TRENTE-DEUXIÈME JOURNÉE.
Vendredi 11 janvier 1946.

Audience du matin.

LIEUTENANT BRYSON

Plaise au Tribunal. Avant de reprendre notre exposé des preuves à l'encontre de l’accusé Schacht, j’aimerais apporter des précisions sur un léger détail. Hier, Monsieur le Président a posé une question sur le document EC-457 (USA-619). Il s’agissait des mots « à la retraite », employés par Schacht dans l’en-tête d’une lettre écrite par lui à Hitler en 1932. C’est la lettre dans laquelle Schacht exprimait sa conviction dans le bien-fondé du mouvement nazi et disait que Hitler pourrait toujours le considérer comme un loyal collaborateur.

L’en-tête de cette lettre porte en caractères d’imprimerie l’inscription « Président de la Reichsbank », suivie, frappées à la machine, des lettres « a. D. ». Ces lettres, si je le comprends bien, sont une abréviation d’une expression allemande « ausser Dienst » signifiant « à la retraite », car c’est, ou c’était, l’usage en Allemagne pour les fonctionnaires en retraite de faire suivre leurs titres des initiales « a. D. ».

LE PRÉSIDENT

Je vois.

LIEUTENANT BRYSON

Hier, nous avons presque fini d’examiner les preuves de la participation de l’accusé Schacht à la préparation de la guerre ; je désire vous soumettre encore un autre document à ce sujet. Il porte le n° EC-451 (USA-626). C’est une déclaration de George S. Messersmith, qui fut Consul général des États-Unis à Berlin de 1930 à 1934. Je vais en citer un passage commençant par la deuxième phrase du quatrième paragraphe :

« Ce fut son habileté à lui » — Schacht — « en matière financière, qui permit au régime nazi à ses débuts de trouver la base financière de son gigantesque plan d’armement et qui rendit possible sa réalisation. Sans ses efforts — ce n’est pas mon opinion strictement personnelle, mais celle, je crois, de tous les commentateurs de cette époque — le régime nazi aurait été dans l’incapacité de demeurer au pouvoir et d’étendre sa domination sur toute l’Allemagne, encore bien moins de créer l’énorme machine de guerre qui lui était nécessaire pour atteindre ses objectifs en Europe et plus tard dans le monde entier.

« L’accroissement de l’activité industrielle allemande en vue du réarmement rendit nécessaires des importations massives de matières premières, alors que simultanément le chiffre des exportations diminuait. Cependant Schacht, grâce à son ingéniosité, son manque total de scrupules en matière financière et son cynisme parfait, put maintenir et affermir la situation des nazis. Sans aucun doute, s’il n’avait mis toutes ses capacités au service du Gouvernement nazi et de ses ambitions, il aurait été impossible à Hitler et aux nazis de mettre sur pied une force armée assez considérable pour permettre à l’Allemagne de déclencher une guerre d’agression. » Nous passons maintenant...

LE PRÉSIDENT

Bien, lieutenant Bryson, mais je ne suis pas certain que cette citation donne un résumé complet et tout à fait juste de ce document. Vous pourriez peut-être lire le paragraphe précédent.

LIEUTENANT BRYSON

Le paragraphe précédent, Monsieur le Président ?

LE PRÉSIDENT

Oui.

LIEUTENANT BRYSON

« Le docteur Schacht s’efforça toujours de jouer double jeu. Il m’a annoncé, et je sais qu’il l’a dit à d’autres représentants américains et britanniques à Berlin, qu’il désapprouvait pratiquement tout ce que faisaient les nazis. Je me rappelle ce qu’il me dit en diverses occasions, après la prise du pouvoir par le parti nazi, à savoir que si les nazis n’étaient pas arrêtés, ils finiraient par ruiner l’Allemagne et avec elle le reste du monde. Il insista, je me le rappelle fort bien, auprès de moi, sur le fait que les nazis allaient inévitablement plonger l’Europe dans la guerre. »

S’il plaît au Tribunal, je voudrais lire cet autre passage du dernier paragraphe :

« À mon avis, Schacht n’était en aucune manière esclave des nazis. Il n’était nullement forcé de mettre à leur service son temps et ses capacités. Sa situation était telle qu’il aurait très bien pu se permettre, soit de travailler sur une échelle beaucoup plus réduite, soit même de s’abstenir de toute activité. Il continua à prêter son concours au gouvernement nazi, par simple opportunisme. »

Nous arrivons maintenant à la troisième partie de notre exposé des charges relevées contre Schacht. La preuve est claire qu’il a apporté volontairement sa contribution à la conspiration nazie, en toute connaissance de ses desseins agressifs. Le Tribunal se souviendra des preuves que nous avons apportées de la conversion de Schacht à l’idéologie nazie en 1931 et de l’aide qu’il donna à Hitler en 1933 au cours de sa lutte pour le pouvoir. Nous allons prouver maintenant, premièrement, que Schacht a favorisé personnellement l’agression et, en second lieu, que, de toute manière, il connaissait les intentions agressives de Hitler.

Les preuves suffisent amplement à démontrer que Schacht a réarmé l’Allemagne afin de voir la réalisation de ses vœux : l’expansion agressive en tant qu’instrument de la politique nationale allemande.

Schacht était depuis longtemps un nationaliste et un expansionniste allemand. Dès 1927, il s’était publiquement prononcé à Stuttgart contre le Traité de Versailles. Je dépose le document EC-415 (USA-627), qui est une suite d’extraits de discours de Schacht. Ma citation commence au haut de la page 2 :

« Le Diktat de Versailles ne peut pas être un document éternel, car ses fondements non seulement économiques mais aussi spirituels et moraux sont erronés. »

De notoriété publique, il était fortement partisan de l’acquisition par l’Allemagne de territoires coloniaux. Néanmoins, il était partisan aussi de l’acquisition de territoires contigus en Europe. Le 16 avril 1929, à la conférence de Paris sur les réparations, il déclara...

LE PRÉSIDENT

Avez-vous l’intention de lire la suite de votre citation plus tard, à un autre moment des débats ?

LIEUTENANT BRYSON

Oui, s’il vous plaît, Monsieur le Président, à propos d’un autre sujet.

LE PRÉSIDENT

Très bien. Continuez.

LIEUTENANT BRYSON

Le 16 avril 1929, à la Conférence de Paris sur les réparations, il déclara :

« L’Allemagne ne peut, en gros, les payer que si le Corridor et la Haute-Silésie sont retirés à la Pologne et rendus à l’Allemagne, et si, en outre, des territoires coloniaux, en une quelconque partie du globe, sont mis à la disposition de l’Allemagne. »

M. BIDDLE

Que citez-vous là ?

LIEUTENANT BRYSON

Je dépose le document PS-3726 (USA-628), extraits d’interrogatoires préliminaires de Schacht du 24 août 1945. Vous le trouverez à la fin du livre de documents sous le titre interrogatoire du 24 août. En haut de la page 1, il est mentionné que lecture a été faite à Schacht du passage de sa déclaration et que, dans sa réponse, il a reconnu l’avoir faite. Dans cette réponse il dit encore :

« Il a été prouvé que l’Allemagne n’a pas pu payer dans la période qui a suivi mes déclarations de jadis, et l’avenir prouvera qu’elle sera aussi incapable de payer après cette guerre. »

Je tiens à attirer l’attention sur le fait que le territoire mentionné par Schacht est celui-là même qui eut à subir l’agression armée de septembre 1939.

En 1935, Schacht a déclaré sans ambiguïté que l’Allemagne, s’il était nécessaire, utiliserait la force pour obtenir des colonies. C’est le document EC-450 (USA-629), qui comprend la déposition sous serment de S. R. Fuller Jr ainsi que le compte rendu de sa conversation avec Schacht à l’ambassade américaine à Berlin, le 23 septembre 1935. Je voudrais lire la déclaration de Schacht que l’on trouve dans la seconde partie de la page 6.

LE PRÉSIDENT

Quelle est la date de la conversation ?

LIEUTENANT BRYSON

Cette conversation eut lieu le 23 septembre 1935. Les numéros des pages se trouvent dans le bas ;

voici page 6 :

Schacht : « Des colonies sont nécessaires à l’Allemagne. Nous les obtiendrons, si possible, par la négociation ; sinon, nous les prendrons. »

En juillet 1936, alors que le programme de réarmement allemand était en bonne voie de réalisation, Schacht parla encore en public du Traité de Versailles. Ses paroles contenaient cette fois une explicite menace de guerre. Je prie le Tribunal de se reporter au document EC-415, que j’ai déjà déposé sous le n° USA-627. C’est une série de discours prononcés par Schacht. Je désire lire le premier paragraphe commençant au milieu de la première page :

« Mais rien ne peut empêcher que le souvenir de la guerre pèse sur l’esprit des peuples. C’est que, plus profondes que les blessures physiques, les blessures morales infligées par les soi-disant traités de paix sont encore cuisantes. Les pertes matérielles peuvent être effacées par un travail accru ; mais le dommage moral infligé aux peuples vaincus par les Diktat de la Paix a laissé une cicatrice toujours brûlante dans leur âme. L’esprit de Versailles a perpétué la furie de la guerre et il n’y aura pas de paix véritable, de progrès ou de reconstruction, tant que le monde ne renoncera pas à cet esprit. Le peuple allemand ne se lassera pas de répéter cet avertissement. »

Plus tard, au cours de la même année, Schacht se fit publiquement l’avocat de la doctrine du Lebensraum pour le peuple allemand. C’est encore dans le document EC-415 (USA-627) que je trouve un extrait du discours de Schacht à Francfort, le 9 décembre 1936, au dernier paragraphe de la deuxième page :

« L’Allemagne a un trop petit espace vital pour sa population. Elle a fait tous ses efforts et des efforts certainement plus considérables que n’importe quelle autre nation, afin de tirer du peu d’espace dont elle dispose actuellement tout ce qui est nécessaire pour assurer son existence. Néanmoins, en dépit de tous ces efforts, cet espace n’est pas suffisant. »

En janvier 1937, Schacht, au cours d’une conversation avec l’ambassadeur Davies, a, au moins implicitement, agité la menace d’une rupture de la paix en demandant la cession de colonies. Je dépose comme preuve le document L-111 (USA-630), qui se compose d’extraits d’un rapport, en date du 20 janvier 1937, de l’ambassadeur Davies au secrétaire d’État. Je voudrais lire le début de la deuxième phrase du deuxième paragraphe :

« Il (Schacht) a déclaré que la condition actuelle du peuple allemand était intolérable, désespérée et qu’elle ne pouvait durer ; qu’il était autorisé par son gouvernement à soumettre à la France et à l’Angleterre des propositions qui auraient pour effet de : 1° garantir la paix en Europe ; 2° garantir les frontières européennes actuelles ; 3° réduire les armements ; 4° établir sous une nouvelle forme une Société des Nations efficace ; 5° abolir les sanctions grâce à un nouveau mécanisme d’administration collective. Le tout basé sur la cession de colonies qui procureraient à l’Allemagne un débouché pour sa population, une source de produits alimentaires, matières grasses et matières premières. »

En décembre 1937, l’ambassadeur Dodd a noté dans son journal que Schacht était disposé à courir le risque d’une guerre pour obtenir de nouveaux territoires en Europe. Je prie le Tribunal de se reporter au document EC-461, qui donne des extraits du journal de l’ambassadeur Dodd.

LE PRÉSIDENT

La proposition contenue dans le document L-111 était relative à la cession de colonies, n’est-ce-pas ?

LIEUTENANT BRYSON

Effectivement, Monsieur le Président. J’en viens maintenant au document EC-461, qui consiste en extraits du journal de l’ambassadeur Dodd.

Le texte intégral de ce journal figure déjà au dossier sous le n° USA-58. Je cite quelques notes sur sa conversation avec Schacht du 21 décembre 1937, en commençant vers le bas de la deuxième page, dernier paragraphe :

« Schacht a les intentions qui ont été celles des chefs militaires de 1914 envahissant la Belgique et s’attendant à triompher de la France en six semaines, c’est-à-dire dominer et annexer les petits pays voisins, principalement au Nord et à l’Est. Autant il désapprouve la dictature de Hitler, autant, comme beaucoup d’autres Allemands éminents, il désire ces annexions sans guerre si possible, ou avec une guerre mais seulement si les États-Unis s’en tiennent à l’écart. »

LE PRÉSIDENT

Il y a encore un autre passage dans ce livre-journal. Je n’en suis pas sûr ; mais sans doute ne porte-t-il pas la même date. Il figure à la page 1 du document déposé, au paragraphe 3, je crois.

LIEUTENANT BRYSON

Au paragraphe 3.

LE PRÉSIDENT

Est-ce à une autre date ?

LIEUTENANT BRYSON

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Le 19 septembre, mais de quelle année ?

LIEUTENANT BRYSON

Nous vérifierons cela dans le volume complet que voici. J’espère pouvoir fournir cette date dans une minute. Entre temps, me permettez-vous de lire le document, Monsieur le Président ?

LE PRÉSIDENT

Oui, certainement.

LIEUTENANT BRYSON

« Il me confirme alors que le parti hitlérien est absolument engagé dans la voie de la guerre et que le peuple, de son côté, est prêt et consentant. Il n’y a qu’une poignée de hauts fonctionnaires pour se rendre compte des dangers qu’offre une semblable guerre et pour s’y opposer ». Il conclut : « Mais nous l’ajournerons pendant dix ans. Il est probable ainsi que nous pourrons éviter la guerre. »

LE PRÉSIDENT

Je crois que vous devriez lire aussi le paragraphe suivant.

LIEUTENANT BRYSON

« Je lui rappelai son discours à Bad Eilsen, quelque deux semaines auparavant, et lui dis : « Je suis « d’accord avec vous pour les questions commerciales et financières « sur l’essentiel. Mais pourquoi, lorsque vous parlez en public, ne « dites-vous pas au peuple allemand qu’il devrait abandonner son « attitude belliqueuse ? » Il me répondit : « Je ne me hasarde pas à « dire de semblables choses. Je n’ai le droit de parler que des sujets « de ma spécialité. »

LE PRÉSIDENT

Et le suivant ?

LIEUTENANT BRYSON

Le paragraphe suivant dit : « Comment alors le peuple allemand pourra-t-il jamais connaître les véritables dangers de la guerre si personne ne lui fait entrevoir ce côté de la question ? Une fois de plus il insista sur son opposition à la guerre et ajouta qu’il avait usé de son influence sur Hitler — « Un très grand homme ! » s’écria-t-il — pour empêcher la guerre. Je lui dis : « Les journaux allemands ont reproduit ce que j’ai dit à Brême sur les relations commerciales entre nos pays, mais non mes paroles « relatives aux conséquences effroyables et à la barbarie de la guerre ». Il reconnut le fait et eut des paroles de désapprobation pour le ministère de la Propagande qui supprime tout ce qui lui déplaît. Il ajouta, comme je prenais congé de lui : « Voyez-vous, un parti « arrive au pouvoir grâce à la propagande ; il ne peut plus alors la désavouer ni l’arrêter ».

Cette conversation se place en septembre 1934.

LE PRÉSIDENT

Il est regrettable que cette date ne figure pas sur le document. Tel qu’il est rédigé, il peut prêter à confusion.

LIEUTENANT BRYSON

S’il plaît au Tribunal, la déposition sous serment déposée comme preuve nous donne les dates.

LE PRÉSIDENT

Oui. Je ne vous critique nullement ; néanmoins on peut faire une confusion, car les dates du 19 septembre et du 21 décembre semblent consécutives alors qu’elles sont à trois ans d’intervalle. Cela fait une différence !

LIEUTENANT BRYSON

C’est exact. Je regrette que l’extrait ne donne que le numéro des pages du document déposé et non les dates.

Schacht mit en action toutes les ressources de l’Allemagne pour créer une Wehrmacht qui donnerait à Hitler un instrument pour réaliser ses désirs de Lebensraum. Sur ce point, je dépose comme preuve EC-369 (USA-631) un mémorandum émanant de la Direction de la Reichsbank, signé de Schacht et destiné à Hitler, en date du 7 janvier 1939. Je désire lire le dernier paragraphe de la première page :

« Dès le début, la Reichsbank avait prévu le fait qu’il ne pourrait y avoir de politique étrangère efficace que par la restauration d’une Wehrmacht. Elle (la Reichsbank) a assumé là une très lourde responsabilité en finançant le réarmement en dépit des dangers de répercussion sur la monnaie. Sa justification était la nécessité, qui repoussait à l’arrière-plan toutes les autres considérations, de préparer sans délai l’armement en partant de rien et, qui plus est, sous camouflage ; armement qui rendait possible une politique étrangère qui nous ferait respecter. »

Il est clair que la « politique étrangère efficace », découlant, d’après Schacht, du réarmement, impliquait l’incorporation de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie. Je dépose comme preuve le document EC-297 (a) (USA-632), un discours de Schacht à Vienne après l’Anschluss, en mars 1938. Je cite à la troisième page, le deuxième paragraphe entier :

« Dieu merci, ces choses ne pouvaient pas après tout, arrêter en chemin le peuple de la Grande Allemagne, car Adolf Hitler a créé une communion de la volonté et de la pensée allemandes, qu’il a consolidée grâce à une Wehrmacht renforcée et il a donné finalement sa forme extérieure à l’union intime de l’Allemagne et de l’Autriche. »

En ce qui concerne le pays des Sudètes, je prie le Tribunal de se reporter au document EC-611, déjà déposé sous le n° USA-622. C’est un discours de Schacht du 29 novembre 1938, peu après l’accord de Munich. J’ai déjà lu une observation qui attribue le succès de Hitler, dans cette conférence, au réarmement rendu possible grâce aux mesures financières et économiques de Schacht.

L’ensemble des preuves que nous présentons au Tribunal montre que Schacht avait une conception agressive de l’expansion territoriale et permet d’affirmer qu’il fit alliance avec Hitler à cause de la coïncidence de leurs points de vue.

Nous allons maintenant démontrer que Schacht, qu’il ait voulu ou non la guerre, était pour le moins au courant des fins agressives de Hitler, auquel il fournissait les moyens. Il eut de multiples conversations avec Hitler entre 1933 et 1937. Il connaissait ses projets d’expansion à l’Est, c’est-à-dire ses projets de guerre, et son désir de donner au peuple allemand une victoire militaire. Je dépose sous le n° USA-633, le document PS-3727 qui est un extrait de l’interrogatoire préliminaire de Schacht du 13 octobre 1945. Voici page 2, fin de la deuxième question :

« Question.

Dans ce qu’il — Hitler — disait, qu’est-ce qui vous a fait croire qu’il était partisan de l’expansion à l’Est ?

« Réponse.

Cela se trouve dans Mein Kampf. Il ne m’a jamais parlé sur ce sujet mais il l’avait dit dans Mein Kampf.

« Question.

Autrement dit, comme n’importe quel lecteur du livre, vous avez compris que la politique d’expansion de Hitler était dirigée vers l’Est ?

« Réponse.

Vers l’Est.

« Question.

Et vous avez trouvé préférable de tenter de détourner Hitler de ce projet et de le pousser plutôt vers une politique coloniale ?

« Réponse.

Parfaitement. »

J’apporte une autre pièce à conviction, EC-458 (USA-634). C’est la déposition du commandant Edmund Tilley, en date du 21 novembre 1945, sur son entrevue avec Schacht le 9 juillet 1945. Je lis le deuxième alinéa :

« Au cours de cette conversation, Schacht me déclara qu’il avait eu de nombreux entretiens avec Hitler de 1933 à 1937 et qu’au cours de ces entretiens il avait acquis l’impression que le Führer croyait qu’il devait offrir au peuple allemand une victoire militaire, afin de consolider sa position et son régime. »

Dès 1934, Schacht exprima sa conviction que les nazis entraîneraient l’Europe dans la guerre. Je demande au Tribunal de se reporter au document EC-451, que j’ai déjà déposé sous le n° USA-626. C’est une déposition sous serment, en date du 15 novembre 1945, de Messersmith, consul général américain à Berlin de 1930 à 1934. Je vais lire cette fois la dernière phrase du troisième paragraphe de la première page.

LE PRÉSIDENT

Vous l’avez déjà lu.

LIEUTENANT BRYSON

Plaise au Tribunal. Je voudrais lire en outre un petit passage qui n’a pas été lu.

LE PRÉSIDENT

Vous avez lu le paragraphe entier. À notre invitation, vous avez lu le 3e paragraphe jusqu’au bas de la page.

LIEUTENANT BRYSON

Je voudrais lire la première phrase du paragraphe 4 de la première page.

LE PRÉSIDENT

Bien.

LIEUTENANT BRYSON

« Malgré toutes ces protestations, ses actes prouvaient néanmoins qu’il n’était rien d’autre qu’un instrument au service du programme nazi et des ambitions nazies et qu’il mettait toutes ses remarquables connaissances et son expérience au service de ce programme. »

LE PRÉSIDENT

Lieutenant Bryson, parlant en mon nom et au nom des autres membres du Tribunal, je pense que la meilleure méthode consiste, si possible, à examiner un document une fois pour toutes de façon à ne pas avoir à y revenir. Non seulement, c’est une perte de temps quand le Tribunal est obligé de revenir en arrière pour retrouver le document, mais encore nous avons une idée beaucoup plus juste d’un texte en l’examinant une fois pour toutes, même s’il se rapporte à plusieurs sujets. Je tiens à dire cela, bien qu’il vous soit sans doute impossible d’employer maintenant cette méthode, votre travail ayant été préparé différemment. Mais les orateurs qui vous succéderont pourront procéder à des modifications opportunes. Ainsi, quand vous voulez citer plusieurs paragraphes, même s’ils ont trait à des sujets différents, d’un même document, citez-les tous en même temps, dans la mesure du possible. Vous me suivez ?

LIEUTENANT BRYSON

Oui, Monsieur le Président. Mais nous avons organisé notre documentation de telle sorte que, les preuves se rapportant à différents points particuliers, nos citations ne peuvent être détachées des points auxquels elles se rapportent.

LE PRÉSIDENT

Je me rends compte des difficultés devant lesquelles vous vous trouvez.

LIEUTENANT BRYSON

En septembre 1934, l’ambassadeur Dodd a rapporté dans son journal une conversation avec Sir Eric Phipps à l’ambassade britannique à Berlin. Messieurs, je vais négliger ce document, car, pour répondre à une question du Tribunal, j’ai déjà lu un extrait de ce document qui se rapporte au même point que celui que je voulais traiter maintenant.

J’ai signalé tout à l’heure que Schacht, en septembre 1934, avait fait part à l’ambassadeur Dodd de sa connaissance des intentions belliqueuses du parti nazi ; et nous avions déjà démontré que, en 1935, Schacht avait déclaré que l’Allemagne, le cas échéant, se procurerait des colonies par la force. Il devait, à ce moment-là, connaître toute l’étendue des projets de Hitler. Après avoir assisté à un conseil des ministres du Reich, le 27 mai 1936 à Berlin, Schacht devait savoir que Hitler envisageait la guerre. Vous devez vous souvenir, Messieurs, qu’on a précédemment montré qu’au cours de cette réunion l’accusé Göring, qui était très intime avec Hitler, déclara que toutes les mesures devaient être prises en considération d’une guerre certaine et qu’il ne convenait plus d’attendre l’emploi de nouvelles méthodes. Je prie le Tribunal de se reporter au document PS-1301 que je ne lirai pas, car ce document a déjà été déposé comme preuve sous le numéro USA-123. Le 31 août 1936, le ministre de la guerre, von Blomberg, envoya à Schacht une copie d’une lettre adressée par lui, von Blomberg, à l’accusé Göring. Je renvoie de nouveau le Tribunal au document PS-1301, déjà déposé sous le n° USA-123, et je lis au milieu de la page 19. Les chiffres des pages se trouvent, Messieurs, dans le coin en haut à gauche :

« D’après un ordre du Führer, l’organisation de toutes les unités de la Luftwaffe doit être terminée pour le 1er avril 1937. En conséquence, des dépenses considérables devront être faites en 1936, dépenses qui, lorsqu’on a établi le budget de 1936, n’étaient prévues que pour les années suivantes. »

Cette intensification du programme des forces aériennes a certainement révélé à Schacht l’imminence de la guerre que Hitler avait pressentie.

Je dépose aussi comme preuve le document EC-416 (USA-635), qui est le procès-verbal de la réunion du Cabinet du 4 septembre 1936, à laquelle Schacht assista. Voici la déclaration de Göring, qui se trouve en haut de la page 2 :

« Le Führer et Chancelier du Reich a remis au Generaloberst et au ministre de la Guerre du Reich un mémorandum qui constitue une instruction générale. Il est entièrement basé sur l’idée qu’un règlement de comptes avec la Russie est inévitable. »

Schacht savait donc que Hitler envisageait une guerre avec la Russie. Il connaissait aussi ses ambitions à l’Est. Il devait lui apparaître clairement, alors, qu’une telle guerre résulterait de l’opposition russe à l’expansion militaire allemande dans cette direction. Ainsi, Schacht a dû savoir que cette guerre serait une guerre d’agression allemande.

En janvier 1937, le Tribunal se le rappelle, Schacht a déclaré à l’ambassadeur Davies à Berlin qu’il avait « été autorisé par son Gouvernement » à soumettre certaines propositions à la France et à l’Angleterre. Ces propositions, en fait, se bornaient à exiger des colonies sous menace de guerre. Si Schacht agissait d’après les instructions de Hitler, il était nécessairement au courant des intentions agressives de Hitler à ce moment-là.

En novembre 1937, Schacht savait que Hitler était décidé à obtenir l’Autriche et, tout au moins, l’autonomie pour les Allemands de Bohême. Il savait que Hitler avait en outre des visées sur le Corridor polonais. Le document L-151 déjà déposé sous le n° USA-70, est une lettre contenant le compte rendu d’une conversation entre Schacht et l’ambassadeur Bullitt, en date du 23 novembre 1937. Voici le dernier paragraphe de la page 2 :

« Hitler était décidé à rattacher finalement l’Autriche à l’Allemagne et à obtenir pour les Allemands de Bohême au moins l’autonomie.

À ce moment-là il ne manifestait pas un intérêt excessif pour le Corridor polonais. À son avis (celui de Schacht), il aurait été possible de laisser subsister ce Corridor si l’on permettait le rattachement de Dantzig à la Prusse orientale et si une sorte de pont pouvait être établi à travers ce Corridor, unissant Dantzig et la Prusse orientale à l’Allemagne.

Donc Schacht, si vous me permettez cette courte digression, parlait pour lui-même aussi bien que pour Hitler. Nous avons vu, d’après son discours du 29 mars 1938, à Vienne, son enthousiasme pour l’Anschluss qui venait d’être réalisé. Il travaillait encore alors activement à son achèvement. À ce sujet j’attire l’attention sur le procès-verbal (Tome II, page 372) où il est prouvé que Schacht avait subventionné le mouvement préliminaire d’agitation nazie en Autriche.

En plus des preuves directes que nous venons de donner, je demande au Tribunal de prendre en considération le fait qu’un homme comme Schacht n’avait aucune peine, d’après les événements, à saisir clairement les intentions de Hitler. Schacht était un collaborateur très proche de Hitler et fut membre du Cabinet durant la période de l’agitation nazie en Autriche, de l’introduction de la conscription, de la remilitarisation de la Rhénanie, de la chute du Gouvernement républicain en Espagne, de la conquête de l’Autriche et de l’acquisition du pays des Sudètes grâce à une démonstration de force.

Durant cette période, la dette du Reich tripla du fait de l’accroissement de l’armement. Les dépenses sont passées de 750.000.000 de Reichsmark en 1932 à 11.000.000.000 en 1937 et 14.000.000.000 de Reichsmark en 1938. Durant toute cette période 35.000.000.000 de Reichsmark furent dépensés en armements. Ce fut une période durant laquelle la question brûlante de la politique internationale européenne était la satisfaction à donner aux demandes répétées de l’Allemagne en nouveaux territoires. Hitler, décidé à une politique d’expansion, assumait de grands risques en politique étrangère et faisait porter le plus gros de ses efforts sur l’accélération du rythme de la préparation à la guerre. Certainement, dans cette situation, Schacht n’ignorait en rien qu’il prêtait son concours à Hitler et à l’Allemagne engagés sur la voie de l’agression armée.

Nous en arrivons maintenant au dernier point de notre exposé des preuves qui a trait à l’abandon par Schacht de ses fonctions sous le régime de Hitler. En novembre 1937, Schacht quittait ses fonctions de ministre de l’Économie et de plénipotentiaire général pour l’économie de guerre. En même temps, il acceptait le poste de ministre sans portefeuille et demeurait encore président de la Reichsbank.

Nous apporterons les preuves : a) que ce changement de situation ne fut pas autre chose que la manifestation de la lutte entre deux personnalités ambitieuses : Göring et Schacht, lutte dont Göring, plus intime avec Hitler, sortit vainqueur ; b) que la divergence de leurs politiques ne portait que sur la méthode du réarmement ; c) que l’abandon du pouvoir par Schacht n’implique en aucune façon un refus de prêter son concours à une agression armée.

Certes, il y eut un désaccord politique entre Göring et Schacht, mais il ne porta que sur la méthode à employer et nullement sur l’opportunité des préparatifs de guerre. Schacht insista sur l’importance du commerce extérieur comme source indispensable de matières premières pour le réarmement durant la période transitoire au cours de laquelle l’Allemagne n’était pas encore prête à frapper. Göring était, lui, promoteur d’une autarcie rigoureuse. Hitler soutint Göring, et Schacht, blessé dans sa vanité et plein d’amer ressentiment contre l’intrusion de Göring dans le domaine économique, finit par s’en aller.

Je prie le Tribunal de se reporter au document PS-1301 déjà déposé sous le n° USA-123, qui contient les notes d’une conversation entre Schacht et Thomas le 2 septembre 1936. Voici un passage de la page 21 :

« Le président Schacht m’a convoqué aujourd’hui à 13 heures et m’a demandé de faire savoir les faits suivants au ministre de la Guerre : Schacht est revenu de son entrevue avec le Führer dans la plus grande anxiété, car il ne pouvait donner son agrément au programme économique envisagé par le Führer.

« Le Führer veut prendre la parole au congrès du Parti à propos de la politique économique et tient à insister sur le fait que nous devons désormais employer toute notre énergie à nous affranchir des pays étrangers en produisant en Allemagne.

« Schacht demande instamment que le ministre de la Guerre du Reich dissuade le Führer de cette intention. »

Et, trois paragraphes plus loin :

« Si nous proclamons à l’étranger notre décision de nous rendre indépendants économiquement, nous nous coupons la gorge nous-mêmes parce que nous ne pourrons jamais passer le cap de l’inévitable période transitoire. »

Néanmoins, Hitler annonça le Plan de quatre ans d’autarcie quelques jours plus tard à Nuremberg et, contre les désirs de Schacht, Göring fut nanti des pleins pouvoirs dans le domaine du Plan de quatre ans.

Sur ce point, je renvoie, une fois de plus, le Tribunal à l’interrogatoire de Schacht du 16 octobre 1945 (USA-636) à la fin de la page 9 :

« Question

Et quand le Plan de quatre ans entra-t-il en vigueur ?

« Réponse

Il fut annoncé en septembre 1936, au congrès du Parti.

« Question

Voulez-vous dire que, depuis le jour de l’entrée en vigueur du Plan de quatre ans, en septembre 1936, vous étiez prêt à vous démettre de vos fonctions économiques ?

« Réponse

Non. À cette époque, je pensais pouvoir maintenir ma position, même contre Göring.

« Question

Oui. Dans quel sens ?

« Réponse

Qu’il n’interviendrait pas dans les affaires dont j’avais à m’occuper dans mon ministère.

« Question

En fait, sa nomination ne fut pas accueillie avec faveur par vous ?

« Réponse

Je n’aurais jamais nommé un homme comme Göring qui ne comprenait absolument rien à toutes ces questions.

Schacht et Göring se trouvèrent immédiatement aux prises dans un conflit de compétence. Le 26 novembre 1936, Göring rendit une ordonnance relative à la production de matières premières et de produits synthétiques. Le document EC-243 (USA-637) est la copie de cette ordonnance. Elle montre que l’Office des matières premières et des produits synthétiques de Göring se voyait attribuer le contrôle de vastes secteurs économiques précédemment entre les mains de Schacht. Par exemple, au paragraphe 5 de l’ordonnance, page 4 de notre document, nous lisons :

« L’élaboration du plan et la détermination de ses objectifs, aussi bien que le contrôle de l’exécution des tâches qui doivent être accomplies dans le cadre du Plan de quatre ans sont attribués à l’Office allemand des matières premières et des produits synthétiques, qui remplace les autorités qui étaient jusque là chargées de ces tâches. »

Le 11 décembre 1936, Schacht estima devoir ordonner à tous les services de l’Inspection du ministère de l’Économie de n’accepter des instructions que de lui-même. Voici, sous le n° EC-376 (USA-638), la circulaire de Schacht à tous les services de l’Inspection en date du 11 décembre 1936 ; je cite au second paragraphe :

« Les services de l’Inspection sont tenus de n’accepter des instructions que de moi seul. Ils doivent répondre à toutes les demandes officielles de renseignements de l’Office des matières premières et synthétiques, de façon à lui fournir tout renseignement, à n’importe quel moment, sur la plus grande échelle. »

Et, un peu plus loin :

« ...J’autorise ici les services de l’Inspection à prendre par eux-mêmes toutes mesures nécessaires. Dans les cas où des doutes pourraient s’élever au sujet des demandes des services ci-dessus et ne pourraient être dissipés par des négociations verbales avec les spécialistes de ces services, je dois être mis immédiatement au courant.

C’est moi qui déciderai alors, pour chaque cas particulier, des mesures à prendre. »

Les militaires prirent position en faveur de Schacht, qui avait si bien travaillé pour leur réarmement. Voici, sous le n° EC-420 (USA-639), le projet d’un mémorandum du « Wehrwirtschaftsstab » (état-major économique de l’Armée) daté du 19 décembre 1936.

« 1° La direction de l’économie de guerre dans le secteur civil en cas de guerre n’est possible qu’à celui qui, en temps de paix, a pris la pleine responsabilité des préparatifs de guerre.

« En considération de ce fait, le Dr Schacht, président de la Reichsbank, a été nommé il y a un an et demi, plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre et un personnel de direction a été attaché à son service.

« 2° L’état-major économique de l’Armée ne trouve pas compatible avec le principe établi au paragraphe 1, alinéa 1, le fait que le plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre soit maintenant placé sous l’autorité du ministre-président, le général Göring. »

En janvier 1937, la Militär Wochenblatt publia un article approuvant chaudement l’œuvre de Schacht dans le domaine du réarmement.

Sans en donner lecture, je dépose le document EC-383 (USA-640) qui contient cet article ; une citation pertinente en a déjà été faite dans le procès-verbal du 23 novembre (Tome II, page 227).

Très peu de temps après, Schacht essaya d’obtenir par la force une mise au point avec Göring en refusant provisoirement d’agir en qualité de plénipotentiaire. Voici, comme preuve à l’appui, une lettre de von Blomberg, ministre de la Guerre, à Hitler, en date du 22 février 1937, document EC-244 (USA-641), dont le second paragraphe dit :

« Le président de la Reichsbank, le Dr Schacht, m’a notifié qu’il ne prenait aucune mesure pour le moment en qualité de plénipotentiaire, car il est convaincu qu’il y a contradiction entre les pouvoirs qui lui sont conférés et ceux du général Göring. Par suite de cet incident, les mesures préparatoires de mobilisation dans le domaine économique sont retardées. »

Schacht utilisait manifestement l’importance de son rôle dans les préparatifs de guerre comme moyen de pression.

LE PRÉSIDENT

Lieutenant Bryson, est-ce que l’accusé Schacht admet dans son interrogatoire que la raison de sa démission fut sa divergence d’opinions avec l’accusé Göring ?

LIEUTENANT BRYSON

Oui, Monsieur le Président, et l’accusé Göring en fait lui-même état dans son interrogatoire.

LE PRÉSIDENT

Est-il bien nécessaire d’entrer dans les détails de leur querelle ?

LIEUTENANT BRYSON

Si le Tribunal veut bien admettre que telle fut la cause de la démission de Schacht...

LE PRÉSIDENT

Si tous les deux le reconnaissent !...

LIEUTENANT BRYSON

... et que la cause n’en fut pas son refus de partager les intentions agressives des nazis à cette époque, je serai parfaitement satisfait de m’en tenir aux preuves fournies par les interrogatoires de Schacht et de Göring.

LE PRÉSIDENT

Indique-t-il, dans son interrogatoire, que telle a pu en être la raison ?

LIEUTENANT BRYSON

J’en apporterai la preuve, Monsieur le Président. Mais notre accusation contre Schacht porte, au premier chef, sur le complot.

LE PRÉSIDENT

Si l’accusé Schacht désire se disculper sur ce point, vous pourriez demander à être entendu après lui pour réfuter ses déclarations.

LIEUTENANT BRYSON

Bien ; dans ces conditions nous éliminerons volontiers un certain nombre de détails de nos preuves, y compris la controverse entre Schacht et Göring et nous nous contenterons des interrogatoires.

LE PRÉSIDENT

Oui.

LIEUTENANT BRYSON

Messieurs, nous approchons de l’heure de la suspension d’audience. Peut-être pourrions-nous la mettre à profit pour apporter quelques modifications à notre dossier.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue.)
PROFESSEUR Dr HERBERT KRAUS (avocat de l’accusé Schacht)

Nous sommes d’accord pour que la question du dissentiment entre les accusés Göring et Schacht ne soit pas discutée plus longuement pour le moment. Mais nous y reviendrons et traiterons en détail la question de savoir dans quelle mesure ce dissentiment a été en rapport avec le projet d’une guerre d’agression.

LIEUTENANT BRYSON

Monsieur le Président, nous avons éliminé une partie de nos preuves. Je voudrais simplement déposer une lettre de Göring, et un interrogatoire de Schacht, ce qui mettra un point final à la question de leur dissentiment.

Le 5 août 1937, Schacht écrivit une lettre de critique à Göring, qui y répondit par une lettre de vingt-quatre pages, le 22 août 1937. La lettre de Göring analyse en détail leurs nombreuses divergences. Elle porte le n° EC-493 (USA-642) ; je n’en lirai simplement que cette déclaration au milieu de la page 13 :

« Pour finir, j’aimerais revenir encore sur les remarques que vous avez faites dans un paragraphe de votre lettre intitulée « Le Plan de quatre ans », à propos de votre attitude générale à l’égard de mon travail en matière de politique économique. Je sais, et je m’en réjouis, qu’au début du Plan de quatre ans, vous m’avez promis votre aide et votre collaboration les plus loyales et je sais que vous avez renouvelé plusieurs fois cette promesse, même après nos premières divergences d’opinions, qui se sont produites et qui ont été dissipées au cours de discussions approfondies. Je déplore d’autant plus d’avoir depuis peu l’impression — confirmée par votre lettre — que vous vous élevez de plus en plus contre mon travail au Plan de quatre ans. C’est ce qui explique pourquoi notre collaboration devient de moins en moins étroite... »

Schacht et Göring se réconcilièrent par un accord écrit du 7 juillet 1937, mais, par la suite, se trouvèrent à nouveau en désaccord et Hitler finalement accepta de Schacht sa démission de ministre de l’Économie, le 26 novembre 1937, tout en le nommant ministre sans portefeuille. Plus tard, la démission de Schacht fut étendue à son poste de plénipotentiaire pour l’Économie de guerre. Sans en donner lecture, je dépose comme preuve de ce fait le document EC-494 (USA-643).

Maintenant, enfin, je demanderai au Tribunal de se reporter à l’interrogatoire de Schacht, à la date du 16 octobre 1945, PS-3728 (USA-636) ; je citerai le bas de la page 12 :

« Réponse

Cela vous amusera peut-être si je vous dis que la dernière conversation » — c’est Schacht qui parle — « que j’eus avec Göring sur ce sujet, date de novembre 1937, à l’époque où Luther s’efforça, deux mois durant, de nous réconcilier et de m’engager à collaborer avec Göring et à conserver mon poste de ministre de l’Économie. J’eus alors un dernier entretien avec Göring et, à la fin de cet entretien, Göring dit : « Mais il faut que j’aie le droit de vous « donner des ordres. » Ce à quoi je répondis : « Pas à moi, mais à « mon successeur ! » Je n’ai jamais accepté d’ordres de Göring et ne l’aurais jamais admis car c’était un insensé en matière économique et j’avais, quant à moi, quelques notions sur la question.

« Question

Bien ; je comprends que ce fut entre Göring et vous une affaire personnelle qui alla en s’aggravant. Cela paraît tout à fait. évident.

« Réponse

Certainement.

De toutes ces preuves copieuses et substantielles, il ne ressort pas la plus légère indication que la démission de Schacht de ses deux postes ait représenté une rupture avec Hitler au sujet du projet d’agression militaire. En vérité, Hitler était enchanté que Schacht continuât à servir le Gouvernement en tant que président de la Reichsbank et ministre sans portefeuille. Je dépose le document L-104 (USA-644) qui consiste en une lettre envoyée au secrétaire d’État des États-Unis par l’ambassadeur Dodd, le 29 novembre 1937, contenant une traduction d’une lettre du 26 novembre 1937 de Hitler à Schacht. Je cite les deux dernières phrases de la lettre de Hitler, page 2 du document :

« Si je réponds à votre désir, c’est en vous exprimant ma plus profonde gratitude pour vos excellentes réalisations et avec la conviction que, comme président du directoire de la Reichsbank, vous rendrez profitables pour le peuple allemand et moi-même, pendant de nombreuses années encore, vos remarquables connaissances, votre habileté et votre zèle infatigable. Ravi à l’idée que vous acceptez en outre d’être à l’avenir mon conseiller personnel, je vous nomme dès aujourd’hui ministre du Reich. »

Schacht continua donc, toujours en parfait accord apparemment avec les desseins agressifs de Hitler. Il était encore président de la Reichsbank au moment de la prise de l’Autriche en mars 1938. En fait, la Reichsbank absorba la Banque nationale autrichienne. Sur ce point, je prie le Tribunal de se référer au Reichsgesetzblatt 1938, partie 1, page 254, et de bien vouloir en prendre acte. De plus, Schacht participa aussi au plan d’absorption de l’Autriche. Je dépose comme preuve à ce sujet le document EC-421 (USA-645) qui consiste en extraits du procès-verbal d’une réunion de l’État-Major du général Thomas le 11 mars 1938, à 15 heures. Je cite :

« Le lieutenant-colonel Hünerm lit l’instruction du Führer du 11 mars relative à l’« action Otto » et nous informe que la loi sur l’effort de guerre entre en vigueur aujourd’hui. Puis il lit les directives 1 et 2, donne toutes les instructions particulières pour que les troupes franchissent la frontière autrichienne. En conséquence, suivant une suggestion de Schacht, aucune réquisition ne sera pratiquée, mais toutes les opérations d’achat se feront en Reichsmark sur la base de 2 schillings pour un Reichsmark. »

Sur la conversion du schilling autrichien, je prie le Tribunal d’admettre aussi comme faisant foi le Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 405.

Le Tribunal, naturellement, est déjà au courant de l’approbation publique de l’Anschluss donnée par Schacht dans son discours de Vienne du 21 mars 1938 et vous vous souvenez, Messieurs, de la fierté de Schacht quand, au cours de la conférence de Munich, Hitler fit état du réarmement de la Wehrmacht, sentiment qu’il exprima dans son discours du 29 novembre 1938.

Ces deux discours sont postérieurs à sa démission de novembre 1937.

Nous en venons maintenant à la démission de Schacht de ses fonctions de président de la Reichsbank en janvier 1939. La raison de cet événement est tout à fait claire. Schacht perdit confiance dans la capacité de crédit du Reich et se sentit paralysé par la crainte d’un écroulement financier. Il pensa que le niveau maximum de la production était désormais atteint, si bien qu’une augmentation de la circulation fiduciaire ne pourrait que déprécier la monnaie et occasionner une inflation. Avec de telles idées, il ne pouvait plus être utile à Hitler, qui était sur le point de frapper et désirait utiliser à des fins militaires la plus petite parcelle de crédit dont disposait le Gouvernement. Je renvoie le Tribunal au document EC-369 que j’ai précédemment déposé sous le n° USA-631. C’est un mémorandum de la direction de la Reichsbank adressé à Hitler, le 7 janvier 1939, dans lequel Schacht énumère en détail ses craintes d’une inflation. La gravité de la situation transparaît à la lecture de l’ensemble du texte. Je ne citerai que quelques passages parmi les plus significatifs. Voici, au dernier paragraphe de la page 3, la seconde phrase :

« Nous nous trouvons, toutefois, devant le fait qu’environ 3.000.000.000 de Reichsmark de ces traites ne peuvent être payés maintenant, bien qu’elles soient arrivées à échéance en 1939. »

Dans la première moitié de la page 4, nous trouvons :

« Sans compter celles de la Reichsbank, il y a environ 6.000.000.000 de Reichsmark de traites Mefo qui peuvent être présentées à l’escompte à n’importe quel moment à la Reichsbank, et ce fait représente un danger permanent pour la monnaie. »

Enfin, je cite le paragraphe de la conclusion du mémorandum :

« Nous sommes convaincus que les effets sur la monnaie, de la politique des dix derniers mois, peuvent être corrigés et que le danger d’une inflation peut être éliminé une fois de plus, en maintenant strictement l’équilibre du budget. Le Führer et Chancelier du Reich a lui-même publiquement, à diverses reprises, rejeté l’inflation, parce que stupide et stérile.

« En conséquence, nous proposons les mesures suivantes :

« 1. Le Gouvernement du Reich, comme tous les services publics, ne doit pas engager des dépenses ni assumer des garanties et des obligations qui ne peuvent être couvertes par des impôts ou par les fonds qui peuvent être obtenus par des emprunts sans troubler le marché des capitaux à long terme.

« 2. Pour que ces mesures soient efficaces, le ministre des Finances du Reich doit de nouveau obtenir le contrôle financier de toutes les dépenses publiques.

« 3. Le contrôle des prix et des salaires doit être rendu effectif. Les inconvénients exposés doivent disparaître.

« 4. La Reichsbank doit seule décider si l’on doit faire appel au marché de l’argent et des capitaux. »

Il est clair que la crainte de Schacht était justifiée et explique à elle seule son retrait de la scène. Il avait de bonnes raisons de s’effrayer. En fait, le ministre des Finances s’était déjà rendu compte de la situation en septembre 1938. Je prie le Tribunal de se reporter au document EC-419 (USA-621), déjà déposé comme preuve et qui consiste en une lettre de Krosigk à Hitler, datée du 1er septembre 1938, dans laquelle Krosigk l’avise de l’imminence d’une crise financière. Je cite au bas de la page 2 :

LE PRÉSIDENT

Cela ne fait-il pas double emploi avec ce que vous avez déjà lu ?

LIEUTENANT BRYSON

Nous nous ferons un plaisir de le passer sous silence, Monsieur le Président ; ce document fait effectivement double emploi.

Schacht craignait non seulement une crise financière, mais il craignait aussi d’en être personnellement tenu pour responsable. Je dépose une déclaration sous serment d’Emil Puhl, l’un des directeurs de la Reichsbank et collaborateur de Schacht, datée du 8 novembre 1945. Elle porte le n° EC-438 (USA-646). Je cite au bas de la deuxième page :

« Quand Schacht vit que la situation périlleuse dont il était responsable devenait insoluble, il fut de plus en plus impatient d’en sortir. Ce désir de sortir d’une mauvaise situation fut longtemps le leitmotiv des conversations de Schacht avec les directeurs de la banque. »

Schacht se tira enfin de ce mauvais pas en apportant délibérément sa démission de président de la Reichsbank. Je verse au dossier le document PS-3731 (USA-647), qui consiste en extraits d’un interrogatoire de von Krosigk, en date du 24 septembre 1945. Je désire lire plusieurs de ses déclarations, en commençant tout au bas de la page 2 :

« Je demandais à Schacht de faire l’avance à l’État au delà de l’échéance de la fin du mois, d’une somme de 100.000.000 ou 200.000.000. C’était le procédé tout à fait courant que nous employions depuis des années ; l’argent était habituellement restitué par nos soins quelques jours plus tard. Cette fois, Schacht refusa et dit qu’il ne voulait pas faire l’avance d’un pfennig, parce qu’il voulait, prétendait-il, montrer clairement à Hitler que le Reich faisait banqueroute. Je tentai d’expliquer que ce n’était pas là une raison valable pour mettre en jeu l’ensemble du problème financier, car la question de l’avance de très petites sommes au delà de l’échéance de la fin du mois n’amènerait jamais Hitler à la conviction que l’ensemble du financement était impossible. Autant que je m’en souvienne maintenant, ce fut Funk qui entretint Hitler de cette conversation ; Hitler demande alors à Schacht de se rendre auprès de lui. Je ne sais ce qu’ils dirent mais le résultat certain fut le congédiement de Schacht. »

LE PRESIDENT

Pouvez-vous me donner à nouveau la référence du document que vous venez de lire.

LIEUTENANT BRYSON

C’est l’interrogatoire de von Krosigk en date du 24 septembre 1945. Je désire lire encore la suite, page 3 :

« Question

Maintenant, Schacht vous a-t-il jamais dit quelque chose au sujet de son désir de résilier ses fonctions parce qu’il se trouvait opposé à la poursuite du programme de réarmement ?

« Réponse

Non, il ne l’a jamais formellement dit ; mais, au cours de plusieurs conversations, il m’a tellement ressassé, selon sa manière habituelle, ses différends avec Göring... que, pour cette raison même je ne pris pas ces choses très au sérieux.

« Question

Bien. Je vais poser la question sous une autre forme ; veuillez y réfléchir sérieusement. Schacht a-t-il jamais dit qu’il voulait se retirer parce qu’il réalisait que l’ampleur du programme de réarmement était telle qu’elle l’avait amené à conclure qu’il s’agissait de préparatifs de guerre plutôt que de défense ?

« Réponse

Non, jamais il n’a dit cela.

« Question

Des propos semblables de Schacht vous ont-ils jamais été rapportés par un collègue ou par quelqu’un d’autre ?

« Réponse

Non.

« Question

Et après l’accession de Keitel au poste de chef de la Wehrmacht, avez-vous eu encore des réunions avec Schacht et Keitel à la place de Blomberg ?

« Réponse

Oui.

« Question

Schacht a-t-il jamais dit à ces réunions quoi que ce soit indiquant que, hormis la question technique du financement direct par la Reichsbank, il était opposé à un programme ultérieur de réarmement ou opposé au budget de la Wehrmacht ?

« Réponse

Non, je ne pense pas qu’il l’ait jamais fait. »

L’accusé Göring a, lui aussi, confirmé ce témoignage. De l’interrogatoire de Göring en date du 17 octobre 1945, n° PS-3730 (USA-648), je lis la deuxième moitié de la page 3 :

« Question

Je veux vous poser cette question précise : Schacht fut-il relevé de ses fonctions à la Reichsbank par Hitler pour avoir refusé de participer plus longtemps au programme de réarmement ?

« Réponse

Non, mais en raison de son attitude tout à fait impossible dans cette question d’avance, qui n’avait aucun rapport avec le programme de réarmement. »

Hitler releva Schacht de ses fonctions de la Reichsbank le 20 janvier 1939. Je dépose comme preuve, sans en donner lecture, le document EC-398 (USA-649), une simple note de Hitler à Schacht lui annonçant sa révocation.

De tout ce qui précède, il ressort clairement que la révocation de Schacht ne fut en aucune façon consécutive à une divergence de vues avec Hitler au sujet de l’agression projetée. On peut encore s’en rendre compte à la lecture du document EC-397 (USA-650) qui est une lettre de Hitler à Schacht datée du 19 janvier 1939 :

« À l’occasion de votre départ du poste de président du conseil de la direction de la Reichsbank, je saisis l’occasion de vous exprimer ma très sincère et très vive gratitude pour les services que vous avez rendus d’une façon répétée à l’Allemagne et à moi personnellement, en cette qualité, durant de longues et difficiles années. Votre nom, avant tout, restera lié pour toujours à cette première période du réarmement national. Je me réjouis de pouvoir encore compter sur vos services pour mener à bien de nouvelles tâches à votre poste de ministre du Reich. »

En fait, Schacht resta ministre sans portefeuille jusqu’en janvier 1943.

Je désire conclure en disant qu’il est prouvé : premièrement que l’œuvre de Schacht fut indispensable à l’accession de Hitler au pouvoir et au réarmement de l’Allemagne ; en second lieu, que Schacht personnellement envisageait favorablement une agression et qu’il savait que Hitler projetait et réaliserait un jour une rupture de la paix ; et troisièmement que Schacht se retira de la scène publique pour des raisons sans nul rapport avec l’imminence d’une agression illicite.

Aussi longtemps qu’il resta au pouvoir, Schacht mit dans son œuvre autant d’empressement que tous ses collègues à la préparation d’une guerre d’agression. Son activité dans ce domaine fut indubitablement efficace et précieuse. Son aide dans la première phase du complot rendit possible les crimes ultérieurs. Sa retraite ne fut pas le résultat d’un sentiment de réprobation contre l’emploi de la guerre d’agression à des fins de politique nationale. Il lutta personnellement pour se maintenir à son poste. Au moment où il le perdit, il avait déjà achevé son œuvre dans le complot : pourvoir Hitler et ses collègues des moyens pratiques et du plan économique nécessaires pour lancer et soutenir l’agression. Nous ne croyons pas que, ayant préparé la Wehrmacht pour un assaut contre le monde, il lui soit permis maintenant de gagner un refuge en alléguant qu’il avait quitté le pouvoir avant que le coup n’ait été frappé.

J’en ai terminé avec les charges relevées à rencontre de l’accusé Schacht. Le lieutenant Meitzer me succédera pour vous exposer les charges du Ministère Public américain contre l’accusé Funk.

LIEUTENANT J. G. BERNARD D. MELTZER (substitut du Procureur général américain)

Plaise au Tribunal. Les documents relatifs à la responsabilité de l’accusé Funk ont été rassemblés dans un livre de documents marqué des lettres « HH » qui a été joint au dossier du Tribunal. Ce livre a également été mis à la disposition de la Défense, tout comme les autres pièces du dossier. Les documents ont été rangés dans ce livre dans l’ordre de leur présentation. De plus, afin que l’on puisse aisément s’y reporter, les pages du livre de documents dans cet ordre ont été numérotées en rouge. Je tiens à faire connaître l’aide inestimable que m’a apportée pour le choix et l’analyse de ces documents M. Sydney Jacoby, qui se tient à ma droite.

Nous avons l’intention de présenter les preuves de la participation de l’accusé Funk à cinq phases différentes du complot :

premièrement, sa participation à la prise du pouvoir par les nazis ;

deuxièmement, son rôle au ministère de la Propagande et dans les services qui y étaient rattachés, sa responsabilité dans les activités de ce ministère ; troisièmement, sa responsabilité dans l’implacable élimination des Juifs, d’abord des professions dites culturelles, puis de toute l’économie allemande ; quatrièmement, sa collaboration à l’oeuvre capitale nazie, à laquelle toutes les autres étaient subordonnées : la préparation de la guerre d’agression. Nous avons enfin l’intention de mentionner brièvement les preuves relatives à sa participation active à la conduite de la guerre d’agression.

Passons d’abord en revue les preuves de l’activité de l’accusé pour favoriser l’accession des conspirateurs au pouvoir et la consolidation de leur contrôle sur l’Allemagne.

Peu après son adhésion au parti nazi en 1931, l’accusé Funk commença à occuper des postes importants, d’abord au sein même du Parti, puis au sein du Gouvernement nazi. Les principaux postes de Funk ont été énumérés dans le document PS-3533, qui est une déclaration signée à la fois par l’accusé Funk et par son avocat. Ce document a été enregistré dans les quatre langues en usage dans ces débats et une copie dans leur propre langue se trouve dans chacun des livres de documents remis aux membres du Tribunal. Nous demandons que ce document USA-651 soit admis comme preuve sans que nous soyons obligés d’en donner intégralement lecture.

Le Tribunal remarquera que des ratures et des réserves ont été faites après certains articles de ce texte. Elles ont été insérées par l’accusé Funk. Les mots qu’il a biffés ont été mis entre parenthèses ; ses commentaires sont soulignés et suivis d’astérisques.

Nous voudrions éviter d’importuner le Tribunal avec une discussion détaillée de tous les points contestés. Aussi avons-nous réuni dans le document PS-3563 des extraits de certaines publications allemandes qui s’y rapportent et ce document a, lui aussi, été traduit dans les quatre langues. D’ailleurs, nous pensons que le Tribunal pourrait à bon escient accorder force probante aux publications citées dans ce document. De toute façon, pour que l’on puisse facilement s’y reporter, nous demandons que ce document soit admis comme preuve sous le n° USA-652.

Au sujet de l’article « b », en haut de la page 1 du document PS-3533, vous verrez, Messieurs, que l’accusé Funk a en effet nié avoir été le conseiller économique personnel de Hitler vers 1930. Cependant, les extraits de quatre publications allemandes reproduites pages 1 et 2 du document PS-3563 contredisent formellement cette assertion.

Nous pensons qu’il ressort clairement de ces deux documents que l’accusé Funk, après avoir adhéré au Parti, commença à agir comme l’un des familiers les plus étroits du cercle nazi. En outre, en tant que théoricien économique du Parti durant les jours critiques de 1932, il contribua d’une façon significative à la conquête de la masse en rédigeant ses slogans économiques. À ce sujet, je mentionnerai le document PS-3505 qui est une biographie intitulée : Walter Funk. Une vie au service de l’économie. Cette biographie fut écrite en allemand par un certain Oestreich et publiée par la maison centrale d’éditions du parti nazi. Je la dépose comme preuve sous le n° USA-653. Je citerai maintenant le milieu de la page 1 de la traduction qui correspond à la page 81 du texte allemand :

« En 1931, il — Funk — devint membre du Reichstag. Un document de son activité à l’époque est constitué par « le programme de construction économique de la NSDAP », qu’il rédigea pendant la seconde partie de 1932. Il reçut l’approbation d’Adolf Hitler et l’obligation de s’y conformer fut décidée pour tous les chefs de Gau, les orateurs parlant de cette question économique, les conseillers économiques des Gaue et autres membres du Parti. »

Ainsi, les slogans de l’accusé Funk devinrent l’évangile économique des organisateurs et des « enchanteurs » du Parti.

L’accusé Funk, cependant, fut plus qu’un simple théoricien économique du parti nazi : il fut aussi enrôlé dans la tâche foncièrement utilitaire de solliciter des souscriptions pour la campagne électorale du Parti. Homme de liaison entre le Parti et les gros industriels allemands, il contribua à obtenir à Hitler l’appui financier et politique des industriels. L’accusé Funk, dans son interrogatoire du 4 juin 1945, admit qu’il aida à financer la campagne électorale si cruciale de 1932. Je dépose comme preuve le document PS-2828 (USA-654) et je cite au bas de la page 43 :

LE PRÉSIDENT

Lieutenant Meitzer, tout cela ne fait-il pas double emploi ? N’est-ce pas la preuve détaillée de ce que l’accusé Funk a reconnu en gros comme entrant dans ses attributions ? Page 1, vous voyez qu’il reconnaît avoir été membre du parti nazi, chef de la division centrale du parti nazi, président du Comité de politique économique du Parti ; puis il explique de a jusqu’à u les différents postes qu’il a occupés et qu’il reconnaît avoir occupés. Mais il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails de ces attributions.

LIEUTENANT MELTZER

Messieurs, sa reconnaissance de toute cette liste de postes n’indique pas du tout, à notre avis, la participation de l’accusé Funk à la perception de fonds pour le parti nazi.

LE PRÉSIDENT

La perception de fonds ?

LIEUTENANT MELTZER

Oui, la perception de fonds. Car on peut déduire, du fait qu’il a occupé certains postes, qu’il a sollicité des souscriptions pour la campagne électorale. Cependant, il nous a semblé opportun de mettre en lumière, très rapidement d’ailleurs, ce côté de son activité.

LE PRÉSIDENT

Très bien, si vraiment il n’y a rien dans l’énumération de ses attributions qui soit relatif à ce dont vous allez vous occuper ; bien, vous pouvez continuer.

LIEUTENANT MELTZER

L’accusé Funk, dans un interrogatoire du 4 juin 1945, reconnut, comme je l’ai dit il y a un instant, avoir apporté son concours au financement de cette campagne électorale si cruciale.

LE PRÉSIDENT

Voyez-vous, lieutenant Meltzer, le point que vous venez de traiter si parfaitement est en somme sa contribution à la prise du pouvoir. Or, presque tous les points énumérés de a jusqu’à u, page 1, et reconnus par lui, sont des preuves de cette contribution à la prise du pouvoir. Est-ce votre dessein de nous prouver qu’il aida à percevoir des fonds ? La contribution à la prise du pouvoir n’est pas un crime en soi, ce n’en est qu’un élément.

LIEUTENANT MELTZER

Très bien, Monsieur le Président. Il est néanmoins un aspect de son activité dont je voudrais faire mention ; il est relatif à cette question de perception de fonds. Il assista à une réunion à Berlin, au début de 1933. Je tiens à me reporter au document enregistré à cette réunion pour montrer que Göring et Hitler y exposèrent certains principes fondamentaux du programme nazi. Ce rapport se trouve dans le document PS-2828, à la page 28 du livre de documents, d’où j’extrais ces quelques questions et réponses :

« Question

On nous a dit que vers 1933 certains industriels assistèrent à une réunion dans la maison de Göring avant l’élection de mars. Savez-vous quelque chose à ce sujet ?

« Réponse

J’étais présent à la réunion. L’argent ne fut pas demandé par Göring, mais par Schacht. Hitler quitta la pièce ; alors Schacht fit une allocution demandant de l’argent pour les élections. Je n’étais là que comme observateur impartial, étant donné mes relations amicales avec les industriels. »

La caractère et l’importance de l’action de Funk auprès de gros industriels sont mis en relief dans la biographie de Funk dont j’ai déjà parlé et j’attire simplement l’attention du Tribunal sur les pages 83 et 84 de ce livre.

LE PRÉSIDENT

Je ne comprends pas pourquoi vous avez lu ce passage. Si vous vouliez prouver qu’il assistait à cette réunion, il était suffisant de dire qu’il y assistait. Je ne pense pas que les deux phrases que vous avez lues nous aient avancé en quoi que ce soit.

LIEUTENANT MELTZER

Le but de cette citation, Messieurs, n’est pas de mentionner la réunion elle-même, mais la biographie qui fait étalage de la contribution de Funk à l’accession des nazis au pouvoir. Je croyais qu’il était intéressant pour le Tribunal de voir l’opinion d’un écrivain allemand sur cet aspect de la carrière de l’accusé.

LE PRÉSIDENT

Ces phrases me semblaient mentionner seulement la réunion.

LIEUTENANT MELTZER

Messieurs, je me reporte aux pages 32 et 33 du livre de documents ; et, pour éclaircir ce point, je désirerais lire un bref passage de la biographie :

« Non moins important que son rôle en 1931 et 1932 dans l’établissement des programmes, fut le rôle que Funk remplit à la même époque en qualité d’homme de liaison du Führer auprès des chefs allemands de l’économie, de l’industrie, des affaires, du commerce et des finances. Nouées au cours de sa carrière antérieure, ses relations personnelles avec les chefs de l’économie allemande étaient profondes et étendues. Il put alors les enrôler au service d’Adolf Hitler, étant à même non seulement de répondre à leurs questions avec autorité, mais encore de les convaincre et d’obtenir leur appui pour le Parti. À ce moment-là c’était un travail d’une importance primordiale ;

chaque succès obtenu signifiait un renforcement moral, politique et économique du potentiel combattif du Parti et contribuait à abattre le préjugé que le national-socialisme était simplement un parti de haine de classes et de lutte de classes.

LE PRÉSIDENT

À nouveau je ne crois pas que cette lecture nous ait avancé en quoi que ce soit.

LIEUTENANT MELTZER

Après que Funk eut aidé Hitler à devenir Chancelier, il participa, en tant que chef de la presse du Gouvernement allemand, aux premières réunions de Cabinet, au cours desquelles les conspirateurs établirent le plan stratégique qui assurerait l’adoption du décret d’urgence du président, le 24 mars 1933. La présence de Funk à ces réunions est révélée par les documents PS-2962 qui a déjà été déposé comme preuve, et PS-2963 (USA-656). Le Tribunal se souviendra que ce décret marqua la véritable prise du pouvoir politique en Allemagne. Peu après, l’accusé Funk assuma une charge très importante au ministère de la Propagande. Ses archives montrent que ce ministère fut l’une des plus importantes et des plus néfastes institutions nazies et que cette propagande fut fondamentale pour la réalisation du programme nazi, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Allemagne. Nous n’avons pas l’intention de revenir à nouveau sur ces détails, mais nous désirons néanmoins vous prouver, comme nous l’avons indiqué, que l’accusé Funk joua un rôle prépondérant dans ces activités de propagande. Ce ministère fut créé le 13 mars 1933 : Goebbels en était le chef et l’accusé Funk, en sa qualité de secrétaire d’État, le chef en second. Secrétaire d’État, l’accusé Funk fut non seulement le principal adjoint de Goebbels, mais aussi l’organisateur de cette machine énorme et compliquée que fut la propagande. Je verserai au dossier le document PS-3501 (USA-657), à la page 47 du livre de documents. C’est une déposition sous serment faite le 19 décembre 1945 par Max Amann qui fut chef de la presse et président de la Chambre de presse du Reich. Je voudrais lire la seconde phrase du paragraphe 1 et le paragraphe 2 :

« Tout en assumant les charges et responsabilités qui m’étaient confiées, je parvins à me familiariser avec la marche de l’organisation du ministère de la Propagande et de l’Éducation du Reich. Walter Funk était en fait le ministre de la Propagande et de l’Éducation, et dirigeait le ministère. Funk était l’âme du ministère ; sans lui, Goebbels n’aurait pas pu l’édifier. Goebbels me déclara une fois que Funk était son « homme le plus efficace ». Funk exerça un contrôle puissant sur tous les moyens d’expression en Allemagne : sur la presse, le théâtre, la radio et la musique. En tant que chef de la presse au ministère, Funk avait des rencontres quotidiennes avec le Führer et dans sa conférence de presse quotidienne, il donnait les directives sur les sujets à traiter dans la presse allemande. »

En plus de son poste de sous-secrétaire, Funk avait d’autres occupations importantes au ministère de la Propagande dans les agences qui en dépendaient. Ces fonctions ont déjà été énumérées dans le document PS-3533. Je voudrais néanmoins me référer plus particulièrement à sa fonction de vice-président de la Chambre culturelle du Reich. Ce poste était, bien entendu, en rapport avec ses fonctions au ministère de la Propagande.

En cette double qualité, il poursuivait conjointement deux politiques nazies vitales et corrélatives. La première était l’embrigadement de toutes les activités créatrices en vue des objectifs politiques et militaires nazis. La seconde concernait l’élimination de tous les Juifs et dissidents des professions soi-disant culturelles. Un exposé complet des méthodes par lesquelles ces objectifs furent atteints est constitué par le dossier déposé comme élément du livre de documents E. En conséquence, nous n’entrerons pas maintenant dans les détails, à moins que le Tribunal n’en exprime le désir.

Étant donné le rôle capital de Funk au ministère de la Propagande, il est naturel de trouver des écrivains nazis qui ont nsisté sur sa responsabilité dans la perversion nazie du domaine culturel. Je signalerai simplement au Tribunal les pages 94 et 95 de la biographie d’Oestreich dont j’ai déjà fait mention.

Quand l’accusé Funk quitta le ministère de la Propagande et devint ministre de l’Économie en 1938, il continua à développer le programme anti-juif. Par exemple, le 14 juin 1938, il signa un décret établissant l’enregistrement des entreprises juives. Ce décret qui servit de base à l’impitoyable persécution économique qui suivit, se trouve dans le Reichsgesetzblatt 1938, partie 1, page 627. Nous demandons que le Tribunal veuille bien lui accorder force probante ainsi qu’à tous les autres documents qui y sont joints. J’ajoute que l’exposé écrit sur l’accusé Funk donne les numéros des traductions de décrets et autres publications allemandes que nous demandons au Tribunal d’admettre comme preuve.

LE PRÉSIDENT

Pensez-vous qu’il soit opportun de suspendre l’audience ?

LIEUTENANT MELTZER

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Avant de suspendre l’audience, Sir David Maxwell-Fyfe, je vois qu’un membre du Ministère Public, le colonel Phillimore, je crois, propose de citer plusieurs témoins. Le Tribunal voudrait savoir quels sont ces témoins et à quels sujets se rapporteront leurs témoignages ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Le Tribunal désire-t-il le savoir immédiatement ? Je suis prêt à le lui faire connaître, s’il le veut.

LE PRÉSIDENT

Nous préférerions, si vous le pouvez.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Oui. Le premier témoin est le capitaine de corvette Möhle qui était capitaine à l’État-Major de l’accusé Dönitz ; il déposera sur la transmission de l’ordre donné par Dönitz, le 17 septembre 1942. Ce sera, je crois, le point principal de sa déposition. Il traitera aussi, je crois, de la destruction d’embarcations de sauvetage, mais le point principal demeure le premier.

Le second témoin est le lieutenant Heisig. Il traitera principalement des instructions de l’accusé Dönitz dans lesquelles il conseillait l’extermination des équipages de navires marchands. Tel est le sens général de ce témoignage.

LE PRÉSIDENT

Je vous remercie.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)