QUARANTE ET UNIÈME
JOURNÉE.
Mercredi 23 janvier 1946.
Audience du matin.
Plaise au Tribunal. C’est à moi que reviennent la responsabilité et le privilège d’exposer aujourd’hui le cas de l’accusé Hans Fritzsche dont la responsabilité individuelle est engagée dans des crimes contre la Paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité, en relation directe avec le plan concerté ou complot.
Avec la permission du Tribunal, cet exposé comprendra trois parties principales :
Premièrement, une brève énumération des différents postes occupés par l’accusé Fritzsche dans l’État nazi. Deuxièmement, un examen de l’activité de Fritzsche dans le complot durant son séjour au ministère de la Propagande, de 1933 jusqu’à l’attaque contre l’Union Soviétique. Troisièmement, un examen du rôle de Fritzsche, agent de la propagande nazie, dans les atrocités et dans la cruelle politique d’occupation qui forment une partie du plan concerté ou complot.
En énumérant les postes occupés par Fritzsche, nous n’avons pas l’intention de définir dès maintenant les attributions qu’ils comportaient. Plus tard, en citant certains actes accomplis par Fritzsche dans la conspiration, j’examinerai quelques-unes de ces attributions.
L’appartenance de Fritzsche au Parti, ainsi que ses différents postes dans la machine de propagande de l’État nazi, sont établis par deux de ses propres dépositions sous serment : ce sont les documents PS-2976, déjà déposé sous le numéro USA-20, et PS-3469 que je dépose sous la cote USA-721. Ces deux affidavits sont rédigés dans les quatre langues utilisées par ce Tribunal.
Fritzsche devint membre du parti nazi le 1er mai 1933 et le demeura jusqu’à la débâcle de 1945. Fritzsche commença à servir dans les bureaux du « ministère de l’Information et de la Propagande du Reich » — que nous appellerons désormais : « ministère de la Propagande » — dès le 1er mai 1933 et il y resta jusqu’à l’effondrement nazi.
Avant la prise du pouvoir politique en Allemagne par les nazis dès septembre 1932, Fritzsche fut à la tête du service des Informations radiophoniques (Drahtloser Dienst), office du Gouvernement du Reich que présidait à cette époque von Papen. Lorsque le service des informations radiophoniques fut incorporé au ministère de la Propagande du Dr Goebbels en mai 1933, Fritzsche continua à le diriger jusqu’en 1938. Lors de son entrée au ministère de la Propagande, en mai 1933, Fritzsche devint également chef de la Section des informations du département de la presse du ministère de la Propagande. Il occupa ce poste jusqu’en 1937. Au cours de l’été 1938, Fritzsche fut nommé adjoint d’un certain Alfred Ingemar Berndt, qui était alors chef du département de la presse allemande.
Dans l’Acte d’accusation, le Service de la presse allemande est appelé « Service de la presse métropolitaine ». « Service de la presse allemande » semble être une traduction plus littérale ; aussi emploierons-nous cette expression au cours de cet exposé. Mais il est parfois également appelé Service de la presse intérieure. Nous montrerons par la suite que ce service était la principale section du service de la presse du cabinet du Reich.
En décembre 1938, Fritzsche succéda à Berndt la tête du service de la presse allemande. Entre 1938 et novembre 1942, il reçut par trois fois de l’avancement. De conseiller supérieur du Gouvernement, il fut nommé conseiller ministériel, puis « Ministerialdirigent » et finalement « Ministerialdirektor ».
En novembre 1942, Fritzsche fut relevé de son poste de chef du Service de la presse allemande par le Dr Goebbels, duquel il accepta un poste nouvellement créé dans le ministère de la Propagande, celui de délégué à l’organisation politique de la radio de la Grande Allemagne. Il devint en même temps chef de la division de la radio au ministère de la Propagande. Il occupa ces deux postes dans la radio jusqu’à la chute des nazis.
L’Acte d’accusation contient au sujet des postes occupés par Fritzsche deux allégations dont nous sommes incapables d’apporter la preuve. Ces allégations sont à la page 34 de la traduction anglaise.
La première est que Fritzsche était directeur de l’agence de presse officielle allemande « Deutsches Nachrichtenbüro ». La seconde allégation sans preuve à l’appui le prétend « chef de la division de la radio au département de la propagande du parti nazi ». Fritzsche, dans sa déclaration sous serment, nie avoir occupé l’un et l’autre de ces postes, en conséquence ces deux allégations seront écartées faute de preuves à l’appui.
Avant d’aborder la présentation des documents relatifs à cet accusé, je désire exprimer ma reconnaissance à MM. Norbert Heilpern, Alfred Booth, ainsi qu’au lieutenant Niebergall, qui se tient actuellement à ma droite, pour leur aide dans les travaux de recherche, d’analyse et de traduction.
Le Tribunal remarquera la brièveté relative de ce livre de documents. Il porte la mention « Livre de documents MM ». Il ne comprend que 32 pages, numérotées pour plus de commodité au crayon rouge. Cette brève documentation relative à cet accusé est néanmoins suffisante grâce au long affidavit rédigé par Fritzsche et signé par lui le 7 janvier 1946.
Il semble opportun de commenter cet important témoignage avant les autres. Il vous est présenté sous le numéro PS-3469, et commence à la page 19 du livre de documents. Comme je l’ai déjà dit, il a été traduit dans les quatre langues utilisées au cours de ces débats.
Cet affidavit contient des éléments extraits de divers interrogatoires de Fritzsche et de l’énoncé par Fritzsche lui-même de nombreux faits volontairement donnés à la suite de la demande que je lui ai faite par l’intermédiaire de son avocat, le Dr Fritz. Certaines parties de cet affidavit définitif ont été tout d’abord dactylographiées ou écrites à la main par l’accusé en personne, soit au cours de ce procès, soit durant la vacation du Tribunal. Tous ces éléments furent finalement groupés pour ne former qu’un seul affidavit.
Cette déposition contient le compte rendu par Fritzsche des événements qui l’amenèrent à entrer dans le ministère de la Propagande et le compte rendu de ses rapports ultérieurs avec ce ministère. Avant que Fritzsche ne fît dans son affidavit des déclarations sur le rôle de la propagande dans d’importants événements de politique étrangère, on lui a soumis des manchettes et des articles de journaux parus à l’époque dans la presse allemande, afin qu’il puisse rafraîchir ses souvenirs et faire des déclarations plus précises.
Je pense que le Tribunal désirera examiner de nombreux passages de cet affidavit en marge de notre exposé, en même temps que les preuves relatives à l’emploi par les conspirateurs de la propagande comme arme essentielle du complot. Certaines de ces preuves, vous vous en souvenez, Messieurs, ont déjà été présentées par le commandant Wallis, au cours des premières audiences de ce Procès, à propos du dossier E, intitulé : « Propagande, censure et surveillance des activités culturelles » et au livre de documents qui s’y rapporte, sur lequel j’attire l’attention du Tribunal.
Dans l’affidavit de Fritzsche, il y a quantité de déclarations que je qualifierai en quelque sorte de déclarations à décharge. À ce propos, le Ministère Public demande simplement que le Tribunal les examine en tenant compte des lumières que l’ensemble du dossier apporte sur tout le complot et des faits indiscutables qu’il révèle. Le Ministère Public n’a pas jugé bon, pour des raisons de commodité et d’équité, de demander à Fritzsche, par l’intermédiaire de son avocat, le Dr Fritz, de retirer à ce moment-là certaines de ces déclarations d’auto-justification pour ne les présenter que plus tard au cours de sa défense.
Étant donné qu’au cours de cet exposé, je me référerai à plusieurs reprises à cet affidavit, les membres du Tribunal auront sans doute intérêt à placer un signet dans leur livre de documents.
En se reportant aux paragraphes 4 et 5 de cette déposition, le Tribunal remarquera que Fritzsche fut tout d’abord un brillant journaliste travaillant au service de la presse de Hugenberg, la plus importante organisation de journaux de l’Allemagne prénazie. Le groupe Hugenberg possédait des journaux à lui, mais le fait primordial est qu’il s’occupait de journaux qui donnaient leur appui principalement aux partis dénommés « nationaux » allemands, y compris la NSDAP.
Dans le paragraphe 5 de cette déposition, Fritzsche raconte qu’en septembre 1932, alors que l’accusé von Papen était Chancelier du Reich, il fut nommé chef de l’information radiophonique à la place d’un homme jugé politiquement indésirable par le régime Papen. Le Service de l’information radiophonique était, si l’on peut s’exprimer ainsi, un office gouvernemental pour la diffusion d’informations par radio.
C’est à peu près à cette époque que Fritzsche commença à donner des émissions à la radio avec un très grand succès, succès que Goebbels connut et devait exploiter par la suite de façon très efficace pour le compte des conspirateurs nazis.
Les nazis prirent le pouvoir le 30 janvier 1933. Dans le paragraphe 10 de l’affidavit de Fritzsche, nous voyons que le soir même de ce 30 janvier 1933, deux émissaires de Goebbels lui rendirent visite. L’un d’eux était Dressler-Andress, chef de la division de la radio de la NSDAP, l’autre était un collaborateur de Dressler-Andress du nom de Sadila-Mantau. Ces deux émissaires révélèrent à Fritzsche que, bien que Goebbels ait été furieux contre lui à cause d’un de ses articles critiquant Hitler, il reconnaissait cependant son succès à la radio depuis l’automne précédent. Ils lui déclarèrent ensuite que Goebbels désirait conserver Fritzsche à la tête du service de l’information radiophonique sous certaines conditions : 1° Qu’il renverrait tous les Juifs ; 2° Qu’il renverrait tous les membres du personnel qui refuseraient d’adhérer à la NSDAP ; et 3° : Qu’il emploierait au service des émissions radiophoniques le second émissaire de Goebbels, Sadila-Mantau.
Fritzsche refusa toutes ces conditions à l’exception de l’emploi de Sadila-Mantau. Ce fut ouvertement un des premiers compromis après la prise du pouvoir qui fit passer Fritzsche dans le camp nazi.
Fritzsche continua à faire des émissions radiophoniques pendant cette période, au cours de laquelle il soutint le Gouvernement de coalition national-socialiste qui existait encore.
Au début de 1933, des détachements de SA rendirent à diverses reprises visite au service de l’information radiophonique et Fritzsche eut quelques difficultés à les empêcher de faire des émissions d’informations.
En avril 1933, Goebbels convoqua le jeune Fritzsche en audience privée. Au paragraphe 9 de son affidavit (document PS-3469), Fritzsche a bien voulu déclarer ce qui suit sur ses relations antérieures avec le Dr Goebbels :
« Je connaissais le Dr Goebbels depuis 1928. Apparemment il m’avait pris en amitié, en dehors du fait que dans ma carrière de journaliste jusqu’en 1931, j’ai toujours eu des sympathies pour le national-socialisme.
« Dès avant 1933, Goebbels, qui était rédacteur en chef du journal nazi Der Angriff (L’attaque) avait à plusieurs reprises fait des remarques flatteuses sur la forme et le contenu des articles que je faisais en tant que collaborateur de plusieurs journaux et périodiques « nationaux », dont certains de nuance réactionnaire. »
Au cours de la première entrevue Goebbels-Fritzsche au début d’avril 1933, Goebbels informa Fritzsche de sa décision de placer le service de l’information radiophonique sous la coupe du ministère de la Propagande. À dater du 1er mai 1933, il lui suggéra d’effectuer quelques modifications dans la composition du personnel en éliminant les Juifs et tous ceux qui n’étaient pas partisans de la NSDAP. Fritzsche discuta avec Goebbels au sujet de certaines de ces mesures. Il faut dire qu’à cette époque, Fritzsche fit quelques tentatives pour donner aux Juifs d’autres situations.
Au cours d’un second entretien qui eut lieu peu de temps après, Fritzsche informa Goebbels des mesures qu’il avait prises pour réorganiser le service de l’information radiophonique. Là-dessus, Goebbels fit savoir à Fritzsche qu’il aimerait le voir réorganiser et moderniser l’ensemble des services d’information d’Allemagne sous le contrôle du ministère de la Propagande.
Le Tribunal se souvient que le 17 mars 1933, à peu près deux mois auparavant, le ministère de la Propagande avait été créé par un décret figurant au Reichsgesetzblatt de 1933, partie I, page 104 et qui constitue notre document PS-2029.
Fritzsche fut intéressé par l’offre de Goebbels. Il entreprit la réorganisation du service de l’information radiophonique inspirée par Goebbels, et, le 1er mai 1933, avec les membres de son personnel qui étaient restés, il passa au ministère de la Propagande. Ce même jour, il donna son adhésion à la NSDAP et prêta l’habituel serment de loyauté inconditionnelle à l’égard du Führer. À partir de cette date, quelques réserves que Fritzsche ait pu faire, soit alors, soit plus tard, sur le cours des événements voulus par les nazis, il fut entièrement dans leur camp. Au cours des treize années qui suivirent, il contribua à la création et à l’utilisation des principaux systèmes de propagande que les conspirateurs employèrent avec un si remarquable succès dans toutes les principales phases du complot.
De 1933 jusqu’en 1942, Fritzsche occupa un ou plusieurs postes dans le Service de la presse allemande. Pendant quatre années, il détint la direction effective de ce service au cours de ces années cruciales de 1938 à 1942, qui virent les nazis entreprendre l’invasion par les armes des pays avoisinants. Aussi croyons-nous opportun de donner devant ce Tribunal quelques détails sur les fonctions du service de la presse allemande. L’on verra ainsi le rôle considérable et unique joué par ce service comme instrument des conspirateurs nazis, non seulement par l’emprise qu’exerçaient la presse et la radio sur les esprits et la mentalité des Allemands, mais aussi comme instrument de politique étrangère et de guerre psychologique contre les autres nations.
La compétence du ministère de la Propagande, qui était déjà très vaste, fut encore élargie par un décret de Hitler en date du 30 juin 1933, que vous trouverez dans le Reichsgesetzblatt 1933, partie I, page 449. Je ne désire citer qu’une phrase de ce décret, document PS-2030, page 3 du livre de documents :
« Le ministre de l’Information publique et de la Propagande du Reich est compétent sur tous les problèmes relatifs à la formation spirituelle de la nation, l’enrôlement pour l’État, la culture et l’économie et l’information publique à l’intérieur et à l’extérieur du pays. En outre, il est chargé de l’administration de toutes les institutions qui servent ces buts. »
II est important de souligner le but avéré de propagande de « l’information publique à l’intérieur et à l’extérieur du pays ».
Pour avoir un aperçu suffisamment clair des fonctions principales du service de la presse allemande du ministère de la Propagande, le Tribunal est prié de se reporter au document PS-2434 (USA-722), à la page 5 du livre de documents. C’est un extrait pertinent d’un livre de Georg Wilhelm Müller, Ministerialdirektor au ministère de la Propagande ; nous demandons au Tribunal de lui accorder valeur probatoire.
L’affidavit de Fritzsche contient, aux paragraphes 14, 15 et 16, commençant à la page 22 du livre de documents, un exposé des fonctions du Service de la presse allemande, dont la description confirme et complète l’exposé du livre de Müller. Au sujet de ce service de la presse allemande, l’affidavit de Fritzsche déclare :
« Durant toute la période comprise entre 1933 et 1945, le Service de la presse allemande eut pour mission de superviser toute la presse du pays et de lui fournir des directives ; il devint ainsi un instrument efficace entre les mains des dirigeants de l’État allemand. Plus de 2.300 quotidiens allemands furent soumis à son contrôle.
« Le but de cette supervision et de ce contrôle, dans les années qui suivirent immédiatement 1933, fut de changer radicalement les conditions qui existaient dans la presse avant la prise du pouvoir. Cela signifiait l’adhésion à l’ordre nouveau de ces journaux et périodiques qui avaient jusque là été au service d’intérêts capitalistes privés ou de la politique d’un parti. Tandis que les fonctions administratives étaient remplies, autant que possible, par des associations professionnelles et par la chambre de la presse du Reich, la direction politique de la presse allemande fut confiée au service de la presse allemande.
« Le chef du service de la presse allemande tenait journellement des conférences de presse au ministère à l’intention des représentants de tous les journaux allemands. Là, ces représentants de la presse recevaient toutes les instructions du Quartier Général transmises quotidiennement, à peu d’exceptions près, et la plupart du temps par téléphone par le Dr Otto Dietrich, chef de la presse du Reich, sous la forme d’un texte immuable que l’on appelait :
« le mot d’ordre quotidien du chef de la presse du Reich ». Avant d’arrêter ce texte, le chef du service de la presse allemande communiquait à Dietrich les désirs exprimés par le Dr Goebbels et les autres ministres relativement à la presse. C’était en particulier le cas des désirs du ministère des Affaires étrangères au sujet desquels le Dr Dietrich tenait à ce que les décisions soient toujours prises par lui ou par ses représentants au Quartier Général, Helmut Sündermann et le rédacteur en chef Lorenz.
« L’interprétation pratique des directives était donc, pour les détails, entièrement laissée à l’appréciation de chaque rédacteur en chef. Par conséquent, il est tout à fait inexact d’affirmer que les journaux et périodiques étaient le monopole du service de la presse allemande et que les articles et éditoriaux devaient être soumis au ministère. Même durant la guerre, cela ne se produisit que dans des cas exceptionnels. Les journaux et périodiques de moindre importance, qui n’étaient pas représentés aux conférences journalières de presse, recevaient leurs informations d’une façon différente : soit en se procurant des articles et des communiqués tout faits, soit par des directives confidentielles imprimées. Les publications de toutes les autres agences officielles étaient dirigées et coordonnées de la même façon par le Service, de la presse allemande.
« Pour permettre aux périodiques de se familiariser avec les problèmes politiques traités au jour le jour par les journaux et de les étudier à fond, la correspondance d’information (Informations-korrespondenz) fut spécialement éditée à leur intention. Plus tard, cette publication fut assurée par le Service de la presse périodique. Le service de la presse allemande s’occupait également du reportage photographique en répartissant le travail des reporters photographiques lors des événements importants.
« De cette façon et puisque la situation politique du moment l’exigeait, l’ensemble la presse allemande fut, grâce au service de la presse allemande, transformée en un instrument permanent du ministère de la Propagande. Ainsi, la presse allemande tout entière était subordonnée aux buts politiques du Gouvernement. Cela fut manifeste dans certaines polémiques de presse faites au moment opportun et avec une présentation particulière, pour avoir le maximum d’efficacité, comme nous le montre l’énumération des sujets suivants : La lutte des classes à l’époque du « système » de Weimar ; Le principe du chef (Führerprinzip) et l’État autoritaire ;
Le Parti et les intérêts politiques à l’époque du « système » de Weimar ; Le problème juif ; La conspiration de la juiverie mondiale ; Le danger bolchevique ; La démocratie ploutocratique à l’étranger ; Le problème racial en général ; L’Église ; La misère économique à l’étranger ; La politique étrangère ; L’espace vital (Lebensraum) ».
Cette description faite par Fritzsche établit clairement que — pour employer ses propres termes — le service de la presse allemande était l’instrument qui servait à subordonner la presse allemande tout entière aux buts politiques du Gouvernement.
Passons maintenant aux premières activités de Fritzsche pour le compte des conspirateurs au service de la presse allemande. Il convient de relire un passage de sa déposition, paragraphe 17, page 23 du livre de documents. Fritzsche commence par décrire une entrevue qu’il eut avec Goebbels fin avril ou début mai 1933 :
« À cette époque, le Dr Goebbels me proposa, en ma qualité de spécialiste de la technique journalistique, de fonder et de diriger une section « Informations » à l’intérieur du département de la presse de son ministère, afin de réorganiser à fond et de moderniser les agences de presse allemandes. Dans l’accomplissement de la besogne qui me fut fixée par le Dr Goebbels, mon champ d’activité s’étendit à la totalité des services d’information de la presse et de la radio allemande, conformément aux directives du ministère de la Propagande à l’exception tout d’abord du DNB. » (Agence allemande d’information.)
La raison évidente pour laquelle le DNB fut exclu du champ des activités de Fritzsche à cette époque est que cette agence ne devait exister qu’en 1934, comme nous le verrons plus tard. Plus loin, au paragraphe 17 de l’affidavit de Fritzsche, le Tribunal remarquera les moyens financiers prodigieux mis à la disposition de Fritzsche pour la création de nouveaux services nazis d’information. Le budget total consenti par le Gouvernement aux agences allemandes d’information fut augmenté dix fois puisqu’il passa de 400.000 à 4.000.000 de mark. Fritzsche choisit lui-même et fit travailler sous ses ordres le directeur de l’agence d’information « Transocéan » ainsi que celui de l « Europa Presse ». Il déclare que quelques-unes des « directives du ministère de la Propagande que je devais suivre étaient... » Je saute ici un passage « ... augmentation à tout prix des reproductions des informations allemandes à l’étranger... » J’en passe encore un autre « ... diffusion de nouvelles favorables sur la structure interne et sur les intentions pacifiques du régime national-socialiste ».
Vers l’été 1934, l’accusé Funk, qui était alors chef de la presse du Reich, réalisa la fusion des deux plus importantes agences de presse intérieures, l’Agence télégraphique Wolff et l’Union Télégraphique, constituant ainsi l’agence officielle d’informations allemandes (Deutsches Nachrichtenbüro) ordinairement connue par ses initiales DNB. On a déjà fait remarquer au Tribunal que l’Acte d’accusation contient une erreur : il y est prétendu que Fritzsche lui-même était directeur du DNB. Or Fritzsche n’occupa jamais aucun poste dans le DNB. Cependant, en sa qualité de chef de la Section des informations du service de la presse allemande, le DNB qui, à partir de 1934, devint l’agence officielle d’information intérieure du Reich était officiellement du domaine de sa compétence. Dans la dernière partie du paragraphe 17 de sa déposition sous serment, Fritzsche déclare qu’il coordonna le travail des diverses agences d’informations extérieures « dans le pays et avec les agences étrangères d’Europe et d’outre-mer les unes avec les autres et en relation avec le DNB. »
Le Service des informations radiophoniques fut dirigé par Fritzsche de 1932 à 1937. Après janvier 1933, ce service devint l’instrument officiel du Gouvernement nazi pour répandre des informations par radio. Durant l’époque où il resta à la tête de ce service, Fritzsche adressa personnellement des messages radio-phoniques au peuple allemand. Ces émissions étaient naturellement soumises au contrôle du ministère de la Propagande et reflétaient les intentions de ce ministère. L’influence qu’elles eurent sur le peuple allemand pendant la période au cours de laquelle les conspirateurs nazis affermirent leur pouvoir est d’autant plus importante que Fritzsche était en même temps à la tête du Service des informations radiophoniques qui contrôlait, pour le Gouvernement, la diffusion de toutes les informations radiophoniques.
Le monde entier sait maintenant que les conspirateurs nazis essayèrent d’être et furent souvent très habiles dans la conduite de la guerre psychologique. Avant chaque agression importante, à part quelques exceptions motivées par des raisons d’opportunité, ils déclenchaient une campagne de presse ayant pour but d’affaiblir leurs victimes et de préparer psychologiquement le peuple allemand à l’acte de folie que préparaient les nazis. Après leurs premières conquêtes, ils utilisèrent la presse comme un moyen d’agir à l’avance sur les politiques étrangères et de manœuvrer en vue de l’agression suivante.
Au moment de l’occupation du territoire des Sudètes, le 1er octobre 1938, Fritzsche était devenu chef adjoint de tout le service de la presse allemande. Il déclare que la propagande allemande, avant l’accord de Munich relatif au territoire des Sudètes, était dirigée par son chef immédiat, Berndt, qui était alors chef du service de la presse allemande. Au paragraphe 27 de sa déposition, page 26 de votre livre de documents, Fritzsche parle de cette propagande dirigée par Berndt, sur le compte duquel il s’exprime ainsi :
« II exagérait fortement l’importance de faits secondaires, utilisant parfois d’anciens événements comme s’ils étaient nouveaux, si bien que l’on reçut du territoire même des Sudètes des plaintes au sujet de la non-véracité des nouvelles données par la presse allemande. Effectivement, après le grand succès de politique étrangère remporté en septembre 1938 à Munich, il se produisit une appréciable crise de confiance de la part du peuple allemand sur le crédit à accorder à sa presse. Ce fut l’une des raisons du renvoi de Berndt en décembre 1938, après la liquidation de l’affaire des Sudètes et de ma nomination à la tête du service de la presse allemande. D’ailleurs Berndt, avec ses ordres à la presse d’une efficacité indéniable, mais d’un caractère grossièrement militaire, avait perdu la confiance des rédacteurs en chef allemands. »
Qu’arriva-t-il alors ? Fritzsche devint chef du service de la presse allemande en remplacement de Berndt. De décembre 1938 à 1942, Fritzsche, en cette qualité, adressa personnellement aux représentants des principaux journaux allemands « le mot d’ordre quotidien du chef de la presse du Reich ». Durant cette période historique, il fut le principal conspirateur directement intéressé dans les manigances de la presse. La première agression importante contre l’étranger, après que Fritzsche fut devenu chef du service de la presse allemande, fut l’incorporation de la Bohême et de la Moravie. Au paragraphe 28 de sa déposition sous serment, page 26 de votre livre de documents, Fritzsche rapporte ainsi la propagande faite au sujet de cette incorporation :
« La campagne menée pour l’incorporation de la Bohême et de la Moravie, qui eut lieu le 15 mars 1939 alors que j’étais chef du service de la presse allemande, n’avait pas été préparée de si longue date que celle qui avait été faite pour les Sudètes. Si j’ai bonne mémoire, ce fut en février que je reçus l’ordre du Dr Dietrich, chef de la presse du Reich et les demandes répétées de l’ambassadeur des Affaires étrangères, Paul Schmidt, d’attirer l’attention de la presse sur les aspirations de la Slovaquie à l’indépendance et sur la politique de coalition anti-allemande poursuivie par le Gouvernement de Prague. C’est ce que je fis. Les mots d’ordre quotidiens du chef de la presse du Reich et les comptes rendus des conférences de presse de cette période permettent de retrouver les textes des instructions données en ce sens. Voici quelles étaient les manchettes significatives des principaux journaux et les éditoriaux mis en évidence dans les quotidiens allemands à ce moment-là :
« 1° Terrorisme contre les personnes de race allemande sur le territoire tchèque, arrestations, exécutions d’Allemands par la Police d’État, destruction et détérioration de maisons allemandes par la pègre tchèque ;
2° Concentration de troupes tchèques à la frontière du territoire des Sudètes ;
3° Enlèvement, déportation et persécution des minorités slovaques par les Tchèques ;
4° Les Tchèques doivent quitter la Slovaquie ;
5° Réunions secrètes de fonctionnaires rouges à Prague.
« Quelques jours avant la visite de Hacha, je reçus l’ordre de publier dans la presse, en très bonne place, les nouvelles nous parvenant sur l’agitation en Tchécoslovaquie. De ces informations, je ne recevais qu’une partie du DNB, mais la plupart provenaient du service de presse du ministère des Affaires étrangères et quelques-uns des services particuliers d’information des grands quotidiens. Parmi les journaux donnant ces informations, il y avait en premier lieu le Völkischer Beobachter qui, comme je l’ai appris plus tard, recevait ses informations du SS-Standartenführer, Gunter d’Alquen, qui se trouvait alors à Presbourg (Bratislava). J’avais interdit à toutes les agences d’informations et aux journaux de publier des informations sur l’agitation en Tchécoslovaquie avant de les avoir moi-même vues. Je voulais éviter le renouvellement des événements très fâcheux qui avaient accompagné la campagne de propagande sur l’opération des Sudètes. Je ne voulais pas perdre mon prestige à la suite de nouvelles inexactes. Aussi toutes les informations contrôlées par mes soins étaient-elles sans doute tendancieuses, mais non inventées de toutes pièces.
« Après la visite de Hacha à Berlin et l’invasion des troupes allemandes, qui eurent lieu le 15 mars 1939, la presse allemande eut suffisamment de matière pour décrire ces événements. Du point de vue historique et politique, l’événement se justifiait du fait que la déclaration d’indépendance de la Slovaquie avait rendu nécessaire une intervention et que Hacha, en donnant sa signature, avait évité une guerre et rétabli une union vieille de mille ans entre la Bohême et le Reich. »
La campagne de propagande de la presse qui précéda l’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939, celle donc qui précéda de peu le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, fut aussi l’œuvre de Fritzsche et de son service de la presse allemande. Au paragraphe 30 de son affidavit, page 27 de votre livre de documents, Fritzsche parle de l’attitude des conspirateurs au cours de cet épisode :
« L’attitude de la presse et de la propagande dans l’affaire polonaise fut complexe et sujette à évolution. À la suite de l’accord germano-polonais, il était interdit en principe depuis plusieurs années à la presse allemande de publier quoi que ce fût sur la situation de la minorité allemande en Pologne. C’était encore le cas au printemps 1939, même quand la presse allemande fut invitée à s’occuper un peu plus activement de la question de Dantzig. De même, lorsqu’eurent lieu les premiers entretiens anglo-polonais et lorsque la presse allemande fut avisée d’avoir à employer vis-à-vis de la Pologne un ton plus acerbe, la question de la minorité allemande restait encore à l’arrière-plan. Ce n’est qu’au cours de l’été que ce problème revint à l’ordre du jour et rendit immédiatement l’atmosphère sensiblement plus tendue. Tous les journaux allemands de quelque importance possédaient depuis des années une abondante quantité de documents relatifs aux doléances et griefs des Allemands en Pologne, sans que les rédacteurs en chef aient eu l’occasion de les utiliser. Les journaux allemands possédaient aussi, depuis l’époque des discussions à Genève relatives aux minorités, des correspondants ou collaborateurs occasionnels à Katowitz, Bydgoszcz-Poznan, Thorn, etc. Tous ces documents firent alors d’un seul coup leur apparition. À ce sujet, les principaux quotidiens allemands publièrent en bonne place conformément aux directives que leur donnaient les « mots d’ordre quotidiens », les articles suivants :
« 1° Actes de cruauté et de terreur contre les personnes de race allemande et leur extermination en Pologne ;
« 2° Travaux de terrassement exécutés par des milliers d’hommes et de femmes de race allemande en Pologne ;
« 3° La Pologne, pays de l’esclavage et du désordre ; désertion de soldats polonais ; accroissement de l’inflation ;
« 4° Provocation d’incidents de frontières à l’instigation du Gouvernement polonais ; la soif de conquête des Polonais ;
« 5° Persécution des Tchèques et des Ukrainiens par la Pologne. « La presse polonaise répliqua sur un ton extrêmement acerbe. »
La campagne de presse qui précéda l’invasion de la Yougoslavie se déroula selon la même méthode. Il y eut de semblables diffamations, mensonges, provocations, menaces et mêmes tentatives pour diviser et affaiblir la victime. Le paragraphe 32 de l’affidavit de Fritzsche, page 28 de votre livre de documents, donne de cette campagne de propagande, l’aperçu que voici :
« Au cours de la période précédant immédiatement l’invasion de la Yougoslavie, le 16 avril 1941, la presse allemande attira l’attention, à l’aide de manchettes et d’éditoriaux sur ces informations sensationnelles :
« 1° La persécution systématique des personnes de race allemande en Yougoslavie, y compris l’incendie des villages allemands par les soldats serbes, l’internement des personnes de race allemande dans des camps de concentration, ainsi que les mauvais traitements infligés aux personnes parlant allemand ;
« 2° L’armement des bandits serbes par les soins du Gouvernement serbe ;
« 3° L’excitation par les ploutocrates de sentiments germanophobes en Yougoslavie ;
« 4° Le développement des sentiments anti-serbes en Croatie ;
« 5° Le chaos de la situation économique et sociale en Yougoslavie. »
Comme l’Allemagne avait conclu un pacte de non-agression avec l’Union Soviétique et que les conspirateurs voulaient conserver l’avantage de la surprise, il n’y eut pas de campagne de propagande spéciale précédant immédiatement l’attaque contre l’URSS. Au paragraphe 33 de sa déposition, Fritzsche examine le plan de propagande adopté néanmoins pour justifier cette guerre d’agression aux yeux du peuple allemand :
« Dans la nuit du 21 au 22 juin 1941, Ribbentrop me convoqua vers 5 heures du matin au ministère des Affaires étrangères à Berlin, à une conférence à laquelle assistaient les représentants de la presse allemande et étrangère. Ribbentrop nous fit savoir que la guerre contre l’Union Soviétique allait être déclenchée ce même jour et pria la presse allemande de présenter la guerre contre l’Union Soviétique comme une guerre préventive pour la défense de la patrie, une guerre imposée par le danger imminent d’une attaque de l’Union Soviétique contre l’Allemagne.
« Cette affirmation qu’il s’agissait d’une guerre préventive a été ensuite reprise par les journaux qui recevaient mes instructions dans l’habituel « mot d’ordre quotidien du chef de la presse du Reich ». De mon côté, j’ai également donné régulièrement dans mes messages radiophoniques la même interprétation des raisons de cette guerre. »
Fritzsche, tout au long de sa déposition, fait constamment allusion à l’aide qu’il donna, en tant que technicien et expert, à l’appareil colossal du ministère de la Propagande. En 1939, il fut visiblement peu satisfait de l’efficacité des moyens mis alors en œuvre par le service de la presse allemande pour alimenter le moulin à propagande et ses intrigues. Il créa un nouvel organe pour renforcer l’efficacité de la propagande nazie. Au paragraphe 19 de sa déposition, page 24 du livre de documents, il décrit ce nouvel instrument de propagande de la manière suivante :
« Vers l’été 1939, j’établis, au sein du service de la presse allemande, une section appelée « Service rapide ».
Je passe maintenant à un autre passage :
« ... au début, son rôle était de contrôler l’exactitude des informations en provenance des pays étrangers. Ultérieurement, vers l’automne 1939, ce service s’occupa aussi de rassembler des documents pour les mettre à la disposition de toute la presse allemande. Il s’agissait par exemple des grandes dates de la politique coloniale britannique, des déclarations politiques faites autrefois par le Premier ministre britannique, des descriptions de la misère sociale dans les pays ennemis, etc. Presque tous les journaux allemands utilisaient ainsi ces éléments comme base de leurs polémiques il régnait ainsi sur le front de combat de la presse allemande, une grande unité. On choisit le titre « Service rapide » parce que les éléments nécessaires aux commentaires étaient fournis avec une célérité particulière. »
Au cours de toute la période antérieure et contemporaine du déclenchement de la guerre d’agression, Fritzsche fit régulièrement des émissions radiophoniques destinées au peuple allemand, ayant les titres suivants : « Panorama politique des journaux et de la radio », puis : « Hans Fritzsche vous parle ». Ses émissions reflétaient naturellement les sujets de polémique et les directives donnés par son ministère et par conséquent faisaient partie du plan concerté ou complot.
Le Ministère Public estime que Fritzsche, l’un des membres les plus remarquables de l’équipe de propagande dirigée par Goebbels, contribua dans une large mesure à plonger le monde dans le bain sanglant de la guerre d’agression.
Avec le consentement du Tribunal, je vais exposer maintenant les preuves des excitations à la cruauté et des encouragements à la sauvagerie dans la politique d’occupation que prodigua Fritzsche. Les résultats de la propagande utilisée par les conspirateurs nazis se firent sentir dans tous les aspects du complot, y compris les actes anormaux et inhumains qui firent partie des atrocités et de l’exploitation impitoyable des territoires occupés. La majorité des membres de la nation allemande n’auraient jamais accompli ni même toléré les atrocités perpétrées d’un bout à l’autre de l’Europe, si le moulin à propagande nazi n’avait pas ancré dans les esprits ces barbares et tenaces erreurs. En réalité, les propagandistes qui se prêtèrent à cette odieuse mission d’excitation et de provocation sont plus coupables que les subalternes crédules et insensibles qui dirigeaient les pelotons d’exécution ou assuraient le fonctionnement des chambres à gaz, dont nous avons tellement entendu parler au cours de ces débats. Car la crédulité et l’insensibilité de ces subordonnés étaient en grande partie dues à la continuelle et odieuse propagande de Fritzsche et de ses complices officiels.
En ce qui concerne les Juifs, le département de la propagande, au sein du ministère de la Propagande, possédait une section spéciale pour « éclairer le peuple allemand et le monde sur la question juive, en utilisant les armes de la propagande contre les ennemis de l’État et les idéologies adverses ». Cette citation est tirée d’un livre écrit en 1940 par le Ministerialrat Müller, livre intitulé Le ministère de la Propagande . Vous le trouverez dans le document PS-2434 (a), à la page 10 de votre livre de documents, que je dépose sous le n° USA-722. C’est un autre extrait du livre du Ministerialrat Müller et je vous demande simplement d’en prendre acte en raison de la phrase que je viens d’en lire.
Fritzsche, dans ses émissions radiophoniques, participa activement à « éclairer » le peuple sur la question juive. Ces émissions foisonnaient littéralement de diffamations provocatrices contre les Juifs ; elles n’eurent comme résultat automatique que d’enflammer l’Allemagne et de la pousser à de nouvelles atrocités contre les Juifs impuissants qui tombaient en son pouvoir. Le document PS-3064 contient un grand nombre de messages radiophoniques complets de Fritzsche, qui ont été enregistrés par la British Broadcasting Corporation et traduits par des fonctionnaires de la BBC. Pour des raisons de commodité, j’ai fait ronéotyper et réunir en un seul volume les extraits dans lesquels le Ministère Public compte montrer des exemples caractéristiques des émissions de Fritzsche. Je les dépose sous le n° USA-723.
L’accusé Streicher lui-même, le plus grand persécuteur des Juifs de tous les temps, avait parfois de la peine à faire mieux que Fritzsche dans le domaine de la calomnie. Tous les extraits qui figurent dans le document PS-3064 proviennent de causeries radiophoniques de Fritzsche faites entre 1941 et 1945, période qui vit, nous l’avons déjà prouvé, l’intensification des mesures anti-juives. Avec l’autorisation du Tribunal, j’aimerais lire certains de ces extraits.
À la page 14 de votre livre de documents, le premier extrait provient d’une émission du 18 décembre 1941 (page 2122 des traductions faites par la BBC) :
« Le destin de la juiverie en Europe s’est avéré aussi pénible que le Führer l’avait prédit en cas de guerre européenne. Après l’extension de la guerre dont les Juifs furent les instigateurs, ce destin malheureux peut aussi s’étendre au Nouveau Monde, car l’on peut difficilement supposer que les nations de ce Nouveau Monde pardonneront aux Juifs ces méfaits que les nations du Vieux Monde ne leur ont pas pardonnés. »
D’une émission du 18 mars 1941, que vous trouverez à la page 2032 des traductions de la BBC :
« Mais le couronnement de la fausse logique rooseveltienne réside dans la phrase : « Il n’y a jamais eu une race et il n’y en aura « jamais une qui puisse devenir maîtresse du reste de l’humanité. » Là aussi, nous ne pouvons qu’approuver M. Roosevelt. C’est précisément parce qu’il n’existe aucune race qui puisse être maîtresse du reste de l’humanité que nous, Allemands, avons pris la liberté de briser la domination de la juiverie et de son capital en Allemagne, de cette juiverie qui croyait avoir reçu en héritage la couronne pour la domination secrète du monde. »
En passant, j’aimerais simplement faire remarquer qu’il nous semble que ce texte n’est pas seulement la justification des persécutions passées des Juifs, mais annonce que d’autres vont suivre et encourage ces nouvelles persécutions.
Je voudrais encore lire un extrait de l’émission du 9 octobre 1941, page 2101 de la traduction de la BBC :
« Nous savons très bien que ces victoires allemandes sans précédent dans l’Histoire, n’ont pas encore tari la source de haine à laquelle depuis longtemps se sont abreuvés les bellicistes qui ont été à l’origine de cette guerre. La campagne internationale judéo-démocratico-bolcheviste d’excitation contre l’Allemagne trouve encore asile dans tel repaire de renard ou dans tel trou de rat. Nous n’avons vu que trop fréquemment comment les défaites subies par les fauteurs de guerre ne font que redoubler d’intensité leur fureur insensée et impuissante. »
Voici une autre émission, du 8 janvier 1944 celle-là (j’ai essayé, Votre Honneur, de choisir les émissions les plus caractéristiques datant de périodes différentes) :
« Il se révèle clairement une fois de plus que ce n’est pas un nouveau type de gouvernement, ni un jeune nationalisme, ni un socialisme efficacement appliqué qui ont provoqué cette guerre. Les seuls coupables sont uniquement les Juifs et les ploutocrates. Si la discussion des problèmes de l’après-guerre fait ressortir ce fait aussi clairement, nous l’accueillons comme une contribution à de futures discussions et comme une contribution au combat que nous livrons en ce moment, car nous refusons de croire que l’histoire du monde verra se continuer dans l’avenir le développement des puissances qui ont provoqué cette guerre. Cette clique de Juifs et de ploutocrates avait investi ses capitaux dans les armements et elle tenait à toucher des intérêts et à amortir ses frais ; voilà pourquoi elle déclencha cette guerre. »
En ce qui concerne les Juifs, j’ai à faire une dernière citation ; c’est celle d’une émission du 13 janvier 1945, pages 2258 et 2259 des traductions de la BBC :
« Si la juiverie constituait un lien entre des éléments aussi divergents que la ploutocratie et le bolchevisme et si elle était d’abord à même de travailler avec succès dans les pays démocratiques à la préparation de cette guerre contre l’Allemagne, maintenant elle s’est placée elle-même sans réserve du côté du bolchevisme qui, avec ses slogans entièrement erronés de liberté raciale s’opposant à la haine raciale, a créé les conditions idéales nécessaires à la race juive pour poursuivre son combat pour la domination des autres races. »
Et quelques lignes plus loin : « Ce n’est pas le moindre résultat de la résistance de l’Allemagne sur tous les fronts, résistance si inattendue pour l’ennemi, que d’avoir hâté l’évolution commencée dans les années d’avant-guerre qui soumet la politique britannique aux visées lointaines des Juifs. Cette évolution a commencé bien avant cette résistance, au moment où des Juifs émigrés d’Allemagne ont fomenté cette guerre sur le sol britannique et américain. »
Je passe ensuite plusieurs phrases et je prends la dernière de cette page :
« Toute cette tentative visant à l’établissement de la domination mondiale des Juifs a été manifestement faite au moment où le sentiment de ses origines raciales était déjà trop éveillé dans le peuple pour que l’entreprise eût des chances de succès. »
Nous estimons, Messieurs les Juges, que ce texte constitue une invitation à continuer la persécution des Juifs et, pratiquement, leur élimination.
Fritzsche provoqua aussi et encouragea la prise de mesures impitoyables contre les peuples de l’URSS. Les provocations auxquelles il se livrait continuellement dans ses émissions contre les populations de ce pays, allaient souvent de pair avec ses calomnies contre les Juifs et s’avéraient tout aussi incendiaires. Si ces calomnies n’étaient pas si tragiquement liées au meurtre de millions de gens, elles seraient comiques et même ridicules. Il est en effet piquant de constater que la propagande calomnieuse accusant l’URSS d’atrocités décrivait exactement quelques-unes des nombreuses atrocités commises, nous le savons bien maintenant, par les envahisseurs allemands. Les citations qui suivent sont également empruntées aux émissions interceptées et traduites par la BBC ; elles datent de peu après l’invasion de l’URSS, en juin 1941. La première se trouve elle aussi à la page 16 de votre livre de documents. Je lirai simplement la dernière moitié de la rubrique n° 7, à partir du troisième paragraphe :
« Comme on peut le voir d’après les lettres qui nous parviennent du front, envoyées par des reporters de la P.K. » — je me permets d’interrompre ici ma citation pour dire que « P.K. » sont les initiales de « Propaganda-Kompanie », compagnie de propagande qui accompagnait l’Armée allemande dans ses déplacements — « des reporters de la P.K. et des soldats en permission, il est clair que dans ce combat à l’Est, il ne s’agit pas de la lutte d’un régime politique contre un autre, ni du choc d’une conception de la vie contre une autre, mais ce sont la culture, la civilisation et la dignité humaine qui se dressent contre le principe diabolique d’une humanité inférieure. »
Voici un extrait du paragraphe suivant :
« Ce fut seulement la décision du Führer de frapper à temps qui évita à notre patrie d’être submergée par des créatures inférieures et qui épargna à nos hommes, à nos femmes et à nos enfants l’horreur indicible de devenir leur proie. »
Au cours de l’émission du 10 juillet 1941, dont je désire citer le premier paragraphe, Fritzsche parle des actes inhumains commis dans les zones contrôlées par l’Union Soviétique et il déclare que quiconque voit les preuves de ces actes en arrive :
« ... à prendre la sainte résolution de se dévouer à la destruction complète de ceux qui sont capables de tels actes de lâcheté. »
Je cite également le dernier paragraphe :
« Les agitateurs bolcheviques ne font aucun effort pour nier que par milliers dans les villes, par centaines dans les villages, on a trouvé des cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants qui avaient été tués ou torturés jusqu’à ce que mort s’ensuive. Malgré cela, ces agitateurs bolcheviques prétendent que ces actes ont été commis non par des commissaires soviétiques mais par des soldats allemands. Mais nous, Allemands, nous connaissons nos soldats. Aucune épouse allemande, aucun père, aucune mère, n’a besoin qu’on lui apporte des preuves que son mari ou son fils est incapable de commettre de tels actes d’atrocité. »
Les preuves déjà déposées, ou qui le seront d’ici peu par nos collègues soviétiques, établiront que les représentants de ces conspirateurs nazis n’ont pas hésité à exterminer en masse, grâce à des méthodes scientifiques, les soldats et les civils soviétiques. Ces provocations de Fritzsche font de lui un complice direct de ces crimes. Car le fait de traiter les peuples soviétiques de membres d’une « humanité inférieure » cherchant à « exterminer » le peuple allemand, et autres expressions d’une égale violence, a contribué à créer l’atmosphère psychologique de folie complète et intégrale et la haine qui provoqua et rendit possibles les atrocités commises à l’Est.
Bien que nous ne puissions pas affirmer que Fritzsche ait donné l’ordre d’exterminer 10.000 ou 100.000 personnes, il me suffira de terminer par cette question : Sans ces excitations de Fritzsche, n’aurait-il pas été infiniment plus difficile aux conspirateurs de réaliser les conditions qui ont rendu possible l’extermination des millions de personnes à l’Est ?
Ne serait-il pas temps de suspendre l’audience ?
Fritzsche a encouragé, soutenu et glorifié la politique employée par les conspirateurs nazis pour l’exploitation impitoyable des pays occupés. Je vais de nouveau lire un extrait d’une émission radiophonique du 9 octobre 1941, qui figure aux pages 2102 et 2103 de la traduction de la BBC. J’aurais voulu n’en donner qu’un passage, mais c’est une de ces longues phrases allemandes qu’il est absolument impossible de couper :
« Aujourd’hui nous ne pouvons dire qu’une seule chose : « guerre-éclair » ou non, cette tempête venue d’Allemagne a nettoyé l’atmosphère de l’Europe. Il est tout à fait exact que les dangers qui nous menaçaient ont été éliminés les uns après les autres avec la rapidité de l’éclair, mais, dans ces coups de foudre qui ont pulvérisé les alliés de l’Angleterre sur le continent, nous n’avons pas vu une preuve de faiblesse, mais au contraire un témoignage de la force et de la supériorité des dons d’homme d’État et de chef militaire du Führer ainsi qu’une preuve de la puissance du peuple allemand ; nous avons eu la preuve qu’aucun adversaire ne peut résister au courage, à la discipline, à l’esprit de sacrifice du soldat allemand. Nous lui sommes particulièrement reconnaissants pour ces victoires d’une rapidité fulgurante et incomparable car — comme le Führer l’a souligné vendredi dernier — elles donnent la possibilité de commencer l’organisation de l’Europe et de découvrir dès maintenant les trésors... » J’aimerais répéter cette expression : « ... et de découvrir les trésors de ce vieux continent, dès maintenant, en pleine guerre, sans qu’il soit nécessaire à des millions et des millions de soldats allemands de monter la garde et de combattre jour et nuit le long de telle ou telle frontière menacée. Les possibilités de ce continent sont si multiples qu’elles suffisent à combler tous les besoins du temps de paix comme du temps de guerre. »
En ce qui concerne l’exploitation des pays étrangers, Fritzsche déclare lui-même au paragraphe 39 de son affidavit :
« L’utilisation de la capacité de production des pays occupés pour le renforcement du potentiel de guerre de l’Allemagne, je l’ai soutenue et prônée, d’autant plus que les autorités compétentes avaient mis à ma disposition un grand nombre de documents, en particulier sur le recrutement volontaire de la main-d’œuvre. »
Il fallait vraiment que Fritzsche fut un propagandiste bien crédule pour prôner cette politique d’exploitation du Reich allemand, surtout parce que les autorités compétentes lui avaient donné des documents sur le recrutement volontaire de la main-d’œuvre.
Je vais maintenant examiner le cas de Fritzsche, chef suprême de toute la radio allemande. Fritzsche resta chef du service de la presse allemande, après le déclenchement de la dernière agression des conspirateurs. En novembre 1942, Goebbels créa un nouveau poste, celui de plénipotentiaire pour l’organisation politique de la radio de la Grande Allemagne, poste dont Fritzsche fut le premier et le dernier titulaire. Au paragraphe 36 de sa déposition (PS-3469), Fritzsche raconte comment l’ensemble de la radio et de la télévision allemande fut organisé sous sa surveillance. Il dit, page 29 de votre livre de documents :
« Ma fonction correspondait pratiquement à celle de chef suprême de la radio allemande. »
Comme plénipotentiaire spécial pour l’organisation politique de la radio de la Grande Allemagne, Fritzsche donnait par télétypes des ordres à tous les offices de propagande du Reich. Ceux-ci eurent d’abord pour but de rendre tout le système de la radio allemande conforme aux désirs des conspirateurs.
Goebbels avait l’habitude de tenir à 11 heures une conférence avec ses plus proches collaborateurs au ministère de la Propagande. Lorsque Goebbels était absent, ainsi que son sous-secrétaire le Dr Naumann, c’est Fritzsche, qui, après 1943, était chargé de présider cette conférence de presse de 11 heures.
Dans le document PS-3255, le Tribunal verra comment Goebbels louait les émissions de Fritzsche. Goebbels exprima ces louanges dans son introduction à un livre de Fritzsche intitulé : « Guerre aux fauteurs de guerres. » J’aimerais déposer cet extrait, provenant du « Rundfunk Archiv », sous le n° USA-724 ; il se trouve à la page 18 du livre de documents. Goebbels y disait :
« Personne n’est mieux placé que moi pour savoir la somme de travail que représentent ces émissions et combien de fois elles furent dictées à la dernière minute, pour trouver quelques instants plus tard une oreille complaisante dans la nation entière. »
Nous apprenons donc de Goebbels lui-même que toute la nation allemande était disposée à prêter une oreille complaisante aux paroles de Fritzsche, lorsqu’il eut acquis une solide réputation à la radio.
Le bruit courait que Fritzsche était « La voix de son Maître » (Die Stimme seines Herrn). Ce slogan est certainement né des fonctions mêmes de Fritzsche. Lorsqu’il parlait à la radio, le peuple allemand ne doutait pas qu’il fût en train d’écouter la voix du Haut Commandement des conspirateurs.
Le Ministère Public ne présente pas Fritzsche comme un conspirateur du type de ceux qui signaient les décrets ou qui siégeaient aux conseils secrets pour élaborer les plans de toute la stratégie de ces conspirateurs. La propagande est, de par sa fonction même, presque entièrement dégagée de telles préoccupations. Le rôle d’une agence de propagande se rapproche plus de celui d’une agence de réclame ou d’un service de publicité qui a pour tâche de vendre des produits et de trouver des débouchés à une entreprise. Ici l’entreprise était, nous l’affirmons, le complot nazi. Dans un complot dont le but est la fraude, l’agent mandaté par ce groupe de conspirateurs est tout aussi important et tout aussi coupable que ceux qui ont élaboré les plans, même s’il n’a pas effectivement contribué à fixer la stratégie de base, mais s’est plutôt attaché à la développer avec soin.
Le Ministère Public se doit de faire clairement remarquer que la propagande était un instrument d’une immense importance dans ce complot. Nous soutenons en outre que les principaux complices de ce complot étaient les chefs de la Propagande et que Fritzsche était l’un des plus influents de ces chefs.
Lorsqu’il entra au ministère de la Propagande, « l’usine à mensonges » la plus fabuleuse qu’on ait jamais vue, il se solidarisa avec cette conspiration. Il le fit en toute connaissance de cause, bien plus que la plupart des autres conspirateurs qui s’étaient engagés à une date antérieure à la prise du pouvoir. De plus, il était particulièrement bien placé pour pouvoir juger les fraudes commises par les conspirateurs, tant à l’égard du peuple allemand qu’à l’égard du monde entier.
Le Tribunal se souviendra qu’en 1933, avant que Fritzsche n’ait prêté au Parti le serment d’obéissance et de soumission inconditionnelle au Führer, sacrifiant ainsi sa responsabilité morale aux conspirateurs, il avait été à même d’observer les opérations des troupes d’assaut et de voir un échantillon de la race nazie en action. Lorsque, malgré cela, Fritzsche entreprit de placer toutes les agences d’information allemandes sous le contrôle fasciste, il fut mis par Goebbels lui-même au courant de la plupart des cyniques intrigues et des audacieux mensonges dirigés contre l’opposition aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Allemagne.
Il a vu, par exemple, l’opposition des journalistes, profession à laquelle il avait appartenu, anéantie, foulée aux pieds, absorbée ou éliminée. Il continua à soutenir la conspiration. Il passa maître dans l’art d’intriguer et de tromper la nation allemande qu’il pervertit, et son prestige et son influence s’accrurent constamment.
Comme le Tribunal s’en souviendra, Fritzsche a déclaré que si son prédécesseur, Berndt, perdit son poste de directeur du Département de la Presse allemande, c’est en grande partie pour avoir dépassé le but visé en faisant autour de l’affaire des Sudètes une propagande, efficace certes, mais lourde et exagérée. Fritzsche répara la brèche causée par la perte de confiance des rédacteurs de journaux et du peuple allemand et il fit bien son travail.
Certes, Fritzsche n’était pas aussi maladroit que l’homme auquel il succéda, mais sa finesse et sa subtilité relatives, son habileté à être plus persuasif et son art « de trouver », comme le disait Goebbels, « une oreille complaisante dans la nation tout entière », firent de lui un des complices les plus efficaces de ces conspirateurs.
Lorsque l’Allemagne nazie et sa presse s’engagèrent dans cette phase belliqueuse, Fritzsche dirigeait cet appareil de propagande chargé de contrôler la presse allemande et les informations, qu’elles fussent radiodiffusées ou publiées dans la Presse. En 1942, lorsque Fritzsche passa de la presse à la radiodiffusion, ce ne fut pas pour avoir commis une maladresse, mais parce que Goebbels avait alors plus particulièrement besoin de lui à la radio.
Fritzsche n’est pas au banc des accusés en tant que simple journaliste, mais comme propagandiste nazi indéniable ; un propagandiste qui aida énormément à resserrer la mainmise nazie sur le peuple allemand, un propagandiste qui montra au peuple allemand les excès de ces conspirateurs sous une lumière plus acceptable, un propagandiste qui vanta cyniquement la sauvage théorie raciste qui fut l’essence même de ce complot, un propagandiste qui éveilla froidement chez d’humbles Allemands une haine aveugle contre les peuples qu’il déclarait inférieurs et responsables de toutes les souffrances de l’Allemagne, que les nazis avaient en réalité eux-mêmes provoqués de leur propre fait. En conclusion, il est évident que si la machine de propagande nazie n’avait pas existé, le monde, y compris l’Allemagne, n’aurait pas subi la catastrophe de ces dernières années ; et c’est du rôle habile qu’il a joué au profit des conspirateurs nazis dans le cadre de ce complot ourdi par des méthodes fourbes et barbares que Fritzsche doit répondre devant ce Tribunal International.
Plaise au Tribunal. C’est le colonel Griffith-Jones qui doit faire l’exposé suivant, relatif à l’accusé Hess. Je crois que le Tribunal estime préférable de laisser pour le moment cette question de côté. Dans ces conditions, le commandant Barrington est prêt à présenter son exposé concernant von Papen.
Oui, on nous a fait savoir que l’avocat de l’accusé Hess ne pouvait assister aux débats d’aujourd’hui ; il vaut donc mieux passer à l’un des autres accusés.
Si Votre Honneur le permet, le commandant Harcourt Barrington présentera le cas de l’accusé von Papen.
Je crois que les interprètes n’ont pas encore les livres de documents et exposés nécessaires, mais ils les auront dans quelques instants. Dois-je continuer ou attendre ?
Très bien, continuez.
Plaise au Tribunal. Je dois présenter le cas de l’accusé von Papen. Avant de commencer, je voudrais indiquer que les documents sont rangés dans le livre de documents par ordre numérique et non selon leur ordre de présentation ; les livres de documents anglais sont numérotés en rouge au bas de chaque page.
Les livres français et soviétiques ne le sont-ils pas ?
Votre Honneur, nous n’avons pas préparé de livres de documents français et russes.
Commandant Barrington, les juges français n’ont aucun livre de documents.
Il doit y avoir un livre de documents en allemand pour les membres français du Tribunal, Votre Honneur. On vient d’aller le chercher. Dois-je attendre qu’il arrive ?
J’estime que vous pouvez continuer.
Von Papen est principalement accusé d’avoir participé au complot et la preuve de cette accusation sera automatiquement établie par les preuves relatives aux quatre chefs d’accusation tels qu’ils sont mentionnés à l’appendice « A » de l’Acte d’accusation. Ce sont les suivants :
1. Il favorisa l’accession au pouvoir des conspirateurs nazis ;
2. Il participa à la consolidation de leur contrôle sur l’Allemagne ;
3. Il favorisa les préparatifs de la guerre ;
4. Il participa à la réalisation du plan politique établi par les conspirateurs nazis ainsi qu’aux préparatifs des guerres d’agression, etc.
Dans l’ensemble, les événements relatifs au cas de von Papen se sont déroulés au cours de la période qui va du premier juin 1932 jusqu’à la conclusion de l’Anschluss en mars 1938.
Jusqu’à présent, presque toutes les preuves qui, au cours de ce Procès, ont été déposées contre von Papen étaient relatives à l’activité qu’il avait déployée en Autriche. Il suffit maintenant de les résumer. Mais si le cas von Papen ne se bornait qu’à l’Autriche, le Ministère Public n’aurait qu’à considérer la période au cours de laquelle la nature de son travail consistait à étudier les possibilités, et à cacher la vraie nature de ses manœuvres en les couvrant d’un manteau de sincérité et de respectabilité. C’est pourquoi il est souhaitable d’exposer sous leur vrai jour les preuves déjà présentées, en faisant en outre ressortir le rôle actif et important qu’il joua pour les nazis avant de se rendre en Autriche.
Von Papen lui-même soutint avoir repoussé à plusieurs reprises les propositions qui lui furent faites par Hitler d’adhérer au parti nazi. Ceci a pu être vrai jusqu’en 1938, car il avait assez de jugement pour voir les avantages qu’il retirerait en conservant au moins une apparence d’indépendance personnelle. Mon but sera de démontrer que, malgré cette indépendance apparente, von Papen participa avec enthousiasme à ce complot, et que, malgré les avertissements et rebuffades, il fut incapable de résister à l’attrait qu’il présentait.
Le Ministère Public croit que l’explication des activités de von Papen se trouve dans le fait que, tout en n’étant pas un parfait nazi, il était un opportuniste politique peu scrupuleux, toujours prêt à s’entendre avec les nazis lorsqu’il y voyait son intérêt. Il n’était pas sans expérience de la duplicité et considérait avec une apparente indifférence les contradictions et trahisons qui en découlaient. L’une de ses armes principales était l’assurance mensongère.
Avant d’aborder les accusations proprement dites, je voudrais attirer l’attention du Tribunal sur le document PS-2902, page 38 du livre de documents anglais, que je dépose sous le n° GB-233. C’est une déclaration signée par von Papen indiquant les postes qu’il a occupés. Elle ne suit aucun ordre chronologique, mais j’en lirai les passages en question au fur et à mesure qu’ils apparaîtront.
Il est inutile de la lire en entier, le Tribunal prendra note du fait que cette déclaration a été rédigée par le docteur Kubuschok, avocat de von Papen, bien qu’elle soit signée par von Papen lui-même.
« Paragraphe 1. — Von Papen rejeta à plusieurs reprises la demande que lui fit le Führer d’adhérer à la NSDAP. Hitler lui envoya simplement l’insigne d’or du Parti. À mon avis, du seul point de vue juridique, cela ne le fit pas devenir membre du Parti. »
Je signale en passant le fait qu’on le considérait officiellement comme ayant adhéré au Parti en 1938, ainsi qu’il ressort d’un document auquel je me référerai ultérieurement.
« Paragraphe 2. — De 1933 à 1945, von Papen fut membre du Reichstag.
« Paragraphe 3. — Von Papen fut Chancelier du Reich du 1er juin 1932 au 17 novembre de la même année. Il continua à assumer les tâches qui découlèrent de ce poste jusqu’à l’entrée en fonctions de son successeur, le 2 décembre 1932.
« Paragraphe 4. — Le 30 janvier 1933, von Papen fut nommé vice-chancelier. À compter du 30 juin 1934 — date de l’épuration sanglante — il cessa toute activité officielle. Le même jour, il fut mis en état d’arrestation. Immédiatement après son élargissement, le 3 juillet 1934, il se rendit à la Chancellerie du Reich pour remettre sa démission à Hitler. »
Je n’ai pas besoin de lire le reste de ce paragraphe. C’est une discussion sur l’authenticité de la signature de von Papen, apposé dans le Reichsgesetzblatt au bas de certains décrets d’août 1934. Je suis prêt à admettre avec lui que cette signature a pu ne pas être régulière et constituer une erreur. Il reconnaît n’avoir exercé ses fonctions que jusqu’au 3 juillet 1934.
Le Tribunal voudra bien se rappeler aussi qu’en sa qualité de Chancelier du Reich, il était membre du Cabinet du Reich.
« Paragraphe 5. — Le 13 novembre 1933, von Papen devint plénipotentiaire pour la Sarre. Il quitta cette fonction dans les mêmes circonstances que celles décrites au paragraphe 4. »
Je n’ai pas besoin de lire le reste du document. Il s’agit de ses nominations à Vienne et Ankara et ce sont là des faits historiques. Il fut nommé ministre à Vienne le 26 juillet 1934 et rappelé le 4 février 1938. Il fut ambassadeur à Ankara d’avril 1939 à août 1944.
On reproche d’abord à von Papen d’avoir utilisé son influence personnelle pour favoriser l’accession au pouvoir des conspirateurs nazis.
Dès le début, von Papen était parfaitement au courant du programme et des méthodes nazies. On ne peut croire qu’il a encouragé les nazis par ignorance de ces faits. Le programme officiel de la NSDAP était de notoriété publique. Il avait paru dans Mein Kampf plusieurs années auparavant. Il avait été publié à plusieurs reprises dans l’annuaire de la NSDAP et dans d’autres publications. Les nazis ne cachaient pas leur intention d’en faire une loi fondamentale de l’État. Ce sujet a été traité à fond à une phase antérieure du Procès.
Au cours de l’année 1932, von Papen, en sa qualité de Chancelier du Reich, était particulièrement bien placé pour reconnaître les buts des nazis et leurs méthodes et, effectivement, il a dénoncé publiquement la menace nazie. Prenez par exemple le discours qu’il prononça à Munster, le 28 août 1932, document PS-3314, page 49 du livre de documents anglais, que je dépose sous la rubrique GB-234 ;
je cite deux passages qui se trouvent au haut de la page :
« Le mépris de toute règle qui ressort de l’appel du chef du mouvement national-socialiste ne peut s’accorder avec ses revendications du pouvoir gouvernemental... Je ne lui reconnais pas le droit de considérer la minorité qui suit son étendard comme formant seule la nation allemande et de traiter tous ses autres compatriotes comme du vulgaire gibier. »
Prenez également le discours qu’il prononça à Munich le 13 octobre 1932, figurant à la page 50 du livre de documents anglais, document PS-3317, que je dépose sous le n° GB-235 ; je désire simplement lire le dernier extrait de la page :
« Dans l’intérêt de la nation tout entière, nous n’acceptons pas que le pouvoir soit revendiqué par des partis qui exigent de leurs adeptes une obéissance aveugle et qui veulent identifier leur parti ou leur mouvement avec la nation entière. »
M’appuyant sur ces extraits pris au hasard, j’ai seulement voulu prouver qu’en 1932, il avait reconnu l’anarchie interne de la philosophie nazie.
Néanmoins, il écrivait à Hitler, dans une lettre du 13 novembre 1932 que je citerai plus longuement une autre fois, à propos du mouvement nazi :
« ... ce grand mouvement national dont j’ai toujours reconnu, en dépit des critiques nécessaires, les mérites qu’il s’est acquis envers le peuple et le pays... »
L’attitude que von Papen observa à l’égard des nazis et les déclarations qu’il fit à leur sujet sont si variables et semblent si contradictoires qu’il est impossible de brosser une image du rôle qu’il joua dans cette entreprise infâme, à moins de revoir d’abord les différentes étapes par lesquelles il accéda au Parti. On voit alors clairement qu’il se jeta dans le complot nazi, sinon de tout cœur, du moins à la suite d’un calcul froid et délibéré.
Je vais énumérer les principales étapes qui le conduisirent à participer au complot nazi.
À la suite de son premier contact personnel avec Hitler, von Papen, en sa qualité de Chancelier, annula le 14 juin 1932 le décret du 13 avril de la même année, relatif à la dissolution des organisations paramilitaires nazies, les SA et les SS. Il rendit ainsi au parti nazi le plus grand service possible, car le Parti comptait sur ces organisations paramilitaires pour soumettre le peuple allemand. Le décret annulant l’ordre de dissolution des SA et des SS se trouve dans le document D-631, page 64 du livre de documents, que je dépose sous le n° GB-236. C’est un décret d’ordre général, extrait du Reichsgesetzblatt ; le passage qui nous intéresse est le paragraphe 20 :
« Ce décret entrera en vigueur le jour de sa publication. Il remplace le décret du Président du Reich sur la sauvegarde de l’autorité de l’État du... » La date devait en être le 13 avril 1932.
À quelle page du livre de documents ?
Excusez-moi, c’est à la page 64. La date ne devait pas être le 3 mai 1932, mais le 13 avril 1932. C’était le décret pris antérieurement sous le Gouvernement du Chancelier Brüning et ordonnant la dissolution des organisations paramilitaires nazies.
Au bas de la page, le Tribunal trouvera des extraits importants du décret du 13 avril 1932. Le paragraphe 1 de ce décret stipulait :
« Toutes les organisations paramilitaires du parti national-socialiste des travailleurs allemands doivent être immédiatement dissoutes, notamment les détachements d’assaut (SA) et les détachements de protection (SS). »
C’est en vertu d’un marché conclu avec Hitler que von Papen annula ce décret. Il est fait mention de cet accord dans un livre du Dr Hans Volz, intitulé : Dates de l’histoire de la NSDAP, publié avec l’autorisation de la NSDAP. Il a déjà été déposé sous le n° USA-592. L’extrait que je désire citer se trouve à la page 59 du livre de documents ; c’est le document PS-3463. Je cite un passage de la page 41 de ce petit livre :
« 28 mai — il s’agit évidemment de l’année 1932 — la chute de Brüning paraissant imminente, le Führer eut une entrevue à Berlin avec l’ancien député du Centre prussien, Franz von Papen (c’est leur premier contact personnel du printemps 1932) ; il promit de faire accepter à la NSDAP un cabinet von Papen, à condition que fussent levées les interdictions pesant sur les SA, le port d’uniformes et les manifestations, et que le Reichstag fût dissous. »
II est difficile d’imaginer ouverture moins astucieuse que cette réinstauration, par un homme qui allait devenir chancelier, de la sinistre organisation qu’avait supprimée son prédécesseur. Ce geste mit en lumière la duplicité manifeste et le manque de sincérité des condamnations publiques contre les nazis, que je viens de citer.
Dix-huit mois plus tard, il se vanta publiquement d’avoir, au moment de sa nomination au poste de Chancelier, ouvert la voie du pouvoir à ce qu’il appelait le « jeune mouvement combattant » de libération. C’est ce qui ressort du document PS-3375 que je déposerai tout à l’heure.
Une autre étape importante a été marquée, le 20 juillet 1932, par son fameux coup d’État en Prusse, qui eut pour effet de renverser le Gouvernement prussien Braun-Severing et de réunir dans ses mains, en sa qualité de commissaire du Reich pour la Prusse, le Gouvernement de la Prusse et celui du Reich. C’est maintenant un fait historique. Il est mentionné dans le document D-632 que je dépose sous le n° GB-237, page 65 du livre de documents. Ce document est, je crois, une biographie semi-officielle d’hommes politiques.
Von Papen considérait son coup d’État en Prusse comme la première étape de la politique de réunion des États au Reich, poursuivie ultérieurement par Hitler, comme le montrera le document PS-3357, auquel je me référerai plus tard.
Voici maintenant l’étape suivante. Si le Tribunal veut prendre connaissance du document D-632, page 65 du livre de documents, les quatre ou cinq dernières lignes du bas de la page :
« Les élections au Reichstag du 31 juillet, qui furent la conséquence de la dissolution du Reichstag par von Papen le 4 juin », réalisée en application de l’accord dont je viens de parler, « ont énormément renforcé la NSDAP, si bien que von Papen offrit au chef du parti maintenant le plus puissant de participer au Gouvernement en tant que vice-chancelier. Mais Hitler rejeta cette offre le 13 août.
« Le nouveau Reichstag qui se réunit le 30 août fut dissous le 12 septembre. Les nouvelles élections amenèrent un recul considérable de la NSDAP sans pour cela renforcer les partis de Gouvernement, si bien que le Gouvernement von Papen démissionna le 17 novembre 1932 après l’échec de ses négociations avec les chefs de partis. »
Je désire encore citer quelques extraits de cette biographie, mais comme elle constitue une simple énumération de faits, Votre Honneur voudra bien me permettre d’y revenir en temps opportun.
Dans la mesure où les négociations dont on vient de parler dans la biographie concernaient Hitler, elles entraînèrent un échange de lettres. Le 13 novembre 1932, Von Papen adressa à Hitler une lettre qui constitue le document D-633, page 68 du livre de documents anglais, que je dépose sous le n° GB-238. Je vais lire un passage de cette lettre qui fait ressortir les efforts effectivement déployés par von Papen pour s’allier aux nazis, en dépit même des rebuffades ultérieures de Hitler. Je lis le paragraphe 3. Je dois avertir le Tribunal que certaines parties du texte sont soulignées dans la traduction anglaise, ce qui n’existe pas dans le texte allemand.
« Une nouvelle situation est née des élections du 6 novembre et elle nous donne une nouvelle occasion de regrouper tous les éléments nationaux. Le Président du Reich m’a chargé d’essayer de préciser, dans des conversations avec les chefs des partis intéressés, dans quelle mesure ils seraient prêts à soutenir le programme politique et économique du Gouvernement du Reich. Bien que la presse nationale-socialiste qualifie d’« audace simpliste » la démarche du Chancelier du Reich von Papen, qui s’entretient actuellement avec les personnalités susceptibles de faire partie d’un cabinet de concentration nationale, et déclare qu’il ne peut y avoir qu’une réponse : « Pas de négociations avec Papen », j’estimerais avoir négligé mon devoir et je ne pourrais pas me justifier vis-à-vis de ma propre conscience, si je ne tentais pas de me rapprocher de vous conformément à la mission qui m’a été confiée. Je sais, d’après les journaux, que vous maintenez votre candidature à la Chancellerie et je sais également que les raisons qui ont motivé votre décision du 13 août existent toujours. Je n’ai pas besoin de vous assurer encore une fois que je n’en fais pas une question personnelle : J’estime cependant que le chef d’un mouvement national aussi important dont j’ai toujours reconnu les mérites qu’il s’est acquis vis-à-vis du peuple et du pays, malgré quelques critiques nécessaires, ne devrait pas refuser de discuter de la situation et des décisions qui s’imposent avec l’homme d’État allemand qui en assume actuellement toute la responsabilité. Nous devons essayer d’oublier l’amertume des élections et placer les affaires du pays que nous servons tous deux au-dessus de toute autre considération. »
Hitler répondit le 16 novembre 1932 par une longue lettre où il posait des conditions inacceptables pour von Papen, puisque celui-ci démissionna le jour suivant et que von Schleicher lui succéda. C’est le document D-634 que je dépose sous le n° GB-238, car il fait partie de la même correspondance. Je n’ai pas besoin de lire la lettre elle-même.
Puis vinrent les rencontres de janvier 1933, entre Papen et Hitler, dans les maisons de von Schrœder et de Ribbentrop, qui aboutirent à l’accession de Hitler au poste de Chancelier du Reich, en remplacement de von Schleicher, le 30 janvier 1933. Revenant de nouveau à la biographie, page 66 du livre de documents, nous trouvons le récit de la rencontre chez von Schrœder, au paragraphe 2 :
« La réunion qui eut lieu au début de janvier 1933, dans la maison du banquier baron von Schrœder à Cologne et à laquelle Hitler assistait, est due à son initiative » — ce qui veut dire l’initiative de von Papen — « bien que von Schrœder ait été le médiateur. Von Papen et Hitler firent plus tard des déclarations publiques concernant cette réunion (presse du 6 janvier 1933). Après la chute rapide de von Schleicher, le 28 janvier 1933, le cabinet Hitler-von Papen-Hugenberg-Seldte fut formé le 30 janvier 1933, comme Gouvernement de concentration nationale. Dans ce cabinet, von Papen occupait le poste de vice-chancelier et de commissaire du Reich pour la Prusse. »
Les rencontres chez Ribbentrop, auxquelles assista von Papen, ont été mentionnées par Sir David Maxwell-Fyfe, dans le document D-472 (GB-130).
Je désire maintenant déposer comme preuve un affidavit de von Schrœder, mais je crois comprendre que le Dr Kubuschok désire émettre une objection. Peut-être, avant qu’il ne la présente, devrais-je dire franchement que von Schrœder est actuellement en prison et que, d’après les renseignements que je possède, il se trouve à Francfort ; on pourrait donc sans aucun doute le faire venir. Peut-être pourrais-je aussi ajouter que le Ministère Public ne voit aucune objection à ce que l’on procède à des interrogatoires de von Schrœder au sujet de cet affidavit.
Je m’oppose à la lecture de l’affidavit de von Schrœder. Je sais que le Tribunal a autorisé la lecture d’affidavits dans certains cas particuliers, et ceci en vertu de l’article 19 de l’acte constitutif qui dispose que les débats devraient être conduits aussi rapidement que possible et qu’en conséquence les règles ordinaires de la procédure devraient être quelque peu modifiées. Ce qui importe avant tout, c’est donc la rapidité du Procès, et ce n’est pas pour cette raison que, dans le cas qui nous intéresse, la lecture de l’affidavit doit être autorisée.
Ce cas est tout à fait semblable à celui qui fut tranché le 14 décembre, au sujet de l’affidavit de Schuschnigg. Von Schrœder n’est pas loin d’ici ; il a vraisemblablement été transféré près de Nuremberg pour les besoins de ce Procès : il peut donc être amené ici à n’importe quel moment. Cet affidavit fut rédigé le 5 décembre. Sa lecture m’obligerait à en appeler non seulement à Schrœder, mais également à divers autres témoins.
Dans son affidavit, Schrœder a entrepris l’exposé d’une série de faits dont l’ensemble n’aurait certainement aucune influence sur la décision ; cependant, s’ils venaient à être introduits dans les débats, les avocats devraient les discuter conformément à leur devoir.
Cet affidavit traite de questions de politique intérieure et on y trouve des expressions inexactes. Ceci provoquerait des malentendus que l’on pourrait éviter par l’audition du témoin. À mon avis, Schrœder doit donc témoigner verbalement ; la solution contraire obligerait à appeler un grand nombre de témoins à la barre, en plus de la propre audition de Schrœder lui-même et de la lecture de son affidavit.
Avez-vous terminé ?
Oui.
Désirez-vous faire une observation ?
Oui. On a demandé au Tribunal de rejeter cet affidavit en se fondant sur le précédent de la décision prise à propos de la déposition de von Schuschnigg. Je crois qu’il est exact d’affirmer que cette exclusion a constitué une exception à la règle générale relative à ces témoignages posée sciemment par le Tribunal lorsqu’il accepta l’affidavit de M. Messersmith. Peut-être Votre Honneur me permettra-t-il de lire le compte rendu de la décision du Tribunal relative à l’affidavit de Messersmith ?
M. Messersmith était à Mexico, n’est-ce pas ?
Oui, c’est exact.
II y a donc, sur ce point ; une différence considérable entre Schuschnigg et lui.
Sur ce point, oui, mais j’allais ajouter ceci : en réglant le cas de l’affidavit de Messersmith, Votre Honneur a déclaré : « En considération de ces dispositions » — c’est-à-dire celles de l’article 19 du Statut — « le Tribunal maintient que les affidavits peuvent être présentés et que c’est la procédure adéquate dans le cas qui nous occupe. La question de la valeur probatoire d’un affidavit comparée à celle de la déclaration d’un témoin qui a subi un contre-interrogatoire sera, bien entendu, prise en considération par le Tribunal, et si celui-ci estime par la suite que la présence d’un témoin est d’une importance décisive, le cas pourra être examiné à nouveau. »
Et Votre Honneur a ajouté : « Si la Défense désire poser des questions au témoin, elle aura toute liberté de le faire. »
L’après-midi du même jour, l’affidavit de Schuschnigg fut mentionné...
Quel jour était-ce ?
Le 28 novembre, Votre Honneur. L’affidavit Messersmith figure au procès-verbal des débats (Tome II, page 353), l’affidavit Schuschnigg : (Tome II, page 383).
L’objection faite à l’affidavit de Schuschnigg a été présentée dans les termes suivants :
« Aujourd’hui, lorsque fut communiquée la décision concernant l’emploi d’un affidavit de M. Messersmith, le Tribunal a estimé que dans un cas véritablement important, il pourrait adopter un point de vue différent ». Et l’avocat a ajouté : « Comme il s’agit ici d’un témoin très important, il faut adopter le principe du témoignage direct. »
Avez-vous la référence d’une intervention ultérieure de M. Justice Jackson sur ce sujet, lorsqu’il déclara que, pour interpréter fidèlement l’article 19, nous devrions admettre tout moyen susceptible d’avoir une valeur probatoire.
Je n’ai pas cette référence.
Pourquoi ne convoquez-vous pas ce témoin ?
Je déclare franchement — et c’est là que j’en étais — que ce témoin peut être considéré comme un des conspirateurs, et je ne cache pas que, pour des raisons évidentes, le Ministère Public ne désire pas l’appeler comme témoin. Je présente cet affidavit comme l’aveu d’un conspirateur. J’admets qu’il ne s’agit pas d’un aveu fait au cours de la poursuite du complot, mais je pense que le Tribunal, qui n’est pas lié par les règles techniques de l’admission des preuves, peut accepter cet affidavit comme preuve et le considérer comme l’aveu d’un conspirateur. Comme je l’ai dit précédemment, il n’y a pas d’objection à ce que l’on pose des questions sur le contenu de cet affidavit, et à ce que le témoin soit entendu en tant que témoin à décharge, si c’est nécessaire. C’est tout ce que j’avais à dire.
Voyez-vous une objection à ce que l’on convoque le témoin pour le contre-interroger sur l’affidavit ?
Je ne crois pas qu’il puisse y avoir d’objection à cette convocation du moment que l’on reste dans le cadre de l’affidavit. Je n’aimerais pas...
Comment pourriez-vous faire une objection, par exemple, si l’accusé lui-même demande qu’on appelle le témoin ?
Ainsi que je l’ai déclaré, je ne crois pas qu’il puisse y avoir d’objection.
Le résultat serait le même apparemment. Si le témoin était convoqué pour un contre-interrogatoire, on ne pourrait lui poser d’autres questions que celles qui rentrent dans le cadre de l’affidavit. Si l’accusé veut le citer comme son propre témoin, on ne peut s’opposer à ce qu’on l’interroge sur des points étrangers au contenu de l’affidavit.
Dans ce cas, il ne pourrait pas subir le contre-interrogatoire du Ministère Public.
Voulez-vous dire que vous lui poseriez des questions au cours d’un nouvel interrogatoire, mais qu’elles ne revoteraient pas la forme d’un contre-interrogatoire ?
En effet.
Voulez-vous dire que vous préféreriez le faire venir comme témoin à décharge, plutôt que de le voir interroger contradictoirement en dehors du contenu de l’affidavit ?
Oui, Votre Honneur.
Avez vous quelque chose à ajouter ?
Je n’ai rien à ajouter.
II est temps de lever l’audience. Nous allons étudier la question.