TRENTE ET UNIÈME JOURNÉE.
Jeudi 10 janvier 1946.

Audience de l’après-midi.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Plaise au Tribunal. Je voudrais citer d’autres articles du Stürmer sur les « Meurtres rituels » ; le premier se trouve à la page 32 du livre de documents ; c’est le document PS-2700 qui est la copie du document USA-260 et est tiré d’un article du Stürmer de juillet 1938.

« Quiconque a assisté aux sacrifices d’animaux, ou en a vu au moins un documentaire exact, n’oubliera jamais cette scène horrible. Et, involontairement, il pensera aux attentats que les Juifs ont commis des siècles durant contre des hommes. Il se souviendra du meurtre rituel. L’Histoire révèle des centaines de cas d’enfants non juifs torturés à mort. On leur faisait la même incision à la gorge que l’on voit sur les animaux abattus. Eux aussi étaient saignés à mort alors qu’ils étaient encore en pleine conscience. »

À certaines occasions, Messieurs, ou quand il avait une question particulière à présenter au monde, l’accusé publiait des éditions spéciales de son journal, Der Stürmer ; le meurtre rituel était un sujet si particulier qu’il lui consacra l’une de ces éditions. Le Tribunal a une photocopie de l’édition complète de mai 1939. Je n’ai pas essayé de la faire traduire intégralement, ni l’un quelconque des articles qu’elle contient. Il sera peut-être suffisant d’en regarder les illustrations et de lire les commentaires qui les accompagnent. Je regrette que la traduction de ces commentaires n’ait pas été insérée dans l’exemplaire soumis au Tribunal, mais peut-être sera-t-il permis de les lire.

Les pages sont numérotées au crayon rouge dans le coin droit. À la page 1, nous voyons l’image d’un enfant, le flanc percé de coups de couteaux, le sang jaillit de son corps et sous le piédestal sur lequel il repose sont étendus cinq autres enfants probablement morts. Le commentaire est le suivant  :

« En l’an 1476, les Juifs de Regensburg ont assassiné six enfants. Ils les ont saignés et les ont torturés à mort, dans un caveau souterrain appartenant au Juif Josfol ; quand les juges trouvèrent les corps de ces enfants assassinés, ils virent sur un autel une couche d’argile ensanglantée. »

À la page suivante, il y a deux images avec leurs commentaires. Au coin supérieur gauche  : « Voici une carte postale publiée par la juiverie mondiale pour le nouvel an juif en 1913. Le jour du Nouvel An juif et du Grand Pardon, les Juifs ont tué le coq rituel, dont le sang et la mort doivent les purifier. En 1913, le coq rituel avait la tête du tsar Nicolas II. Ils désignaient ainsi Nicolas II comme la prochaine victime propitiatoire. Le 16 juillet 1918, le Tsar fut assassiné par les Juifs, Jurowsky et Goloschtschekin. »

L’image au bas de la page, montre encore un Juif tenant un coq rituel du même genre : « Le coq rituel a la tête du Führer et les commentaires en hébreu déclarent qu’un jour les Juifs assassineront tous les Hitlériens. Ils (les Juifs) seront alors délivrés de tous leurs malheurs. Mais au moment opportun, les Juifs se rendront compte qu’ils avaient compté sans Adolf Hitler. »

La page suivante du livre contient la reproduction de quantité d’articles publiés antérieurement sur le meurtre rituel, avec la photographie de l’accusé Streicher. À la page 4, en bas et à droite, se trouve le commentaire suivant  :

« Les Juifs au repas pascal  : le vin et le Mazzen » — pain azyme — contiennent du sang de non-juifs. Le Juif prie avant le repas, il prie pour la mort de tous les non-juifs. »

À la cinquième page se trouvent des reproductions de certains articles de journaux européens et américains, et de lettres qu’ont reçues ces journaux au cours de l’année précédente en protestation contre cette propagande sur la question du meurtre rituel. Vous y trouverez également une lettre de protestation de l’archevêque de Canterbury, au rédacteur en chef du Times.

À la page 6, se trouve une horrible gravure représentant un enfant dont on ouvre la gorge ; là encore, le sang jaillit et s’écoule dans un récipient posé sur le sol  : voici le commentaire  :

« Meurtre rituel de l’enfant Heinrich en l’an 1346. Les Juifs de Munich assassinèrent un enfant non-juif, le martyr fut canonisé par la suite. »

À la page 7, se trouve une image représentant trois meurtres rituels. À la page 8, il y a une autre image.

« Saint Gabriel. Ce garçon fut crucifié et torturé à mort par les Juifs en l’an 1690. Il fut complètement saigné. »

Nous pouvons sauter les pages 9 et 10. À la page 11, nous voyons une sculpture figurant sur le mur de la chapelle de pèlerinage à Wesel représentant le meurtre rituel de l’enfant Werner. On voit la répugnante image de cet enfant suspendu par les pieds et égorgé par deux Juifs.

À la page 12, on voit une autre photographie dont voici le commentaire  : « Le corps embaumé de Simon de Trient, qui fut torturé à mort par les Juifs. »

À la page 13, nous voyons un autre tableau  : un couteau est enfoncé dans le corps d’une autre victime, et le sang coule dans un bassin.

À la page 14, on voit deux gravures dont l’une représente le meurtre rituel d’un garçonnet, Andréas, et l’autre, le tableau d’une tombe dont voici la légende  :

« La tombe de Hilsner. En mémoire du sacrificateur rituel juif Leopold Hilsner, qui a été jugé coupable de deux meurtres rituels et qui a été deux fois condamné à être pendu. L’Empereur fut corrompu et lui fit grâce. Masaryk, le prosémite, lui remit sa peine en 1918. Même sur sa tombe, la juiverie ment en le nommant — lui, deux fois meurtrier — une innocente victime. »

Sur la page suivante, nous voyons à nouveau l’image d’une femme assassinée dont on coupe la gorge, de la même façon ; et la page 17 reproduit une photo de l’archevêque de Canterbury et une photo d’un vieillard juif avec le commentaire suivant  :

« Le Dr Lang, archevêque de Canterbury, le plus haut dignitaire de l’Église anglicane, et son allié, exemple typique de la race juive. »

À la toute dernière page, page 18, nous voyons une photo reproduisant « Saint Simon de Trient torturé à mort ».

Nous estimons que ce document n’est rien d’autre qu’un encouragement au meurtre pour les lecteurs allemands ; il est rempli d’images reproduisant des meurtres commis sur des Allemands, et cela incite tous ceux qui le voient à se venger et à se venger de la même façon. C’est le document M-10 (GB-173).

Dr HANS MARX (avocat de l'accusé Streicher)

L’accusé Julius Streicher vient de me faire remarquer qu’on ne lui a pas encore donné la possibilité de prouver l’origine des gravures dont on vient de parler. La Défense estime qu’il est nécessaire d’établir l’origine de ces images, sinon on pourrait penser qu’elles ont été spécialement inventées pour le Stürmer et tirées de quelque sombre source. L’accusé Streicher, attire l’attention sur le fait que ces images proviennent de sources historiques reconnues. C’est pourquoi je voudrais me permettre de suggérer que l’on mît cette documentation à notre disposition. J’estime que les articles du Stürmer dont on a fait mention devraient indiquer à mon avis les sources utilisées par l’accusé Streicher.

LE PRÉSIDENT

Est-ce que ces articles indiquent les sources ?

Dr MARX

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

J’aurais dû le dire, je n’avais nullement l’intention d’induire le Tribunal en erreur, ces images sont des reproductions d’originaux authentiques. Elles n’ont pas été inventées par le journal, et dans certains cas les sources sont indiquées dans les commentaires. C’est une collection d’images et de fresques médiévales traitant de la question. En effet, dans la plupart des cas, le journal indique leur provenance.

Dr MARX

Je vous remercie.

LE PRÉSIDENT

Vous nous avez déjà donné les dates indiquant que c’étaient des tableaux du moyen âge.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

C’est exact, Votre Honneur. En janvier 1938 — et on se souviendra qu’en 1938 les persécutions contre les Juifs prirent de plus en plus d’ampleur — pour une raison quelconque, une autre édition spéciale du Stürmer fut publiée. Si le Tribunal veut bien se reporter à la page 34 du livre de documents, je citerai un bref passage de l’article de fond écrit par l’accusé  :

« Le but suprême et la mission la plus élevée de l’État est donc de préserver le peuple, le sang et la race. Mais, si c’est la tâche suprême, tout crime contre les lois doit être puni du châtiment suprême. Le Stürmer est par conséquent d’avis qu’il n’y a que deux châtiments pour le crime contre la race : 1° Travaux forcés à vie pour avoir tenté de le commettre ; 2° La mort pour l’avoir commis. »

S’il est encore nécessaire de caractériser ce journal, considérons la page suivante : nous verrons les titres de certains des articles de ce numéro spécial :

« Profanateurs juifs de la race au travail ; viol d’une jeune fille de quinze ans non-juive.

« Il commet des crimes contre la race ; pour lui les jeunes allemandes sont du gibier. Un sanatorium juif : une institution juive destinée à entretenir le crime contre la race. Viol d’une fille à l’esprit simple. Le maître d’hôtel juif ; il vole ses maîtres juifs et commet des crimes contre la race. »

Ce document a déjà été déposé sous le n° USA-260. À la page suivante du livre de documents, je citerai les deux dernières lignes ; c’est un article paru dans le Stürmer ; il n’est pas, il est vrai, écrit par l’accusé Streicher, mais par celui qui était alors son rédacteur en chef, Karl Holz  :

« La vengeance éclatera un jour et chassera la juiverie de la surface de la terre, en l’exterminant. »

Et maintenant, page 37 ; en septembre 1938, le Stürmer publia un article dont voici les deux dernières lignes  :

« ... Un parasite, un malfaiteur, un bon à rien, un propagateur de maladies, qui doit être détruit dans l’intérêt de l’Humanité ».

J’estime que ce n’est plus de l’excitation à la persécution, mais à l’extermination et au meurtre, non pas d’un homme mais de millions d’hommes.

Le document suivant de la page 38 du livre de documents a déjà été lu devant le Tribunal ; c’est le document USA-260. Il est dans le livre de documents et figure au procès-verbal d’audience (Tome III, page 529). C’est un court article publié en décembre 1938 dans le n° 50 du Stürmer. J’aimerais attirer à nouveau l’attention du Tribunal sur le document suivant qui est une image tirée de ce même exemplaire. Il montre la partie supérieure du corps d’une jeune fille qu’un homme est en train d’étrangler, l’ombre de son visage se profile sur le mur ; de toute évidence, c’est un profil juif. Le commentaire de cette image est le suivant  :

« La castration, pour les profanateurs juifs de la race. Seuls, de durs châtiments protégeront nos femmes des attaques de ces horribles griffes juives. Les Juifs sont notre malheur. »

Je m’écarte pour un moment du Stürmer, pour parler d’un incident auquel l’accusé Streicher prit une part prépondérante. On se souviendra que les 9 et 10 novembre 1938, eurent lieu des manifestations organisées contre les Juifs. Toute cette propagande, comme je l’ai dit, devenait de plus en plus féroce et effrénée. Durant l’automne de cette année-là, l’accusé Streicher organisa le sac de la synagogue de Nuremberg, à l’occasion d’une réunion dans cette ville de représentants de la presse. Cet incident a déjà été mentionné précédemment lors des débats : c’est le document PS-1724 (USA-266), compte rendu d’audience (Tome III, page 531).

Le Gauleiter Julius Streicher était personnellement présent et c’est lui-même qui mit en mouvement la grue qui devait arracher les emblèmes juifs de la synagogue. Un autre document a également été déposé PS-2711 (USA-267), compte rendu d’audience (Tome III, page 532). J’en lis deux lignes  :

« ... La synagogue est en train d’être démolie. Julius Streicher lui-même inaugura cette cérémonie par un discours d’une heure et demie. Sur son ordre, comme prélude à cette démolition, l’immense étoile de David a été jetée à bas de la coupole. »

L’accusé, naturellement, joua un rôle actif dans les manifestations de novembre de cette même année. Je ne suggère pas qu’il fût responsable de l’idée. Les preuves contre lui sont limitées au rôle qu’il joua dans son propre Gau de Franconie.

À la page 43 du livre de documents, se trouve un compte rendu des manifestations de Nuremberg (M-42), telles quelles ont été décrites le 11 novembre dans la Fränkische Tageszeitung qui était son journal. Je cite  :

« À Nuremberg et à Fürth, il en résulta des manifestations de la foule contre les meurtriers juifs. Ces manifestations durèrent jusqu’à l’aube. Pendant trop longtemps, on avait supporté en Allemagne les agissements des Juifs. »

Je prends les trois dernières lignes de ce paragraphe :

« Après minuit, l’excitation de la population fut à son comble ; une foule nombreuse se dirigea sur les synagogues de Nuremberg et de Fürth et incendia ces deux bâtiments où l’on avait prêché le meurtre des Allemands. Des brigades de pompiers, immédiatement averties veillèrent à ce que l’incendie ne s’étendît pas. Les vitrines des boutiquiers juifs, qui n’avaient pas encore abandonné l’espoir de vendre leurs vieilleries aux stupides goyms furent brisées. Grâce à la conduite disciplinée des SA et de la police qui s’étaient précipités sur les lieux, il n’y eut pas de pillage. »

C’est le document GB-174.

Le document suivant dans le livre de documents est le compte rendu d’un discours prononcé par Streicher, le 10 novembre 1938, le jour même des manifestations. J’en citerai deux paragraphes, je commence au milieu du paragraphe 1.

« Le Juif ne reçoit pas dès l’enfance la même éducation que nous, on ne lui enseigne pas  : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », ou  : « Si tu es frappé sur la joue gauche, tends la joue droite ». Non ; on lui dit  : « Tu peux faire ce que tu veux de celui qui n’appartient « pas à la race juive. » On lui enseigne même que le meurtre d’un non-juif est un acte agréable à Dieu. Pendant vingt ans, nous l’avons écrit dans le Stürmer ; pendant vingt ans nous l’avons proclamé d’un bout à l’autre du monde et nous avons persuadé des millions d’hommes. »

Je passe maintenant au dernier paragraphe  :

« Le Juif assassina en une nuit 75.000 Perses. Quand le Juif quitta l’Egypte, il tua tous les nouveau-nés, c’est-à-dire toute la génération future des Égyptiens. Que se serait-il passé si le Juif avait réussi à précipiter les nations dans la guerre contre nous, et si nous avions perdu la guerre ? Protégé par les baïonnettes étrangères, il se serait rué sur nous et nous aurait massacrés. N’oubliez jamais ce que l’Histoire nous a enseigné. »

Après les manifestations de novembre, des irrégularités se produisirent dans le Gau de Franconie dans l’organisation de l’aryanisation des biens juifs. Cette opération était naturellement réglementée par l’État, et d’après un décret, le ou les produits, quels qu’ils fussent, en provenance d’une telle saisie de biens juifs et de leur transfert à des Aryens, devaient être versés à l’État. Mais une partie importante de ces bénéfices ne parvint jamais à l’État, et le résultat fut que Göring dépêcha une commission d’enquête. Nous avons le rapport de cette commission, et j’invite le Tribunal à se reporter à certains de ses passages assez brefs. La page 45 relate exactement ce qui s’était produit dans le Gau de l’accusé Streicher. Je cite des extraits du paragraphe précédent, celui en face duquel on trouve « page 13 ».

Dr MARX

Comme preuve des irrégularités qui se seraient produites dans la confiscation de fonds de commerce juifs au profit d’aryens après le 9 novembre à Nuremberg, le Ministère Public veut citer un rapport que le Gauleiter adjoint Holz fit à l’occasion de son interrogatoire devant ladite commission d’enquête. Je voudrais protester contre l’utilisation de ce rapport. Entre l’accusé Streicher et son adjoint Holz, il y avait une grande différence d’opinion, sinon de l’inimitié. L’adjoint Holz était, en effet, le responsable des mesures prises. Il n’est nullement prouvé que Streicher fût d’accord pour prendre ces mesures. Il faut plutôt supposer que Holz, afin de se couvrir, a fait des déclarations qu’il ne soutiendrait pas lui-même s’il comparaissait ici aujourd’hui comme témoin. Il s’agit donc, dans ce rapport de Holz, de déclarations d’un homme ayant participé aux faits en question et y ayant sérieusement trempé ; il s’agit d’un homme qui était l’ennemi de l’accusé Streicher. Holz fit des reproches à Streicher, parce que celui-ci ne l’avait pas couvert vis-à-vis de la Commission d’enquête et de l’ancien Premier Ministre Göring. Voilà pourquoi je ne crois pas qu’on puisse utiliser ce rapport.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous terminé votre déclaration ?

Dr MARX

Oui, certainement.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal considère que ce document, qui est un document officiel, est admissible aux termes de l’article 21 et que les objections que vous venez de faire ne sont pas des objections qui jouent contre son admissibilité en tant que preuve, mais dans la seule mesure où elles intéressent sa valeur. Sur ce point, vous aurez la possibilité de développer vos objections, à une date ultérieure, quand vous aurez la parole à cet effet.

Le Tribunal décide que ce document est recevable.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je lirai à partir du milieu de la page 45 du livre de documents.

« À la suite des démonstrations de novembre, le Gauleiter adjoint Holz s’occupa des questions juives. Son argumentation peut être donnée en détail ici, sur la base de sa déclaration du 25 mars 1939.

« Les 9 et 10 novembre 1938. Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, des événements se produisirent d’un bout à l’autre de l’Allemagne et pour ma part — je souligne que c’est Holz qui parle — « Je les considérais comme le signal d’un règlement absolument différent du problème juif en Allemagne. Les synagogues et les écoles juives furent incendiées et les biens furent détruits, dans les magasins et dans les maisons privées. En outre, un grand nombre de Juifs furent emmenés par la police dans des camps de concentration. Vers midi, nous discutions de ces événements dans la maison du Gauleiter. Nous étions tous d’avis que nous nous trouvions maintenant en face d’un état de choses totalement différent quant au problème juif. La grande action entreprise et exécutée contre les Juifs dans la nuit du 9 au 10 novembre a remis en question tous les principes directeurs et toutes les lois édictées sur le sujet. Nous étions d’avis en particulier moi-même, qu’il fallait désormais agir selon notre propre inspiration. Je proposai au Gauleiter, étant donné le manque de logements, que la meilleure solution consistait à mettre les Juifs dans des sortes de camps d’internement. Les maisons seraient ainsi libérées sur le champ et la crise du logement serait en partie surmontée. En outre, nous aurions les Juifs sous notre contrôle et notre surveillance. J’ajoutai que la même chose était arrivée à nos prisonniers de guerre et nos internés pendant la guerre. Le Gauleiter me répondit que cette proposition était pour le moment irréalisable. Je lui fis alors une nouvelle suggestion et lui dis qu’il était insupportable que les Juifs dépossédés continuassent à être à même de posséder des maisons et des terres. Je proposai de leur retirer ces maisons et ces terres et je me déclarai prêt à exécuter une telle action. Je déclarai que l’aryanisation de terres et de maisons juives mettrait de ce fait une somme considérable à la disposition du Gau. Je pariai de quelques millions de mark et déclarai que cette aryanisation pourrait, à mon avis, être exécutée aussi légalement que l’aryanisation des commerces. La réponse du Gauleiter fut en substance la suivante  : « Si vous estimez pouvoir « exécuter ces mesures, faites-le. La somme ainsi acquise sera utilisée pour l’édification d’une école pour le Gau. »

Je passe maintenant à la page 18  :

« L’aryanisation se traduisit par la confiscation des propriétés, l’abandon de tous les droits réels et en particulier des droits d’hypothèque et la réduction sur les prix d’achat. Le paiement de base alloué aux Juifs était de 10 pour cent de la valeur nominale ou de la somme nominale demandée. Comme justification de ces prix très bas, Holz prétendit à la réunion de Berlin du 6 février 1939, que les Juifs avaient dans l’ensemble acheté leurs biens au cours de la période d’inflation, pour un dixième de leur valeur. Comme une enquête l’a démontré, dans quantité de cas individuels choisis au hasard, cette prétention ne correspondait pas aux faits. »

Je passe maintenant à la page 48 du livre de documents qui renferme la deuxième partie du rapport, qui contient les conclusions de la Commission. Je cite au sommet de la page 48 du livre de documents...

LE PRÉSIDENT

Est-ce toujours une partie du rapport ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Oui, c’est toujours une partie du rapport. Ce sont les conclusions du rapport de la Commission.

« Le Gauleiter Streicher aime beaucoup donner des coups de cravache sur les gens, à condition d’être accompagné de plusieurs personnes qui l’aident. D’habitude, ses coups sont administrés avec une brutalité sadique. Le cas le mieux connu est celui de Steinruck qu’il battit jusqu’au sang dans sa cellule avec le SA Generalmajor König et le Gauleiter adjoint Holz. Après être revenu au Deutscher Hof après cette scène, il dit  : « Maintenant, je me sens mieux, j’avais « bien besoin de cela. » Plus tard encore, il déclara à plusieurs reprises qu’il avait besoin d’un autre cas Steinruck pour se soulager.

« En août 1938, en compagnie du chef de l’administration du Gau Schöller et de son adjoint König, il frappa l’éditeur Burker dans la maison du Gau. »

Pour montrer l’autorité et le pouvoir qu’il détenait dans son Gau, je mentionne le dernier paragraphe de la page  :

« D’après les rapports de témoins dignes de foi, le Gauleiter Streicher a l’habitude de souligner, dans les occasions les plus diverses, que lui seul commande dans le district de Franconie. Par exemple, à la réunion du Colosseum à Nuremberg en 1935, il a dit que personne ne pouvait le priver de son poste. Dans une réunion à la salle Herkules, il décrivit comment il avait frappé le professeur Steinruck et souligna que pour sa part il ne se laisserait frapper par personne, pas même par un Adolf Hitler...

« En effet — et il faut bien le préciser ici — en Franconie, le Gau agit d’abord, puis donne aux autorités impuissantes l’ordre d’avoir à l’approuver. »

Je dépose maintenant, Messieurs, les deux volumes de ce rapport PS-1757 sous le n° GB-175.

LE PRÉSIDENT

Le Tribunal n’est pas très sûr que ce détail ait un intérêt quelconque dans le cas de Streicher.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Mon but est de montrer le genre de traitement et de persécutions auxquels les Juifs étaient soumis dans le district ou Gau sur lequel régnait cet accusé, et ensuite de montrer le pouvoir absolu avec lequel celui-ci agissait dans son district.

Il résulta, soit de cette enquête, soit de quelque autre investigation, que l’accusé fut écarté de son poste de Gauleiter en février 1940, mais il ne cessa pas de poursuivre sa propagande et de contrôler ses journaux. Je voudrais seulement citer encore un bref extrait du Stürmer : c’est un article écrit par Streicher le 4 novembre 1943, page 53 du livre de documents, document PS-1965 (GB-176). C’est un extrait important  :

« Il est exact de dire que les Juifs ont en quelque sorte disparu de l’Europe, et que le réservoir juif de l’Est, origine de la peste juive qui avait, pendant des siècles, condamné les peuples d’Europe, a cessé d’exister. Cependant, le Führer du peuple allemand, au début de cette guerre, avait prédit ce qui se passe maintenant. »

L’article était signé Streicher, et j’estime qu’il montre que son auteur savait ce qui se passait à l’Est, ce dont le Tribunal a déjà eu la preuve. L’article fut écrit en novembre 1943. En avril 1943, le ghetto de Varsovie avait été détruit. Entre avril 1942 et avril 1944, 1.700.000 Juifs environ avaient été tués à Auschwitz et à Dachau — et je cite le compte rendu d’audience  :

« ... Au cours de cette période, des millions de Juifs devaient mourir. »

J’estime que cet article signé par Streicher, paru le 4 novembre, fait preuve d’une connaissance indiscutable des faits, peut-être pas dans les détails ; mais l’accusé savait que les Juifs étaient en train d’être exterminés.

Je laisse le Stürmer de côté, et j’aimerais attirer l’attention du Tribunal sur une question qui est peut-être aussi odieuse que les autres  : c’est un autre aspect de l’activité de cet homme, et c’est l’attention particulière qu’il a consacrée à l’instruction, si l’on peut la qualifier ainsi, ou plutôt la perversion de la jeunesse allemande. Il ne se contentait pas d’exciter la population, mais il s’emparait des enfants, aussi jeunes qu’il le pouvait, à l’école, et il commençait aussitôt à empoisonner leur esprit. Déjà dans certains extraits que j’ai mentionnés, le Tribunal s’en souviendra, il est question des enfants et de la nécessité de leur inculquer l’antisémitisme. Je vous invite à vous reporter à la page 54 du livre de documents, et je voudrais citer les dernières lignes du dernier paragraphe, en commençant par le milieu. C’est le compte rendu d’un discours de Streicher, prononcé en juin 1925 où il dit  :

« Je répète  : nous exigeons la transformation de l’école en une institution d’éducation nationale allemande. Si nous faisons éduquer les enfants allemands par des instituteurs allemands, nous aurons jeté les bases de l’école nationale allemande. Cette école nationale allemande doit enseigner la doctrine raciste. »

À la page suivante, nous lisons à la dernière ligne du premier paragraphe  :

« Nous exigeons, par conséquent, l’introduction de la doctrine raciste dans le programme scolaire ». Cet extrait est tiré d’un exemplaire du Stürmer, déjà déposé sous le n° GB-165, document M-30.

Le document suivant, M-43, qui est un extrait de la Fränkische Tageszeitung du 19 mars 1934, montre Streicher s’adressant aux élèves de l’école de filles de la Preisslerstrasse à la fin de leur cycle d’études. Il s’adressait souvent aux enfants et assistait fréquemment aux cours.

Je cite le paragraphe 3  :

« Alors, Julius Streicher évoqua quelques souvenirs et parla d’une jeune fille qui allait à la même école que lui, qui tomba amoureuse d’un Juif, et gâcha toute son existence. »

Il n’est pas nécessaire que je continue, le reste est sur le même ton. C’est le document GB-177.

Chaque été, on célébrait à Nuremberg ce que l’on appelait les fêtes du Solstice, une fête païenne où la jeunesse de Nuremberg était rassemblée, organisée, ou en tous cas prise en main par l’accusé Streicher. À la page 58 du livre de documents, on trouvera un compte rendu, extrait de son journal, la Fränkische Tageszeitung, de son discours à la Jeunesse hitlérienne, prononcé sur la soi-disant Montagne sacrée près de Nuremberg, le 22 juin 1935  :

« Garçons et filles, regardez à plus de dix ans dans le passé. Il y a un peu plus de dix ans, une grande guerre — la guerre mondiale — s’est abattue sur les peuples de la terre et a laissé un monceau de ruines. Un seul peuple est sorti victorieux de cette lutte terrible, un peuple dont le Christ a dit que son père est le diable. Ce peuple a dévasté la nation allemande, dans son corps et dans son âme. Adolf Hitler, un inconnu sorti du sein du peuple, devint alors l’apôtre de la guerre sainte et de la lutte. Il adjura chacun de se ressaisir, de se lever et d’aider à chasser le démon du peuple allemand, afin que la race humaine fût à nouveau libérée de ce peuple qui a erré sur la face du monde pendant des siècles et des millénaires, marqué du signe de Caïn.

« Garçons et filles, si l’on vous dit que ces Juifs furent jadis le peuple élu, ne le croyez pas, mais croyez-nous quand nous disons que les Juifs ne sont pas un peuple élu, parce qu’il ne se peut pas qu’un peuple élu se conduise parmi les autres comme les Juifs le font aujourd’hui. »

Et cette même propagande continue. Je dépose ce document M-1, sous la cote GB-178.

Le document suivant, que je ne lirai pas maintenant, est le n° M-44 (GB-179). Ainsi que le Tribunal pourra le voir, c’est un compte rendu de l’allocution de Streicher à 2.000 enfants à Nuremberg à la Noël 1936. « Savez-vous qui est le diable ? » demande Streicher aux enfants haletants. « Le Juif ! le Juif ! » répondent mille voix d’enfants.

Mais il ne se contentait pas seulement d’écrire et de parler. Il publia également un livre pour les instituteurs. Ce livre publié dans les bureaux d’éditions du Stürmer est intitulé  : Le Problème Juif dans l’enseignement. Je n’ai pas fait traduire ce livre intégralement. Il est adressé aux instituteurs et destiné à les aider dans leur tâche. Il souligne la nécessité d’un enseignement antisémite à l’école, et il suggère la façon dont le sujet peut être introduit et traité.

À la page 60 du livre de documents, M-46, le Tribunal verra quelques extraits de ce livre. Voici un passage de la préface  :

« L’État national-socialiste a introduit des changements fondamentaux dans toutes les sphères de l’existence du peuple allemand. Il a aussi créé des tâches nouvelles pour l’instituteur et l’éducateur allemands. L’État national-socialiste exige que ces éducateurs mettent les enfants allemands au courant des problèmes raciaux. En ce qui concerne le peuple allemand, la question raciale est une question juive. Ceux qui veulent enseigner à l’enfant tout ce qui concerne le Juif, doivent avoir eux-mêmes des connaissances approfondies sur le sujet. »

J’aimerais citer maintenant le paragraphe de la page 5. Vous verrez cette mention, dans la marge, Tous les autres extraits sont des suggestions aux éducateurs sur la façon dont ils doivent introduire le problème juif dans l’enseignement. Voici maintenant l’extrait de la page 5  :

« Les problèmes raciaux et juifs sont les problèmes fondamentaux de l’idéologie nationale-socialiste. La solution de ces problèmes assurera l’existence du national-socialisme, et avec cette idéologie, l’existence de notre nation dans l’avenir. La signification profonde du problème racial est reconnue, presque sans exception, aujourd’hui, par le peuple allemand tout entier. Avant d’en arriver là, notre peuple a dû parcourir un long chemin de souffrances. »

Dr MARX

Je voudrais attirer l’attention sur le fait que le représentant du Ministère Public a omis de préciser dans son exposé que le livre dont il vient de parler ne fut pas écrit par l’accusé Streicher, mais par l’inspecteur Fink. Si le représentant du Ministère Public avait lu la phrase suivante, le Tribunal aurait pu se faire une idée sur ce point. Mon client vient de me le faire remarquer. Je le constate moi-même en lisant cette phrase suivante qui est ainsi conçue  :

« Par son ouvrage, Le problème Juif dans l’enseignement, le conseiller Fink désire aider les instituteurs allemands sur le chemin de l’information et de la connaissance. »

Il ne peut subsister aucun doute sur le fait que le conseiller Fink est l’auteur de ce livre. Il est tout de même important de remarquer que ce n’est pas Streicher, mais Fink, qui est l’auteur de ce petit livre.

LE PRÉSIDENT

Avez-vous terminé l’observation que vous désiriez nous soumettre ?

Dr MARX

Oui, parfaitement, c’est tout ce que je voulais dire.

LE PRÉSIDENT

J’aimerais vous faire remarquer que, bien que le livre semble en effet avoir été écrit par Fritz Fink, comme l’indique le premier paragraphe, il est préfacé par Streicher, de sorte que nous pouvons supposer que Streicher l’a autorisé ; et il a été publié et imprimé par le Stürmer.

Dr MARX

C’est juste. Je voulais seulement faire remarquer qu’il n’était pas très normal d’omettre précisément cette phrase. On aurait pu croire qu’il s’agissait d’une œuvre originale de Streicher. Dans ce cas, on peut évidemment dire que la question de savoir si Streicher avait approuvé le livre est d’une importance secondaire.

LE PRÉSIDENT

Voyez-vous, Dr Marx, le représentant du Ministère Public était en train de lire un extrait de la préface de Streicher. Le dernier passage qu’il a lu, ou presque le dernier en tout cas, était tiré de la préface signée de Streicher. Le dernier passage, que j’ai souligné, est le passage de la page 60. Il est intitulé préface, signé de Julius Streicher et témoigne que ce livre a été écrit par l’inspecteur Fritz Fink. Ne perdons pas plus de temps sur cette question.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Je pense que j’ai atteint...

LE PRÉSIDENT

J’aimerais que vous lisiez les derniers mots de cette préface, à la page 60  : « ... ceux qui prennent à cœur... »

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Avec votre autorisation, Monsieur le Président, je lirai la fin du premier paragraphe de la préface  :

« Ceux qui prennent à cœur tout ce qui a été écrit avec une telle conviction par Fritz Fink, qui, pendant de nombreuses années s'est beaucoup soucié du peuple allemand, seront reconnaissants à l’auteur de ce petit ouvrage. Signé  : Julius Streicher. Ville des congrès du Parti. Nuremberg 1937. »

J’avais sauté cette dernière partie uniquement pour économiser du temps.

LE PRÉSIDENT

Oui.

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Ce livre constitue le document GB-180. J’aimerais simplement lire les deux dernières lignes que je n’ai pas encore mentionnées à la fin du paragraphe intitulé « Introduction »  :

« Personne ne peut et ne doit plus grandir au sein de notre peuple, sans connaître le caractère monstrueux et dangereux du Juif. »

Je ne perdrai pas de temps à lire d’autres extraits du livre. Je pense avoir ainsi donné le ton, j’aimerais simplement mentionner les trois dernières lignes de la page suivante  :

« Celui qui en est arrivé à cette dernière conviction, restera inévitablement un ennemi des Juifs toute sa vie et inculquera cette haine à ses propres enfants. »

Le Stürmer publia également des livres d’enfants. Je ne prétends pas que l’accusé lui-même ait écrit ces livres, mais ils furent publiés par sa maison d’édition et ils sont naturellement de la même tendance que toutes les autres publications de cette maison.

Le premier de ces livres, que je désire présenter au Tribunal est intitulé  : Méfie-toi du renard dans la verte prairie et du Juif faisant un serment. C’est un livre d’images pour les enfants. Ces images sont toutes insultantes pour les Juifs. Une sélection de ces images figure dans le livre de documents du Tribunal. En face de chaque image il y a une brève histoire. À la page 62 du livre de documents le Tribunal verra le genre d’histoire qui sert de commentaire à chaque image.

Ainsi, celle-ci  :

« Jésus-Christ a dit  : « Le Juif est un meurtrier invétéré. » Et quand le Christ dut mourir, le Seigneur ne connaissant aucun peuple capable de le torturer jusqu’à la mort, choisit alors les Juifs ; et c’est pourquoi ceux-ci se vantent d’être le peuple élu. »

Le commentaire en face de la première image montrant un boucher juif répugnant, en train de couper de la viande, est ainsi conçu  :

Le boucher juif  : il vend de la viande à demi pourrie au lieu de bonne viande. Un morceau de viande est par terre. Le chat joue avec un autre morceau. Cela ne trouble en rien le boucher juif, puisque la viande augmente en poids. En outre, on ne doit pas oublier qu’il n’aura pas à la manger lui-même. »

Pour économiser notre temps, il n’est peut-être pas nécessaire de poursuivre les citations de cet ouvrage. Le Tribunal voit de quels livres il s’agit et quel genre d’enseignement il inculquait aux enfants. Les images parlent d’elles mêmes. La deuxième image est assez sinistre. Elle représente une jeune fille entraînée par un Juif. À la page suivante, nous voyons Streicher souriant d’un air bénin, à une réunion de garçons et de filles. Ensuite, nous voyons des exemplaires du Stürmer affichés sur les murs, et des enfants qui les lisent. L’image suivante demande peut-être quelques explications. Elle représente des enfants juifs qu’on éloigne de l’école aryenne. Leur père, d’aspect désagréable, les emmène. Tous les enfants aryens crient et dansent et semblent beaucoup goûter la plaisanterie. Je dépose ce livre qui constitue le document M-32, sous le n° GB-181.

LE PRÉSIDENT

Pouvez-vous terminer assez rapidement ou bien désirez-vous que nous suspendions maintenant l’audience ?

LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

Il me faudrait encore vingt minutes environ.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Dans ces conditions, nous suspendrons maintenant.

(L’audience est suspendue.)
LIEUTENANT-COLONEL GRIFFITH-JONES

J’avais terminé la description du livre d’enfants. 11 y a un autre livre semblable  :

Le champignon vénéneux, qui a déjà été déposé comme preuve sous la cote USA-257, mais n’a pas été lu à l’audience. Je vais lire l’une des petites histoires qu’il contient, car elle montre, peut-être de manière plus frappante encore que les autres extraits que nous avons lus, la façon révoltante avec laquelle cet homme empoisonnait l’esprit de ses auditeurs et de ses lecteurs. C’est un livre d’images avec des histoires courtes, et à la page 69 du livre de documents. vous verrez une de ces images  : une jeune fille assise dans la salle d’attente d’un docteur juif.

Ce n’est pas une histoire réjouissante, mais cet homme non plus n’est pas très réjouissant et ce n’est qu’en lisant de telles lignes qu’on peut se rendre compte de l’éducation et de l’instruction que les enfants allemands ont, grâce à cet homme, reçues ces dernières années. Je lis cette histoire  :

« Inge — c’est le nom de la jeune fille — est assise dans la salle d’attente d’un docteur juif. Elle doit attendre longtemps et feuillette les journaux qui sont sur la table ; mais elle est trop impressionnée pour lire même quelques phrases. Elle pense sans cesse à ce que sa mère lui a dit et aux paroles de son chef du B.D.M. (Le B.D.M. est la ligue des Jeunes filles allemandes) « Une Allemande ne doit pas aller voir un docteur juif, à plus forte raison une jeune fille allemande. Beaucoup de jeunes filles qui ont été chercher la guérison chez un docteur juif y ont trouvé la maladie et la honte. »

« Quand Inge rentra dans la salle d’attente, elle fut témoin d’un incident extraordinaire. Dans la salle de consultation du docteur. elle entendait quelqu’un pleurer. Elle entendit la voix d’une jeune fille qui disait  : « Docteur, docteur, laissez-moi. » Alors, elle entendit un rire sardonique d’homme puis, tout à coup, tout devint silencieux. Inge écoutait, haletante. « Que signifie tout cela, se demandait-elle ? » et son cœur battait très fort. Elle pensa de nouveau à ce que son chef du B.D.M. lui avait dit.

« Elle attendit une heure et tenta de lire encore quelques journaux. Puis, la porte s’ouvre et Inge regarde. Le Juif apparaît. Elle crie. Épouvantée, elle lâche le journal. Horrifiée, elle se lève d’un bond. Ses yeux se fixent sur la figure du docteur juif. Et cette figure est celle du diable. Au milieu de cette face de démon est planté un énorme nez crochu. Derrière ses lunettes apparaissant deux yeux de bandit. Ses lèvres épaisses sourient, d’un sourire qui veut dire  :

« Maintenant, je t’ai, enfin, petite fille allemande.

« Ensuite, le Juif s’approche. Ses gros doigts se tendent pour la toucher ; mais Inge s’est ressaisie, et avant que le Juif ne puisse la prendre, elle lui donne un soufflet. Elle court à la porte, descend l’escalier, et se sauve essouflée de la maison du Juif. »

Il est inutile de commenter une histoire comme celle-ci, lorsqu’on pense qu’elle était lue par de jeunes enfants, de l’âge de ceux qui lisaient les livres que vous avez vus.

Une autre image, que j’ai trouvée dans ce livre, représente l’accusé entouré de jeunes admirateurs et la légende de cette image qui figure à la page 70 du livre de documents est la suivante — je cite le dernier paragraphe — ou plutôt l’avant-dernier  : « Sans solution de la question juive, il n’y a pas de salut pour l’Humanité. »

Suit sur cette même page un rapport montrant l’effet de ses discours sur les jeunes gens  :

« Voilà ce qu’il nous a dit. Nous avons tous compris. Et quand à la fin il s’écria  : « Sieg Heil pour le Führer », nous avons tous crié d’enthousiasme. Streicher avait parlé deux heures, il nous semblait à tous qu’il avait parlé seulement quelques minutes. »

On peut voir le résultat de toutes ces mesures dans les colonnes du Stürmer lui-même. En avril 1936, on ne trouve qu’une seule lettre ; beaucoup de lettres d’enfants de tous âges apparaissent dans d’autres exemplaires. Je cite le troisième paragraphe de l’une de ces lettres, signée par les jeunes filles et les jeunes garçons du Foyer national-socialiste Gross-Möllen  :

« Aujourd’hui, nous avons vu une pièce montrant comment le diable persuade le Juif de fusiller un honnête national-socialiste. C’est ce qui s’est passé au cours du spectacle et nous avons tous entendu le Juif tirer. Nous aurions voulu nous lever pour l’arrêter. Mais la police est venue et après un bref combat a pris le Juif. Vous pouvez imaginer, cher Stürmer, combien nous avons admiré notre police. Aucun nom n’a été mentionné dans toute la pièce. Mais nous savons tous que cette pièce représentait un meurtre commis par un Juif nommé Frankfurter. Nous étions très malades quand nous nous sommes couchés cette nuit. Nous n’avions pas envie de parier. Cette pièce nous a montré comment travaillaient les Juifs. »

C’est le document M-25, que je dépose sous le n° GB-170. Pour terminer, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur les pouvoirs de l’accusé en tant que Gauleiter. Ils sont fixés dans le livre d’organisation de la NSDAP de 1938, qui a déjà été présenté sous le n° USA-430 et qui stipule les devoirs et l’autorité des Gauleiter. Le Gauleiter est directement responsable devant le Führer pour la zone de souveraineté. Les droits, les devoirs et la compétence d’un Gauleiter découlent, avant tout, de la mission qui lui a été confiée par le Führer et, en dehors de cela, de certaines directives spéciales.

Ses relations avec le Führer et avec certains autres accusés peuvent être constatées d’après les journaux. À l’occasion de son cinquantième anniversaire, le 13 février 1936, Hitler se rendit à Nuremberg pour le féliciter. Le compte rendu de cette réunion a paru dans le Völkischer Beobachter de la même date et je cite  :

« Adolf Hitler s’est adressé à son ancien camarade de combat et à ses partisans avec des paroles qui leur sont allées droit au cœur. Il exprima d’abord la joie qu’il ressentait à se trouver de nouveau à Nuremberg, ville de cette communauté nationale-socialiste forgée dans la bataille, et en ce jour où Julius Streicher est à l’honneur parmi ceux qui, pendant tant d’années, ont porté l’étendard national-socialiste.

« De même que, durant les années d’oppression, ils avaient tous eu une foi inébranlable en la victoire du mouvement, ainsi leur ami et camarade de bataille, Streicher, fut toujours fidèlement à leurs côtés. Ce fut cette foi inébranlable qui remua les montagnes.

« Pour Streicher, c’était sûrement un grand honneur de penser que ce cinquantième anniversaire marqua, non seulement la fin d’un demi-siècle, mais aussi un millier d’années d’histoire allemande. À Nuremberg, Streicher était pour lui, un compagnon dont il pouvait dire qu’il n’hésiterait pas une seule seconde et se trouverait derrière lui dans toute éventualité, sans fléchir. »

Je dépose le document M-8, sous le n° GB-182.

Le document suivant, M-22, est une lettre de Himmler publiée dans le Stürmer en avril 1937. Elle a été déposée sous le n° USA-258. Je cite  :

« Si l’on écrit un jour l’histoire du réveil du peuple allemand, et si la nouvelle génération déjà n’arrive pas à comprendre que le peuple allemand ait autrefois été prosémite, on pourra dire alors que Julius Streicher et son hebdomadaire Der Stürmer ont contribué sur une large échelle à déceler cet ennemi de l’Humanité. Signé  : Le Reichsführer SS H. Himmler. »

C’est le document USA-258. Beaucoup de ces documents ont déjà été déposés et figurent dans le livre relié. Nous avons enfin une lettre écrite par Baldur von Schirach, chef de la Jeunesse allemande, publiée dans le Stürmer de mars 1938. C’est le document M-45 (USA-260)  :

« C’est le mérite historique du Stürmer d’avoir fait sentir aux masses de notre peuple, par des moyens à sa portée, le danger mondial juif. Le Stürmer a raison lorsqu’il se refuse à employer là le ton des conversations de salons. Les Juifs n’ont eu aucune pitié pour le peuple allemand. Nous n’avons donc aucune raison d’être doux vis-à-vis d’eux, et d’épargner notre pire ennemi. Si nous ne le faisons pas aujourd’hui, notre jeunesse de demain en souffrira. »

Il est possible que l’accusé soit moins directement que quelques autres des conspirateurs impliqué dans la perpétration matérielle de ces crimes contre les Juifs, dont le Tribunal a déjà entendu parler. Le Ministère Public doit démontrer que ses crimes n’en sont pas moins graves pour cela. Aucun gouvernement dans le monde entier, avant l’arrivée des nazis au pouvoir, n’aurait pu concevoir et poursuivre une politique d’extermination en masse de la façon dont ils l’ont accomplie, sans avoir derrière eux un peuple pour les soutenir, et nombre de personnes, hommes et femmes, prêts à l’aider dans ces crimes de sang. Les générations antérieures d’Allemands elles-mêmes ne se seraient peut-être pas prêtées aux crimes dont nous venons de parler, à l’assassinat de millions et de millions d’hommes et de femmes.

Inculquer à ce peuple l’habitude du meurtre, lui enseigner la haine, c’est à cette tâche que Streicher s’est attelé. Pendant vingt-cinq ans, il a poursuivi sans relâche l’éducation — si l’on peut dire — la perversion du peuple et de la jeunesse allemande. Et il a continué, encouragé par les résultats de son œuvre. Au début, il ne demandait que la persécution. Quand elle fut réalisée, il prêcha l’extermination totale ; nous avons vu les ghettos à l’Est, et nous avons pu constater comment des millions de Juifs furent exécutés à ce moment-là ; il en réclamait encore davantage.

Voilà le crime qu’il a commis. Et le Ministère Public pense que cet accusé a rendu possibles ces crimes qui, sans lui et ses semblables, n’auraient jamais eu lieu. Il a dirigé cette propagande et l’éducation du peuple allemand dans cette voie. Sans lui, les Kaltenbrunner, les Himmler, les Stroop n’auraient trouvé personne pour exécuter leurs ordres. Et, comme nous l’avons vu, il a fait porter son plus gros effort dans le domaine de la jeunesse et de l’enfance allemandes. Son crime, probablement, est encore plus grave que celui de n’importe quel autre accusé. Les misères qu’ils ont causées ont fini avec son incarcération. Les effets des crimes de cet homme, du poison qu’il a répandu parmi des millions et des millions de jeunes garçons et de jeunes filles, d’hommes et de femmes, se poursuivent. Il laisse derrière lui, à un peuple presque tout entier contaminé, un héritage de haine, de sadisme, de meurtre.

Ce peuple allemand demeure un grave problème, et une menace éventuelle pour le reste de la civilisation, dans les générations à venir.

Je me permets, Messieurs, de constater que les accusations portées contre cet homme dans l’Acte d’accusation sont amplement prouvées.

Messieurs, le lieutenant Brady Bryson, de la Délégation américaine, présentera au Tribunal les charges relevées à l'encontre de Schacht.

LIEUTENANT-COLONEL WILLIAM H. BALDWIN (substitut du Procureur Général américain)

Plaise au Tribunal un livre de documents a été préparé et déposé par nos soins ; un nombre approprié d’exemplaires a été mis à la disposition des accusés. Nous demandons l’autorisation au Tribunal de présenter au cours des jours à venir un exposé qui est en cours de préparation. Nos preuves contre l’accusé Schacht se limitent aux préparatifs et aux plans en vue d’une guerre d’agression.

LE PRÉSIDENT

Qu’avez-vous dit à propos de ce dossier d’audience ?

LIEUTENANT BRYSON

Nous demandons l’autorisation de présenter notre dossier d’audience dans les quelques jours qui vont suivre, car il n’est pas prêt pour l’instant.

LE PRÉSIDENT — Je comprends.

LIEUTENANT BRYSON

Nos preuves contre l’accusé Schacht se limitent aux préparatifs et aux plans en vue d’une guerre d’agression, et à sa participation au complot dans ce but. L’étendue de la responsabilité criminelle de Schacht sur le plan juridique, d’après le Statut du Tribunal, sera développée dans notre dossier. Quelques-uns seulement, parmi nos quelque cinquante documents, ont déjà été déposés comme preuve. Nous avons voulu éviter des répétitions, mais pour des raisons de cohérence, nous aimerions dans plusieurs cas, avec des références à l’appui, attirer l’attention du Tribunal sur des preuves déjà présentées.

Avant de commencer l’exposé des preuves, nous désirons faire remarquer que nous n’ignorons pas le faible contrôle exercé par l’accusé Schacht sur l’économie allemande, après novembre 1937. Il n’exerçait plus, au moment de l’agression contre la Pologne, que les fonctions de ministre sans portefeuille et de conseiller personnel de Hitler. Nous connaissons aussi son opposition à certains éléments les plus avancés du parti nazi. Nous savons également qu’au moment de sa capture par les Forces armées américaines, il était détenu dans un camp d’internement allemand. Il avait été arrêté par la Gestapo, au mois de juillet 1944. Mais, malgré cela, nos preuves montreront qu’au moins jusqu’à la fin de 1937, Schacht joua un rôle primordial dans le réarmement de l’Allemagne et dans l’établissement des plans économiques en vue des préparatifs de guerre. Sans le travail qu’il a accompli, les nazis n’auraient pas pu trouver dans leur économie, qui était très pauvre, de quoi satisfaire les énormes besoins matériels d’une agression armée. Schacht travailla en toute connaissance des buts agressifs qu’il servait. Le détail de ces preuves sera présenté en quatre parties  :

1° Nous montrerons, brièvement, que Schacht a adopté la philosophie nazie avant 1933, et qu’il a soutenu l’accession de Hitler au pouvoir.

2° Les preuves de la contribution de Schacht au réarmement allemand et à la préparation de la guerre. Ces preuves seront brèves, car les faits qui s’y rapportent sont bien connus et ont déjà été exposés par M. Dodd, lorsqu’il a parlé de la préparation économique de la guerre.

3° Nous montrerons que Schacht a soutenu le complot auquel il était favorable, volontairement, et en connaissance de ses buts illégaux.

4° En dernier lieu, nous prouverons que le retrait de Schacht du Gouvernement allemand ne signifiait pas qu’il désapprouvât la politique des guerres d’agression.

Nous allons maintenant examiner les preuves établissant l’aide fournie par Schacht à Hitler dans son accession au pouvoir.

Schacht a rencontré Göring pour la première fois en décembre 1930, et Hitler au début de janvier 1931, dans la maison de Göring. Hitler lui fit bonne impression. Je dépose comme preuve le document PS-3725 (USA-615). C’est un extrait d’un interrogatoire de Schacht, daté du 20 juillet 1945. Je cite deux questions et leurs réponses, à propos de cette rencontre, vers le milieu de la première page de l’interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Pouvez-vous nous donner le numéro de dépôt ? Quel est l’autre numéro de ce document ?

LIEUTENANT BRYSON

Étant donné que ce document est un interrogatoire, il ne porte qu’un numéro de dépôt.

LE PRÉSIDENT

N’y a-t-il pas d’autre chiffre distinctif ?

LIEUTENANT BRYSON

C’est un interrogatoire ; vous le trouverez à la fin du livre de documents. Il s’intitule  : « Interrogatoire de Schacht du 20 juillet 1945. » Je cite au milieu de la première page  :

« Question. — Que disait-il — Hitler — ?

« Réponse. — Il exposa des idées qu’il avait déjà exprimées auparavant, avec beaucoup de volonté et d’énergie. »

Et au bas de la page  :

« Question. — Quelle fut votre impression à la fin de cette soirée ?

« Réponse. — Je fus d’avis que Hitler était un homme avec qui l’on pouvait collaborer. »

Après cette rencontre, Schacht s’allia avec Hitler, et à un moment politique critique, en novembre 1932, il consentit à mêler son nom, très connu dans les cercles d’affaires, de banque et de finance du monde entier, à la cause de Hitler. Je dépose comme preuve le document PS-3729 (USA-616), qui est un extrait d’interrogatoire de Schacht du 17 octobre 1945. Je voudrais citer le début de la page 36

de cet interrogatoire du 17 octobre 1945. Je dois préciser que lorsque je parle du numéro des pages, je parle des pages du livre de documents.

«  Question. — Oui, et à ce moment » — il s’agit de janvier 1931 — « vous avez soutenu je pense...

« Réponse. — Au cours...

« Question. — L’avènement de Hitler au pouvoir ?

« Réponse. — Tout spécialement au cours des années 1931 et 1932. »

Je cite encore la dernière moitié de la page 37 du même interrogatoire  :

« Question. — Voici ce que je veux dire  : en résumé, avez-vous engagé votre nom pour aider Hitler à prendre le pouvoir ?

« Réponse. — J’ai déclaré en public que je m’attendais à ce que Hitler prît le pouvoir, et ce, pour la première fois, si mes souvenirs sont exacts, au mois de novembre 1932.

« Question. — Vous savez, ou peut-être vous ne savez pas, que Goebbels, dans son journal, parle avec beaucoup d’affection...

« Réponse. — Oui.

« Question. — De l’aide que vous lui avez donnée à cette époque ?

« Réponse. — Oui, je sais cela.

« Question. — En novembre 1932 ?

« Réponse. — Du Kaiserhof à la Chancellerie et retour.

« Question. — C’est exact. Vous l’avez lu ?

« Réponse. — Oui.

« Question. — Et vous ne niez pas que Goebbels avait raison ?

« Réponse. — Je crois que mon impression était juste à l’époque. »

Maintenant, je présente une déclaration de Goebbels figurant dans le document PS-2409 (a). Le journal entier de Goebbels a été déposé comme preuve sous le n° USA-262. La rubrique que je vais lire dans ce document PS-2409 (a) date du 21 novembre 1932.

« Au cours d’une conversation avec le Dr Schacht, je me suis assuré qu’il avait absolument le même point de vue que nous. Il est un des rares qui se pressent autour du Führer, en accord avec eux-mêmes. »

On croit que Schacht n’a adhéré au Parti que dans le sens où il en soutenait la cause. Le Dr Franz Reuter, qui a fait une biographie de Schacht, qui parut officiellement en Allemagne en 1937, prétend que Schacht a refusé son adhésion pour être ainsi plus utile au Parti.

Je dépose comme preuve le document EC-460 (USA-617). C’est un extrait de l’ouvrage de Reuter. J’en cite la dernière phrase  :

« Par cette attitude, tout au moins jusqu’à la victoire finale du Parti, il pouvait être beaucoup plus utile qu’il n’aurait pu l’être s’il en était devenu un membre officiel. »

C’est Schacht qui réunit les moyens financiers nécessaires à l’élection décisive de mars 1933, lors d’une rencontre de Hitler avec un groupe d’industriels allemands à Berlin. Schacht joua le rôle d’hôte ou de promoteur de cette réunion, et procéda à une collecte de fonds se montant à plusieurs millions de mark pour financer la campagne. Sans rien en lire, je dépose comme preuve le document EC-439 (USA-618). C’est une déposition sous serment de von Schnitzler, en date du 23 novembre 1945, et je renvoie le Tribunal au compte rendu d’audience (Tome II, page 230). D’autres preuves figurent dans l’extrait de l’interrogatoire de Schacht du 20 juillet 1945, que j’ai lu en partie, il y a quelques instants.

Schacht a soutenu Hitler, non seulement par opportunisme, mais aussi parce qu’il partageait ses principes idéologiques. En dehors du journal de Goebbels, on peut s’en apercevoir d’après une lettre écrite par Schacht à Hitler, le 29 août 1932, dans laquelle il l’assure de son soutien permanent, après que ce dernier eut fait assez piètre figure aux élections de juillet 1932. Je dépose cette lettre comme preuve, c’est le document EC-457 (USA-619). Et je cite au milieu du premier paragraphe, et à partir du suivant jusqu’au dernier paragraphe.

« Mais ce dont vous avez peut-être besoin aujourd’hui, c’est d’une parole de sympathie très sincère. Notre mouvement est d’une inspiration si forte et si vraie et répond à une telle nécessité que la victoire ne peut pas vous échapper longtemps encore. »

Et plus bas — et souvenez-vous que ni Hitler ni Schacht ne faisaient partie à ce moment-là du Gouvernement allemand — Schacht dit  :

« Partout où l’avenir me trouvera au travail, fût-ce dans une forteresse, vous pourrez toujours compter sur mon aide la plus fidèle. »

LE PRÉSIDENT

Que signifient les mots en haut  : « Le président en retraite de la Reichsbank » ? Sont-ils sur la lettre ?

LIEUTENANT BRYSON

Oui, Monsieur le Président, ils y sont. Le Dr Schacht fut jadis président de la Reichsbank. Au moment de ces faits il était en retraite, et vous vous souviendrez que ces événements se passaient avant l’arrivée de Hitler au pouvoir.

LE PRÉSIDENT

Oui. Naturellement.

LIEUTENANT BRYSON

Et Hitler réintégra Schacht dans ses fonctions de président de la Reichsbank lorsque les nazis se furent emparés du pouvoir.

LE PRÉSIDENT

Et il s’est servi à nouveau de cet en-tête ?

LIEUTENANT BRYSON

Je ne le sais pas. Je soulignerai simplement que Schacht signa cette lettre avec « un vigoureux Heil ».

Occupons-nous maintenant de la deuxième partie des preuves, concernant la contribution de Schacht à la préparation de la guerre.

Les étapes détaillées de la carrière officielle de Schacht dans le Gouvernement nazi, telle qu’elle figure dans le document PS-3021, ont déjà été présentées sous le n° USA-11. Néanmoins, il serait utile de mentionner dès maintenant que Schacht a été rappelé à la présidence de la Reichsbank par Hitler, le 17 mars 1933. Il a occupé ce poste jusqu’au 20 janvier 1939. Il fut ministre par intérim puis ministre de l’Économie, à partir d’août 1934 jusqu’en novembre 1937.

Il fut nommé plénipotentiaire général à l’Économie de Guerre au mois de mai 1935. Il donna sa démission de ministre de l’Économie et de plénipotentiaire général à l’Économie de Guerre en novembre 1937 lorsqu’il accepta d’être nommé ministre sans portefeuille. Il resta ministre sans portefeuille jusqu’au mois de janvier 1943. Il fut en fait dictateur économique de l’Allemagne, du début de 1933 jusqu’à la fin de 1936. Ces faits sont universellement connus.

Schacht fut le génie de la propagation du système nazi de crédit allemand, aux fins de réarmement. Dès le début, il a reconnu que le plan de suprématie militaire allemande demandait des sommes considérables de crédit public. Pour atteindre ce but, il a pris de nombreuses mesures qui ont mis toutes les institutions de crédit en Allemagne au service du but suprême  : fournir des fonds pour la machine militaire. Je vais parler brièvement de quelques-unes de ces mesures.

Par décret du Cabinet du 27 octobre 1933, la réserve statutaire de 40% en or et en monnaies étrangères, couverture légale des billets de la Reichsbank en circulation fut abandonnée définitivement. Le décret sur le crédit, de 1934, donna au Gouvernement la haute main sur toutes les institutions de crédit. En sa qualité de président de l’office de contrôle du crédit et de président de la Reichsbank, Schacht s’assura le contrôle de tout le système bancaire. Cette loi a permis à Schacht de contrôler non seulement le volume du crédit, mais aussi son utilisation. Le 29 mars 1934, une sorte d’emprunt forcé fut imposé à l’économie allemande. Le 19 février 1935, le Trésor eut l’autorisation d’emprunter des fonds d’une importance illimitée, à condition d’être approuvé par le Chancelier du Reich, c’est-à-dire Hitler. Ici je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire au Reichsgesetzblatt 1933, partie 2, page 827, au Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 1203, au Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 295, et au Reichsgesetzblatt 1935, partie I, page 198.

LE PRÉSIDENT

Se trouvent-ils dans le livre de documents ?

LIEUTENANT BRYSON

Ils n’y sont pas. Je demande seulement qu’on leur accorde une valeur probatoire, en tant que lois allemandes publiées.

Ces mesures permirent à Schacht d’amorcer ce qu’il appelait lui-même une « audacieuse politique de crédit », c’est-à-dire le financement secret d’armements importants, au moyen du décret « Mefo », mentionné dans le compte rendu d’audience du 23 novembre, (Tome II, page 238). Je verse au dossier le document EC-436 (USA-620). C’est une déclaration en date du 2 novembre 1945, d’Emil Puhl, qui fut l’un des directeurs de la Reichsbank, lorsque Schacht en était le président. Je cite le deuxième paragraphe de ce document  :

« Au début de 1935, il s’avéra nécessaire de financer un programme d’armement accéléré. Le Dr Schacht, président de la Reichsbank, après avoir examiné diverses méthodes de financement, proposa le lancement de traites « Mefo » qui devaient apporter une grande partie des fonds nécessaires au programme de réarmement. Cette méthode avait le grand avantage de rendre le secret possible pendant les premières années du programme de réarmement ; les chiffres indiquant l’importance de l’opération, qui auraient été connus du public par l’utilisation d’autres méthodes, pouvaient être gardés secrets grâce à l’utilisation de ces billets « Mefo ».

L’expansion du crédit et l’importance du financement « Mefo » sont exposés dans le document EC-419, que je dépose comme preuve sous la cote USA-621. C’est une lettre du ministre des Finances, von Krosigk, à Hitler, en date du 1er septembre 1938. Je cite les chiffres suivants, au milieu de la première page  :

« La situation de la dette du Reich est la suivante  :

« Au 31 décembre 1932  :

Dette consolidée ........………………………………………………........ 10, 4 milliards de mark

Dette flottante ........……......…………………………………………….... 2, 1 milliards de mark

Dette hors budget .(effets de commerce et billets Mefo « Arbeits- und Mefo-Wechsel ») ........…………………….....…………………….…………........ 0, 0 milliard de mark

« Au 30 juin 1938  :

Dette consolidée .............……………………………………………...... 19, 0 milliards de mark

Dette flottante ..............…………………………………………………..... 3, 5 milliards de mark

Dette hors budget (effets de commerce et billets Mefo) .... 13, 3 milliards de mark

« Total  :

Au 31 décembre 1932 .........…………………………………………..... 12, 5 milliards de mark

Au 30 juin 1938 ...........………………………………………………....... 35, 8 milliards de mark

La dette du Reich était ainsi triplée...

LE PRÉSIDENT

Voulez-vous lire la section suivante qui commence par  : « En 1938, les dépenses d’armement... »

LIEUTENANT BRYSON

« En 1938, les dépenses d’armements, qui étaient les mêmes qu’en 1937, furent couvertes de la façon suivante  :

« 5.000.000.000 par le budget, c’est-à-dire les taxes et les impôts ; 4.000.000.000 d’emprunts ; 2.000.000.000 de bons du Trésor à terme de six mois, ce qui signifiait un retard du paiement jusqu’en 1939 ; total, 11.000.000.000 »

La dette du Reich a ainsi triplé sous la direction de Schacht. Plus d’un tiers de ce total était financé de façon secrète par la Reichsbank, en utilisant les effets de commerce et les billets « Mefo ». Il est clair que cette quantité d’argent, en dehors d’émissions publiques normales, était une dette d’armement. Je lis encore le document EC-436, au début du dernier grand paragraphe. Je cite  :

« Ces billets Mefo étaient utilisés exclusivement pour financer le réarmement ; lorsqu’en mars 1938, un nouveau programme de financement qui mettait fin à l’usage des billets Mefo fut annoncé par le Dr Schacht, il y avait en tout 12.000.000.000 de Reichsmark de billets Mefo qui avaient été mis en circulation afin de financer le réarmement. »

Le trait important de la politique de crédit de Schacht c’est qu’elle était destinée essentiellement à financer les armements. C’est ce qui ressort clairement de son propre discours du 29 novembre 1938. Je dépose comme preuve ce document EC-611 (USA-622). Je cite la sixième page, au début du dernier paragraphe  :

« Il est probable qu’aucune banque d’émission en temps de paix n’a réalisé une politique de crédit aussi audacieuse que celle de la Reichsbank, depuis la prise du pouvoir par le national-socialisme. Mais grâce à cette politique de crédit, l’Allemagne s’est créé un armement qui n’a rien à envier aux autres, et cet armement, à son tour, a rendu possibles les résultats escomptés de notre politique. »

En dehors du domaine des finances, Schacht contrôla toute l’économie allemande, et l’adapta aux besoins du programme de réarmement. Il s’assura le contrôle de l’industrie, par suite de la réorganisation nazie de l’industrie allemande dans des buts militaires, et en accord avec ce qu’on appelait le « Führerprinzip ».

À cet égard, j’attire l’attention du Tribunal sur le compte rendu d’audience du 23 novembre 1945, (Tome II, page 236), et je dépose le Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 1194, en demandant au Tribunal de lui accorder une valeur probatoire.

Schacht jouit également d’un pouvoir étendu en sa qualité de membre du Conseil de défense du Reich, qui fut créé secrètement le 4 avril 1933, et dont le rôle consistait à préparer la guerre. Je demande au Tribunal de se référer au compte rendu d’audience du 23 novembre 1945, (Tome II, page 229) et je dépose aussi comme preuve le document EC-128 (USA-623), qui est un compte rendu en date du 30 septembre 1934, montrant le rôle du ministère de l’Économie dans cette question. Ce compte rendu démontre bien l’importance dans un pays en guerre de tous les problèmes économiques tels que le stockage, la production des marchandises rares, le transfert de l’industrie dans des zones calmes, la production de carburants et d’énergie pour l’économie de guerre, les machines-outils, le contrôle des priorités en temps de guerre, le rationnement, le contrôle des prix, le ravitaillement civil, etc.

Je voudrais lire un extrait du document EC-128 montrant la compétence du ministère de l’Économie. Je commence vers le haut de la deuxième page  :

« Avec la création du Conseil de défense du Reich et son Comité permanent, le ministère de l’Économie du Reich a reçu la tâche de préparer la guerre sur le plan économique. Il ne doit pas être nécessaire d’expliquer l’immense importance de ce travail. Tout le monde se rappelle cruellement ce que le manque de préparation économique nous a valu au cours de la guerre mondiale. »

Finalement, en 1934, Schacht reçut des pouvoirs énormes grâce à une législation l’autorisant, en qualité de ministre de l’Économie, à prendre toutes les mesures qui lui sembleraient nécessaires pour le développement de l’économie allemande. On peut consulter à ce propos le Reichsgesetzblatt de 1934, partie I, page 565 ; je demande au Tribunal de lui accorder une valeur probatoire,

Le soi-disant « Nouveau plan » préparé par Schacht fut publié à l’automne de 1934, peu de temps après sa nomination au poste de ministre de l’Économie. Je me réfère au Reichsgesetzblatt de 1934, partie I, page 816 ; et au Reichsgesetzblatt de 1935, partie I, page 105, et je demande au Tribunal de leur accorder une valeur probatoire.

Ce nouveau plan était le programme de base de Schacht, en vue d’obtenir les matières premières et les devises étrangères nécessaires au programme de réarmement. En ce qui concerne les détails du nouveau plan, je dépose comme preuve le document EC-437 (USA-624). C’est une déposition sous serment, d’Emil Puhl, en date du 7 novembre 1945. Le texte tout entier de cette déposition nous intéresse. Je demande donc de pouvoir la déposer sans la lire, à la condition que des traductions françaises et russes soient préparées et déposées.

LE PRÉSIDENT

Ainsi que des traductions allemandes.

LIEUTENANT BRYSON

Nous en fournirons des copies. Je souligne que l’original est en anglais, mais cette déposition sous serment a déjà été traduite en allemand.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

LIEUTENANT BRYSON

Cette déposition sous serment faite par un collaborateur de Schacht, décrit en détail les méthodes ingénieuses et parfois dénuées de scrupules qui furent utilisées. C’étaient, par exemple, les négociations d’accords « stand-still », l’obligation de payer en Reichsmark les intérêts et l’amortissement de dettes contractées en devises étrangères, l’utilisation dans ce but de bons provisoires et d’obligations, la suppression du paiement des intérêts aux créanciers étrangers, le blocage des avoirs étrangers en mark et des biens étrangers en Allemagne. Il supprima aussi les dépenses inutiles à l’étranger, réquisitionna les devises étrangères détenues par les Allemands, encouragea les exportations. Il émit des mark n’ayant cours qu’à l’intérieur ; il fit des opérations de troc au moyen d’accords de clearing, limita les importations et contrôla toutes transactions et échanges à l’étranger, afin de favoriser l’entrée des matières premières destinées à l’armement.

Je demande aussi au Tribunal d’accorder valeur probatoire au Reichsgesetzblatt de 1934, page 997 ; au Reichsgesetzblatt de 1933, partie I, page 349 ; au Reichsgesetzblatt de 1937, partie I, page 600, dont les textes sont relatifs à la Caisse de clearing, la Caisse de conversion et à l’échéance des emprunts à l’étranger ; tous ces décrets sont mentionnés dans l’affidavit.

Schacht a été jusqu’à investir des Reichsmark appartenant à des étrangers et déposés dans des banques allemandes en bons de réarmement, finançant ainsi, comme il l’a dit lui-même le réarmement avec les avoirs de ses ennemis politiques. Sans le lire, j’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-1168 (USA-37). C’est un mémorandum de Schacht à Hitler, en date du 3 mai 1935. Il a déjà paru dans le compte rendu d’audience, (Tome II, page 314). De plus, Schacht eut même recours à la peine capitale pour empêcher les sorties de devises étrangères lorsque les capitaux commencèrent à fuir le pays.

À ce sujet, je me réfère à la loi contre le sabotage économique, que l’on trouvera au Reichsgesetzblatt de 1936, partie I, page 999, et je demande au Tribunal de lui accorder valeur probatoire.

Schacht était très fier des résultats qu’il avait obtenus par ces procédés draconiens du « Nouveau plan ». J’attire l’attention du Tribunal sur le document EC-611, déposé comme preuve sous la cote USA-622. C’est un discours prononcé par Schacht à Berlin, le 29 novembre 1938. Je désire lire pour le procès-verbal un extrait figurant en haut de la dixième page. Je cite  :

« Ce qu’il y a de remarquable dans le nouveau plan, c’est encore une fois le fait que l’organisation allemande a rapidement réussi à rassembler sous la direction nationale-socialiste tout l’appareil nécessaire à la surveillance des importations, à la direction des exportations et à la création de nouvelles exportations. Le succès du nouveau plan peut être prouvé au moyen de quelques chiffres. Quantitativement, les importations de produits finis diminuèrent de 63% de 1934 à 1937. D’autre part, les importations de minerais augmentèrent jusqu’à 132%, celles de pétrole jusqu’à 116%, celles des céréales jusqu’à 102 %, et du caoutchouc jusqu’à 71%. »

Pendant qu’il était président de la Reichsbank et ministre de l’Économie, Schacht reçut le poste important de plénipotentiaire général à l’Économie de guerre. Il fut nommé à ce poste par Hitler, conformément à la loi non publiée, dite de défense du Reich, qui fut secrètement promulguée le 21 mai 1935. Le texte de loi a été versé comme preuve sous le n° PS-2261 (USA-24). Ce document consiste en une lettre de von Blomberg, datée du 24 juin 1935, adressée aux chefs de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation, avec des exemplaires de la loi de défense du Reich, et un mémorandum du Cabinet à son sujet. Des commentaires et des extraits de ces documents figurent au compte rendu d’audience du 23 novembre 1945, (Tome II. page 227). Je veux simplement mentionner que, grâce à cette nomination, Schacht s’occupa d’à peu près tous les plans économiques et de la préparation de la guerre en temps de paix, sauf de certaines productions d’armement qui étaient sous le contrôle du ministère de la Guerre. À la déclaration de guerre, il était destiné à devenir le tsar économique de l’Allemagne, avec contrôle total sur les activités de plusieurs ministères essentiels du Reich.

Schacht prit Wohlthat comme adjoint, et mit sur pied tout un état-major pour appliquer ses directives. À ce propos, je dépose comme preuve un extrait d’interrogatoire préliminaire de Schacht, en date du 17 octobre 1945. Ce document est déposé sous la cote PS-3729 (USA-616). Je désire lire ici, pour le procès-verbal, une question et une réponse figurant au bas de la page 40 du livre de documents  :

« Question. — Laissez-moi vous poser une question générale  :

acceptez-vous de prendre la responsabilité, en tant que plénipotentiaire pour l’Économie de guerre, de tous les écrits et des actes de Wohlthat et de ses adjoints ?

« Réponse. — Je le dois. »

Je présente aussi comme preuve le document EC-258 (USA-625). C’est un compte rendu daté de décembre 1937, signé par l’adjoint de Schacht, Wohlthat. Ce compte rendu a pour titre  : « Préparatifs de mobilisation économique par le plénipotentiaire pour l’Économie de guerre ». Schacht avait quitté ce poste, juste avant l’élaboration de ce compte rendu, et il est clair que c’est une récapitulation de tout ce qu’il a accompli pendant qu’il occupait ces fonctions. Puisque le texte entier se rapporte à la question, nous vous demandons l’autorisation de présenter ce document sans le lire, à la condition que des traductions en français et en russe soient présentées plus tard au Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Je ne crois pas que ce soit conforme aux règlements du Tribunal, qui veulent que les traductions en français et en russe soient présentées en même temps. Vous proposez de déposer ultérieurement ces traductions.

LIEUTENANT BRYSON

En tout cas, Messieurs, je n’avais pas l’intention de lire ce document maintenant. Les avocats ont l’original en allemand.

LE PRÉSIDENT

Je ne parlais pas tant pour la Défense que pour les membres du Tribunal.

LIEUTENANT BRYSON

On est en train de le traduire en russe ; en raison d’un retard, nous n’avons pas pu l’obtenir à temps, mais le délai sera court. Ce document est d’une importance essentielle pour notre exposé.

LE PRÉSIDENT

Dans combien de temps sera-t-il prêt ?

LIEUTENANT BRYSON

Je ne saurais le dire exactement, Monsieur le Président, peut-être dans quatre ou cinq jours.

LE PRÉSIDENT

Que proposez-vous alors ? C’est un document très long et compliqué, n’est-ce pas ?

LIEUTENANT BRYSON

Oui, et il montre...

LE PRÉSIDENT

Vous proposiez-vous de le résumer ?

LIEUTENANT BRYSON

Je me proposais de le faire maintenant, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Si vous voulez le résumer maintenant, vous le pouvez, mais le Tribunal ne l’acceptera comme preuve que lorsque vous en aurez des traductions.

LIEUTENANT BRYSON

Je vais le résumer maintenant, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Sera-ce long à résumer ?

LIEUTENANT BRYSON

Non, pas très, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Il est déjà 5 heures.

LIEUTENANT BRYSON

Je pense que j’ai le temps de le résumer, après quoi nous nous arrêterons.

Ce document démontre qu’avant sa démission, Schacht avait mis sur pied, et ceci de façon étonnante, jusque dans les plus petits détails, les plans et préparatifs pour le contrôle de l’économie au cours de la guerre à venir. Par exemple, 180.000 usines touchant à 300 industries avaient été inspectées du point de vue de leur utilisation, dans des buts de guerre. Des plans économiques pour la production de 200 matières premières différentes indispensables avaient été établis. Un système de commande de guerre avait été organisé ; des allocations en charbon, en carburants ainsi qu’en énergie avaient été prévues. 248.000.000 de Reichsmark avaient été dépensés uniquement pour la création d’installations de stockage. Des plans d’évacuation du matériel de guerre et des spécialistes hors des zones militaires avaient été établis. 80.000.000 de cartes de rationnement pour la guerre étaient déjà imprimées et distribuées dans les diverses régions. Enfin, on avait établi des fiches pour 22.000.000 d’ouvriers spécialisés. J’en ai terminé avec ce résumé, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

L’audience est levée.

(L’audience sera reprise le 11 janvier 1946 à 10 heures.)