TRENTE-QUATRIÈME JOURNÉE.
Mardi 15 janvier 1946.
Audience du matin.
Un autre avocat désire-t-il contre interroger ce témoin ? (Il s’agit de Peter Josef Heisig, déjà interrogé la veille.)
(Pas de réponse.)
Colonel Phillimore, désirez-vous poser d’autres questions au témoin ?
Non, Monsieur le Président, je n’ai plus de questions à lui poser.
Le témoin peut donc se retirer.
Avant d’appeler à la barre notre second témoin, Karl-Heinz Möhle, je signale que sa déposition sous serment constitue le document suivant dans le livre de documents.
Quel est votre nom ?
Karl-Heinz Möhle.
Voulez-vous répéter ce serment : « Je jure devant Dieu tout-puissant et omniscient de dire la pure vérité, de ne rien celer ni n’ajouter rien. »
Vous pouvez vous asseoir, si vous le voulez.
Karl-Heinz Möhle, vous étiez capitaine de corvette dans la Marine allemande ?
Oui, Monsieur.
Avez-vous servi dans la Marine allemande depuis 1930 ?
Oui, Monsieur.
Voulez-vous indiquer au Tribunal les décorations que vous avez obtenues ?
L’insigne de la guerre sous-marine, la Croix de Fer de deuxième et de première classes, la Croix de Chevalier, la croix du service de guerre de première et deuxième classes, la Croix allemande en argent.
Avez-vous prêté serment pour la déclaration que vous avez faite le 21 juillet 1945 ?
Oui Monsieur, j’ai bien fait une telle déclaration.
Regardez ce document et dites-moi si c’est bien là votre déclaration sous serment ?
Oui, c’est bien là mon affidavit.
Je dépose ce document PS-382 sous la cote GB-202. (Au témoin.) À l’automne 1942, étiez-vous à la tête de la cinquième flottille sous-marine ?
Oui.
Votre port d’attache était-il Kiel ?
Oui Monsieur.
Pendant combien de temps, en tout, avez-vous occupé ce poste ?
Quatre ans.
Était-ce de juin 1941 jusqu’à la capitulation ?
C’est exact.
Quelles étaient vos fonctions en tant que commandant de cette flottille ?
Mes principales fonctions comme commandant de la flottille étaient de mettre en état d’appareiller les sous-marins de nos bases destinés au combat et de transmettre les ordres du commandement de la flotte sous-marine.
Aviez-vous, au sujet de ces ordres, une responsabilité spéciale vis-à-vis des commandants de sous-marins ?
Oui. Je devais veiller à ce que les commandants des sous-marins appareillant fussent informés des nouveaux ordres émanant du commandement de la flotte sous-marine.
Étiez-vous chargé d’expliquer ces ordres ?
Les ordres du commandement de la flotte sous-marine étaient toujours très clairs et sans ambiguïté. Lorsqu’il y avait des ambiguïtés, je demandais des éclaircissements à l’État-Major du Commandant en chef des sous-marins.
Voyiez-vous personnellement les commandants de sous-marins avant qu’ils ne partent en croisière ?
Oui, chaque commandant, avant de partir en croisière pour effectuer une opération, recevait ce que l’on appelait l’instruction du commandant.
Je vais reprendre, si vous le voulez bien, deux ou trois questions. Voyiez-vous personnellement les commandants d’unités avant leur départ en croisière ?
Oui. Avant de partir en mission, chaque commandant assistait dans mon bureau à une séance d’instruction.
En quoi consistaient ces séances d’instruction ? Y était-il question des ordres ?
Oui, toutes les expériences des croisières précédentes et toutes les questions sur l’armement des bateaux étaient discutées avec les commandants au cours de ces séances. Ils avaient aussi la possibilité, en posant des questions, de dissiper les incertitudes qui pouvaient subsister dans leurs esprits.
En dehors de ces séances d’instruction, les commandants se rendaient-ils aussi au Quartier Général de l’amiral Dönitz pour des séances d’instruction du même genre ?
Dans la mesure du possible, cela se pratiqua, principalement à partir du moment où le Commandant en chef de la flotte sous-marine transféra ses bureaux de Paris à Berlin.
Vous souvenez-vous d’un ordre, au cours de l’automne 1942, relatif aux bateaux de sauvetage ?
Oui. En septembre 1942, je reçus un message par radio adressé à tous les commandants en mer qui se rapportait à cette question.
Je vous montre ce document. Monsieur le Président ; c’est le document déjà déposé sous le n° GB-199.
Quel autre numéro porte-t-il encore ?
C’est le document D-630. (Au témoin.) Est-ce là l’ordre auquel vous faites allusion ?
Oui, c’est bien cet ordre.
Depuis le moment où vous avez été fait prisonnier jusqu’à vendredi dernier, avez-vous eu l’occasion de voir cet ordre ?
Non, Monsieur.
Je pense donc que la relation de cet ordre que vous avez donnée dans votre déposition a été faite de mémoire ?
Oui, simplement de mémoire.
Après avoir reçu cet ordre, vous êtes-vous rendu au Quartier Général de l’amiral Dönitz ?
Lors de ma première visite au Quartier Général qui a suivi la réception de cet ordre, j’en ai discuté personnellement avec le capitaine de corvette Kuppisch, rapporteur à l’État-Major du commandement de la flotte sous-marine.
Voulez-vous dire au Tribunal ce qui fut dit à cette entrevue ?
Lors de cette conversation, je demandai au capitaine de corvette Kuppisch comment il fallait comprendre ce qu’il y avait dans cet ordre d’ambigu ou plutôt ce qui manquait de clarté. Il m’expliqua l’ordre au moyen de deux exemples.
Le premier exemple était celui d’un sous-marin dans le golfe de Gascogne. Il partait en mission quand il rencontra un bateau pneumatique avec les survivants d’un avion anglais. Partant en expédition lointaine, donc complètement équipé, il lui était impossible de prendre à son bord l’équipage de cet avion, bien que, justement à ce moment-là, il semblât tout à fait désirable de faire prisonniers des spécialistes d’un équipage d’avion abattu afin d’en retirer des renseignements. Le commandant du sous-marin décrivit un large cercle autour du canot et poursuivit sa route. Quand il revint, sa mission accomplie, il raconta le cas à l’État-Major du Commandant en chef de la flotte sous-marine. Les officiers d’État-Major lui reprochèrent sa conduite, en disant que s’il se trouvait dans l’incapacité de ramener à son bord ces spécialistes, il aurait été bon d’attaquer cet équipage parce que l’on pouvait compter que, dans un délai maximum de 24 heures, ce bateau pneumatique serait sauvé par des forces de reconnaissance anglaises et que...
Je n’ai pas très bien compris ce que vous avez dit sur ce qu’il aurait été bon de faire. Vous disiez qu’il aurait été bon...
II aurait été opportun d’attaquer cet équipage d’avion, ces spécialistes, puisqu’il ne pouvait être question de les prendre à bord et puisqu’il fallait compter qu’ils pouvaient rapidement être découverts et secourus par des forces anglaises de reconnaissance et par la suite auraient peut-être l’occasion, à nouveau, de détruire un ou deux sous-marins allemands.
Le deuxième exemple...
Vous a-t-il fourni un second exemple ?
Oui, un deuxième exemple que je vais vous exposer. Deuxième exemple : dans les premiers mois de la guerre sous-marine contre les États-Unis, un tonnage très important — je n’en connais pas exactement le chiffre — avait été coulé dans le voisinage immédiat de la côte américaine. Lors de ces torpillages, la plus grande partie de ces équipages fut sauvée, à cause de la proximité de la côte. On signale que c’était extrêmement regrettable, car la marine marchande avait besoin non seulement de tonnage mais aussi d’équipages et que ces équipages pourraient encore servir sur des navires nouvellement construits.
Vous nous avez parlé de l’ambiguïté de l’ordre. Êtes-vous au courant de la manière dont l’amiral Dönitz rédigeait ses ordres ?
Je n’ai pas tout à fait compris la question.
Êtes-vous au courant de la manière dont l’amiral Dönitz rédigeait habituellement ses ordres ?
Oui. À mon avis, l’ordre aurait simplement dû indiquer ceci : l’attention est à nouveau attirée sur le fait que, pour des raisons de sécurité, les sous-marins doivent s’abstenir de toute mesure de sauvetage. C’est ainsi qu’il aurait dû être rédigé si les seules mesures de sauvetage devaient être interdites. Tous...
Voulez-vous dire que si l’on avait eu l’intention d’interdire seulement les mesures de sauvetage, il aurait suffi de rappeler l’ordre précédent ?
Oui, cela aurait suffi.
Ce précédent ordre portait-il aussi la mention « Affaire secrète de commandement » ?
Je ne m’en souviens pas exactement.
Quelle était la propagande à l’époque, à l’égard des équipages ?
À ce moment-là, la propagande disait que l’adversaire avait de très grandes difficultés à trouver des équipages suffisants pour sa navigation marchande et...
La question sur la propagande de l’époque est trop générale pour que le témoin y réponde.
Plaise à Votre Honneur, je n’insiste pas. (Au témoin.) D’après ce que vous savez sur la façon dont les ordres étaient rédigés, pouvez-vous dire au Tribunal comment vous avez compris cet ordre ?
L’ordre disait, selon mon opinion personnelle, que les mesures de sauvetage restaient interdites et que, d’autre part, on désirait, lors des torpillages de navires marchands, qu’il n’y eût aucun survivant.
Êtes-vous allé au Quartier Général de Dönitz parce que vous aviez compris l’ordre de cette façon ?
Je ne suis pas allé au Quartier Général du commandant de la flotte sous-marine uniquement à cause de cet ordre. Ces visites avaient lieu fréquemment pour discuter aussi d’autres questions et pour avoir la possibilité de me tenir constamment au courant des vues et des opinions du commandement de la flotte sous-marine, étant donné que je devais les transmettre aux commandants.
De quelle façon avez-vous donné aux commandants de sous-marins les instructions relatives à cet ordre ?
Au cours de ces séances d’instruction je leur ai communiqué le texte de ce message radiophonique sans commentaires. Dans un petit nombre de cas, des commandants m’ont posé des questions au sujet de la signification de cet ordre. Je leur ai alors exposé les deux exemples qui m’avaient été donnés au Quartier Général. Néanmoins, j’ajoutais que : « le Commandement des sous-marins ne peut pas vous donner officiellement un tel ordre ; chacun doit agir selon sa propre conscience. »
Vous souvenez-vous d’un ordre concernant les bateaux de sauvetage ?
Oui, parfaitement.
Pouvez-vous nous dire la date de cet ordre ?
Je ne me souviens pas de la date exacte. Néanmoins je pense que l’ordre devait être à peu près contemporain de celui de septembre 1942.
Le témoin pourrait-il voir le document D-663, que j’ai déposé hier ?
Oui.
C’est la copie allemande du document que je lui montre, l’original est entre mes mains.
Oui, je reconnais cet ordre.
Vous remarquerez que la date figurant sur le document est celle du 7 octobre 1943.
Oui, cet ordre figure dans l’ordre général n° 56 sur les opérations de l’Atlantique. D’après mes souvenirs, il était déjà cependant contenu dans le précédent ordre d’opérations, l’ordre n° 54, dans un message radio d’information ou d’instruction, je ne me souviens pas très bien. La date est octobre 1943,
Colonel Phillimore, est-ce que cet ordre apparaît dans la table des matières ?
Oui, Monsieur le Président. C’est le document D-663 que j’ai déposé hier sous le n° GB-200. S’il a été omis dans l’index, vous vous souviendrez, Monsieur le Président, que c’est le document que nous avons tout récemment reçu, comme je l’ai expliqué hier.
Où se trouve-t-il ?
Il se trouve après le D-630.
Ah oui, merci.
Les membres du Tribunal se souviennent que cet ordre concerne les bateaux de sauvetage rattachés aux convois, et c’est surtout à la dernière phrase que je me rapporte.
Oui, je désirais simplement en avoir le texte.
Oui, Monsieur le Président. J’ai aussi l’original ici et, si l’on estime nécessaire que le témoin le voie, je le montrerai ; mais il en a vu une copie. (Au témoin.) Vous souvenez-vous d’un ordre sur les mentions au journal de bord ?
Oui, Monsieur. À ce moment-là — je ne me souviens pas de la date exacte — il a été ordonné que les torpillages et actions contraires aux conventions internationales ne devaient pas être mentionnés sur le livre de bord, mais que l’on devait en faire le rapport oral après le retour au port.
Voulez-vous nous dire ce qui vous a incité à témoigner ici sur ce point ?
Oui, Monsieur. Lors de ma capture, on m’a fait le reproche d’avoir été l’auteur de ces ordres et je ne veux pas voir ce reproche attaché à mon nom.
Monsieur le Président, le témoin est à la disposition de mes collègues pour être interrogé ou entendu contradictoirement.
Est-ce que l’avocat de l’un des accusés désire poser des questions au témoin ?
Capitaine de corvette Möhle, depuis quand étiez-vous dans l’arme sous-marine ?
Depuis la fin de 1936.
Connaissez-vous personnellement le Grand-Amiral Dönitz ?
Oui.
Depuis quand ?
Depuis octobre 1937.
Le voyez-vous ici, dans cette salle ?
Oui.
Où ?
À gauche derrière.
L’amiral Dönitz vous est-il connu comme un amiral auquel aucun de ses chefs de flottilles ou commandants ne pouvait adresser la parole ?
Non.
Ou était-ce le contraire ?
Il était accessible à chacun et en tous temps.
Avez-vous navigué vous-même comme commandant de sous-marin ?
Oui, pour neuf missions.
Durant quelle période ?
Depuis le début de la guerre jusqu’en avril 1941.
Combien de navires avez-vous coulés ?
Vingt navires.
Avez-vous, après avoir torpillé ces navires, détruit les moyens de sauvetage ou tiré sur les naufragés ?
Non.
Aviez-vous ordre de le faire ?
Non.
Le danger pour un sous-marin a-t-il disparu après l’attaque d’un navire de commerce ?
Non, le danger pour un sous-marin n’est pas passé quand l’attaque est terminée.
Pourquoi donc ?
Parce que, dans la plupart des cas de torpillage, le navire est encore en mesure d’envoyer des messages de S.O.S., d’indiquer sa position et d’attirer ainsi au dernier moment des forces capables d’attaquer le sous-marin.
Y avait-il, dans l’arme sous-marine, un principe disant que le combat passait avant le sauvetage ?
Je ne l’ai jamais entendu dire sous cette forme.
Avant l’ordre de septembre 1942, connaissiez-vous d’autres ordres dans lesquels les sauvetages étaient interdits, s’ils mettaient en danger le sous-marin ?
Oui, mais je ne sais pas quand ni où cet ordre a été écrit. Il était ordonné en principe que la sécurité de nos propres sous-marins passât avant tout.
Est-ce que cela a été ordonné une seule fois ou à plusieurs reprises ? .
Je ne saurais vous le dire.
Savez-vous que l’ordre de septembre 1942 a été donné à la suite d’un cas dans lequel des sous-marins allemands avaient procédé à des sauvetages contrairement aux ordres donnés ?
Oui.
Ces sous-marins avaient alors été attaqués par des avions alliés ?
Oui.
Vous avez précédemment qualifié l’ordre de septembre d’ambigu. Est-ce exact ?
Oui.
Vous l’avez expliqué aux commandants en ce sens qu’il impliquait la destruction des moyens de sauvetage et la mort des équipages. Est-ce exact ?
Non, pas tout à fait. J’ai simplement exposé aux commandants, lorsqu’ils demandaient des explications, les deux exemples donnés par le Commandant en chef des sous-marins et ils pouvaient eux-mêmes en tirer cette conclusion.
Dans quelle phrase de l’ordre voyez-vous une invitation cachée à tuer les survivants ou à détruire les moyens de sauvetage ?
Dans la phrase...
Un instant, je vais vous lire cet ordre phrase par phrase.
Bien.
Je lis le document D-630 : « 1° Aucune tentative de sauvetage des membres des équipages de navires coulés ne doit être faite ; on doit s’abstenir du repêchage des gens à l’eau, de leur embarquement dans des canots de sauvetage, de redressement des canots chavirés, de la distribution de vivres et d’eau. » Le voyez-vous dans cette phrase ?
Non.
« Le sauvetage est contraire aux nécessités les plus élémentaires de la guerre, qui exigent la destruction des navires et des équipages. » Le voyez-vous dans cette phrase ?
Oui.
Y a-t-il dans cette phrase quelque chose concernant l’anéantissement des naufragés ?
Non, des équipages.
Dans cet ordre, on trouve, à la fin les mots « Soyez durs ». Avez-vous alors entendu ces mots pour la première fois ?
Non.
Ces mots ont-ils été employés par le Commandant en chef de la flotte sous-marine pour obtenir que les commandants soient durs également pour eux-mêmes et leurs équipages ?
Oui.
Vous avez parlé de cet ordre avec le capitaine de corvette Kuppisch ?
Oui.
Vous en souvenez-vous exactement ?
Autant que je puisse m’en rapporter à ma mémoire si longtemps après.
Où cet entretien a-t-il eu lieu ?
Au Quartier Général du Commandant en chef de la flotte sous-marine, probablement à Paris.
Quel poste occupait le capitaine de corvette Kuppisch à cette époque ?
Autant que je puisse me rappeler, il s’occupait de la question des convois ennemis ; mais je ne peux pas le dire exactement.
Le supérieur du capitaine de corvette Kuppisch était-il le capitaine de frégate Hessler ?
Le supérieur... on ne peut pas le dire, car Hessler était comme Kuppisch un simple rapporteur.
Le supérieur du capitaine de corvette Kuppisch était-il l’amiral Goth ?
Oui, en tant que chef de l’État-Major.
Avez-vous parlé avec le capitaine Hessler, ou avec l’amiral Goth, ou avec le Grand-Amiral lui-même, de l’interprétation de l’ordre de septembre ?
Avec le capitaine Hessler, je ne peux pas me le rappeler, mais avec l’amiral Goth ou le Grand-Amiral, personnellement pas.
Vous avez dit que le capitaine Kuppisch vous avait mis au courant de l’opinion qui dominait à l’État-Major de la flotte sous-marine.
Oui.
Au sujet de l’attitude envers les aviateurs dans le golfe de Gascogne ?
Oui.
Vous a-t-il dit que c’était l’avis du Grand-Amiral lui-même ?
Je ne me souviens pas. Il y a trop longtemps. Cependant il était tout naturel, pour nous, chefs de flottilles, lorsqu’un rapporteur responsable nous communiquait un avis au cours d’éclaircissements donnés à l’État-Major de l’arme sous-marine, de considérer que c’était là l’opinion officielle du commandement de cette arme. Normalement, on ne s’informait auprès de l’amiral Goth ou du commandement même des sous-marins que lorsque les rapporteurs ne pouvaient trouver une interprétation définitive et assumer la responsabilité d’une réponse.
N’avez-vous pas su que l’affaire de ces aviateurs abattus dans le golfe de Gascogne s’est déroulée en réalité de la façon contraire ?
Je ne comprends pas.
Je continue : que le commandant a été blâmé parce qu’il n’avait pas ramené ces aviateurs avec lui-même en interrompant sa mission ?
Non je ne le sais pas.
Dans le deuxième exemple que vous avez cité, le capitaine de corvette Kuppisch a-t-il dit que les naufragés et leurs moyens de sauvetage près de la côte américaine auraient dû être détruits ?
Non, il a simplement dit qu’il était regrettable que les équipages eussent été sauvés.
Et vous en avez tiré la conclusion qu’il était désirable de tuer les naufragés ?
Je n’ai tiré aucune conclusion, étant donné que j’ai transmis ces exemples sans aucun commentaire.
Connaissez-vous les ordres permanents du commandement de la flotte sous-marine ?
Oui.
Contiennent-ils les principes généraux de la guerre sous-marine ?
Oui.
Y a-t-il dans ces ordres permanents, un ordre dans lequel la mise à mort de naufragés ou la destruction de moyens de sauvetage soit commandée ou conseillée ?
Autant que je sache, non.
Quel était le degré confidentiel de ces ordres permanents ?
Autant que je m’en souvienne, c’étaient des affaires secrètes du commandement.
Vous rappelez-vous que dans l’ordre permanent n° 511 il était ordonné ce qui suit.
Monsieur le Président, je lis des extraits d’un ordre que je déposerai plus tard comme preuve. Je ne peux pas le faire actuellement car je ne possède pas encore l’original :
« Ordre permanent n° 511 du commandant de la flotte sous-marine, 20 mai 1943.
« Prise à bord des officiers de navires coulés :
« 1. Autant que les conditions de logement à bord le permettent, les capitaines et les officiers mécaniciens de navires coulés doivent être pris à bord et ramenés. L’adversaire essaie de contrecarrer cette intention et a donné l’ordre suivant : a) Les capitaines ne doivent pas se laisser identifier lorsqu’ils sont interrogés, mais doivent si possible utiliser des marins spécialement choisis dans ce but ;
b) L’équipage doit déclarer que le capitaine et les officiers mécaniciens sont restés à bord. Si, malgré des questions énergiques, il n’est pas possible de trouver le capitaine ou l’officier mécanicien, il faut prendre à bord d’autres officiers.
« 2. On ne doit pas embarquer de capitaines et d’officiers de bord des navires neutres qui d’après l’ordre permanent n° 101 peuvent être coulés (par exemple des navires suédois en dehors du trafic de Göteborg), étant donné que l’internement de ces officiers est contraire au Droit international.
« 3. S’il n’est pas possible de faire prisonniers des officiers de bord, il faut ramener d’autres membres blancs de l’équipage, pour autant que la place et les tâches ultérieures du sous-marin le permettent, dans le but d’interroger les prisonniers à des fins militaires ou de propagande.
« 4. Si l’on réussit à couler un destroyer isolé, une corvette ou un garde-côte, il faut essayer à tout prix de faire des prisonniers, dans la mesure où cela est possible sans mettre en danger le bâtiment. L’interrogatoire des prisonniers dans des camps de passage peut donner des renseignements de grande valeur sur la tactique contre les sous-marins, l’outillage et les armes de l’adversaire. Il en est de même pour les équipages des avions abattus. » (Au témoin.) Connaissez-vous cet ordre ?
Oui, je crois le connaître.
Connaissez-vous l’ordre n° 513 ?
« Ordre permanent du commandant de la flotte sous-marine du 1er juin 1944. Prise à bord de prisonniers.
« 1. Les déclarations de prisonniers sont les meilleures et les plus sûres sources de renseignements sur la tactique, les armes, l’outillage et les procédés de détection de l’ennemi. Les prisonniers provenant d’avions et de destroyers peuvent être pour nous d’une très grande valeur, et c’est pourquoi, dans la mesure où cette possibilité ne met pas le sous-marin en danger, il faut tout mettre en œuvre pour ramener ces prisonniers.
« 2. Comme les prisonniers parlent plus facilement sous l’impression de leur capture, il faut les interroger immédiatement à bord. Il est surtout intéressant d’apprendre comment a lieu la détection des sous-marins par les avions, si elle a lieu par radar ou par des méthodes de détection passive, par exemple par la captation de radiations électriques ou calorifiques du sous-marin. Il faut signaler le plus rapidement possible la capture des prisonniers pour pouvoir éventuellement les confier à des bâtiments regagnant leur base. »
Connaissez-vous cet ordre ?
Oui.
Avez-vous noté une contradiction, et avez-vous essayé de l’éclaircir, entre ces ordres concernant le sauvetage d’équipages d’avions dans tous les cas et votre récit sur l’anéantissement des équipages d’avion ?
Non, car d’après l’ordre de septembre 1942 l’ordre relatif à la capture des capitaines et des officiers mécaniciens restait en vigueur.
Avez-vous entendu parler d’un cas quelconque où un sous-marin aurait ramené le capitaine et les officiers mécaniciens mais aurait anéanti le reste de l’équipage ?
Non.
Considérez-vous comme possible qu’un tel ordre ait été donné, c’est-à-dire qu’on ait donné l’ordre de sauver une partie de l’équipage et de tuer le reste ?
Non, on ne peut pas donner un tel ordre.
Avez-vous entendu dire qu’un commandant de sous-marin, sur la base de vos instructions, ait détruit des moyens de sauvetage ou tué des naufragés ?
Non.
Était-il permis d’attaquer des navires neutres en dehors des zones de blocus ?
Seulement s’ils ne portaient pas les signes distinctifs des navires neutres.
Le commandant de la flotte sous-marine était-il particulièrement sévère à propos de cet ordre sur la protection des navires neutres ?
Je ne connais pas de tels cas, je ne peux rien dire à ce sujet.
Savez-vous que les commandants de navires étaient passibles du Conseil de guerre s’ils n’observaient pas les ordres donnés pour la protection des navires neutres ?
Oui, je me souviens d’un cas qui s’est produit dans la mer des Caraïbes.
Vous rappelez-vous un ordre de 1944 dans lequel il était prescrit d’arraisonner les navires neutres et de les visiter ?
Oui, l’ordre a été donné — je ne me souviens plus de la date — d’arraisonner et de visiter tout particulièrement les navires espagnols et portugais naviguant dans le nord de l’Atlantique.
Avez-vous transmis cet ordre aux commandants ?
Autant que je puisse m’en souvenir, cet ordre a été donné par écrit et il se trouve dans l’une des séries officielles d’ordres. Je ne transmettais les ordres aux commandants que lorsqu’ils ne faisaient pas partie d’une série d’ordres.
En transmettant cet ordre avez-vous ajouté un commentaire disant qu’on pouvait l’exécuter ou non ?
Oui, je me souviens d’avoir dit, alors que cet ordre était arrivé par radio et n’était pas encore connu des commandants, que ces derniers devaient être très prudents sur l’arraisonnement des neutres, car on pouvait toujours craindre qu’un navire neutre n’indiquât par radio la position du sous-marin. De plus, étant donné la supériorité aérienne de l’adversaire dans l’Atlantique Nord, il était toujours plus sûr ou meilleur de ne pas être forcé d’arrêter de tels navires.
Aviez-vous des ordres du Commandement en chef des sous-marins pour ajouter de telles remarques ?
Non, autant que je puisse m’en souvenir, un membre de l’État-Major de l’arme sous-marine, le capitaine Hessler, je crois, en me parlant, a insisté particulièrement sur le gros danger que représentait pour un sous-marin l’arraisonnement des navires, y compris les neutres.
À cause des patrouilles ?
À cause des patrouilles aériennes.
Votre attention a-t-elle été attirée par l’ordre relatif aux bateaux de sauvetage ?
Oui.
Vous en rappelez-vous ?
Oui.
Ces bateaux de sauvetage étaient-ils, d’après la loi internationale, reconnus comme navires-hôpitaux, portant des signes extérieurs réglementaires ?
Autant que je sache, non.
Quels ordres existaient sur le respect des navires-hôpitaux ?
Je ne me souviens plus si ces ordres furent donnés par écrit ou non. Je sais seulement que le commandant de la flotte sous-marine attira souvent l’attention des commandants sur l’intangibilité absolue des navires-hôpitaux.
Avez-vous connaissance d’un cas quelconque dans lequel un navire-hôpital aurait été attaqué par un sous-marin ?
Non, je n’en ai pas connaissance.
S’il s’était agi pour le commandement de la flotte sous-marine d’anéantir des êtres humains sans défense, en violation du Droit international, la destruction de navires-hôpitaux aurait été un moyen particulièrement efficace, n’est-ce pas ?
Sans aucun doute.
Je n’ai pas d’autre question à poser.
Un autre avocat désire-t-il interroger ce témoin ? (Pas de réponse.)
Vous est-il arrivé de sauver les survivants d’un navire que vous ayez torpillé ?
Non, à cause de la situation militaire, je n’étais pas en mesure de le faire.
Voulez-vous dire qu’il eût été dangereux pour votre navire de le faire ?
Pas seulement cela. Une grande partie des torpillages effectués par moi ont eu lieu soit contre des convois, soit par mer houleuse, de sorte qu’un sauvetage était impossible.
C’est tout.
Colonel Phillimore, désirez-vous à nouveau interroger le témoin ?
J’ai encore environ trois questions à poser, Votre Honneur.
Très bien.
(Au témoin.) Lorsque vous étiez vous-même commandant de sous-marin, quels étaient les ordres sur le sauvetage des naufragés ?
Au début de la guerre, on nous avait dit que la sécurité de notre propre navire était le facteur déterminant et que le sous-marin ne devait pas être mis en danger par des mesures de sauvetage. Je ne puis me rappeler si ces ordres avaient été donnés par écrit au début de la guerre.
Lorsque vous avez reçu cet ordre du 17 septembre 1942, l’avez-vous compris seulement comme interdisant les opérations de sauvetage ou comme allant plus loin ?
Lorsque j’ai reçu cet ordre, j’ai été frappé du fait qu’il n’était pas aussi clair que l’étaient habituellement les ordres du commandement de la flotte sous-marine. On pouvait y voir une ambiguïté.
Vous n’avez pas répondu à ma question. Avez-vous compris cet ordre en ce sens que le commandant de sous-marin devait simplement s’abstenir de mesures de sauvetage, ou bien estimez-vous que l’ordre allait plus loin en quelque sorte ?
Je l’ai compris en quelque sorte comme allant plus loin, non pas comme ordre, mais comme une chose considérée comme désirable.
Connaissez-vous les détails de l’incident du Golfe de Gascogne qui vous a été cité en exemple ?
Non, je ne connais pas les circonstances entourant ce cas.
Quels sont les mots précis que vous avez employés pour transmettre cet ordre aux commandants ?
J’ai littéralement dit aux commandants ce qui suit : « Nous arrivons maintenant à un chapitre très difficile et très délicat ; il s’agit de la conduite à tenir à l’égard des canots de sauvetage. Le commandement de la flotte sous-marine a envoyé le message radiophonique suivant en septembre 1942. Là-dessus, j’ai lu mot à mot ce message radio de septembre 1942. Dans la plupart des cas, l’affaire se terminait là. Aucun commandant n’avait de question à poser ; on ne donnait d’explications que lorsque des questions étaient posées. Dans quelques cas très rares, les commandants demandèrent : « Comment cet ordre doit-il être interprété ? » Alors, comme moyen d’interprétation, j’ai donné les deux exemples cités et j’ajoutai « officiellement on ne peut pas donner un ordre de cette nature, chacun doit se mettre d’accord avec sa propre conscience. »
Vous souvenez-vous d’une remarque quelconque faite par un commandant, après la lecture de l’ordre ?
Oui. Plusieurs commandants, à la suite de la lecture de l’ordre, sans qu’on ait fait de commentaire, ont déclaré :
« C’est très clair, mais diablement dur ! »
Je n’ai pas d’autre question à poser au témoin.
Le Tribunal suspend l’audience pendant dix minutes.
Je voudrais maintenant présenter au Tribunal deux cas dans lesquels l’ordre du 17 septembre 1942 semble avoir été suivi. Le premier cas figure dans le document suivant du livre de documents, c’est le n° D-645 ; je le dépose comme preuve sous le n° GB-203.
C’est un compte rendu du torpillage d’un bateau de pêche à vapeur, le Noreen Mary qui a été coulé par le sous-marin U-247, le 5 juillet 1944. La première page du document est un extrait du journal de bord du sous-marin. La référence 1943 sur le document est suivie de la mention de l’envoi de deux torpilles qui ont manqué le but et, ensuite, à 20 h. 55, le journal de bord dit :
« Surface. — Vapeurs de pêche (Suit la détermination de la direction de trois bateaux). Attaqué le plus proche. Il s’arrête après trois minutes. »
Il est ensuite signalé qu’un coup de canon a été tiré après l’arrêt du chalutier, et la dernière note dit :
« Coup de D.C.A. dans le côté. Il coule par l’arrière. »
Le Tribunal remarquera qu’on ne parle pas dans ce journal du sort réservé aux marins naufragés après le torpillage.
Pourquoi cette date du 5 juillet 1943 ?
C’est une erreur de frappe ; j’aurais dû le faire remarquer avant.
La page suivante du document est un commentaire de l’action par le commandant du sous-marin. La dernière ligne dit :
« Succès reconnu : le bateau de pêche Noreen Mary coulé par la D.C.A. »
Puis voici un affidavit de James Mac Alister, qui était matelot sur le Noreen Mary au moment où il a été coulé. Le dernier paragraphe de la première page de l’affidavit dit (il a parlé auparavant des sillages des torpilles qui avaient manqué le chalutier) :
« À 21 h. 10, alors que nous étions toujours en train de pêcher, le sous-marin fit surface à tribord, à 50 yards environ au nord-est de nous et ouvrit tout de suite, sans avertissement, un feu de mitrailleuse sur le bateau. Nous étions à 18 milles à l’ouest du Cap de Wrath, cap au nord-ouest, avec une vitesse de trois nœuds. Le temps était beau et clair, ensoleillé, avec une bonne visibilité. La mer était calme et le vent léger. »
Au paragraphe suivant, Votre Honneur, se trouve un compte rendu des coups qui ont été tirés. Je voudrais lire maintenant le second alinéa de la page 2.
Pourquoi ne pas lire aussi le premier ?
Si vous le désirez, Monsieur le Président.
« Lorsque le sous-marin a fait surface, j’ai vu des hommes sortant de la tourelle. Notre capitaine crut d’abord que ce sous-marin était anglais mais lorsqu’on commença à tirer, il lâcha le chalut et donna toute la vitesse, environ 10 noeuds. Le sous-marin nous poursuivit, tirant à la mitrailleuse, et, dès la première décharge, tua deux ou trois hommes, y compris le capitaine, qui était sur le pont et n’avait pas eu le temps de se mettre à l’abri.
« Le sous-marin a ensuite utilisé un canon de la tourelle. Le premier coup fit sauter la chaudière, tout fut enveloppé de vapeur et le bateau s’arrêta.
« L’équipage s’était mis à l’abri, mais cependant tous les hommes, à l’exception de quatre, avaient été tués. Le sous-marin fit ensuite le tour de la proue et passa à babord en tirant sans arrêt de ses deux canons. Le bateau s’inclina lentement à babord, mais sans prendre feu.
« Le second et moi avons essayé de mettre à la mer le canot de sauvetage qui était à l’arrière, mais le second fut tué pendant cette tentative et j’abandonnai.
« Je descendis alors dans la cambuse, qui était sous la ligne de flottaison, pour me mettre à l’abri. Le bateau donnait de plus en plus de la bande à gauche, et, finalement, à 22 h. 10, il chavira et coula ; les quatre hommes encore vivants à bord furent projetés à la mer. Je ne sais pas où les trois autres s’étaient abrités pendant ce temps, car je ne les ai entendus et vus que dans l’eau.
« Je nageai jusqu’à ce que je trouve une épave ; c’était la proue brisée de notre canot de sauvetage, qui dérivait, la quille en l’air. Je pus grimper dessus. Le sous-marin ne plongeait toujours pas, mais se dirigea droit sur moi et, alors qu’il se trouvait seulement à 60 ou 70 yards, lâcha sur moi une courte rafale de mitrailleuse. Comprenant très bien leur intention, je me suis laissé tomber à l’eau et y restai jusqu’à ce que le sous-marin eût cessé de tirer et qu’il eût plongé. Je suis alors remonté sur la quille du canot. Le sous-marin avait tiré pendant une heure entière. »
La déclaration continue par la description des efforts du témoin et des autres rescapés pour se sauver et s’aider mutuellement jusqu’à ce que, finalement, ils soient recueillis par un autre chalutier.
Le dernier alinéa de cette page dit :
« À bord du Lady Madeleine, mes blessures et celles du second mécanicien furent pansées. J’ai appris plus tard que le second mécanicien avait 48 blessures par éclats et, en outre, un bout de câble d’acier de 2 pouces et demi de longueur dans le corps. »
Après une phrase que je ne cite pas, voici la dernière :
« J’avais 14 blessures par éclats. »
Passons maintenant aux deux derniers alinéas de cette déclaration sous serment :
« C’est ma quatrième aventure du temps de guerre, après avoir navigué sur les baleiniers Sylvester, qui a sauté sur une mine, New Seville qui a été torpillé et sur le chalutier Ocean Tide qui s’est échoué. Les pertes causées par cette attaque par sous-marin, ont été de six morts... deux disparus... et deux blessés. » Le document suivant est le document D-647, que je dépose comme preuve sous le n° GB-204. C’est un extrait d’une déclaration de l’officier en second du navire Antonico, qui a été torpillé, incendié et coulé le 28 septembre 1942, au large des côtes de la Guyane française. Le Tribunal remarquera que le fait se place environ onze jours après que l’ordre fût donné.
Je veux lire à partir des mots « le témoin a vu les morts... », peu après le milieu de la première page. On trouve, avant, un rapport sur l’attaque du navire, qui était déjà en feu à ce moment :
« Le témoin a vu les morts sur le pont de l’Antonico, au moment où l’équipage et lui essayaient de descendre les canots de sauvetage ; l’attaque fut violente et dura presque vingt minutes ; alors qu’il se trouvait déjà dans le canot de sauvetage, le témoin a essayé de s’éloigner de l’Antonico afin d’éviter d’être entraîné par lui vers le fond et aussi parce qu’il était l’objectif des agresseurs ; il faisait nuit noire ; il était donc difficile de voir le sous-marin, mais l’incendie de l’Antonico éclairait le lieu où il coula, ce qui donnait à l’ennemi la possibilité de voir les deux canots de sauvetage qui cherchaient à s’éloigner du bateau ; l’ennemi sans pitié mitrailla les marins sans défense du canot de sauvetage n° 2 dans lequel le témoin se trouvait, tua le deuxième pilote Arnaldo de Andrade de Lima et blessa trois membres de l’équipage ; le témoin donna l’ordre à l’équipage de se jeter à la mer afin d’échapper aux balles ; en agissant ainsi ils se trouvèrent protégés et hors de vue derrière le canot de sauvetage qui était déjà plein d’eau ; l’ennemi continuait encore le tir sur le canot de sauvetage. À ce moment le témoin et ses compagnons se trouvaient à environ 20 mètres du sous-marin... »
Je n’ai pas ici, Messieurs, le journal de bord du sous-marin, mais vous pouvez penser que d’après les ordres relatifs aux inscriptions sur le journal de bord et prescrivant que rien de compromettant ne devait y figurer, ce journal ne nous aiderait pas plus que dans le cas que nous avons présenté précédemment.
Le document suivant D-646 (a), que je dépose sous le n° GB-205, est le rapport d’un correspondant de guerre de la marine allemande, diffusé par le poste de propagande à grandes ondes de la Frise. Cette émission, faite en anglais, date du 11 mars 1943. Je cite :
« Santa Lucia, dans les Antilles, était un endroit romantique idéal ; il est dangereux maintenant de naviguer dans ses eaux, dangereux pour les Anglais et les Américains, ainsi que pour les gens de couleur qui leur obéissent au doigt et à l’œil. Dernièrement, un sous-marin opérant dans ces eaux a vu un voilier ennemi ; des balles traceuses ont été envoyées dans les voiles et la plupart des nègres de l’équipages sautèrent par dessus bord. Sachant qu’il pouvait s’agir d’un piège, le sous-marin s’avança prudemment jusqu’à 20 yards et lança des grenades à main dans les mâtures. Le restant des nègres se jeta alors à la mer. Le voilier coula, il ne restait que des débris, des canots de sauvetage bondés d’hommes et des marins nageant. Les requins, un peu plus loin, étaient pleins d’espoir. Voilà ce qui arrive à ceux qui naviguent pour l’Angleterre et l’Amérique. »
Je ne me propose pas de lire la page suivante de ce document ; c’est un extrait du journal de bord du sous-marin qui probablement a coulé ce bateau. Ce bateau était le C. S. Flight.
Monsieur le Président, j’ai lu ce document parce qu’à mon avis il démontre que la politique ennemie était dès ses débuts, de rechercher à terroriser les équipages, ce qui fait partie intégrante de l’ordre concernant les bateaux de sauvetage et l’anéantissement des marins.
Si je puis m’exprimer ainsi eu égard au contre-interrogatoire, le Ministère Public ne formule aucun grief sur l’attaque des bateaux de sauvetage, ils n’ont droit à aucune protection. Le point essentiel de cet ordre était avant tout cependant qu’on devait les attaquer et cet ordre était à peu près conforme à l’ordre du 17 septembre 1942. En considération du programme de construction maritime des alliés il devenait primordial d’empêcher le recrutement d’équipages pour les bateaux.
Je passe maintenant à la période suivante lorsque l’accusé eut succédé à l’accusé Raeder. Le premier document est le PS-2098 dont on a déjà parlé mais qui je crois n’a pas été déposé. Je le verse au dossier sous le n° GB-206 mais je ne vais pas le lire. Il démontre simplement que l’accusé Raeder devait avoir un rang équivalent à celui de ministre du Reich et je demande au Tribunal d’en déduire que l’accusé Dönitz, succédant à Raeder avait sans doute lui aussi ce droit.
C’est à partir de 1938 ?
Oui, depuis 1938. Le document suivant, le D-648, que je dépose, sous le n° GB-207 est une déclaration sous serment certifiée par un fonctionnaire de l’amirauté britannique. Cette attestation figure à la dernière page, le document indique le nombre des entretiens, avec leurs dates qu’eut avec Hitler l’accusé Dönitz ou son représentant depuis le moment où il succéda à Raeder jusqu’à la fin. Je cite :
« D’après eux — il s’agit des documents saisis — j’ai établi la liste jointe des occasions au cours desquelles l’amiral Dönitz participa à des entretiens au Quartier Général de Hitler. Une autre liste de personnages présents à ces conférences est jointe dans la mesure où ce renseignement figurait dans le document saisi. Je certifie que la liste est un extrait véridique de l’ensemble des documents que j’ai examinés et qui sont en possession de l’amirauté britannique à Londres. »
Je ne vais pas détailler cette liste. Je vais simplement attirer l’attention du Tribunal sur le fait que soit l’amiral Dönitz, soit son représentant, le contre-amiral Voss, était présent à chacun de ces entretiens et que parmi ceux qui étaient constamment présents figuraient les accusés Speer, Keitel et Jodl, Ribbentrop, Göring et également Himmler ou ses adjoints, Fegelein ou Kaltenbrunner.
Je demande au Tribunal de tirer la conclusion de ce document ; depuis qu’il avait pris la succession de Raeder, cet accusé était l’un des dirigeants du Reich et sans aucun doute devait avoir connaissance de toutes les décisions politiques principales.
Je passe au document suivant, le document C-178 déjà déposé sous le n° USA-544. C’est un mémorandum de l’Êtat-Major de la Marine de guerre, écrit par le service qui s’occupait du Droit maritime international, destiné à un autre service ; il concerne l’ordre en date du 18 octobre 1942 de fusiller les commandos. Il est familier au Tribunal.
L’essentiel du document, c’est que les doutes semblaient s’être fait jour quant à l’interprétation de l’ordre et, dans la dernière phrase du mémorandum, on suggère : « Quant à la Marine, il reste à savoir si ce cas doit être utilisé ou non pour s’assurer, après une conférence chez le Commandant en chef de la Marine, que tous les services intéressés ont une conception très claire sur le traitement à infliger aux membres d’unités de commandos. »
J’ignore si cette conférence a eu lieu ou non. Le document est daté onze jours après que cet accusé eût succédé à Raeder.
Le document suivant du livre de documents, le D-649 que je dépose sous le n° GB-208, est cependant un exemple en juillet 1943, de la remise par la Marine, au SD, pour être fusillés, de personnels des marines norvégienne et britannique tombés sous le coup de l’ordre. C’est une déclaration sous serment d’un avocat anglais qui remplit les fonctions de conseil juridique au procès des membres du SD qui exécutèrent l’ordre.
Le premier paragraphe dit que ce conseiller juridique a assisté au procès de dix membres du SD qui s’est déroulé devant un Tribunal Militaire au Palais de Justice d’Oslo en Norvège, du jeudi 29 novembre 1945 au mardi 4 décembre 1945.
Le paragraphe suivant indique la composition de ce tribunal, et les noms des représentants du Ministère Public et de la Défense. Le paragraphe 3 déclare :
« Les accusés sont poursuivis pour un crime de guerre, pour avoir à Ulven en Norvège, aux environs du mois de juillet 1943, en violation des lois et usages de la guerre participé à l’assassinat de... » Suivent les noms de six marins de la marine norvégienne dont un officier et un radio-télégraphiste de la Marine royale, tous prisonniers de guerre.
Je voudrais lire à partir du paragraphe 4 :
« Des preuves que la Défense n’a pas contestées ont été exposées au Tribunal, aux termes desquelles le torpilleur 345 a quitté Lerwick dans les Shetland pour effectuer une opération navale dans le but d’attaquer à la torpille les navires allemands au large des côtes norvégiennes et pour poser des mines dans cette même zone. Les personnes dont le nom figure dans l’acte d’accusation constituaient l’équipage de ce torpilleur. »
« Paragraphe 5. — La Défense n’a pas contesté que chaque membre de l’équipage fût en uniforme au moment de sa capture ; un certain nombre de personnes, dont plusieurs allemandes, ont déclaré également qu’ils les ont toujours vues en uniforme après avoir été fait prisonniers. »
« Paragraphe 6. — Le 27 juillet 1943, le torpilleur atteignit l’île d’Aspo, devant la côte norvégienne au nord de Bergen. Le lendemain l’équipage tout entier fut fait prisonnier et amené à bord d’un navire de guerre allemand qui était sous le commandement de l’amiral von Schrader, commandant sur la côte Ouest. L’équipage fut conduit à Bergenhus où il arriva vers 11 heures du soir le 28 juillet. L’équipage y fut interrogé par le lieutenant H. P. K. W. Fanger, lieutenant de réserve de la Marine, sur l’ordre du capitaine de corvette Egon Drascher ; tous deux du service de contre-espionnage de la Marine allemande. Cet interrogatoire se poursuivit sur l’ordre de l’État-Major de l’amiral de la côte Ouest. Le lieutenant Fanger communiqua à l’officier, chef du service de contre-espionnage de Bergen, qu’à son avis tous les membres de l’équipage avaient le droit d’être traités comme prisonniers de guerre et cet officier fit également un rapport, tant par écrit qu’oralement, au préfet maritime de Bergen ainsi que, par écrit, à l’amiral commandant la côte Ouest.
« L’interrogatoire par le service de contre-espionnage de la Marine se termina tôt, le 29 juillet, et presque immédiatement tous les membres de l’équipage furent livrés, sur l’ordre direct du préfet maritime de Bergen, à l’Obersturmbannführer du SD, Hans Wilhelm Blomberg qui était à l’époque commandant de la Sicherheitspolizei à Bergen. Ces faits se passèrent après un entretien entre Blomberg et l’amiral von Schrader au cours duquel une copie de l’ordre du Führer du 18 octobre 1942 fut présentée à Blomberg. Cet ordre indiquait les catégories de personnes qui devaient être exclues de la protection de la Convention de Genève et qui ne devaient pas être traitées comme prisonniers de guerre, mais, une fois faites prisonnières, devaient être remises au SD. L’amiral von Schrader dit à Blomberg que l’équipage de ce torpilleur devait être remis au SD, conformément à l’ordre du Führer.
« Paragraphe 9. — Le SD a ensuite poursuivi son propre interrogatoire. »
Ne pouvez-vous pas résumer le reste ?
Très bien, Monsieur le Président. Le paragraphe 9 décrit l’interrogatoire par les fonctionnaires du SD, qui adoptèrent l’opinion des officiers du service du contre-espionnage de la Marine ; les membres de l’équipage devaient être traités comme des prisonniers de guerre. Cependant, ils furent emmenés et fusillés par un peloton d’exécution composé de membres du SD. Puis vient la description de l’enlèvement des cadavres. Le dernier paragraphe est important en ce qui concerne l’accusé Keitel.
Lisez-le.
« Paragraphe 11. — Il résulte de l’examen des preuves qu’au mois de mars ou avril 1945, un ordre venant du Quartier Général du Führer, et signé de Keitel était parvenu aux autorités allemandes en Norvège. Cet ordre disait en substance que les membres des entreprises de commandos qui tombaient entre les mains des Allemands devaient, à partir de cette date, être traités comme des prisonniers de guerre ordinaires. Cet ordre se référait spécialement à l’ordre du Führer dont on a parlé plus haut. »
Le Tribunal remarquera la date : il était temps de changer d’attitude.
Le document suivant C-158, que je dépose sous le n° GB-209, consiste en deux extraits de procès-verbaux des entretiens des 19 et 20 février 1945 entre l’accusé Dönitz et Hitler. Je voudrais lire la première et la dernière phrase du premier alinéa du premier extrait :
« Le Führer examine si l’Allemagne doit ou non dénoncer la Convention de Genève. »
C’est naturellement la convention de 1929 concernant les prisonniers de guerre. Et la dernière phrase :
« Le Führer charge le Commandant en chef de la Marine d’envisager le pour et le contre de cet acte et de lui donner son opinion, le plus rapidement possible. »
Dans le deuxième extrait, l’accusé Dönitz donne son opinion en présence de l’accusé Jodl et du représentant de l’accusé Ribbentrop. Ce sont les deux dernières phrases que je mentionne :
« ...Les inconvénients — ceux de la dénonciation de la Convention de Genève — dépassent les avantages. Même d’un point de vue général, il semble au Commandant en chef de la Marine que cette mesure n’apporterait aucun avantage. Il vaudrait mieux prendre sans avertissement les mesures jugées nécessaires et en tout cas, sauver la face vis-à-vis du monde extérieur. »
Ce document n’est pas d’une faible importance quand on pense que c’est à cette Convention que nous devons le retour, à la fin de la guerre, de 165.000 Britanniques et de 65 à 70.000 Américains prisonniers de guerre. Recommander la rupture de cette Convention, la rupture tacite en particulier, n’est pas un acte pouvant être traité à la légère.
Le document suivant C. 171, que je dépose sous le n° GB-210, est un extrait du procès-verbal d’un entretien entre l’accusé Dönitz et Hitler, le 1er juillet 1944. Cet extrait est signé par l’accusé :
« À propos de la grève générale à Copenhague, le Führer dit que la seule arme contre la terreur est la terreur. Les conseils de guerre ne font que créer des martyrs. L’Histoire montre que les noms de tels hommes sont sur les lèvres de tous, tandis qu’on fait silence sur les milliers d’hommes qui ont perdu la vie dans des circonstances analogues, sans procédure judiciaire militaire. »
Le document suivant est le C-195 que je dépose sous le n° GB-211. C’est un mémorandum signé par l’accusé, datant de la fin de 1944. Il ne porte pas de date précise, mais il doit être de décembre 1944. Sur la liste des destinataires, page 3, figurent Hitler, Keitel, Jodl, Speer et le Commandant en chef de l’Aviation.
Je voudrais lire le deuxième alinéa, qui donne un aperçu sur les pertes maritimes allemandes.
« De plus, je propose de renforcer le personnel des chantiers navals par des prisonniers venant des camps de concentration et, comme mesure spéciale propre à remédier à la pénurie de chaudronniers, surtout dans la construction des sous-marins, je propose d’enlever des chaudronniers aux ateliers de construction de locomotives pour les envoyer sur les chantiers navals. »
Puis il parle du sabotage ; je lis les deux derniers alinéas de la page :
« Comme la punition de la totalité du personnel a fait ailleurs ses preuves, en France par exemple, où le sabotage sur les chantiers navals a été complètement supprimé, peut-être pourrait-on prendre des mesures analogues dans les pays nordiques. »
Avez-vous besoin d’en lire davantage ?
Non, Monsieur le Président. La dernière phrase du document, à la page suivante, constitue le point 2 du résumé :
« 12.000 internés des camps de concentration seront utilisés sur les chantiers de la Marine comme main-d’œuvre supplémentaire. (Le service de Sûreté est d’accord. — il s’agit du SD — ). »
Cet homme, Messieurs, fut l’un des chefs de l’Allemagne et, à mon avis, ce seul document suffit déjà pour le faire condamner. Ce n’est pas sans motif que Himmler et ses adjoints, Forgelein et Kaltenbrunner, étaient présents à ces entretiens. Ils n’étaient pas là, évidemment, pour discuter la question des sous-marins ou l’utilisation des navires de guerre. Il est clair, d’après ce document, que l’accusé était exactement fixé sur les camps de concentration et les camps du travail forcé. Ayant été élu l’un des chefs de l’Allemagne, il doit porter toute sa part de responsabilité.
Je passe au dernier document, le D-650, que je dépose sous le n° GB-212. Il contient des ordres donnés par l’accusé au mois d’avril. Ce document, à mon avis, montre que l’accusé fut un nazi fanatique et qu’il était prêt, même à ce moment, à continuer une guerre sans espoir, aux dépens de vies humaines et avec la certitude d’accroître les destructions et la misère des hommes, des femmes et des enfants de son propre pays. Je lis le dernier alinéa de la page 2 :
« J’exige par conséquent des commandants et chefs d’unité de guerre... qu’ils suivent clairement et sans équivoque le chemin du devoir militaire, quoi qu’il arrive. J’exige d’eux qu’ils agissent impitoyablement contre tout signe ou tendance qui, parmi leurs hommes, compromettrait l’accomplissement de ce devoir. » II parle ensuite d’un ordre quelconque et dit :
« J’exige des commandants qu’ils agissent impitoyablement contre tout chef d’unité n’accomplissant pas son devoir militaire. Si un chef d’unité ne croit pas avoir la force morale de s’acquitter dans ce sens des obligations de son commandement, il doit le signaler immédiatement. On l’utilisera alors comme soldat dans ce combat décisif, dans un poste où il ne portera plus aucune responsabilité de chef. » Passons au dernier alinéa de cette page. Dans un autre ordre du 19 avril, il indique le type du sous-officier qui mérite de monter en grade :
« Un exemple : dans un camp de prisonniers provenant du croiseur auxiliaire Cormoran en Australie, un adjudant agissant comme doyen du camp, supprimait systématiquement tous les communistes qui se faisaient remarquer parmi les prisonniers du camp, et de telle façon que les gardiens ne s’en apercevaient même pas. Ce sous-officier peut être sûr de mon entière reconnaissance pour sa décision et son action. À son retour, je le ferai monter en grade par tous les moyens, car il a prouvé qu’il est digne d’être un chef. » Naturellement, il ne s’agit pas de savoir si les faits sont exacts ou non, mais du sens des ordres donnés par l’accusé. Pour me résumer, l’accusé n’était pas simplement un marin, jouant le rôle d’un officier obéissant loyalement aux ordres du Gouvernement ; il fut plutôt un nazi fanatique qui fit tout son possible pour que la Marine et le peuple allemand fussent imbus de la doctrine nazie. Ce ne fut pas par pur hasard qu’il fut choisi pour succéder à Hitler au lieu de Göring, Ribbentrop, Goebbels ou Himmler. Il joua un rôle important dans le développement de la flotte sous-marine, l’une des armes les plus meurtrières de la guerre d’agression. Il aida à préparer puis à faire des guerres d’agression. Il savait, sans aucun doute, que ces guerres étaient des violations préméditées des traités. Il était prêt à s’abaisser à n’importe quelle ruse dont il pensait qu’elle ne serait pas découverte. Il viola les Conventions de Genève ou la neutralité quand il espérait pouvoir faire croire que la perte d’un navire était due à une mine. Il était prêt à ordonner, et il ordonna effectivement, le meurtre de naufragés désarmés rescapés de navires coulés, acte qui n’a d’équivalent que chez ses alliés japonais.
Il y a peu de pays où des veuves et des parents ne pleurent des hommes de la Marine marchande dont la perte a été due à l’insensibilité brutale avec laquelle les sous-marins allemands ont, suivant les ordres de cet homme, accompli leur tâche.
Monsieur le Président, le commandant Elwyn Jones va vous parler maintenant de l’accusé Raeder.
J’ai pour tâche, Messieurs, de présenter les preuves contre le créateur de la Marine nazie, l’accusé Raeder. Les accusations qui le concernent figurent à l’appendice A de l’Acte d’accusation (Tome I, page 81). Le Tribunal y verra que Raeder est accusé d’avoir encouragé les plans nazis de guerres d’agression et d’y avoir participé, d’avoir provoqué et dirigé des crimes de guerre nazis, particulièrement des crimes de la guerre navale et d’y avoir participé.
Le Tribunal verra avec intérêt le document PS-2888 qui a déjà été déposé sous le n° USA-13, page 96 du livre de documents. Ce document indique les fonctions et les postes de l’accusé Raeder. Il est né en 1876 et entra dans la Marine allemande en 1894. En 1918, il devint commandant du croiseur Köln ; en 1928, il devint amiral, chef du commandement naval et chef de la Marine allemande. En 1935, il devint Commandant en chef de la Marine. En 1936, il devint amiral-général, pour le 47e anniversaire de Hitler qui créa ce titre. En 1937, il reçut l’insigne honneur en or du parti nazi. En 1938, il devint membre du Conseil secret de Cabinet et, en 1939, il atteignit le grade de « Grand-Admiral » également créé par Hitler, qui fit don à Raeder à cette occasion d’un bâton de maréchal. En 1943, il devint amiral-inspecteur de la Marine allemande, ce qui, comme vous le verrez bientôt, était une sorte de mise à la retraite, car, à partir de janvier 1943, Dönitz fut le Commandant en chef effectif de la Marine allemande.
Raeder joua un rôle important dans ces années mouvementées de 1928 à 1943 au cours desquelles il commanda la Marine allemande. J’aimerais d’abord attirer l’attention du Tribunal sur la part de Raeder dans la transformation de la Marine allemande en un instrument de guerre devant servir le plan général d’agression nazie.
Le Tribunal connaît les mesures par lesquelles la petite marine acordée à l’Allemagne par le traité de Versailles devint singulièrement plus grande, sous l’impulsion de Raeder. Je ne ferai que rappeler au Tribunal les étapes de la route suivie par Raeder, pour obtenir la maîtrise des mers, but que heureusement il ne réussit pas à atteindre.
En ce qui concerne l’histoire du réarmement secret de l’Allemagne en violation du Traité de Versailles, j’attire l’attention du Tribunal sur le document C-156 déjà déposé sous le n° USA-41, page 26 du livre de documents. Ce document, ainsi que se le rappellera le Tribunal, est La lutte de la marine allemande contre le traité de Versailles de 1919 à 1935, livre qui fut imprimé secrètement par l’amirauté allemande en 1937. Le Tribunal se souviendra également que ces écrits démontrent qu’avant que les nazis ne prennent le pouvoir, l’amirauté allemande trompait non seulement les Gouvernements des autres pays, mais son propre Parlement et, à un certain moment, son propre Gouvernement. Ses mesures secrètes de réarmement allèrent de la construction expérimentale de sous-marins et de vedettes rapides jusqu’à la création d’organisations secrètes de renseignements et de finances. Je renvoie le Tribunal au dernier alinéa de la page 33 du livre de documents, qui concerne le rôle de Raeder dans ce développement. C’est un extrait de la page 75 du document C-156 qui s’exprime ainsi :
« Le Commandant en chef de la Marine, l’amiral Raeder, avait ainsi une large indépendance pour la construction et le développement de la Marine, avec la seule restriction qu’il fut obligé de camoufler comme auparavant les travaux d’armement à cause du Traité de Versailles. »
Pour illustrer la façon dont Raeder a dissimulé le réarmement, je rappellerai au Tribunal le document C-141 (USA-47) qui est à la page 22 du livre de documents. Dans ce document, Raeder déclare que « d’après les obligations allemandes découlant des traités et en tenant compte de la conférence du Désarmement, on doit prendre des mesures pour empêcher la première demi-flottille de vedettes rapides d’apparaître ouvertement comme une formation de torpilleurs, car il n’est pas envisagé de faire entrer ces navires lance-torpilles dans le nombre des torpilleurs qui nous est accordé. »
Le document suivant, le C-135, que je dépose sous le n° GB-213, page 20 du livre de documents, est d’un rare intérêt parce qu’il montre que, déjà en 1930, l’intention d’attaquer en fin de compte la Pologne était déjà courante dans les milieux militaires allemands. Ce document est un extrait de L’histoire de l’organisation de la guerre et du plan de mobilisation. Le texte allemand de ce document a pour en tête : « 850/38 », ce qui fait penser que ce document fut écrit en 1938. Il dit :
« Comme tous les travaux préliminaires de mobilisation étaient interdits par le Traité de Versailles, ils furent limités à un très petit milieu de collaborateurs et n’eurent qu’une nature théorique. Néanmoins, il y eut alors un ordre de formation et des instructions de formation, précurseurs du plan actuel de mobilisation, ainsi qu’une subdivision du dispositif et des instructions modifiables de formation établies pour chaque « année-A » (terme de code désignant l’année de mobilisation).
« Comme il a été dit, les dispositifs de cette époque devaient être considérés comme purement théoriques, car ils n’avaient aucune base positive d’effectifs et de matériel. Néanmoins ils constituaient une base précieuse pour l’établissement d’une organisation de guerre à réaliser comme notre but dernier. »
Deuxième alinéa :
« La tension de plus en plus aiguë entre la Pologne et l’Allemagne nous obligea, au lieu de faire des préparatifs théoriques de guerre, à nous préparer de façon pratique en vue d’un conflit purement germano-polonais. En parlant de l’idée stratégique de réduire rapidement la base de Gdynia, la flotte active devait être renforcée par des forces auxiliaires, ce qui était indispensable pour atteindre ces buts stratégiques. Les batteries de DCA et les batteries côtières essentielles, surtout celles de Pillau et de Swinemünde, devaient être occupées. Ainsi naquit, en 1930, le plan V (plan de renforcement). »
Si le Tribunal veut bien regarder le troisième alinéa de la page suivante :
« Hitler avait dès lors formulé une claire exigence politique, celle de lui former, en cinq ans, c’est-à-dire jusqu’au 1er avril 1938, une armée qu’il pourrait jeter dans la balance comme instrument de puissance politique. »
Ces lignes montrent que la prise du pouvoir par les nazis en 1933 fut le signal pour Raeder de pousser à fond l’armement. L’histoire détaillée de ce développement a déjà été relatée par M. Aldermann et j’attire simplement l’attention du Tribunal sur le document C-189 (USA-44) qui figure à la page 66 du livre de documents. Dans ce document, Raeder dit à Hitler, en juin 1934, que la flotte allemande devait être développée contre l’Angleterre, et, qu’en conséquence, à partir de 1936, les gros navires devaient être armés de canons lourds pour égaler les navires de guerre anglais de la classe du King George. Dans le dernier paragraphe, il est dit en outre que Hitler exigea que la construction des sous-marins fût gardée entièrement secrète, surtout à cause du plébiscite de la Sarre.
En novembre 1934, Raeder eut encore un entretien avec Hitler sur le financement du réarmement naval. À cette occasion, Hitler lui dit qu’en cas de besoin il obtiendrait du Dr Ley 120.000.000 à 150.000.000 du Front du Travail et qu’il mettrait cette somme à la disposition de la Marine. Ce fait figure dans le document C-190 (USA-45), page 67 du livre de documents. Le Tribunal ne manquera pas de penser que ce détournement aux dépens des travailleurs allemands était caractéristique des méthodes nazies.
Ne croyez-vous pas qu’il serait temps de lever l’audience ?
Si vous le désirez, Monsieur le Président.