TRENTE-TROISIÈME JOURNÉE.
Lundi 14 janvier 1946.
Audience du matin.
Voulez-vous faire entrer le témoin ? Je crois que l’un des avocats de la Défense tient à procéder à son contre-interrogatoire.
Je me bornerai à poser au témoin quelques questions concrètes que je crois nécessaires pour éclairer ses précédentes déclarations et enrichir également notre propre information.
Le témoin a été interné de 1941 à 1945 dans un camp de concentration. Il devrait pouvoir, à mon avis, nous renseigner avec précision sur les conditions qui ont régné dans ces camps, d’autant plus que sa mémoire, comme il ressort de sa précédente déposition, paraît excellente.
(Se tournant vers le Dr Blaha.)
Pouvez-vous nous dire comment varia avec le temps le nombre des détenus politiques par rapport à celui des détenus de droit commun ? Quels étaient approximativement à Dachau les effectifs des détenus politiques et des détenus de droit commun ?
À Dachau, le pourcentage a varié. Parmi les prisonniers, il y avait lieu de distinguer : les prisonniers politiques, les criminels de droit commun et les éléments « asociaux » dénommés « les noirs ». Cette classification ne vaut naturellement que pour les détenus allemands. Les ressortissants d’autres pays étaient tous considérés comme politiques. Seuls les détenus allemands pouvaient être répartis en prisonniers « rouges », « verts » et « noirs ». D’ailleurs, même parmi les Allemands, il y avait une grosse majorité de prisonniers politiques.
Pouvez-vous approximativement donner des chiffres ? Un quart, la moitié, les trois quarts des prisonniers ?
Excusez-moi, je n’entends pas très bien.
Pouvez-vous citer des chiffres ? Combien de détenus politiques, la moitié, les trois quarts ? Pouvez-vous donner un chiffre approximatif ?
On peut dire que sur environ 5.000 prisonniers allemands, il y avait 3.000 politiques, les 2.000 autres étant considérés comme « verts » ou « noirs ».
Est-ce que cette proportion se maintint durant les quatre ou cinq dernières années ?
Non, elle varia de différentes façons. Il y eut beaucoup de décès ; quelques départs aussi ; beaucoup de mobilisés ; et de nombreux nouveaux arrivants. Durant les dernières années, le nombre des prisonniers politiques s’accrut de plus en plus ; beaucoup de « verts » furent en effet envoyés au front.
Quel fut leur nombre total en 1941, 1943 et 1945 respectivement ?
Voulez-vous dire le nombre total des prisonniers ?
Oui, le nombre total des prisonniers.
En 1941, il y avait de 8.000 à 9.000 internés. En 1943, de 15.000 à 20.000, et à la fin 1944-début 1945, il y en eut plus de 70.000 à 80.000.
Une autre question. Vous avez déclaré avoir tout d’abord travaillé dans « les plantations ». Qu’entendez-vous par ce terme « plantations » ?
C’était un vaste domaine des SS où ils faisaient cultiver des herbes médicinales, des plantes aromatiques et autres.
Cette plantation était-elle située à l’intérieur du camp ?
Non, elle était située à l’extérieur dans le voisinage immédiat du camp. On y était libre.
Vous avez également parié de travaux dans des ateliers d’armement. D’après votre déposition, ces ateliers étaient en partie situés à l’intérieur, en partie à l’extérieur du camp. Est-ce exact ?
À l’origine, ces usines d’armement étaient uniquement situées à l’extérieur du camp. Puis, avec les bombardements, certains de leurs ateliers furent transférés à l’intérieur du camp.
Quel était l’effectif des gardiens du camp en 1941 ?
Pour assurer la garde proprement dite du camp, il y avait habituellement trois compagnies de SS. Mais il existait en outre, à Dachau même, une forte garnison de SS et une « Kommandantur ». De temps en temps, quand c’était nécessaire, on prenait des gardes dans les autres unités SS. Cela variait et dépendait du nombre de gardiens dont on avait besoin. Mais normalement, trois compagnies de SS environ suffisaient pour assurer la garde du camp.
Est-ce que les prisonniers des ateliers d’armement étaient gardés durant les heures de travail ?
Oui. Chaque détachement de travailleurs avait un chef choisi dans une des compagnies de garde. De plus, un détachement de garde accompagnait les internés au lieu de travail et les reconduisait au camp.
Et avez-vous, au cours de votre internement au camp, constaté que les prisonniers y auraient été maltraités par les gardiens dans l’accomplissement de leur service quotidien ?
Oui, très souvent.
Fréquemment ?
Oui.
Et pour quelles raisons ?
Les raisons variaient et dépendaient des compagnies de garde ou des chefs.
Vous nous avez dit que vous ne manquiez pas de travail et, d’après vos déclarations, vous étiez même très occupé.
Oui.
Comment avez-vous eu alors la possibilité de constater ces mauvais traitements ?
J’ai pratiqué de nombreuses autopsies sur les prisonniers fusillés ou frappés à mort au cours de leur travail et rédigé les comptes rendus officiels révélant les causes du décès.
Vous dites qu’en certains cas ils étaient fusillés. En avez-vous vu fusiller sous vos yeux ?
Non.
Alors comment l’avez-vous appris ?
Les corps m’étaient apportés directement de l’emplacement de travail et ma mission consistait à déterminer la cause du décès. Ou bien l’homme avait reçu des coups mortels, crâne, côtes fracturés, ou il avait succombé à une hémorragie interne, ou bien il avait été tué d’un coup de feu. J’avais à faire un rapport officiel sur la cause du décès. Parfois, plus rarement, lorsqu’une enquête était faite, j’étais alors cité comme témoin.
Merci.
Monsieur Dodd, avez-vous l’intention de continuer à interroger le témoin ?
Pour le moment je n’ai pas d’autre question à lui poser.
Est-ce qu’un autre membre du Ministère Public désire encore interroger le témoin ? Colonel Pokrovsky ?
Au stade où nous en sommes, je n’ai pas pour ma part de question à poser au témoin.
Le témoin peut se retirer.
J’aimerais demander maintenant au Tribunal de prendre acte du jugement et des condamnations prononcés par le Tribunal Militaire de Dachau, le 13 décembre 1945. Le jugement a été prononcé le 12 et les condamnations le 13. J’ai entre les mains une copie conforme de ces décisions qui constituent le document PS-3590, que je dépose sous le numéro USA-664.
Est-ce que des copies de ce document ont été distribuées aux accusés ?
Oui, ces copies ont été envoyées à la salle d’information de la Défense.
Très bien.
Il y a une autre question dont j’aimerais brièvement entretenir le Tribunal ce matin. Elle a été soulevée après que j’eus quitté la salle d’audience, alors que je m’apprêtais à partir pour les États-Unis. Le 13 décembre nous avons déposé les documents PS-3421 (USA-252 et 254). Il s’agissait, le Tribunal s’en souvient, de morceaux de peau humaine tannés prélevés sur des cadavres, et d’une tête humaine qui avait été naturalisée. Le 14 décembre, d’après le compte rendu d’audience, l’avocat de l’accusé Kaltenbrunner se plaignit au Tribunal de ce que l’affidavit d’un certain Pfaffenberger, qui venait d’être présenté, ne mentionnait pas que le commandant du camp de Buchenwald, un certain Koch, avait précisément été condamné à mort, en compagnie de sa femme pour avoir commis les atrocités susdites : tannage de peau humaine et naturalisation de la tête. Au cours du débat qui s’ensuivit, le procès-verbal révèle que l’avocat de l’accusé Bormann, s’adressant au Tribunal, soutint que selon toute probabilité le Ministère Public savait que les autorités allemandes avaient désavoué ce commandant de camp, le nommé Koch, et n’ignorait pas qu’il avait précisément été jugé et condamné pour ces faits. L’avocat laissait entendre que le Ministère Public avait sciemment caché la chose au Tribunal. Je tiens aujourd’hui à dire qu’au moment où nous avons présenté ces pièces à conviction nous ne savions rien de ce Koch. Nous ne savions rien de lui, sinon qu’il avait été commandant du camp, comme l’indique l’affidavit. Cependant, à la suite de cette intervention de la Défense, des recherches ont été faites. Elles ont révélé que cet homme avait effectivement été jugé en 1944 par un tribunal SS, mais nullement pour avoir tanné de la peau humaine ou naturalisé une tête humaine, mais seulement pour détournement de fonds, comme nous l’apprend le juge qui l’a condamné, sous l’inculpation d’abus de confiance et d’assassinat sur une personne avec laquelle il n’était personnellement pas d’accord. Le juge, un certain Dr Morgen, relate effectivement avoir vu des peaux humaines tatouées, une tête humaine ainsi qu’un abat-jour de peau humaine dans le bureau du commandant Koch. Mais, à l’époque où il fut jugé, ce n’était pas pour ces faits qu’il était poursuivi.
Je voudrais aussi indiquer au Tribunal que le témoignage du Dr Blaha apporte, à mon avis, de nouveaux éléments qui permettraient de décider si les pièces à conviction USA-252 et 254 sont ou non des cas isolés d’atrocités de ce genre. Nous ne sommes pas parvenus à retrouver l’auteur de l’autre déposition. Malgré nos efforts nous n’y sommes pas parvenus jusqu’à présent.
Savoir où se trouvait qui ?
Pfaffenberger, dont nous avons déposé l’affidavit.
Très bien, Monsieur Dodd.
La déclaration qui vient d’être faite est indiscutablement pleine d’importance. Néanmoins il serait essentiel de connaître exactement les raisons pour lesquelles le commandant et sa femme ont été condamnés. Car Kaltenbrunner m’a signalé que, parmi les SS, tout le monde savait que le commandant Koch et sa femme avaient aussi — j’insiste sur le mot aussi — à rendre des comptes pour ces faits et que l’on savait parmi les SS que l’un des facteurs déterminants de la sévérité de la condamnation avait été sa conduite inhumaine avérée.
Un instant, je vous prie. Étant donné que c’est la Défense qui a allégué que le commandant Koch avait été condamné à mort pour traitements inhumains, c’est à vous n’est-ce pas qu’incombe le soin de produire le texte du jugement.
Je n’ai jamais eu ce jugement entre les mains. Ces renseignements m’ont été personnellement communiqués par Kaltenbrunner, verbalement.
C’est vous qui avez formulé cette assertion. Il m’est indifférent d’apprendre quelle est votre source d’information. Vous avez affirmé une chose, c’est à vous qu’incombe le soin d’en apporter la preuve.
Bien, Monsieur le Président.
Plaise au Tribunal. Les dossiers et les livres de documents ont été communiqués. Les documents se présentent dans le livre de documents dans l’ordre dans lequel je les citerai ; les références dans les dossiers sont dans le même ordre. À la première page du dossier est consigné le passage de l’appendice A de l’Acte d’accusation qui expose les charges qui pèsent sur l’accusé.
Vous occupez-vous d’abord de Raeder ou de Dönitz ?
De Dönitz. Mon éminent collègue, le commandant Elwyn Jones, traitera du cas Raeder immédiatement après.
Le Tribunal suspend l’audience pendant dix minutes.
Monsieur le Président, puis-je commencer ?
Parfaitement.
Les dossiers et les livres de documents ont été communiqués. Les documents se présentent dans le livre de documents dans l’ordre dans lequel je les citerai ; les références dans les dossiers sont dans le même ordre. À la première page du dossier est consigné le passage de l’appendice A de l’Acte d’accusation qui expose les charges qui pèsent sur l’accusé. Ce passage de l’Acte d’accusation énumère les postes qu’il occupa et l’accuse tout d’abord d’avoir favorisé la préparation de la guerre (chef d’accusation n° 1) ; deuxièmement, d’avoir participé à l’établissement de plans militaires et à la préparation de guerres d’agression, de guerres entreprises en violation de traités internationaux, accords et assurances officielles (chefs d’accusation 1 et 2 de l’Acte d’accusation) ; troisièmement, d’avoir autorisé et dirigé les crimes de guerre énumérés au chef n° 3 de l’Acte d’accusation, comprenant en particulier les crimes contre les personnes et les biens en haute mer et d’y avoir participé.
Maintenant si occasionnellement j’aborde le chef d’accusation n° 3, c’est grâce à la courtoisie du Procureur Général français et en plein accord avec lui.
Monsieur le Président, à la seconde page du dossier sont d’abord énumérés tous les postes occupés par l’accusé Dönitz. Le document auquel je me rapporte est le premier du livre de documents ; c’est le numéro PS-2887, déjà déposé sous le n° USA-12. Le Tribunal constatera d’après ce document qu’en étant nommé en 1935 commandant de la flottille de sous-marins Weddigen — en fait la première flottille constituée en 1918 après la fin de la guerre mondiale — l’accusé devenait pratiquement Commandant en chef de la flotte sous-marine. À mesure que l’arme sous-marine gagnait en importance, il montait en grade et devenait rapidement amiral. Le 30 janvier 1943, il était enfin nommé Grand-Amiral, succédant à l’accusé Raeder comme Commandant en chef de la Marine allemande. Il conservait cependant le commandement de l’arme sous-marine. Par la suite, le 1er mai 1945, il succédait à Hitler à la tête du Gouvernement allemand.
Monsieur le Président, comme l’indique toute une série de documents que je verse au dossier, l’accusé reçut les décorations suivantes : le 18 septembre 1939, la Croix de fer de première classe avec palme pour les succès remportés dans la Baltique par les sous-marins durant la campagne de Pologne. Il fut ensuite élevé, le 21 avril 1940, à la haute dignité de chevalier de la Croix de fer et, le 7 avril 1943, recevait, de la main de Hitler, la distinction de chevalier de la Croix de fer avec feuilles de chêne, dont il était le 223e bénéficiaire, pour les services éminents qu’il avait rendus dans la remise sur pied de la Marine de guerre allemande et en particulier de l’arme offensive sous-marine. Je dépose maintenant le document D-436 qui fait suite au précédent dans le livre de documents sous le n° GB-183. C’est un extrait de la publication officielle Das Archiv relatif à la promotion de l’accusé au grade de vice-amiral, en date du 27 septembre 1940. J’en lis les deux dernières phrases :
« En quatre années d’un travail de mise sur pied inlassable et littéralement ininterrompu, il réussit à donner un tel développement au personnel et au matériel de l’arme sous-marine alors naissante, que sa puissance de choc surprit même les experts. Le chiffre total de plus de 3.000.000 de tonnes de navires ennemis coulés en une seule année par un nombre encore restreint de bâtiments montre plus éloquemment que des mots les services rendus par cet homme. »
Le document suivant du livre de documents, PS-1463 (GB-184), est constitué par un extrait des annales de la Marine allemande, édition 1944. Il confirme le contenu du document précédent. Monsieur le Président, je ne peux pas en donner une lecture complète. Le passage significatif se situe à la page 2 du document et je dirai, pour le résumer, qu’il décrit en détail le travail de reconstruction de l’arme sous-marine fourni par l’accusé, effort infatigablement poursuivi de jour et de nuit et qui visait à remédier à dix-sept années au cours desquelles elle n’avait pu évoluer, ainsi que les améliorations qui lui étaient imputables, comme la découverte de la tactique de la « meute » qui devait par la suite acquérir tant de célébrité. Puis on parle encore succinctement en haut de la page 3 du rôle qu’il a joué. Je vais lire les deux dernières phrases du premier paragraphe de cette page :
« En dépit de l’accroissement démesuré des charges qui pesaient sur lui depuis la mise en chantier du plan de construction d’une gigantesque flotte sous-marine, le Commandant en chef resta ce qu’il avait toujours été et ce qu’il sera toujours : le conducteur et l’animateur de tous les hommes placés sous ses ordres. »
Puis la dernière phrase du paragraphe :
« En dépit de toutes ces charges, il ne perdit jamais contact avec ses hommes, il fit preuve d’une remarquable faculté d’adaptation aux fortunes changeantes de la guerre. »
Ce ne furent pas cependant ses seules capacités d’officier de marine qui valurent à l’accusé l’honneur insigne d’être promu successeur de l’accusé Raeder comme Commandant en chef de la Marine, de devenir l’un des conseillers personnels de Hitler le plus écouté ou enfin d’avoir le discutable honneur de succéder à Hitler, les précédents prétendants ayant, comme Göring, trahi sa confiance ou trouvé, à la réflexion, le poste moins attirant qu’ils ne l’avaient pensé tout d’abord. Tous ces honneurs il les dut à son attachement fanatique à Hitler et au Parti, à sa croyance dans l’idéologie nazie qu’il chercha à inculquer à la Marine et au peuple allemand, à la « remarquable faculté d’adaptation aux fortunes changeantes de la guerre », mentionnée aux annales de la Marine, qui était sienne et qui — le Tribunal s’en rendra compte en consultant les documents — peut être assimilée à la brutalité la plus impitoyable. Sa position vis-à-vis du parti nazi et ses conceptions ressortent des déclarations publiques qu’il a faites.
Je me reporte dans le livre de documents au n° D-443 (GB-185). Il s’agit d’un extrait de discours prononcé par l’accusé à une réunion de commandants de la Marine à Weimar, le 17 décembre 1943. Il fut ensuite communiqué par l’accusé aux officiers supérieurs sous la forme d’un document confidentiel en provenance du commandement, transmissible par officiers seulement. Je cite :
« Je suis un partisan convaincu de l’éducation idéologique. Car de quoi s’agit-il en fait ? Faire son devoir est évidemment une chose naturelle pour le soldat. Mais cette action n’a sa pleine valeur et n’atteint toute sa portée que lorsque le cœur et une profonde conviction ont joué leur rôle en la matière. Faire son devoir dans ces dispositions d’esprit porte alors de tout autres fruits que lorsqu’on s’en tient à la lettre, sans rien apporter d’autre qu’obéissance et fidélité. Il est donc nécessaire que le soldat puisse apporter à l’exécution de son devoir toute son énergie intellectuelle et spirituelle. Pour cela, des convictions, un idéal, sont indispensables. Il nous faut de ce fait donner au soldat une éducation uniforme et qui rassemble toute l’Allemagne autour de la même idéologie. Tout dualisme, toute dissension, toute divergence ou négligence entraînera toujours une faiblesse. Celui en qui grandit et se développe le sentiment d’être à l’unisson avec son milieu est supérieur aux autres. Car c’est alors qu’entre en jeu tout le poids de ses convictions. De même il serait absurde de dire que le soldat ou l’officier ne doive pas avoir d’idées politiques. Le soldat incarne l’État dans lequel il vit ; il est le représentant, l’expression vivante de cet État. Il doit donc épauler cet État de toutes ses forces.
« Nous devons suivre cette ligne de conduite avec la conviction la plus entière. Le Russe, lui, suit cette même ligne de conduite. Nous ne pourrons soutenir victorieusement cette guerre que si nous y prenons part avec un zèle sacré, avec tout notre fanatisme.
« À moi seul, je ne peux accomplir cette tâche et elle ne peut être menée à bien qu’avec l’aide de l’homme qui tient entre ses mains toute la production de l’Europe, le ministre Speer. Mon ambition est de pouvoir disposer d’un nombre aussi grand que possible de navires afin d’être réellement à même de combattre et de frapper. Peu importe qui construit ces navires. »
Monsieur le Président, cette dernière phrase est d’importance si on la rapproche d’un autre document dans lequel le Tribunal verra, quand je le produirai, que l’accusé alla jusqu’à employer à cette fin la main-d’œuvre des camps de concentration.
Je dépose maintenant le document D-640, qui lui fait suite au livre de documents, sous le n° GB-186. C’est un extrait de discours portant sur le même sujet et prononcé par l’accusé, alors Commandant en chef de la Marine, devant des commandants de navires le 15 février 1944. Ce document, Monsieur le Président, répète quant au fond le précédent, à l’exception des deux dernières phrases que je vais lire :
« Avant tout, le corps des officiers doit se sentir solidairement responsable de l’État national-socialiste. L’officier est l’expression même de l’État, et aller raconter que l’officier ne doit pas s’occuper de politique est pure absurdité. »
Le document suivant, PS-2878 (GB-187), consiste en trois extraits de discours. Le premier provient d’un discours tenu par l’accusé à la Marine allemande et au peuple allemand lors de la « Journée des Héros » du 12 mars 1944.
« Allemands et Allemandes,
« Que serait-il advenu de notre pays si le Führer ne nous avait pas unis sous l’égide du national-socialisme ? Divisés en partis, corrompus par ce poison qu’est la juiverie, car non encore immunisés contre lui par les idées salvatrices qui sont maintenant les nôtres et sur lesquelles nous ne transigerons jamais, nous aurions depuis longtemps succombé sous le poids de cette guerre et été voués à une destruction impitoyable de la part de nos adversaires... »
Monsieur le Président, le prochain extrait fait partie d’un discours adressé à la Marine, le 21 juillet 1944. Il montre de nouveau le fanatisme de l’accusé. Il serait bon que je lise la première phrase :
« Marins ! Une sainte colère et une rage sans bornes emplissent nos cœurs à la suite de l’attentat criminel qui aurait dû coûter la vie à notre Führer bien aimé. La Providence en a décidé autrement. Elle veillait sur notre Führer, le protégeait, n’abandonnant pas notre patrie allemande dans la lutte qu’elle soutient pour sa destinée. »
Puis il poursuit en parlant du sort qui devait être réservé à ces traîtres.
Le troisième extrait parle de l’introduction du salut allemand dans la Wehrmacht. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de le lire. Ainsi que les membres du Tribunal pourront le constater, ce sont les accusés Keitel et Dönitz qui furent responsables du changement de salut dans la Wehrmacht et de l’adoption du salut nazi ; Göring aussi. Pardon, j’aurais dû dire les accusés Göring, Keitel et Dönitz.
Le document suivant est le texte de l’enregistrement de l’allocution prononcée à la radio allemande par l’accusé, annonçant la mort de Hitler et sa propre accession au pouvoir. C’est le document D-444 (GB-188), que je vais lire en partie. Le document porte en référence l’heure de 22 h. 26 :
« La nouvelle est parvenue du Grand Quartier Général du Führer que notre Führer, Adolf Hitler, luttant jusqu’au dernier souffle contre le bolchévisme, est tombé pour l’Allemagne cet après-midi à son poste de commandement de la Chancellerie du Reich. Le 30 avril, le Führer a désigné le Grand-Amiral Dönitz comme son successeur. Le Grand-Amiral et successeur du Führer va parler à la nation allemande. »
Voici le premier paragraphe de son discours :
« Allemands et Allemandes, soldats de la Wehrmacht ! Notre Führer Adolf Hitler est mort. Le peuple allemand s’incline avec la plus profonde tristesse et le plus profond respect. Il avait reconnu très tôt le terrible danger du bolchévisme et consacré sa vie à le combattre. Son propre combat prend fin, après une vie d’une indéniable droiture, par une mort héroïque dans la capitale du Reich allemand. » Ce document contient aussi un ordre du jour de l’accusé qui est à peu près du même genre.
À côté du rôle joué par lui dans la reconstruction de l’arme sous-marine, une documentation abondante prouve aussi que l’accusé, en tant que commandant de la flotte sous-marine, prit part à l’établissement et à l’exécution des plans d’agression contre la Pologne, la Norvège et le Danemark. Le document qui suit au livre de documents, le document C-126 (c), a déjà été déposé sous le n° GB-45. C’est un ordre de l’accusé Raeder en date du 16 mai 1946. J’attirerai l’attention du Tribunal sur le fait que l’exemplaire n° 6 en fut adressé au chef des sous-marins, c’est-à-dire à l’accusé Dönitz. Il s’agit d’une directive relative à l’invasion de la Pologne « Cas Blanc ». Je ne la lirai pas car on en a déjà donné lecture. La suite du document C-126 (e), déjà déposé sous le n° GB-45, se trouve à la seconde page du document. C’est encore un ordre émanant du Quartier Général de l’accusé Raeder en date du 2 août 1939 et adressé à la flotte, donc au chef de l’escadre des sous-marins, c’est-à-dire à l’accusé. Il s’agit d’une lettre communiquant des plans d’engagement dans l’Atlantique des sous-marins qui devaient y être envoyés pour le cas où le « Fall Weiss » projeté serait exécuté. La seconde phrase de ce texte est importante :
« Le commandant de la flotte sous-marine transmettra ses ordres d’opération à la SKL — c’est-à-dire à la Seekriegsleitung (ou amirauté allemande) — avant le 12 août. L’appareillage des sous-marins en direction de l’Atlantique sera probablement décidé pour le milieu d’août. »
Le document suivant, C-172, que je dépose sous le n° GB-189, consiste en un certain nombre d’ordres d’opérations donnés par l’accusé en personne à ses sous-marins, en corrélation avec le « Cas Blanc ». Le document porte sa signature, mais pas de date. Néanmoins, son contenu indique qu’il est antérieur au 16 juillet 1939. Je ne pense pas que ce texte révèle quoi que ce soit de bien nouveau. C’est simplement l’ensemble des ordres d’opérations, pris en application des consignes de Raeder déjà exposées, C-126 (c).
Monsieur le Président, le document suivant, C-122 a déjà été déposé sous le n° GB-82. Il s’agit d’un extrait des annales de guerre de l’État-Major de l’amirauté allemande en date du 3 octobre 1939. Il rapporte le fait que le chef de cet État-Major a demandé d’étudier les conditions d’une occupation de bases d’opérations en Norvège. Ce document a déjà été lu et je n’attirerai l’attention du Tribunal que sur le passage entre parenthèses au paragraphe d :
« Le commandant de la flotte sous-marine considère que ces ports seraient d’une grande utilité comme bases d’armement et de ravitaillement pour les sous-marins de l’Atlantique, même pour de courtes escales. »
Le document suivant, C-5, déjà déposé sous le n° GB-83, émane de l’accusé, chef de la flotte sous-marine, et est adressé au Commandement suprême de la Marine, État-Major de la flotte. Il est daté du 9 octobre 1939 et l’accusé y est d’avis que Trondhjem et Narvik présentent de gros avantages comme bases navales. Le document propose l’établissement d’une base à Trondhjem et d’une base auxiliaire à Narvik.
Quant au C-151, déjà déposé sous le n° GB-91, c’est l’ordre d’opération donné par l’accusé à ses sous-marins lors de l’occupation du Danemark et de la Norvège. Cet ordre, daté du 30 mars 1940, était rigoureusement secret et était désigné sous le nom de « Hartmut ». Le Tribunal se rappelle que le dernier paragraphe de ce document dit :
« Les navires arboreront, à leur entrée dans les ports, le pavillon de guerre britannique, jusqu’à ce que les troupes aient débarqué, sauf à Narvik. »
La préparation de la guerre contre l’Angleterre est encore plus évidente si l’on examine le dispositif de répartition des sous-marins placés sous ses ordres au 3 septembre 1939, date à laquelle la guerre éclata entre l’Allemagne et les puissances occidentales. Les torpillages qui eurent lieu la semaine suivante, y compris celui de l’Athenia, dont parlera mon éminent ami, le commandant Elwyn Jones, se produisirent à des emplacements qui authentifient ce dispositif.
À ce sujet, je voudrais déposer deux cartes (D-652) sous le n° GB-190. J’en mets plusieurs exemplaires à la disposition du Tribunal. Elles ont été dressées par l’amirauté britannique. La première note la position de sous-marins le 3 septembre 1939. Je voudrais lire la mise au point qui figure dans le coin supérieur gauche de ce document :
« Cette carte a été établie après étude des ordres donnés par Dönitz entre le 21 août et le 3 septembre 1939, ordres qui ont été ultérieurement saisis. La carte révèle le dispositif approximatif des sous-marins, tel qu’il était ordonné pour le 3 septembre 1939. On ne peut garantir, dans le détail, la parfaite exactitude de cette carte, étant donné que les dossiers saisis contenant les ordres ne sont manifestement pas complets et que, de toute évidence, plusieurs sous-marins ont reçu en mer, aux environs du 3 septembre, l’ordre de rejoindre de nouvelles zones d’opération. Les documents d’après lesquels cette carte a été établie sont détenus par l’amirauté britannique à Londres. »
Monsieur le Président, il y a deux choses que je tiens à remarquer au sujet de cette première carte. Tout d’abord, le Tribunal constatera que les sous-marins qui occupaient ces positions le 3 septembre 1939 avaient dû quitter Kiel longtemps auparavant. Je vous prierai aussi de remarquer la position du sous-marin U-30. Ce détail présente une certaine importance pour l’exposé des charges relevées à rencontre de l’amiral Raeder par mon éminent ami le commandant Elwyn Jones. Les membres du Tribunal voudront bien le considérer en consultant la deuxième carte que voici.
Cette deuxième carte indique l’emplacement des torpillages advenus au cours de la première semaine de la guerre et l’on remarquera celui du torpillage de l’Athenia. Une brève mise au point figure à nouveau dans le coin gauche de l’exemplaire mis entre les mains du Tribunal :
« Cette carte a été dressée d’après les archives officielles de l’amirauté britannique à Londres. Elle montre la position et le lieu de naufrage des bateaux marchands britanniques coulés par l’ennemi dans les sept jours qui suivirent le 3 septembre 1939. »
Monsieur le Président, j’en viens à la participation de l’accusé aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité. La lutte des sous-marins contre les flottes marchandes neutres et alliées prit, sous la direction de l’accusé, un caractère de plus en plus implacable. L’accusé y fit preuve d’une « magistrale faculté d’adaptation aux fortunes changeantes de la guerre ». Dès le début de la guerre, les navires marchands aussi bien neutres qu’alliés furent coulés sans avertissement. Et, même après que l’amirauté allemande eut fait connaître les zones dangereuses d’opérations, les torpillages n’en continuèrent pas moins, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ces zones. À quelques exceptions près, les premiers jours de la guerre, on ne se préoccupa pas d’assurer le sauvetage des équipages ou des passagers des navires marchands coulés et l’annonce du blocus total des Iles britanniques ne fit que confirmer cette constatation : la guerre sous-marine était conduite sans considération des règles internationales relatives à la conduite de la guerre ou aux simples exigences de l’humanité.
La guerre sur mer durant les premiers dix-huit mois est résumée dans deux rapports officiels britanniques faits à une époque où leurs auteurs ignoraient la publication de nombreux ordres qui avaient été émis et qui sont tombés, par la suite, entre nos mains.
Monsieur le Président, le document suivant est le document D-641 (a), que je dépose sous le n° GB-191. C’est un extrait d’un rapport officiel du ministère des Affaires étrangères britannique, relatif aux attaques allemandes contre les navires marchands entre le 3 septembre 1939 et septembre 1940, c’est-à-dire durant la première année de guerre. Ce rapport a été fait peu après septembre 1940. Je voudrais en citer le deuxième paragraphe, à la première page :
« Durant les premiers douze mois de la guerre, 2.081.062 tonnes de navires alliés, 508 bâtiments en tout, ont été coulés par l’ennemi. En outre 769.213 tonnes de navires neutres, soit 253 bâtiments, ont de même été perdus. Effet des sous-marins, des mines, de l’aviation ou de bâtiments de surface, presque tous ces navires marchands ont été coulés au cours de traversées commerciales ordinaires. 2.836 hommes de la marine marchande alliée ont perdu la vie sur ces navires.
« Au cours de la dernière guerre, la conduite des puissances centrales s’écarta tellement de ce qui était autorisé, que l’on jugea nécessaire de réglementer une fois de plus, surtout à cause des sous-marins, la conduite de la guerre. C’est ce qui advint avec le Traité de Londres de 1930 dont l’Allemagne, en 1938, accepta les conditions.
Le texte spécifiait :
« 1. Dans leurs rapports avec les navires marchands, les sous-marins doivent se conformer aux règles du Droit international relatives aux navires de surface.
« 2. En particulier, sauf dans le cas où, après les sommations d’usage, le navire refuserait avec persistance de stopper, ou résisterait à la visite et à la fouille, un navire de guerre de surface ou un sous-marin ne pourra couler ou rendre impropre à la navigation un navire marchand qu’après avoir mis passagers, équipage et papiers du bord en sécurité. Les embarcations de bord ne sont pas considérées comme offrant une sécurité suffisante, à moins que la sécurité des passagers et de l’équipage ne soit assurée, compte tenu de l’état de la mer et des conditions atmosphériques, par la proximité de la terre ou la présence d’un autre navire qui serait à même de les prendre à son bord. »
Le paragraphe suivant s’exprime ainsi :
« Au début de la guerre actuelle, l’Allemagne publia à l’usage de ses officiers de marine, une ordonnance des prises réglementant. la guerre sur mer. Dans l’article 74 de cette ordonnance sont incorporées les dispositions du Traité de Londres relatives aux sous-marins L’article 72, cependant, prévoit que les navires ennemis capturés peuvent être détruits si leur prise en charge s’avère inutile ou dangereuse ; et l’article 73 (paragraphes 1 et 2) étend les mêmes dispositions à tout navire neutre qui ferait partie d’un convoi ennemi, opposerait une résistance armée, ou enfin aurait prêté assistance à l’ennemi.
« Certes, ces dispositions ne concordent en rien avec les conceptions britanniques traditionnelles. II importe aussi de noter que, dans tous les cas, l’ordonnance des prises prévoit la capture du bâtiment avant sa destruction. Néanmoins, si les Allemands s’étaient contentés d’appliquer les règles de leur propre ordonnance, nous discuterions peut-être avec eux de ce point de droit assez subtil, mais nous n’aurions pas à leur reprocher avec véhémence, d’abord leur manquement aux conventions, ensuite leur inhumanité. Malheureusement il est par trop clair que, pour ainsi dire dès le début des hostilités, les Allemands abandonnèrent leurs propres principes et firent la guerre avec un mépris sans cesse accru aussi bien de la loi internationale que de ce qui, en définitive, constitue le fondement moral de toute loi : la protection de la vie humaine et de la propriété contre des attaques arbitraires et illégales. »
Je passe au troisième paragraphe de la page suivante qui expose deux cas particuliers :
« Le 30 septembre 1939 se produisit le premier torpillage par sous-marin, sans avertissement, d’un navire neutre. Il y eut des pertes en vies humaines. Ce fut celui du navire danois Vendia en route pour la Clyde avec son chargement. Le sous-marin ouvrit le feu par deux fois et, peu après, torpilla le navire. La torpille fut envoyée alors que le commandant avait déjà signalé qu’il obtempérerait aux ordres du sous-marin et avant que l’équipage ait eu le temps d’abandonner le navire. En novembre, les sous-marins se mirent à couler les navires neutres sans avertissement, systématiquement. Le 12 novembre, le navire norvégien Arne Kjode fut torpillé, sans le moindre avertissement, en mer du Nord. Il s’agissait d’un bateau citerne se rendant d’un port neutre dans un autre port neutre. Le commandant et quatre membres de l’équipage périrent ; les survivants de l’équipage furent retrouvés sur une embarcation non pontée où ils avaient été obligés de séjourner des heures durant. Non seulement aucune tentative ne fut faite pour découvrir la nature du chargement, mais il faut aussi noter le mépris total dont on fit preuve quant au sort de l’équipage. »
Quant à la manière dont furent menées les attaques contre les navires marchands alliés, voici quelques chiffres : Navires coulés : 241 ; attaques enregistrées : 221 ; attaques illégales : 112 ; sur ces 112 bâtiments, 79 au moins furent torpillés sans avertissement.
Ils n’ont donc pas été coulés de façon illégale ?
Si, Votre Honneur.
D’après ce document, on a accordé le bénéfice du doute aux Allemands.
Oui, Votre Honneur ; j’aurais dû lire cette phrase. Je vous en remercie.
Je passe au deuxième rapport, document D-641 (b), qui fait partie de la même pièce GB-191. C’est un rapport relatif à la période de six mois qui commence au 1er septembre 1940...
Allez-vous lire la page 3 ?
Si vous le désirez, Monsieur le Président ; j’ai lu une grande partie de ce rapport qui contient des passages que je n’ai pas considérés comme importants.
Je ne l’ai pas lu moi-même, mais je pense...
Si vous le permettez, je vais entreprendre la lecture des deux premiers paragraphes de cette page 3 :
« Dès la mi-octobre, les sous-marins se mirent à couler les navires marchands sans se préoccuper du sauvetage de leurs équipages. Cependant, quatre mois plus tard, les Allemands proclamaient encore officiellement qu’ils agissaient conformément à leur « Ordonnance des Prises ». Des porte-paroles officieux avaient cependant clairement pris position. À l’égard des neutres, les services officiels de Berlin avaient déclaré dès février que tout navire neutre qui, volontairement ou sous la contrainte, faisait route vers un port ennemi, y compris les ports pour le contrôle de la contrebande, perdait par là-même sa neutralité et devait être considéré comme ennemi. À la fin de février, ils dévoilèrent leur position dans une déclaration selon laquelle tout navire neutre ayant obtenu d’un consul britannique le navicert le dispensant d’avoir à rejoindre une base britannique de contrôle de la contrebande, risquait d’être coulé par les sous-marins allemands, même s’il se rendait d’un port neutre dans un autre port neutre. Au sujet des navires alliés, Berlin avertit, au milieu de novembre 1939, que les navires marchands britanniques armés seraient coulés. Mais à cette date, une vingtaine de navires britanniques avaient déjà été attaqués illégalement au canon ou à la torpille, par des sous-marins et, après cette date, quelque quinze bateaux alliés non armés furent encore torpillés sans avertissement. Il ressort clairement de ces faits que l’armement des navires se justifiait désormais pleinement en tant que mesure défensive puisqu’aussi bien avant qu’après cet avertissement, les sous-marins allemands ne faisaient aucune discrimination entre les navires armés et les navires non armés. »
Le dernier paragraphe n’est qu’un résumé des précédents et n’apporte rien de nouveau. Passons maintenant au document D-641 (b), rapport similaire relatif aux six mois suivants. Je voudrais lire les cinq premiers paragraphes de la page 1 :
« Le 30 janvier 1941, Hitler proclama : « Tout navire, faisant ou non partie d’un convoi, qui passera dans le champ de nos lance-torpilles, sera coulé. » À première vue, cette déclaration semble définitive. Cependant, le contexte atténue la portée des menaces précédentes qui s’adressaient expressément aux peuples du continent américain. Les porte-paroles allemands, cependant, essayèrent par la suite de minimiser cette déclaration en prétendant que Hitler ne faisait allusion qu’aux navires qui tentaient de pénétrer dans la zone soumise en principe au « blocus total » allemand.
D’ailleurs, d’un certain côté, il importe peu de savoir exactement ce que Hitler voulait dire, étant donné que la seule conclusion que l’on puisse tirer de l’étude de la manière dont l’ennemi conduisit la guerre contre la navigation marchande, est que l’action ennemie en la matière n’a jamais été conditionnée par les principes proclamés par les porte-paroles ennemis, mais dépendait surtout des occasions ou du manque d’occasions qui se sont présentées à un moment donné.
Colonel Phillimore, le document que vous venez de lire ne constitue-t-il pas une argumentation purement juridique ?
Oui, Monsieur le Président, en partie. Mais il est difficile de faire la part de ce qui n’est qu’argumentation juridique et de départager les faits.
Très bien.
Le troisième paragraphe, si l’on me permet de passer sous silence le reste du second, déclare ce qui suit :
« Le but du « blocus total » allemand est d’interdire aux navires neutres l’accès d’une zone très étendue entourant la Grande-Bretagne (cette zone s’étend jusqu’à environ 500 milles à l’ouest de l’Irlande et va de la latitude de Bordeaux jusqu’à celle des îles Feroe) sous peine, pour ces navires, d’être coulés sans avertissement et de voir leurs équipages tués. En fait, au moins 32 navires neutres, non compris ceux qui naviguaient dans les convois britanniques, ont été coulés par l’ennemi depuis la déclaration du « blocus total ».
Passons à la dernière phrase du paragraphe, relative à des torpillages.
« Bien qu’en de nombreux cas nous manquions de renseignements, nous pourrions prouver que, durant cette période, au moins 38 navires de commerce alliés, sans compter ceux qui naviguaient en convoi, ont été torpillés sans avertissement à l’intérieur ou à proximité de la zone de « blocus total ». Il ressort du fait que, sur les 38 bâtiments en question, 16 au moins furent torpillés hors des limites de cette zone d’opérations, que les Allemands n’ont pas respecté scrupuleusement les limites de la zone qu’ils avaient eux-mêmes fixée. » On trouve, à la page suivante, un exemple typique de ce qui a été dit plus haut. Premier paragraphe, troisième phrase :
« Le torpillage du City of Benares, le 17 septembre 1940, illustre bien la chose. Le City of Benares était un paquebot de 11.000 tonnes, ayant 191 passagers à son bord, dont environ 100 enfants. Il fut torpillé sans avertissement un peu en dehors de la zone de guerre. Il y eut 258 morts dont 77 enfants. Il soufflait un vent de tempête avec grêle et rafales de pluie et la mer était très agitée quand la torpille atteignit le navire aux environs de 10 heures du soir. En raison de l’obscurité et des conditions atmosphériques, sur les douze barques de sauvetage mises à la mer, au moins quatre chavirèrent. D’autres furent envahies par l’eau et de nombreuses personnes furent balayées par les vagues. Dans une seule barque, seize personnes, dont onze enfants, moururent de froid. Dans une deuxième, vingt-deux moururent, dont quinze enfants et, dans une troisième, vingt et une. Ce que je tiens à faire remarquer ce n’est pas la cruauté insigne de cette attaque, mais que de tels résultats sont inévitables lorsqu’un belligérant agit comme l’ont fait les Allemands et cela au mépris des règles de la guerre sur mer. »
Je pense que la suite du paragraphe est sans importance. Je passe à la pièce suivante, 641 (c), qui fait partie du document GB-191 :
Il semble résulter de cet exposé des faits, qu’aucun avertissement ne fut jamais donné.
Non, Monsieur le Président.
Nous pensons que vous devriez lire également le paragraphe suivant.
Très volontiers, Monsieur le Président.
« Des centaines de cas semblables pourraient être rapportés : traversées des jours durant sur des embarcations non pontées parmi les tempêtes de l’Atlantique, personnes tombées à l’eau agrippées pendant des heures à un radeau et coulant finalement les unes après les autres, équipages mitraillés alors qu’ils essayaient de mettre leurs embarcations à la mer ou lorsqu’ils s’éloignaient sur ces embarcations de sauvetage, marins mis en pièces par les obus, les torpilles ou les bombes. L’ennemi ne doit pas ignorer les inévitables résultats du genre de guerre qu’il s’est décidé à mener. »
Monsieur le Président, la fin du document a à peu près la même teneur. Le document 641 (c) est une simple statistique officielle donnant le total des torpillages par sous-marins advenus au cours de la guerre, de 1939 à 1945 : 2.775 navires britanniques, alliés et neutres, totalisant 14.572.435 tonnes brutes.
Il serait peut-être utile de considérer un exemple qui ne fût pas tiré des rapports précédemment mentionnés, un exemple de la sauvagerie avec laquelle agissaient les commandants de sous-marins relevant de l’accusé, étant donné surtout qu’il existe, dans le cas que je vais aborder, à la fois un rapport allemand et un rapport anglais du torpillage. J’en arrive au torpillage du Sheaf Mead qui constitue le document D-644 que je dépose sous le n° GB-192. Je vais en lire le premier paragraphe :
« Le navire britannique SS. Sheaf Mead a été torpillé sans avertissement le 27 mai 1940... »
Il s’agit du rapport allemand, n’est-ce pas ?
C’est en réalité le compte rendu britannique mais il reprend un rapport allemand en reproduisant intégralement le journal de bord du sous-marin allemand.
Il porte la mention « confidentiel » ?
Oui, Monsieur le Président. C’était, à l’époque, un document confidentiel mais il y a longtemps de cela.
« Le navire britannique SS. Sheaf Mead a été torpillé sans avertissement le 27 mai 1940. 31 membres de l’équipage ont péri. Les rapports mentionnent que le commandant du sous-marin responsable du torpillage a fait montre d’une conduite particulièrement dure à l’égard des naufragés qui s’accrochaient aux embarcations chavirées et aux épaves. On pense qu’il s’agissait du lieutenant de vaisseau Öhrn de l’U-37. L’extrait suivant de son journal de bord, en date du 27 mai 1940, ne laisse aucun doute à ce sujet et est en lui-même suffisamment révélateur de sa conduite. »
Voici maintenant le passage en question du journal de bord, à la page 2. Il porte l’indication de l’heure du naufrage : 15 h. 54 :
« Surface. L’arrière est sous l’eau » — il s’agit du bâtiment qui vient d’être torpillé — « l’arrière est sous l’eau. La proue se redresse. Les embarcations sont maintenant à l’eau. Elles ont de la chance. Spectacle d’un ordre parfait. Elles sont à quelque distance. La proue se dresse presque à la verticale. De l’avant du navire surgissent deux hommes venus d’on ne sait où. Ils glissent et sautent par bonds successifs le long du pont jusqu’à la poupe. Celle-ci disparaît. Une embarcation se renverse. Puis une chaudière explose. Deux hommes volent en l’air, bras et jambes étendus. Éclatements et explosions. Puis tout est fini. Une quantité d’épaves couvre la mer alentour. Nous nous approchons du bâtiment pour en découvrir le nom. L’équipage s’est réfugié sur des épaves et sur des embarcations retournées. Nous repêchons une bouée de sauvetage. Aucun nom n’y figure. J’interroge un homme du radeau. Il répond, sans presque prendre la peine de tourner la tête : « Nix name » (pas de nom). Un jeune garçon dans l’eau appelle au secours : « Help, help, please ! » (au secours, au secours, s’il vous plaît). Les autres sont très maîtres d’eux. Ils semblent accablés et quelque peu fatigués. Une expression de froide haine se lit sur leur visage. Nous reprenons notre route. Après avoir nettoyé la peinture de la bouée, un nom apparaît : Greatafield, Glasgow, 5.006 tonnes. »
« Nous reprenons notre route » signifie tout simplement que le sous-marin s’éloigne.
À la page suivante de ce document, on trouve un extrait du rapport de l’officier mécanicien du Sheaf Mead. Les paragraphes les plus importants en sont le premier et le dernier :
« Lorsque je revins à la surface, je me trouvais à bâbord, c’est-à-dire très près du sous-marin qui n’était qu’à cinq mètres de distance. Le capitaine du sous-marin demanda le nom du navire au stewart qui le lui indiqua. L’ennemi repêcha alors une de nos bouées de sauvetage. Mais celle-ci portait le nom de Greatafield, qui était celui de notre navire avant qu’il ne reçut celui de Sheaf Mead, en janvier dernier. »
Et, au dernier paragraphe :
« L’avant du sous-marin était taillé en pointe, mais je n’y ai pas remarqué de coupe-filet. Deux hommes se tenaient à bord avec des gaffes pour nous empêcher d’approcher. Ils croisèrent dans les parages pendant une demi-heure, nous photographiant dans l’eau. Ils ne firent que nous observer, sans dire mot. À la fin, ils replongèrent et s’en furent, sans nous avoir offert la moindre assistance. »
Le rapport allemand laisse-t-il entendre qu’un avertissement a été donné ?
Non, Monsieur le Président. Il est au contraire clairement établi qu’il n’y en eut point.
Sous l’indication 14 h. 14, figure une description du navire, qu’il est difficile d’identifier. Et, en haut de la page :
« La distance qui nous sépare diminue. Le vapeur s’avance rapidement, mais la position est toujours de 40-50. Je n’en vois pas encore l’arrière. Les tubes sont prêts. Peut-il tirer ? oui ou non ? Les servants des pièces sont eux aussi prêts. Sur le flanc du navire une croix jaune dans un petit carré bleu sombre. Suédois ? Probablement pas. Je fais monter un peu le périscope. Hourrah ! Un canon à l’arrière, un canon anti-aérien ou quelque chose de semblable. Feu ! On ne peut le manquer... » Et c’est alors le torpillage.
Maintenant qu’il nous a été donné de pouvoir prendre connaissance de certains des documents originaux dans lesquels l’accusé et ses complices transmirent des ordres aussi contraires à la loi internationale, il nous est permis de penser que ceux qui rédigèrent les précédents rapports sont restés au-dessous de la vérité. Ces ordres intéressent non seulement la période susdite, mais aussi le développement ultérieur de la guerre. Il est intéressant d’y relever les différents stades par lesquels passèrent les accusés. Au début, ils violaient déjà les règles de la loi internationale, mais se bornaient à couler sans avertissement les navires marchands et même les navires neutres, d’ailleurs dans la mesure où ils pouvaient raisonnablement s’attendre à ne pas être découverts. Les faits précédemment mentionnés montrent qu’il leur importait peu si, dans la pratique, les navires étaient armés défensivement ou s’ils se trouvaient hors de la zone déclarée d’opération.
Je passe au document suivant C-191 que je verse au dossier sous le n° GB-193. Il s’agit d’un rapport de l’État-Major de la Marine allemande daté du 22 septembre 1939. Il expose ce qui suit :
« Le Commandant en chef des sous-marins a l’intention de leur permettre de torpiller sans avertissement tous les bâtiments naviguant sans feux. » Je lis la troisième phrase :
« En pratique, les conditions d’attaque sont peu favorables la nuit car le sous-marin ne peut identifier son objectif, plongé dans l’ombre, avec assez de certitude pour prévenir absolument toute erreur. Toutes les fois que la situation politique ne pourra pas permettre de tolérer une méprise, toujours possible, on devra interdire aux sous-marins toute attaque de nuit dans des eaux où des forces navales françaises ou britanniques, ou bien des navires marchands, peuvent se trouver. Tout au contraire, dans les zones ou, selon toute probabilité, ne se trouveraient que des unités britanniques, on peut se conformer aux vœux du Commandant en chef des sous-marins. L’autorisation d’agir de la sorte ne doit pas être donnée par écrit. Il suffit simplement de l’approbation tacite de l’État-Major de la Marine. Les commandants de sous-marins doivent être renseignés verbalement et dans le journal de guerre le torpillage sans avertissement d’un navire marchand doit être imputé à une méprise, toujours possible : le navire aura pu être confondu avec un navire de guerre ou un croiseur auxiliaire. Entre temps, les sous-marins de la Manche ont reçu l’ordre d’attaquer tous les convois naviguant sans feux. »
Je passe au document suivant C-21, que je dépose sous le n° GB-194. Ce document consiste en une série d’extraits du journal de guerre de l’État-Major de la Marine allemande. Le deuxième extrait, page 5, concerne une conférence avec le chef de cet État-Major, qui eut lieu le 2 janvier 1940. Je lis :
« Rapport I a » (Il s’agit du chef des opérations de l’État-Major de la Marine).
Ne lirez-vous pas auparavant le paragraphe 1 b ?
Si, Monsieur le Président. Il est évidemment important mais les extraits suivants traitent du même sujet.
« Rapport I a » (il s’agit d’un rapport publié à propos d’une directive de l’Oberkommando de la Wehrmacht, du 30 décembre) :
« Le Führer, sur rapport du Commandant en chef de la Marine, a décidé que :
a) Les navires de commerce grecs naviguant dans la zone déclarée interdite par les États-Unis et la Grande-Bretagne doivent être traités comme navires ennemis.
b) Dans le canal de Bristol, tout navire peut être attaqué sans avertissement partout où ces torpillages peuvent s’expliquer à l’étranger comme une conséquence des mines. Ces deux mesures peuvent entrer immédiatement en vigueur. »
Le document suivant, extrait d’un rapport de I a, c’est-à-dire du chef des opérations de l’État-Major de la Marine, commente la directive de l’Oberkommando de la Wehrmacht datée du 30 décembre :
« Objet : Intensification de la guerre sur mer et dans les airs, conformément au Plan Jaune.
« Cette directive de la Marine autorise les sous-marins, pour l’époque où d’une façon générale la guerre s’intensifiera, à couler sans avertissement tout navire situé à proximité des côtes ennemies, partout où la présence de mines est possible. Dans ce cas on devra déclarer, à l’étranger, que ces naufrages sont imputables aux mines.
Les sous-marins doivent adapter leur tactique en conséquence et se servir d’armes adéquates.
Troisième extrait, en date du 6 janvier 1940 :
« ... Le Führer est en principe d’accord (voir contenu du rapport du Commandant en chef de la Marine du 30 décembre) pour permettre aux sous-marins, dans certaines parties de la zone du blocus américain, de tirer sans avertissement lorsqu’on peut raisonnablement alléguer la présence de mines. »
Puis, l’ordre est donné au chef de l’escadre sous-marine de faire appliquer ces mesures.
L’extrait suivant, daté du 18 janvier 1940, apporte, dans un certain sens, quelque chose de nouveau. J’en lirai ce qui suit :
« L’Oberkommando de la Wehrmacht a communiqué, le 17 janvier, les directives suivantes ayant rapport aux mesures d’intensification de la guerre contre la marine marchande et annulant la réglementation précédemment en vigueur : « La Marine donne aux sous-marins, avec effet immédiat, l’autorisation de couler sans avertissement tout navire croisant dans les eaux qui baignent les côtes « ennemies et où la présence de mines est plausible. »
Vous remarquerez, Monsieur le Président, que cela signifie encore une extension de cette zone :
« Les sous-marins doivent adopter une tactique et utiliser des armes qui laissent croire en ce cas à l’explosion de mines. Les navires américains, italiens, japonais et russes sont toujours à excepter de ces attaques. »
Figure ensuite au document une note qui insiste sur la nécessité de soutenir la thèse de ces prétendus naufrages par mines. Le dernier passage du document fait, à mon avis, double emploi.
Le document suivant, C-118, que je dépose sous le n° GB-195, est un extrait du journal de guerre du BDU, c’est-à-dire de l’accusé, extrait daté du 18 juillet 1941, qui étend les modalités d’application de cet ordre en limitant les catégories de navires à épargner.
« En complément de l’ordre interdisant pour l’instant d’attaquer les navires marchands et les navires de guerre américains dans la zone d’opérations de l’Atlantique nord, le Führer a ordonné ce qui suit :
« L’attaque des navires marchands naviguant dans les convois britanniques ou américains, ou bien isolément, est autorisée dans la zone initiale d’opérations qui englobe la zone de blocus des États-Unis, mais ne comprend pas la route États-Unis-Islande. »
Comme le Tribunal a pu s’en rendre compte, les navires d’un pays neutre déterminé pouvaient, à certaines époques et dans certaines conditions, être coulés, alors que ceux de tout autre neutre pouvaient ne pas l’être. Nous pourrions sans difficulté soumettre au Tribunal un grand nombre d’ordres et d’exemples prouvant que l’attitude prise par l’Allemagne à l’égard des navires de certains pays neutres changea plusieurs fois. Ce que nous devons souligner est que l’accusé conduisait la guerre sous-marine contre les neutres avec un manque de scrupules total et un opportunisme caractérisé. Tout dépendait de l’état des relations diplomatiques que l’Allemagne entretenait avec le pays en question. Ses vaisseaux pouvaient être soit coulés, soit respectés.
Monsieur le Président, je passe au document suivant, le D-642 du livre de documents, que je dépose sous le n° GB-196. C’est une série d’ordres, je devrais plutôt dire le premier d’une série d’ordres à la suite desquels il fut enjoint aux commandants de sous-marins, non seulement de s’abstenir de sauver les équipages, ce qui est le but de l’ordre qui nous concerne, non seulement de ne leur prêter aucune assistance, mais de les anéantir délibérément.
Au cours de mon exposé, je citerai deux témoins. Le premier fera au Tribunal la relation d’un discours prononcé par l’accusé au moment où il émit cet ordre et expliquant la politique à suivre, sa politique, dans la question du sauvetage des équipages alliés : ces sauvetages devaient cesser à tout prix.
Le deuxième témoin est l’officier qui, dans la pratique, exposa l’ordre aux équipages.
Ce document est constitué par un extrait des ordres permanents du commandement des sous-marins, un extrait de l’ordre permanent 154, signé par l’accusé Dönitz.
« Paragraphe e. Ne sauver personne, ne prendre personne à bord. Ne pas se soucier des embarcations de sauvetage des navires marchands. Les conditions atmosphériques et l’éloignement de la terre ferme ne doivent pas êtres prises en considération : ne pensez qu’à votre propre bâtiment, qu’à remporter le plus rapidement possible un nouveau succès. Nous devons être durs dans cette guerre. L’ennemi a entrepris cette guerre pour nous anéantir. Il n’est pas question d’autre chose. »
Quelle est la date de cet ordre ?
Monsieur le Président, cet ordre, dans la copie que nous en avons, ne porte pas de date. Mais un ordre postérieur, n° 173, qui a été publié en même temps qu’un ordre d’opération, est daté du 2 mai 1940. Le Tribunal peut donc admettre, en toute certitude, qu’il est antérieur au 2 mai 1940. C’était un ordre secret, Monsieur le Président.
Antérieur à mai 1940 ?
Oui, Monsieur le Président, antérieur à mai 1940. Cependant, en 1942, lorsque les États-Unis entrèrent en guerre avec leurs énormes possibilités en matière de constructions navales, ce changement nécessita la mise au point par l’accusé de nouvelles méthodes de combat pour les sous-marins. L’accusé est responsable d’un ordre dans lequel il ordonnait, à l’époque, non seulement de couler les navires marchands, non seulement de s’abstenir de sauver les équipages, mais encore d’exterminer délibérément ces derniers.
Le document suivant du livre de documents montre le tour que prirent les événements. C’est le document D-423, que je dépose sous le n° GB-197, compte rendu d’une conversation entre Hitler et l’ambassadeur du Japon, Oshima, en présence de l’accusé Ribbentrop, le 3 janvier 1942.
« Le Führer explique sur une carte à l’ambassadeur du Japon où en est actuellement la guerre navale dans l’Atlantique, insistant sur le fait qu’à son avis la tâche la plus importante est de donner son plein développement à la guerre sous-marine. La flotte sous-marine est en cours de réorganisation. Il a commencé par rappeler tous les sous-marins qui opéraient dans l’Atlantique. Comme il a été dit précédemment, ils seraient bientôt postés aux abords des ports des États-Unis. Plus tard, ils descendraient jusqu’au large de Freetown, les plus gros bâtiments jusqu’à Capetown. »
Viennent ensuite d’autres détails :
« Après avoir donné de plus amples explications sur la carte, le Führer insista sur le fait que, quel que soit le nombre de navires construits par les États-Unis, la difficulté majeure résiderait pour eux dans le manque de personnel. C’est pourquoi même les navires de commerce devaient être coulés sans avertissement. Le but consistait à faire périr la plus grosse partie des équipages. Lorsqu’il se saura que la plupart des marins périssent au cours des torpillages, les Américains ne tarderont pas à éprouver certaines difficultés à enrôler de nouveaux équipages. L’entraînement du personnel navigant réclame beaucoup de temps. Nous luttons pour notre existence et nous ne pouvons nous laisser inspirer par aucune considération humanitaire. De ce fait, il se voit dans l’obligation de donner l’ordre, pour le cas où les marins ennemis ne pourraient être faits prisonniers, ce qui est presque toujours impossible en pleine mer, que les sous-marins fassent surface après le torpillage et tirent sur les canots de sauvetage.
« L’ambassadeur Oshima est entièrement d’accord avec ces vues du Führer et déclare que les Japonais se voient eux aussi dans l’obligation d’employer les mêmes méthodes. »
Le document suivant, D-446 ou GB-198, que je n’ai pas l’intention de lire, est un extrait du journal de guerre du BDU en date du 16 septembre 1942. Il intéresse cette affaire, car il consigne un événement advenu le lendemain du jour où l’ordre que je viens de mentionner a été donné. La Défense, sans aucun doute, compte l’utiliser. Il rapporte l’attaque par un avion allié d’un sous-marin qui était en train de sauver des naufragés, pour la plupart des Italiens, rescapés du transatlantique allié Laconia.
Le document suivant D-630 (GB-199) contient quatre pièces. La première est un ordre confidentiel envoyé à tous les commandants de sous-marins par le Quartier Général de l’accusé, en date du 17 septembre 1942.
« 1. Aucune tentative d’aucune sorte ne doit être faite pour sauver les passagers des navires coulés. On ne doit ni repêcher les personnes tombées à l’eau ni les hisser à bord de canots de sauvetage, ni redresser les embarcations chavirées, ni distribuer vivres et eau. Le sauvetage va à rencontre des exigences élémentaires de la guerre qui sont de détruire navires et équipages ennemis.
« 2. Les ordres selon lesquels on doit prendre à bord les capitaines et les officiers mécaniciens ne sont cependant pas rapportés.
« 3. Sauvetage des naufragés, uniquement dans le cas où leurs déclarations peuvent présenter quelque utilité pour votre bâtiment.
« 4. Soyez durs, en vous souvenant que l’ennemi ne tient aucun compte des femmes et des enfants dans ses bombardements des villes allemandes. »
C’est un ordre dont les mots sont soigneusement pesés. Ses intentions deviennent manifestes si l’on examine le document qui lui succède à la même page. C’est un extrait du journal de guerre de l’accusé et je dois le lire ici. Il porte, remarquons-le, comme on peut le voir sur l’exemplaire communiqué au Tribunal, la propre signature de l’accusé Dönitz. C’est le passage de son journal de guerre relatif au 17 septembre 1942.
« On attire une fois de plus l’attention de tous les commandants » — quant à moi c’est sur l’expression « une fois de plus » que je tiens à attirer l’attention du Tribunal — « sur le fait que sauver les membres des équipages des navires coulés va à l’encontre d’une des exigences primordiales de la guerre qui est l’anéantissement des navires ennemis et de leurs équipages. Cependant, l’ordre de prendre à bord les capitaines et les officiers mécaniciens reste toujours en vigueur. »
Les deux derniers documents de cette page sont d’abord un télégramme adressé par le commandant du sous-marin Schacht au Quartier Général de l’accusé et la réponse qu’il reçut ensuite. Le Schacht avait pris part au sauvetage des survivants du Laconia. Le télégramme du Schacht est daté du 17 septembre 1942, il est rédigé comme suit :
« 163 Italiens transférés sur l’Annamite. Officier navigateur du Laconia et un autre officier anglais également à bord. »
Puis il expose la situation de survivants anglais et polonais montés dans d’autres embarcations.
La réponse qu’il reçut le 20 est la suivante :
« Façon de procéder, rapportée par radio du 17, erronée. Le bâtiment était bien destiné au sauvetage des alliés italiens mais pas à celui d’Anglais ou de Polonais. »
Ce n’est qu’un détail, mais naturellement l’expression « était destiné » fait allusion à la façon dont aurait dû se dérouler le sauvetage sans le bombardement perturbateur.
Je dépose ensuite, sous le n° GB-200, le document D-663, qui a été publié plus tard et n’a peut-être pas encore été inséré dans le livre de documents du Tribunal. C’est l’extrait d’un ordre d’opérations de l’« Ordre d’opération pour l’Atlantique n° 56 », daté du 7 octobre 1943, et la copie déposée fait partie de l’un des ordres de marche communiqués à un sous-marin. Comme j’ai l’intention de le prouver avec l’aide du second témoin, cet ordre d’opération bien qu’il soit daté d’octobre 1943, ne fait à la vérité que reproduire un ordre publié bien avant, au cours de l’automne 1942 :
« Navires de sauvetage. Un navire dit de sauvetage est généralement adjoint à chaque convoi. Ce sont des navires spéciaux dont le tonnage va jusqu’à 3.000 tonnes. Ils sont destinés à recueillir les survivants d’attaques par sous-marins. Ces navires sont pour la plupart pourvus d’un avion catapulté et de gros canots à moteur. Ils sont fortement armés, de lance-grenades sous-marines surtout et très mobiles, si bien que les commandants de sous-marins les considèrent souvent comme de véritables pièges à sous-marins. »
Puis la dernière phrase : « Le but recherché étant la destruction de tous les équipages de navires, leur torpillage est de grande importance. »
Pour résumer ces documents, je dirai qu’il semble bien, compte tenu de ce qui est consigné le 17 septembre au journal de guerre, que les ordres dont le contenu fit l’objet des conversations entre Hitler et Oshima furent en fait publiés, bien que nous n’ayons pas réussi à nous en emparer. Il se peut, d’ailleurs, qu’ils n’aient été donnés qu’oralement et que l’accusé ait attendu une occasion opportune pour en faire part officiellement. L’incident du bombardement des sous-marins chargés de secourir les survivants italiens du Laconia fut pour lui l’occasion de donner officiellement cet ordre à tous les commandants. À la lumière de ce qui est consigné au journal de guerre, les véritables buts de cet ordre deviennent clairs. Les termes en sont certes particulièrement prudents mais, pour tout officier ayant quelque expérience, sa raison d’être était évidente : l’ordre approuvait l’extermination délibérée des survivants.
On vous dira que cet ordre, bien que peut-être rédigé de façon malheureuse, n’avait d’autre but que d’empêcher les commandants d’exposer leur navire en essayant de sauver les naufragés, ce qui, vu l’ampleur prise par les vols de surveillance alliés au-dessus des océans, était devenu particulièrement périlleux. On vous dira aussi que le comportement tant décrié du commandant de sous-marin Eck coulant le vapeur grec Peleus et mitraillant ensuite l’équipage réfugié sur des radeaux fut une exception ; que, bien qu’à vrai dire un exemplaire de l’ordre en question se trouvât à bord, l’intéressé n’agit ainsi, comme il l’a lui-même juré, que sur sa propre initiative.
Je voudrais cependant déclarer au Tribunal que si cet ordre d’arrêter les sauvetages avait pour but la sécurité des sous-marins, il aurait suffi, en premier lieu, d’attirer l’attention sur l’ordre permanent n° 154. En second lieu, ce fait particulier aurait été expressément indiqué dans l’ordre. Des ordres aussi graves sont en effet rédigés par des officiers d’État-Major expérimentés, avec une très grande prudence, en prévision de leur saisie possible par l’ennemi. En troisième lieu, s’il avait été nécessaire d’éviter les risques qu’entraîne le fait de rester dans les parages du torpillage ou celui de faire surface après le torpillage, non seulement cela aurait été mentionné, mais il n’aurait plus du tout été question de faire des prisonniers, sauf peut-être dans le cas où le retour à la surface n’aurait comporté aucun risque. En quatrième lieu, la phrase finale du premier paragraphe aurait été rédigée tout autrement. En cinquième lieu, c’est d’ailleurs une supposition que le Ministère Public n’admettra jamais, si l’accusé ne voulait pas formellement inciter au meurtre, son ordre était cependant rédigé de telle sorte qu’il ne peut pas décliner la responsabilité d’un tel document.
Je voudrais maintenant, Monsieur le Président, que comparaisse mon premier témoin, Peter Heisig.
Quel est votre nom ?
Je m’appelle Peter Josef Heisig.
Prêtez serment : « Je jure devant Dieu tout puissant et omniscient que je dirai la pure vérité, et que je ne cèlerai ni n’ajouterai rien ».
Peter Josef Heisig, vous êtes enseigne de vaisseau de la Marine allemande ?
Je suis enseigne de vaisseau de la Marine allemande.
Vous avez été fait prisonnier le 27 décembre 1944 et vous l’êtes encore maintenant ?
Oui.
Vous avez fait une déposition sous serment le 27 novembre 1945 ?
Oui.
Est-ce bien là votre signature ? Monsieur le Président, il s’agit du document D-566.
C’est bien le document que j’ai signé.
Je le dépose sous le n° GB-201. (Au témoin.) Pouvez-vous vous rappeler l’automne 1942 ? Quel grade aviez-vous à cette époque ?
J’étais enseigne de 1ère classe à la 2e flottille d’entraînement des sous-marins.
Y suiviez-vous un cours ?
Je suivais le cours d’entraînement des officiers de quart de sous-marins.
Vous souvenez-vous du dernier jour de cours ?
Le dernier jour de ce cours, le Grand-Amiral Dönitz, alors Commandant en chef des sous-marins, inspecta la 2e flottille de sous-marins.
Que se passa-t-il à la fin de cette inspection ?
À la fin... non pas à la fin, mais durant sa visite, le Grand-Amiral Dönitz adressa un discours aux officiers de la 2e flottille.
Pouvez-vous préciser la date de cette visite ?
Je ne me rappelle qu’approximativement la date. Ce devait être à la fin de septembre ou au début d’octobre 1942.
Maintenant, je vous prie, pouvez-vous donner au Tribunal, en parlant lentement, un compte rendu de ce que l’amiral Dönitz dit dans son discours ?
Le Grand-Amiral Dönitz dit dans son discours que le nombre des succès remportés par les sous-marins allait en diminuant. La cause en était la puissante surveillance aérienne exercée par l’ennemi. De nouveaux canons anti-aériens avaient été mis au point qui permettraient à l’avenir aux sous-marins de se défendre contre l’aviation ennemie. Hitler avait donné personnellement à Dönitz l’assurance que les sous-marins seraient pourvus de ces canons anti-aériens avant toutes les autres armes de la Wehrmacht. On pouvait s’attendre en conséquence à ce que dans quelques mois les succès fussent aussi fréquents que précédemment.
Après avoir ensuite parlé des bonnes relations qu’il entretenait avec Hitler, le Grand-Amiral Dönitz traita du programme d’armement du Reich.
À la question posée par un officier à propos d’un article de journal annonçant que les nations alliées construisaient plus d’un million de tonnes de navires marchands chaque mois, l’amiral Dönitz répondit qu’il mettait en doute cette estimation, basée sur une simple déclaration du Président Roosevelt. Puis, il dit quelques mots sur le Président Roosevelt, sur le programme et le potentiel d’armement des États-Unis et ajouta que les Alliés avaient de grandes difficultés à constituer les équipages de leurs bateaux. Les marins alliés trouvaient dangereuse la traversée de l’Atlantique parce que les sous-marins allemands coulaient un grand nombre de navires alliés. Nombre de marins alliés avaient déjà eu à subir plusieurs torpillages. Ces faits arrivaient à être connus et donnaient aux marins l’appréhension de reprendre la mer. Un certain nombre d’entre eux essayaient d’éviter la traversée de l’Atlantique, si bien que les autorités alliées ont dû, quand cela s’avérait nécessaire, réquisitionner les hommes à bord. De tels indices étaient très favorables pour les Allemands. Donc, bien que les Alliés aient construit beaucoup de navires marchands nouveaux, ils rencontraient des difficultés énormes pour trouver des équipages à tous ces bâtiments nouvellement construits.
L’amiral Dönitz tira la conclusion que la question des effectifs était très sérieuse pour les Alliés, que les pertes en hommes étaient particulièrement graves pour eux puisqu’ils manquaient de réserves et aussi parce que...
Je ne voudrais pas vous interrompre, mais ne parla-t-il pas des sauvetages ? Vous nous avez parlé des pertes alliées et de leur gravité.
Oui, il parla des sauvetages mais j’y viendrai un peu plus tard.
Le Grand-Amiral Dönitz déclara que les pertes des Alliés étaient très graves, d’abord parce qu’ils n’avaient pas de réserves et aussi parce que la formation de nouveaux marins réclamait beaucoup de temps. Il ne pouvait pas, dans ces conditions, comprendre comment les sous-marins allemands pouvaient encore venir au secours...
Colonel Phillimore, une seconde s’il vous plaît. Je ne crois pas que nous tenions à entendre tout le discours de l’amiral Dönitz. Nous ne voulons en connaître que les passages décisifs.
(Au témoin.) Vous avez traité la question des pertes. Venez-en maintenant au point important de ce discours, à sa fin. Qu’y disait le Grand-Amiral ?
À la vérité, la déclaration de ce témoin ne me concerne pas directement, mais je vois cependant une objection à soulever.
Selon la loi allemande, selon le code de procédure pénale allemande, le témoin doit dire tout ce qu’il sait d’une affaire. Si on l’interroge sur un discours du Grand-Amiral Dönitz, il ne doit pas, tout au moins d’après le Droit allemand, traiter uniquement de ce qui est considéré par le Ministère Public comme défavorable à l’accusé. Je pense que ce principe devrait être appliqué tout au long de ce Procès, quelque soit le témoin interrogé.
Docteur Thoma, le Tribunal n’est nullement lié par le Droit allemand. Je viens de dire que le Tribunal ne désirait pas entendre de la bouche de ce témoin tout le discours prononcé par l’amiral Dönitz. De plus, tout avocat aura le droit de procéder au contre-interrogatoire de ce témoin. Votre intervention est donc parfaitement inutile.
(Au témoin.) Pouvez-vous parler des passages décisifs du discours du Grand-Amiral ?
Le Grand-Amiral Dönitz dit ensuite que, dans les circonstances actuelles, il ne pouvait pas comprendre comment les commandants de sous-marins allemands auraient encore pu venir, à leurs risques et périls, au secours des équipages des bateaux marchands qu’ils avaient coulés. Ce faisant, ils travailleraient pour l’ennemi car les rescapés reprendraient la mer sur de nouveaux bateaux.
Au contraire, le moment était maintenant venu de déclencher la guerre totale sur mer également. Les équipages des navires constituaient au même titre que les navires un objectif pour les sous-marins. Cela empêcherait, en effet, les alliés de constituer les équipages des bâtiments récemment construits et surtout on pouvait s’attendre à ce qu’en Amérique et dans les autres pays alliés des grèves prissent naissance. Dès lors, beaucoup de marins ne voulaient plus reprendre la mer. Ces résultats pourraient être obtenus si nos mesures tactiques rendaient la guerre sur mer plus implacable. S’il en était parmi nous qui trouvaient ces mesures dures, nous ne devions pas oublier non plus que nos femmes, nos familles, nos foyers étaient aussi bombardés.
Tels furent les points essentiels du discours de l’amiral Dönitz.
Combien y avait-il approximativement d’officiers présents à écouter ce discours ?
Je n’ai pas assez l’expérience des rassemblements de foules pour pouvoir donner un chiffre précis. Je ne peux vous donner qu’une grossière approximation ; environ cent vingt officiers je pense.
Monsieur le Président, le témoin est maintenant disponible pour le contre-interrogatoire.
Le Ministère Public américain désire-t-il poser une question ? (Pas de réponse.) Le Ministère public soviétique ? (Pas de réponse.) Le Ministère public français ? (Pas de réponse.)
Les avocats peuvent procéder au contre-interrogatoire du témoin.
Je représente le Grand-Amiral Dönitz.
La Défense comprendra que ce que j’ai dit au Dr Thoma ne signifiait pas que je m’opposais à un contre-interrogatoire. Je voulais simplement gagner du temps. Le Tribunal ne désirait pas entendre les passages sans importance du discours de l’accusé Dönitz et ne voulait pas que le témoin nous les fasse connaître. Vous avez maintenant toute liberté pour poser toute question que vous jugeriez nécessaire.
Oberleutnant Heisig, avez-vous personnellement pris part à des actions contre l’ennemi ?
Oui.
Sur quel bâtiment étiez-vous et qui commandait ?
J’étais sur le U-877, sous les ordres du lieutenant de vaisseau Finkeisen.
Répétez s’il vous plaît.
J’ai pris part à une action contre l’ennemi, sur le U-877, dont le commandant était le lieutenant de vaisseau Finkeisen.
Votre lutte contre la navigation ennemie fut-elle couronnée de succès ?
Notre bâtiment fut coulé alors qu’il se dirigeait vers la zone de combat.
Avant d’avoir pu couler un seul bâtiment ennemi ?
Oui.
Comment votre sous-marin fut-il coulé ?
Par grenades sous-marines. Deux frégates canadiennes avaient au son repéré notre sous-marin et le détruisirent à coup de grenades sous-marines.
Votre déposition d’aujourd’hui diffère quelque peu de la déclaration que vous avez faite le 27 novembre sur un point essentiel. Dans quelles conditions avez-vous été amené à faire cette déclaration le 27 novembre ?
J’ai fait cette déclaration pour décharger certains de mes camarades qui avaient été traduits devant un Tribunal militaire à Hambourg et condamnés à mort pour meurtre de marins naufragés.
Vous avez commencé votre déclaration en disant que vous aviez reçu la nouvelle que des marins allemands étaient accusés de meurtre et que vous considériez de votre devoir de faire la déclaration suivante. Quelles informations avez-vous reçues, et quand ?
Au début du procès de Hambourg, instruit contre le capitaine Eck et ses officiers, j’étais prisonnier de guerre en Angleterre. C’est là que j’ai entendu à la radio et lu dans les journaux, que ces officiers allaient être condamnés. Comme je connaissais très bien l’un des officiers accusés, le lieutenant August Hoffmann, et m’étais entretenu avec lui à deux ou trois reprises sur ce sujet, je considérais de mon devoir de venir à son aide et de parler à sa décharge.
Lors de votre interrogatoire du 27 novembre, ne vous a-t-on pas annoncé que la condamnation à mort de Eck et de Hoffmann avait déjà été prononcée ?
C’est que... je ne me rappelle plus si c’était le 27 novembre. Je me souviens seulement que j’appris au cours de cet interrogatoire que la sentence de mort avait été exécutée. Je ne me souviens plus de la date, car je fus interrogé plusieurs fois.
Vous qui êtes au courant de la teneur de son discours, soutiendriez-vous que le Grand-Amiral Dönitz y prétendait de quelque façon que l’on dût ouvrir le feu sur les marins naufragés ?
Non, nous avons simplement tiré cette conclusion de ses paroles, de l’allusion qu’il fit aux bombardements et de ce qu’il avait déclaré que la guerre totale devait être maintenant menée contre les navires et leurs équipages. C’est ce que nous avions compris. Sur le chemin du retour à la Hansa, j’en ai parlé à mes camarades.
Parlez lentement.
Nous étions convaincus que c’était bien ce que l’amiral Dönitz avait voulu dire. Mais il ne l’a pas, à proprement parler, exprimé.
Vous êtes-vous entretenu de cette question avec l’un de vos supérieurs à l’école ?
J’ai quitté l’école le jour même. Mais je me souviens que l’un de mes supérieurs — je ne me rappelle malheureusement plus son nom ni les circonstances — nous parla de ce sujet et recommanda aux officiers d’assurer seuls, si possible, de leur pont, la suppression des marins naufragés, s’il y avait lieu de le faire, ou si cela se révélait nécessaire.
C’est un de vos supérieurs qui vous a dit cela ?
Oui, mais je ne peux me rappeler à quelle occasion et en quel endroit. J’ai reçu de mes supérieurs un si grand nombre d’instructions et sur des sujets si divers !
Était-ce à l’école même ?
Non, car j’ai quitté la division d’entraînement des sous-marins le jour même du discours de Dönitz.
Vous a-t-on enseigné à l’école les instructions permanentes pour la conduite de la guerre ?
Oui. Nous avons reçu l’instruction des ordres sur la conduite de la guerre.
Ces ordres permanents mentionnaient-ils que l’on dût tirer sur les marins naufragés ou détruire leur matériel de sauvetage ?
II n’était pas question dans ces instructions permanentes de telles mesures. Mais je pense que l’on pouvait tirer ces conclusions de ce que le capitaine Rollmann, chef de notre compagnie d’officiers, nous avait dit à mots couverts, à propos d’un message télégraphique arrivé peu de temps auparavant et interdisant toute mesure de sauvetage, demandant aussi que la guerre sur mer soit conduite avec des méthodes plus radicales et plus poussées.
Pensez-vous qu’il soit équivalent d’interdire les mesures de sauvetage et de tirer sur les navires naufragés ?
Nous y arrivâmes...
Veuillez répondre à ma question. Pensez-vous que ce soit la même chose ?
Non.
Je vous remercie.
Docteur Thoma, je regrette, mais le Tribunal va lever l’audience. J’ai d’ailleurs encore une communication à faire. Vous pourrez procéder demain au contre-interrogatoire du témoin.
Je vous remercie.
Comme je l’ai déjà dit, le Tribunal ne siégera pas cet après-midi en audience publique.
La déclaration que j’ai à faire se rapporte aux organisations présumées criminelles d’après l’article 9 du Statut. Voici ce que j’ai à dire :
Le Tribunal a mûrement pesé les obligations que lui impose l’article 9 du Statut.
Il est difficile de déterminer les modalités suivant lesquelles les représentants des organisations précitées seront, conformément à l’article 9, autorisés à comparaître, avant d’avoir étudié la nature exacte des charges relevées par le Ministère Public. C’est pourquoi le Tribunal décide que pour l’instant, à la suite des milliers de requêtes dont il a été saisi, le relevé des charges soit établi par le Ministère Public avec plus de précision que cela n’a été fait dans l’Acte d’accusation.
En conséquence, il entre dans les intentions du Tribunal d’inviter les représentants du Ministère Public et de la Défense à se prononcer sur certaines questions après que l’ensemble des charges aura été dressé par les ministères publics. Les questions à prendre en considération sont les suivantes :
1. Le Statut ne donne pas la définition d’une organisation criminelle. Il est donc nécessaire d’examiner les critères qui doivent décider de la criminalité et de décider des preuves qui seront admissibles.
Un grand nombre des requérants qui ont demandé à être entendus, affirment soit avoir été versés d’office dans l’organisation, soit ne pas en avoir connu les buts criminels, soit ne s’être rendus coupables d’aucun acte illégal.
Il sera nécessaire de décider si des témoignages de cet ordre pourront être admis pour réfuter le caractère criminel imputé à une organisation ou bien s’il n’est pas plus utile de réserver de tels témoignages pour les procès qui, aux termes de l’article 10 du Statut, se dérouleront après que les organisations auront été déclarées coupables, si le Tribunal en décide ainsi.
2. La question de savoir avec précision pendant quel laps de temps telle organisation précitée doit être déclarée criminelle présente un intérêt capital pour le Tribunal.
Le Tribunal désire savoir si le Ministère Public a ou non l’intention de conserver, à cette phase du Procès, les dates fixées dans l’Acte d’accusation.
3. Le Tribunal désire savoir si, à la lumière de ces témoignages, certaines personnes qui ont fait partie des organisations en question ne devront pas échapper à la déclaration de criminalité, et, s’il a lieu, quelles sont ces personnes.
Dans l’Acte d’accusation contre le corps des chefs politiques du parti national-socialiste, le Ministère Public s’est réservé le droit de demander que les « Politische Leiter » ayant occupé des fonctions ou des emplois subalternes, par exemple, ou ayant appartenu à certains services ou catégories soient exclus de la décision, sans préjudice des autres poursuites ou actions intentées contre eux.
Le Ministère Public a-t-il l’intention de présenter de semblables requêtes ? Dans l’affirmative, c’est maintenant qu’il doit les faire.
4. Le Tribunal serait heureux si le Ministère Public pouvait en outre :
a) Faire pour chaque organisation incriminée le résumé des éléments qui, à son avis, doivent la faire déclarer criminelle.
b) Indiquer quels sont les actes des accusés pris individuellement qui permettent, conformément à l’article 9 du Statut, de déclarer criminels les groupes ou organisations dont ils étaient membres.
c) Soumettre par écrit un résumé des faits susceptibles d’entraîner pour ces organisations une déclaration de criminalité.
Le Tribunal espère qu’il n’est pas nécessaire d’assurer le Ministère Public qu’il ne cherche en aucune façon à mettre obstacle à son droit indiscutable de présenter ses charges comme il l’entend, en pleine connaissance de tous les faits et documents qui sont en sa possession. L’article 9 du Statut oblige simplement le Tribunal à demander une définition claire et précise de ces charges.
Cette déclaration sera communiquée par écrit aux Procureurs Généraux et à la Défense.