5° Les méthodes rigoureuses dans le recrutement des travailleurs.

6° La paralysie étendue de la vie culturelle.

7° La fermeture des écoles secondaires, des collèges et des universités.

8° La limitation, en fait l’élimination totale, de l’influence polonaise dans toutes les sphères d’administration gouvernementale.

9° La diminution de l’influence de l’Église catholique, limitant son influence très étendue — mesure sans nul doute nécessaire — et, en outre, jusqu’à une date très récente, la fermeture et la confiscation des monastères, des écoles et des institutions charitables. »

En vérité, le plan nazi pour la Pologne ne réussit que trop bien.

LE PRÉSIDENT

Il ne s’agit là que d’un extrait. Frank disait-il que ces mesures étaient inévitables et les justifiait-il ? Ou bien disait-il autre chose dans son rapport ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Il disait tout d’abord que l’attitude du peuple polonais à l’égard des Allemands avait sensiblement empiré. Les raisons sont celles que je viens d’énumérer devant le Tribunal. En d’autres termes...

LE PRÉSIDENT

Est-ce là tout ce qu’il dit ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Non, Monsieur le Président, ce passage est simplement tiré des pages 10 et 11 du rapport qui est extrêmement long.

LE PRÉSIDENT

Mais je suppose que vous connaissez la teneur générale du rapport ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Il se présente, en général, sous la forme d’une plainte à Hitler exposant que Frank rencontrait beaucoup de difficultés, en tant que Gouverneur Général, à cause de ces mesures et de ce qui se passait dans le Gouvernement Général.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Afin de montrer combien l’accusé Frank était étroitement lié à cette politique...

Dr SEIDL

Étant donné que le Tribunal a déjà demandé au représentant du Ministère Public quel était le but de la présentation de ce document, je tiendrais à faire remarquer, qu’il s’agit là d’un document de quarante pages dactylographiées, adressé à Hitler, et que Frank condamne justement les circonstances indiquées dans cet exposé des charges. Il fait même dans ce document des propositions très étendues, afin de remédier à une situation qu’il désapprouve strictement. Quand ce sera mon tour de parler, je lirai le document tout entier.

LE PRÉSIDENT

C’est cela ! Vous aurez toute possibilité, quand ce sera votre tour, d’expliquer ce document. Mais en ce moment vous n’avez pas la parole.

Dr SEIDL

Je ne l’ai mentionné que parce que le Tribunal a attiré mon attention sur ce point.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Lieutenant-colonel Baldwin, je vous ai demandé le contenu total du document dont vous avez lu ce paragraphe. Aux dires de l’avocat de Frank, le document, qui est très long, montre que Frank suggérait des remèdes aux difficultés qu’il expose ici. Est-ce exact ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

C’est exact, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Eh bien, je pense...

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Messieurs, je n’ai pas lu cette partie du document, comme je l’indiquerai plus tard, pour démontrer que Frank a ou n’a pas suggéré de remédier à ces conditions, mais simplement pour expliquer que cette situation a existé à un moment donné.

LE PRÉSIDENT

Bien. Mais quand vous citez un petit extrait d’un document, vous devriez être sûr que votre citation ne déforme pas la portée générale du reste du document.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Je comprends, Monsieur le Président ; je n’avais pas considéré qu’il en était ainsi, étant donné le but que je me proposais en en faisant état. Je voulais simplement indiquer les conditions existant à une époque donnée. Naturellement, je supposais que la Défense, comme le Dr Seidl l’a indiqué, reprendrait ce document et développerait à son profit le reste de son contenu.

LE PRÉSIDENT

Oui, bien sûr, tout cela est très bien, mais l’avocat de Frank parlera à une date assez éloignée et ce n’est en rien une réponse complète, que de dire qu’il aura la possibilité de développer ultérieurement ce document. Le Ministère Public doit s’assurer qu’aucun des extraits qu’il lit ne puisse donner au Tribunal une impression erronnée.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Je déclare donc que je viens de lire cet extrait devant le Tribunal uniquement pour démontrer qu’à une période donnée, c’est-à-dire en juin 1943, ces conditions existaient en Pologne, comme il résulte de déclarations faites par le Gouverneur Général de Pologne. Est-ce suffisant pour le Tribunal ?

M. BIDDLE

Ce qui n’est pas satisfaisant pour le Tribunal c’est que vous ne nous ayez pas exprimé le but réel de ce document.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Je n’ai pas le document tout entier devant moi et c’est pourquoi je ne puis pas le citer intégralement.

LE PRÉSIDENT

Ce que nous aimerions, c’est que, dans la mesure du possible, les représentants du Ministère Public qui présentent un extrait de document s’assurent du sens général du texte, afin que la partie qu’ils lisent ne conduise pas à une erreur d’interprétation.

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Oui, Monsieur le Président. Afin d’illustrer parfaitement comment l’accusé Frank s’identifie avec la politique dont l’exécution est signalée dans ce document, et combien cette politique était la sienne, et cela Messieurs, sans tenir compte des remèdes qu’il a pu envisager en 1943, nous nous proposons, dans cette dernière partie, de prendre dans le journal de Frank des passages qui prouveront la façon dont il a accepté et exécuté cette même politique dès le début.

Il n’était pas nécessaire pour l’accusé Frank, d’attendre jusqu’en juin 1943 pour signaler à Hitler la sous-alimentation de la population polonaise. En septembre 1941, le responsable des questions de la santé publique en Pologne signalait à l’accusé les conditions sanitaires atroces de ce pays. C’est ce que nous rapportent le journal de Frank et notre document PS-2233 (p), à la page 46 du livre de document. Je le dépose comme preuve sous le n° USA-611. Le texte allemand figure à la page 830 du volume de 1941 du journal. Je cite  :

« L’Obermedizinalrat Dr Walbaum exprime son opinion sur l’état sanitaire de la population polonaise. Les enquêtes qui ont été faites par ses services prouvent que la majorité des Polonais se voient attribuer 600 calories seulement environ, alors que la quantité normale pour un être humain est de 2.200 calories. La population polonaise est tellement affaiblie qu’elle sera une proie facile pour le typhus. » Entre parenthèses, je crois que ce mot allemand désigne ce que nous appelons le typhus exanthématique.

« Le nombre de Polonais malades s’élève aujourd’hui déjà à 40 %. Pendant la semaine passée seulement, 1.000 cas nouveaux de typhus ont été signalés officiellement. C’est jusqu’à maintenant le nombre le plus élevé. Cette situation sanitaire constitue un danger sérieux pour le Reich et pour les soldats qui pénètrent dans le Gouvernement Général. L’extension de la contagion au Reich est quelque chose de tout à fait possible.

« L’accroissement de la tuberculose est également une cause de soucis. Si les rations alimentaires doivent diminuer à nouveau, un accroissement énorme du nombre de malades peut être prévu. »

Il est donc absolument certain, d’après ce rapport, qu’en septembre 1941 la maladie avait atteint déjà 40 % de la population polonaise. L’accusé Frank approuva néanmoins, en août 1942, un nouveau plan demandant une contribution beaucoup plus grande pour le ravitaillement de l’Allemagne, aux dépens de la population non allemande du Gouvernement Général. Les méthodes pour fournir les nouveaux contingents, en diminuant encore les rations déjà tellement insuffisantes du Gouvernement Général, et l’effet de ces nouveaux contingents sur l’économie du pays, furent discutés lors d’une réunion au Gouvernement Général, le 24 août 1942, dans des termes qui ne laissent aucun doute possible  : non seulement les réquisitions proposées dépassaient les ressources du pays, mais elles devaient être exécutées sur la base d’une injustice flagrante. C’est ce que révèlent le journal de Frank et notre document PS-2233 (e), à la page 30 du livre de documents, que je dépose sous le n° USA-283. Le texte allemand figure dans le volume des conférences de 1942, à la date du 24 août 1942. Je lis l’extrait suivant  :

« Avant que le peuple allemand, dit Frank, soit menacé de famine, les territoires occupés et leurs populations en souffriront d’abord. En ce moment, par conséquent, nous devons avoir ici, dans le Gouvernement Général, la résolution de fer d’aider le Grand peuple allemand et notre patrie.

« Le Gouvernement Général doit en conséquence agir comme suit  : le Gouvernement Général a assumé l’obligation d’envoyer 500.000 tonnes de céréales panifiables à la patrie, en plus du ravitaillement déjà livré pour aider l’Allemagne et de celui consommé ici par les troupes de la Wehrmacht, de la Police ou des SS. Si vous comparez ces chiffres avec ceux de nos contributions de l’an dernier, vous verrez que cette contribution est six fois supérieure. Les nouvelles exigences seront exclusivement satisfaites aux dépens de la population étrangère et cela de sang froid et sans pitié. »

L’accusé Frank était non seulement responsable d’avoir réduit le Gouvernement Général à la famine, mais il était fier de l’aide qu’il apportait ainsi au Reich. Je fais allusion à une déclaration faite aux dirigeants politiques de la NSDAP, le 14 décembre 1942, à Cracovie. Elle figure dans le journal de Frank et c’est notre document PS-2333 (z) à la page 57 du livre de documents ; je le dépose maintenant sous le n° USA-612. Dans le texte allemand, cet extrait figure dans le volume du journal de 1942, partie 4, à la page 1331. C’est l’accusé Frank qui parie  :

« J’essaierai de tirer du réservoir de ces territoires tout ce que l’on peut encore en tirer... »

Il continue  :

« Le fait qu’il m’ait été possible de livrer au Reich 600.000 tonnes de céréales panifiables, en plus des 180.000 tonnes distribuées à la Wehrmacht stationnée sur le territoire avec, en outre, une quantité de plusieurs milliers de tonnes d’autres ressources, telles que des semences, des graisses, des légumes et la livraison au Reich de 300.000.000 d’œufs, etc. vous permet d’estimer l’importance que ces territoires présentent pour le Reich. Afin de bien vous préciser la signification de la livraison de 600.000 tonnes de céréales panifiables par les soins du Gouvernement Général, sachez que le Gouvernement Général, par cette seule prestation, a pu couvrir à lui seul les deux tiers de l’augmentation de la ration de pain dans le grand Reich allemand. Ce résultat considérable, nous pouvons à bon droit le revendiquer comme nôtre. »

Passons au transfert de paysans polonais que l’accusé Frank signale en second lieu dans son rapport à Hitler. Bien que Himmler ait reçu pleins pouvoirs pour procéder, en accord avec le plan des conspirateurs, à la colonisation par des Allemands de race des divers territoires conquis à l’Est, ces plans de colonisation pour le Gouvernement Général furent en fait soumis à l’accusé Frank qui leur donna son approbation. Le plan pour la nouvelle colonisation de Zamosc et de Lublin, par exemple, lui fut présenté par le fameux secrétaire d’État à la sûreté, le chef des SS et de la Police, Krüger, le 4 août 1942, au cours d’une conférence tenue pour discuter des problèmes spéciaux de la région de Lublin. C’est ce qui figure dans le journal de Frank et dans notre document PS-2233 (e), à la page 51 du livre de documents, que je dépose comme preuve sous le n° USA-607. Le texte allemand figure dans le volume du journal de 1942, partie III, page 830, 831 et 832.

Je cite maintenant le compte rendu de cette conférence  :

« Le secrétaire d’État Krüger continue ensuite en disant que le plan immédiat du Reichsführer, jusqu’à la fin de l’an prochain, sera d’installer dans les deux régions de Zamosc et de Lublin, les groupes suivants d’Allemands de race : 1.000 foyers paysans — un foyer par famille d’environ six membres — pour les Allemands de Bosnie ; 1200 fermes pour d’autres gens ; 1.000 foyers pour les Allemands de Bessarabie, 200 pour les Allemands de Serbie ; 2.000 pour les Allemands de Leningrad ; 4.000 pour les Allemands des Pays Baltes ; 500 pour les Allemands de Volynie ; 200 fermes pour les Allemands flamands, danois et hollandais ; en tout 10.000 fermes pour 50.000 à 60.000 personnes. »

À la lecture de ce rapport, l’accusé Frank ordonna, et je cite  :

« ... que le plan de colonisation doit être discuté en collaboration avec les autorités compétentes, et il déclare qu’il est d’accord pour approuver le plan final pour la fin de septembre, quand auraient été prises des mesures satisfaisantes concernant toutes les questions soulevées (en particulier, la garantie de la tranquillité et de l’ordre), de façon qu’à la mi-novembre qui est le moment le plus favorable, le mouvement de population puisse commencer. »

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal suspend l’audience pour dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Messieurs, c’est au cours d’une réunion à Varsovie, le 25 janvier 1943, que Krüger décrivit à l’accusé Frank la manière dont s’était poursuivi le transfert de colons à Zamosc. Ce compte rendu figure dans le journal de Frank, et c’est notre document PS-2233 (aa), à la page 58 du livre de documents. Je présente l’original sous le n° USA-613. Le texte allemand figure au volume des conférences de travail de 1943, aux pages 16, 17 et 19. Dans cet extrait, Krüger dit qu’il installa les 4.000 premiers colons dans le Kreis de Zamosc, peu de temps avant Noël, que bien entendu les Polonais n’étaient pas bien disposés à l’égard de ce programme et qu’on dût les chasser. Il dit ensuite à Frank, et je cite  :

« Nous retirons ceux qui constituent une charge pour ce nouveau territoire de colonisation. Ce sont vraiment des éléments asociaux et inférieurs ; ils sont en train d’être déportés. On les réunit d’abord dans un camp de concentration, et, ensuite, on les envoie travailler dans le Reich. Du point de vue propagande auprès des Polonais, cette première action tout entière a eu un effet défavorable. Les Polonais prétendent qu’après avoir annihilé les Juifs, on emploie les mêmes méthodes pour chasser les Polonais de ces territoires et le liquider de la même manière que les Juifs. »

Krüger poursuivit en disant que le territoire n’était pas calme du tout à la suite de ces faits et Frank lui déclara qu’à l’avenir chaque cas individuel serait discuté tout comme celui de Zamosc.

Bien que la dépossession des Polonais, en vue de faire de la place aux Allemands, fût illégale de façon évidente et bien qu’ils fussent non seulement dépossédés mais envoyés en camps de concentration, ce projet de colonisation fut poursuivi dans le Gouvernement Général.

Frank parla en troisième lieu de la confiscation et de la saisie de l’industrie et de la propriété privée. C’était là encore une politique que Frank pratiqua dès le début. Il l’a expliqué à ses chefs de service en décembre 1939. Le compte rendu se trouve dans son journal, et représente notre document PS-2233 (k). Il figure à la page 40 du livre de documents. Je le présente comme preuve sous le n° USA-173. Le texte allemand figure dans le livre de conférences de 1939-1940, à la date du 2 décembre 1939, à la page 2 et à la page 3. Le Dr Frank dit  :

« On peut vraiment dire en parlant de l’administration du Gouvernement Général que ce territoire est dans sa totalité une prise du Reich allemand. On ne peut donc pas permettre que ce territoire soit exploité dans ses parties individuelles, mais il doit l’être en bloc à des fins économiques et toute sa valeur économique utilisée au bénéfice du peuple allemand. »

Je cite le document USA-297, si le Tribunal juge nécessaire d’avoir d’autres preuves sur l’exploitation impitoyable des Polonais dès le début. En effet, le décret permettant la confiscation dans le Gouvernement Général, que l’on a déjà indiqué au Tribunal (Verordnungsblatt für das Generalgouvernement, n° 6, 27 janvier 1940, page 3) était signé de l’accusé Frank. Il permettait aux fonctionnaires nazis de saisir toute propriété qu’ils désiraient, ce qui leur était rendu plus facile encore par les termes vagues du décret. Le pillage du Gouvernement Général, accompli au moyen de ce décret et d’autres a déjà été décrit au Tribunal le 14 décembre 1945, sous le titre  : « Germanisation et pillage des territoires occupés. » Nous vous demandons de prendre en considération ce document, et spécialement la partie qui concerne le Gouvernement Général.

L’accusé Frank a parlé d’arrestations et de fusillades en masse, d’application de la responsabilité collective, qui constituent la quatrième raison du raidissement apparent de l’attitude de tout le peuple polonais.

Il en est également responsable, car l’obligation de mesurer les représailles à la gravité de l’infraction ne faisait pas partie de la politique de l’accusé Frank. Au contraire, il prescrivait des mesures draconiennes. Lors d’une conférence des chefs politiques du district de Cracovie, le 18 mars 1942, Frank fit connaître sa politique. Cet extrait provient de son journal et représente notre document PS-2233 (r), à la page 49 du livre de documents. Je le dépose comme preuve, sous le n° USA-608. Le texte allemand se trouve dans le volume du journal de 1942, première partie, pages 195 et 196. Je cite cette déclaration de Frank  :

« La lutte pour atteindre nos buts sera poursuivie impitoyablement. Vous voyez comment les organismes d’État travaillent. Vous voyez que nous ne reculons devant rien, et que nous alignons des douzaines d’individus contre le mur. C’est indispensable, car la moindre réflexion nous démontre qu’il nous est impossible de ménager le sang d’une autre race, alors qu’en ce moment le meilleur sang allemand est en train de se répandre. Car il peut en découler les plus grands dangers  : on entend déjà dire, aujourd’hui en Allemagne, que les prisonniers de guerre, par exemple en Bavière ou en Thuringe, administrent seuls de grandes propriétés, alors que tous les hommes du village bons pour le service sont au front. Si ces faits devaient durer, le germanisme régressera. On ne doit pas sous-estimer ce danger. Donc, tout ce qui s’avère être une puissance dirigeante polonaise doit être détruit à tout prix et en toute circonstance avec une énergie impitoyable. Il n’y a pas besoin de faire du tapage à ce propos, il faut le faire de façon silencieuse. »

Le 15 janvier 1944, l’accusé Frank a dit aux chefs politiques de la NSDAP qu’il prendrait des mesures de représailles pour les exécutions d’Allemands. Ce fait figure sur le journal de Frank, document PS-2233 (bb), à la page 60 du livre de documents ; je présente l’original comme preuve, sous le n° USA-295. Le texte allemand figure dans la partie du journal couvrant la période du 1er janvier 1944 au 28 février 1944. Frank dit simplement  : « Je n’ai pas hésité à déclarer que pour un Allemand tué, 100 Polonais pourraient être fusillés. »

Toute l’histoire tragique du recrutement des ouvriers en vue du travail forcé a déjà été présentée au Tribunal en détail. Lorsque, dans son compte rendu à Hitler, l’accusé Frank fait figurer ces méthodes dans la cinquième raison du mécontentement en Pologne, il parle encore de la politique qu’il mit à exécution. La force, la brutalité et la contrainte économique ont toutes eu son appui en vue d’obtenir de la main-d’œuvre et de la déporter pour le travail forcé en Allemagne. C’était une politique déclarée et j’ai déjà parlé du document USA-297 qui confirme ce fait.

Au début, le recrutement de travailleurs dans le Gouvernement Général a pu être volontaire, mais ces méthodes se révélèrent bientôt insuffisantes. Au printemps de 1940, on parla d’utiliser la force et on en discuta lors d’une réunion officielle à laquelle l’accusé Seyss-Inquart était présent. Je parle du journal de Frank et de notre document PS-2233 (n) à la page 43 du livre de documents. Je présente l’original comme preuve sous le n° USA-614. Le texte allemand est dans le volume du journal de 1940, deuxième partie, page 333. Je cite le compte rendu de la conférence  :

« Le Gouverneur Général dit que tous les moyens, sous forme de proclamations, etc. n’avaient pas donné de bons résultats et qu’il fallait en arriver à la conclusion que les Polonais, par malveillance et guidés par l’intention de nuire à l’Allemagne en ne se mettant pas à sa disposition, refusaient de s’engager pour le service du travail. Il demande donc au Dr Frauendorfer s’il n’y avait pas d’autres moyens, non encore utilisés jusqu’ici, pour faire partir volontairement les Polonais. Le Reichshauptamtsleiter Dr Frauendorfer répondit par la négative.

« Le Gouverneur Général souligna le fait qu’on lui demanderait maintenant de prendre une attitude déterminée en cette matière. La question qui se poserait donc serait de savoir si des mesures de force devraient maintenant être utilisées.

« Le Gouverneur Général posa au SS Obergruppenführer Krüger la question suivante  : Voyait-il la possibilité d’obliger les travailleurs Polonais à partir en employant des mesures de force ? L’Obergruppenführer Krüger lui répondit affirmativement. »

Au mois de mai 1940, au cours d’une conférence officielle — ce compte rendu a déjà été présenté comme preuve sous le n° USA-173 — l’accusé Frank dit que le recrutement de la main-d’œuvre devait se faire par la force, que l’on pouvait enlever les Polonais dans la rue et que la meilleure méthode consisterait à organiser des coups de main. Comme dans le cas de la persécution des Juifs, on peut à peine croire au programme de travail obligatoire qui fut appliqué dans le Gouvernement Général. Je me reporte au journal de Frank et à notre document PS-2233 (w) à la page 53 du livre de documents. L’original est présenté comme preuve sous le n° USA-607. Cet extrait est le compte rendu d’une conversation entre l’accusé Sauckel et l’accusé Frank, à Cracovie, le 18 août 1942. Il paraît dans le volume du journal de 1942, troisième partie, aux pages 918 et 920. Le docteur Frank dit  :

« Je suis heureux de vous informer officiellement, camarade du Parti, Sauckel, que nous avons jusqu’à maintenant fourni 800.000 travailleurs pour le Reich. » Il continue  :

« Dernièrement, vous nous avez demandé d’en fournir encore 140.000. J’ai le plaisir de vous annoncer officiellement d’après notre accord d’hier, que 60% des travailleurs que vous venez de nous demander seront fournis au Reich pour la fin d’octobre, et le restant, c’est-à-dire 40%, pour la fin de l’année. » Frank continue  :

« En plus du chiffre actuel de 140.000, vous pouvez compter l’année prochaine sur un nombre encore plus élevé de travailleurs en provenance du Gouvernement Général, car nous utiliserons la police pour les obtenir. »

Le document USA-178 qui a déjà été présenté au Tribunal décrit clairement les procédés employés pour le recrutement de ces hommes, ces chasses à l’homme sauvages et sans pitié. L’administration de l’accusé Frank a fidèlement appliqué la faim, la violence, la mort, tous moyens qui caractérisèrent le programme du travail obligatoire des conspirateurs nazis.

Mais il y avait évidemment d’autres raisons au malaise en Pologne occupée, que l’accusé Frank n’a pas mentionnées dans son compte rendu à Hitler. Il ne parlait pas des camps de concentration, peut-être parce qu’en tant que juriste représentant le national-socialisme, l’accusé Frank avait lui-même défendu ce système en Allemagne.

Nous estimons que l’accusé Frank, en sa qualité de Gouverneur Général, doit être tenu pour responsable de tous les camps de concentration à l’intérieur des frontières du Gouvernement Général. Ceux-ci comprennent, entre autres, les fameux camps de Maidanek et de Lublin, de même que celui de Treblinka près de Varsovie. Ainsi qu’on l’a déjà dit, l’accusé Frank savait et approuvait le fait que des Polonais fussent internés dans des camps de concentration en accord avec le plan de la colonisation nouvelle.

Il avait aussi une certaine compétence sur le camp d’extermination d’Auschwitz, où les Polonais étaient envoyés par les soins de son administration. En février 1944, le conseiller d’ambassade, le Dr Schumberg, suggéra une amnistie pour les Polonais qui avaient été envoyés à Auschwitz à la suite d’une infraction légère et qui y étaient depuis des mois. Cette conférence figure au journal de Frank et dans notre document PS-2233 (bb) à la page 60 du livre de documents. Je dépose l’original comme preuve sous le n° USA-295.

LE PRÉSIDENT

Vous allez trop vite, vous avez dit la page 70 ?

LIEUTENANT-COLONEL BALDWIN

Page 60, Monsieur le Président.

Le texte allemand figure dans un volume à feuilles volantes, pour la période du 1er janvier au 28 février 1944, à la conférence du 8 février 1944, page 7. Je cite  :

« Le Gouverneur Général envisagera une amnistie probablement le 1er mai de cette année. Néanmoins, on ne doit pas perdre de vue le fait que la direction allemande du Gouvernement Général ne doit, en ce moment, montrer aucun signe de faiblesse. »

Tel était, tel est le conspirateur Hans Frank. Des preuves pourraient encore être accumulées, mais nous croyons que des preuves suffisantes ont été présentées au Tribunal pour établir sa culpabilité aux termes du premier chef d’accusation.

En tant que conseiller juridique de Hitler et du Corps des chefs de la NSDAP, l’accusé Frank a aidé les conspirateurs à atteindre le pouvoir. Dans ses différentes fonctions juridiques, autant dans la NSDAP que dans le Gouvernement allemand, l’accusé Frank a certainement soutenu et favorisé le monopole politique de la NSDAP, le programme racial des conspirateurs, le système de terreur des camps de concentration et des arrestations arbitraires. Son rôle dans le complot était de réaliser « le programme national-socialiste dans le domaine du Droit », et de donner une apparence de légalité à ce programme de terreur, de persécution et d’oppression qui avait pour but suprême la mobilisation en vue de la guerre d’agression.

Loyal serviteur de Hitler et de la NSDAP, l’accusé Frank a été en 1939 nommé Gouverneur Général de la partie de la Pologne connue sous le nom de Gouvernement Général. Il a défini la justice ce qui profitait à la nation allemande. Pendant cinq ans, son administration du Gouvernement Général a montré la vaste échelle sur laquelle il a appliqué ce principe.

Il a été démontré que l’accusé Frank avait pris la place de Gouverneur Général, conformément à un programme qui était en lui-même un plan criminel et une conspiration. L’accusé Frank le savait bien et approuvait ce plan d’exploitation sans merci d’un territoire au bénéfice de l’Allemagne nazie, ce plan de mobilisation des nationaux pour le travail en Allemagne, ce plan de fermeture des écoles et collèges, ce plan en vue d’empêcher le développement d’une élite polonaise et d’administrer le territoire comme une colonie du Troisième Reich, au mépris total des devoirs incombant à une puissance occupante vis-à-vis des habitants de territoires occupés.

Sous l’administration de l’accusé Frank, ce plan criminel a été appliqué, mais son exécution le dépassa lui-même. Les contributions alimentaires destinées à l’Allemagne augmentèrent dans de telles proportions que les rations prévues par le plan pour le Gouvernement Général, à peine suffisantes au maintien de l’existence, furent ramenées à un niveau tel qu’il provoqua une famine générale. Le programme barbare d’extermination des Juifs fut implacablement exécuté. Le projet de colonisations nouvelles fut poursuivi sans la moindre considération pour les droits de la population locale, et la terreur des camps de concentration suivit l’invasion nazie.

Ces preuves ont été prises, pour la plus grande partie, dans les déclarations de l’accusé Frank lui-même, dans ce qu’il écrivait dans son journal, dans ses rapports officiels, dans ses comptes rendus de conférences avec ses collègues et subordonnés, et dans ses discours. On peut donc citer en conclusion une partie de son journal, qui constitue notre document PS-2233 (aa). Il figure à la page 59 du livre de documents. Je dépose l’original comme preuve, sous le n° USA-613. Le texte allemand figure au volume des conférences de Travail du 25 janvier 1943, page 53. Dans ce discours, l’accusé Frank, usant de termes assez prophétiques d’ailleurs, annonce à ses collègues du Gouvernement Général que leur tâche sera de plus en plus difficile  : « Hitler, a-t-il dit, ne pourra nous aider que comme une sorte de point d’appui administratif (Verwaltungsigel). Nous ne devrons compter que sur nous mêmes.

« Maintenant, notre devoir est de nous aider mutuellement. » Et je cite Frank  : « Nous devons nous souvenir que nous qui sommes ici réunis, figurons sur la liste des criminels de guerre de M. Roosevelt. J’ai l’honneur d’être le n° 1 ; nous sommes, si je puis ainsi m’exprimer, devenus des complices dans le sens historique du mot. » Voilà qui termine la présentation des preuves contre l’accusé Frank.

Le lieutenant-colonel Griffith-Jones de la Délégation britannique vous exposera maintenant, Messieurs, la responsabilité individuelle de l’accusé Streicher.

LIEUTENANT-COLONEL WILLIAM H. BALDWIN (substitut du Procureur Général américain)

Il m’incombe, Messieurs, de vous exposer les charges relevées à l'encontre de l’accusé Julius Streicher  :

l’appendice A de l’Acte d’accusation, dans la partie relative à Streicher, parle des postes qu’il a occupés — c’est ce que je prouverai — et continue en alléguant qu’il se servit de ses postes et de son influence personnelle et de ses relations étroites avec le Führer pour permettre aux conspirateurs nazis d’atteindre le pouvoir et aider à la consolidation de leur contrôle sur l’Allemagne, ainsi qu’il est indiqué au chef d’accusation n°1  : en outre il a autorisé et dirigé, en y participant, les crimes contre l’Humanité énoncés dans le chef d’accusation n° 4 de l’Acte d’accusation comportant en particulier l’exécution, la persécution des Juifs, figurant aux chefs n° 1 et 4 de l’Acte d’accusation.

Monsieur le Président, le cas de cet accusé peut être expliqué par le titre qui n’est pas officiel et qu’il s’était donné à lui-même de « persécuteur de Juifs n° 1 ». Le Ministère Public prétend que, pendant quelque vingt-cinq ans, cet homme enseigna la haine à tout le peuple allemand, qu’il l’a incité à la persécution et à l’extermination de la race juive. Il fut complice d’assassinats, dans des proportions qui n’avaient peut-être jamais été atteintes. Avec la permission du Tribunal, je me propose de prouver brièvement l’importance des fonctions et de l’influence qu’il détint, de me référer à de courts extraits de ses journaux et de ses discours, et de donner une esquisse du rôle qu’il joua dans les persécutions particulières qui eurent lieu contre les Juifs, durant les années 1933 à 1945.

Peut-être, avant de commencer, devrais-je signaler que le livre de documents qui est devant les membres du Tribunal est préparé dans l’ordre que j’ai l’intention de suivre pour la présentation des documents. Ces derniers sont paginés et il y a un index au commencement du livre. Le Tribunal possède ce que nous appelons l’exposé écrit qui constitue un résumé des preuves que je citerai et dans l’ordre que je suivrai, ce qui lui sera de quelque utilité.

Cet accusé est né en 1885. Il devint instituteur à Nuremberg et créa un parti qu’il appela le parti socialiste allemand. La politique essentielle de ce parti était l’antisémitisme. En 1922, il mit son parti au service de Hitler, et cette générosité est décrite en termes élogieux dans le livre de Hitler, Mein Kampf, que je n’estime pas digne d’être lu au Tribunal afin de ne pas abuser de ces instants. C’est le document M-3, le premier de votre livre de documents. La copie de Mein Kampf vous a déjà été présentée sous le n° GB-128.

Les situations qu’il occupa dans le Parti et l’État furent peu nombreuses. De 1921 à 1945, il fut membre du parti nazi. En 1925, il fut nommé Gauleiter de Franconie et le demeura jusqu’aux environs de février 1940 ; depuis le moment de l’arrivée des nazis au pouvoir, c’est-à-dire en 1933, jusqu’en 1945, il fut membre du Reichstag. De plus, il eut le titre d’Obergruppenführer dans les SA.

Toutes ces informations apparaissent dans le document PS-2975 (USA-9), qui est un affidavit qu’il rédigea lui-même.

Sa propagande durant ces années fut principalement faite par le moyen de ses journaux. De 1922 à 1933, il rédigea et publia un journal appelé Der Stürmer, qui était un hebdomadaire ; puis il en devint le directeur et le propriétaire. En 1933, il fonda aussi et, peu après, je crois, rédigea le journal quotidien la Fränkische Tageszeitung. En outre, plus tard, il y eut plusieurs autres journaux, la plupart locaux, qu’il publia à Nuremberg.

Voilà donc les postes qu’il occupa ; je m’attacherai maintenant à retracer brièvement le cours de son activité et de sa propagande, dans un ordre plus ou moins chronologique, en en donnant au Tribunal de courts extraits. Je dois dire que ces extraits ont été vraiment choisis au hasard. Ils ont été pris afin de montrer au Tribunal les procédés variés qu’il employa, pour soulever le peuple allemand contre la race juive. Ses journaux sont remplis de ses imprécations, semaine après semaine, jour après jour. Il est impossible de prendre un exemplaire quelconque sans retrouver le même genre d’arguments dans les titres et dans les articles.

Je voudrais citer quatre discours et articles montrant ses premières activités de 1922 à 1933, à la page 3 du livre de documents du Tribunal. Le document M-11 est un extrait d’un discours fait en 1922 à Nuremberg ; après avoir injurié les Juifs dans le premier paragraphe, je trouve ce qui suit dans les deux dernières lignes  :

« Nous savons que l’Allemagne sera libre quand les Juifs auront été exclus de la vie du peuple allemand. »

Je passe au document suivant qui porte le n° M-12, page 4; le premier document était le GB-165 ; il s’agit là d’un livre qui porte ce numéro. Le document suivant qui est tiré du même livre aura la même cote. Peut-être puis-je me permettre de lire ce bref extrait d’un discours  :

« Je vous supplie et particulièrement ceux d’entre vous dans le pays qui portez la croix, de devenir plus sérieux quand je parlerai de l’ennemi du peuple allemand ; j’ai nommé le Juif. Ce n’est pas sans avoir conscience de ce que je fais et par plaisanterie, que je combats l’ennemi juif, mais parce que je porte en moi la connaissance que tout le malheur a été uniquement apporté à l’Allemagne par le Juif.

« Je vous demande une fois de plus : qu’est-ce qui est en jeu aujourd’hui ? Le Juif cherche la domination non seulement du peuple allemand, mais de tous les peuples. Les communistes lui frayent le chemin : ne savez-vous pas que le Dieu de l’ancien Testament ordonne aux Juifs d’absorber et de réduire en esclavage les peuples de la terre ? Le Gouvernement permet au Juif de faire ce qui lui plaît mais le peuple espère qu’une action sera entreprise.

Vous pouvez penser ce que vous voulez d’Adolf Hitler, mais il y a une chose que vous devez admettre ; il a eu le courage de tenter de libérer le peuple allemand du Juif par une révolution nationale. Voilà qui est agir ».

L’extrait suivant qui est très court apparaît sur la page suivante ; il est tiré d’un discours d’avril 1925  :

« Vous devez réaliser que le Juif veut la disparition de notre peuple ; c’est pourquoi vous devez vous joindre à nous et abandonner ceux qui ne vous ont apporté que la guerre, l’inflation et la discorde. Depuis des milliers d’années, le Juif détruit les nations. »

Je demande au Tribunal de retenir maintenant ces derniers mots  :

« Commencez aujourd’hui une nouvelle tâche ; afin de pouvoir annihiler les Juifs. »

Aussi loin qu’ont porté mes recherches, c’est, Messieurs, la première mention de l’annihilation de la race juive. Peut-être donna-t-elle naissance à ce qui devait être, quatorze ans plus tard, la politique officielle du Gouvernement nazi.

Dans cette même période d’avril 1932, le document M-14, pris dans le même livre, commence par ces mots  : « Depuis treize ans, je combats la juiverie. » Je ne cite que le dernier paragraphe.

« Nous savons que le Juif, qu’il soit baptisé protestant ou catholique, reste juif. Pourquoi ne vous en rendez-vous pas compte, vous, pasteurs protestants, vous, prêtres catholiques ? Vous êtes aveugles et vous servez le Dieu des Juifs qui n’est pas un Dieu d’amour, mais un Dieu de haine. Pourquoi n’écoutez-vous pas le Christ qui a dit aux Juifs  : « Vous êtes les enfants du Diable » ?

Voilà donc le genre d’exploit que Streicher accomplit durant ces premières années. Quand le parti nazi arriva au pouvoir, il commença officiellement sa campagne contre les Juifs par le boycottage du 1er avril 1933. De ce boycottage, le Tribunal a déjà reçu des preuves ; aussi je ne ferai que lui rappeler en quelques mots ce qui arriva  : ce boycottage fut agréé et accepté par tout le Gouvernement, ainsi que l’indique un document qui est déjà devant vous, le n° PS-2409 (USA-262), et qui est le journal de Goebbels.

Streicher fut nommé président du Comité central pour l’organisation du boycottage, comme vous le montre le document PS-2156 (USA-263); il y est indiqué qu’il commença son travail le 29, un mercredi. Le même jour, le Comité central lança une proclamation indiquant que le boycottage commencerait le samedi à 10 heures précises  : « La juiverie se rendra compte de l’adversaire qu’elle a provoqué ». Cette courte citation apparaît dans le document PS-3389 (USA-566), qui est un volume du Stürmer ; en fait, c’est une copie de l’un des numéros du Stürmer qui est déjà devant le Tribunal.

Je renverrai le Tribunal à un court passage d’un article de la Nationalsozialistische Partei Korrespondenz, que l’accusé Streicher écrivit le 30 mars, la veille du jour où le boycottage devait commencer. C’est le document PS-2153, page 12 du livre du Tribunal, que je dépose sous le n° GB-166. On y trouve sous le titre  : « Battez l’ennemi du monde » par Julius Streicher, chef officiel du Comité central pour combattre les atrocités juives et pour la campagne de boycottage  :

« La juiverie a voulu la bataille. Elle l’aura, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que l’Allemagne des bataillons bruns n’est pas un pays de lâcheté et de capitulation ; le Juif aura à combattre jusqu’à ce que la victoire soit nôtre. Nationaux-socialistes, abattez l’ennemi du monde ; et même si le monde était rempli de diables nous aurions la victoire finale. »

Comme président du Comité central pour le boycottage, Streicher organisa en détail le boycottage, sous la forme d’ordres que le Comité publia le 31 mars 1933  : c’est notre document suivant dans le livre, le n° PS-2154 (GB-167), Je peux résumer  : le Comité déclare qu’aucune violence ne devait être employée contre les Juifs à l’occasion du boycottage, mais non pas peut-être pour des raisons humanitaires ; de cette façon, les employeurs juifs n’auraient pas de prétextes pour licencier leurs employés sans préavis, et ils n’auraient aucune raison pour refuser de leur payer leurs salaires.

On signale aussi que les Juifs transféraient en apparence leur commerce entre des mains allemandes, dans l’intention d’atténuer les conséquences de cette persécution ; le Comité central décida que toute propriété ainsi transférée serait considérée comme juive, dans l’esprit du boycottage.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de pousser plus loin cette question. J’ai suffisamment démontré qu’à cette date, Streicher prenait une place de premier plan, une place prépondérante à laquelle le Gouvernement l’avait mis afin de persécuter les Juifs.

Je vais maintenant prier le Tribunal de se référer de nouveau à quelques extraits qui montrent la forme sous laquelle se développa cette propagande dans les années qui suivirent. À la page 18 du livre de documents, document M-20, nous avons un article de l’édition du 1er janvier d’un journal que Streicher venait de fonder c’était une revue para-médicale appelée  : La Santé du Peuple par le sol et par le sang, qu’il avait éditée lui-même; c’est un exemple des extrémités inouïes auxquelles il osa pousser sa propagande contre les Juifs. Je cite  :

« Il est établi de toute éternité pour les savants que l’« albumine étrangère » est le sperme d’un homme de race étrangère. Au cours de l’acte, le sperme mâle est partiellement ou complètement absorbé par la femme et entre ainsi dans la circulation du courant sanguin. Une seule cohabitation d’un Juif et d’une femme aryenne est suffisante pour empoisonner son sang à jamais. Avec l’« albumine « étrangère », la femme a absorbé l’âme étrangère, et plus jamais elle ne sera capable de porter de purs enfants aryens, même si elle se marie avec un aryen. Ce seront tous des bâtards avec une âme divisée et un corps de métis. Leurs enfants à leur tour seront des métis, c’est-à-dire un peuple laid, de caractère instable et avec une tendance à la maladie...

« Maintenant, nous comprenons pourquoi les Juifs usent de tous les artifices de la séduction en vue de conquérir les filles allemandes aussi jeunes que possible, pourquoi les médecins juifs violent leurs patientes quand elles sont anesthésiées... ils veulent que la jeune fille allemande et la femme allemande absorbent le sperme étranger du Juif et ne puissent jamais plus porter des enfants allemands.

« Mais les produits sanguins de tous les animaux jusqu’aux bactéries, tels que le sérum, la lymphe, les sécrétions internes sont tous de l’« albumine étrangère ». Ils ont un effet de poison s’ils sont introduits directement dans le sang, soit par vaccination, soit par injection.

« Mais ce qu’il y a de pis encore, c’est que par l’apport de ces produits d’animaux malades, le sang est contaminé, et l’aryen marqué du sceau d’une race étrangère. Le Juif est l’auteur et l’instigateur d’une telle action ; il est instruit des secrets de la question raciale depuis des siècles, et c’est pourquoi il établit des plans systématiques d’annihilation des nations qui lui sont supérieures. La science et les compétences sont ses instruments pour l’établissement de cette pseudo-science et la dissimulation de la vérité. »

Je dépose ce document sous le n° GB-168, Monsieur le Président.

Le document suivant se place aussi au commencement de 1935 : c’est un extrait de son propre journal, Der Stürmer, intitulé  : « Le peuple élu des criminels »  :

« Et malgré tout, ou disons plus justement à cause de cela, l’histoire des Juifs, habituellement appelée l’Écriture sainte, nous donne l’impression d’une horrible histoire criminelle qui fait pâlir d’envie les cent cinquante romans policiers sensationnels du Juif britannique Edgar Wallace. Ce livre saint abonde en meurtres, incestes, fraudes, vols et indécences. »

Le 4 octobre 1935, l’accusé fit un discours — et le Tribunal se souviendra que ce fut un mois après les décrets de Nuremberg — publié dans le Völkischer Beobachter sous le titre  : « Sauvegarde du sang allemand et de l’honneur allemand ». Je lis ce compte rendu dans l’article  : « Le Gauleiter Streicher parle à une grande manifestation du Front du Travail allemand pour soutenir les lois de Nuremberg ». On ajoute, dans les premières lignes de ce communiqué, qu’il parlera pour la seconde fois dans quelques semaines. Je cite seulement les deux dernières lignes de ce premier grand paragraphe  :

« Nous avons donc à démasquer le Juif, et c’est ce que je fais depuis quinze ans ».

Cette remarque sans doute lui attira des applaudissements bruyants. Je dépose ce document M-34 sous le n° GB-169.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de citer le document suivant du livre de documents ; c’est bien le même genre de pensées. À la page 22 du livre de documents se trouve le document M-6 ; c’est un article de fond de Streicher dans son Stürmer ; je me référerai seulement à la seconde moitié du dernier paragraphe où, de nouveau, il insiste sur la part qu’il a prise dans cette campagne.

« Les quinze ans de la campagne que le Stürmer a menée pour la lumière ont amené au national-socialisme l’armée de ceux qui savent, forte de millions de personnes. Le travail tenace du Stürmer contribuera à ce que chaque Allemand jusqu’au dernier vienne en apportant l’aide de son cœur et de ses mains, grossir les rangs de ceux qui veulent écraser sous leurs talons la tête de la vipère Pan-Juive. Celui qui aide à le réaliser aide à chasser le Diable, et ce Diable, c’est le Juif. »

Je dépose ce document sous le n° GB-170.

Le document suivant, que j’inclus simplement dans le livre de documents pour montrer à quels excès Streicher s’est livré dans sa propagande, est une photographie de la coque en flammes du dirigeable Hindenburg quand il brûla en juin 1937 en Amérique. Au-dessous se trouve une légende renfermant le commentaire suivant  :

« Le premier bélinogramme provenant des États-Unis d’Amérique montre clairement qu’il y a un Juif derrière l’explosion de notre dirigeable Hindenburg. La nature a correctement et clairement démasqué ce diable sous son déguisement humain. »

Bien que cela ne ressorte pas du tout de la photographie, je crois que le sens de ce commentaire réside dans le fait que le nuage de fumée dans l’air a le contour d’un visage juif.

Le document M-4 qui est à la page suivante rapporte ensuite un discours du 5 septembre 1937, lors de l’inauguration d’un pont à Nuremberg. Je veux citer seulement le dernier paragraphe, page 24. Le pont en question s’appelle le pont Wilhelm Gustloff. Streicher dit  :

« L’homme qui assassina Wilhelm Gustloff devait venir du peuple juif, parce que les textes juifs disent que chaque Juif a le droit de tuer un non-juif et que le meurtre du plus grand nombre possible de non-juifs est agréable au Dieu des Juifs.

« Regardez ce que les Juifs ont fait depuis des milliers d’années ; partout, on trouve le meurtre, partout on trouve le meurtre en masse. Nous ne devons jamais oublier que derrière les guerres actuelles se tient le financier juif qui poursuit ses projets et ses intérêts. Le Juif vit toujours sur le sang des autres nations ; il a besoin de tels meurtres et de telles victimes. Pour nous qui savons, le meurtre de Wilhelm Gustloff est identique à un meurtre rituel. »

Et à la page suivante  :

« Il est de notre devoir de dire à nos enfants à l’école et aux plus grands également ce que cette commémoration signifie. »

Je passe au paragraphe suivant  :

« Le Juif ne se montre plus parmi nous ouvertement, comme il avait coutume de le faire. Mais nous aurions tort de croire que la victoire nous est acquise ; une victoire complète et définitive ne sera acquise que lorsque le monde entier sera délivré des Juifs ». Je dépose ce document sous le n° GB-171.

Les deux documents qui figurent ensuite dans votre livre de documents sont simplement extraits de la colonne de correspondance du Stürmer et montrent de nouveau l’une des méthodes qu’il employait pour sa propagande. Il n’est pas nécessaire que je les lise. Cette colonne est pleine de lettres provenant d’Allemands, disant par exemple qu’une Allemande est allée acheter des chaussures dans un magasin juif et a gêné ainsi le boycottage général des Juifs ; et ainsi de suite. En d’autres termes, ces colonnes hebdomadaires contiennent des calomnies contre les Juifs en provenance de toute l’Allemagne.

Je passe à une autre forme de propagande qu’il employa sous le nom de « meurtre rituel ». Le Tribunal peut sans doute se souvenir qu’il y a quelques années — cela commença en 1934, je crois — ce journal, Der Stürmer, commença à publier des récits de meurtre rituel juif, qui horrifièrent le monde entier à un tel point que l’archevêque de Canterbury écrivit au Times pour protester, comme beaucoup le firent dans le monde entier, contre le fait qu’un Gouvernement permît que des sujets pareils fussent traités dans un journal de son pays.

Il tira l’idée de ce meurtre rituel d’une croyance médiévale qui prétend que, pendant la célébration de la Pâque juive, les Juifs avaient l’habitude de tuer des enfants chrétiens, et il exagéra cette légende pour montrer que non seulement ils agissaient ainsi au moyen âge, mais qu’ils le faisaient encore, et qu’ils voulaient encore le faire actuellement. Et si je puis me permettre de citer un ou deux passages de ses journaux et montrer un ou deux dessins qu’il publia pour appuyer cette campagne du meurtre rituel, le Tribunal verra immédiatement le genre d’enseignement et de propagande qu’il utilisait.

Je cite à la page 29 du livre de documents, à partir du troisième et dernier paragraphe  :

« Voici ce que le soldat français combattant devrait rapporter avec lui en France  : Le peuple allemand est neuf. Il veut la paix, mais si n’importe qui essaye de l’attaquer, si quelqu’un essaye de le torturer de nouveau, si quelqu’un essaye de le rejeter dans le passé, le monde entier verra alors une autre épopée héroïque ; alors, le Ciel décidera où est le bon droit  : ici, avec nous, ou là où les Juifs ont l’avantage et où ils organisent des massacres et même les plus grands meurtres rituels de tous les temps. Si le peuple allemand doit être massacré selon les rites juifs, le monde entier sera alors massacré en même temps que lui. »

Et le dernier paragraphe  :

« De même que vous avez rabâché les prières du matin et du soir à vos enfants, de même faites leur maintenant entrer dans la tête que le peuple allemand pourra acquérir le pouvoir spirituel de convaincre le reste du monde, que les Juifs désirent dresser contre nous ». C’est le document M-2 (GB-172).

Sur le page suivante du livre de documents figure une reproduction d’une photographie tirée du Stürmer d’avril 1937, qui montre trois Juifs accomplissant un meurtre rituel sur une jeune fille en lui coupant la gorge, et l’on voit le sang tomber dans un seau posé sur le sol. La légende de cette photographie est la suivante  :

« Meurtre rituel à Polna. Meurtre rituel de Agnès Hruza par les Juifs Hilsner, Erdmann et Wassermann » (carte postale contemporaine). C’est le document USA-258 contenu dans un exemplaire du Stürmer qui a déjà été déposé comme preuve.

À la page suivante du livre de documents se trouve un extrait du numéro d’avril 1937 de ce même journal. Je ne vais pas le lire maintenant, car il a déjà été présenté et lu au Tribunal. Il décrit les circonstances d’un meurtre rituel au cours duquel le sang est mélangé au pain et consommé par les Juifs au cours de leur fête. Le Tribunal se souviendra que le chef de famille dit  : « Puissent tous les Gentils périr ainsi que l’enfant dont le sang est contenu dans le pain et dans le vin. » C’est le document USA-258, qui a déjà été lu et figure au procès-verbal d’audience (Tome III, page 528).

LE PRÉSIDENT

Nous suspendrons l’audience jusqu’à 14 heures.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)