TRENTE-CINQUIÈME JOURNÉE.
Mercredi 16 janvier 1946.

Audience de l’après-midi.

LIEUTENANT LAMBERT

Le Tribunal se souviendra qu’à la fin de l’audience du matin, je venais de présenter une série de décrets de l’accusé Bormann, dans lesquels il demandait l’application aux prisonniers de guerre alliés d’un traitement plus sévère et plus dur. Ces instructions de l’accusé Bormann ont atteint leur point culminant dans son décret du 30 septembre 1944. Nous attirons l’attention du Tribunal sur le document PS-058, déjà déposé sous le n° USA-456. Le Tribunal se souviendra que le décret de l’accusé Bormann retirait au Haut Commandement nazi sa compétence en matière de prisonniers de guerre et la transférait à Himmler. Ce décret stipulait aussi que tous les chefs des camps de prisonniers de guerre seraient sous les ordres des chefs SS locaux. Grâce à cet ordre de l’accusé Bormann, Hitler pouvait poursuivre son programme de traitements inhumains et même aller jusqu’à l’extermination des prisonniers de guerre alliés.

Nous allons apporter maintenant une preuve que nous considérons comme très importante et qui constitue une charge très lourde contre l’accusé Bormann et ses acolytes, je veux dire la preuve de la responsabilité de l’accusé Bormann dans le massacre organisé d’aviateurs alliés. Je présente comme preuve le document PS-062 (USA-696). Je demande respectueusement au Tribunal de considérer ce document. C’est un ordre de l’accusé Hess en date du 13 mars 1940, destiné aux Reichsleiter, Gauleiter et autres fonctionnaires ou organisations nazis. Dans ce décret, les fonctionnaires du Parti reçoivent de l’accusé Hess l’ordre d’inviter la population civile allemande à arrêter ou même à « liquider » tous les aviateurs alliés tombés en territoire allemand. J’attire l’attention du Tribunal sur le troisième paragraphe de la première page de la traduction anglaise du document PS-062, paragraphe dans lequel Hess ordonne que ces instructions — que je vais lire — soient transmises oralement à tous les Kreisleiter, Ortsgruppenleiter, Zellenleiter et même Blockleiter, c’est-à-dire que cet ordre devait être transmis par tous les fonctionnaires du Corps des chefs aux Hoheitsträger, depuis les Reichsleiter jusqu’aux Blockleiter.

Passons maintenant au document PS-062 : le Tribunal y verra les instructions que Hess faisait transmettre oralement par le Corps des chefs du Parti pour le lynchage des aviateurs alliés. Ces directives portent pour titre : « Conduite à observer en cas d’atterrissage d’avions ou de parachutistes ennemis. » Je passe sur les trois premières instructions qui ne sont pas importantes dans le cas présent. La quatrième est la suivante :

« De même, les parachutistes ennemis seront immédiatement arrêtés ou liquidés. »

Ce document est assez éloquent par lui-même et n’a pas besoin d’être commenté davantage par le Ministère Public.

Afin d’assurer le succès de ce plan organisé par l’accusé Hess, Bormann adressa une lettre secrète, en date du 30 mai 1944, aux fonctionnaires du Corps des chefs du Parti — et j’aimerais que le Tribunal prît note de ce fait — défendant qu’aucune mesure de police ou poursuite criminelle ne soit entreprise contre des civils allemands qui auraient lynché ou assassiné des aviateurs alliés. Ce document PS-057 a déjà été présenté au Tribunal et admis par lui au moment de l’exposé sur le Corps des chefs du parti nazi, dont nous prétendons qu’il est une organisation criminelle.

Le fait, Messieurs, que ces assassinats autorisés, organisés et approuvés par l’accusé Bormann ont effectivement eu lieu, a été pleinement et indiscutablement démontré par les jugements des Commissions militaires américaines qui ont condamné des civils allemands pour avoir assassiné des aviateurs alliés. Je demande au Tribunal de prendre acte de l’ordonnance n° 2 de la Commission militaire de l’État-Major de la 15e armée américaine, en date du 23 juin 1945. C’est le document PS-2559. Cette ordonnance condamnait à mort un civil allemand pour avoir violé les lois et usages de la guerre en assassinant un aviateur américain qui avait atterri, sans aucun moyen de défense, sur le sol allemand. Le Tribunal remarquera que cette ordonnance de la Commission militaire américaine indique le 15 août 1944 comme date du crime et que l’ordonnance de Bormann était datée de mai 1944.

Je prie le Tribunal de prendre acte de l’ordonnance n° 5 de la Commission militaire de l’État-Major de la 3e armée américaine et du district militaire Est, en date du 18 octobre 1945. Cette ordonnance figure dans notre document PS-2560. Elle condamnait à mort un citoyen allemand pour avoir violé les lois et usages de la guerre en assassinant, vers le 12 décembre 1944, un aviateur américain qui avait atterri en territoire allemand.

Nous pourrions montrer d’autres ordonnances de Commissions militaires américaines ou alliées condamnant à mort des civils allemands pour avoir assassiné des aviateurs alliés qui avaient dû atterrir, sans aucun moyen de défense, sur le sol allemand. Je crois qu’il est suffisant de citer ces deux ordonnances.

Comme il a déjà été mentionné dans l’exposé introductif du Ministère Public, le 20 octobre 1944, alors que la défaite des nazis était certaine, l’accusé Bormann assuma la direction politique et administrative du Volkssturm qui venait d’être créé. Pour avoir ordonné de continuer la résistance avec le Volkssturm, Bormann se rendit responsable de cette résistance, qui prolongea de plusieurs mois la guerre d’agression.

Je voudrais présenter maintenant, Messieurs, des documents prouvant que Bormann a autorisé et dirigé de nombreux crimes contre l’Humanité et y a participé dans l’intérêt du complot. Bormann a joué un rôle important dans l’exécution du programme de travail forcé. Je dépose le document D-226 sous le n° USA-697. C’est une circulaire de l’accusé Speer, datée du 10 novembre 1944, transmettant les instructions de Himmler selon lesquelles le Parti et la Gestapo devaient coopérer en vue d’obtenir un meilleur rendement des millions de travailleurs étrangers requis en Allemagne. Je cite le deuxième paragraphe de la page 2, dans la traduction anglaise du document D-226. En voici le texte :

« Tous les membres de la NSDAP, hommes et femmes, et de ses organisations annexes et affiliées travaillant dans des entreprises devront, conformément aux instructions des Kreisleiter, être invités par les Ortsgruppenleiter :

« a) À observer avec le plus grand soin les étrangers et à faire part de leur moindre soupçon aux délégués d’entreprise qui transmettront leurs observations au délégué de l’Abwehr ou, s’il n’y en a pas, au service de police compétent. Ces faits seront signalés en même temps au chef d’entreprise et à l’Ortsgruppenleiter.

« b) À agir sans répit et continuellement, par la parole et les actes, sur ces étrangers afin de les assurer dans notre confiance en la victoire et dans la volonté de résistance allemande et d’obtenir avec l’ordre un meilleur rendement dans les usines.

« Plus que jamais, les membres du Parti, hommes et femmes, et les membres des organisations et des groupements affiliés du Parti devront se conduire d’une manière exemplaire. »

Voici, résumée en quelques mots, la portée de cette ordonnance : Il est vrai que c’est une circulaire de Speer, relative à un accord passé entre lui-même et Himmler, mais le but de cet accord est d’imposer aux membres du Parti — un Parti dont le Tribunal sait que Bormann était le chef exécutif — la tâche et le souci constant de fournir des travailleurs étrangers.

En vertu du décret du 24 janvier 1942, ces directives ne pouvaient être données sans la participation de Bormann, tant pour leur élaboration que pour leur publication.

Je dépose maintenant comme preuve le document PS-025 sous le n° USA-698. C’est le compte rendu d’une conférence en date du 4 septembre 1942 ; nous y voyons que le problème du recrutement, de l’importation, de la mobilisation pour des travaux domestiques de 500.000 femmes des territoires de l’Est devait être confié exclusivement à l’accusé Sauckel, à Himmler et à l’accusé Bormann. Je cite les deux premières phrases du troisième paragraphe de la traduction anglaise du document PS-025 :

« Le Führer a ordonné la déportation immédiate de 400.000 à 500.000 Ukrainiennes âgées de 15 à 35 ans pour les travaux domestiques et a chargé le plénipotentiaire à la main-d’œuvre de l’exécution de cette opération, qui doit être terminée dans les trois mois. De plus, et avec l’accord du Reichsleiter Bormann, l’importation illégale dans le Reich de personnel domestique, par les membres de la Wehrmacht ou d’autres organismes et en dehors du recrutement officiel, ne devra plus, à l’avenir, être empêchée. »

Je citerai maintenant la première phrase du dernier paragraphe de la quatrième page, dans la traduction en anglais du document PS-025 nous y voyons comment Bormann est mêlé à ce plan :

« D’une manière générale, on retira de cet entretien l’impression que les questions relatives au recrutement et à la mobilisation, ainsi qu’au traitement des domestiques en provenance des territoires de l’Est, étaient laissées aux soins du plénipotentiaire à la main-d’œuvre, du Reichsführer SS et chef de la Police allemande et de la Chancellerie du Parti, et que le ministère du Reich pour les territoires occupés de l’Est était considéré comme non compétent ou n’ayant qu’une compétence limitée. »

La Chancellerie du Parti est mentionnée expressément et Bormann en était le chef, comme le Tribunal le sait déjà.

L’accusé Bormann imposait sa volonté à l’administration des territoires occupés par l’Allemagne et exigeait l’exploitation impitoyable des habitants des territoires occupés de l’Est. Nous attirons respectueusement l’attention du Tribunal sur le document R-36, déjà déposé sous le n° USA-344. Le Tribunal connaît bien la teneur de ce document qui a été plusieurs fois cité au cours de ce Procès : il se souviendra que c’est un mémorandum officiel du ministère des territoires occupés de l’Est, en date du 19 août 1942, dans lequel il est spécifié que le point de vue de l’accusé Bormann, qui voulait opprimer les habitants des régions de l’Est a, en fait, déterminé la politique d’occupation des Allemands à l’Est. Le Tribunal se souvient d’extraits, maintenant bien connus, de ce document R-36, qui constitue l’essentiel des idées de Bormann sur la politique d’occupation à l’Est. On a si souvent cité ces passages, que je résisterai à la tentation de les répéter ; mais en voici cependant l’essentiel :

« Les Slaves doivent travailler pour nous », disait Bormann ; « dans la mesure où nous n’avons pas besoin d’eux, ils peuvent mourir. La vaccination obligatoire et le service sanitaire allemand sont donc superflus. Nous ne devons pas nous occuper de leur fécondité. Ils peuvent pratiquer l’avortement et employer des préservatifs ; plus ils le feront, mieux cela vaudra. L’instruction est dangereuse. Il suffira qu’ils sachent compter jusqu’à cent. Tout au plus pourra-t-on leur permettre une formation qui fera d’eux des manœuvres utilisables. Nous leur laissons la religion comme diversion. Quant à la nourriture, ils n’auront que le strict nécessaire. Nous sommes les maîtres, nous venons d’abord. »

Nous soumettons respectueusement cette citation qui constitue une illustration précise et un résumé du texte du document R-36.

Nous attirerons ensuite l’attention du Tribunal sur le document PS-654, déjà déposé sous le n° USA-218. C’est, le Tribunal s’en souvient, le procès-verbal, daté du 18 novembre 1942, d’un entretien entre le ministre de la Justice et Himmler, au cours duquel fut signé, à la suggestion de Bormann, un accord d’après lequel tous les habitants des territoires de l’Est devaient être soumis à un régime de police brutal au lieu d’un système juridique normal. Cet accord déclare que tous les différends entre le Parti, le ministère de la Justice et Himmler seront renvoyés à Bormann pour règlement.

C’est pourquoi nous déclarons que, pour avoir donné ces ordres et d’autres ordres du même genre, Bormann porte une grande part de responsabilité dans le traitement discriminatoire et l’extermination d’un grand nombre de personnes dans les territoires de l’Est occupés par les Allemands.

Si le Tribunal le permet, je vais résumer en quelques mots l’exposé que j’ai eu l’honneur de présenter. Nous avons montré que Bormann, qui n’avait que 45 ans au moment de la défaite de l’Allemagne, a consacré sa vie entière au complot. Il fournit une immense contribution au complot en dirigeant les vastes moyens d’action du parti nazi, de façon à permettre la réalisation des multiples objectifs du complot. D’abord, en tant que chef de la Chancellerie du Parti, sous son propre nom et soumis à la seule autorité de Hitler, il utilisa et dirigea toute la puissance du Parti et de ses organisations pour mettre à exécution les plans des conspirateurs. Il a utilisé ses pouvoirs étendus pour persécuter l’Église et le clergé chrétiens et fut un ennemi implacable des principes du christianisme qu’il combattait.

Il autorisa les mesures de persécution des Juifs, y participa d’une manière active et aida à appliquer la couronne d’épines de la misère sur le front du peuple juif, en Allemagne comme dans les pays d’Europe occupés par les Allemands.

En tant que chef de la Chancellerie du Parti et secrétaire du Führer, Bormann autorisa et dirigea de nombreux crimes de guerre et crimes contre l’Humanité, y compris le lynchage des aviateurs alliés, l’asservissement et les traitements inhumains infligés aux habitants de l’Europe occupée, la cruauté du travail obligatoire, la séparation des foyers, contraire aux stipulations expresses des conventions de La Haye, et la persécution et l’extermination concertées des populations civiles de l’Est de l’Europe, et il y participa personnellement.

Tous les enfants, Messieurs, savent que Hitler était un méchant homme. Il est un point sur lequel nous nous permettons d’insister : sans des chefs comme Bormann, Hitler n’aurait jamais été capable de s’emparer du pouvoir absolu en Allemagne et de l’établir solidement ; il se serait trouvé abandonné dans un désert. Il était vraiment le mauvais ange de Hitler et, bien qu’il échappe en ce moment à la justice de ce Tribunal en laissant une place vide au banc des accusés, Bormann ne peut pas échapper à la responsabilité de ses actions illégales.

Nous conclurons sur un point qui nous semble extrêmement important. Bormann peut ne pas être dans cette salle mais, en vertu de la dernière phrase de l’article 6 du Statut, chacun des accusés ici présents, dont nous avons prouvé qu’ils ont été chefs, organisateurs, instigateurs et complices du complot, est responsable des actes accomplis par tous les autres pour la réalisation des buts généraux du complot. Nous appuyant sur cette déclaration, nous prétendons que, bien que Bormann ne soit pas ici, chacun de ces hommes partage la responsabilité de ses actes criminels. Ce sera notre conclusion. Le nom de Bormann n’est pas écrit sur le sable ; on s’en souviendra aussi longtemps que seront conservés les procès-verbaux de ce Tribunal.

J’ai maintenant l’honneur de présenter le lieutenant Henry Atherton, qui exposera, au nom du Ministère Public, les charges relevées contre Seyss-Inquart.

LIEUTENANT HENRY K. ATHERTON (substitut du Procureur Général américain)

Messieurs, le Ministère Public a préparé pour le Tribunal un dossier d’audience relatif à la responsabilité individuelle de l’accusé Seyss-Inquart. Des exemplaires de ce dossier ont à l’heure actuelle été remis au Tribunal. De même, le livre de documents portant les lettres KK, qui contient la traduction des preuves citées au dossier ou qui vont être déposées, est également à la disposition du Tribunal. Je désire, tout d’abord, préciser mon intention de ne m’occuper présentement que de la responsabilité individuelle de l’accusé Seyss-Inquart pour les crimes visés par les chefs d’accusation 1 et 2. Les preuves démontrant sa culpabilité aux termes des chefs d’accusation 3 et 4, c’est-à-dire les preuves qui se rapportent spécifiquement à ces points, seront présentées ultérieurement par les Ministères Publics français et soviétique.

Seyss-Inquart a reconnu qu’il avait occupé, dans l’État et dans le Parti, les situations suivantes (je me réfère maintenant au document PS-2910 [USA-17] ). Il fut Conseiller de l’État autrichien de mai 1937 au 12 février 1938. Il fut ministre de l’Intérieur et de la Sécurité en Autriche, du 16 février 1938 au 11 mars 1938, Chancelier d’Autriche du 11 au 15 mars 1938, Gouverneur de l’Autriche du 15 mars 1938 au 1er mai 1939, ministre du Reich sans portefeuille du 1er mai 1939 jusqu’au mois de septembre de la même année, membre du Cabinet du Reich depuis le 1er mai 1939 jusqu’à la fin de la guerre, chef de l’Administration civile de la région sud de la Pologne du début de septembre 1939 au 12 octobre 1939, Gouverneur Général adjoint de Pologne, sous les ordres de l’accusé Frank, du 12 octobre 1939 au mois de mai 1940 et, enfin, Commissaire du Reich pour les Territoires occupés des Pays-Bas du 29 mai 1940 à la fin de la guerre. Il a reconnu également être devenu membre du parti national-socialiste le 13 mars 1938 et avoir été nommé général des SS deux jours plus tard.

Cette liste des fonctions que Seyss-Inquart reconnaît avoir occupées montre clairement le rôle qu’il a joué dans le plan concerté ou complot nazi. Elle montre qu’il s’assura une influence et un pouvoir toujours plus grands et prouve en particulier son talent, son adresse à réduire en esclavage les petites nations entourant l’Allemagne pour le bénéfice de ce qu’il appelait le Grand Reich allemand.

Seyss-Inquart entra dans le complot nazi au moment de l’attaque nazie contre l’Autriche. M. Alderman a montré comment les nazis appuyèrent les préparatifs militaires et diplomatiques de cette opération par des préparatifs politiques intensifs à l’intérieur de l’Autriche. Le but ultime de ces préparatifs était d’installer des nazis ou des sympathisants aux positions-clés du Gouvernement autrichien, en particulier au poste de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, qui contrôlait la Police, permettant ainsi, le moment venu, de supprimer rapidement toute opposition aux nazis.

Pour la réalisation de cet objectif, Seyss-Inquart fut le meilleur instrument des nazis, le premier de ceux qu’on a appelés les « Quisling », traîtres employés par les nazis pour préparer leurs agressions et pour s’assurer la mainmise sur leurs victimes. Seyss-Inquart n’a reconnu son appartenance au Parti qu’à partir du 13 mars 1938, mais je vais démontrer qu’il était en relations étroites avec lui beaucoup plus tôt. Dans ce but, je dépose comme preuve le document PS-3271 sous le numéro USA-700. À la neuvième page de la traduction, on peut lire (il s’agit d’une lettre à Himmler, datée du 19 août 1939) :

« En ce qui concerne mon appartenance au Parti, je déclare qu’on ne m’a jamais demandé d’y entrer, mais que j’ai demandé moi-même au Dr Kier, en décembre 1931, de régulariser ma position vis-à-vis du Parti, puisque je considère que celui-ci est à la base de la solution du problème autrichien... J’ai donc payé mes cotisations et, je crois, directement au Gau de Vienne. J’ai continué à verser ma contribution après la suppression. Plus tard, je suis entré directement en contact avec l’Ortsgruppe de Dornbach. C’est ma femme qui payait les cotisations, mais étant donné le montant élevé de mes versements, le Blockwart » — je crois que c’est là un autre mot pour Blockleiter — « savait bien que cette somme de 40 schillings par mois représentait une contribution pour ma femme et pour moi et j’ai été traité, à tous les égards, comme un membre du Parti. »

Seyss-Inquart déclare ensuite, dans la dernière phrase du paragraphe :

« Je me suis donc, en toutes circonstances, senti membre du Parti, considérant que je lui appartenais depuis décembre 1931. »

Maintenant, Messieurs, avant de laisser cette lettre, je désire citer une ou deux phrases que le Tribunal trouvera au troisième paragraphe de la page 7 dans la traduction anglaise ; faisant allusion à une rencontre qu’il avait eue avec Hitler, Seyss-Inquart déclare :

« Je suis sorti très fier de cet entretien, me sentant indiciblement heureux de pouvoir devenir un instrument du Führer. »

En vérité, Seyss-Inquart soutint toujours activement les nazis, à partir de 1931. Mais quand le parti nazi d’Autriche eut été déclaré illégal, en juillet 1934, il évita d’entretenir des rapports trop manifestes avec l’organisation nazie, afin de sauvegarder ce que les nazis appelaient sa bonne situation légale. Par ce moyen, il pouvait utiliser au mieux ses relations avec des catholiques et autres, dans le travail d’infiltration qu’il accomplissait pour ses supérieurs nazis.

Le Tribunal se souvient du document PS-2219 (USA-62), une lettre de Seyss-Inquart à Göring, datée du 14 juillet 1939, dans laquelle Seyss-Inquart affirme ce point de vue avec évidence. C’est dans cette lettre aussi qu’il dit :

« Je sais que je m’accroche avec une invincible ténacité aux buts auxquels je crois : la Grande Allemagne et le Führer. »

Les preuves présentées par M. Alderman montrent en détail la façon dont les conspirateurs nazis poursuivirent leur plan d’attaque contre l’Autriche. Je ne veux pas revenir sur ces preuves, mais je renverrai simplement le Tribunal à deux documents qui sont particulièrement importants pour montrer le rôle qu’a joué l’accusé. Je me réfère au rapport adressé par Rainer, le 6 juillet 1939, au Gauleiter Bürckel, qui décrit le rôle joué par le parti nazi autrichien, l’accusé Seyss-Inquart et d’autres, de juillet 1934, à mars 1938, et à l’étonnant relevé des conversations téléphoniques tenues entre l’accusé Göring ou ses agents, à Berlin, et Seyss-Inquart et autres, à Vienne, le 11 mars 1938. Le rapport Rainer constitue le document PS-812 (USA-61) qui a déjà été lu et figure au procès-verbal (Tome II, page 407). Le relevé des conversations téléphoniques constitue le document PS-2949 (USA-76), qui figure au procès-verbal (Tome II, page 413).

Afin de compléter ces preuves et pour mieux montrer le rôle joué par l’accusé Seyss-Inquart, je voudrais maintenant déposer comme preuve une déclaration faite et signée volontairement par Seyss-Inquart sur le conseil de son avocat, le 10 décembre 1945. C’est le document PS-3425 que je dépose sous le n° USA-701. Dans cette déclaration Seyss-Inquart explique son point de vue sur le rôle qu’il a joué dans l’Anschluss. Je voudrais en lire d’abord quelques phrases au deuxième paragraphe de la première page. Je cite :

« En 1918, je me suis intéressé au problème de la réunion de l’Autriche à l’Allemagne. Depuis cette année-là, j’ai travaillé et établi des plans, en collaboration avec d’autres personnes de la même opinion, pour amener une union de l’Autriche et de l’Allemagne. Mon désir était de réaliser l’union de ces deux pays, progressivement et par des moyens légaux. »

Je passe une phrase ou deux :

« J’ai soutenu le parti national-socialiste, tant qu’il est resté légal, parce qu’il se déclarait de façon très nette en faveur de l’Anschluss. À partir de 1932, j’ai versé une contribution financière à ce Parti, mais je n’ai pas continué à le faire quand il fut déclaré illégal, en 1934. »

Ensuite quelques phrases plus loin :

« À partir de juillet 1936, je me suis efforcé d’aider les nationaux-socialistes à rentrer dans la légalité et, enfin, de les faire participer au Gouvernement de l’Autriche. Pendant toute cette période, et en particulier après l’interdiction du Parti en juillet 1934, je savais que les éléments extrémistes du Parti déployaient une activité terroriste, attaques contre des voies de chemin de fer, des ponts, des installations téléphoniques, etc. Je savais que les Gouvernements des Chanceliers Dollfuss et Schuschnigg, bien qu’ils aient eu en principe le même point de vue pangermanique, étaient opposés à l’Anschluss à ce moment, à cause du régime national-socialiste de l’Allemagne. Je sympathisai avec les efforts des nationaux-socialistes autrichiens pour arriver au pouvoir et étendre leur influence parce qu’ils désiraient l’Anschluss. »

Pour résumer brièvement, le Tribunal remarquera que l’accusé déclare avoir été nommé Conseiller d’État en mai 1937, à la suite d’un accord entre l’Autriche et l’Allemagne, conclu en juillet 1936 et auquel Rainer reconnut que Seyss-Inquart avait contribué ; il déclara en outre que sa nomination de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité fut un des résultats de l’accord du 12 février 1938 entre Schuschnigg et Hitler à Berchtesgaden. Il reconnaît qu’après sa nomination et cet accord, les nationaux-socialistes autrichiens se livrèrent à des démonstrations de plus en plus étendues. Il nous dit comment, immédiatement après sa nomination de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, il se rendit à Berlin pour conférer avec Hitler et Himmler et nous décrit finalement les événements du 11 mars 1938, jour où, avec l’aide de la puissance militaire allemande, il devint Chancelier.

Je ne veux pas citer cette description in extenso, car le Tribunal connaît très bien ces événements. Je lis à partir du milieu de la page 3 :

« À 10 heures du matin, Glaise-Horstenau et moi nous rendîmes à la Chancellerie où nous eûmes en entretien d’environ deux heures avec le Dr Schuschnigg. Nous lui dîmes sans réserves tout ce que nous savions, notamment au sujet de troubles possibles et des préparatifs faits par le Reich. Le Chancelier nous dit qu’il donnerait sa réponse à 14 heures. Tandis que je me trouvais à ce moment avec Glaise-Horstenau chez le Dr Schuschnigg, je fus à plusieurs reprises appelé au téléphone pour parler à Göring. »

LE PRÉSIDENT

Cela a-t-il déjà été lu ?

LIEUTENANT ATHERTON

Non, Monsieur le Président, pas encore.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

LIEUTENANT ATHERTON

« II me dit... que l’accord du 12 février avait été dénoncé par le Reich, qu’il demandait la démission du Dr Schuschnigg et ma nomination au poste de Chancelier. »

Le Tribunal a entendu l’autre version de l’histoire, ainsi que les conversations téléphoniques. Puis viennent les deux paragraphes dans lesquels il dit comment Keppler lui demanda à plusieurs reprises d’envoyer un télégramme priant l’Allemagne d’envoyer des troupes ; il se refusa d’abord à agir ainsi, mais y consentit finalement. Je cite maintenant au dernier paragraphe :

« Pour autant que je puisse me rappeler d’après les documents mis à ma disposition, on me demanda, vers dix heures du soir, de donner mon approbation à une version légèrement modifiée du télégramme, ce dont j’informai le Président Miklas et le Dr Schuschnigg. Finalement, le Président Miklas me nomma Chancelier et, un peu plus tard, il approuva la liste des ministres que j’avais proposée. »

Si le Tribunal s’en souvient, le télégramme en question demandait à Hitler, au nom du Gouvernement provisoire autrichien, d’envoyer des troupes allemandes aussitôt que possible afin de le seconder dans sa tâche et de l’aider à éviter toute effusion de sang. Le texte du télégramme tel qu’il est publié dans le volume 6 des Dokumente der Deutschen Politik constitue le document PS-2463 de notre livre de documents. Il est intéressant de remarquer que le texte du télégramme est identique en substance à celui dicté au téléphone par Göring à Keppler, le soir du 11 mars. Ce point figure au procès-verbal (Tome II, page 411).

Toujours selon les déclarations de l’accusé, celui-ci reconnaît que, le lendemain matin, il téléphona à Hitler...

M. BIDDLE

Est-ce que vous lisez ?

LIEUTENANT ATHERTON

Non, Votre Honneur, je résume.

M. BIDDLE

Si vous ne lisez pas le texte, nous ne pourrons pas le considérer comme preuve.

LIEUTENANT ATHERTON

Dans ce cas, je vais lire un peu plus loin, le dernier paragraphe de la page 3 :

« Au cours de la matinée du 12 mars, j’eus une conversation téléphonique avec Hitler, au cours de laquelle je suggérai que, tandis que les troupes allemandes entreraient en Autriche, les troupes autrichiennes en manière de symbole pénétreraient dans le Reich ; Hitler approuva cette suggestion et nous convînmes de nous rencontrer un peu plus tard le même jour, à Linz, en Haute-Autriche. Je pris l’avion pour Linz, avec Himmler qui était arrivé à Vienne venant de Berlin. Je saluai Hitler sur le balcon de l’Hôtel de Ville, et déclarai que l’article 88 du traité de Saint-Germain était maintenant caduc. »

J’ai parlé de la façon servile dont Seyss-Inquart, comme l’ont montré les preuves, obéit à des ordres que Göring lui avait fait parvenir par téléphone, le 11 mars 1938, au cours de ses négociations avec le Chancelier Schuschnigg et le Président Miklas. Cet état de choses existait en fait depuis quelque temps déjà. Au début de janvier 1938, Seyss-Inquart, bien qu’il occupât à ce moment une position importante dans le Gouvernement autrichien, se considérait comme mandaté par les conspirateurs nazis de Berlin pour négocier avec son propre gouvernement. Je dépose comme preuve de ces faits le document PS-3473 sous le n° USA-581 ; c’est une lettre de Keppler à Göring, datée du 6 janvier 1938, dans laquelle il déclare :

« Mon général. Le conseiller d’État, Dr Seyss-Inquart, m’a adressé un courrier pour me faire savoir que ses négociations avec le Chancelier fédéral, le Dr Schuschnigg, n’ont pas abouti et qu’en conséquence, il se considère comme obligé de renoncer au mandat qui lui avait été confié. Le Dr Seyss-Inquart désire avoir un entretien avec moi à ce sujet, avant de prendre position.

« J’aimerais savoir si, à votre avis, il est bon d’entreprendre actuellement une telle démarche, qui entraînerait automatiquement la démission du ministre fédéral Glaise-Horstenau, ou si je dois m’efforcer de retarder cette décision. »

Cette lettre est signée par Keppler. Une courte note est jointe à l’original, due vraisemblablement à la secrétaire de l’accusé Göring, et datée du 6 janvier 1938, de Karinhall ; elle est ainsi conçue :

« Keppler doit être informé par téléphone de faire tout ce qui est possible pour éviter la démission du conseiller d’État Seyss-Inquart et du ministre fédéral von Glaise-Horstenau. Si des difficultés surgissent, M. Seyss-Inquart devra avant tout l’en aviser. »

Ces instructions, vraisemblablement téléphonées à Keppler, eurent pour résultat que ce dernier, le 8 janvier 1938, écrivit une lettre à Seyss-Inquart ; je la dépose sous le n° PS-3397 (USA-702). Le Tribunal se souviendra que Keppler était alors secrétaire d’État, chargé des affaires autrichiennes auprès du Gouvernement allemand. Voici cette lettre :

« Monsieur le conseiller d’État,

« J’ai reçu ces jours derniers la visite de M. PI. qui nous a fait un compte rendu de la situation et nous a déclaré que vous vous posiez sérieusement la question de savoir si vous ne seriez pas contraint de renoncer au mandat qui vous a été confié.

« J’ai informé par écrit le général Göring de la situation, et G. vient de me faire savoir que je devais à tout prix m’efforcer de vous empêcher, vous ou tout autre personne, de prendre cette mesure. C’est dans le même ordre d’idées que la conversation de G. avec le Dr J. avant Noël ; de toutes façons G. vous demande de ne rien entreprendre dans ce sens, en aucune circonstance, avant que lui-même n’ait eu la possibilité de vous parler encore une fois.

« Je puis également vous informer que G. s’efforce de parler à LI., afin de faire en sorte de son côté que certaines conditions défavorables soient éliminées. »

Cette lettre est signée par Keppler.

Ces deux lettres montrent assez clairement. Messieurs, à quel point l’accusé fut un instrument, et jusqu’à quel point il fut utilisé à cette époque par les conspirateurs pour leurs plans de conquête de l’Autriche. Une fois les troupes allemandes entrées en Autriche et Seyss-Inquart devenu Chancelier, il ne perdit pas de temps pour réaliser les plans de ses complices nazis.

Je dépose comme preuve sous le n° USA-704 le document PS-3254, mémorandum rédigé par l’accusé Seyss-Inquart et intitulé La question autrichienne. Je ne le dépose que pour la description qu’il donne de la manière dont il fit promulguer une loi autrichienne annexant l’Autriche à l’Allemagne. Il dit que, le 13 mars, des personnalités officielles allemandes lui firent une proposition incitant l’Autriche à se joindre à l’Allemagne. Elles disaient que...

LE PRÉSIDENT

Faites-vous une citation ?

LIEUTENANT ATHERTON

Je cite maintenant à partir du milieu de la page 20 du texte anglais :

« Je réunis un conseil des ministres, après que le Dr Wolf m’eut dit que le président fédéral ne ferait aucune difficulté pour cette réalisation ; il allait retourner chez lui et devait m’y attendre. Sur ma proposition, le conseil des ministres, qui s’était réuni entre temps, adopta le projet de loi auquel ma section législative avait apporté quelques modifications de forme. Le vote du 20 avril avait déjà été prévu dans le premier projet. Suivant la constitution du 1er mai 1934, toute modification, même fondamentale, à la constitution pouvait être décidée par le conseil des ministres, avec l’approbation du président fédéral ; un vote ou une confirmation par la nation n’était prévu en aucun cas. Au cas où le président fédéral aurait, pour quelque raison que ce fût, résigné ses fonctions ou serait momentanément empêché de les remplir, ses pouvoirs étaient transmis au Chancelier fédéral. Je me rendis avec le Dr Wolf chez le président qui me déclara qu’il ne savait pas si cette évolution des événements serait favorable à la nation autrichienne, mais qu’il désirait ne pas s’y opposer et se retirer, ce qui aurait pour effet de faire ainsi passer entre mes mains, tous les pouvoirs prévus par la constitution. »

Je passe deux ou trois phrases et j’arrive au début de la page 21 :

« Puis, je me rendis en voiture à Linz où j’arrivai vers minuit et annonçai au Führer-Chancelier la mise en application de la loi de réunion. »

Le même jour, l’Allemagne rattachait officiellement l’Autriche au Reich par un décret qui la déclarait province du Reich allemand, en violation de l’article 80 du Traité de Versailles. Je demande au Tribunal de tenir pour acquis le document PS-2307, qui est le décret en question publié au Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 237.

Si l’accusé Seyss-Inquart semble avoir pris une part étonnamment modeste à la lutte contre le Gouvernement auquel il devait fidélité, ses complices reconnurent très rapidement l’importance de sa participation ; dans un discours prononcé à Vienne, le 26 mars 1938, l’accusé Göring disait — et je cite maintenant le document PS-3270 (USA-703), qui est un extrait du Dokumente der Deutschen Politik, volume 6, page 183 :

« L’unanimité était complète entre le Führer et les hommes de confiance nationaux-socialistes en Autriche... Si la montée au pouvoir du national-socialisme a pu se faire si vite, si complètement et au prix de si peu de sang, cela est dû avant tout à l’attitude calme, ferme, prudente et décidée de l’actuel Reichsstatthalter Seyss-Inquart et de ses hommes de confiance. »

Avant d’abandonner cette question de l’Anschluss, je veux souligner ce fait une fois de plus, parce que cette époque est d’une grande importance et que c’est Seyss-Inquart qui occupait la position-clé dans cette première attaque ouverte contre un autre pays. S’il n’avait pas joué le rôle que nous avons décrit, les choses auraient pu prendre une tournure fort différente et, même s’il n’avait pas été, à d’autres moments, de connivence avec les conspirateurs et leurs plans d’agressions, ce serait suffisant pour le ranger parmi les conspirateurs qui portent la responsabilité la plus lourde.

M. Alderman a montré de quelle manière Seyss-Inquart collabora avec les conspirateurs pour intégrer l’Autriche aussi complètement que possible dans le Reich, mettant ainsi à la disposition du Reich ses ressources matérielles et ses ressources en main-d’œuvre.

Continuant à soutenir les plans des conspirateurs, le Reichsstatthalter Seyss-Inquart fournit la preuve de ses talents en persécutant les Juifs. Dans un discours prononcé à Vienne le 26 mars 1938, discours que l’on peut trouver au procès-verbal (Tome IV, page 573), je rappelle que l’accusé Göring l’a chargé expressément, en tant que Reichsstatthalter, d’organiser des mesures antisémites.

Le Tribunal se souviendra des preuves déposées précédemment et montrant l’escroquerie de grande envergure que constituaient ces mesures. Seyss-Inquart accomplit sa tâche si brillamment qu’à la réunion du ministère de l’Air tenue sous la présidence de l’accusé Göring, le 12 novembre 1938, Fischböck, un membre du clan de Seyss-Inquart, était en mesure de rapporter l’efficacité avec laquelle l’administration civile de l’Autriche s’occupait de la question juive. Je cite le document PS-1816 (USA-261), page 14 de la traduction anglaise ; c’est le troisième paragraphe en partant du bas de la page 14 :

« À ce point de vue, Monsieur le maréchal, nous avons déjà un plan très complet concernant l’Autriche : il y a à Vienne 12.000 entreprises artisanales et 5.000 boutiques de détail juives. Dès avant le changement de régime, nous avions déjà établi un plan pour ce total de 17.000 entreprises. Sur 12.000 entreprises artisanales, 10.000 environ vont être fermées définitivement et 2.000 resteront ouvertes. Sur 5.000 magasins de détail, 1.000 seront maintenus, c’est-à-dire aryanisés et 4.000 seront fermés. Suivant ce plan, 3.000 à 3.500 entreprises, sur un total de 17.000, resteraient ouvertes, toutes les autres seraient fermées. Cette décision a été prise à la suite d’enquêtes faites dans chaque secteur et suivant les nécessités locales, en accord avec toutes les autorités compétentes ; elle peut être appliquée demain, dès que nous aurons la loi que nous avons réclamée au mois de septembre et qui nous donnera le droit de retirer leurs patentes aux artisans et cela tout à fait indépendamment de la question juive. »

Göring répondit : « Je ferai prendre ce décret aujourd’hui. »

Maintenant, Messieurs, je désire lire une autre phrase, au milieu de la page suivante, dans laquelle Fischbock dit :

« Sur ces 17.000 affaires, 12.000 ou 14.000 seraient donc fermées et les autres aryanisées ou remises au bureau des séquestres qui est administré par l’État. »

Et Goring répliqua : « Je dois dire que cette proposition est magnifique. De cette façon, toute l’affaire serait liquidée à Vienne, l'une des capitales de la juiverie, à Noël ou à la fin de l’année. »

L’accusé Funk dit alors : « Nous pouvons faire la même chose ici. »

En d’autres termes, la solution préconisée par Seyss-Inquart fut si hautement appréciée qu’elle fut considérée comme un modèle pour le reste du Reich.

L’incorporation de l’Autriche au Reich étant terminée dans ses grandes lignes, les conspirateurs nazis purent utiliser la compétence de Seyss-Inquart pour l’asservissement d’autres nations. Pour illustrer ces dires, je renvoie le Tribunal au document D-571 (USA-112) qui a déjà été déposé comme preuve. Le Tribunal se souviendra que d’après ce document, le 21 mars 1939, un fonctionnaire du Gouvernement britannique communiquait de Prague au vicomte Halifax que, quelques jours plus tôt, le 11 mars 1939, Seyss-Inquart, Bürckel et cinq généraux allemands avaient assisté à une réunion du cabinet slovaque et l’avaient informé qu’il devait proclamer l’indépendance de la Slovaquie, que Hitler avait décidé de régler définitivement la question de la Tchécoslovaquie (ces faits ont déjà été lus aujourd’hui devant le Tribunal) et que, si le Gouvernement slovaque ne suivait pas ce conseil, Hitler se désintéressé serait de son sort. Voilà qui donne une indication sur la manière dont cet homme continuait à agir pour l’exécution des plans d’agression des conjurés nazis.

Au début de septembre 1939, après le commencement de la campagne contre la Pologne, Seyss-Inquart devint chef de l’administration civile de la Pologne du Sud et, quelques semaines plus tard, le 12 octobre 1939, Hitler signa un décret stipulant que les territoires occupés par les troupes allemandes à l’exception de ceux qui seraient incorporés au Reich, seraient soumis à l’autorité du Gouverneur Général des territoires occupés de Pologne. L’accusé Frank était nommé Gouverneur Général et l’accusé Seyss-Inquart Gouverneur Général adjoint. Ce décret figure au Reichsgesetzblatt de 1939 partie I, page 2077 et je demande au Tribunal de le tenir pour acquis Peu de temps après, le 26 octobre 1939, Frank signa un décret organisant l’administration des territoires polonais occupés dont était le Gouverneur. Ce décret est publié dans les Dokumente des Deutschen Politik et se trouve au livre de documents sous n° PS-3468 ; on m’informe que ce volume, le n° 7, a reçu n° USA-705 ; je le dépose sous cette référence.

L’article 3 de ce décret dispose que le directeur des services du Gouverneur Général ainsi que le chef des SS et de la Police sont directement subordonnés au Gouverneur Général et à son adjoint. Cet adjoint était l’accusé Seyss-Inquart. L’importance de cette disposition est évidente si l’on considère les preuves que le Tribunal vient d’entendre et celles qui vont lui être présentées. Je lui demande de tenir ce décret pour acquis.

En qualité de Gouverneur Général adjoint des territoires occupés de Pologne, Seyss-Inquart, paraît avoir eu pour tâche d’établir une administration allemande sur tout ce territoire ; il travaillait, bien entendu, sous les ordres de l’accusé Frank, mais ses fonctions consistaient surtout à conférer avec les autorités locales et à leur dire ce qu’elles devaient faire. Pour illustrer mes dires, je dépose comme preuve le rapport d’une tournée officielle que firent Seyss-Inquart et son entourage entre le 17 et le 22 février 1939 ; c’est notre document PS-2278 (USA-706). Messieurs, j’ai fait une erreur de date ; c’était du 17 au 22 novembre 1939, en d’autres termes, peu de temps après l’instauration de l’administration allemande. À la première page de la traduction anglaise — et je cite maintenant le second paragraphe — on peut lire :

« À 3 heures de l’après-midi, le ministre Seyss-Inquart s’adressa aux chefs de sections du chef du district et déclara, entre autres, que le critère unique de l’organisation de l’administration allemande dans le Gouvernement Général devait être l’intérêt du Reich, Une administration sévère et inflexible devait mettre ce territoire au service de l’économie allemande. Afin de se garder d’une clémence excessive, il suffisait d’avoir présentes à l’esprit les conséquences qu’aurait une intrusion des Polonais dans les territoires allemands. »

Ce rapport est trop long pour être cité, mais si le Tribunal veut bien se reporter à la page 7, j’aimerais lire quelques extraits relatifs aux événements survenus pendant le séjour de l’accusé à Lublin. Il apparaît dans ce rapport que l’accusé Seyss-Inquart, après avoir rencontré les différents administrateurs allemands, « exposa les principes » — et je cite le début de la page 7 — « selon lesquels l’administration du Gouvernement devait être conduite. »

Je saute une phrase et je continue :

« Les ressources et les habitants de ce pays devraient être mis au service du Reich et ils ne pourraient connaître la prospérité qu’à cette condition. Aucune pensée politique indépendante ne devrait se développer. La région de la Vistule deviendrait peut-être plus importante pour la destinée de l’Allemagne que le Rhin. Le ministre donna ensuite comme mot d’ordre aux chefs de districts : nous favoriserons le développement de tout ce qui peut être d’une quelconque utilité pour le Reich et mettrons fin à tout ce qui peut nuire au Reich. Le Dr Seyss-Inquart ajouta que le Gouvernement Général désirait que les hommes qui étaient ici chargés d’une tâche au nom du Reich obtinssent une situation matérielle correspondant à leurs responsabilités et leurs capacités, »

Puis, deux pages plus loin, le rapport parle d’une tournée d’inspection faite dans le village de Wlodawa, Cycow, et je cite :

« Cycow est un village allemand. » (Je passe quelques phrases.) « Le ministre du Reich, Dr Seyss-Inquart, prononça une allocution au cours de laquelle il déclara que la fidélité de ces Allemands à leur nationalité trouvait maintenant sa justification et sa récompense dans la puissance d’Adolf Hitler. »

Vient ensuite une phrase, visiblement rajoutée par le rédacteur : « Cette région, qui est très marécageuse, pourrait, de l’avis du gouverneur de district Schmidt, servir de réserve pour les Juifs, mesure qui causerait probablement une grande mortalité parmi eux. »

LE PRÉSIDENT

Nous suspendrons l’audience pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
LIEUTENANT ATHERTON

Au moment de la suspension d’audience, j’exposais, Messieurs, les fonctions de l’accusé Seyss-Inquart en tant que Gouverneur Général adjoint de Pologne entre 1939 et 1940.

Le Tribunal a déjà reçu les preuves des atrocités commises par l’administration que Seyss-Inquart contribua à établir. Le Ministère Public soviétique présentera au Tribunal d’autres preuves de ces atrocités. Comme nous n’avons l’intention, pour le moment, que de montrer l’importance du travail accompli par cet homme pour exécuter le plan nazi dans le Gouvernement Général de Pologne, il sera suffisant de citer quelques extraits du journal de l’accusé Frank.

À l’occasion de ce qui semble avoir été un repas d’adieu offert à Seyss-Inquart à l’occasion de sa nomination de Commissaire du Reich pour les Pays-Bas, Frank dit — et je cite le document PS-3465, pages 110 et 511 du volume 2, année 1940 du journal, qui constitue le document USA-614 :

« Je suis particulièrement heureux, M. le Commissaire et ministre du Reich, de pouvoir vous donner l’assurance, au moment de votre départ, que les mois de notre travail en commun resteront parmi les souvenirs les plus précieux de ma vie, et que votre œuvre dans le Gouvernement Général restera inscrite dans l’avenir au compte de la réalisation de la domination du monde par la nation allemande. »

Un peu plus loin, Frank continue :

« Dans l’œuvre d’édification du Gouvernement Général, votre nom sera celui d’un des fondateurs de cette organisation et de cet État, et y prendra une place d’honneur... Je vous exprime mes remerciements, M. le ministre du Reich, pour votre collaboration et votre activité. »

Voici encore deux ou trois phrases :

« Cette période pendant laquelle un travail commun nous a unis ici et à l’Est fut difficile, mais elle est aussi le point de départ du développement le plus grandiose de la puissance du Reich. Sa réalisation constituera le plus grand déploiement d’énergie qui ait jamais eu lieu dans l’histoire du monde. Dans cette œuvre, vous avez été judicieusement placé par le Führer à l’un des postes les plus importants. »

À cette allocution, l’accusé Seyss-Inquart répondit (je cite la seconde page de la traduction) :

« J’ai appris ici beaucoup de choses que je ne connaissais que très peu auparavant, et cela grâce au commandement ferme et décidé de mon ami le Dr Frank. »

Je saute une phrase :

« Je pars maintenant pour l’Ouest, et je vais vous parler ouvertement. Je resterai de cœur ici parce que tout en moi me porte vers l’Est. Nous avons, à l’Est, à remplir une mission nationale-socialiste ; à l’Ouest, nous avons à remplir une fonction ; c’est peut-être là que se trouve toute la différence. »

Je prétends, Messieurs, que les phrases que je viens de lire montrent assez clairement la participation consciente de l’accusé Seyss-Inquart à la phase polonaise du complot.

Ainsi, fort de l’expérience acquise en Pologne sous la direction de l’accusé Frank, Seyss-Inquart était prêt à remplir sa dernière tâche et la plus ambitieuse : réduire les Pays-Bas en esclavage. La façon impitoyable dont il l’accomplit dénonce sa position dans le plan concerté ou complot nazi.

Je demande au Tribunal de tenir pour acquis un décret de Hitler du 18 mai 1940, qui se trouve au Reichsgesetzblatt de 1940, partie I, page 778 ; la traduction figure au livre de documents sous la cote PS-1376 ; le paragraphe 1 de ce décret dispose comme suit :

« Le Commissaire du Reich est le garant des intérêts du Reich et représente le pouvoir suprême dans le domaine civil ; il m’est directement surbordonné et reçoit de moi des directives et des instructions. »

Le paragraphe 3 stipule :

« Le Commissaire du Reich peut utiliser les services de police allemands pour faire exécuter ses ordonnances. Les services de police allemands sont à la disposition du commandement militaire allemand, dans la mesure où l’exigent les nécessités militaires et si les missions du Commissaire du Reich le permettent. »

Puis, au paragraphe 5 de ce décret, il est stipulé que le Commissaire du Reich peut légiférer par décrets qui seront publiés dans le Verordnungsblatt pour les territoires occupés des Pays-Bas, publication à laquelle je me référerai à l’avenir en la nommant simplement Verordnungsblatt. Le 29 mai 1940, en fonction de ses pouvoirs, l’accusé signa un décret relatif à l’exercice de l’autorité gouvernementale dans les Pays-Bas (document PS-3588 dans le livre de documents). Je demande au Tribunal de considérer comme preuve ce document qui comprend deux décrets. Je me réfère maintenant au premier d’entre eux :

Au paragraphe 1, l’accusé se propose modestement d’assumer, dans la mesure requise par l’accomplissement de ses devoirs, « tous les pouvoirs accordés jusqu’à présent au Roi et au Gouvernement par la constitution et les lois des Pays-Bas ». C’est un extrait direct du Verordnungsblatt.

Le paragraphe 5 du décret confie à la police hollandaise le maintien de la paix publique, de la sécurité et de l’ordre, dans la mesure où le Commissaire du Reich ne fait pas appel aux SS ou aux forces de police allemandes pour assurer l’exécution de ses ordres. Il dispose d’autre part que la recherche et la suppression de toutes les activités hostiles au Reich et à l’Allemagne incombent aux forces de police allemandes.

Le 3 juin 1940 fut publié un autre décret concernant l’organisation et l’installation des services du Commissariat du Reich. Ce décret figure au Verordnungsblatt de 1940, partie I, page 11, et il constitue le second décret figurant sous le n° PS-3588. Ce décret institue les commissaires généraux de l’État-Major du Commissaire du Reich, chargés de diriger quatre sections qui sont énumérées ; l’un d’eux, le chef des SS et de la Police, devait diriger la section de la Sécurité publique. L’article 5 de ce décret disposait que « Le chef de la police » commanderait « les unités de Waffen SS, et les forces de police allemandes stationnées sur le territoire hollandais occupé », exercerait une « surveillance sur la Police nationale et les polices municipales hollandaises » et leur donnerait « les instructions nécessaires ».

L’article 11 stipule que seul le Commissaire du Reich...

LE PRÉSIDENT

Lieutenant Atherton, ne pensez-vous pas que nous pouvons admettre maintenant que l’accusé Seyss-Inquart, qui avait été chargé d’administrer les territoires occupés des Pays-Bas, possédait bien tous ces pouvoirs, et que vous pouvez maintenant fixer votre attention sur l’emploi qu’il a fait de ces pouvoirs ?

LIEUTENANT ATHERTON

Oui, Monsieur le Président, c’est ce que je vais faire, mais je désirais montrer clairement au Tribunal, étant donné l’organisation particulière des forces de police allemandes, l’importance du fait que l’accusé ait été habilité à leur donner des ordres et qu’en outre il en fit un usage fréquent ; maintenant que ce point est établi clairement, comme je le crois, par ces deux décrets, je passerai au point suivant.

LE PRÉSIDENT

Je crois que le Tribunal ne peut pas douter du fait qu’un fonctionnaire du Reich, muni des pouvoirs d’administrateur d’un territoire occupé, puisse faire usage des forces de police.

LIEUTENANT ATHERTON

Certainement, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

C’est vraiment une chose que nous sommes tous prêts à admettre, à moins qu’on ne nous prouve le contraire.

LIEUTENANT ATHERTON

Je suis entièrement d’accord, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Nous voudrions bien savoir l’usage que l’accusé a fait de ses pouvoirs. En a-t-il usé de façon criminelle ou non ?

LIEUTENANT ATHERTON

Oui, Monsieur le Président. Il n’est pas dans notre intention, maintenant, de présenter en détails les crimes contre les personnes et la propriété commis par l’accusé Seyss-Inquart dans les Pays-Bas, car les preuves concernant la barbarie nazie dans ces pays doivent être présentées par nos collègues français. Nous voulons seulement, à l’aide de quelques exemples, donner une idée générale des activités de l’accusé et de ses responsabilités dans l’exécution du plan nazi ou complot, qui fait l’objet de notre exposé.

Les preuves établissant la participation de l’accusé à un pillage de grande envergure sont en nombre imposant. Pour illustrer la manière dont il s’est occupé des moindres détails de cette entreprise de spoliation, je dépose comme preuve le document PS-176 (USA-707).

C’est un rapport sur les activités du groupe « Pays-Bas » appartenant à l’Einsatzstab Rosenberg, sur lequel une documentation a déjà été déposée. Je cite la première phrase de la première page du rapport :

« Le groupe de travail « Pays-Bas » de l’Einsatzstab du Reichsleiter Rosenberg commença son travail durant les premiers jours de septembre 1940 en liaison avec le représentant compétent du Commissaire du Reich.

Le rapport donne un profusion de détails sur les biens pris aux loges maçonniques et institutions analogues. Je crois que c’est la page 3 du rapport, tout à fait à la fin.

« Une bibliothèque extrêmement riche, contenant des ouvrages inestimables sur le sanscrit, fut confisquée à la dissolution de la société théosophique d’Amsterdam. Cette bibliothèque fut emballée dans quatre-vingt-seize caisses ; un grand nombre de bibliothèques plus petites appartenant à des sociétés spirites, au mouvement espérantiste, au mouvement Bellamy, à la Société internationale d’Exégèse et à de nombreuses autres sociétés moins importantes furent emballées dans sept caisses, les textes appartenant à d’autres petites organisations juives furent emballés dans quatre caisses, et une bibliothèque de la Société Anthroposophique d’Amsterdam dans trois caisses.

« Il est exact de dire que les stocks de livres confisqués, empaquetés puis envoyés en Allemagne par le « groupe de travail » sont d’une très grande valeur scientifique et représentent une importante partie de la bibliothèque de la Hohe Schule.

« La valeur marchande de ces bibliothèques peut difficilement être estimée, mais elle est au moins de l’ordre de 30.000.000 à 40.000.000 de Reichsmark. »

Je cite maintenant la fin du rapport :

« En exécutant les tâches mentionnées ci-dessus, le groupe de travail doit s’en tenir strictement aux décisions que le Reichskommissar a prises relativement à la solution des questions juives et de celles posées par les organisations internationales. »

En tant que Commissaire du Reich, Seyss-Inquart devait contrôler l’exécution du programme des conjurés nazis concernant la déportation en Allemagne des citoyens hollandais pour le travail forcé. Le Tribunal se rappellera que M. Dodd a lu comme preuve une partie de l’interrogatoire de l’accusé Sauckel du 5 octobre 1945 (Tome III, page 482), montrant qu’un accord est intervenu sur la participation de la Hollande au travail obligatoire. Les chiffres furent ensuite communiqués au Reichskommissar Seyss-Inquart, chargé de mettre l’accord à exécution avec l’aide du délégué Sauckel. Le Tribunal se souviendra que M. Dodd, après avoir montré la participation de l’accusé Seyss-Inquart au recrutement pour le travail forcé a lu, pour qu’elles soient versées au dossier, quelques parties du document PS-1726 (USA-195), qui montraient le nombre de citoyens hollandais déportés en Allemagne à différentes époques (Tome III, page 568). Je n’y reviendrai pas.

Aux Pays-Bas, comme en Autriche et ailleurs, Seyss-Inquart fut impitoyable envers les Juifs hollandais. Pour illustrer son attitude, je dépose le document PS-3430 (USA-708) qui contient des extraits du livre de l’accusé : Quatre années aux Pays-Bas (recueil de discours). Dans un discours prononcé à Amsterdam le 13 mars 1941 (je cite la page 57 de l’original ; c’est le dernier extrait de la traduction), Seyss-Inquart dit :

« Pour nous, les Juifs ne sont pas des Hollandais, ce sont des ennemis avec lesquels on ne peut conclure ni armistice, ni paix. Ceci vaut, je vous le concède, pour la durée de l’occupation. Ne vous attendez pas à un ordre de moi qui le stipule, en dehors des règlements de police ; nous combattrons les Juifs toutes les fois que nous les rencontrerons, et ceux qui se joindront à eux auront à en supporter les conséquences. Le Führer a déclaré que les Juifs n’avaient plus de rôle à jouer en Europe et c’est pourquoi ils n’ont plus de rôle à jouer. »

Comme il l’avait annoncé, l’accusé Seyss-Inquart promulgua une série de décrets infamants menaçant de dépouiller les Juifs hollandais de leur propriété et de leurs droits et entraînant en fin de compte leur déportation en Pologne. Ces décrets, tous signés par Seyss-Inquart, sont réunis dans notre dossier, page 65. Je demande au Tribunal de leur accorder valeur probatoire. À titre explicatif, le premier décret que je commenterai se trouve dans le livre de documents sous la cote PS-3333. C’est un décret du 26 octobre 1940, ordonnant le recensement des entreprises appartenant aux personnes considérées, aux termes du décret, comme juives, ainsi que des associations et des corporations dans lesquelles les Juifs avaient des intérêts importants. Comme nous l’avons vu, ces lois étaient le prélude inévitable à une confiscation en masse des biens juifs par l’administration nazie. Aux termes d’une ordonnance figurant dans le Verordnungsblatt n° 6, page 99, 11 février 1941, document PS-3325, les universités et collèges hollandais ne purent recevoir qu’un nombre limité d’étudiants juifs. Ce fait en soi n’est pas très important, mais il montre que c’était une partie du programme tendant à priver ces gens de leurs droits et à les dégrader. Le document PS-3328 est un décret publié dans le Verordnungsblatt, n° 44, page 841, signé par Seyss-Inquart le 22 octobre 1941. Ce décret interdisait aux Juifs l’exercice de toute profession ou commerce sans l’autorisation des autorités administratives, et il autorisait ces autorités à ordonner la résiliation de n’importe quel contrat de travail auquel un Juif était partie.

Comme exemple final, je mentionne le document PS-3336, qui est un décret publié dans le Verordnungsblatt n° 13, page 289. Il est daté du 21 mai 1942. Ce décret exigeait de tous les Juifs une déclaration écrite des créances de toutes sortes déposées dans une banque qui, sous le nom de Lippmann-Rosenthal et Compagnie, était effectivement une agence du Reich à Amsterdam. Le décret donnait à la banque que nous venons de citer le droit de disposer des créances et exigeait que le paiement fût effectué en entier au profit de la banque. Ce décret nazi fut naturellement le prélude à la déportation finale vers l’Est et permit aux nazis d’encaisser les primes d’assurance.

Les preuves concernant les résultats des efforts déployés par l’accusé pour supprimer tous les Juifs dans les Pays-Bas ont déjà été déposées. Le Tribunal verra que le commandant Walsh, citant des extraits du rapport du Gouvernement des Pays-Bas, USA-195, (Tome III, page 568) a montré que sur 140.000 Juifs hollandais, 117.000 furent déportés, dont plus de 115.000 en Pologne, ce qui fait plus de 80%. Ce document montre quel a été le sort probable de la plupart de ces gens. Je n’insisterai pas.

Je voudrais enfin dire quelques mots de la responsabilité de l’accusé dans le système de terreur que firent régner les nazis dans les territoires occupés, pendant toute l’occupation. Je me réfère au recueil de discours, document PS-3430. L’accusé, dans un discours du 29 janvier 1943, ne laissait subsister aucun doute sur son point de vue quand il déclarait :

« II est clair qu’il nous faut maintenant plus que jamais supprimer toute résistance à cette lutte pour la vie. Il y a quelque temps, les autorités religieuses ont écrit au Commandant en chef de la Wehrmacht et à moi-même, pour protester contre les exécutions des sentences de mort que le commandant de la Wehrmacht avait prononcées entre temps. La seule réponse possible est la suivante : au moment où nos hommes, maris et fils, font face à leur Destin à l’Est avec une volonté inébranlable et accomplissent leur devoir suprême sans faiblir et sans fléchir, il est impossible de tolérer des conspirations qui voudraient affaiblir l’arrière de notre front de l’Est. Ceux qui l’osent doivent être supprimés. Nous devons être de plus en plus durs à l’égard de nos adversaires. Tel est l’ordre impérieux que nous donne le déroulement implacable des événements, c’est peut-être un pénible devoir, mais c’est notre devoir sacré. Nous restons humains, en ne torturant pas nos adversaires, mais il nous faut être durs et les supprimer. »

Je ne vais pas prouver que l’accusé s’est rendu coupable de ces crimes, c’est là l’affaire de mes collègues français. J’affirme cependant que la position de l’accusé Seyss-Inquart au poste de Reichskommissar, le contrôle que — les preuves l’ont montré — il exerçait tout spécialement sur les SS et la police, son attitude elle-même montrent clairement qu’il fut l’un des instigateurs et l’un des exécutants des crimes dont il s’agit d’établir la preuve et qui mettent en lumière sa participation au plan concerté.

Seyss-Inquart fut membre du parti nazi dès 1931. Il fut traître au Gouvernement auquel il devait fidélité et dans lequel il occupait un poste très important. Connaissant très bien les buts ultimes des conspirateurs nazis, il fit tous ses efforts pour intégrer l’Autriche dans le Reich et permettre ainsi à la machine de guerre nazie d’utiliser les ressources, la main-d’œuvre et la position stratégique de ce pays. Il fit preuve d’une ténacité si impitoyable qu’il fut appelé plus tard à remplir un rôle important dans le programme d’asservissement de la Pologne et des Pays-Bas. Il apporta à cette tâche un zèle tel qu’il devint bientôt l’un des chefs les plus en vue et les plus détestés de ce complot. Comme tel, et aux termes de l’article 6 du Statut, il est responsable de tous les actes exécutés par les personnes ayant participé à l’accomplissement de ce plan ; comme tel, il est coupable des crimes visés par les chefs d’accusation n° 1 et 2 de l’Acte d’accusation.

Je voudrais maintenant présenter au Tribunal le Dr Robert M. W. Kempner, qui présentera pour le Ministère Public les charges relevées à l'encontre de l’accusé Frick.

Dr ROBERT M. W. KEMPNER (substitut du Procureur Général américain)

Messieurs, le dossier d’audience et les documents concernant l’accusé Frick ont été remis au Tribunal et à la Défense. Le dossier d’audience préparé par mon collègue Karl Lachmann renferme des preuves détaillées contre l’accusé Wilhelm Frick. Ce sont des documents originaux et des décrets. Les traductions anglaises des documents dont l’exposé fait état sont contenues dans le livre de documents préparé par mon collègue, le lieutenant Felton. Ce livre porte la cote LL.

C’est dans le domaine de l’administration que l’accusé Frick participa d’une façon importante au complot nazi. Il fut le cerveau administratif qui inventa cet appareil étatique mis au service du nazisme et qui l’orienta vers la guerre d’agression.

Au cours de sa participation active au complot nazi de 1923 à 1945, l’accusé Frick occupa un certain nombre de postes importants. Le document PS-2978, qui a déjà été déposé sous la cote USA-8, en donne la liste.

L’original a été signé par l’accusé Frick le 14 novembre 1945. Je ne redonnerai pas la liste de ces postes, le Tribunal les connaît. Frick participa au complot en aidant les nazis dans leur marche au pouvoir. Fonctionnaire de la police au Gouvernement bavarois, il trahit ce gouvernement en participant au putsch du Bürgerbräukeller, le 8 novembre 1923. Frick fut accusé et jugé en même temps que Hitler pour haute trahison. Le rôle qu’il joua dans ce putsch est décrit dans le procès-verbal de ces débats, intitulé le Procès de Hitler devant le Tribunal du peuple de Munich, publié à Munich en 1924.

Je demande au Tribunal d’accorder valeur probatoire à ce procès-verbal relatant ces événements. Hitler manifesta sa reconnaissance envers Frick en parlant de lui dans Mein Kampf. Seuls, deux autres accusés partagent cet honneur : Hess et Streicher. Je demande au Tribunal de considérer comme preuve cette mention dont Hitler honora l’accusé (Mein Kampf, édition allemande 1933, page 403).

Durant la période qui suivit le putsch, Frick continua à collaborer au complot nazi. J’aimerais mentionner brièvement le document PS-2513, extrait des pages 36 à 38 d’un rapport intitulé : « Le parti ouvrier allemand national-socialiste, ennemi de l’État et de la République, coupable de haute trahison ». Ce rapport a déjà été déposé, PS-2513 (USA-235). C’est un rapport officiel sur les activités de Hitler, de Frick et d’autres nazis, préparé par le ministère prussien de l’Intérieur en 1930. 11 établit que Frick, après Hitler, peut être considéré comme le représentant le plus influent du parti nazi à cette époque. D’après ce document, Frick déclara, au Congrès du Parti tenu en 1927 à Nuremberg, que le Reichstag serait d’abord attaqué par le parti nazi, puis serait aboli et que son abolition ouvrirait la voie à une dictature raciste. Le document rapporte également que Frick, dans un discours tenu en 1929 à Pyritz, déclara que cette lutte inévitable commencerait par des opérations de vote, mais que cela ne pourrait pas continuer indéfiniment car l’Histoire nous apprend que, dans une bataille, il faut verser du sang et croiser le fer.

Le rôle important que Frick joua en 1927 en aidant les nazis à prendre le pouvoir fut reconnu le 23 janvier 1930 par sa nomination au poste de ministre de l’Intérieur et de l’Éducation dans l’État de Thuringe.

LE PRÉSIDENT

Lisez-vous un nouveau document ? Je croyais que vous lisiez le document 2513 ?

Dr KEMPNER

Non, c’est une introduction au document suivant.

LE PRESIDENT

Parfait, Dr Kempner.

Dr KEMPNER

Je mentionne qu’Adolf Hitler, à l’époque où Frick était ministre de l’Intérieur dans l’État de Thuringe, était un étranger indésirable et non un citoyen allemand. Comme ministre de Thuringe, l’accusé Frick commença ses manœuvres en donnant à Adolf Hitler, cet étranger indésirable, un état civil allemand, ce qui était essentiel à la réalisation du complot nazi. Le fait que Hitler n’était pas allemand nuisait beaucoup au parti nazi, car en tant qu’étranger, il ne pouvait être candidat à la Présidence du Reich en Allemagne.

L’accusé Frick résolut ce problème par une manœuvre administrative. Nous déposons maintenant le document PS-3564 (USA-709). Ce document est un affidavit d’Otto Meissner, en date du 27 décembre 1945. Meissner, ancien secrétaire d’État et chef de la Chancellerie présidentielle de Hitler déclare, dans les deux dernières phrases de ce témoignage :

« Frick, lui aussi, en collaboration avec Klagges, ministre de Brunswick, réussit à faire naturaliser Hitler citoyen allemand en 1932, en le faisant nommer Regierungsrat dans le Gouvernement de Brunswick, Cela afin qu’il puisse se présenter comme candidat au poste de Président du Reich. »

Lorsque Hitler accéda au pouvoir, le 30 janvier 1933, Frick reçut un poste important dans le nouveau régime : il fut nommé ministre de l’Intérieur du Reich. En cette qualité, il fut chargé de l’établissement du contrôle totalitaire sur l’Allemagne, condition indispensable à la préparation de la guerre d’agression. Frick assuma la responsabilité de la réalisation d’une grande partie du programme des conspirateurs nazis dans le domaine de l’administration et de la législation.

Il me faut expliquer brièvement le rôle important du ministère de l’Intérieur dans l’État nazi pour montrer la contribution apportée par Frick au complot. Je dépose comme preuve de l’étendue de la compétence de Frick en tant que ministre de l’Intérieur le document PS-3475 (USA-710). C’est une partie du Manuel officiel allemand à l’usage des fonctionnaires de l’administration, daté de 1943. Je demande au Tribunal d’accorder valeur probatoire aux passages de ce document décrivant les fonctions de l’accusé. Les noms des hommes qui, selon ce document, travaillèrent sous la direction de Frick — et j’insiste sur ce point ; sous la direction de Frick — sont significatifs. On les trouvera à la page 1 de la traduction anglaise. Nous trouvons, parmi les subordonnés de Frick, le ministre de la Santé du Reich, le Dr Conti ; le Reichsführer SS et chef de la Police allemande, Heinrich Himmler, et le chef du service du travail Hierl. Ce document nous montre Frick à la base de trois des importants piliers de l’État nazi : le service de santé nazi, le système de la police nazie, et le service du travail nazi.

On peut se faire une idée de l’immense variété des activités de Frick en tant que ministre de l’Intérieur du Reich, en lisant l’énumération de ses fonctions dans les pages suivantes du manuel. Il tranchait en dernier ressort les questions constitutionnelles et les projets de loi. L’administration gouvernementale et la défense civile étaient de sa compétence et il était enfin l’arbitre de toutes les questions concernant la race et l’état civil. Le manuel énumère également les services du ministère chargés des problèmes administratifs des territoires occupés et annexés, de l’ordre nouveau au Sud-Est, du protectorat de Bohême-Moravie, et de l’ordre nouveau à l’Est. Il détenait l’autorité suprême dans le domaine du personnel civil, en matière de nominations, de délais, de promotions et de renvois.

L’accusé Frick utilisa ses pouvoirs étendus de ministre de l’Intérieur du Reich pour favoriser la cause du complot nazi. Afin d’atteindre ce but, Frick fit des projets de lois, signa des lois et des décrets supprimant l’indépendance des gouvernements allemands et interdisant tous les partis politiques en Allemagne autres que le parti nazi.

En 1933 et en 1934, c’est-à-dire pendant les deux premières années du régime nazi, Frick signa environ 235 lois ou décrets. Ils sont tous publiés dans le Reichsgesetzblatt. J’aimerais mentionner brièvement quelques-uns d’entre eux, parmi les plus importants, telle la loi du 14 juillet 1933, interdisant tous les partis politiques autres que le parti nazi : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 479, document PS-1388 (a) ; puis la loi du 1er décembre 1933, établissant l’unité du Parti et de l’État : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 1016, document PS-1395 ; la loi du 30 janvier 1934, transférant au Reich la souveraineté de l’État allemand : Reichsgesetzblatt 1934, partie I, page 75, document PS-3068 ; l’acte municipal allemand du 30 janvier 1935, qui donnait au ministère de l’Intérieur de Frick l’autorité de nommer et de renvoyer tous les maires des municipalités en Allemagne : Reichsgesetzblatt 1935, partie I, page 49, document PS-2008 ; et, enfin, l’acte nazi du 7 avril 1933, décrétant que tous les fonctionnaires devaient être des gens de confiance, selon les définitions nazies et remplir les exigences raciales nazies : Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 175, document PS-1397.

Une catégorie des activités de Frick mérite cependant une mention spéciale : c’est celle qui concerne la suppression de l’opposition par la terreur policière camouflée sous une apparence de légalité. Je me réfère, à ce sujet, au livre : Le Dr Wilhelm Frick et son ministère. C’est notre document PS-3119, que je dépose sous le n° USA-711. Ce livre a été écrit par le secrétaire et complice de Frick, Hans Pfundtner, afin de faire connaître la contribution étemelle de Frick à la création d’un empire nazi destiné à durer 1.000 ans. Je cite brièvement la page 4, paragraphe 4, de la traduction anglaise :

« Alors que le marxisme était écrasé en Prusse par la main de fer du premier ministre de Prusse, Hermann Göring, et qu’une gigantesque campagne de propagande était déclenchée pour les élections au Reichstag du 5 mars 1933, le Dr Frick préparait la prise complète du pouvoir dans tous les États du Reich. D’un seul coup, l’opposition politique disparut. La ligne du Main s’effaça dès ce moment ; une seule volonté et un seul commandement régnèrent dans le Reich allemand. »

Comment cela put-il se faire ? Le 28 février, le lendemain de l’incendie du Reichstag, les droits civils en Allemagne furent abolis. Ce décret fut publié dans le Reichsgesetzblatt de 1933, page 83. Une traduction anglaise figure au livre de documents sous le n° PS-1390. Je le mentionne maintenant, car il porte la signature de Frick, ministre de l’Intérieur du Reich. Il fut publié au lendemain de l’incendie du Reichstag et déclare que la suspension des droits civils est considérée comme une mesure de défense contre les actes de, violence communistes qui pourraient mettre l’État en danger. Au moment de la publication de ce décret, le Gouvernement nazi annonça qu’une enquête approfondie avait prouvé que les communistes avaient mis le feu au Reichstag. Je n’ai pas l’intention d’entrer dans la controverse pour savoir qui a mis le feu au Reichstag, mais je voudrais prouver que la déclaration officielle nazie, suivant laquelle les communistes étaient responsables de l’incendie, fut publiée sans aucune enquête et que le préambule du décret, qui portait la signature de Frick, n’était qu’un subterfuge.

Je dépose comme preuve un très court extrait d’un interrogatoire de l’accusé Göring, daté du 13 octobre 1945, document PS-3593 (USA-712). J’aimerais en lire la brève partie suivante qui commence à la page 4 :

« Ma question à Göring

Comment avez-vous pu dire à votre agent de presse, une heure après le début de l’incendie du Reichstag, que c’étaient les communistes qui avaient mis le feu, alors que vous n’aviez pas fait d’enquête ?

« Réponse de Göring

Est-ce que l’agent de presse a dit cela à l’époque ?

« Ma réponse

Oui, il a rapporté vos paroles.

« Göring

C’est possible ; lorsque je suis arrivé au Reichstag, le Führer et sa suite étaient déjà là. Je n’en étais pas sûr à ce moment-là, mais c’était leur opinion que les communistes avaient mis le feu.

« Question

Mais vous étiez, en un sens, le personnage officiel le plus haut placé d’après la loi. Daluege était votre subordonné. Si vous vous reportez maintenant à cet événement en faisant abstraction de l’état d’excitation qui existait à ce moment, ne croyez-vous pas qu’il était trop tôt pour dire que les communistes avaient mis le feu ?

« Réponse

Oui ; c’est possible, mais le Führer le voulait ainsi.

« Question

Pourquoi le Führer voulut-il déclarer immédiatement que les communistes avaient mis le feu ?

« Réponse

II en était convaincu.

« Question

Suis-je dans le vrai lorsque je dis qu’il en était convaincu, sans en avoir aucune preuve au moment où il parlait ?

« Réponse

C’est vrai, mais il faut considérer qu’à ce moment-là les activités des communistes étaient extrêmement importantes et que notre nouveau gouvernement n’était pas sûr de sa position. »

LE PRÉSIDENT

Docteur Kempner, en quoi cela concerne-t-il Frick ?

Dr KEMPNER

Comme je l’ai dit tout à l’heure, il signa le décret abolissant les droits civils le lendemain de l’incendie, sous prétexte d’un danger communiste. D’autre part, ce danger communiste n’était qu’un vain mot, vide de sens, qui finit par mener à la deuxième guerre mondiale.

L’accusé Frick a non seulement aboli les libertés civiles à l’intérieur de l’Allemagne, mais il est aussi devenu l’organisateur de l’énorme réseau policier du Reich nazi... Je puis dire en passant qu’il n’y avait pas dans le Reich à ce moment-là de système de police unifié. Chaque État allemand avait ses propres forces de police. Je demande au Tribunal d’accorder valeur probatoire au décret du 17 juin 1936, signé par Frick et publié dans le Reichsgesetzblatt de 1936, page 487. Une traduction anglaise de ce décret figure au livre de documents sous le numéro PS-2073.

Le paragraphe 1 de ce décret est le suivant :

« En vue de l’unification des fonctions de police dans le Reich, un chef de la Police allemande est nommé au ministère allemand de l’Intérieur ; il assumera la direction et la conduite de toutes les affaires de police... »

Nous apprenons au paragraphe 2 que ce furent l’accusé Frick et Hitler, les signataires de ce décret, qui nommèrent Himmler chef de la Police allemande.

Le paragraphe 2 de la section II de ce décret stipule que Himmler était, et je cite : « subordonné personnellement et directement au ministre de l’Intérieur du Reich et au ministre de l’Intérieur de Prusse » ; Frick assumait naturellement ces deux fonctions.

Le schéma officiel du système de police allemand, document PS-1852, déjà déposé sous le n° USA-449, montre clairement la position du ministre de l’Intérieur du Reich : Frick devenait le chef suprême de tout le système de police allemand, y compris le fameux RSHA dont l’accusé Kaltenbrunner devint le chef sous les ordres de Frick, en janvier 1943.

L’accusé Frick mit son autorité sur le système de police récemment centralisé au service du complot nazi. Je demande au Tribunal d’accorder valeur probatoire au décret de Frick du 20 septembre 1936, publié dans le Journal ministériel du Reich (Ministerialblatt des Reichs und Preussischen Ministeriums des Innern, 1936, page 1343, document PS-2245. Par ce décret, Frick se réservait le droit de nommer des inspecteurs de la Police de sûreté, les faisait dépendre de ses gouverneurs de district, les Oberpräsidenten, et leur enjoignait d’être en étroite coopération avec le Parti et les Forces armées.

Un autre exemple de son activité dans le domaine de la police est fourni par son ordonnance du 18 mars 1938, concernant l’Anschluss de l’Autriche. Par cette ordonnance, Frick autorisait le Reichsführer SS et chef de la Police Himmler à prendre des mesures de sécurité en Autriche. Ce décret est publié dans le Reichsgesetzblatt de 1938, page 262, et figure au livre de documents sous le n° PS-1437.

Je ne relirai pas ici les preuves concernant les activités criminelles de la Police allemande sur laquelle l’accusé Frick détenait l’autorité suprême. Je voudrais simplement mentionner les déclarations qui ont déjà été faites sur les camps de concentration et la Gestapo, deux institutions de police placées sous la juridiction de Frick. Je voudrais montrer que non seulement les fonctionnaires subordonnés à Himmler, mais aussi le ministère de Frick lui-même, connaissaient ces organisations. Je dépose donc maintenant le document PS-1643 (USA-713). C’est un résumé de la correspondance échangée entre le ministère de l’Intérieur du Reich et ses services, depuis novembre 1942 jusqu’en août 1943, sur les questions de droit soulevées par la confiscation de propriétés par les SS, en vue de l’agrandissement du camp de concentration d’Auschwitz. Au bas de la page 1 et au sommet de la page 2 de la traduction anglaise figure un résumé des notes prises au cours d’une réunion tenue le 17 et le 18 décembre 1942 sur la confiscation de ces propriétés. Ce compte rendu montre qu’une discussion devait avoir lieu à ce sujet le 21 décembre 1942, entre les représentants du ministre de l’Intérieur du Reich et le Reichsführer SS. À la page 2 figure aussi un résumé d’une lettre chiffrée, datée du 22 janvier 1943, émanant du Dr Hoffmann, représentant le ministre de l’Intérieur du Reich et adressée au gouverneur du district de Kattowice.

Ce résumé commence ainsi ; je cite :

« L’emplacement du camp de concentration d’Auschwitz sera transformé en propriété indépendante » — ce qui signifie : territoire administrativement indépendant.

Le fait que l’accusé Frick ait pris un intérêt personnel aux camps de concentration est démontré par le témoignage du Dr Blaha, que je voudrais mentionner et qui signale que Frick a visité le camp de Dachau en 1943.

Un autre aspect de la participation de l’accusé Frick à la conjuration nazie nous est donné par la persécution raciale et le racisme, avec pour conséquence l’extermination des Juifs. Outre ses responsabilités nombreuses, le vaste champ de ses activités administratives englobait le domaine de l’administration et de l’organisation des questions raciales. Je mentionne à ce propos le document PS-3475, le Manuel des fonctionnaires de l’administration allemande qui a déjà été versé au dossier et je fais allusion aux pages 2 et 4 qui montrent que Frick était le gardien et le protecteur administratif et législatif de la race allemande.

Afin d’éviter d’autres répétitions, je ne citerai pas les différents actes du ministère de Frick dirigés contre les Juifs. L’exposé concernant la persécution des Juifs, fait par le commandant Walsh avant Noël, a présenté un certain nombre de décrets signés par Frick, telles les infamantes lois de Nuremberg, les lois dépouillant les Juifs de leurs propriétés et de leurs droits de citoyens, et leur infligeant le port de l’étoile jaune.

Mais les activités du ministère de Frick ne se limitaient pas à de tels crimes, camouflés sous une apparence de légalité. Les services de police subordonnés à Frick participèrent à l’organisation d’entreprises terroristes, comme le pogrom du 9 novembre 1938. Je mentionne une série d’ordres et de rapports de Heydrich relatifs à l’organisation de ces pogroms — ou, comme Heydrich les appelait, de ces « émeutes spontanées » — documents PS-3051 et PS-3058 (USA-240 et USA-508).

Trois jours après ce pogrom du 9 novembre 1938, Frick, son sous-secrétaire Stuckhart et ses subordonnés Heydrich et Daluege, participèrent à une conférence sur la question juive, sous la présidence de l’accusé Göring. À cette réunion, on discuta des mesures diverses que les différents départements gouvernementaux devaient prendre contre les Juifs. Un rapport sténographique de cette réunion, document PS-1816, a été déposé sous la cote USA-261. Puis-je mentionner brièvement une phrase au bas de la page 23 de la traduction anglaise, où nous trouvons les remarques finales de Göring :

« Le ministère de l’Intérieur et la Police devront réfléchir aux mesures qui doivent être prises. »

Cette remarque montre que Göring considérait comme du devoir de Frick de faire suivre par des mesures administratives le pogrom organisé par ses propres subordonnés.

Dans l’exposé que je viens de faire, nous avons tenté de prouver que l’accusé Frick, en tant que membre de la conjuration, mit la machine de l’État au service du nazisme. Nous allons montrer maintenant que Frick aida activement à la préparation de l’État nazi à la guerre.

Nous commencerons par montrer que Frick approuvait les violations flagrantes par l’Allemagne des traités de non-agression. Cela ressort clairement d’un témoignage de l’ambassadeur Messersmith. Ce document a déjà été déposé sous le n° USA-68 (PS-2385). Je n’en citerai qu’une phrase à la page 4, ligne 10. Je cite :

« Des nazis influents, avec lesquels je devais avoir des contacts officiels, entre autres des hommes tels que Göring, Goebbels, Ley, Frick, Frank, Darré et autres, se moquèrent, à diverses reprises, de mon opinion sur le caractère obligatoire des traités et me déclarèrent ouvertement que l’Allemagne n’observerait ses engagements internationaux pas plus longtemps qu’il ne conviendrait à ses intérêts. »

En mai 1935, par sa nomination au poste de plénipotentiaire général à l’administration du Reich, Frick devint l’un des trois hauts personnages chargés de préparer l’Allemagne à la guerre. Les deux autres membres du triumvirat étaient : le chef de l’OKW et le plénipotentiaire général à l’Économie qui fut l’accusé Schacht. Frick a reconnu qu’il a occupé le poste de plénipotentiaire général depuis le 21 mai 1935, date de la première loi secrète de défense du Reich.

Je mentionne ses déclarations à ce sujet (document PS-2978, USA-8).

Ses fonctions de plénipotentiaire général sont décrites dans la loi de défense du Reich, du 4 septembre 1938, qui a été classée comme document militaire très secret, et qui figure au livre de documents, sous le n° PS-2194 (USA-36). Aux termes du paragraphe 3 de cette loi de 1938, Frick disposa d’immenses pouvoirs, en tant que plénipotentiaire général à l’administration. Outre ses services qu’il dirigeait comme ministre de l’Intérieur, il contrôlait encore, aux termes de cette loi du défense du Reich, les services suivants : le ministère de la Justice, le ministère de l’Éducation du Reich, le ministère du Reich pour les questions religieuses, et les services nationaux d’aménagement du territoire.

Frick a reconnu la part importante qu’il a prise dans la préparation de la guerre, comme membre du triumvirat. Cette participation ressort clairement d’un discours qu’il prononça le 7 mars 1940 à l’université de Fribourg. Des extraits de ce discours figurent au livre de documents sous le n° PS-2608, document que je dépose sous le n° USA-714. Je crois qu’il serait utile, si le Tribunal me le permet, de lire deux courts paragraphes commençant en haut de la page 1 de la traduction anglaise. Je cite :

« L’organisation de la Défense Nationale sur le plan non militaire s’adapte organiquement à la structure entière du Gouvernement et de l’administration nationaux-socialistes ; ce n’est pas un état d’exception, mais un élément nécessaire et significatif de l’ordre national-socialiste. Le changement imposé à notre administration et à notre économie par les conditions du temps de guerre s’est effectué rapidement et sans friction. Nous avons ainsi évité de changer toute la structure de l’État, ce qui aurait pu être très dangereux. »

« Nous avons déjà fait en temps de paix un plan destiné à préparer l’administration à l’éventualité d’une guerre. Le Führer a nommé à cette fin un plénipotentiaire général chargé de l’administration du Reich et un plénipotentiaire général chargé de l’Économie. »

Le livre intitulé Le Dr Wilhelm Frick et son ministère contient une grande partie des mesures prises par Frick contribuant à préparer l’État allemand à la guerre. Ce livre a déjà été déposé ; c’est le document PS-3119. Je demande à en citer deux courtes phrases au haut de la page 3 de la traduction anglaise :

« En outre, la coopération décisive du ministre de l’Intérieur du Reich à la législation militaire, et par conséquent à l’organisation de nos Forces armées, doit être particulièrement soulignée. Après tout, le ministre de l’Intérieur du Reich est le ministre « civil » de la Défense du pays qui, non seulement signa en cette qualité la loi militaire du 21 mai 1935 avec le ministre de la guerre, mais a également reçu du Führer et Chancelier du Reich, en qualité de chef suprême de l’administration générale et intérieure et de la Police, des pouvoirs importants dans le domaine de l’Armée de réserve et du contrôle de l’armée. »

J’ai mentionné auparavant que Frick, en tant que ministre de l’Intérieur, était responsable de la politique administrative dans les territoires occupés et annexés. Son ministère introduisit l’ordre nouveau allemand dans les vastes territoires européens occupés par les Forces armées allemandes, et l’accusé Frick dirigea ce ministère. Je demande au Tribunal d’accorder valeur probatoire à trois décrets signés par Frick, introduisant le Droit allemand en Autriche, dans le territoire des Sudètes et dans le Gouvernement Général de Pologne : le décret du 13 mars 1938 (Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 237, article 8, document PS-2307), décret du 1er octobre 1938 (Reichsgesetzblatt 1938, partie I, page 1331, paragraphe 8, document PS-3073) ; et enfin le décret du 12 octobre 1939 (Reichsgesetzblatt 1939, partie I, page 2077, paragraphe 8 [1], document PS-3079).

Les services de Frick choisirent et nommèrent des centaines de fonctionnaires pour les territoires soviétiques occupés, même avant l’invasion. Ce fait est mentionné dans un rapport établi par l’accusé Rosenberg en avril 1941 sur les préparatifs pour l’administration des territoires occupés de l’Est. Je me réfère au paragraphe 2 de la page 2 du document PS-1039, qui a déjà été déposé sous le n° USA-146.

Un des aspects de la participation de Frick au plan et à la préparation de la guerre d’agression mérite une mention spéciale. C’est le meurtre systématique de personnes considérées comme inutiles à la machine de guerre allemande, comme les fous, les vieillards, les infirmes et les travailleurs étrangers devenus inaptes au travail. Ces meurtres furent exécutés dans des hôpitaux, des infirmeries et des asiles. Le Tribunal se souviendra que l’accusé Frick, en sa qualité de ministre de l’Intérieur du Reich, avait la responsabilité de la Santé publique et de toutes les institutions sanitaires. Puis-je citer encore brièvement le Manuel à l’usage des fonctionnaires de l’Administration allemande, document PS-3475, cette fois aux pages 3, 4 et 7 de la traduction anglaise. Ce document fait dépendre de la compétence de Frick les domaines suivants : « santé », « hygiène sociale », « amélioration de la race et eugénisme », « pleins pouvoirs en ce qui concerne les sanatoria et les dispensaires ».

Pour montrer que ces assassinats doivent être imputés à Frick, je dépose comme preuve le document PS-621 (USA-715). C’est une lettre du 2 octobre 1940, adressée par le chef de la Chancellerie du Reich, le Dr Lammers, au ministre de la Justice du Reich, pour l’informer que les documents concernant la mort des malades des hôpitaux avaient été transmis au ministre de l’Intérieur du Reich à toutes fins utiles. En fait, l’accusé Frick n’avait pas seulement autorité sur ces établissements, mais il était aussi l’un des auteurs d’une loi secrète organisant le meurtre des malades.

Je dépose maintenant comme preuve le document PS-1556 (USA-716), qui est un rapport officiel, daté de décembre 1941, de la commission tchécoslovaque des crimes de guerre, intitulé : « Déclarations détaillées sur l’assassinat des malades et des vieillards en Allemagne. » Je voudrais citer des extraits très brefs de ce rapport. En voici les paragraphes 1, 2 et 3 :

« 1. Ces assassinats ont leur origine dans une loi secrète promulguée durant l’été 1940.

« 2. Outre le chef de l’ordre des médecins du Reich, le Docteur L. Conti, le Reichsführer SS Himmler, le ministre de l’Intérieur du Reich, le Docteur Frick et bien d’autres, voici les noms de ceux qui participèrent à la rédaction de cette loi secrète :... » (D’autres noms sont encore cités).

« 3. Comme je l’ai dit, il y avait — suivant des calculs serrés — au moins 200.000 personnes mentalement déficientes, simples d’esprit, névropathes ou de santé fragile. Ce n’étaient pas seulement des incurables, car ce chiffre comprenait au moins 75.000 vieillards. »

L’exemple le plus frappant de ces assassinats continuels commis dans les institutions qui relevaient de la compétence de Frick, et suivant des ordres dont Frick était l’un des auteurs, est le cas bien connu de Hadamar.

Monsieur le Président, puis-je vous demander de m’accorder encore dix minutes pour terminer cet exposé, car les Procureurs Généraux sont d’accord — ainsi que je l’ai compris — pour commencer l’exposé français demain matin, et je n’ai plus que dix minutes.

LE PRÉSIDENT

Oui, très bien.

Dr KEMPNER

Merci, Monsieur le Président, je mentionne le cas de Hadamar. Je dépose maintenant le document PS-615 (USA-717).

M. BIDDLE

Quel est le dernier rapport dont vous avez parlé ? Qui a fait ce rapport ?

Dr KEMPNER

C’est le rapport de la commission tchécoslovaque des crimes de guerre. Après avoir montré le plan concerté auquel Frick a coopéré, je voudrais montrer que les services de Frick connaissaient les crimes perpétrés sous le couvert de leur organisation. C’est pourquoi je cite maintenant une lettre montrant que l’accusé était au courant de ces meurtres, et que tout le monde les connaissait. Je dépose comme preuve le document PS-615 (USA-717). C’est une lettre adressée par l’évêque de Limbourg, en date du 13 août 1941, au ministre de la Justice du Reich. Des copies en ont été envoyées au ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire à Frick, et au ministre des Affaires cultuelles. Je cite :

« À environ 8 kilomètres de Limbourg, dans la petite ville de Hadamar, sur une colline dominant la ville, se trouve une institution qui fut affectée à divers services ; en dernier lieu, elle fut utilisée comme hôpital. Cette institution a été restaurée et équipée de manière à ce qu’on pût y pratiquer l’euthanasie. De l’opinion générale, celle-ci était systématiquement pratiquée depuis des mois, depuis février 1941 environ. Le fait est connu au-delà du district administratif de Wiesbaden, car les certificats de décès sont envoyés par l’état civil de Hadamar-Mönchberg aux communes d’origine des victimes.

« Plusieurs fois par semaine, des autobus arrivent à Hadamar avec un nombre considérable de victimes : les enfants du voisinage connaissent bien les voitures et disent : « Voilà encore la boîte qui tue ». Après l’arrivée de l’autobus, les habitants d’Hadamar peuvent voir la fumée sortir des cheminées, et sont torturés par la pensée toujours présente des malheureuses victimes, tout particulièrement lorsque des odeurs affreuses apportées par le vent viennent les incommoder.

« Voici les résultats de principes de ce genre : les enfants, pour s’injurier, disent : « Tu es fou ; on va t’envoyer dans le four d’Hadamar ». Ceux qui ne veulent pas se marier ou qui n’en ont pas l’occasion disent : « Se marier, jamais ! Avoir des enfants pour qu’ils finissent dans des autoclaves ! » On entend des vieillards dire : « Ne m’envoyez pas dans un hôpital de l’État. Après les fous viendra le tour des bouches inutiles que nous sommes ».

« La population ne peut comprendre qu’on poursuive ainsi des actions systématiques qui, aux termes de l’article 211 du Code pénal allemand, sont punissables de mort... »

« Les fonctionnaires de la Police secrète d’État, dit-on, sont en train d’essayer de supprimer par de sévères menaces les bruits qui courent sur les événements. On peut le faire dans une bonne intention, dans l’intérêt de la paix publique, mais cela ne pourra pas empêcher la population de connaître ces faits, d’en être convaincue et révoltée. La population sera d’autant plus persuadée de la réalité de ces faits qu’elle constatera avec amertume qu’il est interdit sous des peines sévères de parler de ces événements, alors que les actes eux-mêmes ne sont pas poursuivis par les lois pénales. »

Je cite le dernier paragraphe de la lettre, le post-scriptum :

« Je soumets des copies de cette lettre au ministre des Affaires cultuelles. » Paraphé comme plus haut.

Néanmoins, les meurtres commis dans ces institutions en accord avec la loi secrète décidée par l’accusé Frick, l’accusé Himmler et les autres, continuèrent avec les années.

LE PRÉSIDENT

Une réponse fut-elle donnée à cette lettre ?

Dr KEMPNER

Non, on n’a retrouvé aucune réponse. J’ai d’autres lettres que je ne puis citer aujourd’hui, et qui portent la mention : « Prière de ne pas répondre. »

LE PRÉSIDENT

« Prière de ne pas répondre » ?

Dr KEMPNER

Cela signifiait qu’il ne fallait donner aucune réponse à ces lettres.

Néanmoins, les meurtres accomplis dans ces institutions, en accord avec la loi secrète élaborée par l’accusé Frick, l’accusé Himmler et les autres, continuèrent avec les années. Je dépose comme preuve le document PS-3592 (USA-718). C’est une copie certifiée conforme des jugements et condamnations prononcés par la commission militaire américaine de Wiesbaden contre les individus qui dirigeaient l’hôpital d’Hadamar où beaucoup de Russes et de Polonais furent assassinés. Dans cette procédure particulière, sept accusés furent inculpés d’avoir assassiné en 1944 400 personnes de nationalités polonaise et russe. Trois des accusés furent condamnés à être pendus ; les quatre autres furent condamnés aux travaux forcés.

Je passe à la dernière page de mon exposé, qui concerne la phase finale de la carrière de Frick et ses responsabilités, quand il occupa les fonctions de Protecteur de Bohême et de Moravie entre le 20 août 1943 et la fin de la guerre. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de dire quelque chose sur les fonctions du Protecteur de Bohême et de Moravie. Ses pouvoirs étendus sont connus du Tribunal.

LE PRÉSIDENT

Avant que vous ne quittiez le document PS-3592, est-il parfaitement établi que ce procès concerne l’assassinat de nationaux polonais et russes dans des cliniques ou des institutions de ce genre ?

Dr KEMPNER

C’est ce qui ressort clairement du document qui contient les condamnations prononcées par la commission militaire de Wiesbaden, chargée de l’enquête sur Hadamar.

LE PRÉSIDENT

Pouvez-vous me montrer où cela se trouve ?

Dr KEMPNER

Document PS-3592. Je cite : « Qualifications : Alphonse Klein, Adolf Wahlmann, Heinrich Ruoff, Karl Willig, Adolf Merkle, Irmgard Huber et Philipp Blum, agissant ensemble dans un but commun, au nom du Reich allemand, du 1er juillet 1944 jusque vers le 1er avril 1945, à Hadamar, Allemagne, sont reconnus coupables d’avoir, de concert, participé délibérément, avec préméditation et contrairement au Droit, au meurtre de personnes de nationalités polonaise et russe. Les noms de ces personnes sont inconnus, de même que leur chiffre exact, qui doit être d’environ 400. Ces victimes avaient été internées au temps du Reich allemand en tant que ressortissants d’un pays ennemi.

LE PRÉSIDENT

Mais tout cela ne nous indique pas que ces faits relevaient de la compétence du ministère de l’Intérieur.

Dr KEMPNER

J’ai mentionné tout à l’heure le Manuel des fonctionnaires de l’Administration allemande qui indique de façon très claire que les cliniques, les sanatoria et les établissements similaires dépendaient du ministère de l’Intérieur.

LE PRÉSIDENT

Oui, je vous suis, mais ce document ne mentionne pas les cliniques. C’est justement ce que je vous demandais.

Dr KEMPNER

Oui, il ne parle que de Hadamar ; c’est en fait l’hôpital de Hadamar. Ce fragment n’a pas été présenté par l’Avocat Général, mais j’ai l’intention de donner plus tard un document plus important montrant que le nom de Hadamar désignait habituellement « Todesmühle » ou moulin de la mort de Hadamar. Je passe maintenant au dernier paragraphe de mon exposé.

LE PRÉSIDENT

Attendez un instant, Dr Kempner. Un avocat qui est derrière vous voudrait prendre la parole.

Dr PANNENBECKER

Dans le document PS-3592 qui vient d’être lu à l’instant, je ne trouve rien qui se rapporte à Frick ou qui mette Frick en cause en quelque façon.

LE PRÉSIDENT

II n’est certainement pas nécessaire de vous lever pour répéter ce que je viens de dire.

Dr PANNENBECKER

Oui, mais j’avais quelque chose à ajouter.

LE PRÉSIDENT

Je vous demande pardon.

Dr PANNENBECKER

Je voulais ajouter que l’accusé Frick n’était plus ministre de l’Intérieur depuis août 1943, et que pour cette raison ce document ne peut être utilisé contre lui.

LE PRÉSIDENT

Cela ne nous donne pas la date de la mort de ces gens. En tous cas, tant que le Dr Kempner ne prouvera pas qu’il s’agissait bien d’un hôpital, et que ces faits se sont passés pendant la période où l’accusé Frick a été ministre de l’Intérieur, le Tribunal ne retiendra pas ce document comme une charge à l’encontre de Frick.

Dr KEMPNER

J’ai cité ces meurtres de Hadamar pour deux raisons : tout d’abord parce que le ministère de l’Intérieur a eu connaissance, comme je l’ai dit précédemment, de la lettre de l’évêque de Limburg, en 1941, lorsque Frick était ministre de l’Intérieur et par conséquent connaissait ces faits. Et j’ai cité le jugement du Tribunal Militaire pour montrer que ces meurtres continuèrent dans les années 1944 et 1945, sur la base d’une loi dont l’accusé Frick a été l’un des auteurs.

La phase finale de la responsabilité de Frick s’étend sur la période pendant laquelle il occupa le poste de Protecteur de Bohême et de Moravie, du 20 août 1943 jusqu’à la fin de la guerre. Je n’ai pas à prouver qu’il occupait ces fonctions, mais je mentionnerai un exemple. Je dépose comme preuve le document PS-3589 (USA-720), qui est un supplément au rapport officiel tchécoslovaque sur les crimes allemands contre la Tchécoslovaquie. Je voudrais citer un passage très bref de ce rapport :

« Durant la période où l’accusé Wilhelm Frick fut protecteur du Reich pour la Bohême et la Moravie depuis août 1943 jusqu’à la libération de la Tchécoslovaquie en 1945, des milliers de juifs tchécoslovaques furent déportés du ghetto de Terezin, en Tchécoslovaquie, dans le camp de concentration d’Auschwitz en Pologne, où ils furent tués dans les chambres à gaz. »

Ils furent déportés pour les chambres à gaz en partant du pays dont Frick était le protecteur.

Nous avons ainsi montré que Frick a été un conspirateur important, de 1923 jusqu’à ce que les Armées alliées aient écrasé la résistance de la Wehrmacht nazie. Le crime de Frick est prouvé par ses propres déclarations et par les déclarations des co-accusés. Il en est responsable d’après notre Statut.

J’aimerais exprimer ma gratitude pour l’aide que m’ont prêtée mes collègues, M. Karl Lachmann, le lieutenant Frederick Felton et le capitaine Seymour Krieger dans la préparation de cet exposé.

(L’audience sera reprise le jeudi 17 janvier 1946 à 10 heures.)