QUARANTE-DEUXIÈME JOURNÉE.
Jeudi 24 janvier 1946.

Audience de l’après-midi.

L’HUISSIER AUDIENCIER

Plaise au Tribunal. Les accusés Kaltenbrunner et Streicher seront encore absents pendant cette audience.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, le Tribunal a eu ce matin des difficultés à suivre les documents dont vous donniez des extraits. D’après ce que je comprends, les interprètes ont également eu des difficultés parce que le livre de documents, sauf celui que j’ai ici devant moi, ne porte pas les indications des numéros PS ou autres. Les documents eux-mêmes ne sont pas numérotés, et par conséquent, il est très difficile aux membres du Tribunal de les trouver. Il en est de même pour les interprètes. Si vous le voulez bien cet après-midi, vous indiquerez quel est le document et vous laisserez ensuite au Tribunal et aux interprètes assez de temps pour le trouver. Vous indiquerez exactement quels passages du document vous allez lire : le début, le paragraphe 1 ou 2, etc. Vous devez nous aider avec un peu de patience, si nous avons quelque difficulté à suivre les documents.

M. DUBOST

Bien, Monsieur le Président. J’en avais fini ce matin avec l’exposé des règles générales qui ont présidé, pendant cinq années d’occupation, à l’exécution de nombreux otages dans nos pays occupés de l’Ouest.

Je vous ai apporté la preuve, en lisant les uns après les autres un certain nombre de documents officiels allemands, que les plus hautes autorités de l’Armée, du Parti, du Gouvernement nazis, avaient délibérément choisi de pratiquer une politique terroriste par la prise des otages.

Avant de passer à l’examen de quelques cas particuliers, il me paraît nécessaire de dire exactement en quoi a consisté cette politique, à la lumière des textes que j’ai cités.

Selon les circonstances, des personnes appartenant de cœur ou ethniquement aux nations vaincues ont été appréhendées et détenues, en garantie du maintien de l’ordre dans un secteur donné, ou encore après un incident dont l’Armée ennemie avait été victime. Elles ont été appréhendées et détenues, en vue d’obtenir l’accomplissement par la population vaincue d’actes déterminés par l’autorité occupante, tels que : dénonciations, paiement d’amendes collectives, livraison d’auteurs d’attentats commis contre l’Armée allemande, livraison d’adversaires politiques, et ces personnes ainsi arrêtées ont très souvent été massacrées par la suite, en représailles.

Une idée se dégage de tels procédés : c’est que l’otage, qui est un être humain, devient un gage particulier affecté à la prestation fixée par l’ennemi. Combien tout ceci est contraire aux règles du respect de la liberté individuelle, de la dignité humaine !

Tous les membres du Gouvernement allemand sont solidairement responsables de cette conception inique et des applications qui en ont été faites dans nos pays vaincus. Aucun membre du Gouvernement allemand ne peut rejeter cette responsabilité sur des subordonnés, en alléguant qu’ils auraient exécuté, avec excès de zèle, des ordres bien déterminés.

Je vous ai montré qu’à de nombreuses reprises, au contraire, les exécutants ont rendu compte aux chefs des conséquences morales de l’application de la politique terroriste des otages, et nous savons qu’en aucun cas des ordres contraires n’ont été donnés. Nous savons que toujours les ordres primitifs ont été maintenus.

Je ne m’appliquerai pas à énumérer en détail toutes les exécutions d’otages pour notre seul pays de France. Il y en a eu 29.660 d’exécutés. Ceci résulte du document F-420 daté de Paris, le 21 décembre 1945, dont l’original sera déposé sous le n° RF-266 à votre greffe. Ce document précise, région par région, le nombre des otages qui ont été exécutés.

Pour la région de

Lille

.....................

1.143

— —

Laon

.....................

222

— —

Rouen

.....................

658

— —

Angers

.....................

863

— —

Orléans

.....................

501

— —

Reims

.....................

353

— —

Dijon

.....................

1.691

— —

Poitiers

.....................

82

— —

Strasbourg

.....................

211

— —

Rennes

.....................

974

— —

Limoges

.....................

2.863

— —

Clermont-Ferrand

.....................

441

— —

Lyon

.....................

3.674

— —

Marseille

.....................

1.513

— —

Montpellier

.....................

785

— —

Toulouse

.....................

765

— —

Bordeaux

.....................

806

— —

Nancy

.....................

571

— —

Metz

.....................

220

— —

Paris

.....................

11.000

— —

Nice

.....................

324

Total

.....................

29.660

Je limiterai mon exposé à quelques exemples d’exécution qui dévoilent le plan politique de l’État-Major qui les a prescrits, plan de terreur, plan destiné à créer et à accentuer la division entre Français, ou plus généralement entre citoyens des pays occupés.

Vous trouverez dans votre livre de documents un dossier coté F-133 que je déposerai sous le n° RF-288. Ce document s’appelle : « Affiches concernant Paris. » En haut de la page, vous lisez : « Annexe Pariser-Zeitung ».

Ce document reproduit quelques-unes des très nombreuses affiches, quelques-uns des très nombreux avis, insérés dans la presse de 1940 à 1945, annonçant l’arrestation d’otages à Paris, dans la région parisienne, en France. Je ne lirai que l’un de ces documents, intitulé : « N° 6. — 19 septembre 1941 » (page 2) ; vous y verrez l’appel à la délation, l’appel à la trahison, vous y verrez employés des moyens de corruption, de ces moyens, qui, systématiquement appliqués à tous les pays de l’Ouest, pendant des années, ont tendu tous également à les démoraliser.

« Appel à la population des Territoires occupés.

« Le 21 août, de lâches meurtriers attaquant par derrière, ont fait feu sur un soldat allemand et l’ont tué. J’ai, en conséquence, le 23 août, ordonné que des otages soient pris. J’ai menacé d’en faire fusiller un certain nombre, au cas où un tel attentat se reproduirait.

« De nouveaux crimes m’ont contraint de mettre cette menace à exécution. Malgré cela, de nouveaux attentats ont eu lieu. Je reconnais que la population dans sa majorité est consciente de son devoir, qui est d’aider les autorités d’occupation dans leur effort pour maintenir le calme et l’ordre dans le pays, dans l’intérêt même de cette population. »

Et voici l’appel à la délation :

« Mais parmi vous se trouvent des agents stipendiés par les puissances ennemies de l’Allemagne, des éléments communistes criminels, qui n’ont qu’un but, semer la discorde entre la puissance occupante et la population française. Ces éléments restent totalement indifférents aux conséquences qui résultent pour la population tout entière, de leur activité.

« Je ne veux pas laisser menacer plus longtemps la vie des soldats allemands par ces assassins. Je ne reculerai, pour remplir mon devoir, devant aucune mesure, si rigoureuse qu’elle soit. Mais il est également de mon devoir de rendre l’ensemble de la population responsable du fait que jusqu’à présent on n’a pas réussi à mettre la main sur les lâches assassins et à leur appliquer les peines qu’ils méritent.

« C’est pourquoi je me suis vu contraint de prendre pour Paris d’abord, des mesures qui malheureusement vont gêner la population tout entière dans sa vie habituelle.

« Français, il dépend de vous-mêmes que j’aggrave ces mesures ou que je les suspende de nouveau. Je vous appelle tous, votre administration et votre police, à coopérer par votre extrême vigilance et votre intervention active personnelle à l’arrestation des coupables. Il faut, en prévenant et en dénonçant les activités criminelles, éviter que soit créée une situation critique qui plongerait le pays dans le malheur. Celui qui tire par derrière sur les soldats allemands qui ne font ici que leur devoir et qui veillent au maintien d’une vie normale n’est pas un patriote, c’est un lâche assassin, et l’ennemi de tous les hommes respectables.

« Français, je compte que vous comprendrez ces mesures que je prends également dans votre propre intérêt.

« Signé : von Stülpnagel. »

De nombreux avis suivent qui, tous, rapportent des exécutions. Au n° 8 (page suivante), vous trouverez une liste de douze noms, parmi lesquels ceux de trois des avocats les plus connus du barreau parisien, qui sont qualifiés de militants communistes : maître Pitard, maître Hajje, maître Rolnikas.

Dans le dossier 21, déposé par mon collègue, M. Gerthoffer, durant son exposé économique, vous trouverez quelques avis analogues qui ont été publiés au journal officiel allemand Vobif.

Vous observerez, à propos de cet avis du 16 septembre, relatant l’exécution ou plutôt l’assassinat de maître Pitard et de ses compagnons, que les assassins n’ont eu ni le courage ni la loyauté de dire que les uns et les autres étaient des avocats parisiens. Est-ce par erreur ? Je pense que c’est un mensonge calculé, car à cette époque, il fallait ménager les élites : l’occupant espérait encore les séparer du peuple de France.

Je vous décrirai en détail deux affaires qui semèrent le deuil dans le cœur des Français, dans le courant du mois d’octobre 1941 et qui sont restées l’une et l’autre présentes à la mémoire de tous mes compatriotes.

Celles-ci sont connues sous le nom « d’exécutions de Château-briant et de Bordeaux ». Elles font l’objet du document F-415, dans votre livre de documents, que je dépose sous le n° RF-285 à la barre de votre Tribunal.

À la suite d’un attentat contre deux officiers allemands à Nantes, le 20 octobre 1941, et à Bordeaux, quelques jours plus tard, l’Armée allemande décida de faire un exemple. Vous trouverez à la page 22 du document F-415 une copie de l’avis inséré le 21 octobre 1941 dans le journal Le Phare.

« De lâches criminels à la solde de l’Angleterre et de Moscou ont tué à coups de feu tirés dans le dos, le Feldkommaridant de Nantes, au matin du 20 octobre 1941. Jusqu’ici les assassins n’ont pas été arrêtés.

« En expiation de ce crime, j’ai ordonné préalablement de faire fusiller 50 otages. Étant donné la gravité du crime, 50 autres otages seront fusillés au cas où les coupables ne seraient pas arrêtés d’ici le 23 octobre à minuit. »

Les conditions dans lesquelles ces représailles furent exercées méritent d’être contées en détail. Stülpnagel qui commandait les troupes allemandes en France ordonna au ministre de l’Intérieur de lui désigner des internés. Ceux-ci devaient être choisis parmi les communistes les plus dangereux (ce sont les termes de l’arrêté de Stülpnagel). Une liste de 60 Français fut fournie par le ministre de l’Intérieur. C’était Pucheu. Il a été depuis jugé par mes compatriotes, condamné à mort et exécuté.

Le sous-préfet de Châteaubriant adressa à la Kommandantur de Châteaubriant la lettre suivante, à la suite de l’ordre qu’il reçut du ministre de l’Intérieur :

« Comme suite à notre entretien de ce jour, j’ai l’honneur de vous confirmer que M. le ministre de l’Intérieur a pris contact aujourd’hui avec le général von Stülpnagel afin de lui désigner les internés communistes les plus dangereux parmi ceux qui sont actuellement concentrés à Châteaubriant. Vous voudrez bien trouver ci-dessous la liste des 60 individus fournie ce jour. »

Et voici l’ordre allemand :

« À cause de l’assassinat du Feldkommandant lieutenant-colonel Hotz, le 20 octobre 1941, les Français dont les noms suivent, déjà emprisonnés, en tant qu’otages, conformément à ma publication du 22 août 1941 et mon ordonnance au fondé de pouvoirs général du Gouvernement français du 19 septembre 1941, doivent être fusillés. »

Aux pages suivantes, vous trouverez une liste de tous les hommes fusillés ce jour-là. Je ne procède pas à la lecture de cette liste pour ne pas allonger les débats inutilement. À la page 16, vous trouverez une liste de 48 noms ; à la page 13 vous trouverez la liste de ceux qui furent fusillés à Nantes ; à la page 12, la liste de ceux qui furent fusillés à Châteaubriant ; leurs corps furent dispersés, pour être inhumés, dans toutes les communes des environs. Voici d’après les témoins oculaires comment moururent nos compatriotes. M. Duménil a relaté de la façon suivante les exécutions du 21 octobre 1941, dans une note rédigée au lendemain des exécutions ; je cite le second paragraphe :

« L’aumônier a été appelé à 11 h. 30 à la prison Lafayette ; un officier, probablement de la GFP lui a dit qu’il était chargé d’annoncer à certains prisonniers qu’ils allaient être fusillés. L’abbé a été alors enfermé dans une salle avec les treize otages qui se trouvaient à la prison. Les trois autres, qui étaient aux Pochettes, ont été assistés par l’abbé Théon, professeur au collège Stanislas.

« L’abbé Fontaine a dit aux condamnés : « Messieurs, vous devez « comprendre, hélas ! ce que ma présence signifie. » Il s’est ensuite entretenu avec les prisonniers collectivement et individuellement, pendant les deux heures que l’officier avait dit être accordées pour mettre en ordre les affaires personnelles des condamnés et écrire à leurs familles leurs dernières volontés.

« L’exécution était donc fixée à 14 heures, une demi-heure étant réservée pour le trajet. Mais les deux heures se sont écoulées, il s’est passé encore une heure, puis une autre heure, avant que l’on vienne chercher les condamnés. Certains optimistes par nature, comme M. Fourny espéraient déjà un contre-ordre, auquel l’abbé n’a jamais cru.

« Les condamnés ont été tous très courageux ; ce sont deux des plus jeunes, Gloux et Grolleau, étudiants, qui ont sans cesse remonté les autres, disant qu’il valait mieux mourir ainsi que de périr inutilement dans un accident.

« Au moment du départ des condamnés, l’aumônier, pour des raisons qui ne lui ont pas été expliquées, n’a pas été autorisé à accompagner les otages jusqu’au lieu de l’exécution. Il a descendu avec eux l’escalier de la prison jusqu’à la voiture.

« Ils étaient enchaînés deux par deux. Le treizième avait les menottes. Une fois montés dans le camion, Gloux et Grolleau ont fait encore un geste d’adieu en souriant et en agitant leurs deux mains enlacées ensemble.

« Signé : Duménil, conseiller attaché au Cabinet. »

Seize furent fusillés à Nantes, 27 furent fusillés à Châteaubriant, cinq furent fusillés en dehors du département. Nous savons quels furent les derniers moments des martyrs de Châteaubriant. L’abbé Moyon, qui les assistait, a écrit le 22 octobre 1941, le compte rendu de cette exécution (page 17 de votre document, 3e paragraphe) :

« Ce fut par une belle journée d’automne. La température était douce. Un beau soleil brillait depuis le matin. Chacun dans la ville se livrait à ses occupations habituelles. Il y avait grande animation dans la cité, puisque c’était mercredi, jour de marché. La population savait, par les journaux et par les renseignements venus de Nantes, qu’un officier supérieur avait été tué dans une rue de Nantes, mais elle se refusait à penser que des représailles aussi féroces et aussi étendues fussent appliquées. Au camp de Choisel, des autorités allemandes avaient, depuis quelques jours, mis dans un baraquement spécial un certain nombre d’hommes qui devaient servir d’otages au cas de difficultés particulières. C’est parmi ces hommes que furent pris ceux qui devaient être fusillés dans cette soirée du 22 octobre 1941.

« Monsieur le curé de Béré achevait de déjeuner quand se présente à lui M. Moreau, chef du camp de Choisel. En quelques mots, celui-ci explique le but de sa visite. Délégué par M. Lecornu, sous-préfet de Châteaubriant, il venait faire savoir que 27 hommes, pris parmi les prisonniers politiques de Choisel, allaient être exécutés dans l’après-midi, et il demandait à M. le curé de se rendre immédiatement près d’eux pour les assister. M. le curé se déclara prêt à accomplir cette mission et se rendit près des prisonniers, sans plus tarder.

« Quand M. le curé se présenta pour remplir son ministère, M. le sous-préfet se trouvait parmi les condamnés. Il venait leur faire savoir l’horrible sort qui leur était réservé, les engageant sans plus tarder à écrire des lettres d’adieu à leurs familles. C’est dans ces circonstances que M. le curé se présenta à l’entrée du baraquement. »

Vous trouverez page 19, paragraphe 4, le départ pour l’exécution :

« Tout à coup un bruit de voitures automobiles se fit entendre ; la porte que j’avais fait fermer dès le début pour être plus nous-mêmes, s’ouvrit brusquement ; les gendarmes français se présentèrent, porteurs de menottes. Un officier allemand survint. C’était en réalité un aumônier militaire. Il me dit : « Monsieur le curé, « votre mission est terminée. Il faut vous retirer tout de suite. »

« La carrière où eut lieu l’exécution fut absolument interdite aux Français. Je sais seulement que les condamnés furent exécutés en trois groupes de neuf hommes, que tous les fusillés refusèrent d’avoir les yeux bandés, et que le jeune Mocquet tomba, privé de ses sens ; le dernier cri jailli des lèvres de ces héros fut un ardent « Vive la France ».

La déclaration du gendarme Roussel mérite elle aussi d’être lue (page 21 du même document) :

« Le 22 octobre 1941, vers 15 h. 30, me trouvant rue du 11-novembre à Châteaubriant, j’ai vu, venant de la direction du camp de Choisel quatre ou cinq camions allemands, sans pouvoir préciser, précédés d’une voiture automobile, conduite intérieure, dans laquelle était un officier allemand. Plusieurs civils, menottes aux mains, étaient dans les camions et chantaient des chants patriotiques (Marseillaise, Chant du Départ). Un des camions était chargé de soldats allemands en armes.

« J’ai appris par la suite qu’il s’agissait d’otages qu’on venait de prendre au camp de Choisel pour les conduire à la carrière de la Sablière route de Soudan, pour être fusillés, en représailles de l’assassinat à Nantes du colonel allemand Hotz.

« Environ deux heures plus tard, ces mêmes camions sont revenus de ladite carrière et sont entrés dans la cour du château de Châteaubriant, où les corps des fusillés ont été déposés dans un souterrain, en attendant la confection de cercueils.

« Au retour de la carrière, les camions étaient bâchés, et on n’entendait aucun bruit, mais un filet de sang s’échappait de ces derniers, et laissait une trace marquée sur la chaussée, depuis la carrière jusqu’au château.

« Le lendemain 23 octobre, les corps des fusillés ont été mis dans des cercueils, hors de la présence de tout Français ; les entrées du château étaient gardées par des sentinelles allemandes ; ils furent conduits dans neuf cimetières des communes environnantes, soit trois cercueils par commune. Les Allemands ont eu soin de choisir des communes où il n’y a nul service régulier de transports en commun, vraisemblablement pour éviter que la population aille en masse sur les tombes de ces martyrs.

« Je n’ai pas assisté au départ des otages du camp, ni à la fusillade dans la carrière de la Sablière. Les abords étaient gardés par des soldats allemands armés de mitrailleuses. »

Presque au même moment, à ces 48 otages fusillés devaient s’en ajouter d’autres : ceux de Bordeaux. Nous déposons sous le n° RF-286 des documents qui nous ont été communiqués par la préfecture de la Gironde (document n° F-400).

L’un d’eux émane de la section des Affaires politiques de Bordeaux et est daté du 22 octobre 1941 (document n° F-400-B) :

« Au cours de la conférence qui a eu lieu hier au soir à la Feldkommandantur de Bordeaux, les autorités allemandes m’ont demandé de faire procéder immédiatement à l’arrestation de 100 individus, connus pour leur sympathie pour le parti communiste ou pour le mouvement gaulliste, qui seront considérés comme otages, et à un très grand nombre de perquisitions.

« Ces opérations sont en cours depuis ce matin. À l’heure actuelle, il ne m’a été signalé aucun résultat intéressant.

« Par ailleurs, ce matin à 11 heures, les autorités allemandes m’ont fait connaître les mesures de représailles qu’elles avaient décidé de prendre à l’égard de la population. »

Une lettre adressée par le général von Faber du Faur, chef de l’administration régionale de Bordeaux au préfet de la Gironde, précise la nature de ces représailles (page A du même document) : « Bordeaux, le 23 octobre 1941. À Monsieur le Préfet de la Gironde, Bordeaux.

« En expiation du lâche assassinat de M. le conseiller de guerre Reimers, le Haut Commandement militaire en France a ordonné de fusiller 50 otages. L’exécution aura lieu dans la journée de demain. Au cas où les assassins n’auraient pas été arrêtés dans les plus courts délais, d’autres mesures seront prises comme dans le cas de Nantes. J’ai l’honneur de vous faire part de cette décision.

Le chef de l’administration militaire régionale : von Faber du Faur », et en exécution de cet ordre, 50 hommes furent fusillés.

Il est un lieu célèbre dans la banlieue de Paris qui est devenu un lieu de pèlerinage pour les Français depuis notre libération : c’est le fort de Romainville. Pendant l’occupation, les Allemands avaient transformé ce fort en un dépôt d’otages où ils puisaient leurs victimes lorsqu’ils voulaient sévir, à la suite d’une manifestation patriotique quelconque. C’est de Romainville que partirent des professeurs Jacques Solomon, Decourtemanche, George Politzer, le Dr Boer et six autres Français, arrêtés en mars 1942, torturés par la Gestapo puis exécutés sans jugement au mois de mai 1942, parce qu’ils avaient refusé d’abjurer leur foi.

Le 19 août 1942, 96 otages partent de ce fort ; parmi eux se trouve M. Le Gall, conseiller municipal de Paris. Ils quittèrent le fort de Romainville et furent transférés au Mont Valerien et exécutés.

En septembre 1942, un attentat avait été commis contre des soldats allemands au cinéma Rex à Paris. Le général von Stülpnagel fit paraître une proclamation annonçant qu’en raison de cet attentat, il avait fait fusiller 116 otages et que d’importantes mesures de déportation devaient être prises (document n° F-402 B, n° RF-287).

Cet avis était ainsi conçu :

« Par suite d’attentats commis par des agents communistes et des terroristes à la solde de l’Angleterre, des soldats allemands et des civils français ont été tués ou blessés.

« En représailles pour ces attentats, j’ai fait fusiller 116 communistes dont la participation ou la complicité à des actes terroristes a été prouvée par des aveux.

« En outre, d’importantes mesures de répression ont été prises pour prévenir des incidents à l’occasion des démonstrations projetées par les communistes pendant la journée du 20 septembre 1942, j’ordonne ce qui suit :

« 1. Du samedi 19 septembre 1942, 15 heures jusqu’au dimanche 20 septembre 1942, 24 heures tous les théâtres, cinémas, cabarets et autres lieux de plaisir réservés a la population française seront fermés dans les départements de la Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Mame ; toutes les manifestations publiques, y compris les manifestations sportives sont interdites.

« 2. Le dimanche 20 septembre 1942 de 15 heures à 24 heures il est interdit aux civils non allemands de circuler dans les rues et sur les places publiques dans les départements de la Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Mame ; sont exceptées les personnes représentant les services officiels... »

À la vérité, ce n’est que dans la journée du 20 septembre que 46 de ces otages pris dans la liste des 116, furent choisis. Les Allemands firent remettre aux détenus de Romainville les journaux du 20 septembre qui annonçaient la décision du Haut Commandement militaire. C’est donc par les journaux que les détenus de Romain-ville apprirent qu’un certain nombre d’entre eux allaient être choisis à la fin de l’après-midi pour être fusillés.

Tous vécurent cette journée dans l’attente de l’appel du soir : ceux qui furent appelés connaissaient d’avance leur sort et tous moururent innocents des crimes pour lesquels ils étaient exécutés, car les responsables de l’attentat du Rex furent arrêtés quelques jours plus tard.

C’est à Bordeaux que furent exécutés les 70 autres otages du total de 116 annoncé par le général Stülpnagel. En représailles du meurtre de Ritter, fonctionnaire allemand du Front du Travail, 50 autres otages furent fusillés à la fin du mois de septembre 1943 à Paris.

Voici une reproduction de l’article de journal qui annonça au peuple français ces exécutions (document n° F-402-C) :

« Les représailles contre les actes terroristes. Les attentats et les actes de sabotage se sont multipliés en France ces derniers temps : pour cette raison, 50 terroristes convaincus d’avoir participé à des actes de sabotage et de terrorisme ont été fusillés le 2 octobre 1943 sur l’ordre des autorités allemandes. »

Tous ces faits concernant les otages de Romainville nous ont été racontés par l’un des rares survivants : M. Rabaté, mécanicien, demeurant 69, rue de la Tombe-Issoire à Paris dont le témoignage a été recueilli par l’un de nos collaborateurs.

De ce témoignage (document n° F-402 [a], RF-287 déjà déposé), nous extrayons ce qui suit :

« Nous étions 70 hommes parmi lesquels les professeurs Jacques Solomon, Decourtemanche, Georges Politzer, Dr Boer, MM. Engros, Dudach, Cadras, Dalidet, JGolue, Pican qui furent fusillés au mois de mai 1942 et un nombre à peu près égal de femmes.

« Transférés les uns au quartier allemand de la Santé (une prison de Paris), la majorité à la prison du Cherche-Midi (à Paris), nous fûmes interrogés à tour de rôle par un officier de la Gestapo, dans les locaux de la rue des Saussaies. Certains d’entre nous, plus particulièrement Politzer et Solomon furent torturés jusqu’à en avoir (au témoignage de leurs femmes), les membres rompus. En m’interrogeant d’ailleurs, cet officier de la Gestapo m’apporta une confirmation : je répète ses paroles : « Ici, Rabaté, il faut parler ; « le gendre du professeur Langevin, Jacques Solomon, est entré ici « arrogant ; il en est sorti en rampant. »

« Après un court séjour de cinq mois à la prison du Cherche-Midi, au cours duquel nous apprîmes l’exécution, comme otages, des dix détenus déjà cités, nous fûmes transférés le 24 août 1942 au fort de Romainville.

« Il est à noter qu’à partir du jour de notre arrestation, il nous fut interdit d’écrire ou de recevoir du courrier, de faire savoir à nos familles où nous étions. Sur les portes de nos cellules était écrite la mention : « Tout est interdit ». Nous ne recevions strictement que la ration alimentaire de la prison, soit trois quarts de litre de soupe de légumes et 200 grammes de pain noir par jour. Les biscuits, envoyés à la prison pour les détenus politiques par la Croix-Rouge ou par l’Association des Quakers, ne nous étaient pas remis en raison de cette interdiction.

« À Romainville, nous avons été internés comme « isolés », expression correspondant au NN que nous avons connu en Allemagne. »

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, s’il y a quelque chose de très particulier que vous désiriez lire dans le document, faites-le, mais nous avons déjà appris le nombre d’otages qui ont été mis à mort et nous croyons que ce que vous dites n’ajoute vraiment rien.

M. DUBOST

Je crois, Monsieur le Président, que je ne vous ai pas encore parlé du régime auquel étaient soumis les hommes, détenus par l’Armée allemande, et je pensais qu’il était de mon devoir d’éclairer le Tribunal sur la condition de ces hommes dans les prisons allemandes.

Je pensais qu’il était aussi de mon devoir d’éclairer le Tribunal sur les mauvais traitements de la Gestapo qui ont laissé le gendre du professeur Langevin, les os rompus. Cela est d’ailleurs la lecture d’un témoignage.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, s’il y a des questions que vous désiriez approfondir, vous devez le faire, mais je crois que vous pourriez résumer les détails mêmes de fusillades individuelles d’otages. S’il y a des atrocités spéciales sur lesquelles vous désiriez attirer notre attention, faites-le.

M. DUBOST

Monsieur le Président, je ne vous offre que deux exécutions d’otages, en exemple de multiples exécutions qui ont fait 29.660 victimes dans mon pays.

LE PRÉSIDENT

Continuez, Monsieur Dubost.

M. DUBOST

Dans la région du Nord de la France, qui était administrativement rattachée à la Belgique et soumise à l’autorité du général von Falkenhausen, la même politique d’exécution a été pratiquée. Vous trouverez dans un document n° F-133 déposé sous le n° RF-289, la reproduction d’un très grand nombre d’affiches annonçant soit des arrestations, soit des exécutions, soit des déportations. Certaines de ces affiches comportent en outre un appel à la délation, elles sont analogues à celles dont je vous ai donné lecture à propos de la France ; peut-être serait-il bon cependant de signaler celle qui est relative à l’exécution de 20 Français, exécution ordonnée à la suite d’un vol (page 3) ; une autre affiche concerne l’exécution de 15 Français (page 4), prescrite à la suite d’un attentat contre des installations ferroviaires et enfin, spécialement la dernière annonce (pages 8 et 9) que des exécutions seront faites et invite la population civile à livrer les coupables, si elles les connaît, à l’Armée allemande.

En ce qui concerne spécialement les pays de l’Ouest autres que la France, nous avons un très grand nombre d’exemples de procédés identiques. Vous trouverez dans notre livre de documents, sous le n° RF-290 (F-680), copie d’un avis du Commandant militaire en chef pour la Belgique et le Nord de la France, qui annonce l’arrestation à Tournai, le 18 septembre 1941, de 25 habitants pris comme otages et qui précise les conditions dans lesquelles certains d’entre eux seront fusillés, si les coupables ne sont pas découverts.

Mais vous trouverez surtout, sous la cote F-680 (a) un document remarquable ; il émane des autorités allemandes elles-mêmes ; c’est le rapport secret du chef de la Police allemande en Belgique en date du 13 décembre 1944, alors que la Belgique était entièrement libérée et que ce fonctionnaire allemand rendait compte à ses chefs de l’activité de son service pendant l’occupation de la Belgique.

Nous en extrayons ce qui suit (première page du document) :

« L’excitation croissante de la population par la radio et la presse ennemie qui la poussent aux actes de terrorisme et de sabotage » (ceci s’applique au cas de la Belgique) « l’attitude passive de la population et en particulier de l’administration belge, la faillite complète des Ministères Publics, des juges d’instruction et de la police judiciaire pour découvrir et empêcher les actes terroristes, ont finalement conduit à des mesures préventives et répressives des plus rigoureuses, c’est-à-dire à l’exécution de personnes touchant de près les milieux qui ont commis des actes coupables.

« Déjà le 19 octobre 1941, à l’occasion de l’assassinat de deux policiers à Tournai, le Commandant militaire en chef a déclaré, par une annonce parue dans la presse, que tous les détenus politiques en Belgique seraient considérés comme otages, avec effet immédiat.

« Dans les provinces du nord de la France soumises à la juridiction du même Commandant militaire en chef, cette ordonnance a pris effet le 26 août 1941. Par des avis répétés parus dans la presse, la population civile a été informée, que des détenus politiques pris comme otages seraient exécutés si les assassinats continuaient à être perpétrés.

« Par suite de l’assassinat de M. Teughels, maire rexiste de Charleroi, et d’autres tentatives d’assassinat contre des fonctionnaires des services publics, le Commandant militaire en chef s’est vu obligé d’ordonner, pour la première fois en Belgique, l’exécution de huit terroristes. Date de l’exécution : 27 novembre 1942. »

À la page suivante de ce même document F-680 (b), vous trouverez un autre ordre, en date du 22 avril 1944, secret et émanant du commandant militaire en Belgique et dans le nord de la France, ayant pour objet des mesures d’expiation pour l’assassinat de deux SS wallons, combattants de Tcherkassy. Cinq otages ont été fusillés ce jour-là.

À la page suivante, neuf otages s’ajoutent à ces cinq et encore un dixième à la page suivante.

Puis cinq autres à la page suivante.

Vous trouverez enfin, à l’avant-demière page du document, un projet de listes de personnes à fusiller en expiation de l’assassinat de SS. Comparez les dates et jugez de la férocité avec laquelle fut réprimée l’exécution de ces deux traîtres wallons, qui s’étaient engagés volontairement dans les SS.

Voici extrait d’un document allemand les noms des vingt patriotes belges qui furent ainsi assassinés :

« Nouveau Journal du 25 avril 1944. Avis.

« Mesures d’expiation pour l’assassinat de combattants de Tcherkassy.

« L’autorité allemande communique :

« Les auteurs de la tentative d’assassinat, perpétrée le 6 avril, contre des membres de SS Sturmbrigade Wallonie et des combattants de Tcherkassy, Hubert Stassen et François Musch, n’ont pu être appréhendés à ce jour.

« En conséquence, et conformément à la communication du 10 avril 1944, les 20 terroristes dont les noms suivent ont été passés par les armes :

« Renatus Dierickx, de Louvain ; François Boets, de Louvain ; Antoine Smets, de Louvain ; Jacques van Tilt, de Hoisbeck ; Emilien van Tilt, de Hoisbeck ; Franciscus Aerts, de Hérent ; Jan van der Eist, de Hérent ; Gustave Morren, de Louvain ; Eugène Hupin, de Chapelle-lez-Herlaimont ; Pierre Leroy, de Boussois ; Léon Hermann, de Moutigny-sur-Sambre ; Félix Trousson, de Chaudfontaine ; Joseph Grab, de Tirlemont ; Octave Wintgens, de Baelen-Hontem ; Stanislaw Mrozowski, de Grâce-Berleur ; Marcel Bœur, d’Athus ; Marcel Dehon, de Ghiin ; André Croquelois, de Pont-de-Briques, près Boulogne ; Gustave Hos, de Mons ; et le Juif apatride Walter Kriss, de Hérent.

LE PRÉSIDENT

Nous allons suspendre l’audience pendant dix minutes.

(L’audience est suspendue.)
M. DUBOST

En ce qui concerne les autres pays de l’Ouest, les Pays-Bas, la Norvège, nous avons reçu des documents que nous déposons sous les n° RF-291, 292 293 (F-224 [b]).

Dans le texte français, vous trouvez une longue liste de civils exécutés.

Vous trouverez aussi un rapport du chef de la Police criminelle Munt, à propos de ces exécutions et vous observerez que Munt tente de s’innocenter, sans d’ailleurs y parvenir, à mon avis. Ceci se trouve dans le document déjà déposé sous le n° RF-277.

Page 6, vous trouvez le compte rendu d’une enquête relative à des exécutions en masse, auxquelles les Allemands ont procédé en Hollande.

Je ne crois pas nécessaire de lire cette enquête qui n’apporte aucun élément de fait nouveau ; elle illustre simplement la thèse que j’expose depuis ce matin, à savoir que dans tous les pays de l’Ouest, systématiquement, les autorités militaires allemandes ont procédé à des exécutions d’otages, en représailles d’actes de résistance.

Le 7 mars 1945, ordre fut donné de fusiller 80 prisonniers et l’autorité qui donna cet ordre déclara :

« Peu m’importe où vous prenez vos prisonniers. Exécution sans distinction, ni d’âge, ni de profession, ni d’origine. »

2080 exécutions furent faites dans ces conditions. Il arriva par exemple, qu’en représailles d’un meurtre commis sur un soldat des SS, une maison fut détruite et dix Hollandais furent fusillés, puis deux autres maisons furent détruites. Dans un autre cas, dix Hollandais furent fusillés, au total 3.000 Hollandais ont été passés par les armes dans ces conditions, sur le témoignage de ce document qui a été établi par la commission des crimes de guerre et signé par monsieur le colonel Baron van Tuyll van Serooskerken, chef de la délégation néerlandaise auprès du Tribunal Militaire International de Nuremberg.

Le Tribunal a sous les yeux le compte des victimes, région par région.

Je ne voudrais pas terminer l’exposé de la question des otages, en ce qui concerne la Hollande, sans attirer l’attention du Tribunal sur la partie « b » du document F-224, qui comporte une longue liste d’otages, prisonniers ou morts, arrêtés par les Allemands en Hollande. Le Tribunal observera que la plupart de ces otages sont des intellectuels ou de très hautes personnalités hollandaises. On y relève le nom de députés, d’avocats, de sénateurs, de pasteurs, de magistrats. Parmi eux, se trouve un ancien ministre de la Justice. Les arrestations se sont portées systématiquement sur l’élite intellectuelle de ce pays.

En ce qui concerne la Norvège, le Tribunal trouvera dans le document n° RF-292 (F-240), un bref rapport des exécutions auxquelles les Allemands ont procédé dans ce pays.

« Le 26 avril 1942, deux policiers allemands, qui avaient essayé d’arrêter deux patriotes norvégiens, furent tués sur une île de la côte ouest de la Norvège. Pour venger ceux-ci, quatre jours plus tard, dix-huit jeunes gens furent fusillés sans jugement. Ces dix-huit Norvégiens étaient en prison depuis le 22 février de la même année et n’avaient joué aucun rôle dans l’affaire. »

On lit plus loin (premier paragraphe de la traduction française, page 22 du texte norvégien original) :

« Le 6 octobre 1942, dix citoyens norvégiens furent exécutés en expiation de tentatives de sabotage.

« Le 20 juillet 1944, un nombre indéterminé de Norvégiens furent fusillés sans jugement. Ils avaient tous été pris dans un camp de concentration. On ignore la cause de cette arrestation et de cette exécution.

« Enfin après la capitulation allemande, les corps de quarante-quatre Norvégiens furent retrouvés dans des fosses. Tous avaient été fusillés. On ignore les raisons de leur exécution. Elles n’ont jamais été publiées et l’on ne pense pas qu’ils aient été jugés. Les exécutions ont été faites par un coup de feu dans la nuque ou un coup de revolver dans l’oreille. Les mains des victimes étaient attachées derrière le dos. »

Ces renseignements sont donnés par le Gouvernement Royal de Norvège et sont destinés à votre Tribunal.

J’attire enfin l’attention du Tribunal sur un dernier document RF-293 (R-134) signé de Terboven et qui est relatif à l’exécution de dix-huit Norvégiens prisonniers qui avaient tenté de gagner illégalement l’Angleterre.

C’est par milliers et dizaines de milliers, que, dans tous les pays de l’Ouest, les citoyens ont été exécutés sans jugement, en représailles d’actes auxquels ils n’avaient pas participé.

Il ne me paraît pas nécessaire de multiplier les exemples. Chacun de ces exemples met en cause des responsabilités individuelles, qui ne sont pas de la compétence de votre Tribunal. Ces exemples ne nous intéressent que dans la mesure où ils montrent que les ordres des accusés ont été exécutés et notamment les ordres de Keitel.

Je pense avoir amplement apporté cette démonstration, il est indiscutable que dans tous les cas, l’Armée allemande s’est trouvée mêlée à ces exécutions, qui n’ont pas été seulement le fait de la Police et des SS.

Elles n’eurent d’ailleurs pas les effets attendus. Loin de réduire le nombre des attentats, elles l’accrurent. Chaque attentat entraînait des fusillades d’otages, chaque fusillade d’otages déterminait de nouveaux attentats, en représailles. D’une façon générale, l’annonce de nouvelles exécutions d’otages plongeait les pays dans la stupeur et obligeait chaque citoyen à prendre conscience du sort de sa patrie, malgré les efforts de la propagande allemande. Devant l’échec de cette politique de terreur, on pourrait penser que les accusés modifièrent leurs pratiques. Loin de les modifier, ils les renforcèrent. Je vais m’appliquer à vous le montrer en vous exposant ce que fut l’activité de la Police et de la Justice à partir du moment où, la politique des otages ayant échoué, il a fallu faire appel à la Police allemande, pour maintenir dans la servitude les pays occupés.

À tout moment, et depuis le début de l’occupation, les autorités allemandes ont procédé à des arrestations arbitraires, mais avec l’échec de la politique d’exécution des otages, échec constaté, vous vous en souvenez, par le général von Falkenhausen, pour la Belgique, les arrestations arbitraires se multiplient au point de devenir une pratique constante substituée à celle de l’exécution des otages.

Nous soumettons au Tribunal un document RF-294 (PS-715), qui traite de l’arrestation d’officiers généraux, qui devront être transférés en Allemagne en détention d’honneur.

« Objet : Mesures à prendre contre les officiers français.

« En accord avec l’ambassade d’Allemagne à Paris et avec le chef de la Police de sûreté et du Service de sécurité, le Commandement supérieur à l’Ouest fait les propositions suivantes :

« 1. Les officiers généraux, ci-dessous énumérés, seront arrêtés et transférés en Allemagne en détention d’honneur.

« Les généraux de l’Armée : Frère (mort en Allemagne, à la suite de sa déportation), Gerodias, Cartier, Revers, de Lattre de Tassigny, Fornel de la Laurencie, Robert de Saint-Vincent, Laure, Doyen, Piquendar, Mittelhauser, Paquin ;

« Les généraux de l’armée de l’Air : Bouscat, Carayon, de Geffrier d’Harcourt, Mouchard, Mendigal, Rozoy ;

« Les colonels Loriot et Fonck.

« II s’agit en l’occurrence de généraux dont les noms ont une valeur de propagande en France et à l’étranger ou dont l’attitude et les capacités représentent un danger...

« 2. De plus « l’Arbeitsstab Frankreich » a choisi, dans le fichier d’officiers, environ 120 officiers, qui se sont signalés par leur attitude anti-allemande durant les dernières années. De son côté, le Service de sécurité (SD) a donné une liste de 130 officiers préalablement accusés. Après la compilation de ces deux listes, l’arrestation de ces officiers pour une date ultérieure, dépendant de la situation sera préparée...

« 6. En ce qui concerne tous les officiers de l’Armée française de l’armistice, le Chef de la Police de sûreté, en collaboration avec le Commandement supérieur à l’Ouest, organise, au cours d’un contrôle policier ayant lieu le même jour dans tout le territoire, un contrôle des domiciles et de l’occupation professionnelle. »

Et, voici les passages les plus importants :

« Comme mesures de représailles, les familles des personnalités suspectes ayant déjà rejoint la dissidence ou qui la rejoindront dans l’avenir, seront transférées en tant qu’internés, en Allemagne ou dans les territoires de l’est de la France, mais la question épineuse d’hébergement et de surveillance doit être tout d’abord résolue. On doit envisager, ensuite, comme mesure ultérieure, le retrait de la nationalité française et la confiscation des biens, déjà réalisée dans d’autres cas par Laval. »

Police et Armée seront mêlées à toutes ces arrestations. Un télégramme chiffré montre que le ministère des Affaires étrangères lui-même s’y trouve impliqué. C’est le document PS-723, que je dépose sous le n° RF-295. Il est adressé au ministre des Affaires étrangères, en date du 5 juin 1943, à Paris (troisième document du livre de documents) :

« Au cours de la conférence qui a eu lieu hier avec les représentants du Haut Commandement sur le front Ouest et du Service de sécurité (SD), l’accord suivant a été réalisé au sujet des mesures à prendre :

« Ces mesures doivent avoir pour but de rendre impossible, par des mesures préventives de sécurité, l’évasion de France d’autres militaires connus, et par la même occasion d’empêcher ces personnalités d’organiser elles-mêmes, au cas d’une tentative de débarquement anglo-saxon en France, un mouvement de résistance.

« Les personnalités, auxquelles ces mesures s’appliquent, appartiennent toutes à un milieu d’officiers qui, par leur rang et leur expérience, ou par leur nom, renforceraient, de façon capitale, le commandement militaire ou le crédit politique de la dissidence, au cas où ils se décideraient à s’y joindre. Dans le cas d’opérations militaires en France, il faudrait les considérer comme ayant la même importance.

« La liste a été établie, en accord avec le Haut Commandement à l’Ouest, le Chef de la Police de sûreté et le général de l’armée de l’Air, à Paris. »

Je vous épargnerai la lecture de ces nouveaux noms d’officiers supérieurs français, qui devaient être arrêtés. Mais, nous passerons plus loin ; le Tribunal verra que l’autorité allemande envisageait de faire subir le même sort à des officiers, déjà arrêtés par le Gouvernement français et placés sous la surveillance des autorités françaises, comme le général de Lattre de Tassigny, le général Laure et le général Fornel de la Laurencie.

Ces généraux devaient être littéralement arrachés aux autorités françaises pour être déportés.

« Vu la situation générale actuelle et les mesures de sécurité envisagées, tous les services présents sont unanimes à estimer qu’il est inopportun de maintenir ces généraux en détention française, car ils pourraient, soit par négligence, soit avec l’aide volontaire du personnel de garde, s’évader et recouvrer la liberté. »

Enfin, à propos des représailles contre les familles (page 7, n° IX) ;

« Le général Warlimont avait demandé au Commandement en chef sur le front de l’Ouest de soulever la question des mesures de représailles à prendre contre les familles des personnes passées à la dissidence, et de faire éventuellement des propositions.

« Le président Laval se déclarait prêt, il n’y a pas longtemps, à prendre des mesures de ce genre, du côté français, mais à se borner toutefois aux familles de quelques personnalités marquantes. »

Je me réfère à l’avant-dernier paragraphe du rapport télégraphique n° 3486 du 29 mai 1943 : « On devra attendre, si Laval est réellement prêt à appliquer pratiquement de telles mesures.

« Tous les assistants de la séance étaient d’accord : de toute façon, de telles mesures devraient être prises et le plus rapidement possible, contre les familles des personnalités connues, passées à la dissidence. Par exemple, les membres de la famille des généraux Giraud, Juin, Georges, de l’ancien ministre de l’Intérieur Pucheu, de l’Inspecteur des Finances Couve de Murville, Leroy-Beaulieu et d’autres.

« Ces mesures peuvent aussi être mises à exécution par les Allemands, puisque les personnes passées à la dissidence doivent être considérées comme des étrangers appartenant à une puissance ennemie, et que les membres de leur famille sont à considérer comme tels.

« À notre avis, les membres de ces familles devront être internés. Il faut vérifier avec soin comment ces mesures pourront être pratiquement réalisées.

« On pourrait également étudier la question de savoir si ces familles devront être internées dans des régions plus particulièrement exposées aux attaques aériennes (par exemple à proximité des barrages, ou dans des régions industrielles particulièrement bombardées). Une liste de familles, susceptibles d’être internées, est en train d’être élaborée en collaboration avec l’ambassade. »

Dans cette préméditation d’arrestations criminelles, nous trouvons mêlés l’accusé Ribbentrop, l’accusé Göring, l’accusé Keitel, car ce sont leurs services qui ont fait des propositions et nous savons que ces propositions ont été agréées document n° RF-296 (PS-720).

In fine, il faut signaler la participation du ministère des Affaires étrangères par l’intermédiaire de l’OKW.

C’est un fait que ces arrestations ont été exécutées. Des membres de la famille du général Giraud ont été déportés. Le général Frère a été déporté et est mort dans un camp de concentration. Les ordres ont donc été exécutés ; ils ont été approuvés avant d’être exécutés, et l’approbation met en cause les accusés dont je vous ai donné les noms. Mais les arrestations ne porteront pas que sur des officiers généraux, elles seront infiniment plus étendues, un très grand nombre de Français seront arrêtés. Nous n’avons pas de statistiques précises.

LE PRÉSIDENT

Monsieur Dubost, avez-vous produit des preuves dans votre dernière déclaration ? Avez-vous fourni un document ?

M. DUBOST

De l’arrestation et de la mort en camp de concentration du général Frère, je vous apporterai la preuve, quand j’étudierai les camps de concentration. De l’arrestation et de la mort de plusieurs généraux français au camp de Dachau, le Tribunal a présent encore à l’esprit le témoignage de Blaha. En ce qui concerne la famille du général Giraud, je m’appliquerai à apporter les preuves, mais je ne pensais pas qu’il soit nécessaire de le faire ; il est de notoriété publique que la fille du général Giraud a été déportée.

LE PRÉSIDENT

Je ne pense pas que nous puissions prendre en considération tous les faits qui sont de notoriété publique en France.

M. DUBOST

J’apporterai au Tribunal des preuves supplémentaires en ce qui concerne les généraux en déportation, lorsque j’étudierai la question des camps.

LE PRÉSIDENT

Très bien.

M. DUBOST

C’est au camp de Struthof qu’est mort le général Frère et nous vous indiquerons dans quelles circonstances il a été assassiné. D’autre part, il existe un document dans votre livre de documents sous la cote F-417 (RF-297), saisi dans les archives de la Commission allemande d’armistice, qui établit que les autorités allemandes se sont refusées à libérer des généraux français prisonniers de guerre, dont l’état de santé ou le grand âge méritaient qu’ils soient remis en liberté.

Je cite :

« Le Führer a toujours eu, quant à cette question, une attitude de refus, tant au point de vue de leur élargissement qu’à celui de leur hospitalisation en pays étranger neutre.

« L’élargissement ou une hospitalisation entre, aujourd’hui moins que jamais, en ligne de compte, après que le Führer a depuis peu ordonné le transfert en Allemagne de tous les généraux français vivant en France.

« Signé : Warlimont. »

Et manuscrit :

« II n’y a pas de réponse à donner à la note française. »

Retenez comme preuve seulement le dernier paragraphe :

« ... après que le Führer a, depuis peu, ordonné le transfert en Allemagne de tous les généraux français vivant en France. »

Mais, je vous l’indiquais, ces arrestations dépassent infiniment le cadre assez limité des généraux ou des familles de personnalités qui sont visées par les documents dont je viens de donner lecture au Tribunal.

Un très grand nombre de Français seront arrêtés...

Nous n’avons pas de statistiques mais nous avons une idée de l’importance de ce nombre, d’après le chiffre de Français morts dans les seules prisons françaises, passées sous le commandement allemand et surveillées par du personnel allemand pendant l’occupation.

Nous savons qu’il est mort 40.000 Français dans les seules prisons françaises en France, selon une évaluation officielle et qui émane du ministère des Prisonniers et Déportés. Sur le registre des prisons on lit : « Sicherheitsverwahrung », (détention de sécurité). Mes collègues américains ont exposé au Tribunal ce qu’était cette détention de sécurité lorsqu’ils ont donné lecture du document PS-1723, déposé sous le n° USA-206. Il est donc inutile que nous revenions sur ce document. Il suffit de rappeler que la prison, la détention de sécurité, est considérée par les autorités allemandes comme la mesure la plus forte, destinée à enseigner énergiquement aux étrangers, qui, par malice, négligeraient leurs devoirs envers la communauté allemande ou compromettraient la sécurité de l’État allemand, qu’ils ont à se conformer à l’intérêt général et à s’adapter à la discipline de l’État.

Cette détention de sécurité est, le Tribunal s’en souviendra, une détention purement arbitraire. Les gens qui sont internés en détention de sécurité ne bénéficient d’aucun droit et ne peuvent se justifier. II n’existe point de tribunaux à leur usage devant lesquels ils pourraient s’expliquer.

Or, nous savons par des documents officiels qui nous ont été remis, notamment par le Luxembourg, qu’une très grande application de la détention de sécurité a été faite. Le Tribunal lira, dans le document F-229 (déjà déposé comme USA-243), n° L-215, une liste de vingt-cinq personnes arrêtées pour être internées dans différents camps de concentration, sous le régime de la détention de sécurité. Le Tribunal se souviendra que nos collègues ont attiré son attention sur la cause de l’arrestation de Ludwig qui était seulement fortement soupçonné d’aide aux déserteurs.

Un témoignage de l’application de la détention de sécurité en France nous est donné par le document F-278 déposé sous le n° RF-300 :

« Copie jointe à VAA-P-7236-g. — Secret. — Ministère des Affaires étrangères. — Berlin le 18 septembre 1941.

« À propos du rapport du 30 août, même année.

« Les explications du commandement militaire en France du 1er août de cette année, sont considérées généralement comme satisfaisantes pour nous, pour répondre à la note française.

« Ici également, nous considérons qu’il y a lieu d’éviter toute nouvelle discussion avec les Français, au sujet de l’arrestation préventive, car cette discussion ne pourrait aboutir qu’à une détermination nette des limites de l’exercice de ce pouvoir par la puissance occupante, ce qui est indésirable dans l’intérêt de la liberté d’action des autorités militaires. Par délégation. Signé :Illisible.

« Le représentant du ministère des Affaires étrangères à la Commission allemande d’armistice, Wiesbaden ;

« Le représentant du ministère des Affaires étrangères VAA-P-7236-g. — Secret. — Wiesbaden, le 23 septembre 1941.

« Copie : le représentant du Ministère demande à être tenu au courant, en temps opportun, de la réponse faite à la note française. »

Le ministère des Affaires étrangères se trouve encore mêlé à cette application de la détention de sécurité. Le fondement de cette détention, de l’aveu des services du ministère des Affaires étrangères, est fragile. Cependant le ministère des Affaires étrangères ne l’interdit pas.

Les arrestations furent opérées sous de multiples prétextes, mais tous ces prétextes peuvent se ramener à deux idées générales : on arrêtait, soit pour des motifs d’ordre politique, soit pour des raisons raciales. Les arrestations furent individuelles ou collectives, dans un cas comme dans l’autre.

Prétextes d’ordre politique :

À partir de 1941, les Français constatent qu’il y a un synchronisme entre l’évolution des événements politiques et le rythme des arrestations. Le document français RF-301 (F-274-1) le démontre (fin de votre livre de document). Il émane du ministère des Prisonniers et Déportés. On décrit les conditions dans lesquelles ces arrestations ont été opérées, à partir de 1941, période critique dans l’histoire allemande de la guerre puisque, aussi bien, c’est à partir de 1941 que l’Allemagne est en guerre avec l’URSS.

« Le synchronisme entre l’évolution des événements politiques et le rythme des arrestations est évident. La suppression de la ligne de démarcation, la constitution des groupes de résistance, la formation des maquis, conséquence du service du Travail obligatoire, le débarquement en Afrique du Nord et en Normandie se répercutent immédiatement dans le chiffre des arrestations dont la courbe atteint son maximum en mai et août 1944, surtout dans la zone sud et particulièrement dans la région de Lyon.

« Nous répétons que ces arrestations ont été effectuées par les ressortissants de toutes les catégories du système répressif allemand : Gestapo en uniforme ou en civil, SD, gendarmerie, surtout à la ligne de démarcation, Wehrmacht, SS...

« Les arrestations ont pris le caractère d’opérations collectives. À Paris, à la suite d’un attentat, le 18e arrondissement fut cerné par la Feldgendarmerie. Ses habitants, hommes, femmes, enfants, ne purent rentrer chez eux et passèrent la nuit où ils purent trouver abri ; une rafle fut effectuée dans l’arrondissement. »

Je pense qu’il n’est pas nécessaire que je lise le paragraphe suivant, qui a trait à des arrestations à la Faculté de Clermont, dont le Tribunal a certainement conservé le souvenir, ainsi qu’aux arrestations en Bretagne, en 1944, au moment du débarquement (dernier paragraphe, bas de la page 11) :

« ... sous prétexte de complot ou d’attentats, des familles entières furent frappées. Les Allemands procèdent par rafles quand le Service du Travail obligatoire ne leur fournit plus une main-d’œuvre suffisante.

« Rafle de Grenoble, le 24 décembre 1943, la nuit de Noël.

« Rafle de Cluny, en Saône-et-Loire, en mars 1944 ;

« Rafle de Figeac, en mai 1944.

« La plupart des Français ainsi raflés furent, en réalité, non pas employés au travail en Allemagne, mais déportés pour être internés dans des camps de concentration. »

Nous pourrions multiplier les exemples de ces arrestations arbitraires, en puisant dans les documents officiels déposés par le Luxembourg, le Danemark, la Norvège, la Hollande, la Belgique. Ces rafles n’ont jamais eu de raisons juridiques, elles ne sont même pas présentées comme une action, au terme du pseudo-droit des otages dont nous avons parlé jusqu’ici. Elles ont toujours été arbitraires, effectuées sans raison apparente et, en tout cas, sans qu’aucun acte de Français n’ait pu les motiver, même à titre de représailles. D’autres arrestations collectives ont été faites pour des raisons raciales. Elles ont eu le même caractère odieux que les arrestations faites pour des raisons politiques.

Dans le document officiel du ministère des Prisonniers et Déportés, le Tribunal pourra lire quelques détails odieux qui ont entouré ces arrestations raciales (page 5) :

« Certains policiers allemands étaient spécialement chargés de repérer les Juifs, d’après leur physionomie. On appela leur groupe : la brigade physionomiste. La vérification s’opérait parfois publiquement, en ce qui concernait les hommes (déshabillage à la gare de Nice sous menace de revolver).

« Les Parisiens se souviennent de ces rafles par quartier, des grands cars de police qui amenaient pêle-mêle vieillards, femmes, enfants pour les entasser au Vélodrome d’Hiver dans d’atroces conditions d’hygiène, avant de les envoyer à Drancy où les attendait la déportation. La rafle du mois d’août 1941 est restée tristement célèbre : toutes les issues du métro du 11e arrondissement furent bouchées et tous les Juifs de cet arrondissement furent arrêtés et incarcérés. Celle de décembre 1941 frappa surtout les milieux intellectuels. Puis, ce furent les rafles de juillet 1942.

« Toutes les villes de la zone sud, surtout Lyon, Grenoble, Cannes et Nice, où s’étaient réfugiés de nombreux Juifs, connurent ces rafles après l’occupation de la France entière.

« Les Allemands recherchaient tous les enfants de Juifs qui avaient trouvé refuge chez des particuliers ou des collectivités. Ils procédèrent en mai 1944 à l’arrestation des enfants de la colonie d’Eyzieux et à l’arrestation des enfants réfugiés dans les colonies de l’U.G.I.F. en juin et juillet 1944. »

Je ne pense pas que ces enfants étaient des ennemis du peuple allemand et pouvaient faire courir un péril de quelque nature que ce soit à l’Armée allemande en France.

LE PRÉSIDENT

Je pense, Monsieur Dubost, que nous pourrions peut-être suspendre maintenant.

(L’audience sera reprise le 25 janvier 1946 à 10 heures.)