QUARANTE-DEUXIÈME JOURNÉE.
Jeudi 24 janvier 1946.

Audience du matin.

COLONEL CHARLES W. MAYS (officier attaché au Tribunal)

Monsieur le Président, l’accusé Streicher et l’accusé Kaltenbrunner, malades, sont aujourd’hui absents.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Plaise au Tribunal. À la fin de la dernière audience, je parlais de la participation de l’accusé von Neurath à l’agression contre l’Autriche. Avant de passer à un nouveau point de l’accusation, j’aimerais que le Tribunal veuille bien se reporter au document original dont je vais parler : PS-3287 (USA-128). C’est une lettre de cet accusé à Sir Nevile Henderson, alors ambassadeur de Grande-Bretagne. Il n’y a qu’un seul point dont je demanderai au Tribunal de prendre note, à la page 92 du livre de documents. J’ai dit original, mais il s’agit en fait d’une copie certifiée conforme par le Foreign Office. Le Tribunal verra que ce document porte l’en-tête : « Président du Conseil de Cabinet secret. » C’est cela que je demande au Tribunal de retenir. L’existence et l’activité de ce Conseil ont été contestées ; or l’en-tête de cette lettre montre que l’accusé agissait en tant que président de ce conseil.

Le point suivant de l’Accusation se rapportant à l’agression contre l’Autriche est celui-ci : au moment de l’occupation de l’Autriche, l’accusé donna l’assurance à M. Mastny, ambassadeur de Tchécoslovaquie à Berlin, que l’indépendance de son pays serait sauvegardée. Cela se trouve à la page 123 du document TC-27 que j’ai déposé sous le n° GB-21. Il était adressé à Lord Halifax, alors secrétaire aux Affaires étrangères. Je voudrais en lire le deuxième paragraphe uniquement pour rappeler au Tribunal les circonstances dans lesquelles il a été rédigé. M. Masaryk écrit :

« En conséquence, j’ai reçu de mon Gouvernement l’ordre de porter officiellement à la connaissance du Gouvernement de Sa Majesté les faits suivants : hier soir, 11 mars, le Feldmarschall Göring a fait deux déclarations distinctes à M. Mastny, ministre de Tchécoslovaquie à Berlin, l’assurant que les événements d’Autriche n’auraient, en aucune manière, de répercussions fâcheuses sur les relations entre le Reich et la Tchécoslovaquie et insistant sur la préoccupation constante de l’Allemagne d’améliorer ces relations mutuelles. »

Puis suivent les détails sur la manière dont l’accusé Göring s’est exprimé, détails déjà portés plusieurs fois à l’attention du Tribunal et que je ne rappellerai pas. Le sixième paragraphe commence ainsi :

« M. Mastny était en mesure de lui donner des assurances précises et effectives à ce sujet... », c’est-à-dire à l’accusé Göring au sujet de la mobilisation tchèque ; et il poursuit, « ... et il a eu aujourd’hui un entretien avec le baron von Neurath qui, entre autres choses, l’assura de la part de M. Hitler que l’Allemagne se considérait toujours liée par la Convention d’arbitrage germano-tchécoslovaque conclue à Locarno en octobre 1925. »

Étant donné que l’accusé von Neurath avait assisté à la conférence du 5 novembre, quatre mois auparavant, qu’il avait donc entendu Hitler exposer ses vues sur la Tchécoslovaquie — et cela se passait six mois seulement avant que ce traité effectivement conclu fût considéré comme totalement inexistant — ce paragraphe, à mon avis, est un exemple typique de la tactique familière à l’accusé.

J’en viens maintenant à l’agression contre la Tchécoslovaquie. Le 28 mai 1938, Hitler réunit une conférence à laquelle assistaient des personnalités importantes parmi lesquelles Beck, von Brauchitsch, Raeder, Keitel, Göring et Ribbentrop, et au cours de laquelle Hitler déclara que l’on devait faire des préparatifs en vue d’une action militaire contre la Tchécoslovaquie pour le mois d’octobre. Il est vraisemblable, mais — je le dis franchement — non prouvé, que l’accusé von Neurath assistait à cette conférence. Il est question de cette conférence dans le compte rendu des débats (Volume III, page 51).

LE PRÉSIDENT

Sir David, avez-vous quelque preuve ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE

Non, Votre Honneur se souviendra que ces documents sont fort copieux, mais ne donnent pas les noms des personnes présentes. C’est pourquoi j’avance ces faits, tout en faisant des réserves.

Le 4 septembre 1938, le Gouvernement dont faisait partie von Neurath mettait en vigueur une nouvelle « Loi secrète pour la défense du Reich », qui fixait les diverses responsabilités officielles, manifestement en prévision de la guerre. Cette loi instituait, comme l’avait déjà fait la précédente loi secrète pour la défense du Reich, un Conseil de Défense du Reich, organisme politique suprême en matière de préparation à la guerre. Si le Tribunal s’en souvient, j’ai déjà cité le document PS-2194 (USA-36) qui en fait état. Puis vint l’accord de Munich du 29 septembre 1938 ; mais en dépit de cet accord, le 14 mars 1939, les troupes allemandes pénétraient en Tchécoslovaquie. La proclamation de Hitler au peuple allemand et l’ordre donné à la Wehrmacht constituent le document TC-50 (GB-7), page 124 du livre de documents. Il a déjà été cité, aussi ne le citerai-je pas à nouveau.

Le 16 mars 1939, le Gouvernement allemand, dont von Neurath faisait encore partie, promulguait le « Décret du Führer-Chancelier du Reich établissant le Protectorat de Bohême et Moravie ». Voir, à la page 126 du livre de documents, le TC-51 (GB-8).

Je laisserai pour l’instant cette question de côté pour y revenir quand je traiterai de rétablissement du Protectorat. J’y reviendrai dans un instant et lirai l’article 5. Mais, pour prendre les événements dans leur ordre chronologique, la semaine suivante, l’accusé von Ribbentrop signait un traité avec la Slovaquie, page 129 du livre, document PS-1439 (GB-135), dont l’article 2, le Tribunal s’en souvient peut-être, est ainsi rédigé :

« Afin de rendre effective la protection assumée par le Reich, la Wehrmacht aura le droit en tous temps de construire des installations militaires et de maintenir les garnisons qu’elle juge nécessaires, dans une zone délimitée à l’ouest par les frontières de l’état de Slovaquie et à l’est par une ligne formée par les crêtes orientales des basses Carpates, des Carpates blanches et des monts Javornik.

« Le Gouvernement de Slovaquie prendra les mesures nécessaires pour que les terrains requis pour ces installations soient mis à la disposition de la Wehrmacht. De plus, le Gouvernement slovaque consentira l’exemption des droits de douane aux importations allemandes destinées à l’entretien des troupes allemandes et aux fournitures des installations militaires. »

Le Tribunal verra que le but final de la politique de Hitler fut bel et bien révélé au cours de la conférence du 5 novembre 1937 à laquelle assistait l’accusé. C’était la reprise de la marche vers l’Est (Drang nach Osten) et la conquête d’espace vital à l’Est. Ce but était manifeste d’après les termes mêmes de ce traité ; quant à la déclaration de Hitler, elle avait été également fort explicite.

Nous arrivons ensuite au point essentiel de la culpabilité de l’accusé. En acceptant et en occupant le poste de « Reichsprotektor » de Bohême et Moravie, von Neurath manifestait son approbation personnelle pour l’agression contre la Tchécoslovaquie et le monde. Il participa en outre activement au complot d’agression contre le monde et joua un rôle décisif dans la mise en œuvre d’une politique impliquant la violation des lois de la guerre et la perpétration de crimes contre l’Humanité. Le Tribunal comprendra que je ne veuille pas empiéter sur le terrain de mes collègues et m’occuper de ces crimes. Je veux seulement montrer quel est le fondement de ce crime, à savoir la position officielle occupée par cet accusé.

Voyons le premier point. L’accusé von Neurath assuma la fonction de Protecteur avec des pouvoirs extrêmement étendus. L’acte portant création du Protectorat précisait les points suivants :... Le Tribunal voudra bien se reporter à la page 126 du livre de documents, TC-51 (GB-8), à l’article V de cet acte qui est rédigé en ces termes :

« 1. Comme représentant les intérêts du Reich, le Führer-Chancelier du Reich nomme un « Reichsprotektor » de Bohême et Moravie, dont le siège sera à Prague.

« 2. Le Reichsprotektor, en qualité de représentant du Führer-Chancelier du Reich et de commissaire du Gouvernement du Reich, est chargé de veiller à ce que soient observés les principes politiques établis par le Führer-Chancelier du Reich.

« 3. La nomination des membres du Gouvernement du protectorat devra être ratifiée par le Reichsprotektor. Toute ratification pourra être annulée.

« 4. Le Reichsprotektor est habilité à s’informer de toutes les mesures prises par le Gouvernement du Protectorat et à donner son avis. Il peut s’opposer aux mesures de nature à porter préjudice au Reich et, en cas de danger urgent, rendre les ordonnances requises par l’intérêt général.

« 5. La promulgation des lois, ordonnances et autres arrêtés légaux, ainsi que l’exécution des mesures administratives et des jugements ayant force de loi pourront être différées si le « Reichsprotektor » émet une objection. »

Dans les premiers jours du Protectorat, l’accusé von Neurath usa de son autorité suprême dans une série de décrets fondamentaux dont je demande au Tribunal de prendre acte. Ils établissaient les prétendus fondements légaux de la politique et le programme qui en découlait ; les uns et les autres tendaient à détruire systématiquement l’unité nationale des Tchèques :

1. En conférant aux personnes de race allemande (« Volksdeutsche ») en Tchécoslovaquie les droits de citoyens d’une classe supérieure. — Je viens de donner la référence officielle du décret du Führer et Chancelier du Reich, relatif au Protectorat de Bohême et Moravie qui se rapporte à cette question

Puis :

2. Un acte relatif à la représentation au Reichstag de la « Grande Allemagne » des nationaux allemands résidant dans le Protectorat, le 13 avril 1939 ;

3. Un ordre relatif à l’acquisition de la citoyenneté allemande par les citoyens tchécoslovaques de souche allemande, 20 avril 1939.

Puis il y eut une série de décrets qui accordaient aux Allemands de race en Tchécoslovaquie un statut légal et juridique préférentiel :

1. Ordre relatif à l’exercice de la juridiction criminelle dans le Protectorat de Bohême-Moravie, 14 avril 1939 ;

2. Ordre relatif à l’exercice de la juridiction civile, 14 avril 1939 ;

3. Ordre relatif à l’exercice de la juridiction militaire, 8 mai 1939.

Puis les ordres accordèrent en outre au Protecteur des pouvoirs étendus pour modifier par décret la loi autonome du Protectorat. C’est ce que l’on trouve dans une ordonnance sur la législation dans le Protectorat du 7 juin 1939.

Finalement le Protecteur fut autorisé à prendre avec le Reichsführer SS et chef de la Police allemande en cas de besoin toutes mesures de police dépassant les limites habituelles.

Quant à la forme particulière qui fut donnée à cet ordre, si le Tribunal veut la connaître et en prendre acte, nous avons trouvé dans le Reichsgesetzblatt, ce texte qui figure dans le livre de documents à la page 131. Que des mesures de police puissent dépasser les limites habituelles des mesures de police, cela confond l’imagination lorsque l’on sait ce que furent les mesures de police en Allemagne entre 1933 et 1939, Mais si une telle aggravation était possible, et apparemment, on la croyait possible, cette aggravation fut décrétée par l’accusé von Neurath et employée par lui comme moyen de coercition à l’égard des Tchèques.

L’objectif essentiel de la politique ouvertement instaurée dans le Protectorat était la destruction des Tchèques en tant qu’unité nationale et l’incorporation de leur territoire dans le Reich. Si le Tribunal veut bien se reporter à la page 132, il trouvera le document PS-862 (USA-313), qui, je crois, a déjà été lu. On me permettra néanmoins d’en exposer le contenu.

C’est un mémorandum signé par le général d’infanterie Friderici. Il porte l’en-tête « L’attaché général de la Wehrmacht auprès du Reichsprotektor de Bohême et Moravie ». Il porte la mention « Très secret » et la date du 15 octobre 1940. C’est approximativement un an avant que l’accusé von Neurath ne partît, selon sa propre expression, en congé, le 27 septembre 1941. Ce mémorandum est intitulé « Les principes politiques de base dans le Protectorat ». Il fut tiré en quatre exemplaires, dont deux furent communiqués aux accusés Keitel et Jodl :

« Le 9 octobre de cette année (c’est-à-dire 1940), le bureau du Reichsprotektor eut une conférence de service au cours de laquelle le secrétaire d’État SS Gruppenführer K. H. Frank » — ce n’est pas de l’accusé Frank qu’il s’agit, mais de Karl Hermann Frank — « s’exprima en ces termes :

« Depuis la création du Protectorat de Bohême et Moravie, les bureaux du Parti, les cercles industriels aussi bien que les bureaux des autorités centrales de Berlin ont cherché une solution au problème tchèque.

« Après un examen approfondi, le Reichsprotektor exposa ses vues sur les différents plans dans un mémorandum. Trois solutions y étaient envisagées :

« a) Infiltration allemande en Moravie et confinement de la partie tchèque de la population dans le reste de la Bohême. Cette solution n’est pas considérée comme satisfaisante, car le problème tchèque partiellement résolu n’en persisterait pas moins.

« b) On peut opposer de nombreux arguments à la solution la plus radicale, à savoir celle de la déportation de tous les Tchèques. Aussi le mémorandum aboutit à la conclusion que cette solution exigerait un certain temps pour être mise en application.

« c) Assimilation des Tchèques, c’est-à-dire absorption d’environ la moitié de la population tchèque par les Allemands, dans la mesure où cette solution s’impose d’un point de vue racial ou autre. Le même résultat pourrait être atteint de bien d’autres façons, par exemple par une utilisation accrue de la main-d’œuvre tchèque (Arbeitseinsatz) sur le territoire du Reich (à l’exception des régions frontalières du territoire des Allemands des Sudètes), autrement dit par la dispersion du groupe ethnique tchèque.

« L’autre moitié de la population tchèque doit être par tous les moyens possibles privée de tout pouvoir, éliminée du pays et embarquée d’une façon ou d’une autre. Cette mesure s’applique particulièrement aux régions de race mongole et à la plus grande partie de la classe intellectuelle. Cette dernière serait difficile à convertir à notre idéologie et serait une source d’ennuis car elle revendiquerait constamment la direction des autres classes tchèques et retarderait ainsi l’assimilation.

« Les éléments s’opposant au plan de germanisation doivent être traités sans ménagements et éliminés. Évidemment ce projet suppose un afflux croissant dans le Protectorat, d’Allemands venant du territoire du Reich.

« Après une étude des rapports, le Führer a fixé pour la solution du problème tchèque son choix sur le plan C (assimilation) et décidé que, tout en laissant subsister en apparence l’autonomie du Protectorat, la germanisation serait poursuivie méthodiquement au cours des années suivantes sous la direction du Reichsprotektor.

« Sur cette question, la Wehrmacht n’envisage pas de solution particulière. C’est la ligne de conduite que l’on devra constamment suivre. À ce sujet, je me réfère à mon mémorandum adressé à M. le chef de l’ « Oberkommando de la Wehrmacht » le 12 juillet 1939 sous la référence 6/39 « Très secret » et intitulé « Le problème tchèque ».

Ce document est, comme je l’ai déjà dit, signé par le général, attaché de la Wehrmacht auprès du Reichsprotektor de Bohême et Moravie.

Ce point de vue du Reichsprotektor fut agréé et servit de base à sa politique. Il en résulta un plan renforçant le contrôle allemand sur la Bohême et la Moravie par l’oppression systématique des Tchèques, dont toutes les libertés civiles furent abolies, et par la destruction systématique de la structure politique, économique et culturelle propre au pays au moyen d’un régime de terreur, qu’exposeront mes collègues du Ministère Public soviétique. Ils montreront clairement, je présume, que cet accusé, en tant que « Protecteur » n’assura effectivement que la protection des auteurs de crimes innombrables.

J’ai déjà attiré l’attention du Tribunal sur les nombreuses distinctions et récompenses que l’accusé se vit attribuer pour ses services et l’on pourrait bien dire que Hitler combla von Neurath de plus de distinctions que certains chefs nazis qui avaient appartenu au Parti dès ses débuts. Sa nomination en 1938 au poste de président du Conseil de Cabinet secret récemment créé, représente en soi une nouvelle et appréciable distinction. Le 22 septembre 1940, Hitler lui décerna la Croix pour le mérite de guerre de première classe, au titre de Reichsprotektor de Bohême et Moravie. « Deutsches Nachrichtenbüro », 22 septembre 1940.

Il reçut également l’insigne d’or du Parti et fut élevé par Hitler en personne du rang de Gruppenführer à celui de Obergruppenführer SS, le 21 juin 1943. Je signale également au Tribunal qu’il fut avec Ribbentrop l’un des deux seuls Allemands à recevoir l’Adler-Orden, distinction normalement réservée aux étrangers. Et lors de son soixante-dixième anniversaire, le 2 février 1943, la plupart des journaux allemands saisirent l’occasion pour reconnaître les services qu’il rendit au régime nazi de nombreuses années durant. En résumé, le Ministère Public estime que les services qu’il a rendus au régime sont de deux sortes :

1. Il fut membre de la Cinquième colonne chez les conservateurs allemands, qui étaient au début anti-nazis, mais furent en partie convertis lorsqu’ils virent un des leurs, en la personne de l’accusé, être de tout cœur avec les nazis.

2. Sa réputation antérieure de diplomate rendit l’opinion publique étrangère peu disposée à croire qu’il participait à un cabinet qui ne tiendrait pas sa parole et ses engagements. Il était très important pour Hitler de tenir le plus longtemps possible secrètes ses intentions de rompre tout traité ou engagement ; il trouva en von Neurath l’homme de paille le plus utile à cette fin. Ceci termine l’exposé des charges à rencontre de l’accusé von Neurath.

LE PRÉSIDENT

En vertu de la requête présentée hier par l’avocat de l’accusé Hess, le Tribunal remettra à plus tard la présentation des charges individuelles contre Hess, et poursuivra par la présentation de l’exposé du Procureur français.

M. CHARLES DUBOST (Procureur Général adjoint français)

Dans le déroulement de l’exposé des charges qui pèsent sur les accusés, mes collègues britanniques et américains ont apporté la preuve que ces hommes ont formé et exécuté un plan, un complot pour la domination de l’Europe. Ils vous ont montré de quel crime contre la paix ces hommes s’étaient rendus coupables en déclenchant des guerres injustes, ils vous ont montré que tous, en tant que chefs de l’Allemagne nazie, avaient prémédité des guerres injustes et avaient participé à la conspiration contre la paix.

Puis mes collègues et amis français : M. Herzog, M. Faure et M. Gerthoffer, vous ont soumis des documents établissant que les accusés — chefs à divers titres de l’Allemagne nazie — sont responsables des violations répétées des lois et coutumes de la guerre, commises par des hommes du Reich, au cours des opérations militaires.

Et cependant, il nous reste encore à vous exposer les atrocités dont les hommes, les femmes, les enfants des pays occupés de l’Ouest ont été victimes. Nous nous proposons d’apporter ici la preuve que les accusés, en tant que chefs de l’Allemagne hitlérienne, ont systématiquement pratiqué une politique d’extermination, dont la cruauté s’est accrue de jour en jour jusqu’à la défaite allemande ; que ces atrocités, les accusés les ont préméditées, les ont conçues, les ont voulues, les ont prescrites comme faisant partie d’un système devant leur permettre d’accomplir un dessein politique. Ce dessein politique est le ciment qui lie étroitement les uns aux autres tous les faits que nous avons voulu vous exposer. Les crimes contre les personnes et les biens, présentés jusqu’ici par mes collègues du Ministère Public français, étaient étroitement liés à la guerre. Ils conservaient donc un caractère très net de crimes de guerre stricto sensu. Ceux que je vais vous exposer les dépassent par leur portée, par leur sens. Ils entrent dans les plans d’une politique de domination, d’expansion, s’étendant au delà de la guerre même. C’est Hitler lui-même qui a donné la meilleure définition de cette politique dans l’un de ses discours, le 16 mai 1927, à Munich. Il abusait ses auditeurs sur le danger que la France, pays rural peuplé de 40.000.000 d’habitants seulement, pouvait faire courir à l’Allemagne, pays déjà surindustrialisé et riche de près de 70.000.000 d’hommes.

Ce jour-là, Hitler dit :

« II n’y a qu’une seule possibilité pour l’Allemagne d’échapper à son encerclement, et c’est la destruction de l’État qui, de par la nature même des choses, sera toujours son ennemi mortel : c’est la France.

« Lorsqu’un peuple voit que son existence tout entière est menacée par un ennemi, il ne doit avoir qu’un seul but, à savoir : l’annihilation de son ennemi. »

Durant les premiers mois qui suivirent leur victoire, les Allemands parurent avoir abandonné leur dessein d’annihilation. Ce n’était qu’une tactique. Ils espéraient entraîner dans leur guerre contre la Grande-Bretagne, contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, les nations de l’Ouest qu’ils avaient subjuguées. En dosant la fourberie et la violence, ils tentèrent de faire entrer ces nations de l’Ouest dans la voie de la collaboration. Les peuples résistèrent ; alors les accusés abandonnèrent leur tactique et en revinrent à leur grand projet d’annihilation, de destruction des peuples vaincus, pour créer en Europe l’espace nécessaire aux 250.000.000 d’Allemands qu’ils espéraient y établir au cours des générations à venir.

Cette destruction, cette annihilation — je reprends les termes mêmes de Hitler dans son discours — furent entreprises sous des prétextes divers : élimination des races inférieures ou négrifiées, extermination du bolchevisme, destruction des influences judéo-maçonniques hostiles à l’établissement du pseudo « nouvel ordre européen ».

En réalité, cette destruction, cette élimination tendirent à l’assassinat des élites et des forces vives qui faisaient échec aux nazis ; elles tendirent aussi à la réduction du potentiel vital des peuples asservis.

Tout cela fut fait, je vais vous le démontrer, en exécution d’un plan délibéré, dont l’existence est prouvée, entre autres, par la répétition et la constance des mêmes faits dans tous les pays occupés.

Devant cette répétition, devant cette constance, il n’est plus possible de prétendre que seul celui qui a exécuté est coupable. Cette répétition et cette constance prouvent qu’une même volonté criminelle a uni tous les membres du Gouvernement allemand, tous les chefs du Reich allemand.

C’est de cette volonté commune qu’est née la politique officielle de terrorisme et d’extermination qui a dirigé les coups des bourreaux, et c’est pour avoir participé à la formation de cette volonté commune que chacun des accusés ici présents a été placé au rang des principaux criminels de guerre.

Je reviendrai sur cette idée quand, ayant fait mon exposé des faits, il me faudra, selon la tradition de mon pays, qualifier le crime.

Permettez-moi de vous donner, dès maintenant, quelques indications sur la façon dont, avec votre autorisation, j’entends conduire mon exposé.

Les faits dont je dois vous apporter la preuve résultent de témoignages multiples. Nous aurions pu appeler à cette barre d’innombrables témoins. Leurs déclarations ont été recueillies par un Office français de recherche des crimes de guerre. Il nous a semblé que ce serait simplifier les débats, les abréger, que de vous proposer seulement des extraits des déclarations que nous avons reçues par écrit.

Avec votre autorisation donc, je m’en tiendrai à la lecture de passage de témoignages écrits, recueillis en France par des organismes officiels habilités à la recherche des crimes de guerre. Cependant, si, au cours de l’exposé, il paraît nécessaire d’entendre quelques témoins, nous le ferons, mais avec le souci constant de ne ralentir en rien les débats et de les porter rapidement à leur conclusion, à celle qui s’impose et que nos peuples attendent.

Toute la question des atrocités est dominée par la politique terroriste allemande. Sous cet aspect, elle n’est pas sans précédents dans la pratique germanique de la guerre. Nous avons tous conservé le souvenir des exécutions des otages de Dinant pendant la guerre de 1914, des exécutions des otages de la citadelle de Laon ou des otages de la citadelle de Senlis. Mais le nazisme a perfectionné cette politique terroriste. Pour lui, la terreur est un moyen de subjuguer. Nous avons tous présente à l’esprit la projection de ce film de propagande relatif à la guerre de Pologne qui fut faite à Oslo, notamment, à la veille de l’invasion de la Norvège.

Pour le nazisme, la terreur est un moyen de subjuguer tous les peuples asservis pour les plier aux fins de sa politique.

Les premiers signes de cette politique terroriste durant l’occupation, tous les Français les ont encore en mémoire. Ils virent apparaître sur les murs de Paris, comme sur ceux des moindres villages de France, quelques mois seulement après la signature de l’armistice, des affiches rouges bordées de noir, annonçant les premiers assassinats d’otages. Nous connaissons des mères qui apprirent ainsi l’exécution de leur fils. Ces exécutions, l’occupant y procédait à la suite d’incidents anti-allemands. Ces incidents étaient la réponse du peuple français à la politique officielle de collaboration. La résistance contre cette politique se renforça, s’organisa, et, avec elle, les mesures répressives s’accrurent en intensité jusqu’en 1944, point culminant du terrorisme allemand en France et dans les pays de l’Ouest. À ce moment, l’Armée et la Police SS ne parleront plus d’exécutions d’otages ; ils organiseront de véritables expéditions de représailles, au cours desquelles des villages entiers seront incendiés, des milliers de civils seront tués ou arrêtés et déportés ; mais, avant d’en venir là, l’Allemand tente de justifier ses exactions criminelles aux yeux d’une opinion susceptible. Il promulgue, nous allons le montrer, un véritable code des otages et feint de faire seulement respecter le droit, chaque fois qu’il procède à des exécutions en représailles, au mépris du droit.

La prise des otages est, vous le savez, prohibée par l’article 50 de la Convention de La Haye. Je vous donne lecture de ce texte qui figure dans la quatrième Convention, article 50 :

« Aucune peine collective, pécuniaire ou autre, ne pourra être édictée contre les populations à raison de faits individuels, dont elles ne pourraient être considérées comme solidairement responsables. » (Document RF-265.)

Et cependant, perfidement, le Grand État-Major allemand, le Gouvernement allemand s’appliqueront à faire oublier cette disposition légale et à ériger en droit la violation systématique de la Convention de La Haye.

Je vais décrire comment l’État-Major formera ce pseudo-droit des otages, pseudo-droit qui, en France, trouvera son expression définitive dans ce que Stülpnagel et l’administration allemande appelèrent le « code des otages ». Je montrerai au passage quels sont, parmi ces accusés, les principaux coupables de ce crime.

Le 15 février 1940, par un rapport secret destiné à l’accusé Göring, l’OKW justifie la prise d’otages, ainsi qu’en fait foi l’extrait du document coté PS-1583, dont je me propose de donner lecture.

Ce document est daté de Berlin, 15 février 1940. Il porte la mention : « Commandement suprême de l’Armée. Secret. Au ministre du Reich de l’Aviation, Commandant suprême de l’Armée de l’Air. »

« Objet : Arrestation d’otages.

« Suivant l’opinion de l’OKW, l’arrestation d’otages est justifiée dans tous les cas où la sécurité des troupes l’exige, pour l’exécution d’ordres reçus. La plupart du temps, il faudra y recourir en cas de résistance ou d’hostilité de la part des populations des régions occupées, sous réserve toutefois que la troupe soit au combat, ou qu’elle se trouve dans une situation telle qu’il n’existe nul autre moyen d’assurer la sécurité. »

« ... Pour le choix des otages, leur arrestation ne devra avoir lieu que si les fractions hostiles de la population ont intérêt à ce qu’ils ne soient pas exécutés. Les otages seront donc choisis dans les milieux de la population dont on peut attendre une attitude hostile. L’arrestation des otages devra se faire parmi les personnes dont le sort est susceptible d’influencer les meneurs. »

Ce document est déposé par la délégation française sous le n° RF-267.

Contre cette thèse, l’accusé Göring n’éleva aucune objection, que je sache.

Voici encore un paragraphe émanant d’un ordre, F-508 (RF-268) du Commandant en chef de l’Armée de Terre en France, section administrative, signé Stroccius, 12 septembre 1940. Trois mois après le début de l’occupation, les otages y sont définis de la manière suivante :

« Les otages sont des habitants du pays qui garantissent de leur vie l’attitude impeccable de la population. La responsabilité de leur sort se trouve ainsi placée entre les mains de leurs compatriotes. Par suite, la population doit être publiquement menacée de voir les otages rendus responsables des actes inamicaux de chacun. Seuls les citoyens français peuvent être pris comme otages. Les otages ne peuvent être rendus responsables que des actions commises après leur arrestation et après la proclamation publique. »

Cette ordonnance abroge cinq ordonnances antérieures au 12 septembre 1940 — la question a fait l’objet de nombreux textes — et deux ordonnances d’État-Major, dont les dates sont indiquées en tête du document F-510 (RF-269) : 2 novembre 1940 et 13 février 1941.

« Si des actes de violence sont commis par les habitants contre des membres de l’Armée d’occupation, si des locaux ou des installations de l’Armée sont endommagés ou détruits, ou si quelque autre attaque est dirigée contre la sécurité des services allemands ou des unités, et que d’après les circonstances, la population du lieu du crime ou de la région avoisinante peut être considérée comme co-responsable de ces actions de sabotage, des mesures de prévention et de répression peuvent être ordonnées, par lesquelles la population civile doit être à l’avenir effrayée de commettre, de provoquer, ou de souffrir des actes semblables.

« La population doit être traitée comme co-responsable des actions de sabotage des individus, si, par suite de son attitude générale vis-à-vis des Forces armées allemandes, elle a favorisé des actions inamicales de quelques-uns, si, par sa résistance passive, au cours de l’enquête de précédents actes de sabotage, elle a encouragé des éléments mal intentionnés à de semblables actes ou, encore, si elle a créé un terrain favorable à l’opposition contre l’occupation allemande. »

« Toutes les mesures doivent être prises de façon à pouvoir être exécutées. Des menaces sans exécution font l’effet d’une faiblesse. »

Je dépose ces deux documents sous les n° RF-268 (F-508) et RF-269 (F-510).

Jusqu’ici nous ne trouvons pas encore trace, dans ces textes allemands, d’une affirmation pouvant laisser penser que la prise et l’exécution des otages constitueront un droit pour la puissance occupante. Mais voici un texte allemand qui, d’une façon explicite, formulera cette idée. Il figure dans votre livre de documents sous le n° F-507 (RF-270), daté de Bruxelles le 18 avril 1944 ; il émane du juge chef auprès du Commandant en chef militaire en Belgique et dans le nord de la France, et il est adressé à la Commission allemande d’armistice à Wiesbaden. Il porte en marge : affaires secrètes de commando.

« Objet : exécution de huit terroristes à Lille le 22 décembre 1943.

« Référence : votre lettre du 16 mars 1944. Document de Lille ». Vous lirez au milieu du paragraphe 2 du texte :

« ... D’ailleurs, je maintiens mon point de vue, à savoir que les mesures prises par l’Oberfeldkommandantur de Lille, en vertu de la lettre de mon groupe de police du 2 mars 1944, reposent, contrairement à l’opinion de la Commission d’armistice, sur des bases juridiques solides et restent valables. La Commission d’armistice est très bien placée pour déclarer aux Français, si toutefois il lui plaît d’entrer dans les détails à ce sujet, que des exécutions ont eu lieu conformément aux principes généraux du droit régissant les otages. »

II s’agit donc bien d’une doctrine d’État. Des innocents deviennent un gage, ils répondent sur leur vie de l’attitude de leurs concitoyens à l’égard de l’Armée allemande. Si une faute est commise, à laquelle ils sont étrangers, ils sont l’objet d’une sanction collective allant jusqu’à la mort. Ceci est une thèse officielle allemande, imposée par le Haut Commandement allemand, malgré les protestations de la Commission d’armistice allemande à Wiesbaden. Je dis : thèse imposée par le Haut Commandement allemand et j’en apporte la preuve. Keitel, le 16 septembre 1941, a signé un ordre général, qui a déjà été lu et qui a été déposé par mes collègues américains sous le n° PS-389, et que je vais commenter (RF-271). Cet ordre s’applique à toutes les régions occupées de l’Est et de l’Ouest, ainsi que l’établit la liste des destinataires qui sont, entre autres, tous les commandants militaires des pays alors occupés par l’Allemagne : France, Belgique, Norvège, Hollande, Danemark, Ostland, Ukraine, Serbie, Salonique, sud de la Grèce, Crète. Cet ordre a été appliqué pendant toute la durée de la guerre. Nous avons un texte de 1944 qui s’y réfère. Cet ordre de Keitel, chef de l’OKW, est inspiré d’un violent esprit de répression anti-communiste. Il vise toute répression à l’égard des populations civiles.

Cet ordre, qui s’applique même aux commandants dont les troupes stationnent à l’Ouest, indique que dans tous les cas où des attentats seront commis contre l’Armée allemande, « il faut établir qu’il s’agit là d’un mouvement de masse dirigé par Moscou, selon un plan d’ensemble auquel sont aussi à imputer les actions isolées de médiocre importance, enregistrées dans des régions demeurées jusque là tranquilles. »

En conséquence, Keitel ordonne, entre autres choses, de mettre à mort 50 à 100 communistes par soldat allemand tué. Voilà une idée politique que nous retrouvons constamment dans toutes les manifestations terroristes allemandes ; pour la propagande hitlérienne, toute résistance à l’Allemagne est d’inspiration, sinon d’essence communiste. Par là, les Allemands espèrent écarter de la résistance les nationalistes supposés hostiles aux communistes, mais les nazis poursuivent aussi un autre but ; ils espèrent encore et surtout diviser la France et les autres pays vaincus de l’Ouest en deux fractions ennemies et mettre à leur service l’une d’elles sous prétexte d’anticommunisme.

LE PRÉSIDENT

Ce serait, je crois, le moment de suspendre l’audience.

(L'audience est suspendue.)
M. DUBOST

Cet ordre sur les otages, l’accusé Keitel l’a confirmé le 24 septembre 1941. Nous le déposons sous le n° RF-272 et vous le trouverez dans votre livre de documents, cote F-554. Je vous en lis le premier paragraphe :

« Comme suite aux directives données émanant du Führer, l’Oberkommando de la Wehrmacht a publié, le 16 septembre 1941, un règlement relatif aux mouvements révolutionnaires communistes dans les pays occupés. Le règlement a été adressé au ministère des Affaires étrangères, aux bons soins de M. l’ambassadeur Ritter. Le règlement traite également de la question de la peine capitale devant les tribunaux militaires.

« Il en résulte que, désormais, les mesures les plus sévères doivent être prises dans les territoires occupés. »

Le choix des otages est encore indiqué dans le document PS-877, dont il vous a été donné lecture, et qui est d’ailleurs antérieur à l’agression de l’Allemagne contre la Russie. Il est nécessaire de le rappeler ici, parce qu’il montre la préméditation du commandement allemand et du Gouvernement nazi de diviser les pays occupés, de retirer à la résistance des patriotes son caractère patriotique pour lui substituer un caractère politique qu’elle n’a jamais eu. Nous déposerons ce document sous le n° RF-273.

« On peut tenir pour assuré qu’en dehors des adversaires habituellement combattus par nos troupes, vient cette fois-ci s’ajouter un élément de la population civile particulièrement dangereux, destructeur de tout ordre établi et porteur de la propagande judéo-bolchevique. Il n’est pas douteux que, partout où il le peut, il utilise, contre l’Armée allemande au combat et pacifiant le pays, son arme de la désintégration sournoise et du guet-apens. »

Ce document est un document officiel émanant du Quartier Général du Haut Commandement de l’Armée de terre. Il exprime la doctrine générale de tout l’État-Major allemand. Or, c’est Keitel qui préside à la formation de cette doctrine. Il n’est donc pas seulement un homme de guerre aux ordres de son Gouvernement mais, en même temps qu’un général, un politicien nazi dont les actes sont à la fois les actes d’un chef de guerre, et aussi les actes d’un homme politique, au service de la politique hitlérienne. Vous en avez la preuve par le document dont je viens de donner lecture : un général politicien, chez lequel la politique et la conduite de la guerre sont confondues dans une seule préoccupation, cela n’est pas surprenant, pour qui connaît la ligne de la pensée allemande qui n’a jamais séparé la guerre de la politique. N’est-ce pas Clausewitz qui a dit que la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ?

Ceci est doublement important. Ceci constitue une charge directe et accablante contre Keitel, mais Keitel, c’est le Grand État-Major allemand ; or, cet organisme est mis en accusation et nous voyons par ce document, que cette mise en accusation est justifiée, car l’État-Major allemand a trempé dans la politique criminelle du Cabinet allemand.

Pour la France, les ordres généraux de Keitel ont été adaptés par Stülpnagel, dans son ordre du 30 septembre 1941, plus connu en France sous le nom de « code des otages », qui reprend et précise les ordres antérieurs, notamment celui du 23 août 1941. Cet ordre du 30 septembre 1941 est capital pour qui veut exposer les circonstances dans lesquelles furent fusillés les otages français. C’est pourquoi je serai obligé d’en lire de larges extraits. Il définit dans son paragraphe 3 les catégories de Français qui seront considérés comme otages. Je vous donne lecture de ce document (PS-1588), que je remets au Tribunal sous le n° RF-274. Le paragraphe 1 concerne la saisie des otages :

« I

Le 22 août 1941, j’ai fait paraître la communication suivante :

« Le matin du 21 août 1941, un membre de l’Armée allemande a été victime à Paris d’un attentat mortel. Je décide par suite :

« 1° Que l’ensemble des Français actuellement détenus, pour quelque cause que ce soit, dans un service allemand ou pour un service allemand, sont considérés à partir du 23 août comme otages ;

« 2° Parmi ces otages, un certain nombre sera fusillé par la suite, selon la gravité de l’acte commis.

« II

Le 19 septembre 1941, j’ai ordonné, par une note à l’ambassadeur du Gouvernement français auprès du Commandement en chef militaire en France, qu’à partir du 19 septembre 1941, tous les Français du sexe mâle qui se trouvent en état d’arrestation, pour une activité communiste ou anarchiste, auprès des services français ou qui s’y trouveront à l’avenir, doivent être mis par les services français en état d’arrestation pour le Commandant en chef militaire en France.

« III

Si l’on se base sur ma note du 22 août 1941 et sur mon ordre du 19 septembre 1941, les groupes ou personnes suivants sont, par suite, otages :

« a) L’ensemble des Français qui sont actuellement détenus par les services allemands, pour quelque raison que ce soit, par exemple arrestations de police, détentions préventives, détentions punitives ;

« b) L’ensemble des Français qui sont détenus par les services français en France, pour les services allemands ; à ce groupe appartiennent :

aa) L’ensemble des Français qui sont mis en état d’arrestation par les services français pour activité anarchiste ou communiste ;

bb) L’ensemble des Français qui auront à accomplir une peine privative de liberté sous le contrôle des autorités françaises, à la demande des tribunaux militaires allemands ;

cc) L’ensemble des Français qui, sur la demande des services allemands, ont été arrêtés par les services français, ou seront maintenus en état d’arrestation, ou seront remis aux services français par les services allemands pour les garder en état d’arrestation ;

« c) Les habitants du pays, qui n’appartiennent à aucun État et qui vivent depuis assez longtemps en France, sont considérés comme Français au sens de ma proclamation du 22 août 1941.

« Titre III. Levée d’écrou

Les personnes qui n’étaient pas en état d’arrestation les 22 août 1941 ou 19 septembre 1941, mais qui auraient été arrêtées plus tard ou qui seront arrêtées, seront considérées comme otages à partir de leur arrestation, si les autres conditions sont remplies.

« La libération des personnes par expiration de la peine, par levée d’écrou ou par toute autre raison, ne sera pas empêchée par ma proclamation du 22 août 1941. Les personnes relâchées ne peuvent être prises comme otages. Dans la mesure où des personnes se trouvent en état d’arrestation auprès des services français pour activités communistes ou anarchistes, leur libération n’est possible, ainsi que je l’ai fait savoir au Gouvernement français, qu’avec mon approbation.

« Titre VI. Listes d’otages

S’il se produit un événement qui rende nécessaire, conformément à la proclamation du 22 août 1941, de fusiller des otages, l’exécution doit suivre immédiatement l’ordre.

« Les chefs de circonscription doivent, par suite, choisir dans la circonscription, parmi l’ensemble des prisonniers otages, ceux qui particulièrement peuvent être choisis pour une exécution et les porter sur une liste d’otages. Ces listes d’otages servent de base aux propositions qui doivent m’être faites en cas d’exécution.

« 1. D’après les observations faites jusqu’ici, on peut admettre que ceux qui commettent des attentats proviennent des milieux terroristes ou anarchistes. Les chefs de circonscription ont, par suite, à choisir immédiatement parmi les détenus otages les personnes qui, par leur attitude antérieure communiste ou anarchiste, ou par leurs fonctions dans de semblables organisations, sont à considérer en premier lieu, en vue d’une exécution.

« Dans le choix, il faut tenir compte du fait que l’efficacité répressive des exécutions d’otages est d’autant plus grande, sur les auteurs d’attentats et sur les personnes qui en France ou à l’étranger portent la responsabilité spirituelle comme donneurs d’ordres ou propagandistes pour les actes de sabotage ou de terrorisme, que des personnes connues sont fusillées ; l’expérience prouve que les donneurs d’ordres et les milieux politiques qui ont un intérêt aux attentats méprisent la vie de leurs petits complices, mais, par contre, protègent au maximum la vie de leurs anciens fonctionnaires connus.

« Par suite, il faut inscrire en première ligne sur les listes :

« a) Les anciens députés et fonctionnaires des organisations communistes ou anarchistes ; »

(Permettez-moi un commentaire, Messieurs. Il n’y eut jamais d’organisations anarchistes ayant des parlementaires dans l’une quelconque de nos Chambres et ce paragraphe a ne pouvait viser que les anciens députés et fonctionnaires des organisations communistes, dont nous savons d’ailleurs que certains furent exécutés par les Allemands comme otages.)

« b) Les personnes (intellectuels) qui ont fait tendre leurs efforts à la diffusion de la pensée communiste par la parole ou par écrit ;

« c) Les personnes qui, par leur attitude, ont prouvé leur activité dangereuse ;

« d) Les personnes qui ont collaboré à la distribution de tracts. »

Une idée préside à ce choix : il faut frapper les élites et, conformément au paragraphe b de cet article, nous verrons les Allemands fusiller, en 1941 et 1942, à Paris et dans les villes de province, de nombreux intellectuels parmi lesquels Solomon et Politzer.

Je reviendrai sur ces exécutions lorsque je vous donnerai des exemples des atrocités allemandes, commises à propos de la politique des otages en France.

« 2. Une liste d’otages prise dans le rang des prisonniers gaullistes est à établir suivant les mêmes directives ;

« 3. Les Allemands « de sang » ayant la nationalité française, qui sont en état d’arrestation à cause de leurs activités communistes ou anarchistes, peuvent être compris sur la liste. Leur appartenance allemande est à relever dans le formulaire joint. Des personnes qui ont été condamnées à mort, mais qui ont été graciées, peuvent être inscrites sur les listes ;

« 5. Sur les listes, pour chaque circonscription, 150 personnes, et pour le Commandement du Grand Paris, de 300 à 400 personnes sont à inscrire.

« Comme, dans la mesure du possible, on doit choisir pour les exécutions des personnes habitant dans le ressort du lieu du crime, les chefs de circonscription ont donc chaque fois à porter sur la liste des personnes qui avaient leur dernière résidence ou leur-domicile dans la circonscription.

« Les listes doivent être tenues à jour. Il faut tenir compte, en particulier, des nouvelles arrestations et libérations.

« Titre VII. Propositions d’exécutions

Si un incident se produit qui rende nécessaire l’exécution d’otages, au sens de ma proclamation du 22 août 1941, le chef de la circonscription dans laquelle l’incident s’est produit doit choisir, sur la liste des otages, les personnes dont il veut me proposer l’exécution. Dans son choix, il doit, dans la mesure du possible, se saisir de personnes appartenant au milieu probable des coupables. »

Je passe un paragraphe.

« Pour les exécutions, ne peuvent être proposées que les personnes qui étaient déjà en état d’arrestation au moment de l’attentat. La proposition doit donner le nombre des personnes proposées pour l’exécution et l’ordre dans lequel le choix est recommandé.

À la fin du titre VIII, on lit :

« Au moment de l’enterrement des cadavres, il faut éviter que, par la mise en fosse commune d’un assez grand nombre de personnes dans un même cimetière, des lieux de pèlerinage soient créés, qui, maintenant ou plus tard, seraient des centres de noyautage pour une propagande anti-allemande. C’est pour cela que, autant que possible, l’enterrement doit avoir lieu dans des localités différentes. »

Parallèlement à ce document valable pour la France, il existe en Belgique un ordre de Falkenhausen du 19 septembre 1941, que vous trouverez à la page 6 du rapport officiel de la Belgique, coté F-683, que je vais déposer sous le n° RF-275.

LE PRÉSIDENT

Le document belge est-il rédigé dans les mêmes termes que celui que vous venez de lire ?

M. DUBOST

Parfaitement, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire que vous le lisiez.

M. DUBOST

Comme vous voudrez. Il ne sera donc pas nécessaire non plus de donner lecture complète de l’avertissement de Seyss-Inquart, valable pour la Hollande.

Je pense qu’en vous reportant à ces pièces, qui figurent à votre livre de documents, vous pourrez y puiser des éléments de conviction, qui ne feront que confirmer ce qui résulte de la lecture à laquelle je viens de procéder de l’ordonnance de Stülpnagel.

Pour la Norvège et le Danemark, il existe une lettre télétypée de Keitel au Commandement supérieur de la Marine, en date du 30 novembre 1944, que vous trouverez dans le livre de documents sous le n° C-48 (RF-280). Je lis la fin du paragraphe 1 :

« Tout ouvrier d’un chantier doit savoir que tout acte de sabotage se produisant dans sa sphère d’activité entraîne, pour lui personnellement, ou pour les siens, s’il disparaît, les suites les plus graves. »

Page 2 du document PS-870 (RF-281) :

« 4. À l’instant, je reçois un télétype du Feldmarschall Keitel, demandant la publication d’une ordonnance d’après laquelle les complices et, le cas échéant, leurs proches parents, seront tenus collectivement responsables pour les actes de sabotage survenant dans leurs entreprises. »

Et Terboven, qui a écrit cette phrase, a ajouté (et c’est lui qui condamne le maréchal Keitel) :

« Cette demande n’a de chances et n’aura de succès que si je peux effectivement procéder à des exécutions. »

L’ensemble de ces documents sera déposé.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, si je comprends bien, il y avait en Belgique, en Hollande, au Danemark et en Norvège, des ordres ou décrets similaires en ce qui concernait les otages ?

M. DUBOST

Oui, Monsieur le Président, je me proposais d’en donner lecture pour la Belgique, pour la Hollande et pour la Norvège. Pour la Belgique, vous trouverez à la page 6 du document F-683 qui est le document officiel du ministère de la Justice belge :

« Bruxelles, le 29 novembre 1945, 1, rue de Turin.

« Décret de Kaltenbrunner du 19 septembre 1941 :

« À l’avenir, la population doit s’attendre à ce que, lors d’attaques par voie de faits sur un membre de l’Armée ou de la Police allemandes, au cas où le ou les coupables ne pourront être arrêtés, un nombre d’otages, en rapport avec la gravité du fait, au minimum cinq si l’attaque entraîne la mort, soient fusillés.

« Tous les détenus politiques en Belgique sont considérés, avec effet immédiat, comme otages. »

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, je ne voulais pas que vous lisiez ces documents s’ils sont au fond sous la même forme que celui que vous avez déjà lu.

M. DUBOST

Ils sont à peu près dans la même forme, Monsieur le Président. Je les déposerai parce qu’ils constituent la preuve de la répétition systématique des mêmes procédés pour parvenir aux mêmes buts, à savoir : faire régner la terreur dans tous les pays occupés de l’Ouest. Mais si le Tribunal tient pour constant et pour établi que ces procédés ont été systématiquement utilisés dans toutes les régions de l’Ouest, naturellement je lui épargnerai la lecture de documents monotones et répétant en substance ce que dit le document relatif à la France.

LE PRÉSIDENT

Vous pourriez peut-être nous donner des références concernant la Belgique, la Hollande, la Norvège et le Danemark ?

M. DUBOST

Oui, Monsieur le Président.

Pour la Belgique, F-683, page 6, décret de Falkenhausen du 19 septembre 1941, déposé sous le n° RF-275, en tant que constituant le rapport officiel du Royaume de Belgique contre les principaux criminels de guerre.

Deuxième document : C-46, qui correspond à UK-42, en date du 24 novembre 1942, déposé sous le n° RF-276.

Pour la Hollande, un avertissement de Seyss-Inquart, document n° F-224, dont il vous paraîtra peut-être nécessaire que je donne lecture, car Seyss-Inquart est de nos accusés ; je dépose ce document sous le n° RF-279, et je cite :

« Pour la destruction ou la détérioration d’installations ferroviaires, de câbles téléphoniques et de bureaux des P.T.T., je rends responsable toute la population de la commune sur le territoire de laquelle ces actes sont commis.

« La population de ces communes doit s’attendre à ce que des représailles soient portées sur la propriété privée et que des maisons ou des pâtés de maisons soient détruits. »

LE PRÉSIDENT

Quel paragraphe lisez-vous ? Je ne peux pas suivre le texte.

M. DUBOST

On m’informe, Monsieur le Président, que ce document n’a pas été liassé avec le rapport hollandais ; je le déposerai à la fin de l’audience si vous le voulez bien.

LE PRÉSIDENT

C’est entendu.

M. DUBOST

Pour la Norvège et pour le Danemark, nous avons quelques documents qui établissent que la même politique d’exécution des otages a été suivie. Nous avons notamment un document, C-48 (RF-280), dont j’ai donné lecture tout à l’heure.

Tous ces ordres particuliers, pour chacune des régions occupées de l’Ouest, sont la conséquence de l’ordre général de Keitel dont il a déjà été donné lecture par mes collègues américains et que je me suis contenté de commenter ce matin. La responsabilité de Keitel dans le développement de la politique d’exécution d’otages est totale. Des avertissements lui ont été donnés, des généraux allemands même l’ont prévenu que cette politique dépassait le but poursuivi et pouvait devenir dangereuse. Le 16 septembre 1942, le général von Falkenhausen lui adressait une lettre dont j’extrais le passage suivant (c’est le document PS-1594 que je dépose sous le n° RF-283) :

« Sous ce pli est présenté un tableau des exécutions d’otages qui ont eu lieu jusqu’à ce jour dans mon secteur de commandement et des événements qui ont donné lieu à ces exécutions. Pour une grande partie des cas, spécialement pour les plus graves, les auteurs ont été arrêtés par la suite et frappés d’une condamnation. Ce résultat n’est en aucune manière susceptible d’apporter des apaisements. L’effet n’est pas moins intimidant que destructeur du droit et de la sécurité dans le sentiment de la population. Le fossé entre les parties de la population soumises aux influences communistes et le reste de la population sera comblé, tous les milieux seront remplis d’un sentiment de haine contre les forces d’occupation, et des éléments de haine seront apportés à la propagande ennemie.

« Il en résulte des périls militaires et des répercussions de politique générale d’une nature radicalement inopportune...

« Signé : von Falkenhausen. »

Je présenterai maintenant le document PS-1587 du même général allemand qui, celui-là, me paraît lucide :

« Par ailleurs, je veux signaler encore ce qui suit : Dans plusieurs cas, les auteurs d’agression ou d’actes de sabotage ont été découverts, alors que des otages avaient déjà été fusillés peu après les actes criminels, conformément aux instructions reçues. D’ailleurs, les véritables auteurs n’appartenaient souvent pas aux mêmes milieux que les otages. Sans aucun doute, en de tels cas, l’exécution d’otages ne provoque pas la terreur, mais plutôt l’indifférence de la population à l’égard des mesures de répression ou même le ressentiment d’une partie de la population plutôt passive jusque-là. Elle agit ainsi négativement à l’égard de la puissance occupante, dans le sens des intentions des agents anglais qui sont souvent les instigateurs. Il est donc nécessaire de prolonger les délais, dans les cas où l’on peut encore espérer l’arrestation des coupables.

« Je prie également de me laisser la responsabilité de l’appréciation des délais, afin d’obtenir le plus grand succès possible dans la lutte contre les actes terroristes. »

LE PRÉSIDENT

Connaissez-vous la date de ce document ?

M. DUBOST

Ce document est postérieur au 16 septembre 1941. Nous n’avons pas sa date, il est annexé à un autre document dont la date est illisible, mais il est postérieur à l’ordre de Keitel, parce qu’il rend compte d’exécutions d’otages faites en exécution de cet ordre. Il fait observer qu’après l’exécution des otages, on a découvert les coupables, et que l’effet a été déplorable et a suscité le ressentiment d’une partie de la population.

Vous trouverez aussi, dans ce document PS-1587 — cette fois-ci extrait du rapport mensuel du commandant de la Wehrmacht aux Pays-Bas (rapport du mois d’août 1942) — un nouvel avertissement à Keitel.

« B) Événements particuliers et situation politique.

« À l’occasion d’une tentative d’agression contre un train de permissionnaires, qui devait arriver conformément à l’horaire à Rotterdam, un garde-barrière hollandais a été grièvement blessé pour avoir touché un fil de fer relié à une charge d’explosif, provoquant ainsi l’explosion.

« Par publication dans toute la presse hollandaise, les mesures de répression ont été fixées comme suit :

« Le terme du délai fixé pour l’arrestation des auteurs, avec la collaboration de la population, est fixé au 14 août à minuit. Une récompense de 100.000 florins a été fixée pour une dénonciation qui restera confidentielle. En cas de non-arrestation des auteurs dans les délais prévus, menace d’exécution d’otages, surveillance des lignes de chemins de fer par des Hollandais.

« Étant donné que, malgré cette sommation, l’auteur ne s’est pas présenté, ou n’a pu être trouvé nulle part, les otages suivants, qui se trouvaient déjà depuis quelques semaines détenus comme otages, ont été fusillés sur ordre du chef des SS ou de Police. » Je passe sur l’énumération des noms...

LE PRÉSIDENT

Pourriez-vous lire les titres et les noms ?

M. DUBOST

« Ruys Willem, directeur général à Rotterdam ; comte E.O.G. van Limburg-Stirum, Arnheim ; M. Baelde Robert, docteur en droit, Rotterdam ; Benneekers Christoffel, ancien inspecteur général de la Police, Rotterdam ; baron Alexander Schimmel-pennik von der Oye, Noordgouwe (Zélande). »

Un paragraphe plus loin :

« L’opinion publique a été tout particulièrement impressionnée par l’exécution des otages. Les rapports ci-joints expriment l’opinion que, depuis le début de l’occupation, aucun coup porté par les Allemands n’a été plus profondément ressenti. De nombreuses lettres anonymes, ainsi que des lettres signées, adressées au commandant de la Wehrmacht, considéré comme responsable de ces événements inouïs, dévoilent les divers sentiments qui dominent l’opinion publique. Depuis l’insulte haineuse jusqu’aux conjurations dévotes et aux prières de ne pas recourir aux mesures extrêmes, aucune nuance ne manquait à l’expression de la réprobation, et l’incompréhension est complète en ce qui concerne d’abord les menaces et ensuite l’exécution des otages. On a relevé dans cette correspondance des reproches d’infractions méprisables au droit des gens, reproches malgré tout sérieusement fondés et qui font réfléchir, puis à nouveau des cris de détresse d’idéalistes qui croyaient encore, malgré tout ce qui s’est passé, à la possibilité d’une entente germano-hollandaise et qui voient maintenant tout gâché.

« À côté de tout cela, perce le reproche qu’avec de telles méthodes, on fait le jeu des communistes qui doivent se réjouir d’avoir réussi, eux seuls vrais militants et saboteurs, à joindre l’utile à l’agréable, en faisant exécuter de tels otages.

« En résumé, une telle répudiation, jusque dans les rangs des rares Hollandais germanophiles, n’a jamais été enregistrée, une telle haine n’a jamais été constatée jusqu’à présent.

« Schneider, capitaine. »

Malgré ces avertissements prodigués par des subordonnés consciencieux, ni l’État-Major, ni Keitel, n’ont jamais donné d’ordres contraires. L’ordre du 16 septembre 1941 est toujours resté en vigueur. Lorsque je vous exposerai des exemples d’exécutions d’otages en France, vous verrez que bon nombre de faits que j’utiliserai datent de 1942, 1943 et 1944.

LE PRÉSIDENT

Nous pourrions peut-être suspendre l’audience ?

(L’audience est suspendue jusqu’à 14 heures.)