TRENTE-NEUVIÈME JOURNÉE.
Lundi 21 janvier 1946.

Audience de l’après-midi.

M. GERTHOFFER

J’avais l’honneur de vous indiquer ce matin, Messieurs, comment les occupants ont pu s’emparer d’une grande quantité de moyens de paiement en Norvège. Nous allons voir maintenant, d’après les premiers renseignements qui nous ont été donnés, l’usage que ces occupants ont fait de ces moyens de paiement.

Les Allemands se sont emparés, comme dans les autres pays occupés, d’importants biens privés, sous un prétexte quelconque, que ces biens appartinssent à des Juifs, à des francs-maçons ou à des associations scoutes.

Il n’a pu être établi encore une évaluation très exacte de ces spoliations ; nous ne pouvons donc les indiquer que pour mémoire.

D’après le rapport du Gouvernement norvégien, déposé sous le n° RF-121, en 1941 les Allemands se sont emparés de presque tous les postes de réception radio-téléphoniques (TSF) appartenant aux particuliers. La valeur de ces postes serait d’environ 120.000.000 de couronnés.

Les Allemands frappèrent de fortes amendes les communes norvégiennes, sous les prétextes les plus divers (bombardements alliés, actes de sabotage).

Dans le rapport déposé sous le n° RF-121, le Gouvernement norvégien donne deux ou trois exemples de ces impositions d’amendes collectives :

Le 4 mars 1941, après un raid sur Lofoten, la population de la petite commune d’Ostvagoy dut payer 100.000 couronnes. Les communes imposées durent aussi entretenir des familles allemandes et des familles de « Quislings ».

Le 25 septembre 1942, après un raid anglais sur Oslo, 100 citoyens ont été obligés de payer 3.500.000 couronnes.

En janvier 1941, Trondheim, Stavanger, Vest-Opland, durent payer 60.000, 50.000, 100.000 couronnes respectivement.

En septembre 1941, la municipalité de Stavanger dut payer 2.000.000 de couronnes pour un sabotage allégué de lignes télégraphiques.

En août 1941, Rogaland dut payer 500.000 couronnes ; Alesund, 100.000 couronnes.

On peut donc poser en principe que, par des procédés à peine différents de ceux employés dans les autres pays, les Allemands ont, durant l’occupation de la Norvège, non seulement épuisé toutes ses ressources financières, mais endetté considérablement ce pays.

Il n’a pas été possible de fournir un compte détaillé des prélèvements allemands faits, soit après des réquisitions suivies ou non d’indemnités, soit par des achats, en apparence de gré à gré, réglés fictivement avec les moyens de paiement extorqués à la Norvège.

Dans le rapport que j’ai déposé sous le n° RF-121, le Gouvernement norvégien a résumé les dommages subis par son pays dans un tableau dont je vais donner un résumé au Tribunal.

Le Gouvernement norvégien estime que les dommages subis par l’industrie et le commerce se montent, au total, à 440.000.000 de couronnes, sur lesquels les Allemands n’ont réglé, fictivement bien entendu, que 7.000.000 de couronnes.

Les navires marchands ont une valeur de 1.733.000.000 de couronnes sur lesquels l’Allemagne n’a rien réglé.

Les spoliations concernant les ports et installations maritimes s’élèvent à 740.000.000 de couronnes, sur lesquels l’Allemagne n’a réglé fictivement que 1.000.000 de couronnes.

Les chemins de fer, canaux, ports aériens et leurs installations, représentent des spoliations de 947.000.000 de couronnes sur lesquels l’Allemagne a réglé fictivement 490.000.000 de couronnes.

Les routes et ponts : 199.000.000 de couronnes, sur lesquels le règlement n’est que de 67.000.000 de couronnes.

La spoliation de l’agriculture atteint 242.000.000 de couronnes, sur lesquels il n’a été réglé que 46.000.000 de couronnes.

Les objets personnels représentent une somme de 239.000.000 de couronnes, sur lesquels aucun règlement n’a été fait.

Les réquisitions diverses, non incluses dans les catégories que je viens de citer, se montent à 1.566.000.000 de couronnes, sur lesquels l’occupant a réglé fictivement 1.154.000.000 de couronnes.

Le Gouvernement norvégien estime que les années de travail d’hommes, applicables à l’effort de guerre pour l’Allemagne, représentent une somme de 226.000.000 de couronnes.

Et il estime, d’autre part, que les années de travail perdues pour l’économie nationale par la déportation forcée en Allemagne, et les travaux forcés sur l’ordre de l’Allemagne, s’élèvent à 3.122.000.000 de couronnes.

Les paiements forcés aux instituts allemands s’élèvent à 11.054.000.000 de couronnes, sur lesquels, bien entendu, l’Allemagne n’avait fait aucun règlement.

Au total, la Norvège estime qu’elle a subi un préjudice de 21.086.000.000 de couronnes, ce qui représente 4.700.000.000 de dollars.

La Norvège a particulièrement souffert pendant l’occupation allemande. En effet, si ses ressources sont importantes, notamment le bois des forêts, les minerais tels que ceux de nickel, de wolfram, de molybdène, de zinc, de cuivre, d’aluminium, elle doit importer des produits de consommation de première nécessité pour l’alimentation de sa population.

Comme les Allemands avaient le contrôle absolu du trafic maritime, rien ne pouvait entrer en Norvège sans leur consentement. Ils pouvaient donc, par ce moyen de pression, comme ils devaient le faire en France avec la ligne de démarcation entre les deux zones, imposer plus facilement leurs exigences. Le rationnement, tel qu’il était fixé par l’occupant, était insuffisant pour assurer la subsistance de la population norvégienne. La prolongation de la sous-alimentation pendant des années entraîna les plus funestes conséquences. Les maladies se multiplièrent, la mortalité augmenta ; l’avenir de la population est compromis du fait de la déficience physique de ses éléments jeunes.

Voici, Messieurs, les quelques observations que j’avais à présenter sur la Norvège. Je vais, si le Tribunal le permet, aborder la partie réservée à La Hollande.

LA HOLLANDE.

Pillage économique des Pays-Bas — En pénétrant, contrairement à tous les principes du droit des gens, dans les Pays-Bas, les Allemands s’installaient dans un pays abondamment pourvu des richesses les plus diverses, dans un des pays où les habitants étaient les mieux nourris d’Europe et qui, eu égard au nombre de la population, était l’un des plus riches du monde. L’encaisse-or de la Hollande était supérieure au montant des billets en circulation. Quatre ans plus tard, lorsque les Alliés délivrèrent ce pays, ils trouvèrent une population affligée par une véritable famine et, en dehors des destructions qui étaient la conséquence des opérations militaires, un pays presque entièrement ruiné par les spoliations de l’occupant.

Les intentions malhonnêtes de l’Allemagne apparaissent dans un rapport secret de Seyss-Inquart sur sa gestion, rapport du 29 mai au 19 juillet 1940, découvert par l’Armée des États-Unis, immatriculé sous le n° PS-997, et que je dépose au Tribunal sous le n° RF-122. Voici les principaux extraits de ce rapport :

« Il est certain qu’en occupant les Pays-Bas, il fallait prendre un grand nombre de mesures économiques et même de police, dont les premières avaient pour but de diminuer la consommation de la population, d’une part pour mettre des denrées à la disposition du Reich et, d’autre part, pour assurer une répartition égale des denrées qui restaient. Devant le problème ainsi posé, il fallait veiller à ce que toutes ces mesures portent la signature de Néerlandais. C’est pour cela qu’on a donné aux secrétaires généraux, avec le consentement du Commissaire du Reich, la possibilité de prendre, par voie légale, toutes les mesures nécessaires.

« En fait, jusqu’à ce jour, toutes les instructions relatives à la saisie et à la distribution des denrées à la population et toutes les ordonnances relatives aux restrictions sur la liberté de l’opinion publique ont été publiées. Mais on a réalisé, de même, des accords sur le transport dans le Reich d’un nombre considérable de denrées, qui tous portent la signature des secrétaires généraux des Pays-Bas ou des chefs intéressés de l’économie, afin que toutes ces mesures présentent entièrement le caractère d’opérations volontaires.

« À cette occasion, il faut signaler qu’au cours de la première entrevue, l’attention des secrétaires généraux fut attirée sur le fait qu’on attendait d’eux une collaboration loyale, mais qu’ils conservaient, par contre, le droit de se retirer à l’occasion d’une affaire pour laquelle il ne leur semblerait pas possible d’engager leur responsabilité. Jusqu’à présent, aucun secrétaire général n’a usé de ce droit, et on peut tranquillement conclure qu’ils ont donné volontairement satisfaction à toutes les demandes qui leur ont été soumises. Le ramassage et la répartition totale des denrées alimentaires et de matières textiles ont à peu près été réalisés. De toute façon, toutes les instructions à ce sujet ont été publiées et sont en cours d’exécution.

« Une série d’instructions relatives à la nouvelle orientation de l’agriculture ont été publiées et sont en cours d’exécution. Il s’agit principalement d’utiliser les fourrages disponibles, afin que la plus grande partie du bétail, environ 80%, puisse être conservée jusqu’à la prochaine campagne, aux dépens des poules et des porcs qui existent en grand nombre.

« Une réglementation et une diminution furent introduites dans le domaine des transports et, en la matière, les principes de la direction économique des carburants du Reich furent appliqués.

« Les restrictions relatives au droit de licenciement dans le domaine de la main-d’œuvre, ainsi que celles relatives au loyer des appartements, ont été promulguées afin de freiner les habitudes libérales et capitalistes des entrepreneurs néerlandais et pour éviter des troubles.

« Dans le même ordre d’idées, on a prolongé, pour des cas déterminés, l’échéance des dettes... Les ordonnances relatives à la déclaration et au contrôle des fortunes ennemies et à la confiscation de la fortune des personnes ayant une attitude hostile au Reich et à l’Allemagne, ont été publiées sous la signature du Commissaire du Reich. Sur la base de ces ordonnances fut nommé un administrateur pour la fortune royale.

« Les réserves de matières premières ont été saisies et réparties avec l’autorisation du Generalfeldmarschall, suivant un plan tendant à laisser aux Hollandais des matières premières pour six mois, afin de leur permettre de maintenir leur économie. Ils reçurent donc la même quantité que l’Allemagne. Le même traitement a été appliqué en ce qui concerne le ravitaillement en denrées alimentaires.

« Des réserves notables de matières premières purent donc être mises à la disposition du Reich : ainsi, par exemple, 70.000 tonnes de graisse industrielle, ce qui doit représenter environ la moitié de la quantité manquant au Reich. Une réglementation sur les devises, suivant le système en vigueur dans le Reich, fut promulguée. Enfin, il fut demandé à l’État néerlandais de mettre à la disposition du Reich, ou de l’administration allemande dans les Pays-Bas, les moyens dont ils pourraient avoir besoin, afin que ces dépenses ne gênent en aucun cas le budget du Reich.

« Des sommes furent débloquées pour une valeur de 36.000.000 de florins, pour retirer de la circulation des billets de la Reichskreditkasse ; en outre, 100.000.000 de florins furent utilisés pour les besoins de l’Armée d’occupation, et plus spécialement pour l’agrandissement de terrains d’aviation ; d’autre part, 50.000.000 de florins furent destinés à l’achat de matières premières à transporter dans le Reich, pour autant qu’elles n’ont pas le caractère de butin, et pour assurer le libre transfert des économies que les travailleurs néerlandais dans le Reich envoyèrent à leurs familles.

« Enfin, le cours du billet de la Reichskreditkasse, qui avait été fixé par l’OKH à un florin pour 1 mark 50, a été ramené à son rapport normal, c’est-à-dire un florin pour 1 mark 33.

« Mais, surtout, il a été possible d’amener le président de la Banque des Pays-Bas, Trip, à adopter une mesure proposée avec l’accord du Generalfeldmarschall par le Commissaire général Fischboeck. Il s’agissait de l’acceptation réciproque et illimitée des valeurs allemandes et néerlandaises, c’est-à-dire que la Banque des Pays-Bas était obligée d’accepter tout montant en mark que lui remettait la Reichsbank, et de donner des florins en échange au cours de 1 mark 33, donc un mark pour 75 centimes.

« Seule la Reichsbank a le droit de contrôle en la matière, mais pas la Banque des Pays-Bas, qui n’est informée que de certaines affaires déterminées.

« Cette réglementation dépasse toutes celles qui ont été réalisées jusqu’à présent avec les pays voisins, en matière économique, même avec les protectorats, et représente un pas vers l’union financière. En considération de l’importance de cet accord, qui touche déjà à l’indépendance de l’État néerlandais, ce résultat admirable fut atteint, à savoir que le président de la Banque, Trip, très connu dans le monde financier et bancaire de l’Est, a librement signé ce contrat. »

Comme vous le verrez, Messieurs, par l’explication que je vais avoir l’honneur de vous fournir, ce devait être principalement dans les Pays-Bas que les Allemands se sont ingéniés à s’emparer des moyens de paiement. Cette spoliation fera l’objet d’un premier chapitre.

Ensuite, nous examinerons l’emploi fait par l’occupant de ces moyens de paiement. Dans un chapitre II, nous nous occuperons du marché noir. Dans un chapitre III, nous envisagerons les acquisitions faites en apparence seulement d’une façon régulière. Un quatrième chapitre sera consacré aux spoliations diverses. Enfin, nous tirerons les principales conséquences, pour les Pays-Bas, de ce pillage économique.

Chapitre premier.

Mainmise allemande sur les moyens de paiement.

1. Indemnités pour frais d’occupation

J’ai déjà eu l’honneur, Messieurs, de vous exposer dans quelles conditions et dans quelles limites, en vertu de la Convention de la Haye, la puissance occupante peut prélever des contributions en argent pour l’entretien de son Armée d’occupation.

Je me bornerai à rappeler au Tribunal que ces frais, mis à la charge des pays occupés, ne peuvent comprendre que les frais de logement, de nourriture et, éventuellement, de solde des effectifs strictement nécessaires à l’occupation des territoires.

Les Allemands ont méconnu sciemment ces principes en imposant aux Pays-Bas le paiement d’une indemnité pour l’entretien de leurs troupes, hors de toute proportion avec les besoins de celles-ci.

D’après les renseignements fournis par le Gouvernement néerlandais (qui sont contenus dans trois rapports : Trip, Hirschfeld et du ministre des Finances, que je dépose sous le n° RF-123), les sommes suivantes furent exigées, sous le prétexte d’indemnités, pour l’entretien des troupes d’occupation :

1940 (7 mois)................477.000.000 de florins

1941 ................................1.124.000.000 —

1942 ...............................1.181.000.000 —

1943................................1.328.000.000 —

1944................................1.757.000.000 —

1945 (4 mois seulement)... 489.000.000 —

Soit un total de... ...........6.356.000.000 de florins.

Une somme aussi considérable constitue un véritable tribut de guerre, prélevé sous le prétexte de l’entretien de l’Armée d’occupation.

L’Allemagne a ainsi frauduleusement tourné les dispositions de la Convention de La Haye, pour s’emparer d’une masse considérable de moyens de paiement.

2. Clearing

En 1931, l’Allemagne, qui était obligée de faire face à des difficultés économiques et financières, déclara un moratoire général de ses engagements antérieurs.

Néanmoins, pour pouvoir continuer ses opérations commerciales extérieures, elle avait conclu avec la plupart des autres pays, notamment avec la Hollande, des accords permettant le règlement de dettes financières, sur la base du système de compensation dit « clearing ».

Avant la guerre, il existait au clearing néerlandais un excédent d’importations d’Allemagne. Mais, dès les premiers mois de l’occupation, il y eut un excédent considérable d’exportations vers l’Allemagne, tandis que les recettes provenant de ce pays baissaient sensiblement.

Dès le mois de juin 1940, les Allemands exigèrent des Hollandais la déclaration des devises étrangères, de l’or, des métaux précieux, des valeurs et des créances sur l’étranger, ainsi qu’il ressort d’ailleurs de l’ordonnance du 24 juin 1940, déjà déposée sous le n° RF-95.

Au surplus, les Hollandais pouvaient, en vertu de la même ordonnance, être obligés de vendre leurs valeurs à la Banque néerlandaise.

Le Commissaire allemand du Reich, Seyss-Inquart, exigea que la Banque néerlandaise fasse des avances en florins, pour assurer l’équilibre du clearing, puisque l’Allemagne ne pouvait fournir aucune contre-partie en marchandises. D’autre part, il fut décidé que le clearing serait utilisé aussi bien pour les livraisons de marchandises que pour l’acquittement de dettes quelconques.

En fait, les Allemands pouvaient donc acheter des marchandises et des titres de valeurs mobilières en Hollande, sans fournir de contre-partie. Les avoirs en mark des vendeurs néerlandais se trouvaient bloqués à la Banque néerlandaise qui, de son côté, avait été obligée de faire une avance égale en clearing.

Pour tenter de limiter l’aggravation du compte hollandais de clearing et pour éviter le transfert, par cette voie, de florins ou de titres de valeurs mobilières en Allemagne, le 8 octobre 1940, le Secrétaire général aux finances néerlandais frappait d’un impôt important les mark bloqués en clearing.

Cependant, à la date du 31 mars 1941, le solde créditeur des Pays-Bas dépassait déjà 400.000.000 de florins qui avaient, en fait, été avancés par l’État néerlandais. C’est alors que les occupants firent connaître leurs exigences :

1° Une somme de 300.000.000 de florins devait être prélevée sur le solde de 400.000.000 et versée au Trésor allemand, du chef de « Frais d’occupation militaire faits hors les Pays-Bas » et ce, indépendamment des versements pour les frais d’occupation effectués par ce pays. »

2° Par décision du Commissaire du Reich du 31 mars 1941 (rapportée au Verordnungsblatt pour la Hollande, que je dépose au Tribunal sous le n° RF-124), les opérations de paiement avec le Reich ne devaient plus passer par le clearing, mais s’opérer de banque à banque, ce qui engendrait des créances directes des banques néerlandaises sur les banques allemandes, au cours forcé de 100 RM. pour 75, 36 florins.

3° Par ordonnance du même jour, 31 mars 1941 (que je dépose sous le n° RF-125), l’impôt sur les mark bloqués, créé le 8 octobre 1940 par les autorités néerlandaises, était aboli.

En présence de cette situation particulièrement dangereuse pour le Trésor néerlandais, monsieur Trip démissionna de ses fonctions de Secrétaire général aux finances et de président de la Banque néerlandaise.

Le Commissaire du Reich le remplaça par Rost van Tonningen, collaborateur notoire, qui se plia à toutes les exigences de l’occupant.

Comme les banques privées ne voulaient pas conserver de créances en mark au cours, très inférieur à la parité réelle, de 100 RM. pour 75, 36 florins, elles transférèrent ces créances à la Banque néerlandaise. Le compte créditeur de l’Institut d’émission sur l’Allemagne, du fait des opérations avec ce pays, augmenta dans de fortes proportions ; alors que le solde créditeur au 1er avril 1941 était de 235.000.000 de florins, il devait s’élever le 1er mai 1945 à 4.488.000.000 de florins.

D’après les renseignements donnés par le Gouvernement néerlandais, cette créance a trait à des achats faits par les Allemands, en Hollande, de marchandises de toutes sortes, de valeurs mobilières ou autres papiers de valeur, à des règlements de prestations de services imposés à des entreprises néerlandaises en paiement des salaires d’ouvriers déportés en Allemagne et à l’amortissement des dettes de l’occupant.

En dehors de ces deux procédés, indemnité pour l’entretien des troupes d’occupation et clearing, les Allemands devaient se procurer des ressources d’une autre façon en imposant des amendes collectives et ce, contrairement aux dispositions de l’article 50 de la Convention de La Haye.

Au cours de l’occupation, sous tous les prétextes, les Allemands imposèrent, dans un but de représailles ou d’intimidation, des amendes considérables aux municipalités. Ces amendes devaient être payées par les habitants, à l’exception des personnes de nationalité allemande, des membres des associations pro-nazies (NSB, Waffen SS, NSKK, Société de secours pour les besoins techniques de la communauté culturelle néerlando-allemande), et des personnes travaillant pour le compte des Allemands.

D’après les renseignements parvenus jusqu’à ce jour de 62 municipalités seulement, le montant des amendes ainsi infligées s’élève au minimum à 20.243.024 florins, ainsi qu’il résulte d’une attestation du Gouvernement néerlandais que je dépose sous le n° RF-126.

D’après la même attestation, dans les archives oubliées par les Allemands à La Haye, il a été découvert deux copies de lettres relatives à ces amendes collectives.

D’après la première de ces copies, du 8 mars 1941, des amendes collectives se montant à 18.500.000 florins avaient été perçues au début de l’année 1941.

La seconde nous apprend que Hitler avait donné l’ordre d’employer cette somme pour la propagande nationale-socialiste aux Pays-Bas. Je cite :

« Commissaire du Reich, La Haye 1808, du 8 mars 1941, 17 h. 20,

« À l’État-Major de liaison, Berlin.

« Pour transmission immédiate au Reichsleiter M. Bormann.

« La somme de 18.500.000 florins, représentant la contribution exigée de quelques villes hollandaises à titre de représailles, parviendra dans les prochains jours.

« Le Commissaire du Reich demande si le Führer affecte cette somme à un emploi déterminé, ou si elle doit être utilisée de la même façon que le Führer l’avait ordonné lors de la confiscation des biens ennemis. Le Führer avait décidé, à cette époque, que les sommes seraient mises à la disposition des Pays-Bas pour les besoins de la collectivité, tout en ne perdant pas de vue les principes politiques.

« Heil Hitler ! Signé Schmidt Münster, Commissaire général. »

Voici la traduction de la réponse, pièce RF-126.

« Obersalzberg, le 19 mars 1941, 10 heures NR/4. « Reichsleiter Bormann ».

« Reichsleiter Bormann ».

LE PRÉSIDENT

Un instant. Certaines copies que vous nous avez présentées ne semblent pas être justes, le passage que vous venez de lire ne figure pas dans certaines copies.

(On passe une autre copie au Président.)

J’ai maintenant une autre copie du document que vous avez lu. Deux copies qui ont été données ici ne sont pas les mêmes.

M. GERTHOFFER

Le document a peut-être été mal numéroté ; il y a deux documents RF-126. Il aurait fallu indiquer RF-126 (1) et RF-126 (2).

Le représentant du Gouvernement néerlandais certifie l’exactitude de la traduction de la première copie et, dans le second document RF-126, le même représentant du Gouvernement néerlandais certifie l’existence de la copie de la réponse de l’État-Major du Führer.

LE PRÉSIDENT

Le premier document est celui que vous venez de lire. Le second document commence par les mots : « J’ai soumis aujourd’hui... » Est-ce celui-là dont vous parlez ?

M. GERTHOFFER

C’est le deuxième document.

LE PRÉSIDENT

Pourrait-on voir les originaux ?

Il y a deux documents différents qui commencent tous les deux exactement de la même façon.

M. GERTHOFFER

Les deux documents ont été rapportés par le Gouvernement néerlandais. Le représentant du Gouvernement néerlandais, qui les a apportés, certifie que ces deux documents ont bien été trouvés en Hollande parmi les papiers allemands.

Le Gouvernement hollandais a été dans l’obligation d’effectuer des paiements importants pour le compte des Allemands, et des rapports déposés sous le n° RF-123, il ressort notamment que :

1. Les Allemands exigèrent qu’une somme de 300.000.000 de florins, qui était inscrite au crédit de la Banque néerlandaise, soit employée pour les besoins des armées d’occupation en dehors des Pays-Bas et qu’une somme de 76.800.000 florins soit versée en or pour le même motif. Au total, la Hollande a dû verser sous ce prétexte, c’est-à-dire pour l’entretien des armées d’occupation dans d’autres pays, 376.800.000 florins.

2. À partir du mois de juin 1941, la Hollande fut astreinte à payer, pour contribuer aux frais de la guerre contre la Russie, une somme mensuelle de 37.500.000 florins, dont une partie en or ; au total, l’Allemagne préleva de ce chef une somme de 1.696.000.000 de florins.

3. La Banque néerlandaise fut obligée de prendre à sa charge le remboursement de billets de la Reichskreditkasse pour un montant de 133.600.000 florins.

4. Les frais du Gouvernement civil allemand en Hollande furent mis à la charge de ce pays et s’élèvent à 173.800.000 florins.

5. Le Trésor néerlandais fut, en outre, contraint de payer pour le compte du Reich 414.500.000 florins, comprenant des dépenses diverses, telles que salaires des ouvriers néerlandais déportés en Allemagne, frais d’évacuation de certaines régions, frais de démolition de fortifications, prétendus frais pour la garde des chemins de fer, fonds mis à la disposition du Commissaire du Reich pour diverses industries utilisées par les Allemands.

6. Les Allemands s’emparèrent, au mois de juillet 1940, de 816 barres d’or, appartenant à la Banque néerlandaise, que se trouvaient dans l’épave d’un bateau hollandais coulé à Rotterdam, représentant, y compris les frais de repêchage, 21.100.000 florins.

7. L’État néerlandais fut obligé de supporter les dépenses annuelles de 1.713.000.000 de florins pour assurer le financement des services administratifs nouveaux imposés à la Hollande par l’occupant.

De ce fait, la Hollande a perdu 8.565.000.000 de florins ; au total, y compris le prélèvement d’or du bateau coulé dans la Meuse, les paiements effectivement faits pour l’Allemagne se montent à 11.380.800.000 florins. Si l’on ajoute ces frais aux frais d’occupation et au clearing, le total des charges financières imposées à la Hollande pendant l’occupation s’élève à la somme de 22.224.800.000 florins.

Ces opérations eurent des conséquences graves sur l’économie néerlandaise. En effet, l’encaisse-or qui se montait le 1er avril 1940 à 1.236.000.000 de florins, tombait, en raison des prélèvements allemands, le 1er avril 1945, à 932.000.000 de florins.

La circulation fiduciaire, au contraire, s’élevait de 1.127.000.000 de florins, le 1er avril 1940, à 5.468.000.000 de florins le 1er avril 1945.

Lorsque les Allemands occupèrent les Pays-Bas, une grande partie de l’or de la Banque néerlandaise avait été évacuée à l’étranger.

Cependant, les Allemands s’emparèrent de tout l’or qui se trouvait dans les caisses de la Banque sous différents prétextes. Je rappelle qu’au titre de l’indemnité d’occupation, ils se firent remettre 75.000.000 de florins en or et que, pour la contribution forcée des Pays-Bas à la guerre contre la Russie, ils exigèrent environ 144.000.000 de florins en or.

Rost van Tonningen, Secrétaire général aux finances et président de la Banque néerlandaise, désigné par les Allemands, écrivait le 18 décembre 1943 au Commissaire du Reich qu’il n’y avait plus d’or en Hollande depuis le mois de mars précédent.

La copie de cette lettre est déposée sous le n° RF-127. Un document découvert par l’Armée des États-Unis, immatriculé sous le n° ECR-174 que je dépose sous le n° RF-128, document qui est constitué par un rapport du commissaire à la Banque néerlandaise du 12 juin 1941, signale, lui aussi, que le stock d’or de la Banque néerlandaise se montait, le 12 juin 1941, à 1.021.800.000 florins, sur lesquels seulement 134.600.000 étaient en Hollande ; le reste était, soit en Angleterre, soit en Afrique du Sud, soit aux États-Unis.

Le même rapport précise que tout l’or fut enlevé de Hollande.

Non seulement les Allemands saisirent l’or de la Banque hollandaise, mais encore ils opérèrent des prélèvements d’or et de moyens de paiement étrangers en possession de la population. Les occupants obligèrent les particuliers à déposer à la Banque néerlandaise l’or qui était en leur possession, puis ils réquisitionnèrent cet or, qu’ils cédèrent à la Reichsbank. Un montant d’environ 71.300.000 florins fut ainsi payé au public en échange de l’or réquisitionné.

C’est ainsi également que les Allemands achetèrent au public différentes valeurs étrangères, pour un montant de 13.224.000 florins et des fonds publics suédois, pour 4.623.000 florins.

À l’aide des importants moyens financiers qu’ils avaient à leur disposition, les Allemands procédèrent à des acquisitions importantes en Hollande. De telles acquisitions, faites à l’aide de fonds extorqués aux Pays-Bas, ne peuvent être considérées comme ayant été faites en échange d’une contre-partie réelle, mais réalisées seulement à l’aide de paiements fictifs.

Les Allemands, à côté de nombreux cas de réquisition qui ne furent suivis d’aucun règlement, ont procédé à des acquisitions clandestines au marché noir et à des acquisitions en apparence régulières.

Ils se sont ainsi procuré quantité de choses de toute nature, ne laissant à la population qu’un minimum de produits insuffisant pour assurer ses besoins vitaux.

Dans le chapitre II de cet exposé, nous examinerons les achats clandestins au marché noir, et dans le chapitre III, les acquisitions en apparence régulières.

Chapitre II.

Le marché noir.

Comme dans tous les autres pays occupés, les Allemands ont accaparé en Hollande des quantités considérables de marchandises au marché noir, en contravention à la législation sur le rationnement qu’ils avaient eux-mêmes imposée.

Il n’a pas été possible, étant donné la clandestinité des opérations, de fixer, même approximativement, les quantités de choses de toutes sortes que les Allemands ont accaparées par ce procédé malhonnête. Cependant, le rapport secret du colonel allemand Veltjens, que j’ai eu l’honneur de déposer ce matin sous le n° RF-112, nous donne, pour une période de cinq mois, de juillet à fin novembre, quelques indications sur l’importance des acquisitions allemandes. Je cite un passage du rapport du colonel Veltjens :

« Dans les Pays-Bas, il a été acheté, depuis le commencement de « l’action », contre virement ordinaire sur les banques :

Métaux non ferreux...................................6.706.744 RM.

Textiles.....................................................55.285.568 —

Laines....................................................... 753.878 —

Cuirs, peaux............................................ 4.723.130 —

Fûts en bois.............................................. 254.982 —

Meubles................................................... 272.990 —

Alimentation............................................ 590.859 —

Produits chimiques et cosmétiques............ 152.191 —

Articles divers de fer et d’acier................ 3.792.166 —

Chiffons................................................ 543.416 —

Huiles de moteurs.................................. 52.284 —

Diamants bruts...................................... 25.064 —

Divers................................................... 531.890 —

Soit au total..........................................73.685.162 RM.

Ces achats ont été réglés par virement sur des banques ; une grande quantité d’autres marchandises, qui n’a pas pu être déterminée, a été réglée par des achats au comptant effectués avec des florins provenant de la prétendue indemnité d’occupation.

(L’audience est suspendue.)
M. GERTHOFFER

Dans le chapitre III, consacré au pillage économique en Hollande, nous abordons la question des acquisitions en apparence régulières, sur les indications qui nous ont été fournies par le Gouvernement hollandais.

I. Production industrielle

Il résulte d’une attestation donnée par le représentant du Gouvernement hollandais, que je dépose sous le n° RF-129, que les Allemands utilisèrent à leur profit la plus grande partie de l’activité industrielle des Pays-Bas, et les stocks importants qui se trouvaient dans les usines furent ainsi absorbés. La valeur de ces stocks n’est pas inférieure à 800.000.000 de florins. De plus, les occupants procédèrent à de nombreux enlèvements de machines. Dans certains cas, ces enlèvements n’étaient même pas suivis de règlements fictifs. Il n’a pas encore été possible d’établir un bilan de ces spoliations, qui comprenaient souvent toutes les machines d’une industrie.

Comme exemple, on peut indiquer que, sur ordre de réquisition du 4 mars 1943 du Commissaire du Reich, toutes les machines et installations techniques, y compris les dessins et les plans et tous les hangars et accessoires des hauts fourneaux d’une importante usine furent enlevés sans indemnité et transférés dans les environs de Brunswick au profit des « Hermann Göring Werke ».

Ceci résulte du document que je dépose sous le n° RF-130.

Les Allemands avaient créé dans tous les pays occupés un certain nombre d’organismes chargés spécialement du pillage des machines. Ils leur avaient donné le nom de « Bureau du Compensation des machines ». Ces organismes, qui dépendaient de l’inspection de l’Armement, recevaient les demandes de moyens de production de l’industrie allemande et devaient les satisfaire par des prélèvements dans les pays occupés.

D’autre part, des équipes de techniciens étaient chargées de détecter, de démonter et de faire transporter les machines en Allemagne. L’organisation de ces équipes officielles de pilleurs résulte des documents allemands dont il vous sera donné connaissance, lorsque le cas particulier de la Belgique vous sera exposé.

Il résulte d’un rapport du 1er mars 1944, adressé au commandant militaire, que le Bureau de Compensation des machines de la Haye ne pouvait satisfaire qu’à une faible partie des demandes. C’est ainsi qu’à la date du 1er janvier 1944, celles-ci s’élevaient à 677.000.000 de RM. alors que, dans le mois de janvier, il avait été livré pour 61.000.000 de machines contre 87.000.000 de demandes nouvelles ; ce qui faisait monter à 703.000.000 de RM. l’état des demandes de machines à la fin du mois de janvier 1944.

Ce fait résulte d’un document que je dépose sous le n° RF-131.

Avant de quitter les Pays-Bas, les Allemands procédèrent à d’importantes destructions, dans un but stratégique, dirent-ils, mais surtout dans le désir de nuire. Lorsqu’ils détruisaient des usines, ils enlevaient auparavant et transportaient vers l’Allemagne les machines qu’ils pouvaient démonter, ainsi que les matières premières. C’est ainsi notamment qu’ils agirent aux usines Philipps à Eindhoven, Hilversum et Bussum, aux dépôts de pétrole d’Amsterdam et de Pernes, aux usines d’armement de Breda, Tilbourg, Bergop-Zoom et Dordrecht.

Ces faits résultent du rapport de l’officier économique près du commandant militaire allemand en Hollande, en date du 9 octobre 1944, et que je dépose sous le n° RF-132.

Ce même rapport nous donne quelques renseignements sur l’organisation des pilleurs allemands spécialisés pour l’enlèvement des machines. En voici quelques extraits :

« L’usine Philipps à Eindhoven fut le premier et le plus important des objectifs d’intérêt militaire auquel on s’est attaqué. »

Un peu plus loin, le rédacteur écrit :

« ... Avant l’arrivée de l’ennemi... il faut détruire cette usine, une des plus importantes du continent pour la fabrication des postes et lampes de TSF, lampes électriques et la production du matériel télégraphique. Cette destruction a été réalisée après que les membres du Fwi Kdo 7 aient procédé au transfert des métaux les plus précieux et des machines spéciales ».

Plus loin, il écrit :

« Dès le 7 septembre, un Kommando transféra dans le Reich, par camions, des métaux non ferreux importants (wolfram, manganèse, cuivre) et des appareils de très grande valeur se trouvant dans les usines Philipps. En outre, toujours chez Philipps, le Fwi Kdo 7 participa au transfert des produits finis et demi-finis, de même que des machines. À la suite de l’occupation d’Eindhoven par l’ennemi, le transfert dut être interrompu. Il fut alors procédé à l’évacuation des succursales de Philipps de Hilversum et de Bussum. Là, il fut possible de transférer totalement toutes les réserves en métaux non ferreux, produits finis et demi-finis, machines et documents et modèles de fabrication.

« En même temps, on a organisé des Kommandos de transfert auprès de chaque chef des services annexes du délégué général du ministre du Reich pour l’armement et la production de guerre dans les Pays-Bas, institués dans chaque province.

« Ces Kommandos ont effectué le transfert de matières premières et de produits très importants, ainsi que de machines, en accord avec les services précités et les services civils intéressés. Avec le recrutement total et utile d’officiers, de fonctionnaires, de Sonderführer et d’équipes, il fut possible de transférer dans le Reich pendant le mois de septembre des quantités très importantes de métaux non ferreux, de matières premières et de produits manufacturés.

« Le cas échéant, le matériel adéquat fut mis à la disposition de l’Armée. La Fwi o Ndl avait la direction de cette action dans la région ouest et sud des Pays-Bas.

Puis le rédacteur termine en écrivant ceci :

« En vue des travaux d’évacuation et des mesures ARLZ dans le secteur relevant de l’AOKIS, fut créée une troupe par le Fwi Kdo 7 sous les ordres du capitaine Rieder qui servait en même temps d’officier de liaison à 0. Qu.-Stab de P.AOK 15. Ici aussi, en collaboration étroite avec les services civils et la section IVa de l’AOKIS, un travail sérieux a pu être effectué en ce qui concerne l’évacuation des matières premières, des produits rares et des machines. Ces opérations ne commencèrent qu’à la fin du mois du rapport. »

2. Prélèvements de matières premières

À côté de ces enlèvements de machines, le Gouvernement néerlandais nous donne des précisions sur les stocks de matières premières et d’objets manufacturés. En dehors des stocks qui se trouvaient dans les usines, les Allemands firent l’acquisition de quantités considérables de matières premières et d’objets fabriqués dont le montant minimum n’est pas inférieur à 1.000.000.000 de florins.

Dans cette évaluation ne sont pas comprises les destructions par faits de guerre, qui sont de l’ordre de 300.000.000 de florins.

3. Agriculture

Les Allemands procédèrent à des réquisitions et à des achats massifs de denrées agricoles et de cheptel. Ces prélèvements s’élèvent au minimum à 300.000.000 de florins ; les évaluations définitives n’ont pas encore pu être établies.

Pour donner un ordre de grandeur, signalons qu’à la fin de l’année 1943 les Allemands s’emparèrent de 600.000 porcs, 275.000 vaches et 30.000 tonnes de viande de conserve, ainsi qu’il résulte d’une attestation délivrée par le représentant du Gouvernement hollandais, attestation que je dépose sous le n° RF-133.

Signalons en passant, bien que cette question doive être reprise par mon collègue qui vous présentera les crimes de guerre contre les personnes, que le 17 avril 1944, sans apparemment aucune raison stratégique, 20 hectares de terres cultivées furent inondées à Wie-ringermeer.

4. Transports et communications

Les Allemands ont fait d’énormes prélèvements de matériel de transport et de communication. Il n’est pas encore possible d’en dresser un inventaire exact. Cependant les renseignements donnés par le Gouvernement néerlandais permettent de se faire une idée de l’ordre de grandeur de ces spoliations.

Je dépose sous le n° RF-134 les renseignements donnés par le représentant du Gouvernement hollandais en matière de transports et de communications. En voici un résumé :

a) En ce qui concerne les chemins de fer :

490 locomotives ont été prélevées sur 890 ;

28.950 wagons de marchandises ont été prélevés sur 30.000 ;

1.466 wagons de voyageurs ont été prélevés sur 1.750 ;

215 trains électriques ont été prélevés sur 300 ;

36 trains électriques Diesel ont été prélevés sur 37.

En général, le peu de matériel laissé par les Allemands était très endommagé, soit par usure, soit par faits de guerre, soit par sabotage.

En dehors du matériel roulant, les Allemands ont fait expédier dans le Reich des quantités importantes de rails, de signaux, d’appareils de levage, plaques tournantes et de wagons ateliers, etc.

b) Tramways. Le matériel des villes de la Haye et de Rotterdam fut enlevé et transporté dans des villes allemandes ; c’est ainsi par exemple qu’une cinquantaine de voitures motrices et 42 baladeuses ont été expédiées à Brême et à Hambourg.

Une partie importante des rails, câbles et autres accessoires ont été enlevés et transportés en Allemagne.

Les autocars des compagnies de tramways furent également pris par l’occupant.

c) Les Allemands s’emparèrent de la plus grande partie des automobiles, motocyclettes, et d’environ 1.000.000 de bicyclettes ; ils ne laissèrent à la population que des machines qui n’étaient pas en état de marcher.

d) Navigation. Les Allemands s’emparèrent d’un nombre considérable de péniches et de bateaux de navigation fluviale, ainsi que d’une partie importante de la flotte de commerce, représentant environ 1.500.000 tonnes.

e) Matériel des postes. Les Allemands ont prélevé un grand nombre d’appareils télégraphiques et téléphoniques, des câbles conducteurs et d’autres accessoires, dont la quantité n’a pu encore être exactement évaluée.

600.000 appareils de TSF ont été confisqués.

J’aborde maintenant le chapitre IV :

Chapitre IV.

Spoliations diverses.

Travail forcé pour l’occupant

D’après les renseignements fournis par le Gouvernement hollandais, dans un rapport que je dépose sous le n° 135, un grand nombre de travailleurs néerlandais furent contraints au travail, soit en Hollande, soit en Allemagne. Il y eut environ 550.000 déportés dans le Reich, ce qui représente un nombre d’heures considérables perdues pour la productivité nationale néerlandaise.

Pillage des palais royaux

Le mobilier, les archives privées, les écuries, voitures, caves des palais royaux furent volés par les Allemands. C’est ainsi que, en particulier, le palais de Noordeinde fut entièrement pillé, y compris le mobilier, le linge de table, l’argenterie, les tableaux, tapisseries, objets d’art et ustensiles de ménage. Un certain nombre d’objets semblables furent enlevés du palais d’Het Loo et devaient être utilisés pour une maison de convalescence de généraux allemands.

Les archives de la Maison royale furent également dérobées. Ceci résulte d’une attestation délivrée par le représentant du Gouvernement hollandais, que je dépose sous le n° RF-136.

Pillage de la ville d’Arnhem.

En dehors des nombreux cas de pillage individuel, dont il n’est pas question dans le présent exposé, il y a eu des pillages de villes entières, systématiquement organisés.

C’est ainsi que la ville d’Arnhem fut l’objet d’un pillage en octobre et novembre 1944.

Les Allemands avaient fait venir des mineurs d’Essen qui, sous une direction militaire, procédaient par équipes spécialisées à l’enlèvement de tous les meubles transportables et des objets les plus divers, et à leur expédition en Allemagne. Ce fait résulte d’une attestation délivrée par le représentant du Gouvernement hollandais, que je dépose sous le n° RF-137.

Les conséquences du pillage économique dans les Pays-Bas sont considérables. Nous indiquerons, pour mémoire, que l’énorme diminution du capital national aura pour corollaire une production inférieure aux besoins du pays pendant de très longues années encore, mais la conséquence la plus grave est celle qui atteint la santé publique, puisqu’elle est irréparable.

Le rationnement excessif, pendant des années, des denrées alimentaires, des vêtements et du combustible, ordonné par l’occupant pour augmenter la proportion de ses spoliations, entraîna un affaiblissement des populations.

La moyenne des calories consommées par les habitants, qui variait entre 2800 et 3000, baissa dans de fortes proportions aux environs de 1800 calories, pour tomber même à 400 calories au mois d’avril 1945.

À partir de l’été 1944, la situation alimentaire devint de plus en plus grave. Le Commissaire du Reich Seyss-Inquart interdit le transport de vivres entre les parties nord-est et ouest du pays.

Cette mesure, qui n’était justifiée par aucune opération militaire, ne paraît avoir été dictée que par haine des populations, pour les brimer et les intimider, les affaiblir, les terroriser.

Ce n’est que vers le mois de décembre 1944 que cette mesure inhumaine fut levée, mais trop tard ; la famine était déjà généralisée. La mortalité des villes d’Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Leiden, Delft et Gouda augmenta dans des proportions considérables, entre 198 % et 260 % ; des maladies presque disparues dans ces régions firent leur apparition.

Une telle situation aura des conséquences irréparables pour l’avenir de la population.

Ces faits résultent de deux rapports que je dépose sous les numéros RF-139 et RF-140.

En ordonnant de telles mesures de rationnement pour s’attribuer des produits indispensables à l’existence des Hollandais, contrairement à tous les principes du Droit international, je puis dire que les dirigeants allemands ont commis un de leurs plus grands crimes.

Mes explications sur la Hollande sont terminées. Mon collègue M. Delpech fera l’exposé en ce qui concerne

LA BELGIQUE.

M. HENRY DELPECH (substitut du Procureur français)

Monsieur le Président, Messieurs, je vais avoir l’honneur de présenter au Tribunal l’exposé sur le pillage économique de la Belgique.

Dès le début de l’année 1940, les dirigeants nationaux-socialistes avaient l’intention d’envahir la Belgique, la Hollande et le nord de la France. Ils savaient qu’ils y trouveraient les matières premières, l’outillage et les entreprises qui leur permettraient d’accroître leur potentiel de guerre.

Aussitôt que la Belgique fut occupée, l’administration militaire allemande s’est efforcée d’en tirer un profit maximum. Dans ce but, les dirigeants allemands ont pris une série de mesures pour y bloquer toutes les richesses existantes et s’emparer des moyens de paiement. Les stocks importants, constitués dès les années 1936-1938, furent l’objet de réquisitions massives. Les machines et l’outillage de nombreuses entreprises furent enlevés et expédiés en Allemagne, aboutissant à la fermeture de nombreuses usines et à une concentration forcée dans plusieurs secteurs. Étant donné le caractère très industriel du pays, les autorités d’occupation imposèrent, sous les menaces les plus diverses, un lourd tribut aux industries belges.

Mais l’agriculture, elle non plus, ne fut pas épargnée.

C’est à l’étude de cet ensemble de mesures qu’est consacrée la troisième partie de l’exposé économique français. Il fera l’objet de quatre chapitres.

Dans notre chapitre premier sera exposée la mainmise allemande sur les moyens de paiement.

Le chapitre second sera consacré aux achats clandestins et au marché noir.

Le troisième chapitre relatera des acquisitions en apparence régulières, tandis que le quatrième chapitre sera réservé aux prestations de services.

Dans un cinquième chapitre enfin, nous présenterons au Tribunal les acquisitions de participations belges dans les entreprises étrangères, avant de conclure et de faire ressortir l’incidence de l’ingérence allemande sur la santé publique.

Enfin, quelques remarques seront présentées sur le comportement des Allemands après leur annexion du Grand Duché de Luxembourg.

Chapitre premier.

Mainmise allemande sur les moyens de paiement.

Pour asservir le pays au point de vue économique, le procédé le plus simple était de s’assurer la possession de la plus grande partie des moyens de paiement et de rendre impossible l’exportation de la monnaie et des valeurs de toute nature.

C’est l’ordonnance du 17 juin 1940 qui interdit l’exportation de la monnaie et des valeurs de toute nature. Cette ordonnance a été publiée au Verordnungsblatt spécial à la Belgique, au nord de la France et au Luxembourg, qui sera désigné dans la suite de cet exposé par son abréviation habituelle Vobel.

Cette ordonnance, publiée au Vobel n° 3, est déposée devant le Tribunal sous la cote RF-99. Au Vobel du même jour paraissait un avis, portant la date du 9 mai 1940, qui réglementait l’émission des billets de la Reichskreditkasse pour approvisionner en moyens de paiement les troupes d’occupation.

Les Allemands avaient ainsi la possibilité d’acheter sans fournir de contre-partie tout ce qu’ils désiraient, dans un pays qui regorgeait de produits de toutes sortes, sans que les habitants aient la possibilité de soustraire leurs biens à l’envahisseur.

En outre, les occupants usèrent de trois autres procédés pour accaparer la plus grande partie des moyens de paiement. Ces trois procédés furent la création d’une banque d’émission, l’imposition d’un tribut de guerre sous prétexte de l’entretien des troupes d’occupation, le fonctionnement d’un système de clearing à leur seul profit. Ces mesures feront l’objet des trois sections ci-après développées.

1° Création d’une banque d’émission

Dès leur entrée en Belgique, les Allemands créèrent un office de surveillance des banques, chargé en même temps du contrôle de la Banque nationale de Belgique, création de l’arrêté du 14 juin 1940 (Vobel n° 2), déposé sous le n° RF-141.

À cette époque, la direction de la Banque nationale de Belgique était hors des territoires occupés. D’autre part, le montant des billets en caisse aurait été insuffisant pour assurer une circulation normale, un grand nombre de Belges ayant fui l’invasion en emportant avec eux une quantité importante de papier-monnaie.

Ce sont du moins les raisons que les Allemands ont invoquées pour créer une banque d’émission, par ordonnance du 27 juin 1940, ordonnance publiée au Vobel n°s 4 et 5, déposée sous le n° RF-142.

En vertu de cette dernière ordonnance, ordonnance du 27 juin 1940, la nouvelle banque d’émission, au capital de 150.000.000 de francs belges, dont 20 % avaient été libérés en espèce, recevait le monopole de l’émission de papier-monnaie en francs belges. En fait, la Banque nationale de Belgique se voyait retirer le droit d’émission. La couverture de la banque d’émission n’était pas représentée par une encaisse-or, mais :

a) Par les créances résultant d’opérations d’escompte et de prêts consentis en conformité avec l’article 8 de ces nouveaux statuts ;

b) L’encaisse était en second lieu représentée par les créances sur la Banque nationale de Belgique ainsi que la monnaie frappée se trouvant en circulation pour le compte du Trésor public ;

c) Enfin, troisième élément de couverture, les effectifs en devises et en francs étrangers (et en particulier en monnaie allemande, y compris les billets de la Reichskreditkasse ainsi que les avoirs à la Reichsbank, à la Caisse de compensation du Reich et à la Reichskreditkasse).

Le commissaire allemand, qui avait été désigné par avis du 26 juin 1940, devenait le contrôleur de la banque d’émission (avis du 26 juin 1940, publié au Vobel n° 3, page 88, et déposé sous la cote RF-143).

Après le retour en Belgique des directeurs de la Banque nationale, le 10 juillet 1940, une entente fut réalisée entre cette Banque et la nouvelle banque d’émission, entente réalisée par la nomination du directeur de la Banque nationale de Belgique à la tête de la nouvelle banque d’émission.

La banque d’émission procéda aussitôt à d’importantes émissions de billets, à telle enseigne que le 8 mai 1940, la circulation fiduciaire était de 29.800.000.000 de francs belges. Le 29 décembre 1943, elle atteignait 83.200.000.000 de francs belges, et le 31 août 1944, elle était de 100.200.000.000 de francs belges, soit une augmentation de 236 %.

La banque d’émission fonctionna, non sans certaines difficultés, soit avec le commandement militaire, soit avec le personnel, soit avec la Banque nationale de Belgique. En effet, à côté de son rôle d’émission, la nouvelle banque avait, comme attribution principale, les opérations relatives aux chèques postaux et aux devises, ainsi que les opérations avec les organismes allemands, notamment en ce qui concernait l’indemnité d’occupation et partant le clearing.

La Banque nationale de Belgique perdait son droit d’émettre du papier-monnaie, mais reprenait ses opérations traditionnelles pour le compte des particuliers et de l’État, notamment les opérations d’open market (marché ouvert).

Ces données, Messieurs, sont corroborées par le rapport final de l’administration militaire allemande en Belgique dans sa neuvième partie, consacrée aux questions de monnaie et de finance.

Ce rapport final de l’administration militaire allemande en Belgique a été découvert par les Armées des États-Unis ; c’est un document auquel nous nous référerons souvent. Il porte la cote ECH-5 et est déposé devant le Tribunal sous le n° RF-144.

La neuvième partie qui nous intéresse ici a été rédigée par trois chefs de section de l’administration de Bruxelles : Wetter, Hofrichter et Jost.

Malgré la création de la banque d’émission, les billets de la Reichskreditkasse continuèrent à avoir cours en Belgique jusqu’au mois d’août 1942, mais c’est la Banque nationale de Belgique qui fut dans l’obligation d’absorber, en septembre 1944, ces billets ; et de ce fait, l’économie belge a subit un préjudice de 3.567.000.000 de francs belges (chiffre rapporté par Wetter au rapport précédent, page 112 ; l’extrait du rapport étant déposé sous la cote RF-145).

En outre, d’après les renseignements donnés par le Gouvernement belge, la banque d’émission détenait en ses caisses, au moment de la libération du territoire, un montant de 644.000.000 de billets de la Reichskreditkasse libellés en Reichsmark, et, en plus, avait un avoir en compte de virements de 12.000.000 de Reichsmark dans les livres de la RKK, soit au total une perte de 656.000.000 de francs belges (chiffre donné dans un rapport du Gouvernement belge et déposé aux archives du Tribunal sous le n° RF-146).

2° Frais d’occupation

Venons-en aux frais d’occupation. L’article 49 de la Convention de La Haye stipule que, si l’occupant prélève des contributions en argent, ce ne pourra être que pour les besoins de l’Armée d’occupation ou de l’administration du territoire. L’occupant peut donc prélever une contribution pour l’entretien de son Armée, mais celle-ci ne doit pas dépasser un effectif strictement nécessaire. D’autre part, il faut entendre par « besoins de l’Armée d’occupation » non pas des frais d’armement et d’équipement, mais uniquement des frais de logement, des frais de nourriture, des frais de solde normaux, ce qui exclut en tout cas des dépenses somptuaires.

Par ailleurs, l’article 52 autorise la puissance occupante à exiger, pour les besoins de son Armée, des réquisitions : réquisitions en nature et services, à condition toutefois qu’elles soient en rapport avec les ressources du pays et qu’elles soient de telle nature qu’elles n’impliquent pas, pour les populations, l’obligation de prendre part aux opérations de guerre contre leur propre patrie. Le même article 52 stipule, de plus, que les prestations en nature seront, autant que possible, payées au comptant.

En conséquence, les Allemands exigèrent une indemnité mensuelle de 1.000.000.000 de francs belges jusqu’en août 1941. À cette date, l’indemnité fut portée à 1.500.000.000 de francs belges par mois ; fin août 1944, les versements effectués à ce titre s’élevaient à un total de 67.000.000.000 de francs belges. Ce chiffre ne saurait être contesté par la Défense, puisque, dans le rapport précité, page 103 et suivantes, le sieur Wetter écrit, en juin 1944, que le montant des francs belges payés pour l’Armée d’occupation était de 64.181.000.000 de francs belges (le passage du rapport est déposé au Tribunal sous le n° RF-147).

Mais cette somme de 64.181.000.000 de francs belges était hors de proportion avec les besoins de l’Armée d’occupation. C’est ce qui résulte notamment du rapport précité du nommé Wetter, dans un passage qui est déposé sous le n° RF-148. À la page 245 de ce rapport, il est mentionné que le 17 janvier 1941, le général Commandant en chef en Belgique avait demandé au Commandant supérieur de l’Armée si l’indemnité ne devait couvrir que les frais d’occupation proprement dits. Cette manière de voir fut rejetée par le Haut Commandement qui, par décision du 29 octobre 1941, spécifiait que l’indemnité d’occupation devait être utilisée, non seulement pour les besoins de l’Armée d’occupation, mais encore pour ceux des armées d’opérations ; et bien plus, à la page 11 du texte original allemand de ce même rapport, il est indiqué (et je me permettrai de lire au Tribunal un fragment qu’il retrouvera au livre de documents sous la cote RF-149, deuxième paragraphe) :

« L’accroissement des dépenses de la Wehrmacht laissant prévoir qu’il serait impossible avec ces sommes de s’en tirer, l’administration militaire réclama une apuration du compte des frais d’occupation, par retrait de ce compte de toutes dépenses étrangères à l’occupation proprement dite.

« Il s’agissait, en l’espèce, de dépenses importantes que les services militaires affectaient en Belgique à des achats de toute nature, tels que chevaux, automobiles, objets d’équipement, toutes choses destinées à d’autres territoires et inscrites au compte des frais d’occupation.

« Par décision du délégué du Plan de quatre ans, en date du 11 juin 1941, le financement des dépenses autres que celles destinées à l’occupation fut passé au clearing. En exécution de cette décision, l’intendance du commandement militaire se fit, à partir de juin 1940, rendre compte mensuellement des dépenses autres que celles destinées à l’occupation, mais qui étaient payées sur le compte des frais d’occupation et des transports au clearing. Grâce à cela, des sommes importantes purent être récupérées et reconduites au compte des frais d’occupation. »

Il y a lieu, avant de terminer l’examen de ce point consacré au tribut de guerre (à ce tribut des indemnités d’occupation), de signaler que les Allemands avaient déjà exigé par ordonnance du 17 décembre 1940, déposée sous la cote RF-150, que les frais de cantonnement de leurs troupes soient mis à la charge de la Belgique. De ce fait, le pays a dû supporter des dépenses s’élevant à 5.900.000.000 de francs pour le logement des troupes allemandes, frais d’installation, fournitures et mobilier.

Dans son rapport, Wetter, à la page 104 (fragment déposé sous la cote RF-147), indique que, fin juin 1944, les versements belges relatifs au logement des troupes s’élevaient à 5.423.000.000 de francs belges.

3° Clearing

Et nous en venons au troisième élément de la mainmise allemande, le clearing.

L’émission des billets de la RKK et le tribut de guerre, dit « indemnité d’occupation », n’étaient pas suffisants pour l’Allemagne. Ses dirigeants instituèrent un système de clearing qui leur a permis de se procurer indûment des moyens de paiement s’élevant à 62.200.000.000 de francs belges.

Dès leur arrivée en Belgique, par les ordonnances des 10 juillet, 2 août et 5 décembre 1940, qui sont portées au livre de documents sous les cotes RF-151, RF-152 et RF-153, les Allemands imposèrent :

a) Que tous les paiements de débiteurs domiciliés en Belgique à des créanciers domiciliés en Allemagne devraient être effectués à un compte « Deutsche Verrechnungskasse, Berlin », compte ouvert dans les livres de la Banque nationale de Belgique à Bruxelles, compte tenu en belgas, nonobstant l’interdiction concernant les devises du 17 juin 1940, interdiction à laquelle il a été fait allusion en ce qui concerne le blocage des moyens de paiement dans le pays.

Par décision du 4 août 1940, il fut en outre prescrit que l’exécution et la conduite du compte de clearing incomberait désormais, non plus à la Banque nationale de Belgique, mais à la banque d’émission à Bruxelles, qui, comme j’ai déjà eu l’honneur de l’indiquer, venait d’être créée par l’occupant et était sous son contrôle absolu.

b) Les Allemands imposèrent, en second lieu, que les débiteurs domiciliés dans le Reich devraient effectuer leurs paiements à leurs créanciers belges, par le moyen du compte ouvert à la banque d’émission de Bruxelles, à un taux de change fixe : 100 belgas pour 40 mark, soit un mark pour 12, 50 francs belges.

Ces dispositions, d’ailleurs, furent étendues aux pays occupés par l’Allemagne et ce, pour favoriser leurs opérations dans ces pays ; elles furent même étendues à certains États neutres, par diverses décisions analogues parues au recueil d’ordonnances.

La mission de la banque d’émission à Bruxelles consistait donc d’une part, à recevoir les paiements de toute personne ou organisme établis en Belgique qui avaient des engagements envers l’étranger et, d’autre part, à régler les personnes ou organismes établis en Belgique envers qui l’étranger avait des engagements.

En d’autres termes, chaque fois qu’un exportateur livrait des marchandises à un importateur d’un pays membre du clearing, c’était la banque d’émission qui lui réglait sa facture et qui inscrivait en contre-partie, dans sa comptabilité, une créance équivalente sur la « Deutsche Verrechnungskasse » à Berlin. (Caisse de compensation allemande à Berlin.) En cas d’importation, l’opération inverse avait lieu.

Mais, en fait, sous la direction allemande, le système fonctionna au détriment de la collectivité belge, qui au moment de la libération, était créditrice en clearing, de 62.665.000.000 de francs belges.

C’est la Banque nationale de Belgique qui avait été amenée à faire des avances à la banque d’émission, pour équilibrer le compte de la Caisse de compensation allemande.

Un grand nombre d’opérations faites par la voie du clearing n’avaient aucun caractère commercial, mais étaient purement et simplement des dépenses militaires et politiques.

D’après les renseignements émanant du Gouvernement belge, les opérations de clearing peuvent être résumées de la façon suivante (et je tire les éléments du rapport du Gouvernement belge précité, déposé sous le n° RF-146) :

Sur l’ensemble des mouvements, 93 % correspondaient aux opérations de compensation belgo-allemandes (pour les marchandises 93 %, pour les services 91 %).

Si l’on envisage la part prise respectivement par les marchandises, les services ou les capitaux, on obtient, par solde, des tableaux assez éloquents ; l’ensemble des clearings de la Belgique avec les pays étrangers atteignait au 2 septembre 1944 le montant de 61.636.000.000 de francs belges dont 57.298.000.000 pour les opérations Belgique-Allemagne, 4.000.000.000 seulement pour la France, 1.000.000.000 pour les Pays-Bas, et 929.000.000 pour les autres pays.

C’est uniquement dans le secteur des marchandises et des services que le déséquilibre se manifesta, déséquilibre dû en grande partie aux réquisitions de biens et de services faits par l’Allemagne pour son propre compte. On sait que les prétendues exportations ont affecté spécialement les métaux, les ouvrages en métaux, les machines, les produits de l’industrie textile dont les neuf dixièmes ont été accaparés par le Reich, qui s’est de ce fait même rendu coupable de véritables spoliations.

En ce qui concerne les transferts de capitaux, ils connurent, dans les premiers temps de l’occupation, une intensité particulière. Il s’agissait de réalisations forcées de participations belges à l’étranger, ainsi que de la cession obligatoire à des groupes allemands d’avoirs belges bloqués en Allemagne.

Aucune compensation effective ne fut accordée en échange.

Les transferts, au titre de services, se rapportent principalement aux paiements effectués pour l’emploi de la main-d’œuvre belge à l’étranger.

Le solde créditeur des services, au 2 septembre 1944, ressort de la façon suivante en millions de francs belges :

Ensemble des clearings au titre des services : 20.016.000.000, soit pour les paiements de main-d’œuvre 73 % du total.

Pour la seule Allemagne, 18.227.000.000, soit 72% du total, la France n’intervenant que pour 1.621.000.000 de francs belges, donc pour une infime partie.

Non contents de réquisitionner la main-d’œuvre pour le travail obligatoire en Allemagne ou dans les territoires occupés, les Allemands imposèrent à la Belgique d’en supporter la charge financière et l’imposèrent, soit par liquidation en clearing des épargnes transférées, soit par l’envoi de billets belges au Reichsbankdirektorium, à Berlin, pour le paiement des ouvriers en monnaie nationale.

LE PRÉSIDENT

Croyez-vous qu’il soit nécessaire d’entrer dans ces opérations de clearing une fois de plus ? Dans tous les pays différents que nous avons traités jusqu’à présent, on a parlé de ces mêmes opérations de clearing qui ont eu lieu, et peut-être n’est-il pas nécessaire de recommencer.

M. DELPECH

Bien, Votre Honneur. En tout cas, les Allemands ont reconnu le fait et les chiffres extraits du rapport précité viennent appuyer les conclusions de notre exposé.

Avant de terminer ce chapitre relatif à la mainmise allemande sur les moyens de paiement, il convient de signaler au Tribunal que, par ordonnance en date du 22 juillet 1940, les Allemands avaient fixé la valeur du franc belge à 8 Reichspfennig, soit 12 fr. 50 pour un mark ; et dans son rapport précité, Wetter écrit à ce sujet, aux pages 37 et 38, un passage que je demande au Tribunal l’autorisation de lui lire, passage rapporté au livre de documents sous le n° RF-158 :

« Le maintien, de facto, de la parité d’avant-guerre avait également une importance politique notoire, parce que de larges cercles de la population auraient eu l’impression qu’une forte dévaluation ou qu’une nouvelle modification de la parité était une manœuvre de pillage. »

On doit faire l’observation suivante, relativement à cette conception : les occupants n’avaient pas besoin, en Belgique, de décréter, pour favoriser leur entreprise de pillage économique, que le franc belge aurait une valeur moindre, puisque en fait, et contrairement à ce qui s’est passé en France, ils avaient au moment de leur entrée en Belgique, institué de nouveaux signes monétaires dont ils possédaient le contrôle.

Enfin, nous signalons pour mémoire que l’Allemagne s’était fait remettre par le Gouvernement de Vichy 221.730 kilogrammes d’or d’une valeur en 1939 de.9.500.000.000 de francs, mais la France ayant restitué cet or à la Banque de Belgique, cette question sera traitée avec le pillage économique de la France.

4° Récapitulation

Pour récapituler, Messieurs, les moyens de paiement accaparés par l’Armée d’occupation, quelques chiffres :

Billets de la Reichskreditkasse 3.567.000.000 de francs belges.

Billets divers et comptes dans les livres de la Reichskreditkasse 656.000.000

Tribut de guerre sous le prétexte d’indemnité d’occupation 67.000.000.000

Auxquels il convient d’ajouter :

Le solde créditeur du clearing 62.665.000.000

Soit, au total 133.888.000.000 de francs belges.

Les Allemands ont donc accaparé, au minimum, plus de 130.000.000.000 de francs belges, dont ils se sont servis pour effectuer des achats en apparence réguliers, pour régler leurs réquisitions, pour effectuer des achats clandestins au marché noir.

Ces prétendus achats et réquisitions feront l’objet des chapitres suivants :

Chapitre II. Achats clandestins, marché noir.

Achats clandestins, marché noir.

Comme dans les autres pays occupés, les Allemands ont organisé le marché noir en Belgique dès le mois d’octobre 1941.

Un rapport secret sur le marché noir, intitulé « Rapport final de l’Office de Surveillance du Commandant militaire en Belgique et dans le nord de la France sur le drainage légalisé du « marché noir » en Belgique et dans le nord de la France », rapport fait pour la période du 13 mars 1942 au 31 mai 1943, figure au livre de documents sous la cote RF-159.

Les raisons données par les Allemands de cette organisation de marché noir sont au nombre de trois :

1° Freiner la concurrence sur le marché noir entre les divers acheteurs allemands ;

2° Utiliser au mieux les ressources belges pour les fins de l’économie de guerre allemande ;

3° Empêcher la pression exercée sur le niveau général des prix et par là, s’opposer à tous dangers d’inflation qui finirait par mettre en péril la monnaie allemande elle-même.

Le même rapport nous apprend, page 3 et suivantes, qu’une véritable organisation administrative fut montée par les Allemands pour la mise en exécution de cette politique.

La comptabilité fut assurée par la Caisse de compensation de la Wehrmacht, qui centralisait dans ses livres toutes les opérations.

La direction des achats fut assurée par un organisme central, dont le nom même changea au cours des années, et qui avait un certain nombre d’organisations sous sa dépendance, notamment toute une série de bureaux d’achat.

Cet organisme central fut créé en application de l’ordonnance du Commandant militaire en Belgique du 20 février 1942. Il fut créé le 13 mars suivant et, dès sa fondation, il reçut les directives particulières du délégué du maréchal d’Empire, l’accusé Göring ; ce délégué fut le lieutenant-colonel Veltjens, dont on vous a parlé ce matin.

Ledit organisme n’a été établi que pour coordonner l’action de légalisation et de direction du marché noir, telle qu’elle avait été décidée et prévue à la suite de conférences entre l’Intendant général et le Commandant militaire de Belgique d’une part, et le Commandant de l’inspection d’armement d’autre part. Aux termes de cette entente, qu’était venue appuyer une déclaration en date du 16 février 1942, émanant du ministre de l’Économie du Reich, le but était de continuer à épuiser le marché noir suivant des directives unitaires, dans une forme légale, et selon une idée directrice qui tienne compte des précautions nécessaires pour assurer le ravitaillement du Reich. Cet organisme avait son siège à Bruxelles ; les achats eux-mêmes étaient assurés par un certain nombre de bureaux spécialisés dont la liste est fournie à la page 5 du rapport précité.

Ces organismes recevaient leurs ordres de la « Rohstoffhandelsgesellschaft » dont il a été parlé déjà au début de l’exposé sur le pillage économique de l’Europe occidentale.

Ce rôle de la Roges était fort important dans l’organisation du marché noir. Ce rôle, en effet, était quadruple :

1° Les directives d’achat, une fois l’autorisation accordée par l’office central de Bruxelles, étaient communiquées par elle aux bureaux d’achat selon leur spécialité ;

2° Les livraisons de marchandises achetées à destination du Reich étaient faites à la Roges qui en assurait la distribution en Allemagne ;

3° C’est la Roges qui assurait le financement des opérations.

4° C’est elle enfin qui était chargée de payer la différence entre le cours d’achat, en général très élevé, parce que au cours du marché noir, et le cours taxé de vente sur le marché intérieur allemand, cours définitif de vente. La différence était couverte grâce à un fond d’égalisation alimenté par le compte : frais d’occupation, sur lequel le ministère des Finances du Reich mettait des crédits à la disposition de la Roges par le canal du ministère de l’Armement.

Le rapport précité fournit toute une série de précisions sur le fonctionnement même de l’organisme central. Il est intéressant de relever que l’Office central de Bruxelles fut avisé par ordonnance du Commandant militaire en Belgique, en date du 3 novembre 1942, d’avoir à créer pour le nord de la France une annexe à Lille. En même temps, l’Office de Bruxelles était autorisé à donner des instructions à sa filiale de Lille. Au livre de documents, sous la cote RF-160, figure un rapport final de l’Office de Lille. Ce rapport, établi le 20 mai 1943, fournit une série de précisions intéressantes sur le fonctionnement de cet organisme.

LE PRÉSIDENT

Il est 5 heures maintenant. Le Tribunal désirerait, si cela vous est possible, que vous supprimiez certaines parties de ce dossier qui se rapportent aux mêmes principes qui nous ont déjà été soumis en relation avec les autres pays ; ce serait beaucoup plus pratique pour le Tribunal.

Naturellement, s’il se trouve des différences essentielles en ce qui concerne la Belgique, vous pourriez attirer, sans aucun doute, notre attention sur ces dernières.

M. DELPECH

Certainement, Monsieur le Président.

(L’audience sera reprise le 22 janvier 1946 à 10 heures.)