QUARANTE ET UNIÈME
JOURNÉE.
Mercredi 23 janvier 1946.
Audience de l’après-midi.
Au nom du Dr von Rohrscheidt, avocat de l’accusé Hess, je désirerais faire la déclaration suivante :
Le Dr von Rohrscheidt a été victime d’un accident : il s’est cassé la cheville. L’accusé Hess m’a prié de faire savoir au Tribunal que, désormais, il comptait faire usage jusqu’à la fin du Procès, du droit qui lui est conféré par le Statut de se défendre lui-même. La raison pour laquelle il désire adopter ce système pour toute la durée du Procès est que son avocat, en raison de son absence, ne sera pas au courant des débats.
Le Tribunal examinera la requête orale qui vient de lui être présentée au nom de l’accusé Hess.
En ce qui concerne l’objection élevée ce matin par l’avocat de l’accusé von Papen à propos de l’affidavit de von Schrœder, le Tribunal n’a pas l’intention de formuler une règle générale sur l’admission des preuves sous forme d’affidavit. Dans ce cas particulier, le Tribunal admettra la déposition en question, mais stipulera que, si cet affidavit est déposé comme preuve, son auteur, von Schrœder, devra être cité immédiatement et soumis à un contre-interrogatoire par la Défense. Lorsque je dis « immédiatement », je veux dire aussitôt que possible.
Monsieur le Président, je ne déposerai pas cet affidavit comme preuve.
Bien, commandant Barrington.
Avant d’en venir à cette déposition, je venais de lire un passage tiré de la biographie et relatif à la réunion qui eut lieu chez von Schrœder. Je demande au Tribunal de déduire de cet extrait de la biographie que c’est au cours de cette réunion qu’eut lieu la discussion entre Hitler et von Papen qui aboutit à la création du Gouvernement de Hitler, dans lequel von Papen était vice-chancelier. Donc dès ce moment, l’accusé von Papen se trouvait étroitement lié au sort du parti nazi : avec une pleine conscience et de sa propre initiative, il a contribué matériellement à le porter au pouvoir.
La deuxième accusation portée contre l’accusé von Papen concerne le rôle qu’il joua dans l’affermissement du contrôle nazi sur l’Allemagne.
Au cours des dix-huit premiers mois, période critique de l’affermissement du contrôle nazi, von Papen n’avait, en sa qualité de vice-chancelier, d’autre supérieur que Hitler dans le gouvernement chargé de l’exécution du programme nazi.
Le processus de l’affermissement du contrôle nazi sur l’Allemagne par la voie légale a déjà été amplement exposé au cours des débats. Les hautes fonctions de von Papen doivent l’avoir étroitement associé à toute cette législation. En juillet 1934, Hitler lui exprima sa reconnaissance pour tout ce qu’il avait fait pour la coordination du Gouvernement de la révolution nationale. C’est ce qui ressort du document PS-2799. Je citerai dans quelques instants des extraits de ce document, bien qu’il ait déjà été déposé par M. Alderman.
Il convient de signaler particulièrement deux importants décrets, car ils, portent la signature de von Papen lui-même. D’abord le décret du 21 mars 1933, relatif à la constitution de tribunaux d’exception pour le jugement de tous les délits politiques. Le Tribunal a déjà accordé une valeur probatoire à ce décret. Ceci figure au procès-verbal de l’audience de l’après-midi du 22 novembre (Tome II, p. 205).
Ce décret fut la première mesure de nazification du système judiciaire allemand. Pour toutes les affaires politiques, il abolissait les droits fondamentaux, y compris le droit d’appel, qui avait été jusque là une des caractéristiques du droit pénal allemand.
À la même date, le 21 mars 1933, von Papen signa le décret d’amnistie libérant toutes les personnes qui avaient commis des meurtres ou autres crimes entre le 30 janvier et le 21 mars 1933, au cours de la révolution nationale du peuple allemand. Ce décret constitue notre document PS-2059, qui figure à la page 30 du livre de documents anglais. J’en lirai le premier article.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de donner lecture de ces décrets. Peut-être pourriez-vous les résumer ?
Je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire à ce décret.
Oui.
En sa qualité de membre du Cabinet du Reich, von Papen était, à mon avis, responsable de l’application de la législation, même quand les décrets ne portaient pas sa signature personnelle. Mais je me propose de mentionner, à titre d’exemples, deux catégories de mesures législatives afin de montrer, en particulier, en me rapportant à ses déclarations contemporaines et antérieures, que ce ne sont pas là des faits dont il pourrait prétendre qu’en politicien respectable, il se désintéressait.
Tout d’abord, les services d’État. Fonctionnaire lui-même, von Papen a dû mener avec sa conscience une lutte pénible, mais en apparence couronnée de succès, lorsqu’il s’est associé à cette série de vastes décrets qui ont affirmé le contrôle nazi sur le Corps des fonctionnaires. Ceci a déjà été mentionné à l’audience du 22 novembre, après-midi, au procès-verbal (Tome II, pages 205 et 215). À cet égard, j’invite le Tribunal à se reporter au document PS-351 qui se trouve à la page 1 du livre de documents, c’est la pièce USA-389. C’est le procès-verbal de la première réunion du Cabinet de Hitler, en date du 30 janvier 1933. Je cite, au dernier paragraphe figurant à la. page 5 du livre de documents, en commençant au milieu :
« Le délégué du Chancelier du Reich et commissaire du Reich pour l’État de Prusse suggéra que le Chancelier du Reich démentît aussitôt que possible, au cours d’une interview, les rumeurs relatives au danger d’inflation et à la limitation des droits des fonctionnaires. »
Même si cela n’avait pas pour but de suggérer à Hitler de donner des assurances trompeuses, cela fait parfaitement ressortir l’indifférence avec laquelle von Papen considéra plus tard la trahison dont les fonctionnaires furent l’objet.
En second lieu, les décrets concernant l’intégration au Reich des États Fédéraux. On en a également traité au cours des débats, à la page 29 du procès-verbal de l’audience du 22 novembre après-midi (Tome II, page 205). En substance, ces décrets eurent pour effet d’abolir les États et de liquider le fédéralisme ainsi que toute influence qui aurait pu retarder la centralisation du pouvoir dans les mains du Cabinet du Reich. L’importance de cette mesure et le rôle joué par von Papen ressortent des lettres échangées entre Hindenburg, von Papen (en sa qualité de commissaire du Reich pour la Prusse) et Hitler, à l’occasion du rappel du commissaire du Reich et de la nomination de Göring au poste de Premier Ministre de Prusse. Je me reporte au document PS-3357 figurant à la page 52 du livre de documents. Je le dépose sous la référence GB-239.
En remettant sa démission, le 7 avril 1933, von Papen écrivit à Hitler, (je lis le document) :
Avec le projet de loi sur la coordination des états avec le Reich, présenté aujourd’hui par le Chancelier du Reich, a commencé une œuvre législative qui aura une importance historique pour le développement politique de l’État allemand. La mesure prise le 20 juillet 1932 par le Gouvernement du Reich que je dirigeais à l’époque, en vue d’abolir le dualisme entre le Reich et la Prusse, est maintenant couronnée par cette nouvelle fusion, étroite et légale, des intérêts de la Prusse avec ceux du Reich. Vous serez maintenant, Monsieur le Chancelier, comme autrefois le prince de Bismarck, en mesure de coordonner, à tous points de vue, la politique du plus grand des États allemands avec celle du Reich. Maintenant que cette nouvelle loi vous permet de nommer le Premier Ministre de Prusse, je vous demande de bien vouloir informer le Président du Reich que je remets entre ses mains mon poste de commissaire du Reich pour la Prusse. »
J’aimerais lire également la lettre adressée par Hitler à Hindenburg pour transmettre cette démission. Hitler écrivait : « Monsieur le Président du Reich, le vice-chancelier von Papen m’a adressé une lettre que je vous fais parvenir ci-jointe et dont je vous prie de bien vouloir prendre connaissance.
« Monsieur von Papen m’avait déjà informé, au cours des derniers jours, qu’il était d’accord avec le ministre Göring pour démissionner de sa propre initiative, aussitôt que l’unification des affaires gouvernementales du Reich et de la Prusse serait assurée par la nouvelle loi sur la coordination de la politique dans le Reich et dans les États.
« Dans la soirée du jour où la nouvelle loi sur l’institution des gouverneurs du Reich fut adoptée, Monsieur von Papen considéra que ce but avait été atteint et il me pria de procéder à la nomination d’un Premier Ministre de Prusse, précisant qu’il mettait ses services à l’entière disposition du Gouvernement du Reich.
« Monsieur von Papen, en acceptant d’être nommé commissaire du Gouvernement de la Prusse à cette époque difficile, depuis le 30 janvier, a rendu un service méritoire à la réalisation de l’idée de coordination de la politique du Reich. Sa collaboration au sein du Cabinet du Reich à la disposition duquel il met maintenant toute son énergie, est infiniment précieuse. Mes relations avec lui sont si cordialement amicales que je me réjouis sincèrement de la grande assistance qui me sera donnée. »
Cependant, c’est seulement cinq semaines auparavant que, le 3 mars 1933, von Papen avait averti le corps électoral de Stuttgart du danger qu’il y aurait à abolir le fédéralisme. J’aimerais lire maintenant le document PS-3313 figurant à la page 48 du livre de documents anglais, que je dépose maintenant sous la référence GB-250, vers le milieu du troisième paragraphe. C’est un extrait du discours prononcé à Stuttgart par von Papen :
« Le fédéralisme nous protégera du centralisme, cette forme d’organisation qui concentre sur un point toutes les forces vives d’une nation. Aucune nation ne s’accommode moins d’un gouvernement centralisé que la nation allemande. »
Plus tôt encore, à l’époque des élections de l’automne 1932, von Papen, s’était rendu à Munich, en qualité de Chancelier. La Frankfurter Zeitung du 12 octobre 1932 fit des commentaires sur sa politique. Je mentionne le document PS-3318, figurant à la page 51 du livre de documents anglais. Je le dépose sous la cote GB-241. La Frankfurter Zeitung écrivait :
« Von Papen déclara que « le but qu’il poursuivait depuis son « entrée en fonctions, était d’édifier le nouveau Reich avec les États « et pour eux », que « le Gouvernement du Reich adoptait une attitude résolument fédéraliste » et que son mot d’ordre n’est pas un « plat centralisme ou unitarisme. »
C’était en octobre 1932. Tout cela fut jeté par dessus bord pour respecter les vues de son nouveau maître.
J’en viens maintenant à la question juive. En mars 1933, le cabinet tout entier approuva une politique systématique de persécution des Juifs qui a déjà été commentée devant le Tribunal et figure au procès-verbal des débats, (Tome III, page 531 et Tome V, page 98).
Quatre jours seulement avant que le boycottage commençât avec une « férocité totale » (pour emprunter les termes mêmes du docteur Goebbels), von Papen rédigeait un radiogramme pour rassurer la Chambre de Commerce germano-américaine à New-York qui avait exprimé son anxiété au Gouvernement allemand sur la situation. Je dépose ce document D-635, sous le n° GB-242 ; il figure à la page 73 du livre de documents anglais. Cette assurance fut publiée dans le New-York Times du 28 mars 1933 et contient la phrase suivante, qui se trouve vers le milieu de la page. Ce document est l’avant-dernier du livre de documents allemand :
« Les rapports qui circulent en Amérique et dont nous prenons ici connaissance avec indignation, sur de prétendues tortures infligées aux prisonniers politiques et sur les mauvais traitements appliqués aux Juifs méritent le démenti le plus formel. Des centaines de milliers de Juifs qui, quelle que soit leur nationalité, n’ont pas pris part à des activités politiques, vivent ici sans être maltraités le moins du monde. »
C’est là un exemple caractéristique...
L’article du New-York Times se rapporte à un télégramme de l’accusé von Papen, qui figure à la page précédente du livre de documents. La traduction anglaise porte la date du 27 mars ; cette date est erronée. Le texte allemand qu’on m’a remis montre qu’il s’agit d’une lettre de fin de semaine qui, d’après les chiffres figurant sur le document allemand, fut envoyée le 25 mars.
Cette différence de dates est très importante pour la raison suivante : en fait, le 25 mars, on n’avait encore rien révélé au sujet du boycottage des Juifs, que Goebbels avait annoncé pour le 1er avril. L’accusé von Papen ne pouvait donc pas, le 25 mars, attirer l’attention sur des incidents qui, à cette époque, étaient encore relativement peu nombreux et de peu d’importance, comme il l’a fait dans ce télégramme. De toute façon, cela réduit à néant la thèse de l’Accusation, selon laquelle le texte du télégramme était mensonger.
Monsieur Barrington, avez-vous l’original de ce document ?
Oui, il est ici, Monsieur le Président. Il est tout à fait exact qu’il y a au haut de la page des chiffres que je n’avais pas remarqués, et qui pourraient indiquer qu’il a été envoyé le 25.
Et quand eut lieu la réunion où fut approuvée cette politique de persécution des Juifs ?
Je ne saurais le dire exactement. Elle eut lieu vers la fin du mois de mars, mais cela a pu être le 26, je peux faire vérifier ce point.
Très bien.
Puis-je faire remarquer, pour éclairer le débat, que la réunion du Cabinet au cours de laquelle le problème juif fut discuté, eut lieu à une date bien postérieure et qu’au cours de cette réunion, certains membres du Cabinet, dont l’accusé von Papen, condamnèrent le boycottage des Juifs ? Je déposerai le procès-verbal de cette réunion dès que ma requête en ce sens aura été acceptée.
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire quand vous parlez de l’acceptation de votre requête. Il appartient au Ministère Public de nous dire s’il persiste ou non dans son allégation.
Je dirai ceci : si nous vérifions la date à laquelle eut lieu la réunion du Cabinet.
Vous pourrez voir cela après la suspension d’audience et nous faire savoir le résultat demain matin.
Bien, Monsieur le Président. Je ne ferai qu’ajouter ceci déjà dit au Tribunal : il était de notoriété publique à cette époque que la politique nazie était dirigée contre les Juifs et qu’il y avait déjà des Juifs dans les camps de concentration. Je laisse au Tribunal le soin de conclure que von Papen était au courant de cette politique de boycottage à l’époque où fut expédié le radiogramme dont je suis prêt à admettre qu’il était daté du 25 mars.
Je continuerai sur ce sujet en disant que von Papen fut effectivement et en personne un défenseur de cette politique antisémite. Pour le prouver, je déposerai, sous le n° GB-243, le document PS-2830, figurant à la page 37 (a) du livre de documents. Il s’agit d’une lettre écrite par von Papen à Vienne, le 12 mai 1936, et adressée à Hitler au sujet du Freiheitsbund ; voici le paragraphe 4 du texte anglais :
« L’incident suivant est intéressant : le secrétaire de la légation tchèque, Dohalsky, a offert à M. Staud, chef du Freiheitsbund, de mettre à la disposition de son mouvement, de la part du Gouvernement tchèque, toute somme dont il aurait besoin pour renforcer sa lutte contre la « Heimwehr ». La seule condition était que le Freiheitsbund adoptât formellement une attitude anti-allemande. M. Staud a simplement refusé cette offre. Ce fait révèle comment, dans le camp ennemi, on évalue déjà le regroupement des forces. D’autre part, il en ressort pour nous la nécessité de soutenir financièrement ce mouvement comme par le passé, surtout en ce qui concerne la poursuite de la lutte contre la juiverie. »
Je dois ici faire ressortir une difficulté qui doit être le fait de la traduction. Dans le texte original allemand, l’expression « en ce qui concerne » (mit Bezug) est employée de la façon suivante : « ... en ce qui concerne la poursuite de la lutte contre la juiverie. » Ici l’expression « en ce qui concerne » signifie que l’argent devait être transmis sous cette rubrique, bien que cela ne correspondît pas réellement à ce but, car le Freiheitsbund autrichien n’était pas un mouvement antisémite mais un syndicat légal auquel le Chancelier Dollfuss avait également appartenu. Cette expression « en ce qui concerne » signifie simplement que le transfert de l’argent nécessitait une désignation de couverture, car il était impossible de faire venir de l’étranger des fonds destinés à un parti reconnu par l’État, dans quelque but que ce soit, comme le montre le rejet de l’offre de la Tchécoslovaquie. Je tenais simplement à faire remarquer que les mots « en ce qui concerne » peuvent prêter à confusion et devraient plutôt être traduits par « sous prétexte de ». En tout cas, je voudrais bien préciser que cette expression constituait une sorte de camouflage du transfert de l’argent.
Je ne vois pas à quel mot vous faites allusion. Mais je crois comprendre que le fait de citer cette lettre a pour seul but de prouver que von Papen y suggérait de soutenir financièrement une certaine organisation dans sa lutte contre les Juifs. C’était le seul but de cette référence. Je ne vois pas ce que vous voulez dire au sujet de cette traduction erronée.
Voilà justement où est l’erreur. Les fonds n’ont pas été transmis pour lutter contre la juiverie, car ce n’était pas du tout le but du syndicat chrétien d’Autriche, mais il fallait mentionner le transfert d’argent sous une rubrique convenue : ce prétexte fut la poursuite de la lutte contre les Juifs. Le but n’en était donc pas cette lutte, mais l’élimination par des moyens financiers d’une autre influence étrangère, en l’occurrence celle de la Tchécoslovaquie.
J’aurais pensé, pour ma part, que l’argument que vous auriez pu opposer au Ministère Public était que cette lettre est datée de presque trois ans après l’époque dont vous étiez en train de parler.
C’est exact, Votre Honneur, ce n’était pas au même moment que la précédente.
Oui, la première était datée de 1933 et celle-ci de 1936.
Oui, je l’ai simplement déposée pour montrer quelle était alors, malgré tout, la position de von Papen. Si Votre Honneur conserve quelque doute au sujet de la traduction, je suggère qu’elle soit refaite maintenant par l’interprète. Nous possédons le texte allemand, une photocopie.
Je pense que vous pourrez le faire retraduire demain ; si c’est nécessaire, vous pourrez y revenir alors.
Bien, Votre Honneur.
J’en arrive maintenant à l’Église catholique. Le comportement des nazis à l’égard de l’Église a déjà fait l’objet d’une étude détaillée par le Ministère Public américain. Dans ce domaine particulier, von Papen, catholique éminent, a contribué plus que quiconque à consolider la position nazie tant en Allemagne qu’à l’étranger.
En traitant de la persécution de l’Église, le colonel Wheeler a lu devant le Tribunal l’assurance prodiguée par Hitler à l’Église le 23 mars 1933, dans son discours relatif à la loi des pleins pouvoirs, assurance qui eut pour conséquence la célèbre déclaration faite à Fulda par les évêques allemands, dont le colonel Wheeler a également fait mention. C’était le document PS-3387, qui a été déposé sous le n° USA-566.
Hitler semble avoir donné cette assurance trompeuse sur la suggestion que von Papen lui avait faite huit jours auparavant, au cours de la réunion du Cabinet du Reich du 15 mars 1933, où avait été discutée la loi des pleins pouvoirs. Je me réfère au document PS-2962 qui est la pièce USA-578, figurant à la page 40 du livre de documents anglais. Je cite un extrait de la page 44 — au bas de la page 6 du texte allemand — On lit au procès-verbal :
« Le délégué du Chancelier du Reich et commissaire du Reich pour la Prusse déclara qu’il était d’une importance décisive de coordonner dans l’État nouveau les masses qui suivaient les partis. La question de l’incorporation du catholicisme politique dans l’État nouveau était d’une importance particulière. »
Voilà la déclaration faite par von Papen au cours de la réunion du Cabinet du Reich où fut discutée la loi des pleins pouvoirs, avant le discours de Hitler au cours duquel il prodigua ses assurances à l’Église.
Le 20 juillet 1933, von Papen signa le concordat qu’il avait négocié avec le Vatican. Le Tribunal a déjà admis comme preuve ce document officiel qui porte le n° PS-3280. La signature de ce concordat, de même que le discours de Hitler inspiré par Papen sur la loi des pleins pouvoirs, n’était qu’un intermède dans la politique suivie par les conspirateurs nazis à l’égard de l’Église. Leur politique d’assurances fut suivie par une longue série de violations qui eurent pour résultat final leur dénonciation par le Pape dans l’Encyclique : « Mit brennender Sorge » qui a été déposée comme document PS-3476 (USA-567).
Von Papen soutient que ses actes à l’égard de l’Église étaient sincères et il a affirmé au cours de son interrogatoire que le sabotage du concordat avait été le fait de Hitler. Si von Papen croyait réellement aux assurances solennelles qu’il avait prodiguées au Vatican au nom du Reich, j’estime qu’il est étrange que, catholique lui-même, il ait continué à servir Hitler après toutes ces violations et même après l’Encyclique du Pape. J’irai plus loin, je dirai que Papen était lui-même impliqué dans ce qui était virtuellement, sinon techniquement, une violation du concordat. Le Tribunal se souviendra du message du Pape daté du 2 juin 1945, qui constitue le document PS-3268 (USA-356) et dont le colonel Storey a lu un extrait qui était le résumé, dans les termes employés par le Pape, de la lutte ardente menée par les nazis contre l’Église. Ceci figure au procès-verbal (Tome IV, page 72).
Le premier point mentionné par le Pape est la dissolution des organisations catholiques. Le Tribunal voudra bien se reporter au document PS-3376, à la page 56 du livre de documents anglais, que je dépose maintenant sous le n° GB-244 et qui est un extrait de « Das Archiv ». Il y verra qu’en septembre 1934, von Papen ordonna — je dis bien « ordonna » — la dissolution de l’Union des catholiques allemands dont il était à l’époque le chef. Le texte de « Das Archiv » est rédigé comme suit :
« La direction du Parti annonce la dissolution spontanée de l’Union des catholiques allemands.
« Étant donné que la direction du Parti, par l’intermédiaire de son département pour la « Paix culturelle », s’occupe directement et dans une mesure sans cesse croissante de tous les problèmes culturels ainsi que de ceux qui concernent les relations de l’État et de l’Église, les tâches qui avaient été imparties à l’Union des catholiques allemands rentrent maintenant dans le cadre des activités de la direction du Parti et ceci dans l’intérêt d’une meilleure coordination.
« Le vice-chancelier von Papen qui a jusqu’à ce jour dirigé l’Union des catholiques allemands a déclaré au sujet de la dissolution de cette organisation qu’elle avait été effectuée sur sa suggestion, puisque l’attitude de l’État national-socialiste à l’égard de l’Église chrétienne et catholique avait été définie à plusieurs reprises et sans équivoque par le Führer-Chancelier lui-même. »
J’ai dit que Papen avait « ordonné » cette dissolution, bien que la notification déclare qu’il s’agissait d’une « dissolution spontanée » effectuée sur sa proposition, mais j’estime qu’une proposition de ce genre, émanant d’un personnage comme von Papen, équivalait à un ordre puisqu’il était de notoriété publique, à l’époque, que les nazis étaient formellement décidés à ne pas admettre l’existence d’organisations rivales.
Après avoir passé neuf mois au service de Hitler, neuf mois au cours desquels il renforça le contrôle nazi, von Papen était manifestement content de son choix. Je me réfère au document que je dépose sous le n° GB-245. Le 2 janvier 1933, au cours d’un discours prononcé à Essen, à la même tribune que Hitler et que le Gauleiter Terboven, au cours de la campagne pour les élections du Reichstag et pour le referendum concernant le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations, von Papen déclara :
« Depuis que la Providence m’a appelé à devenir le pionnier de la résurrection nationale et de la renaissance de notre patrie, j’ai essayé de soutenir de toutes mes forces le travail du mouvement national-socialiste et de son chef. De même qu’à l’époque où j’assumais les fonctions de Chancelier » — c’est-à-dire en 1932 — « je me suis efforcé de déblayer la route du pouvoir à ce jeune mouvement de libération ; de même que le 30 janvier j’ai été choisi par un destin heureux pour mettre la main de notre Chancelier et Führer dans celle de notre bien-aimé Feldmarschall, de même, aujourd’hui, je me sens à nouveau dans l’obligation de dire au peuple allemand et à tous ceux qui ont gardé confiance en moi :
« Dieu a béni l’Allemagne en lui donnant, à une époque de profonde détresse, un chef qui, avec le sûr instinct d’un homme d’État, saura la conduire vers un avenir heureux, à travers toutes les misères et toutes les faiblesses, à travers toutes les crises et tous les dangers. »
Voici maintenant la dernière phrase de ce texte, à la page 55 :
« Affirmons maintenant au Führer de la nouvelle Allemagne que nous croyons en lui et en sa mission. »
À cette époque, le Cabinet dont faisait partie von Papen et auquel il avait consacré toute son énergie avait aboli les libertés civiles, consacré l’assassinat politique commis pour contribuer à la prise du pouvoir par le parti nazi, détruit tous les partis politiques rivaux, promulgué les lois fondamentales sur la suppression de l’influence politique des États fédéraux, fourni les éléments juridiques de l’élimination des éléments anti-nazis du corps des fonctionnaires et du système judiciaire et s’était lancé dans une politique nationale de persécution des Juifs. »
Les termes de von Papen sont d’une sinistre ironie : « ... Dieu a béni l’Allemagne... »
La troisième accusation portée contre l’accusé von Papen concerne le fait qu’il a favorisé les préparatifs de la guerre. Connaissant comme il le connaissait le programme fondamental du parti nazi, il est inconcevable qu’en sa qualité de vice-chancelier du Reich, poste qu’il occupa pendant un an et demi, il ait pu ne pas participer aux préparatifs de guerre des conspirateurs ; lui, dont Hitler écrivait dans sa lettre à Hindenburg, le 10 avril 1933, que « sa collaboration au sein du Cabinet du Reich, à la disposition duquel il met maintenant toute son énergie, est infiniment précieuse ».
La quatrième accusation portée contre von Papen concerne sa participation aux préparatifs politiques et à l’élaboration des guerres d’agression et des guerres faites en violation des traités internationaux. Dans le cas de Papen, cette accusation est en réalité l’histoire de l’Anschluss. Son rôle a consisté à préparer les guerres d’agression et cela sous un double aspect : tout d’abord, l’Anschluss était la mesure préliminaire indispensable à toutes les agressions armées qui devaient suivre. En second lieu, même si on peut soutenir que l’Anschluss s’est en fait réalisé sans agression, il avait été prévu de telle façon qu’on aurait employé la force si le besoin s’en était fait sentir.
Il me suffira d’exposer sommairement les activités déployées en Autriche par von Papen puisque toute l’histoire de l’Anschluss a déjà été décrite devant ce Tribunal. Cependant, avec la permission du Tribunal, j’aimerais lire à nouveau deux brefs passages concernant particulièrement la personne de von Papen. Mais avant d’aborder ce sujet, il y a une question que je ne me sens pas le droit d’omettre.
Le 18 juin 1934, von Papen prononça son remarquable discours à l’université de Marburg. Je n’ai pas l’intention de le déposer comme preuve : il ne figure pas davantage au livre de documents, car c’est un document historique. Je n’ai pas l’intention de m’engager dans la discussion des motifs et des conséquences de ce discours qui ne sont pas dépourvus de mystère mais je dirai ceci : que l’essentiel de ce discours constituait une critique hardie des nazis. On peut imaginer que les nazis en furent furieusement irrités et bien que von Papen ait échappé à la mort au moment de l’épuration sanglante qui eut lieu douze jours plus tard, il fut arrêté pendant trois jours. Que cette arrestation ait été prévue à l’origine pour se terminer par une exécution ou qu’elle ait eu pour but de le protéger de l’épuration, comme un personnage trop précieux pour être perdu, il m’est indifférent de le savoir. Après sa mise en liberté, il quitta son poste de vice-chancelier ce qui est assez naturel. La question qui se pose — et c’est pourquoi j’en fais ici mention — est la suivante : pourquoi, après cet événement brutal, a-t-il accepté d’entrer à nouveau au service des nazis ? Quelle occasion manquée : s’il s’était arrêté à ce moment-là, il aurait pu épargner bien des souffrances au monde. Supposons que le vice-chancelier de Hitler, dès sa mise en liberté, ait lancé un défi aux nazis et dit la vérité au monde : il n’y aurait peut-être jamais eu une réoccupation de la Rhénanie ; il n’y aurait peut-être jamais eu de guerre. Mais je n’ai pas à faire de hasardeuses spéculations. La triste vérité c’est qu’il revint et qu’il se laissa à nouveau fasciner par Hitler.
Après le meurtre du Chancelier Dollfuss, qui n’eut lieu que trois semaines plus tard, le 25 juillet 1934, la situation était si tendue qu’il fallut rappeler le ministre allemand Rieth et le remplacer en hâte par un homme qui était un partisan fanatique de l’Anschluss avec l’Allemagne, qui accepterait les buts et les méthodes nazis, mais qui pourrait donner une apparence respectable à la représentation officielle allemande à Vienne. Cette situation est décrite au procès-verbal des débats (Tome II, pages 356 et 357). La réaction de Hitler devant le meurtre de Dollfuss fut immédiate. Il choisit son homme aussitôt que lui parvint la nouvelle. Le lendemain même, le 26 juillet, il envoya à von Papen sa lettre de nomination. Celle-ci figure à la page 37 du livre de documents anglais ; c’est le document PS-2799, et le Tribunal lui a déjà accordé une valeur probatoire. M. Alderman en a déjà donné lecture et je me propose de mentionner les remarques personnelles qui se trouvent à la fin de cette lettre. Hitler, après avoir donné sa propre version de l’affaire Dollfuss et exprimé son désir que les relations austro-allemandes redeviennent normales et amicales déclare au troisième paragraphe :
« C’est pour cette raison que je vous prie, cher Monsieur von Papen, d’accepter cette importante mission, précisément parce que je vous ai toujours accordé et je vous accorde encore ma confiance la plus totale et la plus absolue depuis le moment où nous avons commencé à travailler ensemble au Gouvernement. »
Et voici le dernier paragraphe de la lettre :
« En vous remerciant, une fois encore, pour tout ce que vous avez précédemment fait pour la coordination du Gouvernement de la résurrection nationale, et pour ce que vous avez fait depuis pour l’Allemagne en collaborant avec nous... »
Je pense que nous pourrions suspendre l’audience pour dix minutes.
Je venais de lire la lettre que Hitler envoya le 26 juillet 1934 à von Papen, pour le nommer ministre à Vienne. Cette lettre qui, bien entendu, fut publiée, ne révélait pas les véritables motifs de cette nomination. La véritable mission de von Papen ne fut ouvertement précisée qu’après son arrivée à Vienne, au cours d’une conversation privée qu’il eut avec le ministre américain, M. Messersmith. Je vais citer un passage de l’affidavit de M. Messersmith, document PS-1760 (USA-57), qui se trouve à la page 22 du livre de documents, à peu près au milieu du deuxième paragraphe :
M. Messersmith déclara : « Lorsque je rendis visite à von Papen à la légation allemande, il m’accueillit avec ces mots : « Vous êtes « maintenant dans ma légation et je peux diriger la conversation ». D’une façon cynique et crue, il continua en me déclarant : « Toute « l’Europe du Sud-Est, jusqu’aux frontières de la Turquie, constitue « l’arrière-pays naturel de l’Allemagne ». Il me dit qu’il avait reçu la mission de faciliter le contrôle politique et économique de l’Allemagne sur toute cette région. Il m’a déclaré nettement et sans ambages que le contrôle de l’Autriche constituait une première étape. Il déclara nettement qu’il était en Autriche pour miner et affaiblir le Gouvernement autrichien et que de Vienne il devait affaiblir le Gouvernement des autres États du Sud et du Sud-Est. Il déclara que, pour réaliser ce but, il avait l’intention d’utiliser sa réputation de bon catholique pour influencer certains Autrichiens tels que le cardinal Innitzer. »
Au cours de la première période de sa mission en Autriche, l’activité de von Papen fut caractérisée par le souci d’éviter toute intervention ouverte. Sa vraie mission fut clairement réaffirmée plusieurs mois après sa nomination, lorsqu’il reçut des instructions de Berlin pour que « durant les deux années suivantes rien ne soit entrepris qui pût occasionner à l’Allemagne des difficultés politiques d’ordre extérieur », et pour que fût évitée pendant cette période toute apparence d’intervention allemande dans les affaires autrichiennes ; et von Papen lui-même déclara à Berger-Waldenegg, ministre des Affaires étrangères d’Autriche : « Oui, vous avez maintenant vos amis français et anglais, et vous pouvez conserver votre indépendance pendant quelque temps encore ». Tout ceci a été présenté en détail par M. Alderman lorsqu’il a cité l’affidavit de M. Messersmith et figure au procès-verbal (Tome II pages 355, 362-364).
Au cours de cette première période, le mouvement nazi prit de l’importance en Autriche, sans qu’on assistât à une intervention déclarée de l’Allemagne ; l’Allemagne avait besoin de plus de temps pour affermir sa situation diplomatique. Ces motifs de la politique allemande furent ouvertement exposés par le ministre des Affaires étrangères d’Allemagne von Neurath au cours d’une conversation qu’il eut avec l’ambassadeur américain en France. Celle-ci figure au procès-verbal des débats (Tome II, page 380). Elle a été lue par M. Alderman et constitue le document L-150, (USA-65).
L’accusé von Papen limita donc ses activités aux fonctions normales d’un ambassadeur, cultivant les éléments respectables de l’Autriche, et se mêlant lui-même à ces milieux. Malgré cette apparence de stricte « non-intervention », von Papen resta en contact avec les éléments subversifs d’Autriche. C’est ainsi que dans son rapport à Hitler, en date du 17 mai 1935, il conseillait d’adopter en Autriche la stratégie nazie proposée par le capitaine Leopold, chef des nazis autrichiens illégaux et dont le but était de tromper le Dr Schuschnigg afin d’établir un gouvernement de coalition avec le parti nazi. Ceci est le document PS-2247 (USA-64) qui figure au procès-verbal des débats (Tome II, pages 378 et 379), et à la page 34 du livre de documents britannique. Je ne veux pas relire cette lettre, mais j’aimerais attirer l’attention du Tribunal sur la première ligne du deuxième paragraphe du texte anglais où von Papen, parlant de la stratégie du capitaine Leopold, déclare :
« Je propose que nous prenions une part active à ce jeu ».
Je mentionne aussi, au sujet des organisations illégales en Autriche, le document 812-PS (USA-61) : le Tribunal se souviendra qu’il s’agit d’un rapport de Rainer à Bürckel et qu’il figure au procès-verbal des débats, (Tome II, pages 367 à 373).
De même, l’accord du 11 juillet 1936 entre l’Allemagne et l’Autriche fut négocié par von Papen. Ceci a déjà été déposé sous le n° TC-22 (GB-20). Le texte qui en a été rendu public stipule que, tandis que l’Autriche se considérerait politiquement comme un État allemand, l’Allemagne reconnaîtrait l’entière souveraineté de l’Autriche et n’exercerait aucune influence directe ou indirecte sur l’ordre intérieur de l’Autriche dans le domaine politique. Mais la partie secrète de l’accord est bien plus intéressante ; elle a été révélée par M. Messer-smith et assurait aux nazis une influence sur le Cabinet autrichien, ainsi que leur participation à la vie politique de l’Autriche. Ceci a déjà été lu par M. Alderman et figure au procès-verbal (Tome II, page 382).
Après la conclusion de l’accord, l’accusé von Papen poursuivit sa politique en restant en contact avec les nazis illégaux, en essayant d’influencer les nominations aux postes stratégiques du Gouvernement et en essayant de faire reconnaître officiellement les organisations de combat nazies. Le 1er septembre 1936, rendant compte à Hitler de ses activités, il résuma son programme de régularisation des relations austro-allemandes en exécution de l’accord du 11 juillet. Ceci constitue le document PS-2246 (USA-67), page 33 du livre de documents anglais.
Le Tribunal Se souviendra qu’il recommandait « comme principe directeur, les manœuvres psychologiques patientes et continues avec une pression croissante orientée vers un changement de régime ». Il mentionne ensuite sa discussion avec le parti illégal et déclare qu’il vise à « la représentation corporative du mouvement au Front patriotique, en s’abstenant néanmoins, pour le moment, d’accorder d’importantes situations aux nationaux-socialistes ».
Il n’est pas nécessaire de revenir encore sur les événements qui conduisirent à la rencontre de Schuschnigg et de Hitler en février 1938, rencontre que von Papen avait ménagée et à laquelle il assista. Nous passons également sur l’invasion finale de l’Autriche en mars 1938. Il suffit de citer un passage de la biographie, page 66 du livre de documents, à peu près aux deux tiers de la page :
« Après les événements de mars 1938, qui eurent pour conséquence l’incorporation de l’Autriche au Reich allemand, von Papen eut la satisfaction de pouvoir assister à l’entrée à Vienne du Führer qui, en reconnaissance des éminents services qu’il avait rendus, venait de l’admettre dans le Parti le 14 février 1938, et de lui conférer l’insigne d’or du Parti.
Et la biographie continue :
« D’abord, von Papen se retira dans sa propriété de Waller-fangen, dans la Sarre ; mais bientôt le Führer eut à nouveau besoin de ses services et, le 18 avril 1939, il le nomma ambassadeur d’Allemagne à Ankara. »
Ainsi, une fois encore, il céda à la tentation de servir Hitler ; cette fois, c’était à une époque où la conquête de la Tchécoslovaquie ne pouvait laisser aucun doute dans l’esprit de von Papen quant aux intentions de Hitler de poursuivre son programme d’agression.
Je cite un autre extrait de la biographie, à la page 66, la dernière phrase de l’avant-dernier paragraphe :
« Après son retour dans le Reich » — c’était en 1944 — « von Papen reçut la croix de chevalier de l’ordre du mérite de guerre avec les épées. »
Pour conclure, j’attire de nouveau l’attention du Tribunal sur les louanges enthousiastes que Hitler fit publiquement de von Papen pour les services qu’il lui avait rendus et particulièrement pour ceux des premiers jours. J’ai cité ici deux exemples où Hitler déclare que « sa collaboration est infiniment précieuse » et : « Vous possédez ma confiance la plus absolue ».
Papen, l’ex-chancelier, le soldat, le catholique respecté, Papen le diplomate, Papen l’homme distingué et cultivé, voici l’homme qui a pu vaincre l’hostilité et l’antipathie des éléments respectables qui barraient la route à Hitler. Papen fut, pour répéter le mot de Sir Hartley Shawcross dans son discours d’ouverture, « un des hommes dont la collaboration et l’appui rendirent possible le gouvernement de l’Allemagne par les nazis ».
J’en ai terminé avec la présentation de mon exposé. Sir David Maxwell-Fyfe va maintenant me succéder en présentant les charges relevées contre von Neurath.
Plaise au Tribunal. J’ai l’intention de présenter l’exposé concernant l’accusé von Neurath en cinq parties dont la première traitera des postes successifs qu’il a occupés et des distinctions qu’il a reçues :
II a été membre du Parti depuis le 30 janvier 1937, date à laquelle il reçut l’insigne d’or du Parti, jusqu’en 1945. Il était général des SS, fut nommé Gruppenführer par Hitler lui-même, en septembre 1937, et devint Obergruppenführer le 21 juin 1943. Il fut ministre des Affaires étrangères du Reich à partir du 2 juin 1932 alors que von Papen était Chancelier, et à partir du 30 janvier 1933 sous Hitler, jusqu’à ce qu’il fût remplacé par l’accusé von Ribbentrop, le 4 février 1938. Il fut ministre du Reich du 4 février 1938 à mai 1945. Il fut président du conseil de Cabinet secret depuis le 4 février 1938 et il fut membre du Conseil de défense du Reich. Il fut nommé Protecteur de la Bohême et de la Moravie le 18 mars 1939 jusqu’à ce qu’il fût remplacé par l’accusé Frick le 25 août 1943.
Il reçut de Hitler l’« Adlerorden », au moment où il fut nommé Protecteur du Reich. L’accusé von Ribbentrop est le seul autre Allemand qui ait reçu cette décoration.
Ces faits sont réunis, Messieurs, dans le document PS-2972 (USA-19), document signé par l’accusé et son avocat et dans lequel l’accusé se livre à des commentaires sur certaines des questions que je voudrais traiter.
Il déclare avoir été décoré de l’insigne d’or du Parti le 30 janvier 1937, contre sa volonté et sans qu’on lui ait demandé son avis.
Je ferai remarquer que non seulement l’accusé ne refusa pas cet honneur qu’il ne prétendait pas désirer, mais qu’après l’avoir reçu, il participa à des réunions où furent discutés les plans des guerres d’agression, participa activement à l’annexion de l’Autriche et exerça sa tyrannie sur la Bohême et la Moravie.
Il déclara ensuite que sa nomination de Gruppenführer a été faite contre sa volonté et sans qu’il ait été consulté. À ce propos, le Ministère Public déclare que le port de l’uniforme, la promotion au titre d’Obergruppenführer et les actions contre la Bohême et la Moravie sont autant de questions dont il faut tenir compte à l’examen des déclarations de l’accusé.
L’accusé affirme également que sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères fut faite par le président von Hindenburg. Nous pensons n’avoir qu’à attirer l’attention du Tribunal sur la personnalité de l’accusé von Papen et sur celle de Hitler, ainsi que sur le fait que le président von Hindenburg mourut en 1934. L’accusé resta ministre des Affaires étrangères jusqu’en 1938.
L’accusé ajoute qu’il fut ministre sans portefeuille du 4 février 1938 à mai 1945. Nous attirons ici l’attention sur les activités qui seront mentionnées tout à l’heure et sur les preuves écrasantes que présentera notre ami, le Procureur soviétique, à propos de la Bohême et de la Moravie.
L’accusé prétend ensuite que le conseil de Cabinet secret ne se réunit jamais et ne tint jamais conférence.
J’aimerais indiquer au Tribunal que ce comité était un conseil de Cabinet restreint qui devait discuter des questions de politique extérieure, et le Tribunal trouvera des détails sur ce comité dans le document PS-1774 que je dépose sous le n° GB-246. C’est un extrait d’un livre dont l’auteur est bien connu et il se trouve à la page 2 du livre de documents. À la septième ligne en partant du bas de la première page du document, le Tribunal pourra voir que parmi les services dépendant directement du Führer et jouant un rôle consultatif ou un rôle de conseil, le conseil de Cabinet privé tient la quatrième place. Son président est le ministre du Reich, baron von Neurath.
Si le Tribunal veut bien passer à la page 3, à la dixième ligne environ, il trouvera un paragraphe commençant ainsi :
« Un conseil de Cabinet privé destiné à conseiller le Führer sur les problèmes fondamentaux de la politique étrangère a été créé par le décret du 4 février 1938. » Suivent les références. « Cet organisme est placé sous la direction du ministre du Reich von Neurath et est composé du ministre des Affaires étrangères, du ministre de l’Air, du délégué du Führer, du ministre de la Propagande, du chef de la Chancellerie du Reich, des Commandants en chef de l’Armée de terre et de la Marine et du chef de l’OKW. Ce conseil privé constitue un état-major restreint de collaborateurs du Führer comprenant exclusivement des membres du Gouvernement du Reich ; ainsi, il constitue un comité restreint du Gouvernement du Reich pour la discussion des problèmes de politique étrangère. »
Pour connaître l’organisation de ce comité, il suffit de consulter le document PS-2031 (GB-217) ; je crois qu’il a déjà été déposé et je n’ai donc pas à le relire.
L’accusé prétend également, en ce qui concerne ses fonctions, qu’il n’était pas membre du Conseil de défense du Reich.
Si je peux très rapidement analyser cette matière, je demanderai au Tribunal de se souvenir que le Conseil de défense du Reich fut créé peu de temps après l’accession de Hitler au pouvoir, le 4 avril 1933 ; le Tribunal trouvera une note concernant ce point dans le document PS-2261 (USA-24), en haut de la page 12 du livre de documents, où est indiquée la date de la création du Conseil de défense du Reich.
On a parlé également du Conseil de défense du Reich dans le document PS-2986 (USA-409), qui est l’affidavit de l’accusé Frick, et que le Tribunal trouvera à la page 14. Au milieu de ce bref document, l’accusé Frick déclare :
« Nous étions aussi membres du Conseil de défense du Reich qui était censé établir les préparatifs et préparer les ordonnances pour le cas de guerre, lesquelles furent publiées plus tard par le Conseil ministériel pour la défense du Reich. »
Le fait que ce conseil comprenait le ministre des Affaires étrangères qui était alors l’accusé von Neurath est mis en lumière par le document EC-177 (USA-390). Si le Tribunal se réfère à la page 16 du livre de documents, il trouvera, au bas de la page, la composition des membres permanents et parmi eux le ministre des Affaires étrangères. Ce document est daté : « Berlin, 22 mai 1933 » et à cette époque, l’accusé occupait bien ce poste. Voilà la première phase de ma démonstration.
Le fonctionnement de ce conseil, auquel assistait un représentant du département de l’accusé, von Bülow, ressort du compte rendu de la douzième réunion, en date du 14 mai 1936. C’est le document EC-407 que je dépose sous le n° GB-247. Le Tribunal verra à la page 21 que ce procès-verbal concerne la réunion du 14 mai 1936 et au milieu de la page 22, une référence à une intervention de von Bülow.
La période suivante se place après la loi secrète du 4 septembre 1938. L’accusé était, aux termes de cette loi, membre du Conseil de défense du Reich en vertu de ses fonctions de président du conseil de Cabinet secret. C’est ce qu’explique le document PS-2194 (USA-36) que le Tribunal trouvera à la page 24. Le Tribunal pourra voir à cette page que c’est l’exemplaire même qui a été déposé comme preuve qui a été inclus dans une lettre adressée le 6 septembre 1939 au Protecteur de Bohême et de Moravie. Il est plutôt étrange que le Protecteur du Reich pour la Bohême et la Moravie nie maintenant le fait qu’il ait été membre de ce conseil quand la lettre renfermant la loi lui a été adressée.
Si le Tribunal veut bien consulter la page 28 du même document, il verra que la dernière phrase de cette page définit les tâches du conseil et indique que « le Conseil de défense du Reich a pour mission, en temps de paix, de prendre toutes mesures pour la préparation de la défense du Reich et en même temps de rassembler toutes les forces de la nation, suivant les directives du Führer et Chancelier du Reich. Les missions du conseil en temps de guerre seront fixées par le Führer et Chancelier du Reich ».
Si le Tribunal veut bien passer à la page suivante, il y verra la liste des noms des membres permanents du conseil et constatera que le septième sur la liste se trouve être le président du conseil de Cabinet secret, qui est l’accusé.
J’estime ainsi avoir réfuté, pour chacune de ces périodes, les assertions de l’accusé suivant lesquelles il n’était pas membre du Conseil de défense du Reich.
La deuxième accusation que le Ministère Public porte contre l’accusé est le fait qu’en assumant la charge de ministre des Affaires étrangères dans le Cabinet de Hitler, cet accusé prenait la responsabilité d’une politique étrangère établie pour violer les traités existants.
Nous déclarons d’abord que le parti nazi a, à plusieurs reprises, et pendant de nombreuses années, marqué son intention de ne pas respecter les engagements pris par l’Allemagne sur le plan international, même au risque de provoquer la guerre. Nous nous référons aux sections 1 et 2 du programme du Parti qui, comme le Tribunal l’a appris, était publié chaque année. Ceci figure à la page 32 du livre de documents, document PS-1708 (USA-255).
Je rappelle au Tribunal ces points 1 et 2 :
« 1. Nous demandons la réunion de tous les Allemands au sein de la Grande Allemagne, sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
« 2. Nous demandons l’égalité des droits pour le peuple allemand vis-à-vis des autres nations et l’abrogation des Traités de Versailles et de Saint-Germain. »
Mais plus typique encore est la déclaration contenue dans le discours de Hitler à Munich, le 15 mars 1939, et dont le Tribunal trouvera un passage vers le milieu de la page 40. Il commence ainsi :
« Ma politique étrangère avait des buts identiques. Mon programme consistait à abolir le Traité de Versailles. Il est stupide de la part du reste du monde de prétendre aujourd’hui que je n’ai pas révélé ce programme avant 1933 ou 1935 ou 1937. Au lieu d’écouter les bavardages stupides des émigrés, ces messieurs auraient été plus sages de lire ce que j’ai écrit des milliers de fois. »
C’est donc un non-sens stupide pour les étrangers que d’élever cette objection. Mais il serait encore plus stupide de la part du ministre des Affaires étrangères de Hitler d’affirmer qu’il était dans l’ignorance des desseins agressifs de cette politique. Et je rappelle au Tribunal que l’acceptation du principe de la force comme moyen de résoudre les problèmes internationaux et d’atteindre les objectifs de la politique étrangère de Hitler doit avoir été un fait connu de quiconque touchait Hitler d’aussi près que l’accusé von Neurath. Et je rappelle au Tribunal, à titre purement documentaire, les passages de Mein Kampf qui ont été cités par mon ami le commandant Elwyn Jones, particulièrement ceux qui se trouvent vers la fin du livre aux pages 552, 553 et 554.
Le Ministère Public soutient donc qu’en acceptant cette politique étrangère, l’accusé von Neurath facilita et encouragea la conquête du pouvoir par le parti nazi.
Le troisième point important est constitué par le fait qu’en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, l’accusé fixa la ligne de conduite à tenir par les conspirateurs nazis sur le plan international pendant la première phase du complot et favorisa l’affermissement du contrôle pour la préparation de la guerre. Comme je l’ai déjà indiqué, l’accusé doit avoir eu, grâce à ses rapports très étroits avec Hitler, connaissance des points essentiels de la politique de ce dernier, politique qui devait fatalement conduire au déclenchement d’une guerre mondiale, ainsi que Hitler l’indiqua rétrospectivement dans le discours qu’il prononça devant ses chefs militaires le 23 novembre 1939.
Cette politique revêtait deux aspects : à l’intérieur, l’établissement d’un contrôle rigoureux ; et à l’extérieur, la mise en exécution d’un programme tendant à libérer l’Allemagne de ses liens internationaux. Le programme de politique étrangère comporte quatre points : 1. Se retirer de la conférence de désarmement ; 2. Réarmer l’Allemagne ; 3. Rétablir le service militaire obligatoire ; 4. Remilitariser la Rhénanie.
Si le Tribunal veut bien consulter la page 35 du livre de documents, à la fin du premier paragraphe, il trouvera un très bref exposé de ces points : peut-être puis-je lire ce passage. C’est le document PS-789 (USA-23), environ dix lignes avant la fin :
« J’avais tout à réorganiser, depuis les masses populaires jusqu’à la Wehrmacht. D’abord, réorganisation de l’intérieur : suppression des apparences d’affaiblissement et des idées défaitistes, éducation orientée vers l’héroïsme. Pendant que je réorganisais l’intérieur, j’entrepris le seconde tâche qui consistait à libérer l’Allemagne de ses engagements internationaux. Il faut insister sur deux points caractéristiques : le retrait de la Société des Nations et la dénonciation de la Conférence de désarmement. Ceci constituait une grave décision. Nombreux furent les prophètes qui prédirent qu’elle conduirait à l’occupation de la Rhénanie ; bien peu nombreux furent ceux qui eurent confiance. La nation me soutint, se rangea fermement derrière moi, et je réalisai mes intentions. Ensuite, l’ordre de réarmer. Là encore de nombreux prophètes prédirent des catastrophes et peu me firent confiance. En 1935, l’introduction du service militaire obligatoire. Puis, remilitarisation de la Rhénanie, programme qui semblait également impossible à réaliser à cette époque. Puis, établissement de fortifications dans tous le pays, particulièrement à l’Ouest. »
Voici donc cette politique résumée en quatre points. L’accusé von Neurath participa directement et personnellement à la réalisation de chacun de ces quatre objectifs de la politique étrangère de Hitler, proclamant officiellement au même moment que ces mesures ne constituaient pas un pas en avant vers l’agression.
Le premier point relève de l’Histoire. Quand l’Allemagne quitta la Conférence du désarmement, l’accusé envoya des télégrammes datés du 14 octobre 1933, au Président de la conférence ; ceci se trouve dans les Dokumente der Deutschen Politik, à la page 94 du premier volume de l’année 1933. De même, c’est l’accusé qui annonça le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations, le 21 octobre 1933. Ceci est également mentionné dans les documents officiels qui figurent au procès-verbal des débats ; je rappelle également au Tribunal les documents complémentaires sur la préparation de la guerre qui ont naturellement été lus et qui sont les documents C-140 (USA-51), du 25 octobre 1933, et C-153 (USA-43), du 12 mai 1934. Ils ont déjà été lus et je les mentionne simplement pour mémoire et pour faciliter la tâche du Tribunal.
Le second point est le réarmement de l’Allemagne : Alors que l’accusé était ministre des Affaires étrangères, le Gouvernement allemand annonça officiellement le 10 mars 1935, la création de l’Aviation militaire allemande. C’est le document TC-44 (GB-11), que nous avons déjà mentionné. Le 21 mai 1935, Hitler annonça la dénonciation unilatérale des clauses du Traité de Versailles relatives à la Marine, à l’Armée de terre et à l’Aviation, ce qui, bien entendu, entraînait la même répudiation unilatérale des mêmes clauses du Traité pour la restauration des relations amicales avec les États-Unis ; ceci figure dans le document PS-2288 (USA-38), qui a déjà été lu. Le même jour, le Cabinet du Reich, dont l’accusé était membre, adopta la « Loi secrète de défense du Reich » créant le poste de Plénipotentiaire général à l’économie de guerre qui fut intitulé plus tard par l’expert des armements de la Wehrmacht « la clef de voûte du réarmement allemand ». Cette loi est jointe à une lettre de von Blomberg, datée du 24 juin 1935, et constitue le document PS-2261 (USA-24) qui a déjà été présenté au Tribunal. Le document PS-2353 (USA-35) constitue un commentaire sur l’importance de cette loi. Quelques extraits en ont déjà été lus mais, si le Tribunal passe à la page 52, il y trouvera un extrait dont je cite la dernière phrase :
« Les nouvelles conditions furent déterminées par la loi sur la défense du Reich, du 21 mai 1935, qui ne devait être publiée qu’en cas de guerre mais qui était déjà en vigueur pour les préparatifs de la guerre. Cette loi... qui déterminait la mission de la Wehrmacht et des autres autorités du Reich en cas de guerre constituait en conséquence la réglementation fondamentale et déterminante du développement et de la mise en marche de l’organisation économique de la guerre. »
Le troisième point est l’introduction du service militaire obligatoire. Le 16 mars 1935, l’accusé signa la loi sur l’organisation de la Wehrmacht, qui prévoyait le service militaire obligatoire et envisageait la création d’une grande armée allemande. Cette mesure a été décrite par l’accusé Keitel comme le point de départ du vaste programme de réarmement qui devait suivre. La référence officielle est le Reichsgesetzblatt 1935, partie I page 369 ; ceci figure également au procès-verbal des débats (Tome II, pages 308, 341 et 342).
Le quatrième point est la remilitarisation de la Rhénanie. Celle-ci fut réoccupée le 7 mars 1936. Je rappelle au Tribunal les deux documents complémentaires, PS-2289 (USA-56) qui constitue l’annonce faite de cette opération par Hitler et C-139 (USA-53) qui est l’« opération Schulung », directives sur les opérations militaires à entreprendre le cas échéant. Ceci figure au procès-verbal (Tome II, pages 344 à 348). L’accusé partage la responsabilité de ces actes en raison du poste qu’il occupait et des démarches qu’il entreprit. Un peu plus tard, il résuma ses vues sur les opérations citées plus haut, dans un discours qu’il prononça le 29 août 1937 devant des Allemands de l’étranger, et auquel je demande au Tribunal d’accorder une valeur probatoire ; il figure dans Das Archiv de 1937, page 650. Je cite un court passage de la page 72 du livre de documents :
« L’unité de la volonté du peuple et de celle de l’État, créée avec un élan sans précédent par le national-socialisme a rendu possible une politique étrangère qui a fait tomber les chaînes du Traité de Versailles, nous a rendu la liberté de réarmer, a rétabli l’autorité dans la nation entière. Nous sommes redevenus maîtres chez nous et nous avons acquis les moyens de le rester toujours... Le monde devrait voir, aux paroles et aux actes de Hitler, qu’il ne recherche pas l’agression. »
Naturellement, le monde n’avait pas le privilège de pouvoir consulter les divers documents complémentaires sur les préparatifs militaires que j’ai eu l’occasion de présenter au Tribunal.
Dans la section suivante — et c’est là une nouvelle charge établie contre cet accusé — je montrerai comment, en sa double qualité de ministre des Affaires étrangères et de conseiller intime du Führer en matière de politique étrangère, l’accusé participa à la préparation sur le plan politique aux préparatifs des actes d’agression contre l’Autriche, la Tchécoslovaquie et d’autres nations.
Si je peux définir en une seule phrase la politique de l’accusé, je dirai que celle-ci a consisté à ne violer qu’un seul traité à la fois.
C’est d’ailleurs ce que lui-même exprime, si je puis dire, d’une façon un peu plus grandiloquente mais tout aussi nette, dans un discours qu’il prononça devant l’Académie de Droit allemand, le 30 octobre 1937. Il figure dans Das Archiv d’octobre 1937, à la page 921, et le Tribunal le trouvera à la page 73 du livre de documents. Ce qui est souligné l’a été par moi :
« En connaissance de ces faits élémentaires, le Cabinet du Reich a toujours penché en faveur de la méthode qui consiste à traiter chaque problème international concret par les moyens qui lui sont particulièrement appropriés, à ne pas le compliquer inutilement en le mêlant à d’autres problèmes et, quand ces problèmes n’intéressent que deux puissances, à choisir la solution de l’entente directe entre celles-ci. Nous sommes à même de déclarer que cette méthode s’est révélée excellente, non seulement en ce qui concerne les intérêts allemands mais encore l’intérêt général. »
Les seuls pays dont les intérêts ne sont pas mentionnés sont les co-signataires des divers traités, qui subirent un traitement identique ; et l’exécution de cette politique peut être aisément mise en lumière en consultant le tableau des actes commis par l’accusé lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères et à l’époque de son successeur, sur lequel il semble encore avoir exercé une certaine influence.
En 1935, son activité se tourna vers les puissances occidentales. Elle consistait à réarmer l’Allemagne. Pendant ce temps, il s’agissait de rassurer un autre pays. À cette époque, c’était l’Autriche qui jouissait de l’appui de l’Italie, qu’elle conserva jusqu’en 1935. On peut observer ici les assurances fallacieuses données par Hitler le 21 mai 1935 et qui constituent l’essence de sa technique. Le caractère mensonger en apparaît clairement dans le document que M. Alderman a déposé, et qui figure au procès-verbal des débats (Tome II, pages 384 à 392).
L’occupation de la Rhénanie, en 1936, constituait une opération nécessairement dirigée contre les puissances occidentales. Une nouvelle assurance fallacieuse fut donnée à l’Autriche par le traité du 11 juillet de la même année ; son caractère frauduleux ressort des lettres de l’accusé von Papen, documents USA-64 et 67, à l’une desquelles vient de se référer mon ami le major Barrington.
Puis, en 1937 et en 1938, un pas de plus est franchi et l’action est dirigée contre l’Autriche. Nous savons en quoi elle a consisté. Ce fut l’annexion, décidée, semble-t-il, à la réunion du 5 novembre 1937 et réalisée le 11 mars 1938.
Il fallait donner de nouvelles assurances aux puissances occidentales ; d’où l’assurance donnée à la Belgique, le 13 octobre 1937, qui a été exposée par mon ami M. Roberts, et qui figure au procès-verbal des débats (Tome III, pages 300 à 313).
Nous avançons d’une année et c’est la Tchécoslovaquie qui devient l’objet des actes d’agression. Je devrais dire que nous avançons d’une année et demie : les Sudètes furent annexés en septembre ; l’absorption de toute la Bohême et la Moravie fut réalisée le 15 mars 1939.
Puis il devient nécessaire de rassurer la Pologne ; Hitler donna donc des assurances à ce pays le 20 février 1938 et les réitéra le 26 septembre 1938 ; le caractère trompeur de ces assurances a été démontré à plusieurs reprises dans l’exposé du colonel Griffith-Jones sur la Pologne, qui figure au procès-verbal des débats (Tome III, pages 206 à 272).
Enfin, lorsque l’année suivante ils voudront attaquer et conquérir la Pologne, il leur faudra donner une assurance à la Russie ; c’est dans ces conditions que, le 23 août 1939, fut signé un pacte de non-agression, comme l’a démontré M. Alderman (Tome III, pages 339 à 376).
La lecture de cet exposé chronologique confirme l’adage latin res ipsa loquitur . Mais on peut trouver, sur cette période, une déclaration tout à fait explicite de l’accusé, dans le compte rendu d’une conversation qu’il eut le 18 mai 1936 avec M. Bullitt, ambassadeur des États-Unis, et qui figure à la page 74 du livre de documents, document L-150 (USA-65) ; j’en lirai le premier paragraphe qui suit la préface ; M. Bullitt remarque :
« Von Neurath déclara que la politique du Gouvernement allemand consistait à ne rien entreprendre dans le domaine des affaires extérieures jusqu’à ce que la « Rhénanie fut digérée ». Il précisa qu’il voulait dire par là que tant que les fortifications construites par les Allemands sur les frontières française et belge ne seraient pas achevées, le Gouvernement allemand ferait tout son possible pour ne pas encourager et même pour empêcher un putsch nazi en Autriche et poursuivrait une politique de paix vis-à-vis de la Tchécoslovaquie. » Dès que nos fortifications seront terminées et que les pays de l’Europe centrale se seront aperçus que la France ne peut pas pénétrer en territoire allemand comme elle le voudrait, ces pays modifieront leur politique étrangère et on assistera à la formation d’une nouvelle constellation », ajouta-t-il.
Je rappelle au Tribunal, sans la citer, la conversation mentionnée récemment par mon ami, le commandant Barrington, conversation entre l’accusé von Papen, en qualité d’ambassadeur, et M. Messersmith et qui, dans ses points essentiels, établit les mêmes faits.
Puis, j’en viens aux faits qui constituent l’agression contre l’Autriche et je rappelle au Tribunal que l’accusé était alors ministre des Affaires étrangères :
Premièrement, pendant les premiers complots nazis contre l’Autriche en 1934, que le Tribunal trouvera mentionnés au procès-verbal des audiences (Tome II, pages 353 à 364). Je fais allusion au meurtre du Chancelier Dollfuss et aux actes qui suivirent et qui furent dans la suite si vivement appréciés.
Deuxièmement, au moment des assurances fallacieuses données à l’Autriche le 21 mai 1935 et qui furent suivies du traité trompeur du 11 juillet 1936. Les références à ces événements sont les documents TC-26 (GB-19) et TC-22 (GB-20).
Troisièmement, pendant la période où l’accusé von Papen se livrait à ses intrigues clandestines, de 1935 à 1937. J’indiquerai à nouveau les références au Tribunal afin qu’il les ait présentes à l’esprit : document PS-2247 (USA-64), lettre datée du 17 mai 1935 et document PS-2246 (USA-67) du 1er septembre 1936. Ces événements sont consignés au procès-verbal (Tome II, pages 378 à 391 et page 394).
L’accusé von Neurath était présent quand Hitler déclara, selon le rapport Hossbach du 5 novembre 1937, que la question allemande ne pouvait être résolue que par la force et que ses plans visaient à la conquête de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie. Ceci constitue le document PS-386 (USA-25) que le Tribunal trouvera à la page 82. À la sixième ligne de cette page, après l’en-tête, on peut voir qu’une des personnes qui assistaient à cette réunion strictement confidentielle était le ministre des Affaires étrangères du Reich, le baron von Neurath.
Sans relire un document auquel le Tribunal a déjà maintes fois accordé son attention, puis-je rappeler que c’est à la page 86 que se trouve le passage concernant la conquête de l’Autriche ; après les deuxième et troisième paragraphes, on lit la phrase suivante : « Pour l’amélioration de notre position militaire et politique, notre premier objectif doit être, dans chaque cas de menace de guerre, d’abattre simultanément la Tchécoslovaquie et l’Autriche afin d’écarter toute menace qui pèserait sur nos flancs au cas d’une avance éventuelle vers l’Ouest ».
Ce thème est développé à la page suivante. Le fait décisif est néanmoins la présence de l’accusé à la réunion. Il lui est impossible, après avoir assisté à cette entrevue, de nier qu’il agissait en parfaite connaissance de cause et qu’il ne savait pas exactement de quoi il retournait.
Voici le point suivant : au moment de l’Anschluss, il reçut une note de l’ambassadeur britannique, en date du 11 mars 1938. C’est le document PS-3045 (USA-127). Il envoya une réponse qui constitue le document PS-3287 (USA-128). Je pense que je peux me permettre de rappeler brièvement au Tribunal la teneur de cette réponse ; cela me semble indispensable. Bien entendu, le Tribunal a déjà pris connaissance de ce document. Ceci se trouve au haut de la page 93 et je désire attirer l’attention sur deux mensonges flagrants :
L’accusé von Neurath déclare à la sixième ligne : « II est inexact que le Reich ait usé d’une pression quelconque pour pousser à cette évolution. En particulier, l’assertion qui fut répandue plus tard par l’ancien Chancelier Schuschnigg, selon laquelle le Gouvernement allemand avait présenté au Président fédéral un ultimatum, constitue une pure invention... »
Suivant cet ultimatum, il devait nommer Chancelier un candidat déjà désigné, qui aurait formé un cabinet conforme à la proposition du Gouvernement allemand ; en cas de refus, il était menacé de l’invasion de l’Autriche par les troupes allemandes :
« En fait, la question de l’envoi des forces militaires et de forces de Police allemandes ne fut soulevée que lorsque le nouveau Gouvernement autrichien adressa au Gouvernement allemand un télégramme déjà publié dans la presse, demandant d’urgence l’envoi de troupes allemandes, afin de rétablir la paix et l’ordre et d’éviter des effusions de sang. En face du danger imminent d’une guerre civile sanglante en Autriche, le Gouvernement allemand décida de donner suite à l’appel qui lui était adressé. »
Ainsi que je le disais, Messieurs, ce sont là deux mensonges flagrants et tout ce que je puis dire, c’est qu’ils confèrent à l’accusé un sens assez macabre de l’humour, quand on connaît la vérité, que le Tribunal a pu apprécier à la lecture du rapport du gauleiter Rainer à Bürckel, déjà présenté sous la référence PS-812 (USA-61), ainsi qu’à la lecture des transcriptions des conversations téléphoniques que l’accusé Göring eut ce jour-là avec l’Autriche et des extraits du journal de Jodl des 11, 13 et 14 février, qui constituent le document PS-380 (USA-72).
Devant l’abondance des preuves établissant la fausseté de ces assertions, le Tribunal considérera peut-être que le document le plus frappant et le plus évident est la transcription des conversations téléphoniques de l’accusé Göring qui est si largement corroborée par les autres documents.
Le Ministère Public déclare qu’il est inconcevable que cet accusé qui selon le journal de l’accusé Jodl... Puis-je demander au Tribunal de consulter à la page 116 du livre de documents la mention du 10 mars du journal de Jodl, afin de tirer au clair cette question. On lit au troisième paragraphe :
« 13 heures, le général Keitel informe le chef d’État-Major, l’amiral Canaris. Ribbentrop est retenu à Londres. Neurath est chargé des Affaires étrangères. »
J’affirme qu’au moment où l’accusé avait pris la direction des Affaires étrangères, où il s’occupait de ces questions, et, comme je vais le montrer au Tribunal, où il s’employait, avec l’accusé Göring, à calmer la susceptibilité des Tchèques, il est inconcevable que ledit accusé ait été ignorant des véritables événements au point d’écrire cette lettre en toute bonne foi.
Son attitude peut également être clairement déduite du compte rendu qu’en a donné M. Messersmith, document PS-2385 (USA-68) ; si le Tribunal veut bien consulter la page 107 du livre de documents, il y verra une description détaillée de l’activité et de la façon d’agir de l’accusé pendant cette crise. Aux deux tiers de la page, le paragraphe commence ainsi :
« J’insisterai ici sur le fait que les hommes qui firent ces promesses n’étaient pas seulement des nazis bon teint, mais aussi des Allemands plus conservateurs qui avaient déjà commencé à se rallier volontairement au programme nazi.
« Dans un message officiel adressé de Vienne au département d’État, en date du 10 octobre 1935, j’écrivais ce qui suit : « L’Europe ne se débarrassera pas du mythe qui fait de Neurath, Papen et Mackensen des gens inoffensifs et des « diplomates de la vieille école ». Ils sont en réalité des instruments serviles du régime, et le fait que le monde extérieur les considère comme inoffensifs leur permet de faire un travail d’autant plus efficace. C’est justement « parce qu’ils répandent la fable qu’ils ne sympathisent pas avec le régime qu’ils peuvent semer la discorde. »
Le Tribunal va suspendre l’audience.