TRENTE-CINQUIÈME JOURNÉE.
Mercredi 16 janvier 1946.

Audience du matin.

CAPITAINE SPRECHER

Plaise au Tribunal. Je me propose maintenant de parler de certaines activités de von Schirach, qui constituent des crimes contre l’Humanité, tels qu’ils figurent au chef d’accusation n° 1. La présentation des faits bien déterminés relevés à propos de l’administration du Reichsgau de Vienne sera faite plus tard. Je reviens sur deux points très importants, qui confirment contre von Schirach la prévention de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité, commis dans l’Europe entière. D’accord avec Himmler et par l’intermédiaire de la Jeunesse hitlérienne, il a fourni un grand nombre, sinon la plupart, des membres des SS qui dirigèrent principalement les camps de concentration et dont les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité sont universellement connus.

Nous voudrions encore souligner que von Schirach porte aussi la lourde responsabilité d’avoir inculqué à la jeunesse allemande l’idéologie nazie, avec ses principes de « la race des seigneurs », de « peuples de races inférieures », de « Lebensraum », et de domination mondiale. Ces idées, en effet, servirent de base psychologique à l’instigation et à l’acceptation des atrocités perpétrées par des fanatiques nazis à travers toute l’Allemagne et dans les pays occupés.

Afin de déterminer toute l’étendue de la responsabilité de von Schirach dans les crimes commis dans le Reichsgau de Vienne, il faut se souvenir des deux fonctions essentielles qu’il remplit, de juillet 1940 à la chute des nazis. Il fut Gauleiter et Reichsleiter à Vienne.

Je me réfère d’abord au document PS-1893, qui est un extrait du Manuel du Parti de 1943, décrivant les activités de von Schirach dans le Reichsgau de Vienne. La page 42 du livre de documents reproduit des extraits qui figurent aux pages 70, 71, 75, 98, 136 et 140, b du Manuel du Parti.

Vous y verrez tous les éclaircissements sur les devoirs et les fonctions d’un Gauleiter, et je vais seulement en expliquer le texte. Puisque vous pouvez considérer comme acquise la preuve de ce Manuel du Parti vous pouvez procéder à toutes les vérifications désirables, à moins que vous ne désiriez entendre la lecture de l’un quelconque de ces ordres. D’après ceux-ci il apparaît que le chef de Gau était le plus haut représentant de Hitler dans son Gau ; c’était lui qui détenait la souveraineté, c’était le « Hoheitsträger » et il avait des droits politiques souverains. Il était en outre responsable de la situation politique à l’intérieur de son Gau. Il pouvait faire appel — et nous croyons que c’est important — aux chefs SA et SS « en cas de besoin pour exécuter des missions politiques ». En plus de cela, il devait voir, au moins une fois par mois, les chefs des organisations rattachées au Parti dans son Gau. Celles-ci comprenaient naturellement les SS.

La situation de Gouverneur du Reich à Vienne était un peu spéciale. Après l’Anschluss, l’État autrichien fut aboli, et l’Autriche fut divisée en sept Reichsgaue. Le plus important de ces Gaue était celui de Vienne dont Schirach devint le gouverneur. D’après les statistiques du Reich, Vienne avait alors une population de plus de 2.000.000 d’âmes. C’était donc une des plus importantes villes du Reich. Je demande au Tribunal d’accepter comme preuve le décret de 1939, paru au Reichsgesetzblatt, partie I, page 777. C’est notre document PS-3301, qui se trouve à la page 107 du livre de documents. C’est une loi fondamentale sur la réorganisation administrative de l’Autriche. Cette loi fut promulguée en avril 1939, à peu près un an avant que Schirach ne devînt gouverneur ; elle montre que Schirach était en cette qualité le lieutenant de Hitler, chef de l’État allemand, et qu’il pouvait promulguer des décrets et donner des ordres dans certaines limites imposées par les autorités suprêmes du Reich. Il était sous la surveillance administrative de l’accusé Frick, ministre de l’Intérieur du Reich. Il était premier bourgmestre de la ville de Vienne. Durant la période où Schirach était Gauleiter et gouverneur de la ville de Vienne, il fut aussi commissaire à la défense du Reich à Vienne ; après 1940, le Reich se trouvait en état de guerre.

À cause de ses responsabilités étendues et de sa situation, le Ministère Public juge que Schirach doit être considéré comme coupable de tous les crimes perpétrés par les conspirateurs nazis à l’intérieur du Reichsgau de Vienne, en se basant sur le fait que Schirach en a pris l’initiative, les a approuvés, exécutés ou encouragés. Voici des exemples qui démontrent que Schirach a participé de façon active et personnelle aux crimes nazis, et qu’il s’est vanté, ce qui est le cas pour la plupart des accusés, d’actes qui sont des crimes tombant sous la juridiction du Tribunal. J’en viens tout d’abord au travail obligatoire.

La politique du travail obligatoire a, bien entendu, fourni du personnel pour les industries d’une ville de l’étendue et de l’importance de Vienne. Ce programme en général, et les crimes qui en furent la conséquence ont déjà été présentés par M. Dodd. Le Ministère Public soviétique en présentera d’autres plus tard. Le document PS-3352, page 116 du livre de documents, que je présente sous la cote USA-206, donne des extraits de certains ordres de la Chancellerie du Parti. Chacun des ordres dont ces extraits sont tirés traite de la responsabilité des chefs de Gau dans le domaine de la main-d’œuvre et de son utilisation. Ils démontrent simplement et en langage clair que les Gauleiter, sous la direction de Sauckel, Gauleiter expérimenté et plénipotentiaire à la main-d’œuvre à partir de mars 1942, étaient devenus les agents de coordination les plus importants des conspirateurs nazis pour tout le programme de la main-d’œuvre. À la page 116 du livre de documents (page 508 dans le volume d’ordres original), nous voyons l’accusé Göring donner son assentiment, en qualité de chef du Plan de quatre ans, aux suggestions de Sauckel suivant lesquelles les Gauleiter devaient servir à assurer le meilleur rendement possible de la main-d’œuvre. À la page 117 du livre de documents (et à la page 511 de l’ordre de la Chancellerie du Parti), Sauckel au mois de juillet 1942, fait des Gauleiter ses chargés de pouvoir spéciaux en matière de main-d’œuvre, à l’intérieur de leur Gau, leur fixant le devoir d’établir une coopération harmonieuse entre tous les intérêts en question. Le Gauleiter devient l’arbitre suprême de tous les conflits d’intérêts qui naissent en temps de guerre des questions de demandes de main-d’œuvre. Dans le même décret les bureaux régionaux de la main-d’œuvre et leur personnel « recevaient l’ordre de se mettre à la disposition des chefs de Gau pour tous renseignements et conseils et d’accomplir ce que demandait et suggérait le chef de Gau, dans le but de régler les questions de main-d’œuvre. Aux pages 118 et 119 du livre de documents, et à la page 567 de l’ordre de la Chancellerie du Parti, l’accusé Sauckel ordonne que ses chargés de pouvoir spéciaux, les Gauleiter, se familiarisent avec les règlements généraux relatifs aux travailleurs de l’Est. Il déclare que son but est d’éviter que des chefs d’usine politiquement incapables n’accordent trop d’attention au traitement réservé aux travailleurs de l’Est, et suscitent par là un ressentiment justifié de la part des travailleurs allemands. »

Nous suggérons au Tribunal, que si Schirach, en tant que Gauleiter, avait à s’occuper de détails relatifs à la main-d’œuvre, tels que la prétendue injustice commise envers les travailleurs allemands au profit des travailleurs de l’Est, il n’est pas nécessaire d’approfondir le programme de la main-d’œuvre, pour établir la responsabilité de Schirach dans le programme du travail obligatoire pour le Gau de Vienne.

Je passe maintenant à la persécution des Églises.

La suppression des organisations religieuses de jeunesse au moment où Schirach était chef de la Jeunesse nazie a déjà été mentionnée. En mars 1941, deux lettres, l’une de l’accusé Bormann, l’autre du conspirateur Hans Lammers...

LE PRÉSIDENT

Capitaine Sprecher, avez-vous d’autres preuves concernant Schirach et le problème de la main-d’œuvre ?

CAPITAINE SPRECHER

Je n’ai rien d’autre à présenter pour l’instant. Le Ministère Public soviétique ayant l’intention de donner des renseignements plus circonstanciés sur la main-d’œuvre et surtout sur la main-d’œuvre de l’Est, je pensais que le principal objectif était de démontrer, d’après le chef d’accusation n° 1, la responsabilité générale de l’accusé Schirach dans le programme du travail obligatoire. L’exposé des points de détail particuliers suivra au cours des débats à venir.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

CAPITAINE SPRECHER

Je ne soulèverai qu’un seul autre point : quand je parlerai du traitement des Juifs dans quelques minutes, je donnerai quelques exemples particuliers.

LE PRÉSIDENT

Vous allez parler maintenant de la persécution des Églises, n’est-ce pas ?

CAPITAINE SPRECHER

Oui, Monsieur le Président. J’attire l’attention du Tribunal sur le document R-146 (USA-678), à la cinquième page du livre de documents.

Je ne sais pas si je dois lire ce document en entier, car nous désirons tous passer rapidement sur ces questions. Je vais donc en faire un résumé ; mais si vous le jugez insuffisant, je le lirai.

Ces documents établissent clairement les faits suivants : au cours d’une visite de Hitler à Vienne, Schirach et deux autres fonctionnaires se plaignirent au Führer que la confiscation des biens ecclésiastiques en Autriche, réalisée sous différents prétextes, dût se faire au bénéfice des Gaue plutôt qu’au bénéfice du Reich. Le Führer décida plus tard d’adopter le point de vue de Schirach, c’est-à-dire de favoriser les Gaue. Je n’ai fait état de ce fait que pour montrer que Schirach a participé à la persécution des Églises, question sur laquelle de nombreuses preuves ont déjà été fournies.

M. BIDDLE

Rien n’est encore prouvé et jusqu’ici vous n’avez rien démontré. Nous ne pouvons prendre acte d’aucune preuve à moins que vous ne le demandiez.

CAPITAINE SPRECHER

Aux termes de vos règles, ce document ne sera considéré comme preuve que s’il est lu ?

M. BIDDLE

Je ne pose aucun principe ; je vous fais simplement remarquer que nous n’avons eu jusqu’ici aucune preuve concernant le dernier document.

CAPITAINE SPRECHER

Puisqu’il en est ainsi, je crois que je ferai mieux de lire le document :

« Munich, 20 mars 1941, Maison Brune. Personnel. Secret. À tous les Gauleiter. Objet : Confiscation des propriétés de l’Église (monastères, etc.).

« Des propriétés de l’Église, de grande valeur, ont dû être confisquées dernièrement sur une très vaste échelle, en Autriche en particulier. D’après des comptes rendus du Gauleiter au Führer, ces confiscations ont souvent été provoquées par des infractions aux règlements de l’économie de guerre (c’est-à-dire stockage de divers produits alimentaires, de cuir, de textiles, etc.). Dans d’autres cas, elles furent causées par des infractions aux lois sur les attaques subversives contre l’État, et parfois par la détention illégale d’armes à feu. On ne donnera aucune compensation aux Églises pour les biens confisqués pour les raisons ci-dessus mentionnées.

« En ce qui concerne de futures mises sous séquestre, certains Gauleiter autrichiens, à l’occasion de la dernière visite du Führer à Vienne, ont désiré savoir qui pourrait se porter acquéreur des biens mis sous séquestre. Veuillez prendre note de la décision du Führer, qui figure dans une lettre écrite par le Dr Lammers, ministre du Reich, au ministre de l’Intérieur du Reich en date du 14 mars 1941. Ci-joint des extraits de cette lettre. « signé : M. Bormann. »

J’ai présenté ce document sous la cote USA-678. Voulez-vous que je lise aussi le document qui y est joint ?

M. BIDDLE

Je ne veux pas que vous lisiez quoi que ce soit. Je voulais simplement faire remarquer que ce document n’était pas présenté comme preuve puisque vous ne l’aviez pas lu.

CAPITAINE SPRECHER

S’il en est ainsi, Messieurs, je continue à lire. Voici ce document :

« Berlin 14 mars 1941. Le ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich au ministre de l’Intérieur du Reich. Objet : Projet d’une ordonnance complémentaire sur la confiscation des biens des individus nuisibles au Peuple et à l’État.

« Les Reichsstatthalter et Gauleiter von Schirach Dr Jury et Eigruber, se sont plaints dernièrement au Führer que le ministre des Finances du Reich maintînt toujours le point de vue que la confiscation des biens d’individus nuisibles au Peuple et à l’État dût se faire au bénéfice du Reich et non au bénéfice des Reichsgaue.

« En conséquence, le Führer m’a informé qu’il désirait que la confiscation de tels biens fût faite en faveur des différents Reichsgaue dans lesquels se trouvent les biens confisqués et non en faveur du Reich. »

LE PRÉSIDENT

Vous n’avez pas besoin d’en lire davantage.

CAPITAINE SPRECHER

Je passe maintenant à la persécution des Juifs.

Le Ministère Public déclare enfin que Schirach a autorisé et dirigé les mesures antisémites et y a participé. Naturellement toute l’idéologie et la doctrine de la Jeunesse hitlérienne étaient basées sur le principe de la race. Avant la guerre, Schirach a pris la parole lors d’une réunion de la ligue des étudiants nationaux-socialistes allemands dont il fut le chef de 1929 à 1931.

Le document PS-2441 que je dépose sous le n° USA-679 est un affidavit de Gregor Ziemer. Je voudrais lire à partir du bas de la page 95 du livre de documents jusqu’à la fin du premier paragraphe de la page 96. Ziemer parle d’une réunion à Heidelberg, à laquelle il a personnellement assisté quelque temps avant la guerre, et au cours de laquelle Baldur von Schirach a parlé devant cette ligue des étudiants dont il avait été le chef à un certain moment...

LE PRÉSIDENT

Quel est ce document ?

CAPITAINE SPRECHER

C’est un affidavit de Gregor Ziemer :

« II » — Schirach — « dit que la partie la plus importante de la vie universitaire allemande du Troisième Reich était le programme du NSDSTB. Il parla des différentes activités de la ligue. Il rappela les services que les étudiants avaient rendus pendant l’élimination des Juifs. D’un geste théâtral, il montra au-delà de la rivière, l’ancienne ville universitaire de Heidelberg où de nombreuses synagogues incendiées témoignaient du zèle des étudiants de cette ville.

« Ces ruines de bâtiments resteront là pendant des siècles, ils inspireront les nouveaux étudiants, et seront des avertissements pour les ennemis de l’État. »

Pour se rendre compte de l’étendue réelle des mauvais traitements subis par les Juifs du Gau de Schirach, il faut parler de ses activités dans le Gau de Vienne, ainsi que de celles de ses acolytes, les SS et la Gestapo de Vienne.

Le document PS-1948, à la page 63 du livre de documents, est déposé sous le n° USA-680. Vous noterez qu’il est rédigé sur le papier à lettres du dernier gouverneur du Gau de Vienne.

LE PRÉSIDENT

J’ai lu ce document PS-2441, à la page 96 du livre de documents. Il me semble que vous devriez lire les trois paragraphes suivants de la page 96 depuis l’endroit où vous vous êtes arrêté.

CAPITAINE SPRECHER

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Les deuxième, troisième et quatrième paragraphes.

CAPITAINE SPRECHER

« De même que le vieux château de Heidelberg reste la preuve que l’ancienne Allemagne était trop faible pour résister aux invasions françaises qui l’ont détruite, ainsi les ruines sombres des synagogues détruites rappeleront aux générations futures la force de la nouvelle Allemagne. Il rappela aux étudiants qu’il y avait encore des pays qui perdaient leur temps, leur énergie et leur force à lire et à discuter de fameux traités de philosophie et de métaphysique. Ces jours étaient révolus. La nouvelle Allemagne devait choisir l’action. Les autres pays restaient profondément endormis.

« Mais il était d’avis de les laisser dormir. Plus ils sommeilleraient profondément, plus les hommes du Troisième Reich auraient l’occasion de se préparer à l’action. Le jour viendrait où les étudiants allemands de Heidelberg prendraient place, côte à côte avec des légions d’autres étudiants, pour convertir le monde à l’idéologie nazie. »

Je voulais attirer votre attention sur le document PS-1948 qui figure à la page 63 du livre de documents et que je dépose sous le n° USA-680. Il est écrit sur le papier à en-tête du gouverneur du Reich et Reichsstatthalter à Vienne :

« ... 7 novembre 1940. Objet : Travail obligatoire des Juifs physiquement aptes.

« Première remarque : Le 5 novembre 1940, conversation téléphonique avec le Standartenführer colonel Huber, de la Gestapo. La Gestapo a reçu des instructions de l’office central de la Sécurité du Reich (RSHA) pour que les Juifs physiquement aptes soient envoyés au travail obligatoire. Des enquêtes sont faites à l’heure actuelle par la Gestapo pour savoir combien de Juifs sains de corps sont encore disponibles, afin d’établir des plans pour les réquisitions en masse envisagées. On croit qu’il n’y a pas beaucoup d’autres Juifs disponibles. Si elle en trouve, la Gestapo ne doit avoir aucun scrupule à utiliser ces Juifs, même pour déblayer les synagogues démolies.

« Le SS Standartenführer Huber, rendra compte personnellement au Regierungspräsident des faits relatifs à cette question.

« J’ai fait mon rapport au Regierungspräsident en conséquence ;

cette question ne doit jamais être perdue de vue. »

La signature est celle du Dr Fischer.

Je veux attirer l’attention du Tribunal sur la signification du titre Regierungspräsident. Le colonel SS, vous le remarquerez, devait rendre compte au Regierungspräsident. Si vous vous reportez au décret qui institue le Reichsgau de Vienne — Reichsgesetzblatt 1939, partie I, page 777 (document PS-3301), on voit que le Regierungspräsident était le représentant personnel de Schirach dans l’administration du Gouvernement de Vienne.

Maintenant, il nous semble que ce document PS-1948 signé par Fischer, sur le travail obligatoire des Juifs physiquement aptes, prouve que les gens ayant rang de Gauleiter n’ignoraient pas les atrocités de la Gestapo et des SS dans leur propre Gau. Il démontre également que même les collaborateurs des Gauleiter connaissaient les détails des projets de persécution alors en voie de réalisation.

Schirach connaissait aussi la pénurie de logements à Vienne et s’en préoccupait. Certains membres de la soi-disant race des seigneurs y remédiaient en s’emparant des maisons des malheureux Juifs que l’on avait fait disparaître en Pologne.

Le 3 décembre 1940, le conspirateur Lammers écrivit une lettre à Schirach, document PS-1950, page 64 du livre de documents, (USA-681). Cette lettre est très courte :

« Berlin, le 3 décembre 1940... »

Elle est écrite sur le papier officiel du ministre du Reich et chef de la Chancellerie du Reich et porte la mention « Secret ».

« Au gouverneur du Reich à Vienne, le Gauleiter von Schirach. Comme le Reichsleiter Bormann me l’a fait savoir, le Führer a décidé, après avoir reçu l’un de vos rapports, que les 60.000 Juifs habitant actuellement dans le Reichsgau de Vienne seront déportés rapidement » — c’est-à-dire pendant le cours de la guerre — « dans le Gouvernement Général, en raison de la pénurie de logements à Vienne. J’ai prévenu le Gouverneur Général à Cracovie, ainsi que le Reichsführer SS de cette décision du Führer. Je vous demande d’en prendre connaissance.

« Signé : Lammers. »

La dernière preuve que nous allons présenter contre cet accusé, le plus jeune de ceux qui se trouvent au banc des prévenus, est un extrait des propres paroles de Schirach qui ont été publiées dans tout Vienne et qu’il s’agissait en fait de faire connaître à ce moment à toute l’Allemagne et au monde entier. Ces paroles figurent dans l’édition de Vienne du Völkischer Beobachter du 15 septembre 1942. C’est le document PS-3048, à la page 106 du livre de documents. Il a déjà été présenté comme preuve sous la cote USA-274.

J’aimerais faire remarquer que ces paroles ont été prononcées à Vienne devant une prétendue ligue des Jeunesses européennes en 1942.

Le Tribunal se souviendra que Schirach était toujours à ce moment-là chef de la Jeunesse du Reich, pour la NSDAP. Je cite :

« Chaque Juif qui a de l’influence en Europe est un danger pour la culture européenne. Si quelqu’un me reproche d’avoir chassé de cette ville, qui fut pendant un moment la capitale européenne de la juiverie, des dizaines et des dizaines de milliers de Juifs, pour les interner dans le ghetto de l’Est, je suis obligé de répondre : « Je vois dans ce geste un acte qui a contribué à la culture européenne. »

Bien que le principal concours apporté par Schirach à la conspiration eût été sa mission de former la jeunesse allemande selon les objectifs nazis, il est également coupable de crimes odieux contre l’Humanité, en tant que haut fonctionnaire du Gouvernement et du Parti, après que la conspiration eut fatalement mené aux guerres d’agression.

J’en ai terminé, messieurs, avec la présentation de la responsabilité individuelle de l’accusé Schirach.

Le Ministère Public va maintenant s’occuper de la responsabilité de l’accusé Martin Bormann. L’exposé sera fait par le lieutenant Lambert.

Dr SAUTER

Monsieur le Président, je prendrai position vis-à-vis des nombreuses inexactitudes de l’Acte d’accusation contre Schirach, quand la Défense aura la parole. Je voudrais néanmoins faire remarquer maintenant que quelques fautes de traduction ont été commises dans ce document. Il s’agit du document PS-3352. Il s’agit d’un ordre de la Chancellerie du Reich à ses subordonnés et cet ordre dit que les travailleurs sont dans une certaine mesure à la disposition des Gauleiter. Dans l’original allemand, cet ordre mentionne « Anregungen und Wünsche ». Il s’agit donc...

LE PRÉSIDENT

À quelle page du document ?

Dr SAUTER

C’est, je crois, à la page 512 du document PS-3352, page 117 du livre de documents. Cette expression allemande « Anregungen und Wünsche » a été rendue dans la traduction anglaise par « suggestions » pour « Anregungen » et « demands » pour « Wünsche ». Nous pensons que pour « Anregungen » le mot « suggestions » convient, mais quant à la deuxième traduction, nous croyons qu’elle est fausse parce que ce mot signifie en allemand à notre connaissance aussi bien « Forderungen » c’est-à-dire « exigences » ou « Befehle », « ordres ». Nous pensons qu’il serait exact que dans la traduction anglaise le mot « Wünsche » soit rendu par « Wishes » (désirs). Nous pensons que cette traduction serait plus exacte. Je m’excuse si je n’ai pas bien prononcé le mot anglais. C’est tout ce que j’ai à dire pour le moment. Merci.

LE PRÉSIDENT

(Au capitaine Sprecher.) Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet ?

CAPITAINE SPRECHER

Je crois que le Dr Sauter a raison. J’ai vérifié avec le traducteur et le mot « Wünsche » a été traduit de façon un peu trop forte.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

LIEUTENANT THOMAS F. LAMBERT JR. (substitut du Procureur Général américain)

Plaise au Tribunal. Le Ministère Public va maintenant présenter les charges relevées à l'encontre de l’accusé Bormann et donner les preuves établissant sa responsabilité dans les crimes mentionnés à l’Acte d’accusation. Si le Tribunal m’y autorise, j’aimerais faire remarquer tout d’abord qu’en raison du défaut de l’accusé Bormann, nous croyons que nous devons nous efforcer de présenter ces preuves d’une manière particulièrement irréprochable par souci de loyauté vis-à-vis de la Défense et dans l’intérêt du Tribunal.

Je présente à l’appui de mes dires le livre de documents sous la cote USA-JJ, avec l’exposé écrit relatif à l’accusé Bormann.

L’accusé Bormann porte une lourde responsabilité, principalement pour avoir contribué à la prise du pouvoir par les conspirateurs nazis pour les avoir aidés à assurer leur contrôle total sur l’Allemagne et à préparer les guerres d’agression, ainsi qu’il est spécifié au chef d’accusation n° 1.

Comme il ressort des procès-verbaux de ce Procès, le parti nazi et le Corps des chefs étaient les principaux instruments et les instigateurs de la conspiration. Après la fuite de l’accusé Hess en Écosse, au mois de mai 1941, l’accusé Bormann est devenu chef du pouvoir exécutif du parti nazi. Son titre officiel était celui de chef de la Chancellerie du Parti. Auparavant Bormann était chef de l’État-Major de l’accusé Hess, adjoint du Führer.

Du fait de ces deux situations importantes, chef de la Chancellerie du Parti et chef de l’État-Major de l’adjoint du Führer, Bormann représente l’un des principaux créateurs de la conspiration nazie. Il n’était soumis, nous le faisons remarquer, qu’à l’autorité suprême de Hitler.

Bormann créa et employa les vastes pouvoirs du Parti, ses ramifications et ses associations affiliées, en faveur du complot. Il utilisa le Parti pour imposer au peuple allemand la volonté des conspirateurs et dirigea ensuite la puissance du Parti vers la domination de l’Europe. L’accusé Bormann est donc coupable de nombreux crimes nés du complot, de nombreux crimes commis par le Parti, par ses agents et par le peuple allemand, en favorisant la conspiration.

Il pourrait être utile de donner un bref aperçu de la carrière de l’accusé Bormann.

Bormann a commencé ses activités de conspirateur il y a plus de vingt ans. En 1922, alors qu’il n’avait que 22 ans, il devint membre de l’organisation Rossbach, l’un des groupes illégaux qui perpétuaient les traditions militaires de l’armée allemande, et utilisa la terreur contre les petites minorités pacifistes en Allemagne. Pendant qu’il était chef de cette organisation pour la région du Mecklembourg, il fut arrêté et jugé pour sa participation à un assassinat politique. Nous estimons que ce fait montre qu’il était disposé à utiliser des moyens illégaux pour atteindre ses buts. Le 15 mai 1924, il fut déclaré coupable par le Tribunal d’État pour la protection de la République et condamné à un an de prison.

Quand il eut quitté la prison en 1925, Bormann reprit ses activités subversives ; il devint membre de l’organisation militaire « Frontbann » et au cours de la même année devint membre du parti nazi. Il commença son ascension vers une situation importante dans la conspiration. En 1927, il devint chef de la presse pour le Gau de Thuringe. Autrement dit, pour se référer aux termes de l’accusation contre le corps des chefs, il devint un important officier d’état-major d’un Gauleiter. Le 1er avril 1928, il devint chef de district en Thuringe (Bezirksleiter) et s’occupa des affaires du Gau tout entier.

Arrivons-en maintenant à un fait très important concernant les rapports de Bormann avec les SA. Du 15 novembre 1928 au mois d’août 1930, il a fait partie de l’État-Major du Commandement suprême des SA. Le Tribunal a pu entendre un exposé démontrant la culpabilité des SA. On sait très bien que c’était une organisation semi-militaire formée de jeunes hommes, dont le but principal était de contrôler les rues et de se servir de la terreur pour lutter contre les éléments opposés à la conspiration. Nous prétendons à ce stade des débats que, du fait de ses fonctions à l’État-Major du Commandement suprême des SA, Bormann partage la responsabilité des activités illégales qu’elles avaient entreprises pour favoriser la conspiration. Au mois d’août 1930, Bormann organisa une Caisse d’entraide (Hilfskasse) du parti nazi et en devint le chef. Grâce à cette œuvre, il rassemble des sommes d’argent assez importantes, sous prétexte d’aider les familles des membres du Parti qui avaient été tués ou mis en prison au cours de combats pour le Parti.

Le Tribunal sait que le 30 janvier 1933 les conspirateurs et leur Parti s’emparèrent du Gouvernement de l’Allemagne. Peu de temps après, au mois de juillet 1933, Bormann obtint la troisième place dans le Parti en devenant chef de l’état-major de Rudolf Hess, adjoint de Hitler.

Il fut, à la même époque, nommé Reichsleiter et devint ainsi membre de l’état-major de l’organisation, que nous prétendons illégale, du Corps des chefs du parti nazi. En novembre 1933, il fut nommé membre du Reichstag.

Je demande au Tribunal d’admettre comme preuve la publication allemande bien connue : Le Reichstag de la Grande Allemagne, édition de 1943. La page 167 de cette publication indique les faits dont je vous ai parlé en esquissant brièvement la carrière de Bormann. La traduction anglaise est le document PS-2981 du livre de documents qui se trouve entre les mains du Tribunal.

La condamnation de Bormann pour assassinat politique est justifiée par le document PS-3355 (USA-682) ; il s’agit d’un affidavit du Dr Robert M. W. Kempner, dont je vais brièvement citer quelques extraits :

« Je soussigné, Robert M. W. Kempner, expert conseil du département de la Guerre, ai comparu devant l’officier assermenté soussigné et, après avoir prêté serment, ai déclaré ce qui suit :

« En ma qualité de haut conseiller du Gouvernement et de conseiller légal de l’administration de la Police prussienne avant Hitler, j’ai pris officiellement connaissance du casier judiciaire de Martin Bormann, le même qui est actuellement accusé devant le Tribunal Militaire International de Nuremberg en Allemagne. Sur le casier judiciaire de Martin Bormann figure cette mention : « Bormann Martin, condamné le 15 Mai 1924 par le tribunal d’État pour la protection de la République, à Leipzig, en Allemagne, à un an de prison pour avoir participé à un assassinat politique. » Signé : « Robert M. W. Kempner. » Fin de la citation.

LE PRÉSIDENT

Lieutenant Lambert, je ne crois pas qu’il soit nécessaire, lorsque vous parlez d’un document de ce genre, d’en lire les parties purement formelles. Si vous en donnez la nature et en lisez le contenu essentiel, vous n’avez pas besoin de vous occuper des parties formelles telles que, par exemple : « Je soussigné, Robert Kempner, expert conseil... etc. » Me comprenez-vous ?

LIEUTENANT LAMBERT

Merci, Monsieur le Président, de cette heureuse suggestion.

En sa qualité de chef d’état-major de l’accusé Hess, Bormann était qualifié pour recevoir et diriger vers ce dernier les demandes du Parti intéressant tous les domaines de l’activité de l’État. Le règlement de ces demandes était assuré par l’accusé Hess, en vertu de sa participation au pouvoir législatif, de son autorité en matière de nomination et d’avancement des fonctionnaires, et en vertu de sa position dans le Cabinet du Reich.

J’en viens maintenant à un point important concernant les relations de Bormann avec le SD et la Gestapo. En qualité de chef d’état-major de l’accusé Hess, Bormann prit des mesures pour renforcer la mainmise du SD et de la Gestapo sur la population civile allemande. Je demande au Tribunal d’admettre comme preuve un ordre de Bormann du 14 février 1935 paru dans une publication officielle, Les décrets du délégué du Führer, édition de 1937, page 257. Je cite simplement deux extraits importants de ce décret, dont la traduction anglaise figure dans notre document PS-3237.

LE PRÉSIDENT

Si c’est un document que nous pouvons tenir pour acquis, vous pouvez le résumer sans le lire.

LIEUTENANT LAMBERT

J’en prends bonne note, Monsieur le Président, mais la citation est si courte et si succincte que nous pouvons éviter de la résumer.

LE PRÉSIDENT

Très bien ; continuez.

LIEUTENANT LAMBERT

« Le délégué du Führer attend des bureaux du Parti qu’ils n’aient plus de méfiance vis-à-vis du SD et lui accordent leur appui sans réserve pour accomplir les tâches difficiles qui lui ont été confiées afin de protéger le mouvement et notre peuple. La tâche du Parti peut en effet être facilitée au premier chef par celle du SD ; il est inadmissible que l’on empêche son expansion par des attaques de parti pris, motivées par des défaillances individuelles ; il faut au contraire l’assister de tout, cœur. Signé : Bormann, chef d’état-major du délégué du Führer. »

Il s’agit de l’aide apportée au SD. Nous allons voir maintenant la façon dont Bormann a aidé la Gestapo.

LE PRÉSIDENT

Lieutenant Lambert, ne suffirait-il pas de dire que le document mentionne l’aide que Bormann a promise au SD ?

LIEUTENANT LAMBERT

Je craignais seulement, Monsieur le Président, qu’un document ne fût pas considéré comme preuve s’il n’a pas été lu.

LE PRÉSIDENT

Mais vous avez commencé par nous demander d’accepter ce document comme preuve. Si nous pouvons l’admettre, il est inutile de le citer.

LIEUTENANT LAMBERT

En ce qui concerne les efforts de Bormann pour renforcer l’emprise de la Gestapo, je demande au Tribunal d’admettre comme preuve un ordre de Bormann du 3 septembre 1935 prescrivant aux agents du Parti de désigner à la Gestapo toutes les personnes se laissant aller à des critiques sur les institutions ou le parti nazis. Ce décret figure dans la publication officielle du Parti : Décrets du délégué du Führer, 1937, page 190. La traduction anglaise se trouve dans notre document PS-3239. Je résumerai brièvement ce document. Son premier paragraphe parle d’une loi du 20 décembre 1934 qui, comme le Tribunal s’en souviendra, donne la même protection aux institutions et aux uniformes du Parti que celle accordée à ceux de l’État. Les paragraphes 1 et 2 de ce décret mentionnent que dans les cas d’attaques subversives ou diffamatoires contre des membres du Parti, contre le parti nazi ou contre ses institutions, le ministre de la Justice du Reich devait s’entendre avec le député du Führer, afin de prendre des mesures communes contre les coupables. Au paragraphe 3, Bormann donne l’ordre à tous les agents du Parti de signaler à la Gestapo les individus critiquant les institutions du parti nazi ou le Parti lui-même. Je me borne à citer le dernier paragraphe.

LE PRÉSIDENT

J’ai noté ce que vous avez dit dans votre première phrase ; le document indiquait qu’on devait signaler à la Gestapo toute personne critiquant le Parti. Cela me semble suffisant ; tout ce que vous avez dit ensuite est superflu.

LIEUTENANT LAMBERT

II y a pourtant un point que j’aimerais souligner à propos du dernier paragraphe, car je crois qu’il est de nature à aider le Ministère Public dans l’accusation portée contre le Corps des chefs du parti nazi.

Le Tribunal se souviendra qu’il a posé la question précise de savoir si les preuves du Ministère Public concernaient les membres subalternes du Corps des chefs. Dans le dernier paragraphe de ce décret, Bormann ordonne aux Ortsgruppenleiter qui viennent dans la hiérarchie du Corps des dirigeants après les Gauleiter et les Kreisleiter, de signaler à la Gestapo les personnes critiquant les institutions ou le parti nazi.

Voici maintenant une question importante concernant les relations de Bormann avec les SS. Le Tribunal a déjà eu des preuves démontrant le caractère criminel des SS. Je demande au Tribunal d’admettre comme preuve le numéro de juillet 1940 de Das Archiv qui est notre document PS-3234. À la page 399 de cette publication, en date du 21 juillet 1940, il est dit que le Führer a promu l’accusé Bormann du grade de SS Gruppenführer à celui de SS Obergruppenführer. Nous suggérons en conséquence que Bormann est coupable et doit être considéré comme responsable des activités criminelles des SS.

Après la fuite de l’accusé Hess en Ecosse, en mai 1941, l’accusé Bormann lui succéda comme chef du parti nazi sous les ordres de Hitler, avec le titre de chef de la Chancellerie du Parti. Je demande au Tribunal d’admettre comme preuve un décret du 24 janvier 1942, paru au Reichsgesetzblatt 1942, partie I, page 35. C’est à notre avis un décret extrêmement important car, selon ses termes, la participation du Parti à toute législation, aux nominations et promotions dans le Gouvernement, devait être assurée exclusivement par Bormann. Il devait prendre part à la préparation et, remarquons-le bien, à la promulgation de toutes les lois et de tous les décrets du Reich. Il devait donner son assentiment à tous les décrets des Reichsländer, ou états, comme à tous les décrets des gouverneurs du Reich ; toutes les communications entre les autorités de l’État et du Parti devaient passer par ses mains.

Nous tirons de cette loi la conséquence que Bormann est responsable de toutes les lois, publiées en Allemagne après le 24 janvier 1942, qui ont facilité et provoqué le complot.

Il serait utile de noter et de prier le Tribunal d’admettre comme preuve le décret du 29 mai 1941, Reichsgesetzblatt 1941, partie I, page 295, document PS-2099. Par ce décret, Hitler ordonnait à Bormann de se charger de tous les pouvoirs et de tous les services détenus auparavant par l’accusé Hess. Je demande au Tribunal d’accepter comme preuve un autre décret important, du 16 novembre 1942, concernant le Conseil des ministres pour la Défense du Reich...

LE PRÉSIDENT

Est-ce que ces documents figurent au livre de documents ?

LIEUTENANT LAMBERT

Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Vous ne nous avez pas donné la référence.

LIEUTENANT LAMBERT

C’est exact. Je me rappelle, ne l’ayant pas ici par écrit, que cet important décret du 24 janvier 1942 est, je crois, notre document PS-2100.

Je demande au Tribunal d’admettre comme preuve le décret important publié à l’issue du Conseil des ministres pour la Défense du Reich, le 16 novembre 1942, Reichsgesetzblatt 1942, partie I, page 649, document JN-5. D’après ce décret, tous les Gauleiter qui étaient sous les ordres de Bormann, en tant que chef de la Chancellerie du Parti, furent nommés commissaires à la défense du Reich et chargés de coordonner, de surveiller et de diriger l’effort en vue de la guerre d’agression nazie. À partir de ce moment, le Parti, sous la direction de Bormann devint une force décisive dans l’établissement des plans et dans la direction de l’économie de guerre nazie.

Le 12 avril 1943, comme on peut le voir dans la publication : Le Reichstag de la Grande Allemagne, édition de 1943, page 167, document PS-2981, Bormann fut nommé secrétaire du Führer. Ce fait prouve l’intimité de l’accusé Bormann avec le Führer et son influence sur lui, ce qui contribue à augmenter ainsi sa part de responsabilité dans le complot.

Nous arrivons maintenant au point important de la responsabilité de Bormann dans le domaine exécutif, relativement à l’activité du « Volkssturm ». Je demande au Tribunal d’admettre comme preuve un ordre du Führer du 18 octobre 1944 publié officiellement dans le Völkischer Beobachter du 20 octobre 1944, dans lequel Hitler faisait de Bormann le chef du Volkssturm quant à sa politique et son organisation. Ce fait est attesté par le document PS-3018. D’après ce décret, Himmler devint chef militaire du Volkssturm, mais l’organisation et sa politique restaient confiés à Bormann. Le Tribunal sait que le Volkssturm était une organisation comprenant tous les Allemands âgés de 16 à 60 ans. En sa qualité de chef du Volkssturm, Bormann a prolongé inutilement la guerre en provoquant la destruction de l’économie allemande et de l’économie européenne, la perte de nombreuses vies et des ravages considérables.

Venons-en maintenant à la responsabilité de Bormann dans la persécution des Églises. L’accusé Bormann a autorisé et dirigé des mesures causant la persécution de l’Église chrétienne et y a pris part. Le Tribunal a déjà entendu les preuves concernant les actes des conspirateurs, relatifs à la persécution de l’Église. Nous n’allons pas reproduire ces preuves. Une seule chose nous intéresse, c’est de fixer la responsabilité individuelle et personnelle de Bormann dans la persécution de l’Église. Je vais donner les preuves montrant la responsabilité de Bormann dans ce domaine. Bormann était l’un des ennemis les plus acharnés de l’Église chrétienne et du clergé, aussi bien en Allemagne que dans les territoires européens occupés par les Allemands. J’attire l’attention du Tribunal, sans avoir l’intention de faire des citations, sur le document D-75, déjà déposé sous le n° USA-348, qui contient une copie d’un ordre secret promulgué par Bormann le 6 juin 1941, intitulé : « Les relations entre le national-socialisme et le christianisme ». Dans ce décret, le Tribunal s’en souviendra, Bormann déclare sans ménagements que le national-socialisme et le christianisme sont incompatibles. Il montre ainsi que le but ultime des conspirateurs était d’éliminer le christianisme lui-même.

J’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-098, sans le citer. Cette pièce a déjà été déposée sous le n° USA-350. C’est une lettre adressée par l’accusé Bormann à l’accusé Rosenberg, le 22 février 1940, dans laquelle Bormann réaffirme l’incompatibilité du christianisme et du national-socialisme.

Poursuivant l’objectif des nazis visant à miner la puissance des Églises chrétiennes, l’accusé Bormann a pris des mesures pour supprimer l’influence de l’Église chrétienne à l’intérieur du parti nazi et de ses formations. Je présente comme preuve le document PS-113 (USA-683). C’est un ordre de l’accusé Bormann, daté du 27 juillet 1938, alors qu’il était chef d’état-major de Hess, délégué du Führer, qui interdit aux prêtres d’avoir des situations dans le Parti. Je ne ferai pas perdre de temps au Tribunal en versant cette citation au procès-verbal. Le point important demeure : Bormann a donné un ordre interdisant aux membres du clergé d’occuper des postes dans le Parti.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
LIEUTENANT LAMBERT

Nous continuerons, Messieurs, à examiner les efforts de Bormann pour éliminer définitivement l’influence de l’Église sur le Parti.

Je dépose comme preuve le document PS-838 (USA-684). Je n’alourdirai pas le dossier par des citations détaillées, mais je tiens à indiquer que ce document est une copie d’un décret de Bormann du 3 juin 1939 ordonnant que les membres de la « Christliche Wissenschaft » (la connaissance chrétienne) soient exclus du Parti. J’attire maintenant l’attention du Tribunal sur le document PS-840 (USA-355). Le Tribunal se souviendra que c’était un décret de Bormann du 14 juillet 1939 qui en confirmait un autre du 9 février 1937, dans lequel l’accusé établissait qu’à l’avenir tous les membres du Parti qui entreraient dans les ordres ou qui feraient des études de théologie seraient exclus du Parti.

Je verse maintenant au dossier le document PS-107 (USA-351). C’est une circulaire de l’accusé Bormann datée du 17 juin 1938 adressée à tous les Reichsleiter et Gauleiter appartenant au Corps des chefs du parti nazi, et transmettant une copie des instructions sur la non-participation du Service du Travail du Reich aux cérémonies religieuses. Le Service du Travail du Reich, le Tribunal s’en souviendra, était une organisation dont tous les Allemands devaient obligatoirement faire partie.

Dr FRIEDRICH BERGOLD (avocat de l’accusé Bormann)

Le représentant du Ministère Public vient d’introduire une série de documents tendant à démontrer que, sur la demande de Bormann, des personnes appartenant à la religion chrétienne auraient été exclues du Parti ou tout au moins de certaines organisations. Je prie le Tribunal de bien vouloir permettre au représentant du Ministère Public de m’expliquer comment et pourquoi cette activité de Bormann peut être considérée comme un crime de guerre. Je ne puis le déduire de l’exposé d’audience. Le Parti est accusé de conspiration criminelle. Est-ce donc un crime que d’exclure certaines personnes d’un complot criminel ? Peut-on considérer cela comme un crime ? En quoi et pourquoi l’exclusion de certaines personnes du Parti est-elle un crime ?

LE PRÉSIDENT

Le représentant du Ministère Public va répondre à votre question.

LIEUTENANT LAMBERT

Si le Tribunal veut admettre une discussion, la question, à notre avis...

LE PRÉSIDENT

Ne donnez qu’une courte réponse.

LIEUTENANT LAMBERT

Bien, Monsieur le Président. Je n’ai qu’un argument très court. La réponse nous semble aisée.

Ce que nous essayons de prouver, et les preuves sont abondantes, c’est que Bormann était plein de haine et d’hostilité à l’égard de l’Église chrétienne et a pris des mesures de coercition à son encontre. Le Parti représentait toute la puissance politique en Allemagne. Pour être puissant, il fallait ou bien appartenir au Parti, ou bien en être un protégé. Sans les efforts incessants, soutenus et tenaces qu’il a déployés pour exclure les prêtres, les étudiants en théologie et toutes les personnes ayant des affinités avec la religion chrétienne, Bormann n’aurait pu choisir une façon plus claire de manifester sa haine et sa méfiance à l’égard de la religion chrétienne et de ses adeptes.

LE PRÉSIDENT

L’avocat de Bormann pourra présenter ses arguments sur ce point un peu plus tard. Le Tribunal estime que les documents sont pertinents.

LIEUTENANT LAMBERT

Avec l’autorisation du Tribunal, je viens de déposer le document PS-107 (USA-351) et j’ai montré qu’il contenait les directives sur la non-participation du Service du Travail du Reich aux manifestations religieuses. Je citerai les paragraphes 4 et 5 de la première page de la traduction anglaise :

« Toute discussion religieuse est interdite au sein du Service du Travail du Reich, car ce serait de nature à troubler l’harmonie amicale régnant entre tous les travailleurs et toutes les travailleuses.

« C’est également pour cette raison que toute participation du Service du Travail du Reich aux cérémonies et aux rites religieux est impossible. »

J’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-070 qui a déjà été déposé sous le n° USA-349. Le Tribunal se souviendra que c’était une lettre du service de Bormann à l’accusé Rosenberg, datée du 25 avril 1941, dans laquelle Bormann déclarait qu’il était arrivé peu à peu à ses fins en réduisant et en abolissant les offices religieux dans les écoles, et en remplaçant les prières chrétiennes par des rites nationaux-socialistes. Dans cette lettre, Bormann proposait aussi la célébration d’un office nazi le matin dans les écoles, à la place du service confessionnel du matin.

Dans ses efforts soutenus pour miner et affaiblir l’Église chrétienne, Bormann autorisa et dirigea les mesures menant à la fermeture, à la réduction du nombre puis à la suppression des séminaires, facultés théologiques et institutions religieuses. J’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-116 (USA-685), que je dépose maintenant comme preuve. C’est une lettre adressée par l’accusé Bormann à l’accusé Rosenberg, le 24 janvier 1939, qui contenait, afin que celui-ci en prît connaissance, une copie de la lettre de Bormann au ministre du Reich pour la Science, l’Éducation et la Culture populaires. Dans cette lettre, Bormann informe le ministre de la position du Parti, qui est de restreindre le nombre des facultés de théologie, puis de les supprimer. Bormann déclare que, étant donné les conditions créées par la guerre, il était devenu nécessaire de réorganiser les écoles allemandes ; en conséquence il demande au ministre de limiter et de supprimer certaines facultés de théologie.

Je cite des extraits du premier paragraphe de la page 3 de la traduction anglaise du document PS-116 :

« Je voudrais donc que vous imposiez des restrictions importantes aux facultés de théologie dans le cas où, pour les raisons que je vous ai données ci-dessus, il n’est pas possible de les supprimer complètement. Ces restrictions ne concerneront pas seulement les facultés de théologie des universités, mais aussi les différentes institutions d’État qui, tels les séminaires, qui ne dépendent d’aucune université, subsistent en de nombreux endroits.

« J’exige qu’on s’abstienne de donner des explications précises aux représentants des Églises ou d’autres institutions et qu’on évite la publication de ces mesures. Il faudra répondre aux doléances et autres réclamations possibles, en expliquant que ces mesures résultent des nécessités du plan d’économie dirigée, et que des choses semblables se passent dans d’autres facultés. J’aimerais beaucoup que les chaires ainsi libérées puissent être réservées aux recherches entreprises au cours de ces dernières années, telles que les recherches raciales, les études archéologiques, etc.

« Signé : Martin Bormann. »

Ce document montre, à notre avis, que Bormann poursuivait le but suivant : fermer les facultés de théologie et les remplacer par des facultés et des chaires nazies, dont la mission consistait à faire des recherches dans les domaines du racisme, de l’idéologie, et de l’archéologie nazie. Cette réforme fut entreprise à la Hohe Schule, comme cela a été clairement démontré au cours de l’exposé du Ministère Public au sujet des pillages commis par l’Einsatzstab Rosenberg.

J’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-122 déjà déposé sous le n° USA-362. Le Tribunal se souviendra que ce document est une lettre adressée par l’accusé Bormann à l’accusé Rosenberg le 17 avril 1939, et dans laquelle il transmettait à ce dernier une photocopie des projets du ministre des Sciences, de l’Éducation et de la Culture populaires du Reich, consistant à former une réunion de différentes facultés de théologie qu’on aurait préalablement dissoutes. En transmettant cette lettre, Bormann demandait à Rosenberg de « prendre connaissance de ces plans et d’agir rapidement », à propos de la suppression des institutions religieuses qui était proposée.

Je verse maintenant au dossier le document PS-123 (USA-686). C’est une lettre confidentielle du 23 juin 1939 de l’accusé Bormann au ministre de l’Éducation, dans laquelle l’accusé fait connaître la décision du Parti d’ordonner la suppression de nombreuses facultés de théologie et institutions religieuses. Le Tribunal remarquera que dans cette lettre se trouvent énumérées dix-neuf institutions religieuses différentes dont Bormann ordonna la suppression ou réduisit les activités.

Après avoir provoqué la décision qui devait être prise par le ministre contre les diverses facultés de théologie, Bormann déclare (et je cite l’avant-dernier paragraphe de la page 3 de la traduction anglaise du document PS-123) :

« Je vous ai informé ci-dessus des vœux que le Parti a formulés après avoir examiné la question en détail avec tous les bureaux du Parti. Je vous serais reconnaissant de commencer à prendre les mesures nécessaires dès que possible. Eu égard à l’importante signification politique que revêtira chaque regroupement dans les différents Gaue, je vous demande de ne prendre ces mesures et surtout de n’en fixer les dates qu’après m’avoir consulté. »

Je dépose comme preuve le document PS-131 (USA-687). Je n’en lirai pas d’extraits. C’est une lettre de l’accusé Bormann à l’accusé Rosenberg datée du 12 décembre 1939 et relative à la suppression de sept chaires de professeurs à l’université de Munich.

J’exposerai maintenant brièvement la responsabilité de Bormann dans la confiscation des biens appartenant à des institutions religieuses et culturelles. Il utilisa sa position et son pouvoir exceptionnels pour confisquer les biens religieux et pour soumettre les Églises chrétiennes et le clergé à un régime légal discriminatoire.

Je dépose le document PS-099 (USA-688). C’est la copie d’une lettre adressée le 19 janvier 1940 par Bormann au ministre des Finances du Reich, dans laquelle il exigeait une substantielle augmentation de la taxe spéciale de guerre imposée aux Églises. Je cite les deux premiers paragraphes de la page 2 de la traduction anglaise du document PS-099 qui sont ainsi rédigés :

« Comme on me l’a rapporté, la taxe de guerre imposée aux Églises pour la période de trois mois commençant à courir le 1er novembre 1939, a été fixée à 1.800.000 RM par mois, dont 1.000.000 doit être payé par les Églises évangéliques et 800.000 par les Églises catholiques. J’ai été surpris par ce tarif si peu élevé. J’ai pu constater d’après de nombreux rapports que les communautés politiques sont tenues de verser des contributions de guerre si lourdes que l’exécution de leurs tâches, dont quelques-unes sont très importantes, par exemple celles qui touchent au domaine de l’intérêt général, est mise en danger. C’est pourquoi une participation plus importante de l’Église me semble absolument justifiée. »

On pourrait élever l’objection suivante : Quel est le caractère criminel de cette demande d’augmentation des impôts de l’Église ? Le Ministère Public n’a pas l’intention de soutenir que cette exigence ait eu un but criminel, mais si nous la considérons dans le cadre plus large de l’hostilité témoignée par Bormann à l’Église chrétienne et aux efforts qu’il a déployés, non seulement pour limiter ses activités mais aussi pour les supprimer, nous pouvons alors suggérer que ce document est suffisamment révélateur de cette hostilité à l’égard de l’Église et des mesures qui en découlèrent au détriment des Églises et du clergé.

Je cite maintenant le document PS-089 déjà déposé sous le n° USA-360. Le Tribunal se souviendra qu’il s’agissait d’une lettre de Bormann au Reichsleiter Amann, datée du 8 mars 1940, dans laquelle l’accusé ordonnait à celui-ci, Reichsleiter de la presse, de limiter sévèrement la distribution de papier pour les écrits religieux, au bénéfice de publications plus favorables à l’idéologie nazie.

Je dépose maintenant le document PS-066 (USA-689). C’est une lettre de l’accusé Bormann à l’accusé Rosenberg, datée du 24 juin 1940, transmettant un projet de loi discriminatoire pour les Églises de Dantzig et de la Prusse occidentale. Ce décret abolit entièrement la liberté religieuse, car d’après le paragraphe 1 (que je me contente de résumer), la compétence légale de toutes les organisations religieuses est subordonnée à l’assentiment du Reichsstatthalter pour Dantzig et la Prusse occidentale.

D’après le paragraphe 3, toutes les organisations et congrégations religieuses ne pouvaient plus prétendre à des subventions de l’État ou des municipalités et se voyaient interdire le droit de faire des quêtes sans l’approbation du Reichsstatthalter.

Dans le paragraphe 5 du décret, l’acquisition de biens par les organisations religieuses était soumise à l’approbation du Reichsstatthalter. Toutes les créances acquises par les organisations religieuses avant le 1er janvier 1940 devaient être ratifiées par le Reichsstatthalter, pour devenir exigibles.

Je dépose maintenant le document PS-1600 (USA-690). Il est constitué par la correspondance de l’accusé Bormann au cours des années 1940-1941, relative à la confiscation des trésors d’art religieux. Je cite le texte de la deuxième lettre qui figure à la page 1 de la traduction anglaise du document PS-1600. Elle a été envoyée par l’accusé Bormann au Docteur Posse, de la Galerie d’art de Dresde, le 16 janvier 1941 :

« Cher Docteur Posse. Vous trouverez ci-jointes les photographies de l’autel du couvent de Hohenfurth, près de Krumau. Le couvent et tous les lieux qui en dépendent seront confisqués dans un proche avenir en raison de l’attitude hostile témoignée par ses occupants à l’égard de l’État. C’est à vous de décider si les tableaux doivent rester dans le couvent de Hohenfurth ou seront transférés au Musée de Linz lorsque celui-ci aura été achevé. J’attendrai de savoir ce que vous en pensez.

« Signé : Bormann. »

Le Tribunal sait peut-être que dans ce qu’on appelle le testament et les dernières volontés de Hitler, celui-ci léguait tous ses trésors d’art au musée de Linz et, pour donner une apparence légale, il utilisait cet euphémisme : « Tous les trésors d’art que j’ai achetés. »

Le document que je viens de citer montre de quelle façon certains des trésors d’art de Linz ont été acquis.

Enfin, comme la guerre appelait un nombre sans cesse croissant de jeunes Allemands sous les drapeaux, l’accusé Bormann prit des mesures pour interdire toute influence religieuse sur les troupes. J’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-101, déjà déposé sous le n° USA-361. Le Tribunal se souviendra que c’est une lettre de l’accusé Bormann du 17 janvier 1940, dans laquelle il affirme l’opposition formelle du Parti à la circulation d’écrits religieux parmi les membres de la Wehrmacht. Dans cette lettre, Bormann dit que pour combattre efficacement l’influence de l’Église sur les troupes, il fallait éditer le plus tôt possible un grand nombre de brochures et de publications nazies. Je présente maintenant le document PS-100 (USA-691). C’est une lettre adressée à Rosenberg par l’accusé Bormann, à la date du 18 janvier 1940 ; l’accusé déclare que la diffusion de publications nazies parmi les recrues était une des nécessités les plus impérieuses de l’heure, car elle servirait d’antidote aux écrits religieux distribués aux soldats. Je ne lirai pas d’extraits de ce document. Je me suis borné à résumer les points essentiels.

Je demande maintenant au Tribunal d’accorder valeur probatoire à la publication nazie intitulée Décrets du Délégué du Führer, édition de 1937 ; je cite, page 235, le décret très important de l’accusé Bormann, transmis au commissaire de la Direction du Parti le 7 janvier 1936, et dont la traduction anglaise se trouve dans la traduction du document PS-3246. En une seule phrase, Bormann ordonne et organise l’action terroriste de la Gestapo contre les membres dissidents du clergé qui pourraient contrecarrer les plans des conspirateurs. Je cite :

« Si les prêtres ou autres membres du bas clergé catholique romain adoptent une attitude hostile envers l’État ou le Parti, en informer immédiatement la Police secrète d’État (Gestapo) par les voies officielles.

« Signé : Bormann. »

Je passe maintenant, Messieurs, à la responsabilité de Bormann dans la persécution des Juifs. Une fois de plus, le Ministère Public ne cherche pas à ressasser les nombreuses preuves de la persécution des Juifs, mais à établir la responsabilité personnelle de Bormann en cette matière. Bormann partage la grande culpabilité des conspirateurs nazis dans le programme odieux qu’ils ont conçu pour la persécution des Juifs. C’est l’accusé Bormann, notez-le bien, qui fut chargé par Hitler de transmettre et de mettre en vigueur les ordres du Führer relatifs à la solution définitive du problème juif.

Suivant le programme tracé et organisé par le Parti pour les journées des 8 et 9 novembre 1939, pendant lesquelles des Juifs furent blessés ou tués, des magasins juifs pillés et endommagés, des synagogues incendiées dans le Reich tout entier, l’accusé Bormann, selon les ordres de Hitler, informa l’accusé Göring d’avoir à « régler définitivement la question juive » en Allemagne. J’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-1816, déjà déposé sous le n° USA-261. Le Tribunal connaît bien ce document qu’on a déjà mentionné souvent. C’est le compte rendu d’une conférence tenue sur la question juive, le 12 novembre 1938, sous la direction de Göring. Je ne cite que la première phrase de ce document PS-1816 ; elle révèle la responsabilité de Bormann :

« Göring. — Messieurs, la réunion d’aujourd’hui revêt un caractère d’importance décisive. J’ai reçu une lettre écrite, sur les ordres du Führer, par le chef de l’État-Major du Délégué du Führer, Bormann, demandant que la question juive soit maintenant, une fois pour toutes, organisée et résolue d’une façon ou d’une autre. »

Le Tribunal connaît les propositions, les résolutions et les mesures décidées au cours de cette conférence qui devait, soi-disant, régler une fois pour toutes la question juive. Cette conférence aboutit à la promulgation par les nazis d’une série de mesures et de décrets antisémites. Je dépose le document PS-069 (USA-589). C’est un décret de Bormann daté du 17 janvier 1939, dans lequel il demande l’application des nouveaux règlements antisémites, résultant de la conférence de Göring que je viens de mentionner, et selon lesquels les Juifs se voyaient refuser l’accès des hôtels, la possibilité de voyager et les autres facilités de la vie courante. Je cite l’ordre de Bormann figurant à la page 1 de la traduction anglaise du document PS-069 :

« Après un rapport du Generalfeldmarschall Göring, le Führer a pris des décisions essentielles relatives à la question juive. Ces décisions sont portées à votre attention dans la pièce ci-jointe. Une obéissance stricte à ces directives est exigée.

« Signé : Bormann. »

Afin de hâter ces débats, je résisterai à la tentation de citer in extenso, le décret contenu dans la lettre de Bormann. En fait, les Juifs se voyaient, dans l’essentiel, refuser les couchettes dans les trains et l’accès de certains hôtels à Berlin, Munich, Nuremberg et Augsbourg. L’entrée des piscines, de certaines places publiques, de villes d’eaux, de sources thermales leur était interdite. La honte, l’avilissement et les inconvénients impliqués par cette décision sont faciles à imaginer.

Je demande au Tribunal d’accorder valeur probatoire au décret du 12 novembre 1938, Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 1580 (document JN-6). C’est un décret excluant les Juifs de la vie économique allemande. Le Tribunal le connaît déjà très bien : il interdisait aux Juifs de tenir un commerce de détail, ce qui poussait assez loin l’élimination des Juifs de la vie économique du pays.

Bormann utilisa également les autres services de l’État pour supprimer de la vie économique de larges fractions de la population juive. Je demande au Tribunal de prendre acte de l’importante publication nazie intitulée : Décrets du Délégué du Führer, édition de 1937, qui constitue le document PS-3240. À la page 383 de cette publication figure un décret de Bormann daté du 8 janvier 1937, reproduisant un ordre de l’accusé Frick promulgué sur l’instigation de Bormann, aux termes duquel tout appui financier était refusé aux fonctionnaires du Gouvernement qui utilisaient les services de docteurs, avocats, pharmaciens ou d’autres représentants juifs de professions libérales. Je ne citerai pas le texte de ce décret, car j’en ai indiqué les éléments essentiels.

Lorsque la guerre éclata, les mesures antisémites atteignirent une brutalité peu commune. Ainsi, l’accusé Bormann participa à l’organisation de la déportation en Pologne de 60.000 Juifs de Vienne, effectuée en coopération avec les SS et la Gestapo. Je suis convaincu qu’à cet égard le Tribunal a déjà pris acte de ce document à propos de l’exposé sur l’accusé von Schirach. C’est la pièce PS-1950. Lammers dit : « Bormann a informé von Schirach de votre proposition concernant les déportations. » Je me contenterai de mentionner ce seul fait.

Lorsque Bormann succéda à Hess en qualité de chef de la Chancellerie du Parti, il usa des pouvoirs étendus que lui conférait cette fonction dans une mesure telle qu’il devint l’un des réalisateurs les plus importants du programme tendant à affamer, dégrader dépouiller et exterminer les Juifs soumis aux lois draconiennes des conspirateurs. Je demande au Tribunal d’accorder valeur probatoire au décret du 31 mai 1941, Reichsgesetzblatt, 1941, partie I, page 297, signé par l’accusé Bormann, et qui étend aux territoires annexés de l’Est les lois discriminatoires de Nuremberg. Je demande au Tribunal de prendre acte de la onzième ordonnance de la loi sur la nationalité allemande, Reichsgesetzblatt, 1941, partie I, page 722, signée par l’accusé Bormann, et qui ordonnait la confiscation des biens de tous les Juifs qui avaient quitté volontairement l’Allemagne ou qui avaient été déportés.

Je demande maintenant au Tribunal de prendre acte d’un décret de l’accusé Bormann, en date du 3 octobre 1941...

LE PRÉSIDENT

Vous ne nous n’avez pas indiqué le n° PS du décret du 31 mai 1941, ni celui du suivant.

LIEUTENANT LAMBERT

Je dois reconnaître qu’il y a ici une lacune. Ces décrets figurent tous deux au livre de documents dans la traduction anglaise, mais je n’ai pas dans mon manuscrit leurs références PS. Cependant, dans l’exposé écrit qui a déjà été remis au Tribunal ou qui le sera bientôt, ces décrets sont cités avec leurs n° PS.

LE PRÉSIDENT

PS-3354 et PS-3241.

LIEUTENANT LAMBERT

Merci beaucoup de votre amabilité, Monsieur le Président.

Je demande maintenant au Tribunal de prendre acte d’un décret de Bormann, en date du 23 octobre 1942, volume 2 de la publication Décrets, ordonnances et avis à la page 147. C’est notre document PS-3243 qui fait connaître un décret du ministère du Ravitaillement, promulgué à l’instigation de Bormann, privant les Juifs d’un certain nombre de produits alimentaires essentiels, de toutes les rations spéciales pour les malades et les femmes enceintes et ordonnant la confiscation des colis de vivres envoyés par des sympathisants étrangers aux Juifs persécutés.

Je demande au Tribunal de prendre acte de la treizième ordonnance de la loi sur la citoyenneté allemande, Reichsgesetzblatt, 1943, partie I, page 372, du 1er juillet 1943, signée par Bormann, aux termes de laquelle tous les Juifs se voyaient soustraits de la compétence des tribunaux ordinaires et livrés à la juridiction exclusive de la police de Himmler. C’est notre document PS-1422.

Nous demandons respectueusement au Tribunal la permission de souligner l’importance de ce décret. Dans une société désireuse de vivre selon les règles de la justice, les citoyens ne sont jugés qu’après comparution devant une juridiction et conformément aux décisions de cette juridiction. Ce décret avait pour résultat de soustraire, le cas échéant, tous les accusés juifs à la compétence des tribunaux et de les livrer à la Police. C’est celle-ci et non les Tribunaux, qui pouvait se prononcer à l’égard des accusés juifs.

Les conséquences de cette loi ne tardèrent pas à se manifester par des événements concrets dont l’accusé Bormann porte la responsabilité. Le 3 juillet 1943, Himmler promulgua un décret qui constitue notre document PS-3085, dont je demande respectueusement au Tribunal de prendre acte. Il figure au Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur de 1943, page 1085. Ce décret charge la police de Himmler et la Gestapo de l’exécution des ordonnances que nous venons de mentionner et qui refusaient aux Juifs le bénéfice de juridictions de droit commun pour les livrer à la police de Himmler.

Enfin, toujours à propos de la responsabilité que porte Bormann dans la persécution des Juifs, je demande au Tribunal de prendre acte de l’un de ses décrets en date du 9 octobre 1942 (volume II de la publication Décrets, règlements et avis, pages 131 et 132), déclarant que le problème de l’élimination définitive de millions de Juifs du territoire de la Grande Allemagne ne pouvait plus être résolu par la seule émigration, mais par l’application de règlements impitoyables dans des camps spéciaux à l’Est.

M. BIDDLE

À quel document vous référez-vous ?

LIEUTENANT LAMBERT

Au document PS-3244, Monsieur le juge.

J’avais, à l’origine, l’intention de citer intégralement ce décret pour répondre de façon irréfutable à une question posée il y a quelques jours par la Défense au cours d’un contre-interrogatoire : les agissements antisémites des conspirateurs étaient-ils seulement l’oeuvre de quelques nazis anormaux ou fanatiques, ou bien une politique raisonnée et concertée par la Conspiration tout entière ? Le temps ne me permet pas de citer entièrement ce décret, mais avec la permission du Tribunal j’en résumerai l’essentiel en quelques phrases.

Bormann commence en disant : « Des rumeurs récentes ont parcouru tout le Reich à propos des actes de violence que nous aurions fait subir aux Juifs ». Ces rumeurs ont été colportées par nos soldats revenant de l’Est, où ils les y ont entendues. Si nous voulons combattre l’effet de ces rumeurs, notre position, comme je vous l’indique officiellement maintenant, doit être expliquée à la population civile allemande. » Bormann fait alors l’historique de ce qu’il appelle « la lutte deux fois millénaire menée contre la juiverie » et il décompose le programme du Parti en deux phases : d’abord l’effort du Parti et des conspirateurs pour éliminer et chasser les Juifs de la vie économique et sociale de l’Allemagne. Puis il ajoute : « Lorsque nous avons commencé la guerre, ces mesures n’ont pas suffi. Nous avons dû recourir à l’émigration forcée et à la création de camps à l’Est. » Puis il continue : « À mesure que nos troupes ont avancé vers l’Est, nous avons dépassé les pays où nous avions envoyé les Juifs. Ces mesures d’émigration, et c’est là notre seconde proposition, ne sont plus suffisantes. »

Puis il arrive à la solution qu’il propose, d’accord avec la Chancellerie du Parti : « II faut transporter ces Juifs toujours plus loin à l’Est et les mettre dans des camps spéciaux de travail forcé. » Je cite maintenant la dernière phrase du décret de Bormann :

« C’est la nature même de ces problèmes très difficiles qui exige qu’ils soient résolus par la sévérité la plus impitoyable et cela dans l’intérêt de la sécurité définitive de notre peuple. Bormann. »

Avec la permission du Tribunal, je passerai maintenant...

LE PRÉSIDENT

Ce décret est-il signé par Bormann ? Il ne le semble pas. Vous avez bien dit : « Bormann. »

LIEUTENANT LAMBERT

Oui, je l’ai dit. Si le Tribunal se reporte au document PS-3244, il verra clairement que cette pièce est un décret de Bormann promulgué par les services du Délégué du Führer. Il est vrai que le nom de Bormann ne figure pas dans la traduction de ce décret. Mais d’après le volume original, il est évident que ce document est un décret de Bormann venant de la Chancellerie du Parti. Le Ministère Public prend cette affirmation sous sa responsabilité.

Avec la permission du Tribunal, je passerai maintenant à la question de la responsabilité de l’accusé Bormann dans la préparation et la commission de crimes nombreux et variés perpétrés ouvertement pour la réalisation du complot.

Le Tribunal connaît les pouvoirs étendus dont jouissait Bormann. Nous en avons déjà déposé les preuves. Notre intention est de prouver qu’il utilisa ces pouvoirs étendus, renforcés par sa position de secrétaire du Führer et son droit d’assister aux réunions du Quartier Général de Hitler, pour décider et autoriser des actes de violence manifeste, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité et y prendre part.

J’attire l’attention du Tribunal sur le document L-221 (USA-317). Le Tribunal se souviendra que ce document est un rapport détaillé, en date du 16 juillet 1941, rédigé par l’accusé Bormann, trois semaines exactement après l’invasion par l’Allemagne du territoire de l’Union Soviétique. C’est le rapport d’une conférence de vingt heures tenue au Quartier Général de Hitler avec les accusés Göring, Rosenberg, Keitel et le ministre du Reich Lammers. Cette conférence aboutit à l’adoption de plans détaillés et d’instructions pour l’asservissement, la dépopulation, la germanisation et l’annexion de vastes territoires de l’Union Soviétique et d’autres pays de l’Europe orientale. Dans le rapport qu’il fit de cette conférence qui figure au document L-221, Bormann parle des nombreuses suggestions que lui-même proposa pour l’exécution de ces plans.

Plus tard, l’accusé Bormann joua un rôle de premier ordre dans la mise en application du programme du complot. J’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-072 (USA-357). Le Tribunal se souviendra que c’est une lettre de l’accusé Bormann à l’accusé Rosenberg, du 19 avril 1941, relative à la confiscation des objets d’art à l’Est. Je cite simplement les deux derniers paragraphes de la traduction anglaise du document PS-072.

« Le Führer insista sur le fait que, dans les Balkans, l’emploi de vos experts » — c’est-à-dire des experts de l’Einsatzstab Rosenberg spécialistes du pillage — « ne serait d’aucune utilité, étant donné qu’il n’y avait pas d’objets d’art à confisquer. À Belgrade, il n’y a que la collection du prince Paul dont la totalité lui serait rendue. Les objets restant dans les loges seront saisis par les agents du SS Gruppenführer Heydrich.

« Les bibliothèques et les objets d’art des monastères mis sous séquestre à l’intérieur du Reich resteront pour le moment dans ces monastères à moins que les Gauleiter n’en aient décidé autrement. Après la guerre, un examen minutieux des richesses amassées sera entrepris. Mais en aucun cas, on ne devra centraliser le contenu de toutes les bibliothèques...

« Signé : Bormann. »

Je dépose maintenant comme preuve le document PS-061 (USA-692). C’est une lettre secrète de Bormann datée du 11 janvier 1944 dans laquelle — fait que nous tenons à signaler comme très important — l’accusé révèle l’existence d’opérations de grande envergure ayant pour but de s’emparer, dans les territoires occupés par les Allemands, de certains biens en vue de les remettre à la population de l’Allemagne qui aura subi des bombardements. Le Tribunal sait que les conventions de La Haye et les lois de la guerre n’autorisent la réquisition des biens et des services que pour l’usage de l’Armée d’occupation et les besoins de l’administration des régions occupées. Cette proposition de Bormann signifie la réquisition du matériel dans les régions occupées pour les besoins de l’arrière, pour les besoins du pays.

Je cite maintenant les deux premiers paragraphes de la traduction anglaise de la lettre écrite par Bormann le 11 janvier 1944, reproduite dans la traduction anglaise de notre document PS-061.

« Étant donné que les besoins des populations sinistrées en textiles et en fournitures domestiques augmentent sans cesse, on a proposé à plusieurs reprises d’effectuer dans les territoires occupés des réquisitions sur une vaste échelle. Différents Gauleiter ont proposé de faire faire ces achats par des commerçants compétents connaissant ces régions et y ayant de nombreuses relations.

« J’ai attiré l’attention du ministre de l’Économie du Reich sur ces propositions et je cite la réponse qu’il fit le 16 décembre 1943, car elle est d’une importance capitale :

« C’est à mon avis un devoir particulièrement important que d’utiliser dans l’intérêt du Reich les ressources économiques des territoires occupés. Vous savez que depuis l’occupation des territoires de l’Ouest, nous avons effectué dans ces pays des achats considérables. Des matières premières, des produits semi-ouvrés, des stocks de produits finis ont été amenés en Allemagne depuis des mois ; des machines de valeur ont été envoyées à notre industrie d’armement. Tout a été fait à cette époque pour accroître notre potentiel de guerre. Plus tard, les envois de ces importantes ressources économiques ont été remplacés par un transfert de commandes à l’industrie correspondante du pays occupé. »

Je termine ma citation ici, le reste n’a pas de rapport avec le sujet.

Durant la guerre, et le Ministère Public estime que ce point est très important …

LE PRÉSIDENT

Etes-vous sûr qu’il s’agissait de confiscation ?

LIEUTENANT LAMBERT

Je ne l’ai pas affirmé. Mais notre argumentation consistait à affirmer que les règlements de La Haye n’autorisaient des réquisitions contre paiement que pour les besoins des troupes d’occupation et de l’administration des territoires occupés. Or ces faits représentaient, à notre avis, un programme de réquisitions destiné à subvenir aux besoins de la population civile de l’arrière. C’est ainsi que nous l’entendons.

Nous passons maintenant à une charge que le Ministère Public considère comme extrêmement importante à rencontre de l’accusé Bormann. Pendant la guerre, cet accusé publia une série d’ordres étendant la compétence du Parti aux questions relatives au traitement des prisonniers de guerre, en particulier sur leur utilisation pour le travail obligatoire.

Le Tribunal sait que, d’après les articles de la Convention de Genève de 1929 sur les prisonniers de guerre, ces derniers représentaient la prise, non pas des troupes mêmes ni de l’Armée qui les avaient capturés, mais de la puissance détentrice, et c’est celle-ci qui est compétente pour tout ce qui regarde ces hommes et qui en est responsable. Par une série de décrets que je vais présenter, Bormann affirme et établit la compétence du parti nazi sur les prisonniers de guerre alliés. Dans l’exercice de cette juridiction du Parti, il réclame pour les prisonniers de guerre alliés un traitement excessivement dur et brutal. Je présente maintenant comme preuve le document PS-232 (USA-693). C’est un décret de l’accusé Bormann, daté du 13 septembre 1944, adressé — comme le Tribunal le remarquera — à tous les Reichsleiter, Gauleiter, Kreisleiter et chefs des organisations nazies affiliées, c’est-à-dire à de nombreux éléments du Corps des chefs du parti nazi. Il faisait relever l’utilisation des prisonniers de guerre pour le travail obligatoire de la compétence du parti nazi. Je cite les trois premiers paragraphes de l’ordre de Bormann qui figure à la page 1 de la traduction anglaise du document PS-232.

« Les règlements jusqu’à présent en vigueur concernant le traitement des prisonniers de guerre et le rôle des unités qui les gardent ne sont plus justifiés, étant donné les exigences de l’effort de guerre totale. »

Le Ministère Public pose la question : depuis quand les exigences de la guerre sont-elles intervenues pour modifier ou changer les dispositions des lois internationales ?

« C’est pourquoi le Haut Commandement des Forces armées allemandes (OKW) a, sur ma suggestion, promulgué un règlement dont une copie est jointe.

« Voici les observations faites sur son contenu :

« 1. Le chef de l’OKW et moi-même sommes d’accord sur le fait que la coopération du Parti dans la question des prisonniers de guerre est inévitable. En conséquence, les officiers qui s’occupent du service des prisonniers de guerre ont reçu des ordres pour coopérer étroitement avec les Hoheitsträger. Les commandants des camps de prisonniers de guerre doivent envoyer immédiatement des officiers de liaison aux Kreisleiter.

« On donnera ainsi la possibilité au Hoheitsträger de pallier certaines difficultés locales, d’exercer une influence sur la conduite des unités de garde » — et nous soulignons ce point — « et d’établir un statut des prisonniers de guerre plus conforme aux exigences politiques et économiques. »

Avec la permission du Tribunal, je ferai remarquer que dans cet ordre adressé aux Reichsleiter, Gauleiter, Kreisleiter, ainsi qu’à d’importants fonctionnaires, on fait allusion, selon les termes mêmes de cet ordre, aux Hoheitsträger comme à des intermédiaires participant à ce plan.

Le Tribunal m’a permis de faire remarquer que ce décret était adressé aux Reichsleiter, Gauleiter, Kreisleiter et aux chefs des organisations affiliées au Parti ou contrôlées par lui. Comme le Tribunal le sait, les Kreisleiter occupent un degré assez bas dans la hiérarchie du Corps des chefs. Ce sont des chefs de cercles. La coopération avec les Hoheitsträger est recommandée et le Tribunal sait, étant donné les preuves qui ont déjà été présentées contre le Corps des chefs, que les Hoheitsträger comprennent tous les fonctionnaires depuis les Reichsleiter jusqu’aux 500.000 Blockleiter inclusivement.

Je présente maintenant comme preuve le document D-163 (USA-694). C’est une lettre de l’accusé Bormann datée du 5 novembre 1941. Le Tribunal remarquera que c’est une lettre adressée à tous les Reichsleiter, Gauleiter et Kreisleiter (ces derniers étant de simples chefs de cercles) transmettant à ces fonctionnaires du Corps des chefs du parti nazi les instructions du ministère de l’Intérieur qui refusaient aux prisonniers de guerre russes décédés une sépulture décente et toute cérémonie religieuse.

Je cite les parties les plus intéressantes de ces instructions qui commencent à l’avant-dernière phrase de la page 1 de la traduction anglaise du document D-163 :

« Pour des raisons d’économie, certains services de l’Armée recevront l’ordre de faire transporter les corps, c’est-à-dire de fournir des véhicules, toutes les fois que ce sera possible. On n’utilisera pas de cercueils pour le convoi et l’enterrement. Si possible, le corps sera enveloppé de papier fort (huilé, goudronné ou bitumé) ou de toute autre matière appropriée. L’enterrement doit être fait de façon discrète. S’il s’agit de l’inhumation de plusieurs corps, elle doit être faite dans une fosse commune. Dans ce cas, les corps seront placés côte à côte et non pas l’un sur l’autre, et on devra se conformer aux habitudes locales en ce qui concerne la profondeur des tombes.

Lorsque l’inhumation sera faite dans un cimetière, il faudra choisir un endroit écarté. Nous répétons qu’aucune cérémonie ne sera autorisée pour l’enterrement et que les tombes ne devront pas être ornées. »

Je présente maintenant comme preuve le document PS-228 (USA-695). C’est une circulaire de Bormann datée du 25 novembre 1943, provenant du Quartier Général du Führer et demandant qu’un traitement plus dur soit appliqué aux prisonniers de guerre et que l’exploitation de leur travail soit poussée plus à fond. Je cite maintenant cette circulaire qui figure à la page 1 de la traduction anglaise :

« Les administrations de différents Gaue mentionnent souvent dans leurs rapports que les gardiens appliquent aux prisonniers de guerre un traitement trop indulgent. En maint endroit, selon ces rapports, ce personnel de garde a même été jusqu’à s’ériger en protecteur des prisonniers et à prendre soin d’eux.

« J’informe le Haut Commandement de l’Armée de ces rapports en signalant que la population laborieuse de l’Allemagne ne peut absolument pas comprendre cet état de choses. À un moment où elle livre un combat à la vie ou à la mort, elle ne peut comprendre que les prisonniers de guerre — c’est-à-dire nos ennemis — aient une vie plus facile que les travailleurs allemands. C’est une tâche urgente pour tout Allemand qui, par ses fonctions, s’occupe des prisonniers de guerre, que d’utiliser totalement leur capacité de travail.

« Le chef du département des prisonniers de guerre auprès du Haut Commandement des Forces armées vient de donner un ordre précis, dont vous trouverez la copie ci-jointe, destiné à tous les commandants de camps de prisonniers de guerre dans les régions militaires. Je demande que cet ordre soit transmis oralement à tous les fonctionnaires du Parti.

« Au cas où d’autres plaintes sur le traitement trop favorable accordé aux prisonniers nous parviendraient à l’avenir, elles devront être transmises immédiatement aux commandants des camps de prisonniers, en attirant leur attention sur l’ordre ci-joint. »

Le Tribunal remarquera que Bormann recommande de communiquer ces ordres oralement à tous les fonctionnaires du Parti, ce qui comprend certainement les membres du Corps des chefs du parti nazi.

LE PRÉSIDENT

À mon avis, je ne vois rien de mal à cela.

LIEUTENANT LAMBERT

Nous pensons en effet, Monsieur le Président, que si vous prenez un document disant : « Nous voulons utiliser le travail de tous les prisonniers de guerre qui sont en notre pouvoir, et l’obtenir par les moyens appropriés » ce fait ne paraît pas exceptionnel. Mais, si nous considérons ce document à la lumière d’un autre document que je suis sur le point de présenter, et qui montre qu’une politique concertée et réglée par Bormann et ses acolytes...

LE PRÉSIDENT

Bien. Ce n’est pas la peine d’argumenter.

LIEUTENANT LAMBERT

Bien, Monsieur le Président, je vous remercie. J’attire l’attention du Tribunal sur le document PS-656 (USA-339). Le Tribunal se souviendra que c’est une circulaire secrète de Bormann transmettant des instructions du Haut Commandement nazi, en date du 29 janvier 1943, et demandant qu’on exige des prisonniers de guerre alliés qu’ils fournissent un travail plus intense et qu’on obtienne ce résultat en employant au besoin les armes ou des punitions corporelles. Je cite un bref extrait de ces instructions, qui commence au troisième paragraphe de la deuxième page de la traduction anglaise de ce document :

« Si un prisonnier de guerre ne se soumet pas aux ordres, il a le droit » — il, c’est-à-dire le gardien — « il a le droit en cas d’urgence ou de danger de le forcer à obéir en employant les armes s’il n’a pas d’autres moyens. Il peut utiliser ses armes dans la mesure où cela est nécessaire pour atteindre son but. Si le gardien n’est pas armé, il a le droit d’obtenir l’obéissance par d’autres moyens. »

Le Tribunal sait que d’après la Convention de Genève de 1929, les prisonniers de guerre qui refusent d’obéir aux ordres de la puissance détentrice, peuvent faire l’objet d’une procédure judiciaire devant un tribunal militaire, au même titre que s’ils servaient dans leur propre armée. Mais ce décret permet ou essaie de permettre aux gardiens d’utiliser des armes à feu ou d’autres moyens violents. C’était ce genre de document que j’avais dans l’esprit, Messieurs, quand j’ai suggéré que le décret de Bormann devait être considéré à la lumière d’autres décrets relatifs au traitement des prisonniers de guerre.

LE PRÉSIDENT

L’audience est suspendue.

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)